Universit de Toulouse-Le Mirail, UFR de Lettres, Philosophie et

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Universit de Toulouse-Le Mirail, UFR de Lettres, Philosophie et
Université de Toulouse-Le Mirail, UFR de Lettres, Philosophie et Musique,
Département de Musique.
Présences et influences des Planètes de Gustav Holst dans
la musique de film américaine à partir de 1970:
un jeu de codes entre les compositeurs et leur modèle
Mémoire de maîtrise de musique présenté et
soutenu publiquement par:
Quentin Billard
Sous la direction de: Michel Lehmann
octobre 2003
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Introduction
La réflexion sur l’emprunt d’une pièce musicale préexistante dans une composition originale
est un vaste problème qui nécessite forcément qu’on en délimite les contours. C’est pourquoi
nous avons choisi de centrer notre réflexion sur la reprise d’une œuvre du répertoire
‘classique’ dans la musique de film américaine après 1970, la suite symphonique des Planètes
du compositeur anglais Gustav Holst. Le musicien est né à Cheltenham, le 21 septembre
1874. Holst a crée cette célèbre suite symphonique entre 1914 et 1916. Composée de 7
mouvements (Mars, Vénus, Mercure, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune), la suite des
Planètes semble avoir trouvé un écho positif auprès des musiciens d’Hollywood. Nous devons
immédiatement préciser que notre sujet ne concerne pas Holst et sa musique. Beaucoup de
travaux ont déjà été produits à ce jour sur la musique de Gustav Holst, des ouvrages essentiels
en langue anglaise comme l’indispensable Holst: The Planets de Richard Greene, Gustav
Holst: The Man and His Music de Michael Short ou bien encore The Music of Gustav Holst
d’Imogen Holst. Ces ouvrages nous ont servi de point de départ pour l’élaboration de notre
réflexion.
Bien que les ouvrages sur la musique de film se multiplient de plus en plus et que cette
musique commence enfin à attirer l’attention de certains chercheurs, le problème de la reprise
d’œuvres préexistantes dans ce genre musical n’a jamais vraiment été abordé de façon
approfondie. Cependant, un ouvrage de référence comme la musique au cinéma de Michel
Chion (1) nous donne déjà une piste à ce sujet, notamment lorsque l’auteur dresse un
historique de la musique de film et tente de discerner à quelques moments l’apport musical
des œuvres classiques dans la musique de film en général.
Concernant la musique à Hollywood, l’emprunt d’œuvres symphoniques préexistantes n’est
pas une chose neuve. Cela fait maintenant plus d’un siècle que la musique de film existe.
Nous sommes, aujourd’hui, bien loin des petits ragtimes joués au piano afin de couvrir le son
des projecteurs. Pourtant, on constate qu’à la fin du 19eme siècle, les musiciens avaient déjà
recours à des pièces préexistantes pour accompagner les projections. Les compositions
originales n’étaient pas encore chose fréquente. Aujourd’hui, la musique
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(1) Michel Chion, La musique au cinéma, Fayard, 1995.
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de film possède un très vaste répertoire, et c’est dans cet univers musical que l’on pourra
retrouver des emprunts à des pièces préexistantes. Des grands compositeurs américains
comme John Williams, James Horner ou Jerry Goldsmith ont toujours été influencés, de près
ou de loin, par le répertoire musical des siècles précédents, que ce soit par le post-romantisme
wagnérien très à la mode durant l’ère du Golden Age Hollywoodien (des années 1930
jusqu’aux années 1950 environ) ou par le style modal d’un Debussy ou d’un Ravel chez
Goldsmith ou Horner.
Il nous faut maintenant apporter une petite précision: notre sujet ne traitera pas de l’utilisation
directe de pièces classiques dans le cinéma, comme c’est le cas pour 2001 l’odyssée de
l’espace de Stanley Kubrick ou Mort à Venise de Luchino Visconti. Nous allons plutôt nous
attacher à évoquer la présence et l’influence des Planètes de Gustav Holst sur des
compositions originales pour la musique de film américaine. Depuis la fin des années 1970,
on a vu se multiplier à Hollywood des compositions s’inspirant de près ou de loin de l’œuvre
de Holst. Les compositions inspirées des Planètes étaient surtout faites pour accompagner des
grandes productions de science-fiction épiques très codifiées, remises au goût du jour à la fin
des années 1970. Ces emprunts possèdent ainsi la spécificité d’accompagner un certain type
de cinéma spectaculaire, destiné à un grand public.
Notre problématique concernera donc un triptyque organisé autour des relations entre l’œuvre
des Planètes de Holst, les compositeurs de musique de film et le public de cinéma. Nous nous
fixerons ainsi comme objectif de discerner ces différentes reprises en proposant un panorama
non exhaustif de musiques de film s’inspirant de l’œuvre de Holst, en abordant le problème de
la codification de cette musique appliquée au cinéma, ainsi que la façon dont les compositeurs
gèrent leur inspiration par rapport à cette œuvre modèle. Nous serons ainsi amené à aborder le
problème musical de ces reprises (comment procèdent-ils? Qu’apportent-ils de nouveau par
rapport à l’œuvre de Holst? Comment réutilisent-ils cette œuvre dans leurs musiques de film,
etc.) ainsi que la manière dont cette musique est transmise au public et ce que ce dernier
apporte à ces inspirations.
La reprise d’œuvres préexistantes pose plusieurs problèmes (notamment d’éthique), mais nous
avons choisi de centrer notre réflexion autour du problème de l’esthétique. Au cours
de notre travail, nous manierons divers concepts d’esthétique tels que la citation, l’imitation,
l’allusion ou la copie. Pour se faire, nous aurons alors recours à un
ouvrage majeur pour notre sujet, le Vocabulaire d’esthétique (1) d’Etienne Souriau.
---------------(1) Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Quadrige, 1990.
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Nous allons aussi être amené à naviguer entre deux approches musicales différentes, le
concept de ‘musique absolue’ (l’œuvre de Holst, écrite pour elle-même) et de ‘musique écrite
pour le cinéma et soumise à l’image’. C’est en confrontant dans un premier temps ces deux
points de vue que nous pourrons envisager d’obtenir quelques pistes de réflexion sur notre
problématique de l’artiste et du modèle. Pour se faire, nous avons décidé d’inclure dans ce
travail un disque contenant des extraits sonores de l’œuvre de Holst et des compositions
originales s’en inspirant. C’est essentiellement au cours du second chapitre que nous
découvrirons ces extraits sonores afin de mieux comprendre la façon dont les musiciens
procèdent par rapport à l’œuvre de Holst. Nous pourrons aussi retrouver les images des films
en question sur la cassette vidéo fournie avec ce mémoire, afin de faire le lien entre la
musique entendue sur le disque et les séquences cinématographiques pour lesquelles elles ont
été composées. Nous attirons l’attention sur le fait que notre réflexion se basera
essentiellement autour du célèbre mouvement de Mars, la pièce la plus imitée dans la musique
de film américaine. Enfin, notre dernier chapitre devrait tenter d’apporter un élément de
réponse aux rapports entre les compositeurs de musique de film, l’œuvre modèle et le public.
Nous devons apporter quelques précisions quant aux difficultés bibliographiques et
méthodologiques de ce sujet. Le principal problème auquel nous avons dû faire face est celui
des partitions de musique de film. Hormis la partition des Planètes, que nous avons pu obtenir
sans difficulté, nous nous sommes heurté à de très gros problèmes de droits et de règlements
qui nous ont proscrit tout accès éventuel aux conducteurs des musiques de film analysées dans
notre travail. En effet, les partitions de musique de film américaines sont détenues par les
studios de cinéma, eux-mêmes détenteurs des droits musicaux (le compositeur conservant
néanmoins les ayant-droits). Or, la politique des studios est de ne fournir aucun matériel
d’orchestre original à des particuliers ou des étudiants quelconques. Nous avons donc dû
fournir nous-mêmes nos propres relevés de partition après plusieurs écoutes successives sur
les différentes pièces analysées dans le deuxième chapitre de notre travail. A noter aussi que
les montages vidéo fournis avec ce mémoire nous ont posés eux aussi quelques problèmes,
dans la mesure où nous n’avons pas réussi à obtenir une copie satisfaisante de tous les films
cités dans ce mémoire. Nous regrettons ainsi de ne pas avoir réussi à intégrer un extrait vidéo
de l’incontournable Star Wars, étant donné que les cassettes vidéos sont très souvent
protégées par un système de protection anti-copie très difficile à contourner. C’est pour cette
raison que nous incitons à prolonger notre réflexion par la vision plus approfondie de ces
films, référencés dans la bibliographie en fin de volume.
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Nous espérons enfin que ce travail saura inciter les chercheurs à se pencher sur la question de
la musique de film et de ses références musicales, sujet vaste et passionnant qui mérite d’être
encore approfondi.
Pour terminer, nous tenons à remercier tout particulièrement Monsieur Pierre Cadars,
directeur de la cinémathèque de Toulouse, qui nous a aidé à trouver quelques pistes de
réflexion sur le sujet concernant la musique de film, Monsieur Bill Wrobel pour le sérieux de
ses travaux d’analyse sur des conducteurs d’orchestres de musiques de film, empruntés à la
Libraire du Congrès de Washington, Messieurs Arnaud Damian et Jean-François Houben de
l’incontournable site internet français sur la musique de film, Traxzone, sans oublier
Monsieur Lehmann, pour son professionnalisme et le travail intense que nous lui avons
demandé durant l'été 2003.
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Chapitre premier
Présentation des Planètes de Gustav Holst:
L’œuvre dans son contexte culturel
et musical et les codes de la partition.
I – Présentation et genèse des Planètes
Notre débuterons notre travail en rappelant quelques points majeurs sur la célèbre suite
symphonique des Planètes de Gustav Holst. Cette œuvre pour grand orchestre a été écrite
entre 1914 et 1916. La suite des Planètes est sans conteste la partition la plus populaire du
compositeur anglais, à tel point que l’on associe systématiquement aujourd’hui le nom de
Holst aux Planètes. A l’instar des Carmina Burana de Carl Orff, la célébrité de l’œuvre ellemême a fini par dépasser celle de son auteur. Afin de comprendre les raisons de la célébrité
des Planètes, il nous faudra d’abord replacer l’œuvre dans le contexte culturel et social de
l’époque.
La création des Planètes s’est déroulé en majeure partie à Londres, là où le compositeur s’est
installé à partir de 1893 pour y faire ses études. Il s’inscrit au Royal College of Music, où il
reçoit une solide formation musicale classique. Le jeune musicien commencera très vite à
s’intéresser à l’environnement culturel et musical de Londres.
Dans le premier chapitre de son ouvrage majeur sur Holst et les Planètes, Richard Greene
évoque l’existence de deux Londres en 1914 (1). La ville possède une culture musicale à
double facette avec d’un côté l’intellectuel (répertoire classique du passé) et de l’autre, le
populaire (folk songs anglais, ballades, chansons diverses, etc.). Dans l’un, on cultivait le
goût pour la musique dite ‘sérieuse’ et raffinée (Purcell, Brahms, Beethoven, Mendelssohn,
etc.), dans l’autre, on découvrait un univers plus festif fait de musiques
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(1) Richard Greene, Holst : The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.9.
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populaires, légères et divertissantes. Il ne fait nul doute que ce mélange de styles musicaux a
quelque peu influencé Holst dans sa manière de créer sa musique, le compositeur s’étant
forgé un style personnel avec Les Planètes: une sorte de synthèse de ces différents courants
musicaux.
Deux ans s’écoulèrent avant que l’œuvre ne soit achevée en 1916. Ce n’est qu’en 1920 à
Londres que l’œuvre complète fut jouée. Effectivement, les créations de 1919 omettaient
certains mouvements de l’œuvre. Ainsi, lors de la création des Planètes à Londres le 27
février 1919, Vénus et Neptune étaient absents du programme. D’autre part, les mouvements
n’étaient pas toujours joués dans l’ordre voulu par Holst. Par exemple, Jupiter est le
quatrième mouvement de la suite, mais il fut pourtant joué trois fois comme final de deux
concerts à Londres en 1919 et du concert de Birmingham le 10 octobre 1920. Ceci étant dit,
Jupiter est trop brillant et éclatant pour ne pas faire un bon final de concert, et c’est ce qui a
probablement motivé les organisateurs de ces concerts à le placer en dernière position pour
conclure les représentations des Planètes. Cette façon de ne pas respecter l’ordre des
mouvements et d’en éliminer certains était ainsi contraire aux idées de Holst, qui avait crée
l’œuvre avec une certaine unité et une progression dramatique à travers l’ordre des sept
mouvements de sa suite symphonique.
La première guerre mondiale avait bouleversé la mentalité du peuple anglais, ainsi que ses
goûts culturels et musicaux. C’est dans ce contexte que l’œuvre de Holst a connu son premier
grand succès, lors de sa création en 1920. Les précédentes créations de 1919 étaient loin de
faire tout autant l’unanimité auprès des critiques anglais de l’époque.
Holst a apporté un soin particulier a l’élaboration de cette suite symphonique. A ce sujet, le
compositeur a décrit sa genèse de cette façon:
« That work, whether it’s good or bad, grew in my mind slowly, like a baby in a
woman’s womb…for two years I had the intention of composing that cycle, and
during those two years, it seamed of itself more and more definitely to be taking
form » (1)
-------------------(1) « Cette oeuvre, qu’elle soit bonne ou mauvaise, a germée lentement dans mon esprit, comme un bébé dans le
ventre de sa mère…j’ai eu l’idée de composer un cycle pendant deux ans, et durant ces deux années, cela
semblait prendre forme progressivement »
Michael Short, Gustav Holst, The Man and his Music, Oxford University Press, 1990, p.121.
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Son œuvre a pris forme progressivement, nourrie de ses différentes sources d’inspiration
musicale et probablement aussi de la guerre. En effet, pour créer cette grande suite
symphonique, Holst s’est inspiré de quelques grandes œuvres orchestrales qu’il a pu entendre
à son époque en Angleterre: le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky (1913), les 5 pièces pour
orchestre opus 16 d’Arnold Schönberg (1909), l’Apprenti sorcier de Paul Dukas (1887) ou les
Sirènes de Claude Debussy (1899) pour ne citer que les exemples les plus flagrants. C’est à
la même époque que Holst commence à s’intéresser à l’astrologie, initié par son ami Clifford
Bax dès 1913. Le compositeur avait précédemment étudié le sanskrit au retour de son voyage
en Algérie en 1908. Au sujet de ses lectures, Holst explique:
« As a rule, I only study things which suggest music to me. That’s why I worried at
sanskrit. Then recently the character of each planet suggested lots to me, and I have
been studying astrology fairly closely (…) » (1)
C’est donc dans l’astrologie qu’il puise son inspiration pour les Planètes. Il utilise ses idées
astrologiques dans un ouvrage littéraire indissociable de l’œuvre des Planètes: What’s an
horoscope and how to cast it ? par Alan Leo, astrologue théosophe anglais contemporain de
Holst. Mais le compositeur connaissait aussi les ouvrages grecs sur le sujet ainsi que la
fameuse théorie de l’Harmonie des sphères qui attribuait à chaque planète du système solaire
des éléments musicaux précis. Chaque mouvement de l’œuvre repose en grande partie sur des
idées empruntées à l’astrologie et non à la mythologie classique, comme nous serions tenté
de le croire. C’est ainsi que nous trouverons des métaphores musicales des caractères
humains et psychologiques, liés aux planètes tel que Leo les a décrits dans son ouvrage.
Holst a finalement conçu cette suite symphonique comme une sorte de voyage spirituel au
fond de la nature humaine. Dans son ouvrage sur les Planètes, Richard Greene décrit ainsi
l’œuvre de Holst:
« The entire composition is a single human experience in which planetary influence
and relationship point to the psychological journey (…) » (2)
-------------------(1) « En général, je n’étudie que ce qui me suggère de la musique. C’est pourquoi je me suis intéressé au
sanskrit. Puis, j’ai découvert récemment que le caractère de chacune des planètes me suggérait beaucoup de
choses, c’est pourquoi j’ai étudié plus en détail l’astrologie. »
Michael Short, Gustav Holst, The Man and his Music, Oxford University Press, 1990, p.122.
(2) « L’ensemble de l’œuvre est une expérience humaine unique dans laquelle l’influence planétaire et les
relations humaines aboutissent à un voyage psychologique (…). »
Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.41.
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Greene traite ensuite des différents mouvements de la suite en mettant en évidence l’aspect
humain et psychologique que l’on retrouvera dans chacun des sept mouvements de l’œuvre:
« In musical terms, the figures presented in each movement partake of a variety of
idioms and logical processes, leading to the projection of specific characters based on
both real-world associations and listening psychology. » (1)
Cette phrase résume parfaitement le concept de l’œuvre du compositeur anglais.
L’ordre des mouvements possède une signification, ce qui a pour conséquence de rendre les
mouvements indissociables de l’œuvre complète. Pour mieux comprendre cette unité de
l’œuvre, nous proposons de rentrer pour un premier temps dans le détail de l’ordre des
planètes choisi par le compositeur.
Holst nous offre une peinture musicale de ces caractères afin d’exprimer sa propre vision du
monde et de l’humanité, et pour cela, il utilise différents matériaux musicaux qui lui
permettent de définir chaque caractéristique des sept mouvements de l’œuvre, par exemple,
guerrier et brutal pour Mars, mélancolique et angoissé pour Saturne, etc. Et ce, même si ce
genre d’interprétation d’éléments extra-musicaux est assez floue, puisqu’elle ne suffit pas à
embrasser toute la complexité des mouvements qui reposent aussi sur des éléments musicaux
forts. L’œuvre est conçue sous la forme d’un voyage psychologique qui partirait du monde
physique incarné par la brutalité de Mars (signe du Bélier dans l’astrologie, évoquant
l’homme animal) pour aboutir au monde métaphysique, représenté par les sonorités
vaporeuses et éthérées de Neptune ‘la mystique’ (mysticisme de Holst nourri de ses
différentes lectures orientales). Ceci expliquerait alors pourquoi Mars est placé en première
place et pourquoi Neptune conclut l’œuvre. En ce qui concerne l’ordre des planètes par
rapport au soleil, c’est Mercure qui aurait du être placé en première position. Holst a donc
inversé Mercure et Mars pour respecter son objectif: le début devait se faire dans le chaos
absolu afin d’aboutir dans un univers plus mystique, au delà du monde terrestre. La
description de l’œuvre faite par Richard Greene résume bien cette idée:
-------------------(1) « En termes musicaux, les figures présentées dans chaque mouvement tiennent de la variété de styles et des
processus logiques, conduisant à une projection de caractères spécifiques basés à la fois sur des associations au
monde réel et à la psychologie de l’écoute. »
Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.41.
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« (…) The outward journey implied by the order of movements is paralleled by a
psychological journey, and a philosophical one as well: from the physical world to the
metaphysical. » (1)
Dans cet objectif, Holst devait suivre une certaine progression dramatique et psychique tout
au long des sept morceaux de sa suite: c’est pour cela qu’il lui fallait varier son langage et
son écriture au cours des différents mouvements des Planètes, chaque pièce apportant sa
pierre à l’édifice dans le voyage psychologique et musical retranscrit dans l’œuvre de Holst.
Comment son voyage est-il alors représenté? Afin de répondre à cette question, rappelons
tout d’abord la description de l’œuvre par Holst lui-même:
« A series of mood pictures, acting as foils to one another, with very little contrast in
any one of them. » (2)
Ceci nous révèle un autre point majeur pour la compréhension de cette œuvre: le caractère
imagé de chaque mouvement. En définissant ses pièces comme des « images d’ambiance »,
Holst évoque l’aspect visuel des Planètes, un élément significatif lorsqu’on sait que le
musicien s’était aussi intéressé à la peinture à la même époque. Passionné dès son plus jeune
âge par la musique de Richard Wagner (il entendit pour la première fois le Crépuscule des
Dieux à Londres en 1892), Holst nourrit très rapidement un certain intérêt à l’égard de la
théorie Wagnérienne de l’art total. Son attrait pour l’art pictural lui aura probablement permis
d’aller en ce sens là. Dans sa thèse sur Gustav Holst, Claire Boghossian mentionne dans le
premier chapitre l’attirance du compositeur pour la peinture. Effectivement, le compositeur
est allé visiter à plusieurs reprises la Dulwich Picture Gallery (banlieue sud-est de Londres)
où il a pu découvrir entre autre des œuvres de Kircher, Griveau ou Poussin (3). Le musicien
fut particulièrement attiré par ces recherches de formes et de couleurs, éléments visuels et
stylistiques qui lui auront sans
-------------------(1) « La progression suggérée par l’ordre des mouvements se double d’un voyage à la fois psychologique et
philosophique: du monde physique au métaphysique. »
Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.40-41.
(2) « Une série d’images d’humeur, agissant comme si elles étaient un repoussoir l’une pour l’autre, avec très
peu de contraste dans n’importe lesquelles d’entre elles. »
Michael Short, Gustav Holst, The Man and his Music, Oxford University Press, 1990, p.121.
(3) Claire Boghossian, Gustav Holst : sa vie, son œuvre, Université de Lille III, 1998.
