Et au milieu, coule une rivière

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Et au milieu, coule une rivière
People
Portrait
Et au milieu,
coule une rivière...
© Xavier Granet
« Fundraiser de l'Année 2012 », Céline Aimetti est Secrétaire générale de la Fondation Alain Charrier
sous égide de la Fondatin Caritas France, et Déléguée Générale de l'association Clubhouse France qui
implante en France des lieux d'activités de jour pour personnes atteintes de troubles mentaux. Une
passerelle entre la rive "hôpital psychiatrique" et la rive "insertion durable". Un pont de plus pour
Céline Aimetti, experte en jonction de rives...
ne moitié du cerveau semble
foncer sans se poser de question,
tandis que l'autre a l'air de passer son
temps à peser, évaluer, comprendre.
Une moitié s'enthousiasme sans retenue tandis que l'autre, jamais vraiment satisfaite, cherche à toujours
faire mieux. « Bordélique » mais bosseuse. Idéaliste mais rigoureuse. Aussi
à l'aise en tongs avec des enfants des
rues, qu'en talons dans un cocktail
mondain. Céline Aimetti fait partie des
grands écarts incarnés. C'est dans son
ADN : père juif italien, mère musulmane kabyle.
Enfance parisienne. Elle commence
l'école à 3 ans et passe son bac à 16.
« Je n'étais pas surdouée, j'étais suractive... ». Humour en paravent toujours,
face à ses accomplissements, pour
masquer l'oscillation entre profonde
humilité et légitime fierté. Enfance à la
croisée des cultures, émaillée de nombreux voyages qui lui ont permis de
« réaliser très tôt que la majorité des
humains n'avaient pas ma chance ».
Alors déjà au lycée, elle tente d'être
« un petit pont pour lier ceux qui ont des
besoins et ceux qui ont des moyens » :
maraudes, quêtes alimentaire...
Pour ses études, le « petit pont »
s'oriente vers la communication et le
CESEM à Reims. Le cursus l'amène à
Dublin. Embauchée dans une agence
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de publicité locale, elle planche sur
son premier projet de mécénat - Tesco
Computers for Schools - qui équipe
des classes rurales en ordinateurs.
Emballée par ce « capitalisme au
service de l'intérêt général », une fois
rentrée en France et alors qu'elle se
lance dans un Master de marketing à
Sciences Po, elle cherche un stage
dans le mécénat... Elle atterrit finalement au planning stratégique d'IBM.
Plongée dans le monde « un peu déshumanisé » des « pingouins », au 35e
étage d'une tour de la Défense...
En manque de rives où s'ancrer, peu à
l'aise à cheval au dessus de la rivière
du profit, elle décide d'écouter l'envie d'humanitaire qui la taraude.
Démission, départ pour un an en
Afrique subsaharienne. Seule. « Sans
expérience ni formation adéquate, évidemment, aucune ONG ne voulait
m'envoyer ». Education au Mozambique, spectacles de marionnettes à
Soweto, tri des céréales au Sénégal...
Un périple aussi merveilleux que
difficile, dont elle ressort avec la
volonté définitive de mettre ses compétences au service de la solidarité.
Revenue en France, elle trouve une
mission à la Fondation Nature & Découverte. L'expérience la « réconcilie
avec l'entreprise ». Puis elle croise la
route de TBWA Corporate Ressources
Non Profit, alors en création. Evidence
du métier de fundraiser. Elle fonce.
Chez Ressources, elle « apprend »,
passe le CFF, s'investit à l'AFF. Galons
de fundraiser gagnés, elle saute sur
l'autre rive, du côté de l'association,
chez AIDES. Embauchée en remplacement sur les legs, elle s'empare peu à
peu des grands donateurs et des entreprises, fourre son nez dans tous les
sujets. Boulimique d'apprentissage, de
travail, de défis.
En 2010, une amie lui présente
Philippe Charrier, homme d'affaires
qui souhaite développer en France le
modèle du Clubhouse, lieu d'accueil
de jour pour personnes atteintes de
troubles mentaux. Coup de foudre
professionnel. « J'ai vu en lui un authentique philanthrope, dans une réelle
démarche de désintéressement... J'ai
aimé le raisonnement, le sérieux de la
démarche et j'ai été touchée par la
cause car un de mes amis d'enfance est
schizophrène... ». Elle donne quelques
conseils, il lui propose de monter le
projet.
