Faut-il raisonner avec méthode ? [Introduction] [Pourquoi cette

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Faut-il raisonner avec méthode ? [Introduction] [Pourquoi cette
Faut-il raisonner avec méthode ?
Remarques liminaires : a) ce qui suit n’est qu’une ébauche de plan, et non une dissertation complète : lors de la rédaction finale, il
conviendra surtout de ne pas se contenter de juxtaposer les arguments, et de développer certainement davantage ; b) tout ce qui figure
ici entre crochets droits, toute indication correspondant à la démarche suivie, comme les notes de bas de page et les numéros des
paragraphes, devront disparaître dans un devoir.
[Introduction]
[Pourquoi cette question ?]
Au premier abord, il semblerait difficile de raisonner sans méthode. La méthode, du grec , est un
cheminement de pensée, ou l’ordre dans lequel on conduit sa réflexion, et tout penseur conduit nécessairement ses
pensées dans un certain ordre. Mais il y a pensées et pensées : une opinion ou une simple croyance, quelle que puisse en
être la valeur, n’est pas une pensée, et certaines idées ou intuitions semblent avoir été formées sans ordre, celles
caractéristiques des sociétés sauvages au sens de Claude Lévi-Strauss, ou de nombre de penseurs de la Renaissance,
imprégnés qu’ils étaient d’irrationalisme et de pensée magique, contre lesquels se sont dressés Bacon et Descartes.
[Position du problème]
La méthode est-elle nécessaire à tout raisonnement, ou bien des pensées pourraient-elles aboutir sans avoir recours à
une certaine méthode ?
[Annonce du plan]
Que nous ont appris Bacon et Descartes quant à la nécessité de disposer d’une méthode pour parvenir à un quelconque
résultat ?
Mais suffirait-elle pour cela ?
En définitive, en quoi consisterait cette méthode avec laquelle il convient de raisonner ?
[1ère partie] Que nous ont appris Bacon et Descartes quant à la nécessité de disposer d’une méthode pour parvenir à un
quelconque résultat ?
1) Dans la première partie du Discours de la méthode1, Descartes, après avoir montré que « Le bon sens est la chose du
monde la mieux partagée » et que « la raison est naturellement égale en tous les hommes », expliquait que « la diversité
de nos opinions [lire : « pensées »] » ne venait pas de ce que certains hommes seraient plus raisonnables que d’autres,
mais que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses. « Car ce n’est pas
assez d’avoir l’esprit bon, le principal est de l’appliquer bien. » « Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la
morale. », écrivait aussi Pascal (Pensées, Fg. 347 Br.).
2) La méthode serait comme l’outil dont se servirait la raison pour penser. L’intelligence de l’homme est en effet
indiscutablement la même depuis l’avènement de notre espèce, et si on a pris l’habitude de parler de progrès de la
raison, c’est au sens des développements de la rationalité scientifique et philosophique. Et pourtant, les sociétés
traditionnelles, en prohibant toute forme d’innovation à l’intérieur d’elles-mêmes, n’ont jamais accompli aucun progrès.
D’autres encore, en Afrique ou en Orient, en empruntant systématiquement à l’Occident ses inventions scientifiques et
ses innovations techniques – les vaccins, le nucléaire, l’informatique et l’internet, le téléphone portable, etc. – n’ont
jamais su apporter quoi que ce soit à l’humanité, exceptées des religions obscurantistes et sectaires. Comment le
comprendre ?
3) Atque ut instrumenta manus motum aut cient, aut regunt ; ita et instrumenta mentis intellectui aut suggerunt aut
cavent2, disait Bacon (Novum Organum, I, Aphorisme 2). Et Claudus in via antecedit cursorem extra viam 3 : livrés à
eux-mêmes, marchant au hasard, sans lumière, le savant autant que le philosophe sont condamnés à tâtonner en vain, et
autant exposés à l’erreur que leur esprit aurait été plus pénétrant. En revanche, armés d’une bonne méthode, ils
marchent plus lentement, mais sûrement, n’abordant certaines questions qu’après en avoir préalablement résolu d’autres
qui les éclairent : ita res accendent lumina rebus4 (Lucrèce, De Natura Rerum, I, fin). « Ceux qui ne marchent que fort
lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et
s’en éloignent. » (Descartes, ibid.)
[Conclusion partielle]
« … ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, le principal est de l’appliquer bien », écrivait Descartes, se souvenant
probablement de sa lecture de Francis Bacon.
[2ème partie] Mais la méthode suffirait-elle pour parvenir à un résultat quelconque ?
1) Au Moyen-Âge et au XVIème siècle, on put voir de brillants esprits – Albert le Grand, son disciple Thomas d’Aquin,
dont l’Aurora Consurgens est certainement authentique, Henri Corneille-Agrippa, John Dee, Pic de la Mirandole,
1
Dont le titre complet est : Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences.
« Ni la main seule ni l’esprit livré à lui-même n’ont de grande puissance ; il faut des instruments et des secours dont l’esprit a tout
autant besoin que la main pour achever une œuvre ».
3
« Mieux vaut un boiteux sur la route qu’un coureur hors de la route » (Saint Augustin, Sermon 169).
4
« Chaque découverte met en lumière d’autres découvertes ».