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doute permis de faire une synthèse personnelle de ses différentes influences artistiques dans
les Planètes. C’est dans ce sens que Holst a suivi l’idée de l’art total, en essayant d’établir des
relations entre des couleurs, des sons et des images. Les couleurs sonores proviennent en
partie des orchestrations héritées de Richard Strauss, orchestrations riches en couleurs,
surtout dans l’utilisation particulière d’instruments tels que le célesta, la flûte alto ou le
heckelphon. Les couleurs sonores sont bien souvent liées à des images ou des figures
musicales (par exemple: dans le mouvement de Mercure, le célesta virevoltant pourrait
évoquer une ambiance aérienne légère tel le vol d’une plume dans le vent). Les figures
musicales servent alors à retranscrire une certaine ambiance qu’elles sont censées évoquer
dans chaque mouvement de l’œuvre. Ainsi, nous comprenons mieux la définition
qu’attribuait Holst à ses pièces, des « images d’ambiance ».
Holst a aussi conçu cette œuvre afin d’exprimer sa propre vision du monde et de l’homme,
une vision parfois teintée de mysticisme (l’idée de l’univers métaphysique est inspirée de ses
lectures d’ouvrages spirituels orientaux) et de science, l’astrologie ne lui ayant finalement
servi que de prétexte pour l’élaboration de ses différentes idées musicales.
Si le projet de Holst de construire une suite basée sur une série d’idées empruntées à
l’astrologie est cohérent dans la forme avec laquelle il présente son œuvre (mouvements avec
sous-titres et noms de planète, caractères psychologiques inspirés des écrits de Leo, choix
volontaire de l’ordre des planètes amenant une progression du premier au dernier
mouvement, etc.), l’unité de l’œuvre s’affiche surtout sur un plan plus musical. Ceci est une
des particularités de l’œuvre de Holst, car une suite est censée être par définition une série de
pièces diverses sans liens directs entre elles (hormis peut être sur le plan tonal, comme c’est
le cas pour la Suite en si de Bach, par exemple.). A ce sujet, Richard Greene a parfaitement
démontré dans son ouvrage Holst: The Planets le lien qui pouvait exister entre certains motifs
d’un mouvement à l’autre ou certains liens de tonalité. Ceci n’est pas le sujet de notre
réflexion, et cette analyse a déjà été faite. Nous nous limiterons simplement ici à évoquer
quelques points majeurs soulevés par Greene.
A la page 72 de son ouvrage, l’auteur nous apprend ainsi que le premier motif de Mars,
formé d’un intervalle de quinte suivi d’un triton, se retrouve transformé dans le mouvement
de Saturne (voir détails musicaux page 74), dans Mercure (on retrouve, modifiée, la
disposition de quinte et de tritons avec la seconde mineure dans le motif de la mesure 70 à
73) et dans d’autres mouvements. L’auteur établit ainsi des relations entre certains
mouvements, ce qui semble contredire le fait qu’une suite devrait être une succession de
pièces différentes, surtout dans l’œuvre de Holst censée viser la pluralité de caractères et
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d’ambiances. On retrouve aussi à plusieurs reprises l’idée de la seconde majeure ondulante
dans les mesures 15 et 16 de Vénus formulée différemment au début de Saturne. A ce sujet,
Greene affirme:
« The oscillating major 2nd of Saturn ties it clearly to Venus and the two characters
are also linked through the manner with which each deals with the initial plot element
[the transformation of the first theme of Mars], transforming it into an acceptable
tonal gesture. » (1)
Greene nous démontre aussi le lien harmonique existant entre Mars et Neptune, rappelant
l’idée du passage du monde terrestre au monde métaphysique. Ainsi, selon lui, les dernières
mesures de Neptune sont une conclusion à des idées harmoniques lancés par les autres
mouvements, avec, par exemple, l’accord sur fa de la mesure 222 d’Uranus trouvant ici sa
conclusion sur mi (2). Greene parle aussi d’une matrice tonale permettant à Holst de chercher
une certaine structure harmonique symétrique dans sa suite. La conclusion de ces recherches
harmoniques aboutit dans le paisible Neptune, mouvement résumant cette matrice
harmonique sous la forme de trois accords mineurs/majeurs sur lab, mi et do (dans la section
centrale de la pièce, avec le principe de la klangfarben durant tout le milieu de la pièce
jusqu’à l’entrée des voix féminines mesure 56). Neptune reprend aussi quelques idées déjà
présentes dans d’autres mouvements (les secondes majeures ascendantes de la mesure 58
renvoient au motif d’ouverture de Vénus). En dehors de considérations purement
philosophiques, Holst s’est attaché à décrire ses différentes images d’ambiance tout en faisant
quelques interactions entre certains mouvements ou en développant des idées mélodiques et
harmoniques d’un mouvement à l’autre. L’unité n’est pas présente que sur le fond, elle l’est
aussi sur la forme, ceci étant l’une des particularités de cette œuvre qui nécessitait une telle
construction afin de mieux représenter la progression souhaitée par le compositeur entre le
début et la fin de sa suite symphonique.
----------------(1) « La seconde majeure ondulante de Saturne est très clairement liée à Vénus et les deux personnages sont
aussi reliés l’un à l’autre par la façon dont ils traitent l’élément initial [la modification du premier thème de
Mars], le transformant en un élément tonal acceptable. »
Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.76.
(2) Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.80. Voir aussi page 78.
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II – Les Planètes et sa réception auprès du public:
réflexion sur la popularité de l’œuvre de Holst.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, la suite symphonique des Planètes reste
aujourd’hui encore l’œuvre la plus populaire de Gustav Holst. Son succès ne s’est jamais
démenti, le nom de Holst étant lié à tout jamais à celui des Planètes.
Claire Boghossian a écrit dans sa thèse sur Holst au sujet du succès de la première complète
des Planètes en 1920:
« (…) C’est pratiquement tout de suite un succès aussi colossal que l’est l’œuvre! Et
au lieu de lui ouvrir une période faste comme c’est souvent le cas, les succès de
Gustav Holst se figent en sorte qu’il doit sa renommé à cette seule œuvre » (1)
Richard Greene affirmait à son tour:
« In a very real sense, the success of this composition plagued him for the rest of his
life. As an event, it was like a great stellar convergence: public interest and need
happened to coincide with what Holst had to offer. While he was to produce a number
of truly great musical works over the last 40 years of his life, he was never able, nor
ever willing, to achieve the pinnacle of popular success again. » (2)
L’œuvre a ainsi dépassé son auteur. En effet, Holst n’a jamais souhaité composer en vue de
devenir populaire ou d’obtenir l’adhésion du public. Holst écrivait avant tout de la musique
pour exprimer sa propre vision du monde et de l’humanité. C’est ce que précise Richard
Greene dans son ouvrage sur les Planètes:
« He began composing in order to express his understanding of the world. » (3)
-----------------(1) Claire Boghossian, Gustav Holst : sa vie, son œuvre, Université de Lille III, 1998, p.421.
(2) « En réalité, le succès de cette composition le pourchassa tout au long de sa vie. Comme tout événement, ce
fut comme une grande convergence stellaire: l’intérêt et le besoin du public finit par coïncider avec ce que Holst
avait à lui offrir. Alors qu’il allait produire de nombreuses grandes pièces musicales durant les quarante
dernières années de sa vie, il n’eut plus jamais l’occasion ou même le souhait d’atteindre de nouveau l’apogée
d’un succès populaire. »
Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.17.
(3) Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.12.
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Sur ce point, le musicien anglais a toujours redouté les succès. A ce sujet, Holst confia un jour
à son ami Clifford Bax:
« Some day, I expect you will agree with me that it’s a great thing to be a failure. If
nobody likes your work, you have to go on just for the sake of the work. And you’re
no danger of letting the public make you repeat yourself. Every artist ought to pray
that he may not be ‘a success’. If he’s a failure he stands a good chance of
concentrating upon the best work of which he’s capable. » (1)
Bien que le compositeur se soit toujours méfié du succès, son œuvre des Planètes connu un
succès triomphant, la popularité de l’œuvre se poursuivant encore aujourd’hui, où il est
fréquent d’entendre des extraits des Planètes diffusés dans différents médias. Au fil des
années, le public s’est de plus en plus familiarisé avec cette œuvre, à tel point qu’elle fait
désormais partie du répertoire musical de toute culture générale. Ceci est d’autant plus
marquant lorsque l’on sait à quel point toutes ses autres œuvres sont tombées dans l’oubli,
même des pièces remarquables telles que Egdon Heath (1927) ou A Fugal Concerto (1923).
Après le succès des Planètes, Gustav Holst a décidé de ne pas poursuivre dans cette voie là,
préférant privilégier ses propres envies créatrices plutôt que de faire un compromis avec le
public, dans l’espoir de réitérer un nouveau succès. Ainsi, les œuvres suivantes s’éloignèrent
du style des Planètes, ce qui déçut fortement le public anglais qui s’attendait à réentendre une
œuvre du même acabit (et ce même si ses autres partitions étaient toujours de grande qualité).
Ceci est probablement une des origines de la dissociation faite par le public entre l’auteur et
son œuvre. La déception du public à l’écoute des autres œuvres de Holst lui fit oublier
l’auteur au profit de l’œuvre elle-même.
Si la suite symphonique des Planètes est devenue aussi populaire, c’est qu’elle a su réunir
toutes les conditions qui ont fait d’elle un grand succès (influence de la musique populaire
anglaise, musique facile à comprendre et très écrite en même temps, etc.).
Interrogeons-nous maintenant sur l’origine du succès de cette œuvre et essayons de
comprendre la fascination qu’elle a pu exercer auprès du public de tout temps. Tout d’abord,
rappelons que Holst était professeur et qu’il attachait beaucoup d’importance à
-----------------(1) « Un jour, je pense que vous serez d’accord avec moi sur le fait qu’échouer est une bonne chose. Si personne
n’aime votre oeuvre, vous devez continuer à travailler, et vous n’êtes pas soumis au danger de laisser le public
vous inciter à vous répéter. Chaque artiste devrait espérer que son œuvre ne connaisse pas de succès. S’il
échoue, il peut s’attacher à fournir le meilleur travail dont il est capable. »
Imogen Holst, Gustav Holst: A Biography, Oxford University Press, 1969, p.81.
15
la musique d’amateurs. Le compositeur possédait une certaine conviction qui lui permettait
de transmettre à son auditoire sa passion pour la musique.
Ceci explique sans aucun doute ses premiers grands succès à Londres, comme le précise
Richard Greene:
« What is important to note is that Holst, as part of his rhetorical method, was able to
balance purely musical needs with the requirements of communication. This was,
perhaps, an unconscious choice; nevertheless, it reflects his double world of composer
and teacher, visionary and communicator. And his immediate result was the
possibility of acceptance in the two Londons – the academic and the popular. » (1)
C’est en s’appuyant sur les ‘deux Londres’ évoquées par Greene que le musicien anglais
composa les Planètes. Holst fut à la fois un compositeur ouvert aux traditions musicales du
passé et du présent (goût pour Purcell, Wagner, etc.) et aux expériences nouvelles parfois
plus intellectuelles et moins accessibles au grand public (Schönberg et Stravinsky, qui furent
considérés à l’époque comme des musiciens avant-gardistes ou expérimentaux). Holst a donc
réussi à rendre accessible à tous son œuvre symphonique.
Une note de Claire Boghossian dans sa thèse mentionne déjà ce point précis:
« (…) Tout le monde peut comprendre son œuvre symphonique, parce qu’il a su doser
le vernaculaire et l’intellectuel (…) » (2)
Cette œuvre a probablement séduit le public par la variété de styles et d’ambiances abordées
dans la suite, chaque mouvement possédant son propre champ d’expression (certaines pièces
deviendront même particulièrement célèbres, comme c’est le cas pour Mars ou Jupiter par
exemple.) malgré les interactions plus subtiles entre certains mouvements que nous avons
déjà traité quelques pages auparavant.
-----------------(1) « Ce qui est important de noter c’est que Holst, grâce à sa méthode de rhétorique, fut capable de mélanger
des éléments purement musicaux avec les besoins de la communication. Ce fut peut être un choix inconscient;
néanmoins, ceci témoigne de son double statut de compositeur et d’enseignant, un visionnaire avec un grand
sens de la communication. Le résultat immédiat est qu’il fut accepté dans les deux Londres – l’académique et le
populaire. »
Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.24.
(2) Claire Boghossian, Gustav Holst : sa vie, son œuvre, Université de Lille III, 1998, p.146.
16
Concernant Jupiter, c’est sans aucun doute l’influence de la musique populaire anglaise qui a
contribué à rendre célèbre ce mouvement, puisque l’hymne central de la pièce est inspiré du
folk song anglais (mode de la, tête du thème très typée avec l’intervalle de quarte, harmonies
de IVème degrés, poses harmoniques franches et régulières, etc.). Par la suite, le public
anglais considérera ce thème central de Jupiter comme un hymne patriotique. Holst l’a
d’ailleurs adapté quelques années plus tard sur les paroles d’un autre hymne anglais
traditionnel. Le compositeur a donc fait en sorte que l’auditeur puisse percevoir distinctement
et de façon immédiate les différents détails des mouvements, et que chaque pièce soit
suffisamment accessible, ceci n’empêchant nullement une certaine richesse et une cohérence
des détails.
Cependant, comme le mentionne Richard Greene dans son ouvrage sur les Planètes, le public
devra quand même fournir un certain effort pour réussir à rentrer pleinement dans l’univers
musical conçu par Holst à travers ses sept mouvements:
« (…) The listener has got to make sense of it; and it is only when he has done so that
his real joy in the music can begin (…) » (1)
Effectivement, si l’auditeur veut percevoir les différents caractères et les images musicales de
l’œuvre, c’est à lui de prêter attention à ce qu’il écoute afin de comprendre ce qu’il entend,
Holst ayant essayé de rendre son discours musical le plus compréhensible possible. Le succès
de l’œuvre nous prouve en fin de compte que la démarche suivie par Holst était la bonne et
qu’il avait vu juste en trouvant ainsi un compromis entre un style accessible (certains airs de
Jupiter sont facilement mémorisables, tandis qu’une pièce comme Mars s’ancre facilement
dans les esprits, et ce même après une première écoute) et un style plus écrit et plus recherché
(harmonies instables et dissonantes dans Mars, tonalité floue et quasi inexistante dans
Neptune, figures rythmiques asymétriques dans Mars, etc.).
L’œuvre a traversé plusieurs générations et aujourd’hui, le public possède un regard neuf sur
cette pièce. Les écrits plus récents sur Holst évoquent le côté fonctionnel de sa musique (2) et
son aspect direct et intuitif (3).
-----------------(1) « (…) L’auditeur doit comprendre l’œuvre; et c‘est seulement lorsqu’il y est arrivé que son véritable plaisir
d’écoute peut commencer (…) »
Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.31.
(2) Michael Short, Gustav Holst, The Man and his Music, Oxford University Press, 1990, p.347-348.
(3) Richard Greene, Holst: The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.7.
17
Les deux ouvrages principaux de Richard Greene sur Holst et sa musique (Holst: The Planets
et Gustav Holst and a Rhetoric of Musical Character) abordent quant à eux la théorie d’une
rhétorique musicale dans les Planètes, un élément intéressant qui nécessite néanmoins une
certaine réflexion. Nous vous proposons pour cela de prendre l’exemple de Mars.
18
III – Les Planètes: de la métaphore guerrière de Mars aux codes de l’œuvre.
En élaborant sa théorie sur la rhétorique musicale dans l’œuvre de Holst, Richard Greene
soulignait un point majeur dans le discours du compositeur: la présence de métaphores
musicales. Avant d’aller plus loin, nous devrons apporter quelques précisions sur le concept
de rhétorique musicale et de métaphore: dans le langage parlé traditionnel, la rhétorique est
un ensemble de procédés qui permettent de s’exprimer correctement avec éloquence.
Appliquée à la musique, la rhétorique possède une fonction similaire dans le sens où il s’agit
d’un ensemble de procédés et d’éléments qui permettent de construire un discours musical
parfaitement cohérent et compréhensible, en vue d’exprimer des idées. Ceci étant dit, le
passage de la musique aux idées est moins évident, c’est pour cela que le compositeur doit
posséder un langage musical parfaitement intelligible, que le public sache comprendre et
analyser.
Dans la rhétorique, on trouve des figures de mots, c’est-à-dire une utilisation particulière de
certains mots qui consiste à en détourner le sens pour le faire converger vers un autre par le
biais d’une comparaison sous-entendue: il s’agit de la métaphore. La métaphore est une
figure de mot qui peut aussi s’appliquer par analogie dans le discours musical. Traduit dans le
langage de la musique, la métaphore est donc le procédé qui consiste à transporter la
signification d’une figure musicale ou d’un ensemble d’éléments musicaux vers une autre
signification qui ne lui conviendra donc qu’en vertu d’une comparaison sous-entendue.
C’est un principe que l’on retrouve dans l’œuvre de Holst, et cela, Greene l’a parfaitement
démontré. L’auteur évoque ainsi la présence de sous-titres attribués par le compositeur à
chaque mouvement de l’œuvre. La suite des Planètes n’est pas une œuvre à programme
comme a pu l’être en son temps la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz; les titres
n’apparaissent ici que pour évoquer le caractère psychologique mis en avant dans chacun des
sept mouvements: c’est pour cette raison que les sous-titres précisent ainsi des métaphores
entre les idées et les mouvements (1), car ils donnent déjà un sens extra-musical (un caractère
humain et psychologique) à un ensemble qui possède déjà sa propre cohésion musicale
(formes, harmonies, orchestration, figures musicales, etc.), sans oublier les autres éléments
que nous avons déjà abordés auparavant (couleurs sonores, instrumentales, etc.), éléments qui
participent eux aussi à l’élaboration des métaphores dans l’œuvre de Holst.
-----------------(1) Richard Greene, Holst : The Planets, Cambridge University Press, 1995, p.4.
19
Afin d’illustrer notre propos, nous choisirons de centrer notre réflexion sur le plus célèbre
mouvement de l’œuvre: Mars. Le sous-titre du mouvement est ‘celui qui amène la guerre’,
l’individu qui, selon les écrits d’Alan Leo, possède une nature impulsive et ambitieuse, un
esprit entreprenant et indépendant. L’orchestration massive et l’aspect brutal, percussif et
dissonant du mouvement sert ici à évoquer la guerre. Débuté en 1914, peu de temps avant le
début de la première guerre mondiale, Mars a probablement servi au compositeur pour
exprimer des images fortes de la guerre. Toute l’Europe sentait alors que le conflit était
inévitable, Holst y compris. Un élément important qui revient régulièrement dans les
ouvrages sur Holst est le lien que l’on fait systématiquement entre le célèbre ostinato
rythmique de Mars et les bruits de troupes militaires en marche. N’oublions pas que le
compositeur lui-même souhaitait que ce mouvement soit joué le plus rapidement possible
afin de représenter cette avancée monstrueuse, des troupes militaires et des forces inhumaines
de la guerre. Le public anglais de 1919 et 1920 a probablement ressenti ce mouvement
comme un véritable choc, surtout après avoir vécu le conflit pendant quatre ans. A ce sujet,
Claire Boghossian mentionne dans sa thèse sur Holst:
« (…) Les auditoires de 1918-1920 ont été saisis par la réalité descriptive des horreurs
qu’ils venaient de vivre » (1)
Aujourd’hui, la médiatisation quasi systématique de ce mouvement dans des films ou des
documentaires sur la guerre a contribué à renforcer l’image martiale forte que l’on attribue
systématiquement à Mars, une vision du morceau parfaitement inscrite dans l’imagerie
populaire puisque, 85 ans plus tard, le public continue de penser à la guerre lorsqu’il écoute
cette célèbre pièce des Planètes. Malgré le sous-titre du mouvement, ‘le porteur de la guerre’,
le compositeur n’a jamais été clair sur la façon dont il percevait ce mouvement, même s’il a
simplement précisé qu’il n’avait pas voulu faire référence au dieu de la guerre de la
mythologie romaine, Mars. Néanmoins, tout se rapporte dans ce mouvement à l’image d’un
conflit armé, à commencer par le sous-titre du morceau (‘celui qui amène la guerre’). Le rejet
du personnage guerrier idéalisé par la mythologie romaine était peut-être le sujet que le
compositeur voulait éviter. En effet, l’écoute de Mars nous fera très clairement comprendre
que c’est la barbarie humaine que Holst a sans doute voulu évoquer dans sa pièce.
Il nous faudra signaler le fait que What is an horoscope de Leo ne mentionne à aucun
moment un quelconque aspect guerrier dans la définition des caractères humains accordés à
---------------
(1) Claire Boghossian, Gustav Holst : sa vie, son œuvre, Université de Lille III, 1998, p.150.
20
Mars. Cependant, le caractère décrit correspond bien à l’idée que nous nous faisons d’un
guerrier (impulsif, ambitieux, courage, entreprenant, passionné par l’aventure, etc.). Malgré
tout, il semble bien que les écrits de Leo n’aient servi que de prétexte à Holst qui est allé bien
au-delà de l’ouvrage de l’astrologue anglais pour fournir sa propre vision du monde à travers
les sept planètes de sa suite.
