Anne Frank à Montréal, au Théâtre du Nouveau Monde.
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Anne Frank à Montréal, au Théâtre du Nouveau Monde.
Anne Frank à Montréal, au Théâtre du Nouveau Monde. Auteure : Laura Bruno Dernière mise à jour : 08/03/2015 Dès que nous mettons un pied dans la salle du Théâtre du Nouveau Monde, déjà l’ambiance est sobre. Une projection sur la toile met la table : on y reconnaît les images d’Auschwitz. On immisce le spectateur dans le monde d’Anne Frank, celle-là même dont le journal intime est devenu un classique de l’ère de la Deuxième Guerre mondiale. Ceci dit, c’est Eric-Emmanuel Schmidt qui signe le texte tout en s’inspirant de l’œuvre d’Anne Frank et Lorraine Pintal la mise en scène au TNM. À l’écoute du titre de la pièce de théâtre il n’y a pas moyen d’évacuer le contexte historicopolitique dans lequel est née l’œuvre d’Anne Frank. Effectivement, Anne entame l’écriture de son journal intime le 12 juin 1942, le jour de son anniversaire de naissance. Personne ne se doutera de l’ampleur que prendra ce petit livre dans les décennies qui suivront. Moins d’un mois plus tard, sa famille doit se réduire à une vie clandestine, confinée à l’« Annexe », cette partie de l’entrepôt de l’entreprise des Frank. La jeune adolescente gardera son journal intime à date, et ce jusqu’à trois jours avant que les personnes qui vivaient dans l’« Annexe » ne soient arrêtées et déportées. les Nazis y ont mis fin tragiquement dans les jours qui ont suivi leur arrestation, à cette jeune vie clandestine, comme à celles des autres occupants, mis à part celle de Monsieur Frank, le patriarche de la famille. Ainsi se sont soldées deux années de réclusions savamment retranscrites dans ces Mémoires qu’a tenues Anne Frank dans son journal intime qu’elle avait nommé Kitty. Pour cette jeune fille qui rêvait de devenir écrivaine, quoi demander de plus que d’être traduite dans plus de cinquante langues et un tirage de plus de vingt millions d’exemplaires ? 2 La mise en scène de la pièce est très intéressante parce qu’elle permet l’interaction entre différents médias. Non seulement est-il possible de voir des acteurs se produire sur une scène mais on déroule aussi un rideau sur lequel on projette des images d’archives sur la période durant laquelle notre héroïne écrit. Tous les sens sont interpelés, même l’odorat à travers nos connaissances mémorielles quand on nous parle des différents plats, comme des patates qui sont servis dans l’ « Annexe ». Un autre exemple d’une interaction totalement réussie : on projette sur le simili écran une vidéo d’archives de Hitler qui s’arrête justement sur l’image dans laquelle il exécute un geste où il pointe du doigt (dans le mouvement similaire au salut des Nazis). À ce moment précis, Anne entre en scène. À l’aide de la technologie, Hitler, qui vraisemblablement ne connaissait pas l’histoire de la petite adolescente d’Amsterdam tant il y avait d’histoires semblables durant son « règne », pointe du doigt la Juive qu’elle est, cette vermine qu’il faut trouver, débusquer dans l’« Annexe » pour l’exterminer. Un rapprochement est clairement fait par le metteur en scène entre le leader nazi et une jeune fille qui représente bien sûr la majorité des victimes de l’Holocauste. Je trouve que c’est un outil brillant et totalement bien rendu dans la mise en scène qui laisse le spectateur transi par le drame qui s’est déroulé et se déroule à nouveau sous ses yeux. La scénographie, quant à elle, utilise l’espace de manière fascinante. Le spectateur se voit présenter une scène sur laquelle se trouvent deux niveaux : le niveau sur le plancher de la scène puis une scène surélevée sur ce qui ressemble à un échafaudage d’acier. La portion sur le plancher scénique est réduite alors que le palier lui est assez vaste en comparaison. C’est sur le plancher que la pièce s’ouvre, alors qu’on y voit Miep au travail à la dactylo. C’est elle, avec l’aide de son mari, qui a assuré la survie des Frank tout le long de leur séjour dans l’« Annexe ». Ceci dit, à l’arrivée de Monsieur Frank on comprend qu’on nous présente le moment présent et alors que les faits se déroulent devant nos yeux, l’escalier prend le rôle d’un passage entre deux temps : le temps présent, soit après l’armistice, alors que Monsieur Frank croit toujours que ses filles ont survécu à la déportation, tout comme lui, et qu’elles sont sur le chemin du retour avec les autres survivants, et le temps de captivité dans l’« Annexe ». Cet usage de l’espace scénique est clairement brillant. L’escalier devient la transition entre deux ères mais aussi entre deux étages de l’« Annexe », deux autres étages entre l’« Annexe » et le reste de l’entrepôt où travaillent les employés de 3 Monsieur Frank et collègues de Miep. Plus encore, ils permettent de mettre en scène l’au-delà puisqu’à la fin de la pièce, les morts reviennent pour se nommer face aux spectateurs en passant à travers le dédale de l’échafaudage. C’est fabuleux d’utiliser la scénographie comme ceci. Non seulement il semble quelque peu ardu pour les personnages de revenir parmi nous pour se nommer, il reste qu’ils doivent le faire pour que nous puissions nous rappeler d’eux et partager leur histoire afin de, qui sait, éviter un drame d’une telle envergure dans le futur. Enfin, le jeu des acteurs est émouvant. Bien sûr l’Anne Frank présentée au Théâtre du Nouveau Monde, en cette saison hivernale, ressemble étrangement à l’Anne Frank qu’on reconnaît sur la page couverture de l’édition Livre de Poche du Journal d’Anne Frank (2001), et ce surtout quand on met le feuillet de présentation de la pièce du Théâtre du Nouveau Monde et le roman de poche côte à côte. La ressemblance est flagrante c’en est presque à rendre le lecteur averti mal à l’aise. De plus, le portrait que Mylène St-Sauveur rend sur scène du personnage d’Anne Frank rejoint entièrement le portrait qu’on se fait de la petite en lisant son journal intime, ainsi que tous les autres personnages présents avec quelques teintes d’humour ici et là. Une présentation tout en respect des personnages du roman épistolaire d’Anne Frank ce qui permet d’en apprécier encore plus la scénographique puisqu’on est déjà familier, et avec l’histoire qu’on nous présente et avec ses personnages. Une pièce à revoir encore et encore bien qu’on reste fidèle au texte intemporel d’Eric-Emmanuel Schmidt. 4 Bibliographie Frank, A. Le Journal d’Anne Frank. Paris : Calmann- Lévy. Édition Livre de Poche. 2001 Schmidt, E. (Texte), Pintal, L. (Mise en scène). Le Journal d’Anne Frank. Feuillet de présentation de la pièce. 2015 Schmidt, E. (Texte), Pintal, L. (Mise en scène). Le Journal d’Anne Frank. Pièce présentée au Théâtre du Nouveau Monde, Montréal, du 13 au 7 février 2015. Représentation du 28 janvier 2015.