Alfred Hitchcock`s stories et les vertiges de sueurs froides
Transcription
Alfred Hitchcock`s stories et les vertiges de sueurs froides
ARCEA-partie DIF-133:Mise en page 1 9/12/10 17:55 Page 6 Alfred Hitchcock’s stories et les vertiges de sueurs froides par Jean-Christophe DELVILLE PRÉAMBULE ménageaient pas pourtant leurs critiques sur les anciens réalisateurs, ont toujours considéré Hitchcock comme un Maître, en particulier Eric Rohmer, Claude Chabrol et surtout François Truffaut. Ce dernier lui a voué un véritable culte et il est même devenu son ami. Hitch lui a accordé toute une série d’entretiens en 1962 qu’il a rassemblés dans un remarquable ouvrage Hitchcock-Truffaut aux Editions Ramsey (réf. 1). Lorsque je suis allé voir, à sa sortie en 1958, le film Sueurs froides, dont le titre original anglo-saxon Vertigo me semble nettement plus approprié et suggestif, j’ai eu le choc le plus émotionnel de ma « carrière » de spectateur au cinéma. A la réflexion ce n’était pas très étonnant car Hitchcock était déjà à l’époque un metteur en scène célèbre que j’appréciais particulièrement (souvenons-nous des 39 marches, Une femme disparaît, Rebecca, Soupçons, L’ombre d’un doute, L’inconnu du Nord-Express, Le crime était presque parfait, L’homme qui en savait trop sans oublier Fenêtre sur cour et La main au collet, tourné sur la Côte d’Azur et qui a permis à Grace Kelly de rencontrer le Prince Rainier de Monaco et de l’épouser) Une petite anecdote : lors de son séjour à New York en 1962 les journalistes lui posaient toujours la même question : « Pourquoi les critiques des Cahiers du Cinéma prennent-ils Hitchcock au sérieux ? Il est riche, il a du succès mais ses films n’ont pas de substance. »… En outre le film était tiré d’un roman D’entre les morts de Pierre Boileau et Thomas Narcejac qui font partie de mes auteurs de romans policiers favoris. D’ailleurs Boileau-Narcejac sont considérés, à l’instar d’Hitchcock au cinéma, comme les maîtres du suspense en tant que romanciers. Ils avaient déjà acquis la gloire quelques années auparavant grâce à Henri-Georges Clouzot et sa magnifique adaptation de leur roman Celle qui n’était plus à l’origine de son film Les Diaboliques. INTRODUCTION Personnellement j’ai dû voir Vertigo une bonne quinzaine de fois : c’est mon film fétiche. Mais je ne suis pas le seul : Jacques Dutronc l’a vu près de soixante fois et, chose incroyable, Amélie Nothomb, qui n’a pourtant que quarante deux ans, assure l’avoir visionné plus de cent fois ! Un jour, en musardant à la FNAC, j’ai découvert à mon grand étonnement un ouvrage Hitchcock et l’aventure de Vertigo à CNRS Editions par J-Pierre Esquenazy, professeur à l’Université de Lyon III : il s’agit d’une thèse de 240 pages, sans photos, uniquement consacrée au film… Lorsqu’ils ont écrit D’entre les morts en 1954 c’était avec l’espoir qu’Hitch en ferait un film. (En effet Hitch avait essayé d’acquérir les droits de Celle qui n’était plus mais Clouzot l’avait devancé). Ils ont dû attendre quatre ans la sortie du film mais cette attente fut récompensée car Vertigo est considéré par de nombreuses personnes, notamment par les meilleurs critiques internationals, comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre du 7è art. Selon la revue Positif d’après un référendum de 1992 il figure parmi les 20 films les plus importants. D’après les enquêtes décennales Sight and Sound, il faisait partie en 1983 des 12 meilleures réalisations et en 2002 il a même été élu deuxième long métrage le plus important de l’histoire juste derrière Citizen Kane d’Orson Welles. Il y a quelques années je devais participer à un congrès de Physique à San Francisco et je décidai de prendre quelques jours de congé après le congrès pour tenter de retrouver les lieux de tournage du film. L’action se déroule en effet en Californie, essentiellement à San Francisco ainsi que dans une ancienne Mission espagnole que j’ai fini par identifier en visionnant plusieurs fois ma K7. Il s’agit de San Juan Bautista (St Jean Baptiste) située