Mars évoque donc la lutte, l’idée d’une bataille ou d’un quelconque rapport de force avec, en
plus, la vision du compositeur sur le monde physique qui débute sa suite dans le chaos de la
guerre. Pour se faire, Holst a donc eu recours à ce célèbre ostinato sur une mesure à 5/4, une
idée originale que le compositeur a néanmoins emprunté en partie à son To Agni de ses
Choral Hymns from the Rig Veda opus 26 (1912) où il utilisait également une formule
d’ostinato rythmique à 5/4. L’épisode de la bataille de Ein Heldenleben (1898) de Richard
Strauss a probablement aussi servi de modèle au compositeur. Afin de renforcer l’aspect
chaotique de l’ostinato, Holst a utilisé les sonorités sèches et percussives du martèlement des
effets de col legno sur les cordes, renforcés par les timbales et les harpes. La mesure à 5/4
créée quant à elle un sentiment d’instabilité qui tend à renforcer le caractère brutal du
mouvement.
L’orchestration
massive
de
Mars
est,
elle
aussi,
particulièrement
impressionnante: Holst a mis ici l’accent sur la section des cuivres, en ayant recours à six
cors, quatre trompettes, deux trombones ténors, un trombone basse, un tuba ténor et un
contre-tuba. Le but du compositeur est ici d’évoquer le son d’une gigantesque fanfare
guerrière, alliée à un immense pupitre de percussions dans un rôle quasi martial: caisse claire,
cymbales, grosse caisse, gong, etc. nous n’oublierons pas non plus de mentionner le pupitre
des vents aux sonorités plus graves comme les trois bassons, le contrebasson et la clarinette
basse. L’harmonie de Mars contribue à son tour à l’ambiance chaotique du morceau en créant
différents rapports de force sur différentes plages sonores sans repères de tonalité précise.
Tout converge ici vers l’idée d’une métaphore de la guerre et de la barbarie humaine, Mars
étant l’un des premiers mouvements des Planètes à acquérir une grande célébrité dès 1920.
Dans son article sur Mars, Edward Macan va même plus loin que le simple concept de
métaphore et affirme au sujet du succès de la pièce:
21
« I measure the success of Mars not only on the basis of its undeniable structural
coherence, but also because it has firmly lodged itself in the minds of the public as a
powerful archetype (in this case, of ‘war music’) in a way that few other pieces have
managed to do. » (1)
La remarque de Macan soulève donc un nouveau point majeur dans notre réflexion: Mars vu
comme un archétype de la musique guerrière à travers la pensée du public. En partant d’une
métaphore de la guerre, Mars est devenu au fil des années un morceau emblématique de la
musique martiale dans le répertoire symphonique occidental, ancré dans l’imagerie populaire.
C’est pour cette raison que nous pourrons alors évoquer l’existence de codes dans la partition
de Holst, un élément qui servirait alors à faire le trait d’union entre les idées musicales de
l’œuvre de Holst et l’interprétation de cette œuvre par le public.
Nous touchons alors au domaine de la culture: si Mars a réussi à devenir à ce point
« l’archétype de la musique de guerre » (nous reviendrons un peu plus tard sur son
association à des images de guerre dans les médias ou au cinéma), c’est qu’il y a dans cette
pièce un ensemble d’éléments particuliers et suffisamment forts auxquels le public a pu se
rattacher. Nous pouvons donc évoquer ici la présence de codes connus du public dans la
pièce de Holst.
Avant de continuer plus loin dans notre démarche, il nous faudra tenter d’apporter un élément
de réponse à la définition exacte du concept de code. Pour se faire, nous débuterons en citant
une définition offerte par Etienne Souriau dans son Vocabulaire d’esthétique:
« (…) Par extension, on appelle code tout système de correspondances soit
conventionnel soit naturel, entre un signe et une signification (…) » (2)
Evidemment, il s’agit d’une définition générale qui ne pourra pas forcément répondre à tous
les cas de figure. Comme Souriau le précise lui-même:
-------------------(1) « J’analyse le succès de Mars pas seulement sur les bases d’une structure indéniablement cohérente, mais
aussi parce qu’il a réussi à devenir dans l’esprit des gens un puissant archétype (dans ce cas, ‘la musique de
guerre’) d’une manière que peu de pièces ont réussi à égaler. »
Edward Macan, ‘Holst’s Mars: A Model of Goal-Oriented Bitonality’ in Music in Performance and Society:
Essays in Honor of Roland Jackson, Harmonie Park Press, 1997, p.421.
(2) Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Quadrige, 1990, p.411.
22
« Cet emploi de la notion de code est évidemment légitime et sans difficulté là où il
s’agit de conventions sociales positives, supposant le public préalablement initié
(…) » (1)
Le code naît donc de conventions admises ou naturelles entre des éléments musicaux et la
pensée du public ou de l’auditeur qui, bien souvent conditionné par des conventions sociales
ou culturelles, donnera lui même un sens (signification) à un élément musical quelconque
(signe). L’un des plus célèbres exemples en musique provient de l’association d’idée que l’on
fait traditionnellement dans le répertoire symphonique occidental entre les trombones et la
mort (Par exemple, il est fréquent d’associer les trombones du célèbre Requiem de Mozart à
l’évocation de la mort et de l’au-delà). Cette pensée est donc née d’un phénomène culturel qui
forge des conventions dans l’écoute de la musique et les transforme au final en codes,
permettant ainsi de décrypter simplement la signification d’un morceau qui sera associé à une
idée qu’il sous-entend. Cependant, le code ne peut se limiter au simple concept de convention
et pour bien comprendre toute l’étendue du terme de code, il nous faudra approfondir d’autres
aspects de ce terme, au moins, dans le cas qui nous intéresse.
Le problème de la définition fournie par Souriau, c’est qu’elle ne précise en aucun cas ce qui
constitue un code dans un morceau de musique. La définition est donc imprécise car elle parle
plus du fond que de la forme. D’autre part, il n’est pas forcément plus aisé de définir le
concept de code dans son intégralité, tant les cas de figure sont nombreux et peuvent varier
d’un exemple à l’autre.
Nous allons donc tenter de mettre à jour certains éléments susceptibles de répondre à notre
attente dans le cas des Planètes de Holst, en prenant dès maintenant conscience que nous ne
pourrons pas fournir une définition complète et intégrale du code, ceci étant un travail que
nous laisserons à de futurs sujets de recherches. Nous apporterons donc quelques précisions
au concept de code en choisissant de l’appliquer seulement au mouvement de Mars.
Après la définition d’Etienne Souriau, nous allons maintenant nous attarder sur ce qui pourrait
constituer les codes dans la partition de Holst. La musique est un langage. Comme tout
langage, elle possède ses propres conventions qui s’avèrent être indispensables si deux
personnes qui communiquent avec la même langue veulent se comprendre. Dans le cas de la
musique, les conventions du discours musical sont tout aussi importantes pour la
----------------(1) Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Quadrige, 1990, p.411.
23
cohésion de la musique et de son intelligibilité. Certains musiciens du 20eme siècle décideront
de remettre en question ces conventions et de partir sur des bases neuves, sur la voie d’un
nouveau langage musical, d’où le problème de réception de cette musique auprès du public
d’aujourd’hui, bien souvent non initié à ces nouvelles conventions. Le code musical pourrait
alors s’apparenter dans ce langage à un mot ou une couleur musicale utilisée pour exprimer un
sentiment précis. Par exemple, pour exprimer la peur, une musique utilisera le mot ‘peur’ en
puisant dans les figures musicales nécessaires (des cordes aiguës ou des cuivres vrombissant
sombrement) afin de retranscrire le sentiment en question. Nous sommes ici dans le cas d’un
code extra-musical, c’est à dire un ensemble musical (des instruments, des techniques de jeu
ou des couleurs sonores particulières) qui évoque une idée extra-musicale (celle de la peur
dans l’exemple précédemment cité). Ce n’est qu’une composante du concept de code, et cela
ne peut répondre pleinement à la question de la définition du code. D’autre part, cette
définition est assez complexe, car comme nous venons de le voir dans l’exemple de
l’évocation de la peur, elle suppose que le langage musical possède ses propres conventions
qui font que le concept de peur sera toujours associé, dans l’imagerie populaire, aux
techniques de jeu de cordes stridentes ou aux cuivres vrombissants et agressifs.
Le code ne peut pas être simplement constitué d’un seul élément comme le mot ou la couleur:
il doit englober toute une série d’éléments comme les sonorités instrumentales (les sons
instrumentaux graves plus souvent associés dans l’esprit populaire à la tristesse ou à
l’inquiétude suivant le contexte musical, comme c’est le cas dans le cadre du mouvement de
Saturne et de ses trombones funèbres), le code de notes (un ensemble de notes évoquant une
image ou un personnage comme c’est souvent le cas avec l’intervalle du triton associé dans
l’imagerie populaire à la figure du diable) ou un code fait d’un signifiant extra-musical (Mars
est associé à la guerre pour toutes les raisons évoquées précédemment). Dans tous les cas,
l’emploi du terme de code dans la musique est complexe, car il suppose que les codes
fonctionnent uniquement si le public sait les déchiffrer. Dans ce cas précis, un même code
(par exemple, un code lié à un signifiant extra-musical) peut varier d’une époque à l’autre
suivant l’environnement culturel du public et sa façon de percevoir l’œuvre, de même qu’un
langage peut varier d’une génération à l’autre suivant ce que lui apporte les différentes
cultures. Par exemple, il est fréquent que l’on parle de Saturne en évoquant l’environnement
spatial et son étendue infinie. Cette association d’idées extra-musicales est née de notre
environnement culturel où l’exploration spatiale fait désormais partie de notre société
(satellite autour de la terre, mission d’exploration prévue dans de nombreuses années sur la
planète Mars, entreprise d’aérospatiale, progrès technologique, etc.) ou des médias qui nous
24
entourent (on trouvera quelques musiques de films évoquant le rapprochement entre Saturne
et l’immensité de l’espace, surtout avec le début du mouvement). Il est certain qu’en 1919, le
code que nous utilisons aujourd’hui pour associer le caractère musical de Saturne à une idée
d’exploration spatiale ne pouvait pas fonctionner à l’époque pour la simple raison qu’il ne
devait pas exister en soi, étant donné que le public ne vivait pas à la même époque, avec le
même environnement social. C’est un élément auquel nous devons tenir compte lorsque nous
analysons le concept de code dans l’œuvre de Holst.
Nous serions presque tenté d’affirmer qu’il y a une double utilisation du code: d’abord par la
musique elle-même, mais aussi par l’auditeur qui fait usage de ses codes pour réussir à
comprendre la musique. Ceci étant dit, la musique doit forcément posséder ses propres codes
afin d’être compréhensible et cohérente pour le public; la question est donc de savoir si le
public utilise le même code, car, si le public évolue, le code d’origine de Holst, lui, reste fixé.
La compréhension de la notion de code ne va pas sans poser quelques difficultés, car dans le
cadre de l’œuvre de Holst, elle suppose l’existence d’éléments crées à l’origine par le
compositeur lui-même pour nous permettre de faire le lien entre les signes et leurs
significations. Mars nous a déjà apporté quelques éléments de réponse à ce sujet: en voulant
décrire la barbarie humaine, Holst a eu recours à tous les codes déjà établis à cette époque
dans l’imaginaire collectif: dissonances, couleurs instrumentales graves et massives, fanfare
guerrière, percussions martiales, etc. (on retrouve ce même genre de codes dans une pièce
antérieure à Holst: l’épisode de la bataille de Ein Heldenleben de Richard Strauss).
Néanmoins, l’œuvre a été écrite en 1914, et une fois encore, il est certain que le mouvement
n’a pas été interprété ou vécu de la même façon qu’il l’est aujourd’hui. Si le public anglais de
1919 et 1920 a ressenti ce morceau comme un véritable choc évocateur des affres de la
guerre, aujourd’hui, sa médiatisation au cinéma, à la radio ou dans des documentaires sur la
guerre a contribué à donner une dimension plus épique, spectaculaire et excitante à ce
mouvement. Dans tous les cas, Mars et le reste des sept pièces des Planètes reposent sur des
codes assemblés dans des éléments musicaux choisis par le compositeur, afin d’évoquer
différentes idées suivant le caractère des sept mouvements de la suite symphonique. C’est le
public qui saura les interpréter suivant sa propre vision de la musique et de ses idées. (Par
exemple: absence de tonalité et de repère de mesure dans Neptune exprimant avec ses voix
féminines étranges et décalées le monde de l’au-delà. L’imaginaire populaire l’attribue
aujourd’hui à un univers aquatique, les chœurs de femmes ayant souvent été comparé à ceux
des Sirènes de Debussy.)
25
Au fil des années, l’œuvre a été jouée et enregistrée, sa popularité s’étant accentuée par son
exploitation quasi systématique dans différents médias. En traversant notre culture
contemporaine, l’œuvre de Holst est partie des codes voulus par l’auteur, codes qui ont
ensuite évolués au fur et à mesure de leur passage dans différentes époques et différentes
cultures. Les codes dans les Planètes concerneraient donc tout ce qui a rapport entre des
conventions musicales préétablies et une signification résultant du lien immédiat entre une
série de signes divers et une série d’idées qui leur sont liées.
Dans le Vocabulaire d’esthétique, Etienne Souriau parle ainsi des conventions en précisant:
« (…) On a comme codifié la musique en significations régulières, des associations
d’idées liant un instrument de musique à une certaine atmosphère (souvent par
l’intermédiaire des circonstances sociales d’utilisation): la harpe mondaine ou
religieuse, le hautbois agreste, la trompette jugée guerrière, ou le fifre (…) » (1)
Cette définition de la convention musicale est limitée car elle ne cite ici que l’exemple de
l’instrument associé à une ambiance précise, alors qu’elle peut aussi s’appliquer à une forme
musicale, un genre ou une phrase musicale quelconque. Néanmoins, cette définition rejoint
celle du code, puisque ce dernier est, à peu de chose près, un phénomène conventionnel dans
le domaine de la musique, dans le sens où il associe un sens à un groupe de signes ou un
élément musical quelconque, cette association ne pouvant se faire sans le contexte culturel et
la vision du public. La seule petite nuance existant entre la convention et le code provient du
fait que ce dernier possède un rôle plus fonctionnel, car, à l’instar du langage parlé, il serait
l’élément qui aurait pour fonction de permettre à l’auditeur de comprendre la musique et ses
signes afin de les interpréter suivant ce que le compositeur veut exprimer dans sa musique ou
la façon dont on reçoit ses messages. En fin de compte, les codes dans les Planètes sont le
résultat d’un phénomène culturel dans lequel notre société occidentale participe activement
dans la manière dont elle codifie elle-même sa musique et sa signification.
Puisque nous trouvons des codes forts dans certains mouvements de l’œuvre du compositeur,
il n’est pas surprenant de constater que des extraits des Planètes ont été très souvent utilisés au
cinéma dans le cadre de la musique de film. C’est ce que nous allons maintenant voir au cours
du second chapitre de notre travail.
---------------------
(1) Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Quadrige, 1990, p.494.
26
Deuxième chapitre
La musique de film: exploitation et matérialisation à l’écran
des codes musicaux de l’œuvre de Holst.
I – Les Planètes et sa popularité dans la musique de film.
Comme nous avons déjà pu le voir précédemment, la suite symphonique des Planètes reste
encore aujourd’hui l’œuvre la plus populaire de Gustav Holst. Nous avions déjà émis
l’idée que le musicien anglais avait su rendre accessible à tous cette grande œuvre
symphonique. Nous l’avions déjà évoqué: Mars et Jupiter sont généralement considérés
comme étant les deux plus célèbres mouvements de cette suite. En ce qui concerne Jupiter,
le public anglais ira même jusqu’à considérer le thème central du mouvement comme un
hymne patriotique anglais, auquel le public fera constamment référence lorsqu’il s’agira
d’évoquer ce célèbre mouvement. Dans les médias, le mouvement sera souvent associé à
des évènements solennels, héroïques ou historiques.
Quant à Mars, sa popularité est telle que les compositeurs de musique de film
hollywoodienne s’en inspireront fréquemment vers la fin des années 1970. Ceci pourrait
s’expliquer par le côté spectaculaire et mémorable de l’ostinato guerrier de Mars,
l’élément musical qui a très certainement contribué à la popularité de ce mouvement
auprès des artistes du septième art. Effectivement, rares sont les compositeurs à avoir
autant marqué les esprits avec une formule rythmique si spectaculaire dans sa présentation
et son exécution. Les exemples d’ostinati célèbres sont rares dans l’histoire de la musique,
et il faudra attendre plusieurs années avant de pouvoir entendre à nouveau des pièces
orchestrales avec ostinato célèbre tel que le Boléro de Maurice Ravel (1928) ou le célèbre
O Fortuna des Carmina Burana de Carl Orff (1937). D’autre part, c’est le côté
spectaculaire de Mars qui a attiré l’attention d’un certain type de cinéma de
divertissement, un élément sur lequel nous aurons l’occasion de revenir dans la seconde
partie de ce chapitre. Au sujet du succès international de l’œuvre de Holst, Claire
Boghossian affirmait:
27
« Holst avait réussi à peindre musicalement le son engendré par des images
atmosphériques, mais plus encore il est parvenu à fasciner le public de tout temps.
(1) »
C’est cette fascination du public en général pour cette œuvre orchestrale qui a attiré notre
attention dans le chapitre précédent, et c’est pourquoi nous allons maintenant nous
interroger sur le succès des Planètes dans la musique de film hollywoodienne. Tout
d’abord, il est important de rappeler à quel point l’élément visuel fait partie intégrante des
Planètes de Holst. Par ses couleurs orchestrales, ses figures musicales et ses métaphores
extra-musicales, Holst a réussi à créer un univers visuel fort dans les Planètes, un élément
qui n’a certainement pas dû échapper au compositeur lui-même puisque ce dernier était
très attiré par la peinture et ses recherches de formes et de couleurs; à ce sujet, rappelons
que le compositeur définissait lui-même ses mouvements comme des ‘images
d’ambiance’. De toute évidence, au-delà de l’aspect purement musical, l’œuvre des
Planètes s’est toujours doublée d’un univers visuel fort qui a fasciné bon nombre d’artistes
du septième art et a même attiré des chorégraphes puisque l’œuvre a déjà été adaptée à
deux reprises sous la forme de ballet.
A ce sujet, Claire Boghossian s’interrogeait dans sa thèse et affirmait:
« L’audition avait-elle besoin de la vue? Il semble que ce soit le cas, car à tout le
moins l’une et l’autre se complètent harmonieusement et réalisent une œuvre proche
de l’art total. Les suggestions induites par les images soutenues par une texture
fantastique, déployée par un orchestre dont la richesse timbrale accentue les tableaux
sonores, nous emmènent à apprécier l’exactitude de la vision de Gustav Holst. » (2)
Cette phrase peut aussi être reliée à la musique de film, car dans les deux cas, c’est
l’aspect visuel qui intéresse en premier les artistes s’inspirant de cette œuvre. Dans ce
même travail, Claire Boghossian allait même jusqu’à affirmer au sujet des Planètes:
« Cette musique est comme un film qui se déroule avec ses atmosphères différentes. »
(3)
---------------(1) Claire Boghossian, Gustav Holst : sa vie, son œuvre, Université de Lille III, 1998, p.116
(2) Claire Boghossian, Gustav Holst : sa vie, son œuvre, Université de Lille III, 1998, p.189.
(3) Claire Boghossian, Gustav Holst : sa vie, son œuvre, Université de Lille III, 1998, p.192.
28
Les éléments musicaux ou extra-musicaux de l’œuvre ne sont cependant pas seuls
responsables de la popularité de cette œuvre dans la musique de film: il nous faudra
maintenant évoquer la banalisation quasi systématique de cette musique dans les différents
médias (télévision, radio, cinéma, etc.) et dans notre vie de tous les jours. Dans son
ouvrage sur Gustav Holst, Michael Short évoque cette banalisation de la musique de
Holst:
« (…) Many of Holst’s own compositions have been used as incidental and
background music to radio and television programmes (Mars was used particulary
successfully in BBC radio serialization of H.G. Wells’s The War of the Worlds)
(…) » (1)
Les personnes qui ne connaissaient pas encore l’œuvre auront très vite fait connaissance
avec les Planètes à travers sa banalisation massive dans les médias et parfois même en tant
que musique de fond pour des magasins comme le mentionne Claire Boghossian dans sa
thèse sur Holst:
« L’engouement du peuple pour les Planètes n’a pas échappé aux hommes du
septième art ou à ceux du marketing des grandes surfaces. L’œuvre de Holst a souvent
été utilisée en fond sonore au cinéma (…) ou dans les magasins tel Harrods (Londres)
par exemple, où l’on peut entendre à longueur de journée le motif D de Jupiter d’un
caractère tout britannique tel un hymne national. » (2)
Par la suite, l’œuvre sera donnée aux Etats-Unis où le public américain la découvrira pour
la première fois en 1920. En commençant à exploiter les Planètes au cinéma ou à la
télévision, les cinéastes d’Hollywood commençaient à participer à la popularisation de
l’œuvre dans le continent américain, jusqu’à l’époque cruciale pour l’utilisation des
Planètes dans la musique de film: le Space-Opera de la fin des années 1970.
-----------------(1) « Plusieurs compositions de Holst ont été utilisées comme fond sonore pour des émissions de radio ou
de télévision (Mars a été particulièrement utilisé avec succès pour le serial de La guerre des mondes de H.G.
Wells, diffusée à la radio de la BBC) (…) »
Michael Short, Gustav Holst, The Man and his Music, Oxford University Press, 1990, p.336.
(2) Claire Boghossian, Gustav Holst : sa vie, son œuvre. Université de Lille III, 1998, p.189.
29
II – Le renouveau du grand cinéma américain
populaire: Les Planètes et la musique de film.
