Arlequin, de Mantoue à Charleville (pdf

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Histoire
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Carnaval, charivari, théâtre
Arlequin, de Mantoue à Ch
Mantoue, un berceau de la
Commedia dell’arte (GDP)
Mantoue, creuset de la Commedia
Invités par les Médicis, de
dell’arte
modestes comédiens italiens, la
En 1545, la première compagnie voit le jour à
troupe des Gelosi (« jaloux de plaire Padoue. L’on en voit passer une à Lyon en 1548. En
1567, apparaît à Mantoue,
ou farceurs ») dirigée par Flamino
sous le règne du duc
Scala dit Flavio, introduisent en
Guglielmo (1538-1587),
oncle de Charles de
France des personnages aux caracGonzague-Nevers, la
tères très affirmés, issus de la
première troupe de
comédiens de profession,
Commedia dell’arte – c’est-à-dire
et ceux-ci, très vite, délaisle théâtre professionnel qui
sent les pièces régulières
pour s’abandonner à leur
s’oppose à la Commedia erudiverve, c r é a n t a i n s i l a
ta jouée par des dilettantes –,
c o m é d i e « improvisée
». à Mantoue, les compaentre 1571 et 1604.
gnies recrutent un grand
L’expression Commedia
nombre
d’acteurs
issus
dell’arte n’est forgée
d
u
qu’en 1742, on parlait
auparavant de
ghetto juif. Le
Commedia all’imsuccès de cette
proviso (à l’imcomédie, pleine d’entrain et de
naturel, est considérable penpromptu) ou de
dant deux siècles, en Italie, en
comédie italienne,
Allemagne et en France. La
Commedia dell’arte se joue sur le
ou encore de comédie de
pavé, la place publique, dans les
masques. La Commedia
palais princiers ou bien dans les
salles. Chaque acteur se spécialise
dell’arte désigne la
dans un type propre, l’amoureux, le
comédie italienne
tranche-montagne, le pédant… Et
ainsi, se créent des masques, dans lesimprovisée sur scène,
quels les habitants de chaque ville
d’après un canevas de base,
retrouvent, en même temps que leur
dialecte, la caricature de leurs défauts et
conçu à l’avance,
qualités. Pour se reposer de l’improvisapar les acteurs de
tion continue, les acteurs ont à leur disposition les lazzi, jeux de scène burmétier, de « l’art ».
lesques, et les « morceaux de bravoure »,
tirades sur des lieux communs
apprises par cœur. Pour la première fois
dessin O. Gobé
dans le théâtre, des femmes montent
sur scène au grand dam de l’église ! La Commedia
dell’arte donne, ainsi, naissance aux actrices.
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N° 141 - juin 2010
Les personnages sont au nombre de douze,
dont quatre portent le demi-masque (maschere)
pour mieux abandonner leur individualité au profit
de leur archétype, stéréotype, caricature.
Étymologiquement, « masque » signifie démon,
figure diabolique, sorcière, force des profondeurs.
Ils se répartissent en deux groupes : le parti grave
comprend les deux couples d’amoureux ; le parti
ridicule est celui des vieillards comiques. Les valets
ou Zanni se divisent en Premier Zanni (le valet
rusé et spirituel qui mène l’intrigue) et en Second
Zanni (le personnage naïf et balourd). Les principales figures de la Commedia dell’arte inscrites
dans les répertoires :
➨ Les vieillards :
le marchand vénitien et vieillard Pantalone
(Pantalon) dit Magnifico / le vieux Sicilien
aristocrate Il Barone / le vieillard Bartolo /
l’autre vieillard, Gerontio / le bolonais Docteur
(Il Dottore)...
➨ Les zannis ou zanis (mot vénitien :
« bouffons ») – valets du petit peuple :
les deux valets - les zanni -, le naïf Zanni (ou
Zani) et le glouton bolonais Franca-Trippa /
Pedrolino dit Piero (le futur Pierrot français) /
le valet napolitain moqueur Scaramuccia ou
Scaramouche (proche du Capitan) / la soubrette astucieuse Colombine / la servante
délurée Franceschina / le Napolitain (ou
Bolonais ?) rusé Scappino (Scapin), frère de
Brighella / les Bergamasques Arlecchino
(Arlequin) et Brighella / le Napolitain dépravé
cynique Pulcinella (ou Polichinel(le) ) dit aussi
« Cetrulo » (Cornichon)...
➨ Les soldats :
le soldat fanfaron, vantard et pleutre, le
Capitano / Mezzetino, un des frères de
Brighella / Matamore...
➨ Les amoureux :
Truffaldino / le Milanais Beltramo, un des
frères de Brighella / le Florentin Stenterello /
Orazio de Padoue / Lélio / Léandro / Lucia /
Isabella / Flaminia / Silvia…
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Histoir
Tambours de fête
Rue des Tambours
Charleville
Les sujets de base de la Commedia dell’arte
sont le cocuage et les malentendus, les quiproquos amoureux.
Les Gonzague financent la troupe
d’Arlequin
Très tôt, la reine de France, Catherine de
Médicis fait venir les Accesi de Mantoue, où le
zanni, Alberto Naseli dit Zan Gan(n)assa, a créé,
en 1570, le type d’Arlequin, valet bergamasque en
haillons déchirés, aux pièces vite régularisées en
losanges ou triangles multicolores. Arlequin est un
bouffon bas, impudent, cynique, gourmand et poltron.
à l’instar de son compère Brighella, Arlecchino
est originaire de Bergame, ville achetée par les
Vénitiens à l’aube du XVe siècle. C’est un des principaux personnages emblématiques des mascarades, facéties, bouffonneries, carnavals et de la
Commedia dell’arte. Son nom proviendrait d’une
figure du moyen âge français : Herlequin, Harlequin
ou bien encore Hellequin, un être diabolique, satanique (attesté à Arras, en 1276).