Armée d'un ordinateur portable et
d'un mobile, elle se lance sans retenue. Week-ends et jours fériés compris. C'est qu'il ne s'agit plus d'être un
« petit pont » mais de construire un
viaduc au dessus de l'abîme de solitude et de silence : créer le chaînon
manquant entre « rétablissement
médical et épanouissement ». Inciter
à donner pour un sujet que tout le
monde préfère ignorer. Pour porter
cette cause, « la plus difficile que j'aie
jamais eue à défendre », ses premiers
alliés sont les membres du Clubhouse, les « bénéficiaires » étant
impliqués dans la construction du
projet. C'est d'ailleurs – entre autres
– avec ces membres qu'elle veut partager son Prix du Fundraiser de
l'Année. « Ce prix m'a beaucoup stressée... Ce n'est pas de la fausse modestie, j'ai vraiment un problème avec
l'idée d'être mise en avant pour le fruit
de la mobilisation de tant de gens. Je
ne me sens pas tant FUND-raiser que
« mobilisateur de générosités ». Ce
métier est loin de n'être qu'une affaire
de fonds... ». C'est aussi une affaire de
ponts. Au dessus de belles rivières.
n N. W.
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L'anti-solitude
de la coureuse de fonds
© Fondation Telecom
Véronique Sentilhes, Directrice du développement de la Fondation Telecom (Institut Mines Telecom),
dévoile son tempérament de coureuse de fond derrière son métier de coureuse de fonds... ou plutôt
de relayeuse, de passeuse de témoin. De tisseuse de lien.
u'est ce qui fait courir Véronique
Sentilhes ? La réponse, indirecte,
vient plusieurs fois au détour de la
conversation : "l'envie de m'engager
pour un monde un peu plus équilibré".
Peu importe la cause tant que la main
se tend pour en saisir une autre. Fil
d'Ariane, bâton de marche, balancier...
Elle qui trouve son équilibre dans la
course, manifeste pour la première fois
au Lycée ce besoin de s'engager pour
aider autrui à marcher sans tomber.
Premier pied dans l'humanitaire, un
peu par hasard. Le frère d'une amie
monte avec un groupe d'étudiants en
médecine un projet pour Action
Contre la Faim. Elle les rejoint. Sa verve
les convainc, ils lui proposent de lever
des fonds...
Après le bac, elle choisit pharmacie. La
greffe ne prend pas. "Ca m'a un peu
écœurée des études !". En guise de
réorientation, elle se lance dans la vie
active, option marketing et communication. Une fois convaincue de la voie,
elle révise son jugement sur les études
et enchaine un BTS puis Sup de Pub.
Nouvelle incursion dans l'associatif.
Pour son projet de fin d'études, elle organise – avec un comparse coureur,
pédiatre-cancérologue de son état –
une course de collecte de fonds au
profit de l'Institut Curie.
Ce projet lui donne envie de poursuivre dans l'événementiel. Elle postule
en ce sens. Philip Morris la rappelle, séduit par son profil de globe-trotteuse.
Car quand elle ne se défoule pas
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autour d'un stade ou d'un pâté de
maison, c'est autour du monde qu'elle
court. "Toutes mes économies d'étudiante passaient dans des billets
d'avion..." Mais point d'événementiel
au bout du premier rendez-vous. La
multinationale lui propose un poste
de chargée d'études marketing en
création. Elle est un peu dubitative, sur
la fonction, l'entreprise, le secteur d'activité... Elle finit par accepter pour voir
de l'intérieur à quoi ressemble
l'éthique d'un fabricant de tabac... et
de chocolat (elle est accro au cacao).
Elle y restera dix ans, justement pour
"l'éthique remarquable" et surtout
parce qu'on lui fait confiance.
Elle adhère bien à cette "logique américaine", Véronique Sentilhes. Etre formée, encouragée. Créer son équipe et
voir son "potentiel", reconnu, monter
en responsabilité, quand "la France est
un pays où 'casser' les gens est devenu
un sport national". Pas étonnant alors
qu'elle suive avec enthousiasme son
mari transféré à New-York en 1998.
Ambition immersion. Découverte du
"roi dollar", de la pauvreté du système
scolaire public... Revers de la logique
américaine, qui la fait finalement se
sentir "profondément française". Découverte aussi de l'indépendance professionnelle : elle crée sa structure de
conseil en marketing. Au passage, elle
s'offre un marathon. "Pas pour viser une
perf', juste pour aller jusqu'au bout..."
11 septembre 2001. Début d'un déclic.