A la fin des années 1970, on a vu apparaître à Hollywood une nouvelle génération de
jeunes cinéastes ambitieux avec la volonté ferme de faire revenir au goût du jour un
cinéma populaire et épique basé sur les grands spectacles de divertissement comme le
public américain en connu durant le Golden Age Hollywoodien (entre les années 1920 et
1950). A ce sujet, Michel Chion consacre dans son ouvrage la musique au cinéma
quelques paragraphes sur le retour du film épique où il cite au passage le nom de deux
grands cinéastes américains de l’époque: Steven Spielberg et George Lucas (1).
George Lucas est le réalisateur de Star Wars (1977), considéré à juste titre comme le début
du Space-Opera, genre cinématographique épique mêlant aventure, héroïsme, bataille et
romance. La particularité du Space-Opera, c’est qu’il se déroule essentiellement dans
l’espace comme son nom l’indique.
Space-Opera est donc synonyme d’exploration spatiale, de planètes, de découverte de
nouvelles galaxies, de nouveaux mondes, etc. on comprend ainsi aisément comment les
cinéastes ont eu petit à petit l’idée de demander à leurs musiciens de s’inspirer des
Planètes de Gustav Holst qui regroupe déjà en soi les principaux concepts abordés dans les
films de Space-Opera.
L’œuvre des Planètes a déjà été utilisée au cinéma ou à la télévision à plus d’une reprise:
dans la série télévisuelle The Quatermass Experiment (1953) de Rudolph Cartier, dans la
série Space:1999 (1975) par Gerry et Sylvia Anderson, sans oublier l’adaptation
cinématographique des Planètes par Ken Russel (1983) ou le récent New Guy (2003) de
Bilge Ebiri, film comédie fantastique où sont utilisés les mouvements de Saturne, Vénus et
Neptune (il est aussi très fréquent d’entendre Mars dans des documentaires sur la guerre
ou dans des documentaires sur l’espace et les systèmes planétaires.). Gustav Holst luimême n’est pas complètement étranger à la musique de film puisqu’en 1931, il écrivit la
musique du film anglais The Bells de Harcourt Templeman (la partition étant
malheureusement perdue).
--------------------(1) Michel Chion, La musique au cinéma, Fayard, 1995, p.155-156.
30
Mais c’est pourtant avec l’arrivée du Space-Opera que les compositeurs ont véritablement
commencé à imiter l’œuvre de Holst, adoptant une approche d’assimilation de cette œuvre
à leur partition plutôt qu’une simple réutilisation des mouvements originaux qui limite
forcément les possibilités d’exploitation de la musique dans le film. C’est ce que
comprirent George Lucas et John Williams qui écrivit en 1977 une grande partition
symphonique épique pour Star Wars, une partition orchestrale tournée vers Prokofiev,
Stravinsky ou Korngold, et dans laquelle on pourra trouver quelques légers échos de Mars.
(1)
-----------------------
(1) Nous pourrons aisément nous en rendre compte en écoutant la piste 20 du disque fourni avec ce mémoire
et qui contient un extrait enregistré du morceau Imperial Attack du score original de John Williams pour le
film Star Wars.
31
III – Mars, Jupiter et Saturne: une source d’inspiration pour les compositeurs
de musique de film.
Si cette manière de calquer ou de s’inspirer de l’œuvre de Holst se vérifie presque
uniquement dans le cinéma américain, c’est avant tout pour deux raisons majeures:
premièrement, le public américain connaît assez bien cette œuvre puisqu’elle a été donnée
de nombreuses fois aux Etats-Unis depuis les années 1920. D’autre part, les producteurs et
réalisateurs Hollywoodiens ont mis en place depuis de nombreuses années le système des
temp-tracks, appelé aussi ‘bande-son temporaire’.
Le temp-track est une bande-son crée provisoirement lors de la post-production d’un film
afin de permettre aux réalisateurs/producteurs d’imposer un ou plusieurs modèles
musicaux que le compositeur engagé par la production sera chargé d’imiter dans sa propre
composition originale pour le film. A ce sujet, John Williams déclarait dans un article sur
sa musique pour Star Wars en 1977:
« He [George Lucas] didn’t want electronic of concrete music. Rather, he wanted a
dichotomy to his visuals, an almost 19th Century romantic, symphonic score against
these yet unseen sights. What George’s temp track did was to prove that the disparity
of styles was the right thing for this film and I think his instincts were correct. (…) »
(1)
L’allusion que fait Williams à la musique électronique provient sans aucun doute de la
bande originale de Planète interdite (2), célèbre film de science-fiction de 1956 dans
laquelle les compositeurs Bebe Barron et Louis Barron ont écrit une partition
expérimentale entièrement électronique, complètement révolutionnaire pour l’époque.
---------------(1) « Il [George Lucas] ne voulait pas de musique électronique ou concrète. Il souhaitait plutôt une
dichotomie à ses images, une partition symphonique quasi romantique dans le style du 19eme siècle,
opposée à toutes ces choses jamais vues auparavant. Ce que réussit à faire le temp track de George, c’est de
prouver que la disparité de styles était la meilleure chose pour le film, et je pense que ses instincts se sont
avérés corrects. (…) »
Article de John Williams extrait de la plaquette du coffret Star Wars Trilogy: The Original Soundtrack
Anthology. Pour les informations supplémentaires, nous vous renvoyons à la bibliographie en fin de volume.
(2) Titre original: Forbidden Planet, 1956, réalisé par Fred M.Wilcox.
32
Nous pourrions aussi évoquer la partition du Dark Star (1) de John Carpenter datant de
1974, deux modèles de musique électronique pour des films de science-fiction connus du
grand public, Lucas ayant refusé cette approche musicale pour son film.
La démarche suivie par Williams allait se multiplier tout au long des années 1980 jusqu’à
aujourd’hui, où l’usage des temp tracks dans un film est devenu monnaie courante à
Hollywood.
Les temp-tracks joueront ainsi un rôle essentiel dans la constitution de modèles musicaux
exploités de différentes façons par les compositeurs de musique de film.
Dans le cas de Star Wars, c’est une fois de plus le temp track qui dicta la piste musicale
que devait suivre John Williams pour écrire la musique du film suivant les directives du
réalisateur. Williams mentionne alors implicitement la présence d’un segment des Planètes
de Holst dans la musique temporaire de Star Wars parmi les autres œuvres du répertoire
‘classique’:
« At one point, George talked of integrating selections from the classical repertoire
with the score. 2001 and serveral other films have utilized this technique very well.
But what I think this technique doesn’t do is take a piece of melodic material, develop
it and relate it to a character all time way through the film. For instance, if you took a
theme from one of the selections of Holst’s The Planets and played it at the beginning
of the film, it wouldn’t necessary fit in the middle or at the end. On the other hand, I
did not want to hear a piece of Dvorak here, a piece of Tchaikovsky there, and a piece
of Holst in another place. » (2)
---------------------------
(1) Titre original: Dark Star, 1974, réalisé par John Carpenter.
(2) « A un moment, George suggéra d’intégrer quelques sélections du répertoire classique dans la musique
du film. 2001 et d’autres films avaient déjà très bien utilisé cette technique. Mais ce dont je pense que cette
technique ne fait pas, c’est de prendre un matériau mélodique, de le développer et de l’attacher à un
personnage tout au long du film. Par exemple, si vous prenez un thème de l’une des pièces des Planètes de
Holst et que vous le jouez au début du film, cela ne conviendra pas forcément à la fin du film. D’un autre
côté, je ne voulais pas entendre une pièce de Dvorak ici, une pièce de Tchaïkovski là ou une pièce de Holst
dans un autre passage. »
Article de John Williams extrait de la plaquette du coffret Star Wars Trilogy: The Original Soundtrack
Anthology. Pour les informations supplémentaires, nous vous renvoyons à la bibliographie en fin de volume.
33
Evidemment, Williams ne réfute pas l’utilisation de l’œuvre de Holst dans sa partition. Ce
qu’il souhaite avant tout, c’est éviter la technique du collage ou de la citation afin de
défendre l’idée d’une partition originale où les références resteraient présentes malgré
tout. La chose importante à noter est le terme de Space-Opera. N’oublions pas que ce mot
contient celui de ‘opéra’, un genre musical souvent grandiloquent et extraverti avec un
intérêt dramatique majeur qui aura inspiré à plus d’une reprise la composition pour le
cinéma. Effectivement, la musique de cinéma n’est elle pas quelque part une composition
alliant avec le cinéma différents arts, comme les costumes, les textes, l’éclairage, la mise
en scène, le jeu des acteurs, la musique, les décors, etc.? Evidemment, dans une musique
de film, il est hors de question de laisser la primauté au chant, mais quelque part, le SpaceOpera est déjà un genre propice à l’élaboration de grandes partitions symphoniques
grandiloquentes, et c’est probablement la chose à laquelle George Lucas et John Williams
ont pensés lors de leur approche de la musique de Star Wars. Le fait même que la partition
soit orientée vers le principe des leitmotive wagnériens est déjà un indice majeur quant à
l’approche musicale souhaitée par les deux hommes sur ce film.
Au sujet des temp-tracks, nous ne pourrons pas passer à côté d’un autre exemple
particulièrement révélateur: L’étoffe des héros (1983) (1) de Philip Kaufman. Le
réalisateur souhaitait utiliser à l’origine des extraits musicaux de Mars, Jupiter et Neptune.
Le compositeur Bill Conti décida alors de copier les mouvements de Mars et de Jupiter, et
ce à la demande du réalisateur. A ce propos, Bill Conti affirmait dans une interview
présente dans le livret de son album pour Les maîtres de l’univers:
« Most of the time directors put a ‘temp-track’ on their movies. In the case of ‘The
Right Stuff’, I had suggested to the Director [Philip Kaufman] to buy the rights to the
recordings which he used in his temp-track, but he didn’t want to do that. In many
cases I did three different cues for every place where a temp-track may have
suggested someone else’s music (…) » (2)
---------------(1) Titre original: The Right Stuff, 1983, réalisé par Philip Kaufman.
(2) « La plupart du temps, les réalisateurs mettent des temp-tracks dans leurs films. Dans le cas de
L’étoffe des héros, j’ai suggéré au réalisateur [Philip Kaufman] d’acheter les droits des enregistrements que
nous utilisons dans les temp-tracks, mais il ne voulait pas le faire. Dans tous les cas, j’ai écris trois pièces
différentes pour chaque moment où le temp-track suggérait la musique de quelqu’un d’autre. »
34
Conti fait bien entendu allusion aux Planètes de Holst et mentionne même, un peu plus
loin dans l’article en question, le nom du Concerto pour violon de Tchaïkowsky, utilisé
surtout dans le générique de fin du film, aussi à la demande du réalisateur.
On pourra ainsi entendre une reprise flagrante du début de Jupiter dans Breaking the sound
barrier (1) et une partie de Mars dans Glenn’s Flight (2). Kaufman désirait tellement
entendre ces musiques de Holst qu’il finit par conserver les mouvements originaux dans le
montage final pour une scène du film (3), celle du décollage de la fusée de John Glenn.
L’étoffe des héros parle du dépassement de soi, de l’héroïsme, du courage et de la
détermination vue à travers les exploits des cosmonautes américains durant la guerre
froide. On retrouve dans la séquence en question l’idée de l’exploration spatiale, et le
montage retenu dans le film avec Mars, Jupiter et Neptune apparaît de manière assez
évidente sur une scène où l’on aperçoit justement l’espace et la terre.
Ceci étant dit, cela ne change rien au fait que la composition originale de Conti copie de
manière indéniable Jupiter et Mars (on notera que le début de Glenn’s Flight n’est pas sans
évoquer l’introduction d’Uranus), l’enregistrement officiel de l’album du film étant
justement là pour le prouver.
Avec l’étoffe des héros de Bill Conti, nous venons de voir l’une des plus fameuses
reprises de Jupiter et Mars qui resteront, comme nous allons le voir par la suite, les deux
mouvements les plus imités en musique de film. Nous avons donc à notre disposition
plusieurs exemples intéressants que nous pourrons ainsi retrouver sur le disque fourni avec
ce travail, et nous reviendrons un peu plus en détail sur les différentes façons dont ces
emprunts sont traités par les compositeurs de musique de film en analysant de manière
plus minutieuse leurs démarches et leurs objectifs par rapport aux différents films.
---------------------
(1) Piste 14 du disque fourni avec ce travail.
(2) Piste 12 du disque.
(3) Voir séquence vidéo numéro 2 de la cassette vidéo fournie avec ce travail.
35
Pour le western Mort ou vif (1), réalisé par Sam Raimi, le compositeur Alan Silvestri a
reprit l’ostinato menaçant de Mars en imitant le style et les orchestrations de la pièce lors
des principales scènes de duel du film. Une fois encore, Mars s’associe fortement ici à une
idée d’affrontement (2). Dans le Dracula (3) de Francis Ford Coppola, le compositeur
polonais Wojciech Kilar s’oriente beaucoup plus vers l’idée de l’ostinato inexorable pour
le morceau Vampire Hunters (4) tandis que le morceau Barbarian Horde (5) issu de la
partition de Hans Zimmer pour le film Gladiator (6) s’inspire quant à lui du deuxième
motif de Mars que l’on trouve dans la partition de Holst dès la mesure 45 et plus
particulièrement aux mesures 104 et 112. Nous n’oublierons pas non plus de mentionner
The Battle (7), un autre morceau issu de la musique originale de Gladiator et qui s’inspire
lui aussi de Mars lors d’une longue séquence de bataille.
Dans le morceau The Return (8) provenant de la partition de La planète des singes (9) de
Danny Elfman, nous pourrons carrément retrouver le premier motif de Mars (celui de la
mesure 3 sur la partition de Holst) explicitement cité brièvement par Elfman. Le
compositeur Trevor Jones a repris quant à lui l’ostinato guerrier et le style massif et cuivré
de Mars dans The strangers are tuning (10) pour la musique originale de Dark City (11),
un film de science-fiction où l’ostinato n’est pas lié pour une fois à une idée de guerre ou
de bataille épique. On retrouve aussi l’influence de cet ostinato dans l’ouverture du score
des Maîtres de l’univers (12) de Bill Conti
---------------------
(1) Titre original: The Quick and The Dead, 1995, réalisé par Sam Raimi.
(2) Piste 2 du disque.
(3) Titre original: Bram Stoker’s Dracula, 1992, réalisé par Francis Ford Coppola.
(4) Piste 10 du disque.
(5) Piste 8 du disque.
(6) Titre original: Gladiator, 2000, réalisé par Ridley Scott.
(7) Piste 6 du disque.
(8) Piste 4 du disque.
(9) Titre original: Planet of The Apes, 2001, réalisé par Tim Burton.
(10) Piste 16 du disque.
(11) Titre original: Dark City, 1998, réalisé par Alex Proyas.
(12) Titre original: Masters of The Universe, 1987, réalisé par Gary Goddard.
36
et, de manière moins flagrante, dans l’Ouverture de Star Trek VI (1) par Cliff Eidelman.
Dans ce dernier cas, il est important de noter le fait que le réalisateur du film avait prévu à
l’origine de réutiliser les Planètes de Holst pour les besoins de son film mais que, pour des
raisons économiques, le réalisateur décida d’abandonner cette idée et de confier la
musique au jeune Cliff Eidelman. Dans le livret de l’album de la musique de Star Trek VI,
on trouve la note suivante rédigée par le réalisateur lui-même:
« When my first motion – that of adapting Holst’s The Planets – proved economically
unfeasible, I found myself listening to demo tapes submitted from near and far (…). It
was Eidelman’s tape which jumped out at Ronald Roose, my editor, and myself.
(…) » (2)
Au final, bien que l’idée de réutiliser l’œuvre de Holst pour le film ait été abandonnée, il
est assez surprenant de retrouver quelques légers échos du mouvement de Mars et de son
fameux ostinato dans le morceau Overture, un morceau qui imite le tutti orchestral de
l’ostinato à la mesure 110 de la partition de Holst.
Après Jupiter et Mars, nous allons finalement nous pencher sur le cas de Saturne qui, bien
qu’il demeure moins présent dans la musique de film américaine, semble avoir quand
même vaguement inspiré certains musiciens. En dehors de l’exemple inévitable de la
musique de The Yards (3) pour lequel le compositeur Howard Shore a repris l’Andante
final de Saturne (4) à partir de la mesure 105 chiffre V, on
pourra noter une légère ressemblance entre le four flute tune du début de Saturne - c’est
ainsi que nomme Michael Short le motif du début du mouvement dans son
-----------------(1) Piste 19 du disque.
(2) « Lorsque mon premier souhait – celui d’adapter les Planètes de Holst – s’avéra être
économiquement
infaisable, je me retrouvais en train d’écouter des bandes démos provenant de différentes sources (…). Ce fut
la démo d’Eidelman qui attira l’attention de Ronald Roose, le monteur de la musique, et moi-même (…) ».
(3) Titre original: The Yards, 2000. Réalisateur: James Gray.
(4) Pistes 23 et 24 du disque. L’Andante de Saturne se trouve sur la partition à la mesure 105, au chiffre V.
37
ouvrage Gustav Holst: The Man and his Music (1) – et le thème de flûtes du Main Title
d’Alien (2) par Jerry Goldsmith. Le mystérieux motif de flûtes entendu au début de
Saturne semble avoir quelque peu marqué les esprits; nous pourrons presque entendre un
bref dérivé de ce motif dans le thème à trois temps de la partition du Trou noir par John
Barry (3).
Derrière tous ces emprunts et ces citations, les compositeurs tentent avec une volonté
ferme de créer un certain effet dramatique à l’écran passant par le jeu de la citation (c’est
en tout cas un des buts de leurs musiques).
Nous allons maintenant étudier un peu plus en détail la façon dont procèdent chacun des
compositeurs et les différents projets musicaux abordés par rapport aux films pour
lesquels ils composent.
-----------------(1) Voir page 130.
(2) Piste 22 du disque.
(3) L’allusion au début de Saturne est ici trop brève et beaucoup trop anecdotique. Nous avons donc décidé
de ne pas l’inclure dans notre travail et dans notre compilation d’extraits musicaux sur disque.
38
IV – Les modèles musicaux et les compositeurs:
panorama analytique des différentes approches compositionnelles.
Afin d’aborder le problème sous un angle plus objectif, il est important de bien faire la
différence entre des concepts comme la citation, l’imitation, la copie ou le plagiat. Pour se
faire, nous allons de nouveau nous aider des définitions proposées par le Vocabulaire
d’esthétique d’Etienne Souriau, définitions qui viendront ponctuer nos analyses des
différentes pièces énoncées dans la partie précédente de ce chapitre.
Revenons maintenant sur les différents exemples musicaux que nous avons déjà cités et
prenons pour commencer les pièces qui s’inspirent de loin ou de près de Jupiter puis de
Mars. Nous avons déjà parlé de la musique de l’étoffe des héros de Bill Conti et si l’on
prend les premières mesures de Jupiter avec le début de Breaking the sound barrier, on
remarquera que le début est quasiment identique (voir exemples musicaux ci dessous). On
peut véritablement parler ici d’imitation, car le compositeur n’essaie pas d’apporter un
élément nouveau à la composition de Holst et se contente de copier le début de la pièce
d’origine.
Exemple 1.1 Jupiter, premier thème, mesure 6.
Exemple 1.2 L’étoffe des héros, thème inspiré de Jupiter.
Exemple 1.3 Jupiter (premières mesures) et Breaking The sound Barrier.
39
Il suffit pour s’en convaincre de comparer les exemples 1.1 et 1.2 (page précédente),
exemples que nous pourrons compléter avec l’audition des pistes 13 et 14 du disque. Nous
pourrons ainsi entendre les ressemblances troublantes entre les deux pièces. Si l’on
compare maintenant les deux motifs du début de Jupiter (motif d’accompagnement de
cordes mesure 1 et motif de cors mesure 6) avec les motifs dérivés de Jupiter dans la pièce
de Bill Conti, on s’apercevra très vite qu’ils sont pratiquement similaires (voir exemples
1.1, 1.2 et 1.3): même rythmes d’accompagnement, même profil mélodique, même entrées
d’instruments et même orchestration; nous aurions donc suffisamment d’éléments pour
pencher ici vers la thèse du plagiat ou, si nous voulons être plus juste, de l’imitation.
Effectivement, si l’on s’en réfère aux définitions données par le Vocabulaire d’esthétique
de Souriau, on remarquera que les termes de plagiat et d’imitation sont assez proches,
l’ouvrage traitant dans les deux cas d’un procédé de création basé sur un modèle d’origine.
Ainsi, Souriau précise que:
« Le plagiaire est celui qui fait passer pour sienne l’œuvre d’autrui ». (1)
Ceci étant dit, nous nuancerons notre propos en précisant que Souriau ajoute aussi:
« Les emprunts du plagiaire reproduisent exactement l’original » (2),
ce qui n’est pas vraiment le cas ici puisque le compositeur conserve sa propre part de
création, et ce, même s’il s’inspire fortement de Jupiter.
En fin de compte, il serait beaucoup plus judicieux de parler dans ce cas précis
d’imitation, ce terme ne pouvant en aucun cas être assimilé à celui de plagiat. L’ouvrage
de Souriau nous donne ainsi la définition suivante:
« Action de prendre pour modèle une œuvre ou un auteur. L’imitateur est ici un artiste
qui s’inspire de l’œuvre d’un artiste précédent, et s’efforce de travailler dans son
genre. Par exemple, il traite des sujets analogues, il emploie le même style, il construit
ses œuvres de la même manière, il reprend certaines de ses idées, de ses procédés, de
ses images (…). » (3)
Dans un extrait d’une interview rapporté sur le site internet officiel de Bill Conti, ce
dernier évoque sa musique pour l’étoffe des héros en précisant:
-----------------(1) Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Quadrige, 1990, p.1136-1137.
