Et au milieu, coule une rivière
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Et au milieu, coule une rivière
People Portrait Et au milieu, coule une rivière... © Xavier Granet « Fundraiser de l'Année 2012 », Céline Aimetti est Secrétaire générale de la Fondation Alain Charrier sous égide de la Fondatin Caritas France, et Déléguée Générale de l'association Clubhouse France qui implante en France des lieux d'activités de jour pour personnes atteintes de troubles mentaux. Une passerelle entre la rive "hôpital psychiatrique" et la rive "insertion durable". Un pont de plus pour Céline Aimetti, experte en jonction de rives... ne moitié du cerveau semble foncer sans se poser de question, tandis que l'autre a l'air de passer son temps à peser, évaluer, comprendre. Une moitié s'enthousiasme sans retenue tandis que l'autre, jamais vraiment satisfaite, cherche à toujours faire mieux. « Bordélique » mais bosseuse. Idéaliste mais rigoureuse. Aussi à l'aise en tongs avec des enfants des rues, qu'en talons dans un cocktail mondain. Céline Aimetti fait partie des grands écarts incarnés. C'est dans son ADN : père juif italien, mère musulmane kabyle. Enfance parisienne. Elle commence l'école à 3 ans et passe son bac à 16. « Je n'étais pas surdouée, j'étais suractive... ». Humour en paravent toujours, face à ses accomplissements, pour masquer l'oscillation entre profonde humilité et légitime fierté. Enfance à la croisée des cultures, émaillée de nombreux voyages qui lui ont permis de « réaliser très tôt que la majorité des humains n'avaient pas ma chance ». Alors déjà au lycée, elle tente d'être « un petit pont pour lier ceux qui ont des besoins et ceux qui ont des moyens » : maraudes, quêtes alimentaire... Pour ses études, le « petit pont » s'oriente vers la communication et le CESEM à Reims. Le cursus l'amène à Dublin. Embauchée dans une agence U 22 Fundraizine | 32 | OCTOBRE 2012 de publicité locale, elle planche sur son premier projet de mécénat - Tesco Computers for Schools - qui équipe des classes rurales en ordinateurs. Emballée par ce « capitalisme au service de l'intérêt général », une fois rentrée en France et alors qu'elle se lance dans un Master de marketing à Sciences Po, elle cherche un stage dans le mécénat... Elle atterrit finalement au planning stratégique d'IBM. Plongée dans le monde « un peu déshumanisé » des « pingouins », au 35e étage d'une tour de la Défense... En manque de rives où s'ancrer, peu à l'aise à cheval au dessus de la rivière du profit, elle décide d'écouter l'envie d'humanitaire qui la taraude. Démission, départ pour un an en Afrique subsaharienne. Seule. « Sans expérience ni formation adéquate, évidemment, aucune ONG ne voulait m'envoyer ». Education au Mozambique, spectacles de marionnettes à Soweto, tri des céréales au Sénégal... Un périple aussi merveilleux que difficile, dont elle ressort avec la volonté définitive de mettre ses compétences au service de la solidarité. Revenue en France, elle trouve une mission à la Fondation Nature & Découverte. L'expérience la « réconcilie avec l'entreprise ». Puis elle croise la route de TBWA Corporate Ressources Non Profit, alors en création. Evidence du métier de fundraiser. Elle fonce. Chez Ressources, elle « apprend », passe le CFF, s'investit à l'AFF. Galons de fundraiser gagnés, elle saute sur l'autre rive, du côté de l'association, chez AIDES. Embauchée en remplacement sur les legs, elle s'empare peu à peu des grands donateurs et des entreprises, fourre son nez dans tous les sujets. Boulimique d'apprentissage, de travail, de défis. En 2010, une amie lui présente Philippe Charrier, homme d'affaires qui souhaite développer en France le modèle du Clubhouse, lieu d'accueil de jour pour personnes atteintes de troubles mentaux. Coup de foudre professionnel. « J'ai vu en lui un authentique philanthrope, dans une réelle démarche de désintéressement... J'ai aimé le raisonnement, le sérieux de la démarche et j'ai été touchée par la cause car un de mes amis d'enfance est schizophrène... ». Elle donne quelques conseils, il lui propose de monter le projet. Armée d'un ordinateur portable et d'un mobile, elle se lance sans