Le Cid - biblio

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Le Cid - biblio
Le Cid
Corneille
Livret pédagogique
correspondant au livre élève n° 36
établi par Anne Autiquet,
agrégée de Lettres classiques,
professeur en I.U.F.M.,
et Armelle Vautrot-Allégret,
certifiée de Lettres modernes,
formatrice I.U.F.M. et conseillère pédagogique
Sommaire – 2
SOMMAIRE
A V A N T - P RO P O S ........................................................................................... 3
T A B L E DES
CO R P U S ........................................................................................
4
R ÉP O NSES
A U X Q U EST I O NS ................................................................................
5
Bilan de première lecture (p. 170) .................................................................................................................................................................. 5
Acte I, scène 1 (pp. 9 à 11)............................................................................................................................................................................... 6
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 12-13)................................................................................................................................. 6
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 14 à 23).................................................................................................................. 7
Acte I, scène 6 (pp. 35 à 37)........................................................................................................................................................................... 11
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 38 à 40)............................................................................................................................ 11
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 41 à 50)................................................................................................................ 13
Acte II, scène 2 (pp. 54 à 57).......................................................................................................................................................................... 17
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 58-59)............................................................................................................................... 17
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 60 à 70)................................................................................................................ 18
Acte III, scène 4 (pp. 93 à 101) ...................................................................................................................................................................... 21
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 102 à 104)........................................................................................................................ 21
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 105 à 115) ........................................................................................................... 23
Acte IV, scène 3 (pp. 126 à 132) .................................................................................................................................................................... 28
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 133-134)........................................................................................................................... 28
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 135 à 145) ........................................................................................................... 29
C O M P L ÉM ENT S
A U X M I SES EN SCÈ NE ..................................................................... 33
C O M P L ÉM ENT S
A U X L ECTU RES D ’ I M A GES ................................................................. 34
B I B L I O GRA P H I E
CO M P L ÉM ENT A I RE
...................................................................... 39
Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2005.
43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.
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Le Cid – 3
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la
fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces
lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de
textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation,
de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Une pièce comme Le Cid
permet d’étudier l’esthétique classique et ses liens avec le baroque, mais aussi la tradition héroïque du
théâtre espagnol et l’évolution du genre dramatique au XVIIe siècle. En tant que récit de duels et de
batailles, elle ouvre à une réflexion sur la thématique de la guerre à travers un groupement de textes.
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres
classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite
la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine
compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et
enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe,
notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus.
• En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui
donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de
l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre
intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du
texte (sur fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il
se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre :
l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du
questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer
chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer
un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le
« descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude
ou de documents complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail
efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.
Table des corpus – 4
TABLE DES CORPUS
Corpus
L’exposition : nécessité
ou artifice dramatique ?
(p. 14)
Le monologue délibératif
(p. 41)
Honneur et vengeance :
des valeurs espagnoles
(p. 60)
Scènes d’aveu au théâtre
(p. 105)
Visages de la cruauté
guerrière
(p. 135)
Composition du corpus
Objet(s) d’étude
et niveau
Texte A : Scène 1 de l’acte I du Cid de Pierre
Corneille (pp. 9-11).
Texte B : Extrait de la scène 1 de l’acte I du
Tartuffe de Molière (pp. 14-18).
Texte C : Prologue d’Antigone de Jean Anouilh
(pp. 18-20).
Texte D : Extrait d’Art de Yasmina Réza (pp. 2022).
Le théâtre : texte et
représentation
(Seconde, Première)
Histoire littéraire
(Seconde, Première)
Texte A : Scène 6 de l’acte I du Cid de Pierre
Corneille (pp. 35-37).
Texte B : Scène 2 de l’acte IV de Cinna de Pierre
Corneille (pp. 42-44).
Texte C : Extrait de la scène 4 de l’acte IV de
Bérénice de Jean Racine (pp. 44-46).
Texte D : Extrait des Misérables de Victor Hugo
(pp. 46-47).
Document : Mise en scène du Cid par
D. Donnellan (p. 48).
Texte A : Scène 2 de l’acte II du Cid de Pierre
Corneille (pp. 54-57).
Texte B : Extrait de la scène 4 de l’acte III de Dom
Juan de Molière (pp. 60-63).
Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte III de Ruy
Blas de Victor Hugo (pp. 63-69).
Document : Affiche de la version flamenco du Cid
(pp. 68-69).
Convaincre, persuader,
délibérer
(Seconde, Première)
Le théâtre : texte et
représentation
(Seconde, Première)
Texte A : Scène 4 de l’acte III du Cid de Pierre
Corneille (pp. 93-101).
Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte II de
Phèdre de Jean Racine (pp. 105-107).
Texte C : Extrait de la scène 3 de l’acte III du
Tartuffe de Molière (pp. 107-108).
Texte D : Scène 8 de l’acte III d’On ne badine pas
avec l’amour d’Alfred de Musset (pp. 109-110).
Texte E : Extrait de la scène 5 de l’acte V
de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand
(pp. 110-113).
Texte A : Extrait de la scène 3 de l’acte IV du Cid
de Pierre Corneille (p. 128, v. 1257, à p. 132,
v. 1328).
Texte B : Article « Guerre » du Dictionnaire
philosophique de Voltaire (pp. 135-136).
Texte C : Extrait de La Chartreuse de Parme de
Stendhal (pp. 137-139).
Texte D : Extrait des Châtiments de Victor Hugo
(pp. 139-142).
Texte E : Extrait du Feu d’Henri Barbusse (p. 142).
Document : Paths of Glory (Les Chemins de la
gloire) de C. R. W. Nevinson (p. 143).
Le théâtre : genres et
registres
(Seconde, Première)
Convaincre, persuader,
délibérer
(Seconde, Première)
Le théâtre : genres et
registres
(Seconde, Première)
Le théâtre : texte et
représentation
(Seconde, Première)
Convaincre, persuader,
délibérer
(Seconde, Première)
Histoire littéraire
(Seconde, Première)
L’éloge et le blâme
(Seconde)
Compléments aux
travaux d’écriture destinés
aux séries technologiques
Question préliminaire
Dégagez les traits essentiels de l’évolution
de l’exposition entre les textes C, A et D.