(2) Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Quadrige, 1990, p.1137.
(3) Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Quadrige, 1990, p.863.
40
« (…) If you know what a hommage is…(…) » (1)
Un peu plus loin sur la même page, Bill Conti affirme la chose suivante:
« (…) I can write like Mozart or like Schoenberg, or Holst, or Tchaïkovski. (…) » (2)
On s’aperçoit ainsi que l’auteur a conscience de l’importance de ses modèles et qu’il
n’hésite pas à citer les noms des artistes qu’il imite. Bill Conti se comporte ainsi en
imitateur et non en plagiaire, l’imitation naissant donc ici des exigences du réalisateur du
film et des temp-tracks.
Par rapport à la séquence vidéo numéro 1, la musique de Breaking the sound barrier
accompagne en partie la séquence de l’envol du pilote américain Chuck Yeager dans sa
course au mur du son. Pour des questions de montage, la musique n’est pas utilisée dans
son intégralité, mais le réalisateur a quand même tenu à conserver le début du morceau qui
permet ainsi à Conti de réutiliser le code de l’héroïsme suggéré par le début de Jupiter de
Holst (traits de cordes énergiques, cuivres brillants, percussions puissantes, etc.). Ainsi,
l’idée musicale d’origine de Holst devient le faire-valoir des exploits héroïques d’un
aviateur américain dépassant le mur du son.
Dans la séquence vidéo numéro 2, on assiste au décollage de la fusée emmenant le
cosmonaute américain John Glenn dans l’espace. Si l’on entendra dans le film les
mouvements originaux de Holst (Mars, Jupiter et Neptune), il sera aisé de superposer à ces
images le morceau Glenn’s Flight (3). Comme nous avons pu le dire dans la partie
précédente, Mars n’est pas utilisé ici pour souligner une idée de confrontation mais pour
évoquer l’idée de puissance, une séquence massive et spectaculaire (d’où l’attrait des
réalisateurs et producteurs hollywoodiens pour ce mouvement célèbre des Planètes).
------------------(1) « (…) Si vous comprenez ce qu’est un hommage (…) »
Eckhard Weinholz, http://www.weinholz.claranet.de/bcquote2.html,
dernière mise à jour: 15 Mai 2001.
(2) « (…) Je peux écrire dans le style de Mozart ou de Schoenberg, de Holst ou de Tchaïkovski. (…) »
Eckhard Weinholz, http://www.weinholz.claranet.de/bcquote2.html,
dernière mise à jour: 15 Mai 2001.
(3) Piste 12 du disque.
41
Si l’on compare l’ostinato de Mars (1) avec celui composé par Bill Conti pour Glenn’s
Flight, on remarquera les quelques similitudes rythmiques (utilisation des noires, deux
croches et triolets – voir exemples ci dessous) et d’orchestration. Conti s’inspire fortement
ici des mesures 99 (chiffre VI) à 113 de la partition de Mars où il va même jusqu’à imiter
le tutti sur l’ostinato mesure 110 à 112, et ce lors du décollage de la fusée.
Exemple 2.1 Ostinato rythmique de Mars
Exemple 2.2 Ostinato rythmique de Glenn’s Flight
Généralement attribué à une idée de guerre ou de confrontation, Mars évoque cette fois-ci
le décollage massif de la fusée de John Glenn. Bill Conti retient dans sa composition
l’idée spectaculaire de l’ostinato de Mars afin d’évoquer le monstre mécanique et la
puissance spectaculaire de son décollage. Il y a donc ici une nouvelle manière d’utiliser le
code de la pièce, un autre jeu de code que le compositeur applique cette fois-ci au côté
aventureux dérivé quelque part de l’utilisation de Mars dans les films de Space-Opera des
années 1970, où le morceau était très souvent utilisé dans un contexte d’aventure épique
spatiale.
Comme nous venons de le voir avec l’emprunt à Mars dans l’étoffe des héros, c’est le
célèbre ostinato de la pièce de Holst qui marquera les esprits à tel point qu’aucune reprise
de Mars ne pourra se faire sans un dérivé rythmique inspiré par cet ostinato (2). Certes, si
l’on observe d’un peu plus près ces reprises, on remarquera que la plupart des
compositeurs ont évité de reprendre la mesure à 5/4.
-----------------(1) Piste 11 du disque.
(2) Il existe néanmoins une exception que nous aurons l’occasion d’analyser
un peu plus loin dans cette partie.
42
Ceci pourrait s’expliquer par le fait que la ressemblance deviendrait trop flagrante, la
création risquant alors d’être minimisée au profit d’une imitation trop stricte.
D’autre part, une trop grande ressemblance à Mars nuirait à l’unicité de la partition du
compositeur (que pourrait-on penser d’une musique dont une partie proviendrait
indiscutablement d’un autre compositeur?) et risquerait peut-être de distraire l’attention du
spectateur lors de la vision du film. Si la musique sert de véhicule à l’émotion d’un film
ou d’une scène, elle peut vite devenir déroutante lorsqu’elle se met elle-même en valeur
par le biais d’une trop grande ressemblance à une œuvre préexistante, du moins dans le
cadre des productions hollywoodiennes où la musique vise surtout à soutenir le film de la
manière la plus efficace qui soit.
Nous allons pourtant voir qu’il existe une exception à cette volonté de ne pas reproduire
de manière trop similaire l’ostinato de Mars. Cette exception provient de la partition
originale écrite par Alan Silvestri pour le film Mort ou vif de Sam Raimi. Ce film qui rend
hommage aux western-spaghetti de Sergio Leone repose essentiellement sur des scènes de
duel pour lesquelles Silvestri a écrit un thème basé sur un ostinato rythmique. Cet ostinato
est indiscutablement copié sur celui de Mars, car si nous comparons les pistes 1 et 2 du
disque, nous pourrons remarquer que le compositeur a repris la mesure à 5/4 et que les
rythmes sont sensiblement les mêmes (voir les deux exemples ci dessous), la seule
véritable différence intervenant à la deuxième noire que Silvestri remplace par un triolet
(voir exemples 2.1 et 3 à la page suivante). Tous les autres rythmes sont semblables. Il
faut signaler le fait que l’ostinato se fait aussi sur la note sol.
Exemple 2.1 Ostinato rythmique de Mars
Exemple 3 Ostinato rythmique de Mort ou vif par Alan Silvestri
A cela s’ajoute une orchestration similaire proche de celle du début de Mars puisqu’on
retrouve les cordes pour l’ostinato ainsi que les cuivres graves avec les bassons pour le
43
motif mélodique. On pourra relever une autre ressemblance entre le motif de cuivres du
morceau de Silvestri et le début du premier motif de Mars (mesure 3 de la partition de
Holst). Effectivement, les deux motifs commencent ainsi sur une note tenue au moins
pendant une mesure et s’enchaînent sur une autre note formant un intervalle de quinte
comme c’est le cas à la mesure 4 de la partition de Mars.
Devant tant d’éléments aussi troublants, nous pourrons aisément nous poser la question
sur la réelle volonté du compositeur de copier Mars. La réponse est affirmative car les faits
sont là et ils se vérifient assez facilement avec une bonne écoute comparative (pistes 1 et 2
du disque).
A la vision de la séquence vidéo numéro 5 (entre 8.01 et 9.39 minutes) extraite du film
Mort ou vif, on remarquera que l’ostinato de Mars est à nouveau attribué ici à une idée de
lutte et de confrontation. Au lieu d’une guerre ou d’une bataille épique, on assiste ici à une
séquence de duel armé. L’esprit guerrier reste donc toujours attaché au mouvement de
Mars, une sorte de code qu’Hollywood aura usé tout au long de ces vingt dernières années.
Dans le même esprit que la pièce de Mort ou vif de Silvestri, le morceau Vampire Hunters
(1) de la musique de Dracula de Wojciech Kilar reprend lui aussi l’ostinato de Mars mais
d’une manière nettement moins flagrante.
Exemple 4 Ostinato de Vampire Hunters par Wojciech Kilar
L’ostinato de Dracula est écrit sur une mesure à 4/4 et commence comme celui de Mars
sur une figure triolet – noire. A cette figure rythmique martelée par des cordes et des
timbales vient s’ajouter un motif joué par les contrebasses et les bassons. On retrouve
donc les couleurs graves du premier motif de Mars même si, cette fois-ci, le compositeur
semble s’en éloigner sur le plan mélodique.
-----------------(1) Piste 10 du disque.
44
A l’image (1), ce morceau évoque la chasse contre Dracula menée par Van Helsing, le
célèbre chasseur de vampires interprété ici par Anthony Hopkins. S’il n’est plus vraiment
question ici de guerre à proprement parler, l’idée d’une confrontation armée domine une
fois encore la scène, justifiant ainsi le code guerrier emprunté à Mars.
Si nous avons choisi de suivre l’analyse de l’extrait de Mort ou vif avec celui de Dracula,
c’était aussi avec la volonté de montrer deux approches différentes par rapport à l’œuvre
d’origine. Silvestri s’est contenté de calquer sa composition sur le début de Mars en
ajoutant finalement peu de création personnelle, tandis que l’approche choisie par Kilar est
beaucoup plus personnelle et nous permet d’entendre une figure rythmique avec une allure
différente (tempo plus lent, mesure à 4/4, etc.) et une nouvelle configuration mélodique.
Avec deux objectifs similaires (évoquer une scène de confrontation et de lutte), nous
observons deux approches différentes par rapport au modèle d’origine, et nous verrons
qu’il existe encore d’autres manières de procéder. Mais avant, nous nous devons
d’évoquer d’autres exemples d’emprunts à Mars particulièrement révélateurs.
Dans le Main Title des Maîtres de l’univers (2), Bill Conti s’inspire du style guerrier de
Mars (orchestration massive et cuivrée, etc.) en reprenant en unisson l’ostinato sur un
dérivé rythmique à 4/4 qui n’est pas sans rappeler son travail sur l’étoffe des héros.
Exemple 5.1 Ostinato du Main Title des Maîtres de l’univers
Une fois encore, l’ostinato est utilisé sur une séquence de bataille épique (l’invasion
d’Eternia par Skeletor, le méchant du film). Le compositeur a surtout retenu ici le code
guerrier de l’œuvre en s’inspirant de l’ostinato de Mars.
-----------------(1) Séquence vidéo numéro 6 (entre 9.40 et 10.52 minutes)
(2) Piste 18 du disque.
45
On notera un procédé similaire mais nettement plus bref dans l’Ouverture de la musique
de Star Trek VI (1) par Cliff Eidelman. L’allusion à Mars nous apparaît nettement moins
évidente ici, Eidelman s’étant beaucoup plus inspiré ici du code de l’ostinato martial que
du mouvement de Holst en lui même.
Exemple 5.2 Figure rythmique martiale de l’Ouverture de Star Trek VI.
Le code de l’ostinato martial est une fois de plus associé ici aussi à une séquence de
bataille épique qui se déroule cette fois ci dans l’espace (on retrouve ici l’esprit des SpaceOperas des années 1970). Cette utilisation de l’ostinato s’explique en partie par le côté
spectaculaire et épique de ce style de production, Star Trek VI ne dérogeant pas à la règle.
L’ostinato confère un côté excitant qui sert à captiver l’attention du public et à renforcer
l’intensité des scènes de batailles spatiales épiques.
Nous allons maintenant analyser le morceau Barbarian Horde (2) provenant de la musique
originale composée par Hans Zimmer pour le film Gladiator. Zimmer a choisi de faire lui
aussi appel à l’ostinato guerrier de Mars pour une séquence se déroulant dans une
gigantesque arène romaine et mettant en scène un combat entre des gladiateurs et des
soldats romains. (3) Le passage en question de Barbarian Horde n’est pas sans rappeler
l’approche de Bill Conti sur Glenn’s Flight de L’étoffe des héros. Dans les deux cas, les
compositeurs s’inspirent, chacun à leur façon, des mesures 104 à 112 de la partition de
Mars, c’est-à-dire lors de la reprise tutti de l’ostinato mesure 110. Zimmer s’est
apparemment inspiré du deuxième motif de Mars, celui que l’on trouve pour la première
fois dans la partition de Holst à la mesure 45.
-----------------(1) Piste 19 du disque.
(2) Piste 8 du disque.
(3) Séquence vidéo numéro 9 (entre 14.37 et 16.12 minutes). Voir aussi la séquence numéro 8.
46
Le compositeur imite l’harmonie de quintes en parallèle et le mouvement mélodique en
tierces, et ce à quelques notes près.
L’ostinato intervient lorsque les gladiateurs rentrent dans l’arène (il évoque le côté
spectaculaire de la scène, un peu comme le fera Trevor Jones dans Dark City) et lorsqu’ils
commencent à combattre les chars ennemis (toujours l’idée de bataille associée à Mars), la
différence notable provenant de la surprenante mesure à 3/4, une mesure sur laquelle le
compositeur jouera lors d’un autre morceau de Gladiator sur lequel nous aurons l’occasion
de revenir.
Exemple 6 Ostinato de Barbarian Horde de Hans Zimmer.
Enfin, pour conclure cette première vue d’ensemble des emprunts flagrants à Mars, nous
évoquerons le morceau The strangers are tuning (1) de la partition de Dark City de Trevor
Jones. Comme nous l’avons déjà mentionné auparavant, l’ostinato n’est pas utilisé cette
fois-ci sur une scène de guerre ou de bataille. Le réalisateur Alex Proyas nous plonge avec
ce film dans un univers sinistre et surréaliste; le héros amnésique se réveille un jour et se
retrouve prisonnier dans une gigantesque citée obscure où vivent des êtres mystérieux
appelés les étrangers, cachés dans les souterrains de la ville. Ces êtres sont dotés de
pouvoirs psychiques surhumains qui leur permettent de modifier l’environnement et les
objets qui les entourent par la seule force de leur pensée. Cela s’appelle la syntonisation et
c’est lors de cette séquence de syntonisation (2) que Trevor Jones utilise un nouveau
dérivé rythmique de l’ostinato de Mars. Cette fois-ci, le code guerrier de Mars s’applique
désormais à une idée de spectacle massif, grandiose et puissant. C’est une autre façon
d’utiliser à l’image ce code martial, une approche que Bill Conti avait déjà retenue lors de
la séquence du décollage de la fusée de John Glenn dans L’étoffe des héros.
-------------------
(1) Piste 16 du disque.
(2) Séquence vidéo numéro 3, entre 4.02 et 5.36 minutes.
47
Exemple 7 Ostinato rythmique de Dark City par Trevor Jones
Concernant les détails musicaux, le lien avec l’ostinato de Mars est ici indéniable puisque
le compositeur réutilise exactement les mêmes rythmes (voir exemple 7 ci dessus), la seule
différence provenant de la mesure à 4/4 qui fait disparaître la sensation d’instabilité crée
par la mesure à 5/4 du mouvement de Holst. Au niveau des orchestrations, on retrouve la
même disposition instrumentale: cuivres pour le motif ascendant, cordes pour l’ostinato et
percussions massives renforçant le côté spectaculaire de cette séquence.
Nous avons évoqué auparavant le fait qu’il existait d’autres manières d’emprunter l’œuvre
de Holst. Effectivement, jusqu’à présent, notre travail a essentiellement reposé sur des
imitations plus ou moins flagrantes de Mars et de son célèbre ostinato. Nous avons
mentionné à de nombreuses reprises l’idée du code guerrier de l’œuvre associé à des
images et des séquences de bataille épiques.
Nous allons maintenant nous pencher sur deux cas particuliers où l’emprunt à Mars se fait
d’une toute autre façon.
Le premier exemple que nous allons aborder provient du morceau The Return (1) composé
par Danny Elfman pour le film La planète des singes de Tim Burton. Cette longue pièce
avoisinant les sept minutes intervient à la fin du film, lorsque le héros interprété par Mark
Wahlberg revient sur terre à bord d’un engin spatial. Ce n’est qu’au bout de la cinquième
minute que l’on entend apparaître une assez brève allusion au premier motif de Mars
(celui de la mesure 3 à 6 sur la partition de Holst).
-----------------(1) Piste 4 du disque.
48
Après avoir comparé les deux exemples ci-dessous (exemples 8.1 et 8.2), nous pourrons
très vite relever une similitude fort troublante entre les deux motifs: mêmes intervalles,
mêmes rythmes, même instrumentation, la seule différence provenant de la mesure à 4/4 et
de la transposition du sol sur le do.
Exemple 8.1 Premier motif de Mars.
Exemple 8.2 Motif de The Return de Danny Elfman.
Cette allusion au premier motif de Mars apparaît dans le film au moment où le héros
traverse l’espace à bord de son vaisseau en direction de la terre. On notera le fait que le
motif apparaît au moment où l’on voit un plan d’une planète dans l’espace. Le
compositeur a t il souhaité faire un clin d’œil à cette œuvre modèle qui a tant de fois
inspirée les musiciens et les cinéastes? Ce serait possible, bien que toute spéculation sur ce
sujet nous apparaisse bien vaine sans l’avis du principal intéressé. Si nous avons choisi cet
exemple, c’est avec la ferme intention de montrer deux choses: d’abord, l’emprunt à Mars
peut aller bien au delà d’une simple réutilisation de la formule d’ostinato rythmique.
D’autre part, nous avons là l’exemple même d’une nouvelle démarche vis-à-vis de l’œuvre
modèle, un projet musical qui consiste à ne pas centrer toute la création autour d’une
même source d’inspiration. Cette allusion à Mars est brève et elle n’apparaît seulement
qu’au bout de cinq minutes. Elle aurait pu rester purement anecdotique si le compositeur
ne l’avait pas autant mit en valeur durant ce court laps de temps. C’est en tout cas un
projet bien différent des exemples que nous avons pu observer auparavant: ici, le
compositeur cite pendant un court passage un motif de Mars, ce qui n’affecte nullement en
fin de compte le reste de sa pièce, à l’inverse des morceaux d’Alan Silvestri ou de Bill
Conti.
Nous venons de mentionner ici le concept de citation, et si nous prenons la définition que
nous donne le Vocabulaire d’esthétique d’Etienne Souriau, nous pourrons constater qu’à
49
peu de chose près, l’exemple de The Return composé par Danny Elfman est parfaitement
approprié:
«Reproduction textuelle et reconnaissable d’un énoncé préexistant (...) » (1)
La définition est cependant un peu vague, car elle ne précise pas si l’auteur de la citation
doit mentionner ou non l’œuvre empruntée. Nous pourrions aussi parler d’allusion, bien
que, selon Souriau, l’allusion est parfois plus nette et volontaire. Or, dans le morceau
d’Elfman, il est difficile de connaître les motivations profondes du compositeur quant à
cette allusion au motif de Mars, étant donné que nous n’avons trouvé aucune trace d’écrit
mentionnant ce fait. Il ne faut pas non plus oublier le fait que l’allusion à Mars n’est
référencée nulle part dans le livret de l’album de la musique du film. Le compositeur n’a
donc pas jugé utile de référencer le nom de Holst pour un emprunt aussi court et mineur,
d’autant que le mouvement est suffisamment connu du public sans qu’il soit nécessaire de
mettre son nom dans le livret ou dans le générique du film, surtout pour un passage aussi
court. D’autre part, ce genre de référence musicale est fréquente dans l’univers des films
de Tim Burton, une sorte de clin d’œil à Holst qui nous rappelle qu’Elfman s’était déjà
amusé à faire ironiquement référence à Bernard Herrmann dans l’ouverture de Mars
Attacks! (2).
L’autre exemple que nous tenions à analyser provient de la musique de Gladiator par Hans
Zimmer: il s’agit cette fois du morceau The Battle (1). Ce morceau possède une certaine
particularité puisque le musicien nous offre ici une sorte de recréation du deuxième motif
de Mars. De la mesure à 5/4, Zimmer passe d’une manière fort originale à une mesure de
valse à trois temps.
------------------
(1) Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Quadrige, 1990, p.392.
Nous avons sélectionné ici cette définition et mis de côté les autres définitions qui ne correspondaient pas au
cas de figure qui nous intéresse.
(2) Titre original: Mars Attacks !, 1996, réalisé par Tim Burton.
(3) Piste 6 du disque.
50
Effectivement, The Battle s’appelait au départ The Gladiator Waltz. Dans le livret du
deuxième album édité (1) quelque temps après le premier disque de la bande originale du
film, Hans Zimmer nous explique sa conception du morceau pour la bataille du film (2):
« I was taken with the dichotomy of the brutality of the battle he was filming, and the
elegance and architectural symmetry of the Roman designs; (…) So I needed to find a
musical analogy, something that represented the same symmetry and beauty as the
Roman art and architecture. I started to think of Viennese waltzes, the most cheerful
and on the surface most benign genre of music, with its perfectly symmetrical form
(…) » (3)
Il est indéniable que le compositeur a utilisé Mars dans The Battle. En revanche, l’allusion
est cette fois-ci beaucoup plus subtile et se fait ainsi à plusieurs niveaux, d’abord sur le
plan thématique. Effectivement, Zimmer utilise le deuxième motif de Mars (mesure 45 de
la partition des Planètes) et nous en propose un dérivé subtil que nous pourrons entendre
dans la piste 6 du disque fourni avec ce travail. Une brève comparaison entre les deux
exemples 9.1 et 9.2 (page suivante) nous permettra de mieux cerner le lien qui unit ces
deux motifs: Zimmer imite la mélodie de Holst sur les mêmes notes et va même jusqu’à
calquer l’harmonie en quintes parallèles (comme il l’a fait dans Barbarian Horde) de ce
thème, bien qu’il ait choisi de ne pas reprendre le schéma des accords parfaits en
mouvement parallèle puisque à la place des tierces en parallèles, il choisit d’utiliser des
quartes superposées aux quintes, ce qui donne une sonorité harmonique nettement plus
dure dans la composition de Zimmer.