retenue. Week-ends et jours fériés compris. C'est qu'il ne s'agit plus d'être un « petit pont » mais de construire un viaduc au dessus de l'abîme de solitude et de silence : créer le chaînon manquant entre « rétablissement médical et épanouissement ». Inciter à donner pour un sujet que tout le monde préfère ignorer. Pour porter cette cause, « la plus difficile que j'aie jamais eue à défendre », ses premiers alliés sont les membres du Clubhouse, les « bénéficiaires » étant impliqués dans la construction du projet. C'est d'ailleurs – entre autres – avec ces membres qu'elle veut partager son Prix du Fundraiser de l'Année. « Ce prix m'a beaucoup stressée... Ce n'est pas de la fausse modestie, j'ai vraiment un problème avec l'idée d'être mise en avant pour le fruit de la mobilisation de tant de gens. Je ne me sens pas tant FUND-raiser que « mobilisateur de générosités ». Ce métier est loin de n'être qu'une affaire de fonds... ». C'est aussi une affaire de ponts. Au dessus de belles rivières. n N. W. People Portrait L'anti-solitude de la coureuse de fonds © Fondation Telecom Véronique Sentilhes, Directrice du développement de la Fondation Telecom (Institut Mines Telecom), dévoile son tempérament de coureuse de fond derrière son métier de coureuse de fonds... ou plutôt de relayeuse, de passeuse de témoin. De tisseuse de lien. u'est ce qui fait courir Véronique Sentilhes ? La réponse, indirecte, vient plusieurs fois au détour de la conversation : "l'envie de m'engager pour un monde un peu plus équilibré". Peu importe la cause tant que la main se tend pour en saisir une autre. Fil d'Ariane, bâton de marche, balancier... Elle qui trouve son équilibre dans la course, manifeste pour la première fois au Lycée ce besoin de s'engager pour aider autrui à marcher sans tomber. Premier pied dans l'humanitaire, un peu par hasard. Le frère d'une amie monte avec un groupe d'étudiants en médecine un projet pour Action Contre la Faim. Elle les rejoint. Sa verve les convainc, ils lui proposent de lever des fonds... Après le bac, elle choisit pharmacie. La greffe ne prend pas. "Ca m'a un peu écœurée des études !". En guise de réorientation, elle se lance dans la vie active, option marketing et communication. Une fois convaincue de la voie, elle révise son jugement sur les études et enchaine un BTS puis Sup de Pub. Nouvelle incursion dans l'associatif. Pour son projet de fin d'études, elle organise – avec un comparse coureur, pédiatre-cancérologue de son état – une course de collecte de fonds au profit de l'Institut Curie. Ce projet lui donne envie de poursuivre dans l'événementiel. Elle postule en ce sens. Philip Morris la rappelle, séduit par son profil de globe-trotteuse. Car quand elle ne se défoule pas Q 26 Fundraizine | 33 | JANVIER 2013 autour d'un stade ou d'un pâté de maison, c'est autour du monde qu'elle court. "Toutes mes économies d'étudiante passaient dans des billets d'avion..." Mais point d'événementiel au bout du premier rendez-vous. La multinationale lui propose un poste de chargée d'études marketing en création. Elle est un peu dubitative, sur la fonction, l'entreprise, le secteur d'activité... Elle finit par accepter pour voir de l'intérieur à quoi ressemble l'éthique d'un fabricant de tabac... et de chocolat (elle est accro au cacao). Elle y restera dix ans, justement pour "l'éthique remarquable" et surtout parce qu'on lui fait confiance. Elle adhère bien à cette "logique américaine", Véronique Sentilhes. Etre formée, encouragée. Créer son équipe et voir son "potentiel", reconnu, monter en responsabilité, quand "la France est un pays où 'casser' les gens est devenu un sport national". Pas étonnant alors qu'elle suive avec enthousiasme son mari transféré à New-York en 1998. Ambition immersion. Découverte du "roi dollar", de la pauvreté du système scolaire public... Revers de la logique américaine, qui la fait finalement se sentir "profondément française". Découverte aussi de l'indépendance professionnelle : elle crée sa structure de conseil en marketing. Au passage, elle s'offre un marathon. "Pas pour viser une perf', juste pour aller jusqu'au bout..." 11 septembre 2001. Début d'un déclic. Elle