2
François Rabelais, etc. – s’égarer du côté de l’irrationnel. Formés par la lecture d’Aristote et des scolastiques, il leur
manquait sans doute la nécessaire distance critique à l’égard de l’intuition, laquelle ne peut s’avérer fructueuse que sous
le contrôle de la raison, sans quoi les hommes ne pourraient qu’accorder foi à ce qui les obsède depuis toujours :
fabriquer de l’or et accéder à un état supérieur de conscience par la transmutation réelle de son esprit, dialoguer avec les
morts, exercer un réel pouvoir sur les choses et tous les êtres vivants, etc.
2) Mais, sans aucune méthode, on ne pourrait qu’être tenté de généraliser abusivement les vérités qu’on croit pouvoir
être énoncées. Pour celui qui n’a jamais vu plus loin que son horizon familier, tous les moutons sont blancs, faisait
remarquer Spinoza. Il lui reste encore à observer un mouton noir. Et La Rochefoucauld ne concevait aucune exception à
sa maxime : « L’esprit est toujours la dupe du cœur ». Cela se laisse pourtant contester
3) Aucune méthode, comme le faisait remarquer Montaigne dans ses Essais, ne remplacera jamais le bon sens et le
génie : « elle [la science] n’est pas pour donner jour à l’âme qui n’en a point, ni pour faire voir un aveugle. Son métier
est non de lui fournir la vue, mais de la lui dresser, de lui régler ses allures, pourvu qu’elle ait de soi les pieds et les
jambes droites et capables. » Les plus grands génies ne seraient rien sans puiser leur force dans les règles de la logique
formelle : Ingenii vis praeceptis alitur et crescit5, disait déjà Sénèque (Lettres à Lucilius, XCIV). Et Descartes lui-même
reconnaissait qu’il lui était si facile de tomber dans l’erreur lorsqu’il écrivait : « Je pense avoir eu beaucoup d’heur de
m’être rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m’ont conduit à des considérations et des maximes dont j’ai
formé une méthode par laquelle il me semble que j’ai moyen d’augmenter ma connaissance [je souligne] et de l’élever
peu à peu au plus haut point auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre
d’atteindre. »
[Conclusion partielle]
Sans méthode, on ne pourrait qu’être conduit à des erreurs de jugement, proprement inévitables. Mais la méthode ne
serait rien sans un savoir préalable.
[3ème partie] En définitive, en quoi consisterait cette méthode avec laquelle il convient de raisonner ?
1) Ses règles sont évidentes, telles qu’elles ont été définies par la Logique de Port Royal, d’après Descartes et De
l’esprit de la géométrie de Pascal. Ce sont des règles de bon sens, dont il semblerait difficile de se passer pour conduire
un raisonnement, quand bien même leur liste ne serait-elle pas exhaustive, ou que leur formulation laisserait à désirer.
2) Ne laisser aucun terme un peu obscur ou équivoque sans chercher à le définir. N’employer dans ses définitions que
des termes déjà connus ou précédemment expliqués. Ne proposer comme axiomes que des vérités parfaitement
évidentes en elles-mêmes. Ne recevoir pour évident que ce qui n’a besoin que d’un peu d’attention pour être admis.
Tout démontrer. Chasser toute équivoque. Traiter toutes choses dans un ordre naturel 6, en commençant par le plus
général et le plus simple. Diviser le complexe en ses éléments simples. (Logique de Port Royal, Quatrième partie)
3) Il est cependant bien des méthodes et des non méthodes. La syllogistique aristotélicienne ne saurait plus par exemple
être définie comme ce qui produit la connaissance, par le « syllogisme scientifique », 
La méthode démonstrative n’en resterait pas moins digne d’intérêt, mais ne peut-on pas démontrer par ailleurs que ce
qu’on connaît déjà ? [cf. le cours sur la notion de démonstration]
[Conclusion partielle]
Les règles de la méthode qui serait à mettre en œuvre ont été explicitées par les philosophes classiques.
[Conclusion]
[Résumé de la démarche précédemment suivie]
Dans une première partie, nous avons souligné ce qui constitue l’essentiel de la méthode que définissaient Bacon et
Descartes. Dans une deuxième partie, nous avons objecté qu’aucune méthode ne pouvait à elle seule suffire à
l’établissement des connaissances. Dans une troisième partie enfin, nous avons explicité les règles de la méthode telles
qu’elles ont été définies par les Classiques.
[Réponse apportée à la question initiale, ou, le cas échéant, solution du problème]
Sans méthode, on ne pourrait évidemment parvenir à quoi que ce soit en matière de connaissances ou de pensée. Tout
raisonnement digne de ce nom requiert bien une certaine méthode. Le reste serait de la nature de l’intuition, du préjugé
commun ou de la croyance infondée.
[Et c’est tout ! Surtout pas de question, de prétendu « élargissement », « ouverture » sur une autre question, d’exemple
ou de nouvel argument en fin de conclusion !]
5
6
« Les préceptes, entretenant la force de l’entendement, le font croître ».
Ce que je fais moi-même dans mes cours, en présentant les éléments de connaissance que vous avez besoin d’acquérir
systématiquement dans un ordre chronologique ou bien logique suivant le cas.