------------------
(1) Pour les références des disques, nous vous renvoyons à la discographie présente en fin de volume.
(2) Séquence vidéo numéro 7, entre 10.53 et 12.30 minutes.
(3) « J’ai été saisi par la dichotomie et la brutalité de la bataille qu’il était en train de filmer, ainsi que par
l’élégance et la symétrie architecturale des décors romains (…); j’ai donc du trouver une analogie musicale,
quelque chose qui puisse représenter la même symétrie et la même beauté que l’art romain et son
architecture. J’ai alors commencé à penser aux valses viennoises, le genre musical le plus joyeux et le plus
doux, avec sa forme symétrique parfaite (…) »
51
Exemple 9.1 Deuxième motif de Mars.
Exemple 9.2 Motif de The Battle inspiré du second motif de Mars.
En quête de mouvements mélodiques dans son morceau, Zimmer nous propose une
variante de ce thème (voir exemple 9.3 ci dessous) où il reprend les mêmes rythmes que la
mélodie de Holst, à savoir noire pointée – croche, le tout basé sur les mêmes notes.
Exemple 9.3 Variante du thème de The Battle.
Ce sont les cuivres qui s’emparent de ce thème tandis qu’un très vague dérivé de l’ostinato
de Mars crée une base rythmique franche pour cette valse barbare, l’ostinato n’étant pour
une fois pas au centre du morceau de Zimmer, et ce à l’inverse des pièces de Conti,
Silvestri ou Jones. C’est ici l’une des originalités de cette allusion à Mars, originalité que
l’on retrouvait aussi dans le morceau de Danny Elfman pour La planète des singes où il
n’y avait aucune importance accordée à une quelconque formule d’ostinato malgré, là
aussi, la présence d’une base rythmique franche.
Cette transformation du deuxième motif de Mars en un thème de valse guerrière tient plus
ici d’un souci de recréation que d’une citation à proprement parler. L’idée reste toujours la
même, car comme nous pouvons le voir dans la séquence vidéo numéro 7, le morceau
accompagne une séquence de bataille. C’est dans la forme que la pièce de Zimmer se veut
plus subtile et plus originale, et cette fois-ci, les intentions du compositeur sont claires
puisque ce dernier déclarait dans une récente interview accordée au magasine Dreams to
Dream…s:
52
« (…) J’ai d’abord écrit des petites fanfares, pas dans le sens héroïque à la North ou
Rozsa, mais plutôt dans un sens global comme Holst. (…) Lorsque cela s’avère
nécessaire, je puise mon inspiration de thèmes ou de compositeurs qui m’ont fait
évoluer en tant qu’artiste. Mars était le dieu de la guerre à Rome en même temps
qu’un protecteur pour les armées de César. Les progressions crées par Gustav Holst
convenaient parfaitement à mes motifs et vice-versa. J’ai donc bâti une structure à
partir d’éléments personnels et impersonnels (…) » (1)
L’idée intéressante à retenir ici est l’allusion à Mars en tant que dieu romain de la guerre
pour une séquence de bataille entre des troupes romaines et des barbares venant du Nord.
En agissant ainsi, Zimmer justifie amplement son emprunt à Mars, justification qui se
concrétise alors à l’écran où la valse guerrière prend toute sa signification. A ce sujet,
Zimmer précise dans le livret du deuxième album consacré à la musique de Gladiator:
« Lots of people have commented that this piece reminds them of Holst’s The Planets,
and of course I’m using the same language, the same vocabulary if not the same
syntax. » (2)
Pleinement conscient de l’œuvre dont il s’inspire, Hans Zimmer témoigne finalement d’un
certain respect de l’œuvre, dans le sens où il ne pille pas la partition de Holst et cherche à
apporter quelque chose de neuf à ce thème, une sorte de re-formulation personnelle et
réfléchie du motif de Holst (nouvelle mesure, changements mélodiques et harmoniques,
figure d’ostinato minimisée, apport musical par le jeu d’une guitare, etc.).
Le compositeur est allé contre la volonté originelle de Holst qui a toujours précisé qu’il
n’avait pas voulu s’inspirer de la mythologie romaine en créant son mouvement de Mars.
Mais Zimmer a néanmoins réussi à créer du neuf avec un apport musical intéressant au
second thème de Mars. Ceci témoigne bien évidemment d’un véritable souci de
composition qui nous prouve que l’œuvre d’origine n’est pas systématiquement bafouée ou
mutilée lorsqu’un musicien la cite ou s’en inspire.
Par ailleurs, une autre façon de s’inspirer d’une œuvre modèle est d’utiliser comme
Zimmer l’a fait son vocabulaire ou sa propre syntaxe musicale en faisant par exemple
référence aux codes de l’œuvre que le musicien fera véhiculer entre sa partition pour le
film et le public.
-----------------------
(1) Vivien Lejeune et Olivier Soudé, ‘La rose et le glaive’ in Dreams to Dream…s, n°18, 2000, p.46.
(2) « Beaucoup de personnes ont mentionné le fait que cette pièce rappelle beaucoup les Planètes de Holst, et
j’utilise bien entendu le même langage, le même vocabulaire, pour ne pas dire la même syntaxe. »
53
Le code guerrier de Mars était déjà une façon pour les compositeurs d’accompagner les
images de batailles épiques au cinéma; avec le deuxième motif de Mars, Zimmer a associé ce
thème au mouvement des troupes militaires en pleine bataille, renforçant l’idée du code
guerrier déjà lié à ce second motif (des blocs d’accords parfaits en mouvements parallèles,
évoquant de façon imagée le mouvement des troupes en marche).
Ceci étant dit, il se pose aussi le problème du code de l’œuvre extrait de son contexte
d’origine: le code guerrier de Mars a t’il la même signification lorsqu’on l’applique à un
nouveau contexte? Malgré la similitude d’idées entre les deux pièces, le code original de Mars
est forcément dénaturé par son utilisation de Gladiator, d’abord parce qu’il s’agit d’une
nouvelle composition s’inspirant de la pièce de Holst, ensuite parce que le code est fait à
l’origine pour coller à un contexte précis, ici, la pièce symphonique de Mars. Isolé, le code
n’a plus aucune signification, et transposé dans un autre contexte, il risque de perdre tout le
sens qu’il cherchait à créer dans la pièce d’origine. Zimmer nous prouve pourtant que la
reprise d’un matériau préexistant peut se faire d’une manière beaucoup plus subtile et
personnelle, en utilisant le code d’une façon différente, en adéquation avec les images du film.
Nous finirons alors ce second chapitre avec un approfondissement de deux musiques
s’inspirant de Saturne de Holst, pièce moins souvent citée en musique de film. Le cas du
thème de flûtes d’Alien de Jerry Goldsmith peut prêter à discussion (1). Goldsmith a t’il
vraiment pensé à Holst en écrivant ce thème mystérieux et fort troublant? Difficile à dire,
d’autant qu’en dehors du fait que le compositeur n’a jamais parlé d’inspiration de Holst dans
Alien, cette influence n’apparaît nulle part ailleurs dans la partition du compositeur, beaucoup
plus proche du style orchestral de Debussy, Penderecki ou Ligeti; on a même souvent
comparé ce thème de flûtes avec du Debussy. Dans son ouvrage sur La musique au cinéma,
Michel Chion semble avoir lui aussi remarqué l’allusion à Holst dans la musique de Alien:
-----------------(1) Piste 22 du disque.
54
« Le thème associé dans ce film à l’espace, au vide, un motif de quatre notes (…) qui
enchaîne des intervalles ‘creux’, comme au début de Nuages (Debussy), joués sur des
flûtes parallèles décolorées et pâles, est une expression de la solitude dans le cosmos,
qui évoque tout naturellement maint passage des Planètes de Holst (…). » (1)
Nous pourrons remarquer le fait que Chion ne mentionne pas vraiment le nom de Saturne,
mais par déduction et par comparaison des deux pièces, nous pourrons aisément faire le lien
avec cette fameuse pièce des Planètes. Comme Chion l’a parfaitement expliqué, le thème de
flûtes qui ouvre le film (2) et qui accompagne la séquence de la planète des aliens (3) évoque
assez clairement le début de Saturne avec ce que Michael Short appelle le four flute tune. (4)
Le début énigmatique de Saturne a souvent été décrit comme l’évocation imagée du temps
qui passe, du balancement d’une horloge ou d’un pendule. Associé à l’atmosphère d’Alien, le
thème de flûtes de Goldsmith évoque à son tour le vide de l’espace mais aussi l’impression
d’un arrêt total du temps, d’un flottement intemporel dans l’immensité spatiale. En mettant
en exergue l’aspect ‘pâle’ et ‘décoloré’ de ces flûtes (agrémentées des effets sonores de
l’échoplex), Michel Chion a fait de manière sous-entendue un rapprochement évident avec le
début de Saturne, car c’est ce côté froid et pâle qui ressort particulièrement dans le thème de
Goldsmith, une froideur associée une fois encore au vide de l’espace (5).
Les deux exemples 10.1 et 10.2 (page suivante) nous montrent en partie quelques liens
apparents unissant ces deux motifs, car en dehors des couleurs instrumentales, s’ajoute un
enchaînement d’harmonies vaguement similaires malgré quelques différences entre les deux
motifs.
-------------------------
(1) Michel Chion, La musique au cinéma, Fayard, 1995, p.258
(2) Séquence vidéo numéro 12 (entre 20.43 et 21.49 minutes)
(3) Séquence vidéo numéro 13 (entre 21.50 et 23.22 minutes)
(4) Michael Short, Gustav Holst: The Man and his Music, Oxford University Press, 1990, p.130.
(5) Les séquences vidéo numéro 12 et 13 nous le confirmeront.
55
Exemple 10.1 Motif d’introduction de Saturne.
Exemple 10.2 Thème de flûtes de Alien.
Nous retrouvons là les intervalles de tritons et de quartes déjà présents dans le motif de
Saturne, Goldsmith mettant en avant ici les intervalles de septièmes majeures, ce qui renforce
le côté dur et dissonant de ce que Michel Chion appelle des intervalles ‘creux’. Nous
pourrons remarquer que la partie supérieure du thème de Goldsmith (exemple 10.2) se
déroule sur les mêmes notes que le début du motif de Saturne: si – la – si. Le reste du thème
de flûtes d’Alien poursuit son chemin et s’en va dans une autre direction mais ce sont les
enchaînements d’intervalles et la couleur instrumentale qui rappellent par moment l’esprit du
début de Saturne.
Pour finir, il ne faut pas oublier le fait que le thème de Goldsmith est une fois de plus associé
à une idée d’espace et de planète, comme c’est bien souvent le cas lorsqu’un cinéaste ou un
compositeur de musique de film s’inspire de l’œuvre de Holst. Cela fait aussi partie du code
extra-musical de l’œuvre de Holst et, dans ce cas précis, du mouvement de Saturne.
N’oublions pas qu’à l’époque d’Alien, nous sommes en 1979, seulement deux ans après la
venue du Space-Opera incarné par Star Wars de George Lucas. Le thème de l’exploration
spatiale était donc particulièrement à la mode à ce moment, ceci expliquant alors l’influence
grandissante de l’œuvre de Holst dans le cinéma américain de cette époque. D’une moindre
manière, Alien n’aura certainement pas échappé à cette mode, bien que le film de Ridley
Scott soit un peu plus qu’un simple Space-Opera.
L’autre exemple que nous devons analyser provient de la musique originale de Howard Shore
pour le film The Yards. Shore a composé pour ce film une partition orchestrale lente et
mélancolique teintée d’influences ‘classiques’. Cela s’explique entre autre par le fait que le
réalisateur diffusa de la musique sur le tournage du film afin de plonger ses acteurs dans
56
l’ambiance qu’il souhaitait retranscrire à l’écran. Shore a donc du s’inspirer du style de la
musique diffusée durant le tournage de The Yards d’où sa volonté de prendre la fin de
Saturne et de le placer, pour des questions dramatiques, au début et à la fin du film (1). Cet
exemple est très particulier car cette fois-ci, il s’agit d’une simple réutilisation du matériau
original de Holst et non d’une recréation ou d’un dérivé mélodique quelconque. En fait,
l’emprunt à Holst concerne la dernière partie de Saturne, l’Andante de la mesure 105 au
chiffre V, et dans ce cas précis, c’est beaucoup plus qu’un emprunt puisque le morceau est
référencé dans l’album et dans le film. (Shore n’a pas vraiment retouché le morceau
d’origine) En fin de compte, il s’agit d’une simple utilisation du morceau d’origine,
différente d’une idée de citation, mais le fait que le compositeur choisisse de ne conserver
que les dernières minutes du morceau de Holst en changeant le titre pour le réadapter au
contexte dramatique du film, correspond à ce que l’on pourrait appeler un arrangement.
Il y a arrangement lorsque le compositeur prend un matériau préexistant et le conserve en le
réadaptant ou en le disposant d’une autre façon (ici, il ne garde que la dernière partie du
morceau et lui donne un nouveau titre).
Le film de James Gray décrit la longue descente aux enfers de Leo Handler (interprété par
Mark Wahlberg) face à la corruption et la violence du milieu mafieux dans lequel se trouve
sa famille et ses amis. Saturne est ici utilisé afin d’évoquer le drame humain qui se joue tout
au long du film, le mouvement de Holst encadrant le début et la fin du film comme si
Howard Shore avait voulu décrire le cycle d’une vie brisée par la violence et la corruption.
C’est un parti pris étonnant (on transpose le modèle d’origine dans un tout autre contexte)
mais à l’écran, cela fonctionne parfaitement (nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet au
cours de notre troisième chapitre).
---------------------
(1) Pistes 23 et 24 du disque. Voir aussi les séquences vidéo numéro 10 et 11.
57
Nous avons finalement fait le tour de ces divers emprunts aux Planètes de Gustav Holst et à
ses codes. Chaque compositeur possède sa manière propre de faire référence au modèle
d’origine, que ce soit par un jeu de codes de l’œuvre, un rythme, des harmonies, une mélodie
ou une instrumentation similaire. Devenu à la mode avec les films épiques et les SpaceOpera de la fin des années 1970, l’œuvre des Planètes reste encore aujourd’hui une source
d’inspiration incontournable pour les compositeurs d’Hollywood. Les musiciens américains
se sont très souvent inspirés de Mars, puis de Jupiter et Saturne dans de moindres occasions.
L’engouement du cinéma américain pour Mars s’explique pour les raisons évoquées un peu
plus haut, car, il ne faut pas l’oublier, ce ne sont que les mouvements les plus célèbres et les
plus appréciés par le grand public qui ont servi de source d’inspiration aux compositeurs de
musique de film américains dès la fin des années 1970.
Les mouvements de Vénus, Mercure, Uranus et Neptune n’ont presque jamais été imités ou
copiés par les musiciens, probablement à cause du fait que chacun possédait une particularité
qui ne pouvait pas convenir ou s’adapter aux films et à leurs musiques. Vénus est d’un style
plus quelconque tout en étant très soigné; Uranus est trop proche de l’Apprenti sorcier de
Dukas dans l’esprit du public; Neptune rappelle trop quant à lui certaines œuvres avec
chœurs de Debussy ou Ravel; quant à Mercure, il s’agit de l’un des mouvements les moins
marquants de l’œuvre malgré, là aussi, la grande qualité d’écriture de cette pièce. On trouve
une légère réminiscence de Mercure dans les envolées de la Fée clochette dans Hook (1) de
John Williams, bien que la source d’inspiration la plus plausible soit ici l’Oiseau de feu de
Stravinsky.
Les réalisateurs et musiciens espèrent ainsi tirer profit du succès des plus célèbres
mouvements des Planètes en proposant un jeu de codes adapté aux images, tout en élaborant
un système de référents musicaux que les compositeurs accommoderaient à leurs
compositions suivant les exigences du temp-track ou des indications du réalisateur ou du
producteur. Comme nous avons pu le voir, les démarches peuvent varier d’un exemple à
l’autre: citation de l’ostinato pour ne conserver que le code guerrier de Mars, re-formulation
d’un thème de Mars, arrangement d’un passage de Saturne, emprunts à Mars plus décoratifs
(scènes spectaculaires dans l’étoffe des héros ou Dark City),
------------
(1) Titre original: Hook, 1996, réalisé par Steven Spielberg.
58
emprunts plus distants (l’ostinato de Dracula ou de Star Trek VI), bref clin d’œil au premier
thème de Mars dans La planète de singes de Danny Elfman ou bien encore imitation d’un
mouvement mélodique de Jupiter dans l’étoffe des héros de Bill Conti.
Dans tous les cas, les compositeurs s’inspirent de l’œuvre de Holst en adoptant des
démarches parfois similaires et parfois différentes, plusieurs variantes montrant la façon dont
l’artiste peut gérer l’inspiration de son modèle suivant le projet qu’il s’est fixé au départ.
Le chapitre suivant va maintenant s’attarder un peu plus en détail sur des questions plus
philosophiques concernant notre réflexion sur l’artiste et le modèle.
59
Troisième chapitre
Le public face à l’œuvre de Holst dans la musique de film: banalisation et
évolution des codes de l’œuvre.
I – L’œuvre modèle dans la mémoire collective
Le chapitre précédent s’est attaché à évoquer les différentes approches compositionnelles des
musiciens s’inspirant des Planètes de Holst. Nous avions souligné au passage la popularité de
l’œuvre et son succès auprès des gens du septième art. Tout ceci a contribué à inscrire les
Planètes dans la mémoire collective, celle du public en général.
Depuis le succès des premiers concerts anglais de 1920, ceci s’est fait très progressivement,
au fur et à mesure que l’œuvre de Holst a parcouru différentes générations et différents
contextes culturels. C’est son utilisation systématique dans les médias qui a contribué à rendre
cette œuvre internationalement connue, même pour ceux qui ne fréquentent pas
habituellement les salles de concert.
La mode grandissante du Space-Opera de la fin des années 1970 a largement contribué à
faire de l’œuvre des Planètes un modèle musical incontournable pour ce genre
cinématographique, et plus particulièrement avec le mouvement de Mars. Par la suite, la pièce
sera plus utilisée dans des films épiques de différents genres.
Cette pièce, ainsi extraite de son contexte d’origine, deviendra un référent musical banalisé
par ce type de production, une musique à laquelle les musiciens pourront faire fréquemment
référence.
L’œuvre de Holst fait dorénavant partie du patrimoine musical. Certes, un auditeur nonmélomane ne saurait pas forcément attribuer le nom de Holst aux extraits des Planètes
entendus au cinéma ou dans les médias, mais il saurait au moins reconnaître l’œuvre ellemême. Nous pourrions ainsi faire une analogie de ce fait avec la Marseillaise: tout le monde
n’est pas en mesure de savoir que cet hymne a été écrit par Rouget de Lisle, mais, en
revanche, tout le monde saurait reconnaître qu’il s’agit de l’hymne national français. Au fil
des années, l’œuvre de Holst reste gravé dans l’esprit du public et perdure grâce à son
60
association au cinéma par le biais de la musique de film. Il s’agit là d’un facteur essentiel à la
présence de l’œuvre de Holst dans la mémoire collective.
L’auditeur n’écoute plus cette musique en tant que telle: elle rentre aussi dans le subconscient
et la mémoire par le biais de son association aux images et est ainsi perçue de façon
inconsciente. Maintenant, nous pourrons nous demander si le public doit connaître l’œuvre
d’origine pour apprécier pleinement ces reprises dans des musiques de film. Certes, les
mélomanes avertis sont plus à même de juger de la qualité ou de l’intérêt purement musical de
ces emprunts à l’œuvre de Holst dans un film. Mais il ne faut pas oublier que la musique de
film est faite avant tout pour soutenir les images et les différentes ambiances d’un film.
D’autre part, il ne faut pas non plus oublier que les compositeurs ne reprennent jamais
l’intégralité de l’œuvre: ils s’inspirent d’un mouvement et l’arrangent ensuite pour les besoins
du film. Le compositeur cherche aussi à répondre aux exigences du réalisateur ou du
producteur du film. Enfin, il ne faut pas non plus oublier que ces compositeurs reprennent les
codes de l’œuvre de Holst, ce qui est suffisant pour que le public comprenne l’association de
la musique dans le film. Si l’association est réussie, le public peut donc pleinement apprécier
ces reprises dans la musique du film. Par conséquent, il n’est pas indispensable pour le public
regardant le film de connaître l’œuvre musicale d’origine pour apprécier ces reprises, surtout
que, bien souvent, le nom de Holst n’est même pas référencé dans le générique des films.
Puisque nous avons évoqué la présence de l’œuvre de Holst dans la mémoire collective, nous
ne pourrons pas passer à côté du phénomène de banalisation de l’œuvre au cinéma, un
élément majeur et conséquent dans notre réflexion.