s'investit dans l'association FrenchAmerican Aid for Children. Ses filles veulent accrocher un drapeau US à la fenêtre et ne jurent plus que par le God Bless America. "Là, je mets en place un plan anti-pensée unique à la maison et je me dis qu'il est temps de rentrer...". Back to Paris donc, avec - coté carrière – la certitude de vouloir mettre ses compétences au service du non profit. Assez logiquement, elle se tourne vers les partenariats entreprise et rencontre l'association Solidarités. Elle y passera cinq ans, d'abord aux partenariats puis comme Directrice Communication / Collecte. "J'ai adoré. C'est probablement là où j'ai été la plus épanouie professionnellement, notamment à cause de la très forte proximité avec les bénéficiaires. C'est chez Solidarités que j'ai pris conscience que le lien humain comptait autant, peut-être plus, que l'aide matérielle. C'est une chose essentielle à apporter à une population en détresse. Lui dire qu'elle n'est pas oubliée...". Elle adore mais se fatigue. "L'aide humanitaire d'urgence c'est aussi commencer et finir ses journées avec des morts. C'est compenser en énergie, en temps, ce qui manque en moyens financiers". La coureuse de fond a de la ressource mais sa famille traverse une période difficile. Impossible d'être sur tous les fronts, de gérer toutes les crises. Elle entend alors parler du Groupement des Ecoles Telecom, en quête d'un directeur de campagne. Une de ses amies – chercheuse, avec laquelle elle court, évidemment – lui vante la qualité de l'établissement. Elle les rencontre et signe, pour une ambition de collecte de 25 millions d'euros. Mais comme pour le marathon, cela ne semble pas tant être la performance qui mobilise Véronique Sentilhes, que l’efficacité et la série d'attaches tissées au fil de la route. "La base de notre métier c'est d'instaurer un climat de confiance pour faire naître des liens entre personnes. C'est cela "créer de la valeur". Que la rencontre génère quelque chose de plus..." . Plus que la vitesse, ce qui fait gagner la course ce sont des passages de témoin réussis. Entre chercheurs et entreprises. Entre étudiants et grand public. Entre anciens et nouveaux diplômés. Et plus encore. Une anti-course en solitaire. n N. W. People Portrait Chasseuse de musées © Bibliothèque nationale de France Nommée, depuis 2008, Déléguée au Mécénat de la Bibliothèque nationale de France, Kara Lennon Casanova s’est laissée porter par sa passion des musées pour guider ses choix professionnels. Des choix qui l’ont menée aux quatre coins du monde et qui font d’elle une optimiste experte de la culture et de la philanthropie. ui sait où cette irlandaise de 42 ans, originaire de Dublin, aurait posé son talent si ce jeune avocat français, devenu son époux et le père de ses deux enfants (le second est en route !), ne l’avait convaincue de s’installer en région parisienne depuis maintenant dix ans ? Avant cette rencontre, Kara Lennon Casanova avait déjà traversé trois continents et autant d’océans pour vivre son amour des musées. Un amour qui est né d’abord à Bruxelles, où vivaient ses parents. Après une scolarité francophone, elle opte pour une maîtrise d’histoire de l’art à l’Université Libre de Bruxelles. « C’est là que ma passion pour les musées s’est développée. Je ne savais pas sous quelle forme j’allais pouvoir y travailler. Je savais juste que ce serait plutôt dans la gestion », se rappelle celle qui, vingt ans après, porte le mécénat « de la plus grosse institution culturelle française, avec 2500 employés ! ». Elle se révélera ensuite au sein de l’Académie Reinwardt de l’Ecole Supérieure des Beaux-arts d’Amsterdam, rare établissement, à l’époque, qui soit spécialisé en muséologie (conservation, scénographie, administration, ...). « Là bas, j’ai découvert une vocation pour regrouper des personnes et faire émerger des projets, pour diffuser la partie visible de la culture ». Q 26 Fundraizine | 34 | AVRIL 2013 Nourrie à l’Europe, par un père impliqué durant trente ans à la commission européenne, c’est pourtant en Indonésie que Kara Lennon Casanova fera son entrée dans le monde de la philanthropie. Partie pour 3 mois à Jakarta, elle