Commentaire
Vous commenterez le texte C selon le
parcours de lecture suivant :
a) montrez en quoi ce texte remplit les
fonctions d’une exposition ;
b) montrez en quoi il renouvelle un genre
traditionnel.
Question préliminaire
Quelles valeurs s’opposent dans chacun de
ces monologues délibératifs ?
Commentaire
Vous commenterez le texte C selon le
parcours de lecture suivant :
a) analysez les termes du dilemme de Titus ;
b) étudiez les procédés de la délibération et
l’effet produit sur le spectateur.
Question préliminaire
Comment ces documents témoignent-ils
chacun de la passion de l’honneur ?
Commentaire
Vous commenterez le texte C selon le
parcours de lecture suivant :
a) étudiez comment Ruy Blas s’adresse aux
ministres ;
b) montrez quel portrait il fait de l’Espagne ;
c) montrez quelles valeurs il cherche à
défendre.
Question préliminaire
Quelle stratégie d’aveu vous semble la plus
surprenante dans ces textes ? Pourquoi ?
Commentaire
Vous commenterez le texte B selon le
parcours de lecture suivant :
a) étudiez les étapes de l’aveu ;
b) montrez par quels arguments Phèdre
justifie sa passion et quel effet elle cherche
à produire sur Hippolyte.
Question préliminaire
Quelles sont, selon vous, dans ces
documents les dénonciations de la guerre
les plus efficaces ? Pourquoi ?
Commentaire
Vous commenterez le texte B selon le
parcours de lecture suivant :
a) montrez quelle est la visée
argumentative du récit de Voltaire ;
b) montrez par quels procédés apparaît sa
condamnation radicale de la guerre.
Le Cid – 5
RÉPONSES AUX QUESTIONS
B i l a n
d e
p r e m i è r e
l e c t u r e
( p .
1 7 0 )
Temps : la première scène se déroule à Séville, en milieu de matinée, dans la maison de Chimène,
pendant la délibération du Conseil. La querelle et le duel occupent l’après-midi. La première entrevue
entre Rodrigue et Chimène a lieu au crépuscule (v. 675) ; Rodrigue relate le lendemain matin sa nuit
de combat contre les Maures (IV, 3). Le dénouement survient en début d’après-midi au plus tard,
après le duel judiciaire. L’action dépasse à peine les 24 heures.
Lieux : le premier acte se déroule chez Chimène, chez l’Infante et sur une place publique devant le
palais royal ; l’acte II dans une salle du palais, sur la place devant le palais, chez l’Infante et chez le roi ;
l’acte III chez Chimène et sur une place publique ; l’acte IV chez Chimène et chez le roi ; l’acte V
chez Chimène, chez l’Infante, chez Chimène et enfin chez le roi.
Corneille, dans « L’examen du Cid », dit que l’unité de lieu tient à ce que tout se passe dans Séville.
" Don Rodrigue et don Sanche se disputent la main de Chimène, mais Chimène et son père don
Gomès préfèrent Rodrigue. Don Diègue, père de Rodrigue, doit faire sa demande en mariage au
sortir du Conseil où le roi doit choisir un gouverneur pour son fils. Don Gomès semble favori pour
ce poste.
# L’Infante est amoureuse en secret de Rodrigue, mais ne peut épouser un homme qui n’est pas de
sang royal. Elle a présenté Chimène à Rodrigue et favorise leur mariage pour apaiser son amour. Dans
la pièce, elle continuera à jouer ce rôle par loyauté, même si elle espère secrètement que le duel
sépare les amants et si elle considère ensuite que Rodrigue est devenu l’égal d’un prince après sa
victoire sur les Maures.
$ Un conflit éclate entre don Diègue, élu gouverneur du roi, et don Gomès, qui considère que ce
rang lui était dû. Au cours de cette dispute, le Comte donne un soufflet à don Diègue : c’est un
affront d’autant plus insupportable que ce dernier est trop âgé pour se battre.
% Rodrigue doit faire face au devoir de venger son père humilié et d’affronter en duel le père de
Chimène, ou d’y renoncer et d’être lui-même déshonoré. Il prend la décision de venger son père en
considérant qu’il répond ainsi aux attentes de Chimène.
& Le défi que Rodrigue adresse au Comte (II, 2) est d’autant plus héroïque que ce dernier est un
guerrier aguerri et invaincu et que Rodrigue n’a jamais pris les armes. Rodrigue tue don Gomès en
duel.
' Le roi considère (II, 6) que le duel est une désobéissance aux lois du royaume, qu’il tue les
meilleurs sujets et qu’un roi se doit de les ménager. Il ajoute (IV, 5) que le duel a un résultat immoral
car il punit souvent les innocents et soutient les coupables.
( Chimène demande justice au roi (II, 8) dans un réquisitoire contre Rodrigue qui a tué son père en
duel. Don Diègue prononce un plaidoyer pour son fils et se porte garant pour lui. Le roi renvoie le
jugement au lendemain et garde don Diègue prisonnier sur parole tout en faisant rechercher
Rodrigue.
) et *+ Rodrigue veut mourir de la main de Chimène (III, 4) afin de lui offrir réparation après avoir
tué son père pour venger son honneur.
Chimène ne veut pas d’une vengeance individuelle mais demande la justice d’État par l’intermédiaire
du roi. Mais elle dit à Rodrigue qu’elle souhaite en fait l’échec de cette plainte.
*, et *- Le récit du combat contre les Maures par Rodrigue (IV, 4) est un morceau de bravoure qui
met en valeur les qualités du héros. Ce récit plein de grandeur épique force l’admiration pour la
modestie, l’habileté et le courage de son auteur.
Au plan juridique, la victoire de Rodrigue sur les Maures lui assure l’impunité pour son duel car il a
sauvé le royaume. Elle lui assure de plus un avenir glorieux dans les hautes sphères de l’État.