61
II – La banalisation de l’association entre les Planètes de Holst et le cinéma.
Le public est aujourd’hui capable de reconnaître les fragments les plus populaires de l’œuvre
de Holst dans la musique d’un film. Ceci est dû en partie à l’effet de banalisation des Planètes
dans le cinéma américain. Nous allons maintenant nous interroger sur les conséquences de
cette banalisation sur l’œuvre de Holst et sa réception par le public du cinéma.
Le cinéma conventionnel utilise plusieurs types de langages. Un langage est un ensemble de
codes permettant d’associer un sens entre des signes et des idées. Il y a, d’un côté, le langage
cinématographique, réunissant divers éléments tels que le montage, le scénario, l’éclairage, le
cadrage, le son ou la mise en scène, tout cela avec l’objectif d’évoquer des idées (bien
souvent, à travers une histoire). La musique de film est un deuxième langage du cinéma
conventionnel. On y associe des notes, des sons ou des harmonies à des idées du film. C’est la
fusion de ces deux langages qui crée un ensemble cohérent pour le spectateur.
Ceci étant dit, il existe aussi un troisième langage, celui des jeux de référence à des codes
musicaux. Lorsque les deux langages (film et musique) sont répétés de manière systématique
dans le même contexte, ce nouveau langage finit par germer dans l’esprit des compositeurs et
du public en général. Il devient lui-même générateur d’idées une fois appliqué aux images
d’un film. Les codes musicaux deviennent ainsi le troisième langage dans un film lorsqu’ils
véhiculent un sens préétabli dans l’esprit du public. C’est le cas par exemple de l’inévitable
utilisation de l’ostinato de Mars dans les films de Space-Opera, évoquant désormais des
images de batailles spatiales épiques ou d’exploration de systèmes spatiaux dans
l’imagination populaire. C’est en banalisant cette association de l’œuvre de Holst au cinéma
qu’apparaît ce troisième langage des codes ou des référents musicaux.
Mais l’un des dangers de cette banalisation n’est-il pas d’interférer sur la vision du film par le
public?
Le cinéma réclame la fusion des langages, la musique soutenant le film et ses images de la
façon la plus pertinente qui soit, sans que le public soit gêné par la musique lors de la vision
du film. Le problème pourrait ainsi se poser si le jeu de référence à un troisième langage
(codes image/musique) venait changer le sens de la musique dans un film. Effectivement, le
public sait aujourd’hui reconnaître l’œuvre de Holst et ses codes, car ils ont été largement
62
banalisés au cinéma depuis la fin des années 1970. D’autre part, le public possède beaucoup
plus la culture du film de Space-Opera que celui de l’œuvre de Holst en elle-même. Il est
donc plus aisé pour lui de faire la connexion entre les codes de Mars et des images de fresques
épiques hollywoodiennes. Si le sens de la musique dans un film est ‘pur’, comme ce fut le cas
pour la partition de Star Wars de John Williams en 1977 (une des premières utilisations de
Mars dans un film de Space-Opera, rappelons-le), alors le problème ne se pose pas. En
revanche, si le spectateur associe un autre film aux codes musicaux qu’il entend, au risque
d’en dénaturer le sens souhaité par le compositeur dans le film, il se pose le véritable
problème de cette banalisation.
Si l’on prend l’exemple de l’ostinato fortement inspiré de Mars dans la musique de Mort ou
vif d’Alan Silvestri, on remarquera que le code guerrier de la fameuse formule rythmique est
ici associé à des séquences de duel de western. Le danger pourrait donc venir ici d’une
possible interférence d’idées dans cette fusion des langages où le spectateur associerait
(parfois de manière inconsciente) des images de Space-Opera sur un film n’ayant pourtant
aucun rapport avec ce style de cinéma.
Un autre exemple plus ambigu provient de la séquence du décollage de la fusée de John
Glenn dans l’étoffe des héros. Le film de Philip Kaufman n’est pas un Space-Opera, mais
plus une sorte de fresque historique. En revanche, Bill Conti utilise un dérivé de Mars et de
son ostinato pour évoquer l’effet massif souhaité ici par le réalisateur. Même si la séquence
n’est pas une scène de bataille, le code de Mars risque moins de gêner le sens de la musique
sur les images (rappelons tout de même que le mouvement original de Mars est utilisé dans le
film à ce moment là), puisque l’histoire se passe dans le contexte de la guerre froide et qu’il
s’agit ici du thème de l’exploration spatiale. On retrouve ainsi, dans ce cas précis, deux points
communs avec le genre du Space-Opera: l’espace et la guerre.
En fin de compte, c’est là où le code image/musique prend tout son sens en tant que troisième
langage. Certes, on pourrait reprocher aux compositeurs de s’inspirer trop facilement de
l’œuvre de Holst, mais il faudrait plutôt voir ces emprunts comme une sorte de manière de
s’adresser au public en musique. Dans ce cas précis, l’emprunt à l’ostinato de Mars servirait
alors à conforter le public sur ce qu’il s’attend à voir dans un film épique comme Gladiator ou
dans un Space-Opera. Le compositeur assumerait ainsi sa référence au Space-Opera tout en
respectant les exigences du réalisateur, qui se trouve être bien souvent à l’origine de ces jeux
de référence.
Ainsi, nous avons donc deux visions possibles de la banalisation de l’association des Planètes
au cinéma: l’une, plus négative, met l’accent sur les dangers éventuels d’un troisième langage
63
de codes image/musique interférant dans la perception d’une musique dans un film. L’autre
point de vue, plus positif, consiste à considérer ces emprunts systématiques d’extraits de
l’œuvre de Holst comme une acceptation volontaire de la banalisation des codes
image/musique par rapport au public, qui, avec la culture du Space-Opera, s’attend bien
souvent à entendre ce genre de musique dans une production de cette envergure. C’est donc
dans ce cas précis l’apport visuel qui contribue à créer l’intérêt de l’utilisation d’extraits des
Planètes dans la musique de film.
Ce dernier point nous amène finalement à soulever un problème important dans notre
réflexion: la suprématie qualitative de l’image sur la musique. Dans le cadre du Space-Opera,
genre cinématographique où l’on privilégie les thèmes de l’espace, des planètes ou des
combats spatiaux épiques, la musique inspirée de Holst ne serait-elle pas devenue une sorte de
balise musicale inévitable imposée par la codification de ce genre cinématographique? Si tel
est le cas, cela signifie qu’un réalisateur qui veut tourner un film de Space-Opera n’a pas
d’autre solution que de faire appel à l’œuvre de Holst pour son film, cette musique étant ainsi
ancrée dans la mémoire collective. Le fait même que plusieurs réalisateurs incluent une partie
des Planètes dans le temp-track de leurs films nous prouve bien que cette œuvre s’impose en
tant que référent musical de ce genre cinématographique très codifié. Nous avions ainsi déjà
parlé du cas de Star Wars de John Williams, qui marque véritablement le début de ce
phénomène dans le renouveau du grand cinéma hollywoodien épique des années 1970. Mais il
y a aussi le cas de Star Trek VI, où, comme nous l’avons vu au cours du second chapitre, le
réalisateur Nicholas Meyer avait envisagé d’adapter un segment des Planètes de Holst pour
les besoins de son film de type Space-Opera. Dans l’esprit du réalisateur, il était évident de
faire appel à l’œuvre de Holst pour les besoins d’un film de cette envergure. C’est pour cela
qu’un extrait plus ou moins inspiré de l’ostinato de Mars apparaît dans la plupart des
séquences de bataille spatiales du film, et, surtout, dès le début du film, comme si le
compositeur et le réalisateur avaient voulu affirmer dès le départ l’appartenance du film au
genre du Space-Opera.
Nous sommes maintenant en droit de nous poser une question importante: puisque nous avons
évoqué la primauté de l’apport visuel sur la musique, quel est maintenant le rôle de la
musique inspirée de Holst dans un film de Space-Opera? La banalisation de l’œuvre de Holst
dans la musique de film américaine a pour conséquence de changer radicalement le rôle de la
musique inspirée de Holst dans un film, mais la question de son rôle dans ce type de cinéma
est finalement double: est-elle là pour servir de complément d’information aux images avec
un rôle évocateur presque passif nous renvoyant systématiquement à l’univers codifié du
64
Space-Opera, ou bien reste elle l’élément indissociable du film servant à garantir l’identité
des images? Evidemment, une fois de plus, nous allons voir que les exemples peuvent varier
de l’un à l’autre.
L’exemple marquant provient ainsi de l’utilisation d’un dérivé de l’ostinato de Mars dès le
début du film Les maîtres de l’univers. Le réalisateur du film sait bien qu’il aborde ici des
thèmes chers au Space-Opera, surtout en ce qui concerne les batailles épiques et l’idée de
traversée spatiale. Dans ce film, le héros incarné par l’acteur Dolph Lundgren doit voyager à
travers le temps pour récupérer une clé ‘cosmique’ lui servant à libérer son ami prisonnier des
griffes de Skeletor, le méchant du film. Comme nous l’avons signalé au cours du second
chapitre, l’emprunt à Mars intervient dès le début du film, lors de l’attaque du monde
mythique d’Eternia par Skeletor. Le compositeur Bill Conti associe ici aux méfaits de
Skeletor l’ostinato guerrier de Mars. Indubitablement, la musique est ici utilisée comme
complément des images afin de bien faire comprendre au public ce qu’il voit à l’écran, tout en
jouant sur une astucieuse association d’idées nous renvoyant à l’univers musical du SpaceOpera. Certes, Les maîtres de l’univers est un film d’heroic-fantasy, un autre genre
cinématographique qui possède quelques points communs avec le Space-Opera, la différence
majeure étant qu’un film d’heroic-fantasy ne se déroule pas forcément dans l’espace. Mais le
côté épique de certains passages des Planètes ne peut que servir à assurer son identité en tant
que cinéma hollywoodien épique, puisque, après tout, même un modèle du film de SpaceOpera comme Star Wars possède des éléments empruntés à l’heroic-fantasy: un héros
chevaleresque, une princesse captive, un grand méchant guerrier, le tout transposé dans
l’espace et le futur. Fort de ce constat, nous pouvons donc en conclure que les emprunts à
l’œuvre de Holst peuvent se faire par le biais d’un compromis: ils servent alors à assurer
l’identité des images. Mais l’emprunt sert aussi de référent à un univers cinématographique
codifié, celui du Space-Opera et des films épiques hollywoodiens où il est d’usage d’utiliser
l’œuvre de Holst sur les images du film.
Un autre exemple plus particulier provient de l’utilisation d’un très bref segment de Mars
dans La planète des singes de Danny Elfman. Un dérivé du premier motif de cuivres du
mouvement de Holst est utilisé au moment où le héros retourne sur terre à bord d’une navette
spatiale, à la fin du film. Au cours de son voyage mouvementé dans l’espace, un plan d’une
planète apparaît à l’écran (1). C’est à ce moment précis que le compositeur a décidé de faire
----------------(1) Voir séquence vidéo numéro 4.
65
apparaître cet extrait emprunté au célèbre mouvement de Holst. Nous avions déjà mentionné
cet emprunt dans notre second chapitre, mais sans véritablement insister sur l’enjeu d’un tel
procédé.
La planète des singes n’est pas un Space-Opera à proprement parler. La majeure partie du
film se déroule sur cette planète dominée par des singes civilisés vivant comme des êtres
humains, ces derniers étant réduits à leur tour à l’état d’esclavage. On rangerait plutôt le film
de Tim Burton dans la catégorie de la science-fiction, mais la séquence de la planète vers la
fin du film permet à Danny Elfman de recouper les idées et de faire une sorte de renvoi à
l’univers musical du Space-Opera personnifié par l’indispensable mouvement de Mars.
Certes, le renvoi est ici très bref (d’autant qu’il n’y a pas de véritables traces de l’ostinato),
mais par rapport au spectateur suffisamment attentif à cela, cet emprunt pourrait s’apparenter
à une sorte de référent musical discret à la culture du film de Space-Opera.
Ainsi, l’image de la planète flottant dans l’espace et vue à travers le hublot d’un vaisseau
spatial possède un sens nouveau par rapport à l’utilisation d’un passage emprunté à Holst
à ce moment précis. C’est comme si le compositeur essayait de dire à son public qu’il est en
train de regarder des images le renvoyant au monde du Space-Opera, avec une petite touche
d’humour non négligeable. Cet exemple n’est pas forcément le plus marquant, étant donné la
brièveté de l’emprunt à Mars, mais il a au moins le mérite d’être clair dans la façon dont il
apparaît sur les images du film, élément indissociable ici à la compréhension de l’emprunt à
Holst dans cette scène finale du film de Tim Burton. Nous pouvons donc affirmer que c’est
bien souvent le film qui s’impose à l’œuvre des Planètes et non l’inverse. Un film de SpaceOpera devient, dans la mémoire collective, indissociable de l’œuvre de Holst. Les images de
ce genre cinématographique priment donc sur la musique inspirée des Planètes. La
banalisation du code image/musique a finalement pour effet de changer le rôle de la musique
dans le film: l’emprunt à Holst peut servir à soutenir les images comme n’importe quelle
musique de film, avec un rôle majeur de complément d’information. Mais le fait que le public
rattache automatiquement aux images des films de Space-Opera la musique de Holst
(puisque, comme nous l’avons mentionné plus haut, ils connaissent déjà le style de musique
qu’ils vont entendre dans ce genre de film) nous prouve bien que la musique des Planètes sert
aussi de renvoi aux images qui constituent l’univers de ces grandes fresques épiques, la
musique s’effaçant alors ici au profit des images, devenues l’élément majeur dans cette
culture cinématographique hollywoodienne. Le code image/musique impose finalement la
suprématie des images sur la musique, l’imagerie visuelle des grandes productions épiques
hollywoodiennes ne pouvant plus se faire sans faire appel à l’œuvre de Holst.
66
C’est ce qui nous amène finalement à nous intéresser en dernier point sur la relation du code
de l’œuvre entre le compositeur et son public.
67
III – Les codes de l’œuvre modèle et son évolution dans la musique de film:
une relation mutuelle ente le compositeur et le public.
Nous devons maintenant envisager les conséquences de la banalisation sur le plan des codes
et sa réception par le public. L’une des premières conséquences est le fait que le public
reconnaisse facilement le code plus que l’œuvre d’origine. Ceci est particulièrement flagrant
lorsqu’on interroge une personne quelconque après l’audition d’un extrait de Mars dans une
musique de film et que cette dernière fait presque automatiquement le rapprochement avec
des images de grandes fresques épiques. Nous l’avons déjà vu auparavant, il s’agit d’une des
conséquences de la banalisation images/musique.
Une autre conséquence est le fait que le public n’entend plus finalement que des extraits de
l’œuvre, souvent véhiculés par des ouvrages de seconde-main (emprunts de Silvestri, Conti,
Elfman, Jones, etc.). Evidemment, seuls les mélomanes avec une certaine culture musicale
connaissent l’œuvre originale dans son intégralité (concerts, enregistrements, etc.). Il est donc
important de bien faire la distinction entre l’œuvre d’origine en tant que musique pour ellemême et en tant que référence dans la musique de film. Les Planètes de Holst continuent
d’exister pour elle-même, son identité musicale n’étant absolument pas remise à cause. Le
public de cinéma n’entend que des extraits dérivés de l’œuvre d’origine. Une œuvre musicale
possède un début, une fin et un développement. Elle existe ainsi en tant que telle. Lorsqu’un
compositeur décide de reprendre un extrait de cette œuvre dans une musique de film, il
n’utilise jamais l’intégralité de l’œuvre musicale. L’intérêt de cette utilisation d’extraits
musicaux préexistants au cinéma réside essentiellement dans l’adéquation entre certaines
phrases musicales fortes et des images du film évoquées par la musique elle-même, mais si
l’on isole un extrait des Planètes de Holst, il perd le sens voulu par le compositeur à l’origine.
C’est comme si nous prenions une image d’un film et que nous l’isolions. Certes, l’image peut
être belle, mais nous ne pourrons pas forcément la comprendre: elle ne dit pas forcément ce
qu’est le film. Pour les emprunts à l’œuvre de Holst, c’est le même principe: les extraits de
pièces des Planètes utilisent des images d’ambiance voulues par le compositeur, mais ne nous
suffisent pas à avoir une idée précise de la partition dans son ensemble. Ceci ne dénature pas
forcément l’œuvre d’origine de Holst, car, comme nous l’avons déjà mentionné un peu plus
haut, la suite des Planètes continue d’exister en tant que telle. Le problème vient surtout du
fait que les cinéphiles seraient plus en mesure de définir l’œuvre de Holst par rapport au
vocabulaire cinématographique et non musicologique. Ainsi, pour eux, les Planètes sont
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évocatrices d’images de science-fiction, des batailles spatiales de Star Trek ou de Star Wars,
des systèmes spatiaux, des sons de vaisseaux ou de laser, etc. on assiste à ce moment là à un
glissement identitaire de l’œuvre dans l’univers cinématographique des films de Space-Opera.
Le problème ne se limite d’ailleurs pas forcément aux cinéphiles mais à n’importe quel
spectateur/auditeur. Quelqu’un qui entendrait Mars dans une musique de film sans connaître
l’œuvre d’origine risquerait de croire que les Planètes est une œuvre guerrière, alors qu’il ne
s’agit en fait que d’un extrait d’un seul mouvement de l’œuvre de Holst (ceci peut d’ailleurs
s’appliquer aux autres mouvements: Jupiter, Saturne, etc.). C’est une autre des conséquences
de cette banalisation de l’œuvre de Holst dans le cinéma hollywoodien. Afin de mieux
comprendre le problème du glissement identitaire de l’œuvre de Holst, nous proposons une
analogie avec les pochettes de disques contenant un enregistrement des Planètes de Holst.
La pochette de la version des Planètes par John Elliot Gardiner (Philharmonia Orchestra) chez
Deutsche Grammophon (1) est tout à fait représentative de ce glissement identitaire: banalisé
et largement popularisé par son utilisation dans les films de Space-Opera, le mouvement de
Mars a inspiré aux auteurs de la pochette de ce disque l’utilisation d’une gravure bleue
représentant un guerrier romain sur un fond étoilé. Cette gravure est probablement issue d’une
représentation du dieu romain de la guerre voire du guerrier idéal, un élément que l’on
retrouve très souvent dans l’univers des héros de films de Space-Opera. (Luke Skywalker
dans Star Wars est le personnage emblématique de ce style de héros guerrier habituel et
quasiment inspiré des héros de la mythologie grecque). Cette thématique guerrière de la
pochette du disque est accentuée par le choix d’inclure avec l’œuvre de Holst la pièce
symphonique The Warriors par le compositeur australien Percy Grainger. Nous rejoignons ici
cette idée du glissement identitaire illustré par notre propos sur l’idée de réduire l’œuvre des
Planètes au style guerrier de Mars, une conséquence de ce phénomène de banalisation dans la
musique de film. Rappelons que l’œuvre des Planètes n’est pas un hymne à la guerre. Il s’agit
en fait d’une affirmation de la prédominance de l’esprit sur la matière retranscrite par le
parcours des sept mouvements de la suite (de la bestialité terrienne de Mars à la grandeur
métaphysique de Neptune). Cette vision fournie par la pochette de ce disque trouble en fin de
compte le sujet de Holst par la référence à un univers mythologie plus proche du SpaceOpera.
Un autre exemple plus frappant provient de l’enregistrement publié chez Decca Records (1) et
--------------------(1) Pour les références discographiques, nous vous renvoyons à la bibliographie publiée en fin de volume.
69
interprété par le Los Angeles Philharmonic Orchestra, dirigé par Zubin Mehta. Evidemment,
la pochette du disque inclut les indispensables images habituelles de planètes dans l’espace.
Mais la particularité de cet enregistrement, c’est l’inclusion d’une suite extraite de Star Wars
de John Williams. Les concepteurs de ce disque ont évidemment fait le rapprochement entre
l’imagerie musicale de l’œuvre de Holst et celle, plus populaire, du Space-Opera représenté
par l’œuvre symphonique de Williams. Ici, l’idée de la banalisation est plus qu’évidente:
l’œuvre de Holst, ainsi mise en parallèle avec une autre partition s’inspirant d’un passage de
Mars, nous permet d’entendre ainsi l’œuvre originale et une musique de film de Space-Opera.
Quelque part, ce disque évoque en lui-même cette idée du glissement identitaire de l’œuvre en
tant que telle devenant un référent musical fait pour un univers culturel populaire, le disque
étant là pour nous permettre de faire la part des choses.
Enfin, l’une des conséquences majeures de cette banalisation est bien évidemment la
répercussion qui se crée sur les codes de la musique de Holst. Nous devons maintenant nous
interroger sur l’évolution de ces codes entre les compositeurs de musique de film et le public:
comment ces codes évoluent-ils d’une référence à l’autre, et quelle est la part active du
compositeur et du public dans cette évolution?
A la base de tout projet visant à s’inspirer d’une œuvre préexistante, il y a la volonté, en
musique de film, de reprendre les codes de la pièce d’origine et de les adapter au contexte du
film, souvent à la demande du réalisateur ou du producteur. Les compositeurs reprennent donc
ces codes, l’adaptation précise aux images étant évidemment le facteur créatif majeur dans la
musique d’un film. Bien souvent, ce code est modernisé, comme c’est le cas pour
l’indispensable ostinato de Mars qui, s’il évoquait le bruit des bottes allemandes pour le
public de 1920, est aujourd’hui ancré dans l’univers des films de Space-Opera avec ces
images de vaisseaux spatiaux et de combats épiques.