y restera deux ans en tant que Chargée de Mission pour la Banque Mondiale, avec pour objectif de conserver le patrimoine culturel et religieux du pays parmi des projets d’infrastructure en plein boom. Début 2000, le musée Guggenheim de New York, USA, retient sa candidature au poste de Deputy Director of Special Projects. « C’était vraiment mon rêve ! Un vrai musée !, s’amuset-elle. J’étais directement rattachée à Thomas Krens, le Directeur, une figure géniale et controversée des musées internationaux ». Pour le Guggengheim, Kara Lennon Casanova réussira l’ouverture de deux galeries d’exposition à Las Vegas : « un vrai choc culturel ! ». En 18 mois, elle assure ainsi le financement, la construction et l’ouverture d’une grande galerie d’exposition avec les architectes Rem Koolhaas et Frank Gehry au Venetian Hotel, et d’une autre galerie, plus petite, en partenariat avec le musée de l’Ermitage de Saint Petersbourg, en Russie. Et puis voilà, la rencontre, à New York, avec ce jeune français qui repartait pour Paris... C’est donc à son bras qu’elle débarque en France, en 2002. Durant quatre ans, elle collectera des fonds pour le Centre du Patrimoine mondial de l’UNESCO. « Mais mon cœur battait toujours pour les musées »... Elle accède alors, en 2005, au poste de Directrice du Développement International du Centre Pompidou, à Paris, aux côtés de son Président, Bruno Racine et de son Directeur Général Bruno Maquart. Durant deux ans, elle développera les projets du musée, en Asie notamment, et fondera la première Société d’Amis du Centre Pompidou au Japon. « Dans ces pays, les gens ont un amour réel pour la France. Les relations avec mes interlocuteurs étaient très professionnelles et très agréables ». Sauf qu’en 2008, Bruno Racine entre temps nommé à la Présidence de la Bibliothèque Nationale de France - lui offre les clés du Mécénat de sa nouvelle maison. Impossible de refuser ce projet passionnant : « d'une page blanche, il fallait créer une politique de mécénat pour la BnF ! ». Sa première action sera de structurer un point d’entrée, « coordonné », pour les projets avec des besoins de financement. « Il a ensuite fallu créer des dossiers sérieux de mécénat, puis rencontrer les entreprises. Pour commencer, les acquisitions ont été l’axe fort de notre stratégie ». Stratégie payante puisqu’en février 2010, un mécène anonyme permettait l’acquisition d’un Manuscrit des mémoires de Casanova d’une valeur de 7 millions d’euros. Fin 2012, mécènes et grand public finançaient l’acquisition d’un Livre d’heures de Jeanne de France, véritable trésor national du XVe siècle... Et la crise dans tout ça ? « Le mécénat reste avant tout une question de projets et de bons projets ! Détaillés, bien expliqués, et avec des équipes sérieuses »... Est-ce à dire que la mission est facile ? Non, mais elle ne s’en plaint pas : « j’ai un métier qui est ma passion, c’est une vraie chance ! ». D’autres, appellent ça du travail et du talent... n C. Q. People Portrait Semeur d'espoirs Bien malgré lui, Jérôme Deconinck est devenu l’un des collecteurs de fonds les plus habiles de France. Sa technique est celle de l’éveil des consciences et son credo celui d’une terre agricole protégée, dans le respect de notre alimentation, de notre santé et de nos paysages. © Reseau Relier apprendre aux agriculteurs du Sud », estime-t-il humblement. Impatient d’agir et « d’être acteur » de son monde, il se forme à la création d’entreprises en milieu agricole et découvre RELIER, une association qui porte et fait connaitre les initiatives en milieu rural. Très vite embauché, il ne la quittera plus jamais vraiment. i l’on m’avait dit, il y a dix ans, que la question du foncier agricole deviendrait un tel enjeu de société je n’y aurais jamais cru. Mais je suis heureux d’avoir contribué à faire émerger ce débat ! ». A 37 ans, Jérôme Deconinck est donc un homme heureux. Accompli dans son parcours d’homme, de père de famille et d’entrepreneur. Aujourd’hui, il dirige le fonds Terre de Liens, un fonds de dotation qu’il a contribué à faire naître et dont la mission est de lutter contre l’urbanisation, la spéculation et la concentration des terres