Elle s'investit dans l'association FrenchAmerican Aid for Children. Ses filles veulent accrocher un drapeau US à la
fenêtre et ne jurent plus que par le God
Bless America. "Là, je mets en place un
plan anti-pensée unique à la maison et
je me dis qu'il est temps de rentrer...".
Back to Paris donc, avec - coté carrière
– la certitude de vouloir mettre ses
compétences au service du non profit.
Assez logiquement, elle se tourne vers
les partenariats entreprise et rencontre
l'association Solidarités. Elle y passera
cinq ans, d'abord aux partenariats puis
comme Directrice Communication /
Collecte. "J'ai adoré. C'est probablement
là où j'ai été la plus épanouie professionnellement, notamment à cause de la très
forte proximité avec les bénéficiaires.
C'est chez Solidarités que j'ai pris
conscience que le lien humain comptait
autant, peut-être plus, que l'aide matérielle. C'est une chose essentielle à apporter à une population en détresse. Lui dire
qu'elle n'est pas oubliée...".
Elle adore mais se fatigue. "L'aide
humanitaire d'urgence c'est aussi commencer et finir ses journées avec des
morts. C'est compenser en énergie, en
temps, ce qui manque en moyens financiers". La coureuse de fond a de la ressource mais sa famille traverse une
période difficile. Impossible d'être sur
tous les fronts, de gérer toutes les
crises. Elle entend alors parler du Groupement des Ecoles Telecom, en quête
d'un directeur de campagne. Une de
ses amies – chercheuse, avec laquelle
elle court, évidemment – lui vante la
qualité de l'établissement. Elle les rencontre et signe, pour une ambition de
collecte de 25 millions d'euros.
Mais comme pour le marathon, cela ne
semble pas tant être la performance
qui mobilise Véronique Sentilhes, que
l’efficacité et la série d'attaches tissées
au fil de la route. "La base de notre
métier c'est d'instaurer un climat de
confiance pour faire naître des liens
entre personnes. C'est cela "créer de la
valeur". Que la rencontre génère quelque
chose de plus..." . Plus que la vitesse, ce
qui fait gagner la course ce sont des
passages de témoin réussis. Entre
chercheurs et entreprises. Entre étudiants et grand public. Entre anciens et
nouveaux diplômés. Et plus encore.
Une anti-course en solitaire.
n N. W.
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Chasseuse de musées
© Bibliothèque nationale de France
Nommée, depuis 2008, Déléguée au Mécénat de la Bibliothèque nationale de France, Kara Lennon
Casanova s’est laissée porter par sa passion des musées pour guider ses choix professionnels. Des
choix qui l’ont menée aux quatre coins du monde et qui font d’elle une optimiste experte de la culture
et de la philanthropie.
ui sait où cette irlandaise de
42 ans, originaire de Dublin,
aurait posé son talent si ce jeune
avocat français, devenu son époux
et le père de ses deux enfants (le second est en route !), ne l’avait
convaincue de s’installer en région
parisienne depuis maintenant dix
ans ? Avant cette rencontre, Kara
Lennon Casanova avait déjà traversé
trois continents et autant d’océans
pour vivre son amour des musées.
Un amour qui est né d’abord à
Bruxelles, où vivaient ses parents.
Après une scolarité francophone,
elle opte pour une maîtrise d’histoire de l’art à l’Université Libre de
Bruxelles. « C’est là que ma passion
pour les musées s’est développée. Je
ne savais pas sous quelle forme j’allais
pouvoir y travailler. Je savais juste que
ce serait plutôt dans la gestion », se
rappelle celle qui, vingt ans après,
porte le mécénat « de la plus grosse
institution culturelle française, avec
2500 employés ! ». Elle se révélera
ensuite au sein de l’Académie
Reinwardt de l’Ecole Supérieure des
Beaux-arts d’Amsterdam, rare établissement, à l’époque, qui soit spécialisé en muséologie (conservation,
scénographie, administration, ...).
« Là bas, j’ai découvert une vocation
pour regrouper des personnes et faire
émerger des projets, pour diffuser la
partie visible de la culture ».
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Nourrie à l’Europe, par un père
impliqué durant trente ans à la
commission européenne, c’est
pourtant en Indonésie que Kara
Lennon Casanova fera son entrée
dans le monde de la philanthropie.
Partie pour 3 mois à Jakarta, elle
y restera deux ans en tant que
Chargée de Mission pour la Banque
Mondiale, avec pour objectif de
conserver le patrimoine culturel et
religieux du pays parmi des projets
d’infrastructure en plein boom.