Par la suite, à la vision du film, le public reçoit ces codes et les interprète suivant sa propre
sensibilité et son propre environnement culturel. Si le public réagit positivement à ce code,
c’est que le but recherché par le compositeur et le réalisateur est bon. L’adéquation
image/musique devient alors le facteur essentiel dans la perception des codes de l’œuvre
modèle par le public. Ce dernier a donc une action indirecte qui va influencer par la suite les
compositeurs et les réalisateurs.
Ces derniers vont reprendre la pièce et s’inspirer cette fois-ci du code, non pas de l’œuvre
modèle, mais du code en tant que référence ancrée dans l’esprit du public. Les compositeurs
ont à ce moment là une action directe sur le public: ils lui transmettent le code devenu une
référence et assument ainsi la pérennité du code dans la musique de film.
70
Finalement, le code s’enrichit par l’action indirecte du public et l’action directe des
compositeurs (c’est eux qui créent). Le code repris du Mars de Holst devient une référence
pour le Space-Opera, et par son parcours entre la création des compositeurs et l’esprit du
public, il devient une sorte de référence de la référence. Il n’est plus simplement qu’une
référence à l’œuvre de Holst, il devient ainsi la nouvelle référence d’un univers
cinématographique codifié à partir d’une référence musicale préexistante. L’identité musicale
de l’œuvre est finalement dissoute sous l’action corrosive de ce phénomène de banalisation et
cette codification de l’œuvre musicale devenue exclusivement cinématographique.
Il existe donc un effet de boucle entre le compositeur (et son réalisateur) et le public: chacun
possède son rôle à jouer dans l’évolution du code repris de l’œuvre modèle. Afin de
comprendre les enjeux de cette relation du code et de ceux qui l’alimentent, il nous faudra
résumer notre réflexion sous la forme d’un schéma récapitulatif:
3
Les
Planètes
de Holst
1
Compositeurs
de musique
de film et
réalisateurs
Public
du film
2
Légende:
1 - Les compositeurs de musique de film reprennent les codes des Planètes de Holst.
2 - Les compositeurs transmettent ensuite le code au cinéma, en arrangeant des extraits de
l’œuvre modèle pour les besoins du film.
3 - Le public reçoit ces codes et les interprète d’une certaine façon. Les codes deviennent
alors une nouvelle référence ancrée dans l’esprit du public pour les compositeurs et leurs
réalisateurs, ce qui permet finalement au code d’évoluer, renvoyé ensuite au public, et ainsi de
suite.
Le schéma nous montre donc qu’il y a une continuité dans cette évolution: le code est adapté
pour de nouveaux contextes (ici, le cinéma) et reste toujours en évolution perpétuelle grâce à
l’association d’idées faite par le public. Or, nous l’avons déjà vu auparavant, un code ne peut
pas rester figé, il change en même temps que le monde évolue. Le code possède aussi
plusieurs faces: on peut l’utiliser de différentes façons (nous l’avons déjà démontré au cours
de notre second chapitre) tout en faisant en sorte que le public puisse le comprendre et le
déchiffrer parfaitement dans les films.
71
Evidemment, il ne faut pas oublier l’importance des réalisateurs dans le choix de cette
utilisation de l’œuvre de Holst au cinéma. Si George Lucas, en 1977, a décidé de mettre un
passage de Mars dans le temp-track de Star Wars, c’est qu’il avait compris tout le potentiel
d’association image/musique que l’on pouvait faire à partir de ce mouvement des Planètes
dans le film. Par la suite, si un réalisateur met un extrait de Mars ou d’un autre passage des
Planètes dans son temp-track, c’est qu’il l’a déjà entendu auparavant dans un film et qu’il sait
que cela fonctionne.
Plus que le simple fait de la banalisation image/Holst, on retrouve ici le principe de
l’évolution perpétuelle du code de l’œuvre musicale, due en grande partie à la relation
mutuelle qu’entretiennent le compositeur et le public, chacun agissant à sa manière sur l’autre
pour que l’œuvre modèle et ses codes perdurent toujours au cinéma.
72
Conclusion
En posant une problématique formulée sous la forme du triptyque ‘œuvre modèle de
Holst/compositeurs de musique de film/public de cinéma’, nous avons réussi à établir des
liens existants entre ces trois paramètres. Nous sommes ainsi parvenu à mettre en évidence la
diversité des emprunts à l’œuvre de Holst dans la musique de film. Nous avons navigué entre
les concepts d’esthétique brièvement formulés lors de notre introduction, à savoir l’imitation,
la copie ou bien encore l’allusion. Nous avons aussi souligné la démarche du compositeur en
collaboration avec le metteur en scène et son film. Les reprises de l’œuvre ne se font que par
fragments adaptés au contexte du film. Ceci nécessite une réelle démarche de composition qui
pourra varier d’un musicien à l’autre suivant son propre projet compositionnel. Avec la
relation aux images, la musique s’appuie sur des codes que le public partage avec le musicien,
la démarche de l’un se nourrissant de l’autre, et ce de manière réciproque.
Notre réflexion nous a surtout permis de mettre en évidence l’importance insoupçonnée du
public de cinéma par rapport à ces reprises. Effectivement, nous n’avions pas encore saisi, au
début de notre travail, tout le poids de ce paramètre majeur dans la musique de film. Nous
nous sommes finalement rendu compte à quel point le public possède une part active dans le
processus de composition des musiciens du cinéma, au service des réalisateurs. Rappelons
que le cinéma hollywoodien s’adresse avant tout à un très large public. Suivant cette idée, les
musiciens américains doivent respecter leurs engagements auprès des réalisateurs et des
producteurs désireux de toucher un grand nombre de spectateurs avec les grandes productions
épiques et les films de Space-Opera, le genre privilégié pour l’utilisation des Planètes de
Holst. Cette interaction du public dans les compositions des musiciens est une des
particularités de la musique de film, un genre sans limite et ouvert à toutes les influences.
Lorsqu’un musicien écrit une pièce de musique pour elle-même, il sait qu’elle va être
interprétée devant un public ayant une certaine éducation musicale. Dans ce cas précis, la
relation compositeur/public nous renvoie au schéma classique des musiciens écrivant pour les
salles de concert. Dans le cadre de la musique de film, c’est un tout autre univers. Le public
possède un rôle plus actif qui va bien au-delà du simple rôle d’auditeur, et le compositeur doit
en tenir compte, car il participe à un projet artistique plus vaste et surtout, beaucoup plus
global. Il n’est donc plus le seul maître à bord. Nous retrouvons finalement les deux concepts
de ‘musique pour elle-même’ et de ‘musique pour le cinéma’, placés cette fois-ci du point de
73
vue des auditeurs. Le public des salles de concert vient écouter l’œuvre musicale pour ellemême. Mais le spectateur de cinéma (qui est aussi auditeur en même temps) regarde le film et
écoute la musique, simultanément. C’est un spectacle total, à l’instar de l’opéra. Nous
comprenons ainsi mieux l’approche musicale symphonique voulue par John Williams sur Star
Wars, le film étant considéré à juste titre comme le ‘père’ du Space-Opera de la fin des
années 1970. Le film devient ainsi une sorte de grand opéra moderne, sans l’apport de l’art
lyrique mais avec le même souci du spectacle total, idée que défendait énergiquement à son
époque Richard Wagner. Les compositeurs de musique de film doivent ainsi tenir compte des
exigences du public et connaître la musique que les spectateurs auraient envie d’entendre dans
le film. C’est pour cette raison que nous avons tant insisté dans notre première partie sur la
question du code, nécessaire à la collaboration compositeur/réalisateur de cinéma.
D’un point de vue méthodologique, nous avons pris conscience du fait que nous n’avons pas
totalement répondu à la question du code. Notre sujet nous a demandé d’écarter certaines
pistes pour ne retenir que celles en rapport avec les compositeurs de musique de film et
l’œuvre modèle de Holst. Nous pourrons néanmoins nous interroger sur la réelle efficacité de
notre méthode. Certes, la question du code reste encore à creuser, à approfondir. D’un autre
côté, nous espérons avoir mis en évidence tous les éléments nécessaires à la réflexion du
concept de code dans la musique de film, vu surtout dans le contexte du phénomène majeur de
la banalisation, dont les conséquences sur le code de l’œuvre musicale ont été traitées au
cours du second et du troisième chapitre.
Il s’agit ici aussi, d’une autre grande découverte majeure au cours de notre travail. Nous nous
sommes progressivement rendu compte de l’importance du code et de son enjeu par rapport
au film et au public. La codification des emprunts à l’œuvre de Holst a fini par prendre tout
son sens: Le code est un nouveau langage qui permet au compositeur de transmettre le sens du
film au public, permettant ainsi une évolution continue de cette codification musicale par le
biais du spectateur qui exprime sa perception de l’œuvre musicale et ses attentes par rapport à
la musique de ces films. Au final, les codes de l’œuvre de Holst ont été repris, modifiés et
adaptés à travers la musique de film, créant une nouvelle référence cinématographique dans
ces codes, amplifiés par les images du film. Ceci reste la conclusion majeure que nous devons
apporter à notre problématique d’origine sur la question de la réutilisation d’œuvres
préexistantes.
Notre travail sur les exemples musicaux n’est pas exhaustif. Il existe sans aucun doute
d’autres musiques de film s’inspirant de près ou de loin des Planètes de Holst. Nous
retrouvons par exemple l’influence de l’ostinato de Mars dans le générique de début du
74
Godzilla (1) de David Arnold. Nous pourrions aussi évoquer la musique de L’île aux pirates
(2) de John Debney, film de pirates épique dans lequel le compositeur s’inspire parfois du
style de Mars.
Notre travail nous ouvre ainsi quelques perspectives intéressantes sur le sujet de la
réutilisation de pièces préexistantes dans la musique de film. Comme tout style musical, la
musique de cinéma se nourrit de diverses influences, et les musiciens qui créent cette musique
ne sont pas ignorants des traditions musicales héritées des siècles passés. Au lieu de nous
limiter qu’à une seule œuvre modèle, il serait aussi particulièrement intéressant de voir la
façon dont certains musiciens s’emparent d’un style musical pour le réadapter aux images. Le
sujet serait beaucoup plus vaste, mais tout aussi riche et passionnant. Nous pourrions de
nouveau centrer la réflexion autour du concept de code et voir la façon dont les compositeurs
manieraient ces codes par rapport aux images du film.
Notre sélection d’exemples musicaux s’est essentiellement attachée à évoquer les emprunts
les plus connus et les plus flagrants dans la musique de film hollywoodienne, mais ce travail
pourrait aussi se poursuivre sur d’autres partitions pour le cinéma (y compris dans le cinéma
européen). Nous pourrions ainsi multiplier les exemples d’emprunts d’œuvres du répertoire
‘classique’ dans la musique de film, en poursuivant ce travail sur les reprises du célèbre O
Fortuna des Carmina Burana de Carl Orff. Cette pièce semble avoir, elle aussi, trouvé un écho
favorable auprès des musiciens des grands films épiques et chevaleresques, d’une manière
tout à fait similaire aux Planètes de Holst. Dans le cas de Orff, nous penserions à des films
tels que Le dernier des mohicans (3), Glory (4), Jeanne D’Arc (5) ou bien encore Excalibur
(6), célèbre épopée chevaleresque dans laquelle la pièce de Orff est utilisée de manière assez
---------------(1) Titre original: Godzilla, 1998, réalisé par Roland Emmerich.
(2) Titre original: Cutthroat Island, 1995, réalisé par Renny Harlin.
(3) Titre original: The Last of The Mohicans, 1992, réalisé par Michael Mann, musique de Trevor Jones et
Randy Edelman.
(4) Titre original: Glory, 1989, réalisé par Ed Zwick, musique de James Horner.
(5) Titre original: Jeanne d’Arc, 1999, réalisé par Luc Besson, musique d’Eric Serra.
(6) Titre original: Excalibur, 1981, réalisé par John Boorman, musique de Trevor Jones.
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marquante par rapport aux images. Nous pourrions aussi voir l’influence qu’a eu le célèbre
Sacre du printemps de Stravinsky sur des compositeurs hollywoodiens tels que John Williams
ou
Jerry Goldsmith. A ce sujet, une analyse de sa partition pour le film de science-fiction
Outland (1) serait fort passionnante: elle nous révélerait, sur plus d’un point, l’importance de
Stravinsky sur le style de composition choisi par Goldsmith pour le film de Peter Hyams.
Dans tout les cas, la méthode appliquée à Holst pourrait probablement s’accommoder à ce
nouveau travail, même s’il serait bon de ne pas se limiter, à ce moment précis, au seul cas de
la musique de Jerry Goldsmith. Nous pourrions alors tirer de nouvelles conclusions sur la
relation entre les codes musicaux de l’œuvre adaptées aux images et la perception de cette
musique par le public.
Nous souhaiterions que ce travail puisse faciliter à l’avenir les recherches sur les musiques de
film, en espérant qu’un accord puisse être trouvé avec les majors de cinéma pour permettre
aux étudiants et aux chercheurs d’avoir plus facilement accès aux conducteurs des musiques
de film. Les études plus approfondies sur les musiques de film ne pourront vraiment se faire
qu’à ce moment là.
-------------------
(1) Titre original: Outland, 1981, réalisé par Peter Hyams, musique de Jerry Goldsmith.
76
Index des noms de personnes
ANDERSON, Gerry 29
ANDERSON, Sylvia 29
ARNOLD, David 74
BACH, Jean-Sébastien 11
BAX, Clifford 8, 13
BARRON, Bebe 31
BARRON, Louis 31
BARRY, John 37
BEETHOVEN, Ludwing Van 6
BERLIOZ, Hector 18
BESSON, Luc 74
BOGHOSSIAN, Claire 10, 13, 15, 19, 26,
27, 28
BOORMAN, John 74
BRAHMS, Johannes 6
BURTON, Tim 35, 47, 49, 65
CARPENTER, John 32
CARTIER, Rudolph 29
CHION, Michel 2, 29, 53, 54, 55
CONTI, Bill 33, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 44,
45, 46, 48, 58, 62, 64, 67
COPPOLA, Francis Ford 35
DEBNEY, John 74
DEBUSSY, Claude 3, 8, 24, 53, 54, 57
DUKAS, Paul 8, 57
DVORAK, Anton 32
EBIRI, Bilge 29
EDELMAN, Randy 74
EIDELMAN, Cliff 36, 45
ELFMAN, Danny 35, 47, 48, 49, 51, 58, 64,
65, 67
EMMERICH, Roland 74
GARDINER, John Elliot 68
GLENN, John 34, 70, 41, 46, 62
GODDARD, Gary 35
GOLDSMITH, Jerry 3, 37, 53, 54, 55, 75
GRAINGER, Percy 68
GRAY, James 36, 56
GREENE, Richard 2, 6, 8, 9, 10, 12, 13, 15,
16, 17, 18
HANDLER, Leo 56
HARLIN, Renny 74
HELSING, Van 44
HOLST, Imogen 2, 14
HOPKINS, Anthony 44
HORNER, James 3, 74
HYAMS, Peter 75
JONES, Trevor 35, 46, 47, 51, 67, 74
KAUFMAN, Philip 33, 34, 62
KILAR, Wojciech 35, 43, 44
KORNGOLD, Erich Wolfgang 30
KUBRICK, Stanley 3
LE JEUNE, Vivien 52
LEO, Alan 8, 11, 19
LEONE, Sergio 42
LIGETI, György 53
LISLE, Rouget de 59
LUCAS, George 29, 30, 31, 32, 33, 55, 71
LUNDGREN, Dolph 64
MACAN, Edward 20, 21
MANN, Michael 74
MEHTA, Zubin 69
MENDELSSOHN, Félix 6
MEYER, Nicholas 63
MOZART, Wolfgang Amadeus 22, 40
NORTH, Alex 52
ORFF, Carl 6, 26, 74
PENDERECKI, Krzystof 53
PROKOFIEV, Sergeï 30
PROYAS, Alex 35, 46
PURCELL, Henry 6, 15
RAIMI, Sam 35, 42
RAVEL, Maurice 3, 26, 57
ROZSA, Miklós 52
RUSSEL, Ken 29
77
SCHOENBERG, Arnold 8, 15, 40
SCOTT, Ridley 35, 55
SERRA, Eric 74
SHORE, Howard 36, 55, 56
SHORT, Michael 2, 7, 8, 10, 16, 28, 36, 54
SILVESTRI, Alan 35, 42, 43, 44, 48, 51, 62,
67
SKYWALKER, Luke 68
SOUDE, Olivier 52
SOURIAU, Etienne 2, 21, 22, 25, 38, 39, 48
SPIELBERG, Steven 29, 57
STRAUSS, Richard 11, 20, 24
STRAVINSKY, Igor 8, 15, 30, 57, 75
TCHAIKOVSKY, Pyotr Il’yich 32, 34, 40
TEMPLEMAN, Harcourt 29
VISCONTI, Luchino 3
WAGNER, Richard 3, 10, 15, 73
WAHLBERG, Mark 47, 56
WEINHOLZ, Eckhard 40
WILCOX, Fred M. 31
WILLIAMS, John 3, 30, 31, 32, 33, 57, 62,
63, 69, 73, 75
YEAGER, Chuck 40
ZIMMER, Hans 35, 45, 49, 50, 51, 52
ZWICK, Ed 74
78
Index des titres de films
2001, l’odyssée de l’espace 3, 32
Alien, le huitième passager 37, 53, 54, 55
Bells, The 29
Dark City 35, 46, 47, 57
Dark Star 32
Dernier des Mohicans, Le 74
Dracula 35, 43, 44, 58
Excalibur 74
Etoffe des héros, L’ 33, 34, 38, 39, 41, 44,
45, 46, 57, 58, 62
Godzilla 74
Gladiator 35, 45, 46, 49, 52, 53, 62
Glory 74
Hook 57
Ile aux pirates, L’ 74
Jeanne d’Arc 74
Mort à Venise 3
Mars Attacks! 49
Maîtres de l’univers, Les 33, 35, 44, 64
Mort ou vif 35, 42, 43, 44, 62
New Guy 29
Outland 75
Planète interdite 31
Planète des singes, La 35, 47, 51, 58, 64, 65
Quatermass Experiment, The 29
Star Wars 4, 29, 30, 31, 32, 33, 55, 62, 68,
69, 71, 73
Star Trek 68
Space:1999 29
Star Trek VI 36, 45, 58, 63
Trou noir, Le 37
Yards, The 36, 55, 56
79
Index général
5 pièces pour orchestre opus 16 8
Apprenti sorcier, L’ 8, 57
Boléro 26
Breaking The Sound Barrier 34, 38, 40
Barbarian Horde 35, 45, 50
Battle, The 35, 49, 50, 51
Mars 2, 3, 9, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 26, 29, 30, 31, 33, 34, 35, 36,
38, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50,
51, 52, 53, 57, 58, 59, 61, 62, 64, 65, 67, 68,
69, 70, 71, 73
Mercure 2, 9, 11, 57
Main Title 37, 44
Marseillaise, La 59
Nuages 54
Cheltenham 2
Neptune 2, 7, 9, 12, 23, 24, 29, 33, 34, 40,
Carmina Burana 6, 26, 74
57, 68
Crépuscule des dieux, Le 10
Choral Hymns from the Rig Veda opus 26 20
Oiseau de feu, L’ 57
Concerto pour violon 34
Overture 36, 45
Dulwich Picture Gallery 10
Planètes, Les 2, 3, 6, 7, 8, 10, 11, 13, 15, 16,
Deutsche Grammophon 68
17, 18, 19, 20, 22, 24, 25, 27, 28, 29, 32, 34,
Decca Records 68
36, 40, 50, 52, 57, 59, 61, 62, 63, 64, 65, 67,
Dreams to Dream…s 51, 52
68, 70, 71, 72, 73, 74
Philharmonia Orchestra 68
Egdon Heath 13
Ein Heldenleben 20, 24
Return, The 35, 47, 49
Echoplex 54
Folk songs 6, 16
Fugal Concerto, A 13
Four Flute Tune 36, 54
Golden Age hollywoodien 3, 29
Glenn’s Flight 34, 40, 41, 45
Gladiator Waltz, The 50
Hollywood 2, 28, 29, 31, 43, 57
Harmonie des sphères, L’ 8
Heroic-fantasy 64
Saturne 2, 9, 11, 12, 23, 24, 29, 31, 36, 37,
53, 54, 55, 56, 57, 68
Sacre du printemps, Le 8, 75
Sirènes 8, 24
Suite en si 11
Symphonie fantastique, La 18
Space-Opera 28, 29, 30, 31, 33, 41, 45, 55,
59, 61, 63, 64, 65, 68, 69, 70, 72, 73
Strangers are tuning, The 35, 46
To Agni 20
Temp-track 31, 32, 33, 40, 57, 63, 71
Images d’ambiance 10, 11, 27
Uranus 2, 12, 34, 57
Jupiter 2, 7, 15, 16, 26, 31, 33, 34, 36, 38, 39,
Vénus 2, 7, 12, 29, 57
40, 57, 58, 68
Vampire Hunters 35, 43
Klangfarben 12
What’s an horoscope 8, 19
Warriors, The 68
Los Angeles Philharmonic Orchestra 69
Western-spaghetti 42
80

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