au sud de San Francisco entre San Jose et Monterrey LE TOURNAGE Et pourtant il n’a reçu que deux nominations aux Oscars et avait été accueilli très timidement par les critiques Américains de l’époque. En revanche Les Cahiers du Cinéma qui ne 1 Depuis 1950 Hitchcock était devenu définitivement son propre producteur (il n’avait produit auparavant que Les Enchaînés avec Ingrid Bergman en 1946.) C’est le diminutif que lui donnaient ses proches et ses collaborateurs 6 ARCEA-partie DIF-133:Mise en page 1 9/12/10 17:55 Page 7 Alfred Hitchcock’s stories et les vertiges de sueurs froides La Paramount achète les droits D’entre les morts en 1955 pour Alfred Hitchcock ; le cinéaste traversait alors une période difficile tant sur le plan professionnel que personnel ; ses derniers films Mais qui a tué Harry et Le faux coupable n’avaient séduit ni la critique ni le public. Il doit absolument retrouver le succès. plus en plus. Se succèdent alors différentes figures spiralées et tournoyantes : un des génériques les plus originaux et les mieux réussis d’Hitchcock et même de l’histoire du cinéma. Le film débute avec la course poursuite d’un gangster par deux policiers (Scottie et un de ses collègues) à travers les toits d’immenses buildings ; son collègue perd l’équilibre et tombe dans le vide ; Scottie par miracle échappe à la mort en restant accroché à une gouttière. Synopsis du film Scottie Ferguson est sujet au vertige, ce qui lui porte préjudice dans son métier de policier. Rendu responsable de la mort d’un de ses collègues qui fait une chute vertigineuse du haut d’un building, il décide de quitter la police. Une ancienne relation le contacte afin qu’il suive sa femme Madeleine, possédée selon lui par l’esprit de son aïeule Carlotta Valdès. Scottie s’éprend de la jeune femme et se trouve ballotté par des événements qu’il ne peut contrôler. Le mystère Carlotta Scottie dans sa filature de Madeleine joue le rôle de voyeur : cela le conduit dans un cimetière où elle se recueille sur la tombe de Carlotta, son aïeule. Elle pénètre ensuite dans un musée où elle s’assied devant un tableau représentant Carlotta ; à côté de Madeleine, un bouquet de fleurs, qu’elle vient d’acheter chez un fleuriste, semblable à celui du tableau et surtout son chignon absolument identique à celui de Carlotta. Les acteurs Hitchcock confie à James Stewart le rôle de Scottie ; ils avaient déjà collaboré dans La corde, Fenêtre sur cour et L’Homme qui en savait trop. Pour le rôle de Madeleine il souhaitait au départ le confier à Vera Miles qu’il venait de diriger dans Le faux coupable. Mais cette dernière étant tombée enceinte, il se résout, à contrecœur, à confier le rôle à Kim Novak qui était déjà une star à l’époque. Durant le tournage les relations entre le réalisateur et son actrice furent souvent difficiles. Elle expliquait ainsi leur mésentente : « Hitchcock espérait retrouver une blonde à la Grace Kelly, ce qui n’était pas le cas, tout en croyant qu’il arriverait à changer ma nature. Du coup on retrouve cette résistance à l’écran ». Le Golden Gate Bridge La filature se poursuit sous le célèbre pont où Madeleine disparaît derrière un pylône ; ensuite elle arrache les fleurs de son bouquet et les jette à la mer. Et brusquement elle saute dans la baie ; Scottie plonge et la ramène chez lui saine et sauve. Ceci cadre avec l’image d’un Hitchcock très directif. Avant d’avoir effectué la première prise de vue d’un film, il avait tout écrit séquence par séquence jusque dans les moindres détails et ses acteurs avaient très peu de degrés de liberté ; certains s’en plaignaient. Il avait la rigueur d’un scientifique ; adolescent il voulait devenir ingénieur et avait acquis certaines connaissances notamment en mécanique et en électricité tout en suivant des cours de dessin à la section des Beaux-arts à l’Université de Londres. Les séquoias La forêt de Muir Woods, de l’autre côté du Golden Gate Bridge, abrite de gigantesques séquoias, qui peuvent atteindre plusieurs mètres de diamètre et dont