*. Le roi, en lui annonçant la mort de Rodrigue, veut s’assurer que Chimène l’aime toujours. Fort de
cette certitude, puisqu’elle a montré sa douleur, il pourra lui donner la main de Rodrigue sans
scrupule. Mais Chimène, se sentant prise au piège, ne veut pas céder immédiatement et demande la
permission de recourir aux armes.
!
Réponses aux questions – 6
Chimène réclame un combat judiciaire, invitant tout vaillant chevalier à se faire son champion et
lui promettant sa main en cas de victoire. Le roi, qui désapprouve cette coutume, veut d’abord en
dispenser Rodrigue, mais devant l’insistance de don Diègue, il fixe le moment du duel, refuse d’y
assister lui-même et impose à Chimène cette épreuve comme jugement définitif qui lui donnera
comme époux le vainqueur quel qu’il soit.
*0 Les lois de la bienséance imposent un délai entre la mort du père de Chimène et le mariage de
cette dernière envisagé avec Rodrigue. En attendant, Rodrigue devra conquérir davantage de gloire
encore en dirigeant la guerre contre les Maures et reviendra encore plus digne de Chimène après un
laps de temps décent.
*1 Le Cid, avec son sujet espagnol, rassemble beaucoup de caractéristiques de la tragi-comédie :
dénouement heureux, amours contrariées de Chimène et Rodrigue riches en péripéties et en
rebondissements multiples (menace des amours de l’Infante pour Rodrigue, duels et meurtre du
Comte, combat contre les Maures, mort prétendue – deux fois – de Rodrigue, décors multiples de
l’action).
*/
A c t e
I ,
s c è n e
1
( p p .
9
à
1 1 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 12-13)
La scène s’ouvre sur des questions portant sur « un rapport » préexistant à l’ouverture du rideau. La
présence du passé composé (« as-tu fait ») fait clairement référence à une conversation déjà entamée. À
défaut d’être déjà en action, les personnages sur scène sont déjà en conversation.
" Chimène tutoie Elvire, alors que cette dernière vouvoie Chimène – ce qui montre l’écart dans
leur position sociale respective. Par ailleurs, Chimène pose des questions courtes (tenant sur un seul
vers), presque péremptoires à Elvire.
On comprend vite que la gouvernante recueille non seulement les confidences des prétendants de
Chimène, mais aussi les confidences de sa maîtresse et les informations pour elle, notamment auprès
du père dont elle peut citer et interpréter les propos. Chimène dépend d’elle pour apprendre la
volonté de son père ; on est dans une configuration classique du serviteur qui sait tout et qui œuvre
en faveur de son maître.
# Si Chimène est celle qui domine socialement et qui semble mener l’interrogatoire au lever du
rideau, le rapport entre la maîtresse et la gouvernante s’inverse rapidement. Elvire détient toutes les
informations dont sa maîtresse a besoin et elle prend vite un ascendant visible dans la longueur des
répliques. Le point d’orgue en est sa longue tirade (v. 17-53). Sa parole est sécurisante pour Chimène
jusqu’à la fin de la scène (« Vous verrez cette crainte heureusement déçue »).
$ La scène suivante respecte le même schéma que la première mais, cette fois, il s’agit d’un dialogue
entre l’Infante et sa gouvernante. Cependant, l’aveu amoureux (« Ce jeune cavalier […] / Je l’aime ») est
empreint de noblesse et de sacrifice : l’Infante s’abandonne au lexique affectif (« tristesse », « amour »,
« cœur »…) et aux clichés amoureux (« L’amour est un tyran »), mais elle ne cède pas le monopole de la
parole à sa gouvernante.
Passion et renoncement font que la scène 2 inscrit davantage la pièce dans le genre tragique.
% Chimène assaille son interlocutrice de questions (v. 1-2 et 13-16) reflétant son inquiétude, à
l’instant où se joue son hymen avec Rodrigue.
Les questions et les injonctions rapides (« Dis-moi donc, je t’en prie », « Apprends-moi de nouveau »),
adressées à Elvire, alternent avec des phrases longues se développant sur des enjambements (v. 11-12,
15-16, 53-54 et 55-56) et sont autant de manifestations de l’instabilité affective et de la fébrilité de
Chimène.
Le lexique est lui aussi révélateur : le lexique affectif et passionnel prédomine (« espoir », « charmant
discours », « feux de notre amour », « secrète brigue », « âme troublée », « accablée », « grand bonheur »…) et
les mots mis à la rime mettent en valeur ce qui occupe l’esprit de Chimène (« amour », « Rodrigue »,
« âme troublée », « accablée »).
& Cinq personnages masculins émergent de cette scène et dessinent les duels et duos à venir : les
deux prétendants (don Rodrigue et don Sanche), le père de Rodrigue et celui de Chimène, et le roi.
!
Le Cid – 7
Si quatre sont étroitement liés à Chimène (les deux prétendants et les deux pères), le roi occupe une
place à part, qui peut laisser deviner le rôle d’arbitre qu’il aura à jouer plus tard. On pressent déjà que
tous joueront un rôle décisif dans la destinée de Chimène.
' Les deux prétendants (v. 16 : « ces deux amants » ; v. 42 : « vos deux amants ») sont de qualités à peu
près équivalentes, et pourtant un choix doit être fait. Chimène a une préférence (au vers 14, c’est don
Rodrigue qui est mis à la rime et non don Sanche ; et aux vers 15-16 : « quelle inégalité / Entre ces deux
amants me penche d’un côté »), mais il faut que son père ait la même et que le roi approuve ensuite cette
union.
Les paroles du père de Chimène, rapportées par Elvire, jouent ici un rôle important dans la
présentation des deux jeunes premiers et la comparaison qui s’établit entre eux : tous deux sont « d’un
sang noble, vaillant, fidèle » ; ils ont pour eux la jeunesse (« Jeunes » en rejet au vers 27) et ils sont les
dignes héritiers de leurs aïeux (v. 27-28). Cependant, l’avantage est donné à Rodrigue par sa filiation
et les exploits liés à son nom (v. 29-38 : « sort d’une maison si féconde en guerriers », « La valeur de son
père, en son temps sans pareille »…).