agricoles en redonnant l’accès de ces terres à de petits agriculteurs bio grâce à la mobilisation citoyenne. Depuis sa création en 2003, l'association nationale Terre de Liens - et Jérôme Deconinck en tête - active les leviers les plus innovants de la collecte de fonds en France. A priori, rien ne prédestinait Jérôme Deconinck à un tel chemin. Originaire de Lyon, d’un milieu ouvrier, il suit des études d’ingénieur agronome à l’ISRA (l’Institut Supérieur d’Agriculture en Rhône-Alpes) quand il prend conscience que travailler pour Nestlé ou l’agriculture industrielle ne l’intéresse pas. Il regarde alors du côté du développement Nord-Sud. Là encore, c’est la déconvenue : « Nous n’avons rien à «S 26 Fundraizine | 35 | JUIN 2013 « Je suis toujours touché par les paysans qui font don de leur ferme. C’est un don qui a du sens. » Installé au siège de RELIER, en Auvergne, il anime le réseau national des adhérents et mène les premières réflexions sur les mécanismes d’achat collectif des terres agricoles pour les protéger. Petit à petit, il devient expert de ces mécanismes tout en continuant d’accompagner la création de TPE en milieu rural. Un double expertise qui lui forge un regard pragmatique : « Pour reloger des paysans, les beaux discours et la politique ne suffisent pas, il faut de l’argent. Cela n’empêche pas la solidarité. Il ne faut pas tout mélanger », résume-t-il très simplement. Le déclic viendra avec la découverte de la finance solidaire et de cette frange de la population prête à effectuer non pas un don mais un prêt pour soutenir une démarche à laquelle elle adhère. C’est dans cet esprit que RELIER et d’autres partenaires créeront Terre de Liens, un fonds citoyen de rachat de terres agricoles pour y installer de petites fermes. Jérôme Deconinck en devient salarié et déménage dans sa Drôme de cœur d'où il lance sa première collecte de fonds improvisée auprès d’amis et de bénévoles. Deux mois plus tard, la première ferme est achetée ! Deux autres seront acquises au cours de cette même année. Conscient de répondre à une attente de la société, il veut professionnaliser sa démarche et s’inscrit au Certificat Français du Fundraising (CFF) : « Pour moi, c’est la découverte des fondations et du marketing, et j’y ai acquis une réflexion pour nos premières collectes de fonds ». Réflexion rapidement mise en œuvre, en pleine faillite de la banque Lehman Brothers, fin 2008, quand l’équipe Terre de Liens lance son premier appel au public pour collecter trois millions d’euros et créer la foncière Terre de Lien… Des centaines d'articles de presse et à peine six mois plus tard, les objectifs seront dépassés. Terre de Liens collecte 4,5 millions d’euros ! Jérôme Deconinck est alors repéré par le réseau mondial des entrepreneurs sociaux Ashoka dont il devient l’un des membres. La dynamique s’accélère. Terre de Lien évolue en une Fédération Nationale Associative aussi dotée d’un fonds de dotation pour les dons de fermes. « Je suis toujours touché par les paysans qui font don de leur ferme. C’est un don qui a du sens », reconnait-il, conscient de sa responsabilité. Après avoir permis d’acquérir 2 200 hectares, de constituer un capital de 30 millions d'euros et de reloger plus de 150 agriculteurs, son graal à lui, maintenant, serait l’obtention du statut de Fondation Reconnue d’Utilité Publique pour Terre de Liens. Confiant et serein, il sait que ce jour n’est pas loin. Pour lui c’est une évidence : permettre aux citoyens de prendre leur avenir en main, c’est être sur le bon chemin. n C. Q. People Portrait Sous les vents de Mercure © École polytechnique, J. Barande Suivez le guide à la rencontre de Céline Morel. La directrice adjointe - fonds annuel et relation alumni de l’équipe de campagne de la Fondation de l’Ecole polytechnique a reçu le Prix AFF du « Fundraiser de l’Année » 2013. S es études de tourisme la destinaient plutôt à une carrière sur le chemin des voyagistes. Mais Céline Morel a, jusqu’ici, plutôt emprunté celui des voyageurs. Pas le chemin d’une estivante dilettante et alanguie. Plus sac au dos que croisière organisée. Système D. en bandoulière en guise d’appareil photo autour du cou. Sa