Début 2000, le musée Guggenheim
de New York, USA, retient sa candidature au poste de Deputy Director
of Special Projects. « C’était vraiment
mon rêve ! Un vrai musée !, s’amuset-elle. J’étais directement rattachée à
Thomas Krens, le Directeur, une figure
géniale et controversée des musées
internationaux ».
Pour le Guggengheim, Kara Lennon
Casanova réussira l’ouverture de
deux galeries d’exposition à Las
Vegas : « un vrai choc culturel ! ». En 18
mois, elle assure ainsi le financement, la construction et l’ouverture
d’une grande galerie d’exposition
avec les architectes Rem Koolhaas et
Frank Gehry au Venetian Hotel, et
d’une autre galerie, plus petite, en
partenariat avec le musée de l’Ermitage de Saint Petersbourg, en Russie.
Et puis voilà, la rencontre, à New
York, avec ce jeune français qui repartait pour Paris... C’est donc à son
bras qu’elle débarque en France, en
2002. Durant quatre ans, elle collectera des fonds pour le Centre du Patrimoine mondial de l’UNESCO.
« Mais mon cœur battait toujours
pour les musées »... Elle accède alors,
en 2005, au poste de Directrice du
Développement International du
Centre Pompidou, à Paris, aux côtés
de son Président, Bruno Racine et
de son Directeur Général Bruno
Maquart. Durant deux ans, elle
développera les projets du musée,
en Asie notamment, et fondera la
première Société d’Amis du Centre
Pompidou au Japon. « Dans ces pays,
les gens ont un amour réel pour la
France. Les relations avec mes interlocuteurs étaient très professionnelles et
très agréables ».
Sauf qu’en 2008, Bruno Racine entre temps nommé à la Présidence
de la Bibliothèque Nationale de
France - lui offre les clés du Mécénat
de sa nouvelle maison. Impossible
de refuser ce projet passionnant :
« d'une page blanche, il fallait créer
une politique de mécénat pour la
BnF ! ». Sa première action sera de
structurer un point d’entrée, « coordonné », pour les projets avec des
besoins de financement. « Il a ensuite
fallu créer des dossiers sérieux de mécénat, puis rencontrer les entreprises.
Pour commencer, les acquisitions
ont été l’axe fort de notre stratégie ».
Stratégie payante puisqu’en février
2010, un mécène anonyme permettait l’acquisition d’un Manuscrit des
mémoires de Casanova d’une valeur
de 7 millions d’euros. Fin 2012, mécènes et grand public finançaient
l’acquisition d’un Livre d’heures de
Jeanne de France, véritable trésor
national du XVe siècle...
Et la crise dans tout ça ? « Le mécénat
reste avant tout une question de projets et de bons projets ! Détaillés, bien
expliqués, et avec des équipes sérieuses »... Est-ce à dire que la mission est facile ? Non, mais elle ne
s’en plaint pas : « j’ai un métier qui est
ma passion, c’est une vraie chance ! ».
D’autres, appellent ça du travail et
du talent...
n C. Q.
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Semeur d'espoirs
Bien malgré lui, Jérôme Deconinck est devenu l’un des collecteurs de fonds les plus habiles de France.
Sa technique est celle de l’éveil des consciences et son credo celui d’une terre agricole protégée, dans
le respect de notre alimentation, de notre santé et de nos paysages.
© Reseau Relier
apprendre aux agriculteurs du Sud »,
estime-t-il humblement. Impatient
d’agir et « d’être acteur » de son
monde, il se forme à la création
d’entreprises en milieu agricole et
découvre RELIER, une association
qui porte et fait connaitre les initiatives en milieu rural. Très vite embauché, il ne la quittera plus jamais
vraiment.
i l’on m’avait dit, il y a dix ans,
que la question du foncier
agricole deviendrait un tel enjeu de
société je n’y aurais jamais cru. Mais
je suis heureux d’avoir contribué à
faire émerger ce débat ! ». A 37 ans,
Jérôme Deconinck est donc un
homme heureux. Accompli dans
son parcours d’homme, de père
de famille et d’entrepreneur. Aujourd’hui, il dirige le fonds Terre de
Liens, un fonds de dotation qu’il
a contribué à faire naître et dont
la mission est de lutter contre l’urbanisation, la spéculation et la concentration des terres agricoles en
redonnant l’accès de ces terres à
de petits agriculteurs bio grâce à la
mobilisation citoyenne. Depuis sa
création en 2003, l'association nationale Terre de Liens - et Jérôme
Deconinck en tête - active les leviers
les plus innovants de la collecte de
fonds en France.