On voit ici un des topos de la tragédie, directement hérité de la littérature chevaleresque et épique :
l’importance de la naissance et des prouesses guerrières. Les mots mis à la rime font résonner ces
valeurs si recherchées : « exploits », « père », « honneur », « vaillance »…
( L’intrigue semble reposer sur la conquête de Chimène et la validation du prétendant par ceux qui
font autorité (les pères, le roi). Logiquement, l’intrigue amoureuse devrait poser problème, puisque les
amours contrariées sont une constante de la tragédie et du théâtre classique. On s’attend donc à un
retournement de situation.
) La tirade d’Elvire annonce un autre événement de la plus haute importance : « Le roi doit à son fils
élire un gouverneur » ; le père de Chimène semble tout désigné pour ce poste. On voit bien que cette
nomination peut avoir une incidence sur les projets de Chimène car le père de cette dernière, alors
comblé, serait en mesure de lui accorder tout ce qu’elle lui demanderait (v. 52 : « tous vos désirs seront
bientôt contents »). Le père de Rodrigue doit d’ailleurs lui parler de ce mariage après sa nomination
(v. 49-52) pour profiter de ce qu’il sera bien disposé.
On pressent qu’une mauvaise surprise dans cette nomination pourrait bien avoir une influence néfaste
sur le dessein de Chimène.
On sait, par ailleurs, que, dans la tragédie, l’amour et la politique sont étroitement liés. Une décision
du roi concernant ce poste de gouverneur pourrait donc parfaitement se déplacer sur le plan personnel
et affectif.
*+ Les dernières répliques de la scène répondent aux critères de la tragédie et non à ceux de la
comédie : le mauvais pressentiment de Chimène (v. 55-56) pousse le spectateur, comme les héros, à
attendre l’accomplissement d’un destin inexorable. Chimène porte sur scène la parole du dramaturge :
« Allons, quoi qu’il en soit, en attendre l’issue. »
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 14 à 23)
Examen des textes
! Dans chacun des extraits, les personnages sur scène donnent l’impression d’avoir commencé la
conversation avant le lever de rideau et, dans le cas de l’extrait de Tartuffe, les personnages sont aussi
en mouvement, en action.
Leurs échanges de répliques font référence à des événements antérieurs (« m’as-tu fait un rapport bien
sincère ? » ; « je sors de chez vous fort mal édifiée ») et à des personnages qui ne sont pas sur scène, et
notamment les personnages éponymes : Tartuffe et Rodrigue (qui sera plus tard appelé « le Cid »).
Par ailleurs, les modes de communication entre les personnages (tutoiement, vouvoiement,
injonctions, tournures respectueuses ou plus ou moins irrévérencieuses, moqueuses) donnent des
indications sur les rapports sociaux et hiérarchiques qui caractérisent les relations entre ces
personnages.
Enfin, certains effets d’annonce peuvent être décelés dans les répliques et informent sur la tournure
que vont prendre les événements, donc sur le déroulement de l’intrigue.
Réponses aux questions – 8
Le Prologue est ici personnifié, matérialisé par un personnage. L’exposition est donc véritablement
mise en scène, ou plutôt mise sur scène !
De fait, le Prologue évite d’avoir quantité de didascalies présentant les personnages, leur attitude, leur
physique. Mais, en plus de présenter les personnages de manière vivante et concrète (par le jeu des
démonstratifs et des présentatifs), le Prologue nous informe sur l’intrigue et procède aussi à des effets
d’annonce : « nous qui n’avons pas à mourir ce soir », « C’est lui qui viendra annoncer la mort d’Hémon tout à
l’heure », « il sait déjà »… Enfin, le Prologue ne se retire pas de l’espace scénique sans contextualiser
l’histoire qui va se jouer sous nos yeux : « maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous
jouer leur histoire. Elle commence au moment où […]. »
En présentant les personnages, mais aussi le contexte de l’intrigue, et en procédant plus ou moins
subtilement à des anticipations, le Prologue remplit ici la fonction de l’exposition.
# On constate qu’il n’y a pas d’exposition traditionnelle visible. Mais on est frappé immédiatement
par l’alternance très rapide de dialogues et d’apartés.
L’aparté initial de Marc permet de renseigner le spectateur sur le contexte et le personnage de Serge ; l’aparté
suivant de Serge permet d’en apprendre davantage sur Marc et informe sur le conflit à venir, autour du
tableau (« Un tableau blanc avec des lisérés blancs »), et de leur rapport à l’art (« Mon ami Marc […] fait partie de ces
intellectuels, nouveaux, qui, non contents d’être ennemis de la modernité, en tirent une vanité incompréhensible »). Les
personnages sont donc immédiatement mis en situation, dans une sorte d’observation que l’éthologie ne
renierait pas, et de fait, le conflit va naître rapidement et précipiter l’action.
$ Dans la tradition dramaturgique, l’exposition peut tout aussi bien être prise en charge par un
dialogue ou par un monologue ; en cela, cet extrait utilise ces deux ficelles de l’écriture dramatique.
Par ailleurs, la présentation des personnages se fait dans la bouche de l’autre, et cela n’est pas non plus
contraire aux règles de l’exposition : le personnage de Tartuffe est esquissé dans les répliques des autres
personnages ; il en est de même pour Rodrigue.
Enfin, la présence de didascalies, discrètes certes, contribue à la représentation des lieux et des attitudes
des personnages : « Marc, seul », « Chez Serge », « Posée à même le sol », « Marc regarde le tableau ».
% Les points de vue sont divers et plus ou moins subjectifs mais ils nous renseignent suffisamment sur
les personnages importants :
– les didascalies sur les personnages en scène (« tous les personnages sont en scène », « Serge regarde, réjoui,
son tableau ») ;
– les paroles des interlocuteurs sur eux-mêmes suivant le ton – le lexique qu’ils utilisent en s’adressant
aux autres (liens affectifs, liens hiérarchiques…) – et aussi sur les personnages absents ;
– les paroles des absents rapportées par les personnages sur scène (comme Elvire rapportant les paroles
du père de Chimène) ;
– le Prologue, vrai-faux personnage destiné à renseigner sur les autres et sur l’intrigue à venir.