certains ont plus de 2000 ans d’âge. QUELQUES SCÈNES CLÉS DE VERTIGO Lors de mon escapade post-congrès j’ai retrouvé dans cette forêt le décor d’une scène du film ; une tranche de séquoia a été sciée et une carte des USA y a été reproduite. Madeleine montre à Scottie un premier lieu : “là je suis née.” dit-elle. Le générique et les premières séquences On pourrait intituler ce générique « L’œil et le vertige » (réf. 2). Il s’agit de l’œil de Kim Novak où le titre du film grossit de Dédicace manuscrite de François Truffaut au début de l’ouvrage : « Alfred Hitchcock a fait 53 films et une fille. Je dédie ce livre à Patricia Hitchcock O’Connell. » octobre 1983. [note du rédacteur : on rappelle que Patricia a tourné avec son papa Le Grand Alibi et L’Inconnu du Nord-Express. Sa mère Alma Reville a été la scénariste, l’assistante et l’épouse d’Hitch] 2 7 ARCEA-partie DIF-133:Mise en page 1 9/12/10 17:55 Page 8 Alfred Hitchcock’s stories et les vertiges de sueurs froides Elle montre ensuite un deuxième emplacement (californien) : “là, je suis morte.” Notons aussi que des dates mémorables ont été figurées sur le tronc d’arbre, en partant du centre vers la périphérie : naissance de Jésus-Christ, découverte de l’Amérique, Indépendance des Etats-Unis, entre autres. CONCLUSION La Mission de San Juan Bautista, le clocher et la mort de Madeleine Après le tournage Hitchcock lui a rendu hommage et a reconnu que Kim avait entièrement répondu à ses attentes. A l’époque je n’avais aucune certitude sur ce lieu. J’arrive donc en voiture à San Juan Bautista que je visite méticuleusement et j’y retrouve tous les éléments du film, en particulier les chevaux de bois et la fameuse Mission espagnole. Je regarde de plus près l’église et commence à me poser des questions : le clocher n’est pas le même et celui-ci est trop peu élevé. Me serais-je trompé de lieu ? La musique de Bernard Herrmann fait corps avec le film comme d’ailleurs dans tous les films d’Hitchcock car celui-ci accordait une grande importance à la musique. Il l’a montré brillamment quelques années plus tard dans Psychose avec le même Bernard Herrmann : aux moments cruciaux la musique est positivement terrifiante et procède du suspense… James Stewart et surtout Kim Novak sont prodigieux dans ce film. Cette dernière, après Grace Kelly, incarne les blondes platinées et sophistiquées chères à Hitchcock, avec en plus ce parfum de mystère qui s’accorde parfaitement au personnage qu’elle incarne. Pour terminer sur une note sympathique, Alfred Hitchcock était tombé amoureux de la ville de San Francisco. J’ai découvert par hasard que la municipalité avait créé une Hitchcock Street en souvenir du Maître. J’avise alors une brave Américaine qui gérait une petite boutique de souvenirs et de cartes postales et lui demande si réellement Hitchcock avait tourné ici Vertigo : elle me répond par l’affirmative mais je lui objecte le problème du clocher : elle éclate de rire et m’informe que le réalisateur ayant trouvé le clocher trop bas, avait tourné quelques scènes en studio à Hollywood… Il est bon de rappeler la scène clé du film : Madeleine se précipite vers l’église et monte l’étroit escalier qui mène au clocher. Scottie est sur ses pas mais, après avoir monté quelques marches son vertige le reprend et il doit s’arrêter. Quelques instants plus tard un cri terrifié éclate et Scottie en se retournant voit par une fenêtre le corps de Madeleine tomber dans le vide et s’écraser au sol. RÉFÉRENCES 1/ Hitchcock-Truffaut Edition (définitive) Ramsey 1983 Le film pourrait s’arrêter là mais ce n’est pas le cas (nous n’en dirons pas plus afin de ne pas déflorer le suspense pour les lecteurs qui n’auraient pas vu le film.) Pour simuler la sensation de vertige de James Stewart, Hitch a eu l’idée de combiner un zoom avant et un mouvement de recul de la caméra pour créer une distorsion de l’image. 2/ Hitchcock et l’aventure de Vertigo (L’invention à Hollywood) Jean-Pierre Esquenazi CNRS Editions 3/ Site Internet Allo-Ciné 4/ Archives personnelles 8