voie, c’est le tourisme yeux grand ouverts, avide de rencontres, d’apprentissage, de nouveauté... Saisissant les vents qui portent, plutôt que de se fixer obstinément un port à atteindre, peu importe la météo. A la fin de ses études, la « gamine de 19 ans » cherche le début de la route jusqu’à ce que, un peu aiguillée par les flèches de Cupidon, ses pas la portent à Pittsburgh. Pennsylvanie. USA. Là, elle est embauchée pour quelques mois par un laboratoire de recherche de l’Université Carnegie Mellon qui planche sur un logiciel de traduction simultanée destiné au secteur du tourisme. Son rôle : créer un catalogue test de voyages en ligne. De quoi allier ses études avec sa connaissance précoce du web : nous sommes en 1998. « Pour m’amuser, l’été d’avant, j’avais décidé d’apprendre l’HTML », dit simplement Céline Morel. 26 Fundraizine | 36 | OCTOBRE 2013 La bouture prend. D’organisation d’une conférence à la gestion des échanges étudiants, Céline Morel passera six ans dans ce laboratoire. Envie d’évoluer. Elle prend rendezvous avec les Ressources Humaines de l’université qui évoquent un poste aux « Alumni Relations ». Aux what ? Loin du petit cercle de son laboratoire, Céline Morel lève le voile sur la big picture de l’université, découvre le fundraising (un département de 200 personnes) et l’importance de ces fameuses relations avec les anciens élèves (17 salariés). La rencontre avec la directrice du département scelle le transfert : elle deviendra son « disque dur externe » pour un nouveau chapitre du voyage, sous les auspices philanthropiques d’Andrew Carnegie cette fois. Et si son métier est devenu la mobilisation d’une communauté d’Anciens, elle n’en perd pas pour autant le nord du Tourisme, se plaisant à relater ses voyages avec les professeurs conférenciers. Dix ans se sont écoulés dans l’écrin verdoyant de Pittsburgh. Céline Morel a trouvé une voie professionnelle qui l’épanouit. Mais sur le plan personnel, l’American Dream a rencontré des vents contraires. En France, la loi LRU vient de sortir, offrant un tremplin au développement de la collecte de fonds privés de l’enseignement supérieur. C’est le moment de retraverser l’Atlantique. Rapidement, Céline rencontre l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) qui amorce la création de sa fondation. Elle est recrutée pour développer le réseau des Anciens. Une aventure en soi, « Indiana Jones et les diplômés perdus », avec plongée en apnée dans les archives et les sous-sols de l’établissement, et des rencontres, beaucoup, comme dans toute bonne épopée. Parmi ces rencontres, il y a l’AFF et ses pair(e)s français(es) de l’enseignement supérieur. Une frange de la collecte de fonds qui émerge, qui partage... Après deux ans à l’UPMC, justement sur le site de l’AFF, elle découvre sur une annonce le poste de responsable du fonds annuel de l’École polytechnique. « Tout disait : c’est pour toi ». Nouvelle rencontre, nouveau « clic », « et voilà comment je suis entrée à l’X sans passer le concours », sourit-elle. Le fil directeur est toujours présent, en filigrane : dans le tourisme comme dans la collecte de fonds, « il faut à la fois faire rêver et être ultra organisé. Penser à tout... surtout aux détails ». Entre les deux, elle fait avancer la cause de l’Ecole, et contribue à ce que la campagne dépasse ses objectifs. Son Prix du Fundraiser de l’année ? « Je ne crois pas qu’il récompense les sommes collectées. Ce métier va bien au-delà des fonds. Je préfère penser qu’il vient saluer le projet de l’Ecole polytechnique, notre capacité à mobiliser plus de 3 000 donateurs, tous des Anciens ou amis de l’X et la création d’une véritable dynamique ». Où s’écriront les prochaines pages du voyage ? Dans un autre secteur ? A l’étranger de nouveau ? Pour résumer son parcours, Céline Morel l’affirme : « Tout a été une affaire de chance et de rencontres ». La chance comme les rencontres se provoquent et se saisissent. Ce sont peut-être les vents de Mercure – le Dieu messager, le donneur de chance, le gardien des routes, des carrefours et des voyageurs – qui ont gonflé ses voiles. Mais tout repose dans la main qui tient le gouvernail. n N. W.