& Les didascalies participent de la construction du cadre spatio-temporel et de la présentation des
personnages suivant leurs attitudes, leurs postures, leurs vêtements…
En position initiale, elles amorcent l’exposition. Rappelons que, dans les didascalies initiales, il faut
aussi évoquer la liste des personnages qui, outre le nom et le rang social de chacun d’eux, donne aussi
parfois des renseignements sur les liens de parenté ou les liens affectifs.
Les didascalies initiales rappellent qui est sur scène et nous donnent des indications sur les lieux (« Un
décor neutre. Trois portes semblables »). Les didascalies internes jouent le même rôle et signalent alors tout
changement, comme l’entrée d’un nouveau personnage, le changement de lieu (« chez Serge ») et les
éléments de décor (« Posé à même le sol ») ; elles donnent aussi de nombreuses informations sur les
échanges des répliques, comme, par exemple, l’alternance entre dialogue et aparté (« Serge, comme seul »).
"
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Tous ces débuts de pièce ont pour vocation plus ou moins avouée de présenter les personnages, les
lieux, l’action, les relations entre les personnages et de permettre de formuler des hypothèses sur la
suite ou même la fin (heureuse ou malheureuse ?) de la pièce, suivant les indices cachés dans l’échange
des répliques ou le prologue.
Le Cid – 9
Formellement, les deux extraits classiques fonctionnent d’une manière semblable, d’autant que le
personnage éponyme y est présenté à travers la bouche des autres. Mais on sait pour Tartuffe comme
pour Rodrigue qu’ils apparaîtront sur scène bien plus tard.
Les textes contemporains s’émancipent de la forme classique mais respectent finalement plusieurs
aspects de l’exposition : Anouilh revient aux sources antiques et matérialise le Prologue qui fait office
d’exposition avec sa seule intervention ; Yasmina Réza joue sur un compromis entre innovation et
tradition, puisque l’exposition n’est pas formelle mais disséminée dans l’agencement des répliques et
des didascalies, et c’est sous ces traits qu’elle joue son rôle d’information et de contextualisation.
Commentaire
Remarque préliminaire
Les élèves devront veiller à toujours analyser un texte en fonction du genre auquel il appartient et de
ses spécificités (ici, théâtre et double énonciation), et de son rôle dans l’œuvre intégrale (ici, prologue,
substitut de l’exposition), pour aboutir à ce qui finalement rend ce texte intéressant à commenter
(remplit-il la fonction que l’on attend de lui et en quoi dévoile-t-il des spécificités de l’auteur ?).
1. Le Prologue ou la mise en place de l’illusion théâtrale
A. Sorte de didascalie initiale
Noyé parmi les personnages présents sur scène, il s’en détache et établit une proximité physique avec
le public (didascalie initiale).
B. La matérialisation/personnification du Prologue donne à voir la double énonciation en introduisant un
dialogue, une connivence entre ce vrai-faux personnage et le lecteur/spectateur
Mise à distance entre les personnages évoqués à la 3e personne et le « nous » dans lequel s’englobe le
Prologue (« nous tous, qui sommes là bien tranquilles ») ou le « vous » désignant les récepteurs (« ils vont
pouvoir vous jouer leur histoire »).
C. Recours aux démonstratifs et aux présentatifs
Ils détachent un à un les personnages et leur donnent corps, comme si le Prologue avait le pouvoir, en
véritable démiurge, de leur donner vie sur la scène devant les spectateurs (« Voilà », « ces personnages »,
« c’est Hémon »…).
2. Le Prologue et son statut d’exposition
A. Les personnages
Outre les déictiques qui donnent chair aux personnages successivement (structure en paragraphes qui
suit le trajet du regard du Prologue et du spectateur d’un personnage à l’autre), on notera les
propositions relatives (« qui est assise là-bas et qui ne dit rien », « qui bavarde et rit », « qui rêvait dans un
coin »…) et les éléments grammaticaux constitutifs de la description (adjectifs placés en position
d’épithètes ou d’attributs et donnant des indications physiques et morales : « Elle est bonne, digne,
aimante », « toujours innocents et satisfaits d’eux-mêmes ») qui contribuent à étoffer la présentation des
personnages.
B. L’intrigue
• Au présent de la description/présentation des personnages s’oppose l’expression du futur qui
annonce des événements à venir (« elle tricotera pendant toute la tragédie », « C’est lui qui viendra annoncer
la mort d’Hémon », « ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l’heure »).
• Le Prologue est véritablement la projection sur scène du démiurge car lui seul sait tout de ce qu’il est
advenu (« il a été trouver Antigone […] et lui a demandé d’être sa femme », « Avant, du temps d’Œdipe, quand il
n’était que le premier personnage de la cour »), ce qu’il advient et ce qu’il adviendra des personnages.
• Les alternances entre les temps verbaux et les indices de temps (« avant », « un soir »,
« maintenant »…) permettent d’envisager ce qui a préexisté au Prologue, ce qui est sous les yeux du
spectateur et ce qui risque d’arriver dans les scènes à venir.
C. La mise en route du destin tragique
Les événements annoncés sont d’emblée funestes : mort d’Hémon, d’Eurydice, du personnage
éponyme, « de quiconque osera rendre les devoirs funèbres » à Polynice. Ce Prologue joue le rôle de
l’exposition d’une tragédie.
Réponses aux questions – 10
3. Anouilh, entre tradition et innovation
A. Réécriture d’un mythe antique
• Anouilh réécrit ici le mythe d’Antigone déjà fort bien développé par la tragédie de Sophocle.
• Le Prologue, qui pourrait aussi bien être un Chœur, dévoile les ficelles de l’illusion théâtrale,
comme le faisaient les dramaturges antiques.
B. Absence d’exposition formelle
Le Prologue s’y substitue habilement en instaurant la connivence avec le récepteur, en facilitant la
connaissance du sujet de la tragédie, des personnages et de leurs relations, et en annonçant d’emblée
quelques événements et l’issue funeste de l’intrigue.