A priori, rien ne prédestinait Jérôme
Deconinck à un tel chemin. Originaire de Lyon, d’un milieu ouvrier,
il suit des études d’ingénieur
agronome à l’ISRA (l’Institut Supérieur d’Agriculture en Rhône-Alpes)
quand il prend conscience que
travailler pour Nestlé ou l’agriculture industrielle ne l’intéresse pas. Il
regarde alors du côté du développement Nord-Sud. Là encore, c’est la
déconvenue : « Nous n’avons rien à
«S
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«
Je suis toujours
touché par les
paysans qui font don
de leur ferme. C’est
un don qui a du sens.
»
Installé au siège de RELIER, en Auvergne, il anime le réseau national
des adhérents et mène les premières réflexions sur les mécanismes d’achat collectif des terres
agricoles pour les protéger. Petit à
petit, il devient expert de ces mécanismes tout en continuant d’accompagner la création de TPE en milieu
rural. Un double expertise qui lui
forge un regard pragmatique : « Pour
reloger des paysans, les beaux discours et la politique ne suffisent pas, il
faut de l’argent. Cela n’empêche pas
la solidarité. Il ne faut pas tout mélanger », résume-t-il très simplement.
Le déclic viendra avec la découverte
de la finance solidaire et de cette
frange de la population prête à
effectuer non pas un don mais un
prêt pour soutenir une démarche à
laquelle elle adhère. C’est dans cet
esprit que RELIER et d’autres partenaires créeront Terre de Liens, un
fonds citoyen de rachat de terres
agricoles pour y installer de petites
fermes. Jérôme Deconinck en
devient salarié et déménage dans
sa Drôme de cœur d'où il lance sa
première collecte de fonds improvisée auprès d’amis et de bénévoles.
Deux mois plus tard, la première
ferme est achetée ! Deux autres
seront acquises au cours de cette
même année.
Conscient de répondre à une
attente de la société, il veut professionnaliser sa démarche et s’inscrit
au Certificat Français du Fundraising
(CFF) : « Pour moi, c’est la découverte
des fondations et du marketing, et j’y
ai acquis une réflexion pour nos premières collectes de fonds ». Réflexion
rapidement mise en œuvre, en
pleine faillite de la banque Lehman
Brothers, fin 2008, quand l’équipe
Terre de Liens lance son premier
appel au public pour collecter trois
millions d’euros et créer la foncière
Terre de Lien… Des centaines d'articles de presse et à peine six mois
plus tard, les objectifs seront dépassés. Terre de Liens collecte 4,5 millions d’euros ! Jérôme Deconinck est
alors repéré par le réseau mondial
des entrepreneurs sociaux Ashoka
dont il devient l’un des membres.
La dynamique s’accélère. Terre de
Lien évolue en une Fédération
Nationale Associative aussi dotée
d’un fonds de dotation pour les
dons de fermes. « Je suis toujours
touché par les paysans qui font don
de leur ferme. C’est un don qui a du
sens », reconnait-il, conscient de sa
responsabilité. Après avoir permis
d’acquérir 2 200 hectares, de constituer un capital de 30 millions
d'euros et de reloger plus de 150
agriculteurs, son graal à lui, maintenant, serait l’obtention du statut
de Fondation Reconnue d’Utilité
Publique pour Terre de Liens.
Confiant et serein, il sait que ce jour
n’est pas loin. Pour lui c’est une évidence : permettre aux citoyens de
prendre leur avenir en main, c’est
être sur le bon chemin.
n C. Q.
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Sous les vents de Mercure
© École polytechnique, J. Barande
Suivez le guide à la rencontre de Céline Morel. La directrice adjointe - fonds annuel et relation alumni
de l’équipe de campagne de la Fondation de l’Ecole polytechnique a reçu le Prix AFF du « Fundraiser
de l’Année » 2013.
S
es études de tourisme la destinaient plutôt à une carrière
sur le chemin des voyagistes. Mais
Céline Morel a, jusqu’ici, plutôt emprunté celui des voyageurs. Pas le
chemin d’une estivante dilettante
et alanguie. Plus sac au dos que
croisière organisée. Système D. en
bandoulière en guise d’appareil
photo autour du cou. Sa voie, c’est
le tourisme yeux grand ouverts,
avide de rencontres, d’apprentissage, de nouveauté... Saisissant
les vents qui portent, plutôt que
de se fixer obstinément un port à
atteindre, peu importe la météo.