à partir du XVIe siècle, la physionomie
d’Arlequin se fige : il s’exprime en bergamasque,
porte jaquette courte et pantalon collant, le tout
constitué de morceaux d’étoffes disposés sans
ordre et de couleurs différentes. Une batte blanche
est attachée à sa ceinture. Sa barbe, hérissée, est
Coll. médiathèque «Voyelles» (XVIIIe s.).
noire, son masque est également à moitié noir. Il a
le nez camus, son chef est recouvert d’un bonnet
de style François Ier d’où pend une queue de lapin.
Il représente le rustre campagnard, des montagnes de Bergame, choquant la bourgeoisie
éclairée de Venise. Guy Boquet le décrit parfaitement, reprenons ses termes : « (…) Le feutre orné
d’une patte de lièvre ou d’une queue de lapin, le
demi masque noir aux sourcils touffus sur des
yeux minuscules au coeur d’immenses orbites,
paresseux brouillon, crédule défiant, ingénu
ingénieux, amoral sans être vicieux, toujours
affamé et toujours en mouvement, jouant de sa
batte comme d’un sceptre, d’une louche, d’une
épée, d’un éventail ou d’une lunette de Galilée,
métamorphosant son bonnet en assiette, en
bourse ou en bateau de rêve, prêt à faire le saut
périlleux verre plein en main sans dommage ou
à parodier un opéra en marchant sur les mains
(…) ».
Arlequin naît sous le signe de la stupidité. La
Commedia dell’arte le présente comme un
homme balourd, benêt, pervers… En France, son
image se bonifie. Jean-François Regnard (16551709) est le premier auteur français à pimenter ses
comédies du personnage d’Arlequin, notamment
dans Le Divorce en 1688 et dans La descente
d’Arlequin aux Enfers en 1689… Regnard
connaît bien la Commedia dell’arte pour avoir
visité l’Italie en 1671 et 1674. L’Arlequin d’AlainRené Lesage reste un chapardeur, coureur de
fille et un glouton, comme dans son Arlequin
invisible en 1713. Dans Marivaux, Arlequin
devient ingénieux sous l’effet de l’amour
(Arlequin poli par l’amour, 1720). Dans La
Double Inconstance en 1723, il est le rival d’un
charmant prince. La Commedia dell’arte a largement influencé les farces de Molière. Tel le
Scapin des « fourberies » qui se délecte à railler
le pingre seigneur Géronte.
Arlequin est devenu un personnage incontournable des carnavals et charivaris, comme à
Binche. Un humour qui caricature bêtise et naïveté, est toujours d’actualité car il alimente sa
source dans les clivages des sociétés.
Gérald Dardart
Le tambour revient à la mode et a
désormais son festival. C’est un instrument à percussion, formé d’un
cylindre ou fût sur lequel sont tendues
deux peaux. Le terme générique
de « tambour », significativement issu
Ph. GDP
du persan « tabir », désigne toutes
sortes d’instruments anciens ou exotiques, très
différents les uns des autres par la forme, les
dimensions et le matériau employé. Tel que l’a
adopté et adapté le monde occidental, c’est un
cylindre métallique de hauteur variable, muni à
chaque extrémité d’une peau tendue par des
cordes et des passants de cuir dans les
modèles traditionnels, par des tringles filetées
dans les instruments modernes destinés à l’orchestre. Sur la peau inférieure s’applique
un « timbre » formé de boyaux – deux au minimum – qui freine sa résonance. Depuis
l’Antiquité, une paire de baguettes, frappant la
peau supérieure, permet une grande variété de
roulements et autres batteries, d’un volume
sonore considérable.
Au tambour-major !
Durant le moyen âge, il est instrument très
apprécié des Maures, l’Occident en fait la
connaissance lors des croisades. Au tout début
du XIVe siècle, le « tabor » ou caisse claire, petit
tambour d’origine byzantine, se joue avec deux
baguettes, il est mentionné en Allemagne et en
Suisse, comme un instrument guerrier et se voit
accompagné du fifre. Il entre dans l’armée
française en 1347. La taille du tambour se veut
impressionnante au XVIe siècle : 60 cm de large
et 75 cm de profondeur. Les peaux étaient
issues du mouton ou de l’âne. Son usage se
codifie au XVIe siècle, époque durant laquelle
François Ier en réglemente l’utilisation dans l’armée. En 1588, en France, le chanoine Thoinot
Arbeau (Dijon, 1520 – Langres, 1595) compose
certains de ses rythmes de marche. à l’époque
des campagnes de Marlborough (1704-1712),
la taille de la caisse claire diminue et se distingue ainsi de la « grosse caisse ». à Arcole sur
l’Alpone, le 17 novembre 1796, sous les yeux
admiratifs du général Bonaparte, le petit tambour, André Estienne, bat la charge et l’ennemi
autrichien décroche. Dans la Grande Armée de
Napoléon Ier, les rangées de tambours sont
considérables et impressionnent les adversaires
européens. Le tambour de ville – ou gardechampêtre comme celui du docteur Knock –
faisait les annonces municipales en les ponctuant d’un roulement de tambour pour attirer
l’attention de la population. La rue des
Tambours perpétue la mémoire d’un petit
métier dont l’écho a disparu.
Gérald Dardart
à lire, à consulter : Salah Guemriche, Dictionnaire des mots
français d’origine arabe, éditions Seuil, 2007.
Coll. médiathèque «Voyelles» (série B2784-98).
N° 141 - juin 2010
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