C. Un Prologue subjectif
• L’intervention du Prologue suit la logique et l’organisation objective de ce que pourraient être des
didascalies initiales, présentant décors et personnages.
• On voit très vite qu’il va plus loin en rendant déjà certains personnages plus sympathiques que
d’autres et en recourrant à quelques indices de subjectivité comme la ponctuation expressive (les
points de suspension notamment).
Dissertation
Remarque préliminaire
Les élèves devront s’interroger sur ce qui semble caractériser l’exposition au théâtre : des critères de
reconnaissance formelle (véritables codes du « qui apprend quoi à qui ») et les informations qu’elle
véhicule. De ces deux caractéristiques naissent des ambiguïtés : peut-on parler d’exposition quand les
indices matériels ne sont pas là mais que, pourtant, les indications nécessaires à la compréhension du
déroulement de l’intrigue nous sont fournies ?
Le discours dramatique présente-t-il de tout temps une exposition ou peut-il s’en passer ? Si tel est le
cas, l’intrigue ou l’évolution des personnages en devient-elle absconse ?
1. L’exposition : une figure imposée de l’écriture dramaturgique
A. Les règles antiques
Règles de l’exposition définies dès le théâtre antique et liées à l’impératif de vraisemblance : à quoi
sert-elle et comment se matérialise-t-elle (Aristote) ?
B. Personnification de l’exposition
• Rôle et fonction du chœur, et prospérité de cet artifice (exposition d’On ne badine pas avec l’amour de
Musset).
• Autre personnification de l’exposition avec le Prologue.
• Comment l’exposition est-elle mise dans la bouche des personnages (monologues, apartés, dialogues
informant le spectateur et jouant donc le jeu de la double énonciation) ?
C. Matérialité et fonction de l’exposition
• Quelle longueur ? Quelle quantité d’informations ?
• Règles classiques :
– exposition en une ou plusieurs scènes ?
– personnages présents et absents évoqués ?
– effets d’annonce et anticipation sur le déroulement de l’intrigue ?
2. De la rénovation formelle à la suppression apparente de l’exposition
A. Une exposition au-delà des limites fixées
L’exposition peut s’étirer sur plusieurs scènes, voire plusieurs actes – ce qui va au-delà des limites
fixées par les traditions antique et classique (déjà, dans Le Cid, on parle d’une exposition sur au moins
deux scènes ; on voit cela aussi chez Beaumarchais).
B. Le théâtre contemporain surtout bouleverse les conventions
• Le théâtre de l’absurde (Ionesco, Beckett…) renonce à l’exposition traditionnelle.
• Les auteurs actuels s’en émancipent très volontiers (Réza, Schmitt) et pratiquent le début in medias
res.
Le Cid – 11
C. Les didascalies, initiales ou internes, restent des indications très précieuses
Elles comblent souvent les vides dans le décor, dans les dialogues et peuvent même être abondantes
(Beckett) et précises.
Conclusion
L’exposition n’a peut-être pas toujours la forme attendue, mais les dramaturges savent informer avec
plus ou moins de générosité le spectateur/lecteur. Lorsqu’ils s’entendent à brouiller les pistes (théâtre
de l’absurde, théâtre très récent) ou à élargir le champ de l’exposition au-delà de la limite d’une scène
(Le Cid en est une illustration !), ils ne nous laissent pas nécessairement en mal d’informations et nous
aident à construire malgré tout les personnages, leur passé et leur avenir, selon les nécessités de
l’intrigue. Les chemins de l’intrigue sont simplement parfois un peu plus sinueux.
Écriture d’invention
Les élèves devront imaginer un prologue, matérialisé soit par un personnage à part (comme dans le
texte d’Anouilh ou encore un personnage représentant clairement sur la scène l’auteur – ici, une
femme), soit par un autre subterfuge (un personnage de la pièce prenant seul d’emblée la parole, assez
longuement pour prendre en charge toute l’exposition de la pièce).
Ils pourront donc inventer des didascalies introduisant ce prologue et veiller à ce que le lecteur puisse
les identifier comme telles (espaces avant la suite du texte, par exemple).
Enfin, le contenu devra répondre aux exigences de l’exposition et tenir compte de ce que l’extrait
contient comme informations (amitié entre les deux protagonistes mais aussi divergences de point de
vue sur l’art, leur profession, leur niveau de vie…).
Piste de correction :
« Une femme, habillée avec élégance, sort de la pénombre et s’avance d’une démarche sensuelle et distinguée sur la
scène qui présente un décor nu et blanc.
La femme, face au public :
Vous allez assister à la dégénérescence d’une solide amitié masculine. À son origine : un tableau, un
surprenant tableau au motif blanc sur fond blanc.
Serge et Marc se connaissent depuis longtemps. Le premier est… »
A c t e
I ,
s c è n e
6
( p p .
3 5
à
3 7 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 38 à 40)
Le poème comporte 6 strophes et 10 vers par strophe : un quatrain à rimes embrassées composé
d’un octosyllabe et de trois alexandrins ; un distique à rimes plates composé d’un alexandrin et d’un
hexasyllabe ; un quatrain à rimes croisées composé d’un décasyllabe, d’un hexasyllabe et de deux
décasyllabes. Les noms peine et Chimène reviennent en rimes croisées à la fin de chaque strophe – ce
qui produit l’effet d’un refrain et accentue la musicalité des stances, tout en mettant en relief la plainte
de la souffrance amoureuse.
" La structure de ce monologue rappelle celui de don Diègue : on assiste à l’évolution de
l’expression du désespoir à la décision finale ; d’autre part, la passation de l’épée par don Diègue
(« Passe, pour me venger, en de meilleures mains ») est reprise par Rodrigue (« Fer qui causes ma peine ») ;
l’adresse au bras ainsi qu’à l’épée rappelle le premier monologue.
# Ce monologue fait écho à celui de don Diègue. Il met à nu l’intériorité du personnage de Rodrigue
jusqu’à présent connu seulement par le discours des autres ; à la scène 5, il est resté silencieux, stupéfait et
bouleversé de douleur. C’est maintenant que cette souffrance va s’exprimer, en même temps que les
raisons de sa décision se font connaître. Il s’agit ici d’une parenthèse lyrique avant la tragédie.