A la fin de ses études, la « gamine
de 19 ans » cherche le début de la
route jusqu’à ce que, un peu aiguillée par les flèches de Cupidon, ses
pas la portent à Pittsburgh. Pennsylvanie. USA. Là, elle est embauchée
pour quelques mois par un laboratoire de recherche de l’Université
Carnegie Mellon qui planche sur un
logiciel de traduction simultanée
destiné au secteur du tourisme.
Son rôle : créer un catalogue test
de voyages en ligne. De quoi allier
ses études avec sa connaissance
précoce du web : nous sommes en
1998. « Pour m’amuser, l’été d’avant,
j’avais décidé d’apprendre l’HTML »,
dit simplement Céline Morel.
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La bouture prend. D’organisation
d’une conférence à la gestion des
échanges étudiants, Céline Morel
passera six ans dans ce laboratoire.
Envie d’évoluer. Elle prend rendezvous avec les Ressources Humaines
de l’université qui évoquent un
poste aux « Alumni Relations ». Aux
what ? Loin du petit cercle de son
laboratoire, Céline Morel lève le
voile sur la big picture de l’université, découvre le fundraising (un
département de 200 personnes)
et l’importance de ces fameuses
relations avec les anciens élèves
(17 salariés).
La rencontre avec la directrice du
département scelle le transfert :
elle deviendra son « disque dur externe » pour un nouveau chapitre
du voyage, sous les auspices philanthropiques d’Andrew Carnegie
cette fois. Et si son métier est devenu la mobilisation d’une communauté d’Anciens, elle n’en perd pas
pour autant le nord du Tourisme, se
plaisant à relater ses voyages avec
les professeurs conférenciers.
Dix ans se sont écoulés dans l’écrin
verdoyant de Pittsburgh. Céline
Morel a trouvé une voie professionnelle qui l’épanouit. Mais sur le
plan personnel, l’American Dream
a rencontré des vents contraires.
En France, la loi LRU vient de sortir,
offrant un tremplin au développement de la collecte de fonds privés
de l’enseignement supérieur. C’est
le moment de retraverser l’Atlantique.
Rapidement, Céline rencontre
l’Université Pierre et Marie Curie
(UPMC) qui amorce la création
de sa fondation. Elle est recrutée pour développer le réseau
des Anciens. Une aventure en soi,
« Indiana Jones et les diplômés
perdus », avec plongée en apnée
dans les archives et les sous-sols de
l’établissement, et des rencontres,
beaucoup, comme dans toute
bonne épopée.
Parmi ces rencontres, il y a l’AFF et
ses pair(e)s français(es) de l’enseignement supérieur. Une frange de
la collecte de fonds qui émerge, qui
partage... Après deux ans à l’UPMC,
justement sur le site de l’AFF, elle
découvre sur une annonce le poste
de responsable du fonds annuel
de l’École polytechnique. « Tout
disait : c’est pour toi ». Nouvelle rencontre, nouveau « clic », « et voilà
comment je suis entrée à l’X sans
passer le concours », sourit-elle. Le
fil directeur est toujours présent, en
filigrane : dans le tourisme comme
dans la collecte de fonds, « il faut à la
fois faire rêver et être ultra organisé.
Penser à tout... surtout aux détails ».
Entre les deux, elle fait avancer
la cause de l’Ecole, et contribue à
ce que la campagne dépasse ses
objectifs.
Son Prix du Fundraiser de l’année ?
« Je ne crois pas qu’il récompense les
sommes collectées. Ce métier va bien
au-delà des fonds. Je préfère penser
qu’il vient saluer le projet de l’Ecole
polytechnique, notre capacité à mobiliser plus de 3 000 donateurs, tous
des Anciens ou amis de l’X et la création d’une véritable dynamique ».
Où s’écriront les prochaines pages
du voyage ? Dans un autre secteur ? A l’étranger de nouveau ?
Pour résumer son parcours, Céline
Morel l’affirme : « Tout a été une
affaire de chance et de rencontres ».
La chance comme les rencontres
se provoquent et se saisissent. Ce
sont peut-être les vents de Mercure
– le Dieu messager, le donneur de
chance, le gardien des routes, des
carrefours et des voyageurs – qui
ont gonflé ses voiles. Mais tout
repose dans la main qui tient le
gouvernail.
n N. W.