$ On observe le champ lexical de la souffrance : « misérable », « malheureux », « peine ». La métaphore de la
blessure est associée à celle de la souffrance : « percé », « atteinte », « mortelle », « abattue », « coup qui me tue ».
% Modalités exclamatives et interrogatives dominent les trois premières strophes, traduisant la
douleur (« Ô Dieu, l’étrange peine ! »), le désarroi et l’indécision de Rodrigue devant l’épreuve qui le
frappe (« Faut-il laisser un affront impuni ? / Faut-il punir le père de Chimène ? »).
!
Réponses aux questions – 12
Les modalités assertive, exclamative et injonctive dominent dans les trois dernières strophes, traduisant
la tentation du suicide par désespoir (« Il vaut mieux courir au trépas »), puis le sursaut d’indignation
devant cette infamie (« Mourir sans tirer ma raison ! »), et enfin le rejet du désespoir et la détermination
finale à assumer sa vengeance (« Courons à la vengeance »).
& Strophe 2 : symétries de structures : « venger un père et perdre une maîtresse » ; « l’un »/« l’autre » ;
« m’anime le cœur »/« retient mon bras » ; « trahir ma flamme »/« vivre en infâme » ; « Faut-il »/« Faut-il »
(questions sans réponses) ; oppositions : juxtaposition honneur/amour.
Strophe 3 : oppositions et symétries : père/honneur ; maîtresse/amour ; « l’un […] l’autre » ; « M’es-tu
donné pour »… (2 fois) ; « venger mon honneur »/« perdre ma Chimène » (deux questions sans réponses).
On observe des oxymores : « noble […] contrainte, aimable tyrannie ».
Ces figures font apparaître l’opposition irréductible des deux valeurs entre lesquelles le héros doit
choisir : l’amour et l’honneur. Les vers 311 et 312 exposent, en alliant parallélisme et opposition
implicite, les termes de l’alternative et leur caractère également respectable.
Le vers qui résume le dilemme est le vers 307 : « Des deux côtés mon mal est infini ».
' Comparaison des deux derniers vers de chaque strophe :
– v. 299-300 : phrase exclamative. Constat du paradoxe : père offensé et offenseur du père de Chimène ;
– v. 309-310 : phrases interrogatives. Alternative impossible : ne pas se venger ou perdre son amour.
Parallélisme de construction : « Faut-il » (2 fois) ;
– v. 319-320 : phrases interrogatives. Adressées à l’épée : se venger ou bien perdre l’amour
(conséquence de la vengeance). Parallélisme : « m’es-tu donné pour » (2 fois) ;
– v. 329-330 : phrase impérative. Adressée à l’âme : décision de mourir et de ne pas tuer son amour ;
– v. 339-340 : phrase impérative. Adressée au bras : décision de se venger car Chimène est perdue de
toute façon. Parallélisme de construction entre les deux strophes : « allons […] puisque » ;
– v. 348-350. : phrase impérative. « Puisque […] si […] », retour au paradoxe du début résolu par la
délibération. Parallélisme avec la construction des deux strophes précédentes.
Rimes : Chimène à chaque dernière rime (une fois avec peine) ; honneur (2 fois) rime avec bonheur.
( Rodrigue change d’avis deux fois : v. 303, les deux termes du dilemme ; v. 322, premier choix (le
suicide pour épargner sa maîtresse) ; v. 342, second choix (réfutation du premier : Rodrigue doit
venger son père).
) Le champ lexical de la mort est lié au choix du suicide (« courir au trépas », « mourir », « mourons »,
« mourir ») puis au choix du combat qui écarte celui du suicide car ce serait la mort de sa gloire (« un
trépas si mortel à ma gloire,/Que je meure au combat ou meure de tristesse »).
*+ V. 339-340 : dans les deux cas, Rodrigue doit perdre Chimène ; v. 343-344 : la mort est toujours
au bout du chemin (au combat ou par tristesse), mais elle sera du moins sans tache (la gloire est sauve :
« sang pur ») ; dépassement du dilemme.
*, Dès le vers 306, le choix de l’expression « vivre en infâme » dévalorise tant le refus de combattre que
ce choix est déjà donné comme impossible.
*- « J’attire ses mépris en ne me vengeant pas » : le code de l’honneur de Rodrigue est en réalité partagé
par Chimène et il le sait. Tous deux font primer les valeurs familiales et aristocratiques sur les valeurs
individuelles (l’amour) : la vengeance pour un affront de sang en fait partie. L’honneur personnel
(v. 302 et 331-332) se confond avec l’honneur aristocratique (v. 333-334).
*. On note l’opposition entre les valeurs de « raison », de « gloire », de « mémoire », de « maison »,
toutes quatre à la rime, et celle de l’« amour », dévalorisée par son association à « perte et âme égarée » ;
de même, « ce penser suborneur » rime avec « honneur » tout en s’y opposant.
Au vers 322, Rodrigue donne sa raison : « Rechercher un trépas si mortel à ma gloire » – sa gloire
personnelle et l’honneur de sa famille seraient détruits aux yeux de la postérité par une mort sans
vengeance.
*/ Rodrigue s’adresse à son épée comme à une confidente. Elle est d’abord un objet « ennemi » (« fer
qui causes ma peine ») qui va le conduire à détruire son amour en affrontant le Comte (v. 317-318).
Elle devient ensuite l’adjuvant, la complice (« Allons, mon bras, sauvons […] ») qui va lui permettre de
surmonter son conflit (v. 339-340).
*0 Rodrigue passe de l’état d’indécision à la décision, du désespoir au refus de la « peine », du
déchirement à la sérénité de la conciliation entre les deux valeurs (amour et honneur).
Le Cid – 13
Ce monologue qualifie Rodrigue en tant que héros : il a fallu ce temps de pause pour que Rodrigue
renonce à Chimène, fasse le sacrifice de son amour et le fasse admettre au public. C’est « le pénible
enfantement d’un nouvel amour sur les décombres de l’amour originel » (Serge Doubrovsky).
*1 Cette scène, acmé ou point culminant du premier acte, permet à l’intrigue de rebondir. La
décision et ses motifs sont dits. L’affrontement peut maintenant avoir lieu.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 41 à 50)
Examen des textes
! Texte A : Rodrigue s’adresse successivement à lui-même en disant « je » (strophes 1 et 2), à son
épée (strophe 3, v. 318), à son âme (strophe 4, v. 329), à son bras (strophe 5, v. 339) et enfin à luimême à la 1re personne du pluriel (strophe 6). Rodrigue emploie la synecdoque (figure désignant la
partie pour le tout) qui traduit le dédoublement de lui-même et ses contradictions.
Texte B : Auguste s’adresse d’abord aux dieux garants de son pouvoir (« Ciel », v. 1), à lui-même
(« Octave », v. 10), à Cinna qui l’a trahi (v. 30), à lui-même à nouveau (v. 39), et enfin il lance un
appel aux Romains, à la vengeance et au pouvoir absolu, forces internes qui le déchirent (v. 67-68).
Texte C : Titus s’adresse à lui-même (v. 1 : « Titus », et « Titus » encore au v. 25) en faisant alterner
la 1re et la 2e personne du singulier.
Texte D : Jean Valjean, alias M. Madeleine, s’adresse ici à lui-même par le biais du style indirect libre.
Les quatre personnages s’adressent donc surtout à eux-mêmes dans les textes A, C et D. Auguste seul
s’adresse à d’autres personnages absents : les dieux, Cinna et les forces qui le poussent.
" Texte A : comme on l’a vu, le champ lexical de la douleur dans la 1re partie, de la mort dans les
dernières strophes, les phrases interrogatives et exclamatives, puis injonctives traduisent l’état de
désarroi de Rodrigue, puis son désespoir et la tentation du suicide, enfin son sursaut d’indignation,
son rejet du désespoir et sa détermination à se venger. Les oppositions lexicales et les antithèses, les
symétries de structures et les rimes mettent en relief tout au long des stances les deux termes du
dilemme, le souci de sa gloire qui le pousse à se venger et son amour pour Chimène qui le retient.
Entre ces deux extrêmes, la tentation du suicide. « Des deux côtés mon mal est infini » résume son
dilemme. Le jeu des pronoms fait alterner « je » avec « tu » représentant des parts de lui-même. La
3e personne désigne Chimène en opposition à son propre père.
Texte B : les termes du dilemme sont le châtiment par vengeance contre l’ami qui l’a trahi et le
suicide par lassitude de tant de crimes commis et par dégoût du pouvoir (v. 55 : « Meurs enfin puisqu’il
faut ou tout perdre ou mourir »). Les champs lexicaux de la mort et du massacre (v. 11-20 : « fleuves de
sang », « carnage », « bourreau », « couteau ») et ceux de la punition et de la vengeance (v. 41 et 59-66 :
« punissons l’assassin », « immole ce perfide », « punis son parricide ») alternent avec ceux de la lassitude
(« ma cruauté se lasse », « mes jours plus maudits ») et de l’aspiration à la mort (v. 42-56 : « meurs », « ta
mort », « te faire périr »). Les phrases exclamatives traduisent l’indignation contre lui-même (v. 10-28)
et alternent avec les injonctives par lesquelles il s’incite à mourir et à faire périr Cinna (v. 41 et 6066). Les phrases interrogatives reflètent ses incertitudes en début et en fin de tirade. Le pronom « tu »
représente soit lui-même, soit Cinna, et la 3e personne ses victimes (v. 12-20) ou Rome, source de
haine (v. 45-54).
Texte C : les termes du dilemme sont, pour Titus, soit de garder avec lui Bérénice qu’il aime, soit de
la répudier pour satisfaire à la raison d’État. Il se reproche successivement sa cruauté envers elle (v. 113) et sa lâcheté envers l’État (v. 36 à fin). Les phrases interrogatives traduisent ses incertitudes et ses
hésitations successives, en faveur de Bérénice au début de la tirade (v. 1-17), puis de l’honneur lié à la
raison d’État et à son rang (v. 27-35 et 39-49). Les injonctives ponctuent ses décisions successives
pour l’une et l’autre des alternatives (v. 6, 23-26, 37-39 et 52-53). L’exclamative de la fin (v. 51)
manifeste un sursaut de honte final. Les champs lexicaux opposent l’expression de la cruauté et de
l’amour (v. 2-25 : « téméraire », « cruauté », « barbare » / « adore », « aime », « douce langueur », « pleurs »,
« amour », « persévérance ») à celle de la raison d’État (v. 30-36) et de l’honneur (v. 40 à fin :
« grandeur », « gloire », « mémoire », « honneur »). Le jeu des pronoms alterne « je » et « tu » désignant la
même personne. Les pronoms de 3e personne représentent alternativement Bérénice et Rome qui
s’affrontent dans le cœur de Titus.
Réponses aux questions – 14
Texte D : Jean Valjean hésite entre se dénoncer et se taire. Les phrases interrogatives de la fin
résument son dilemme : « Faut-il se dénoncer ? Faut-il se taire ? » Les phrases exclamatives de la
1re partie traduisent le regret du bonheur de la vie qu’il mène et l’angoisse des souvenirs du bagne. Les
champs lexicaux de la joie de vivre (« existence si pure, si radieuse », « respecté de tous », « honneur »,
« liberté », « reconnaissance ») s’opposent à ceux de l’horreur et de la souffrance du bagne (« toutes ces
horreurs connues : la chiourme, le carcan […] »), et la lâcheté du silence qui serait « agonie de la vertu »
s’oppose au courage de se dénoncer ou « agonie de son bonheur ».
Dans tous ces cas, le registre est pathétique car le héros est déchiré entre des valeurs également
respectables et sa décision, quelle qu’elle soit, aura des conséquences tragiques pour lui. Le spectateur
ou le lecteur doit éprouver de la pitié ou de l’horreur.
# Texte B : Auguste regrette d’abord les valeurs humaines individuelles de l’amitié loyale et les
oppose à celles du pouvoir absolu qui ne souffre pas d’amis mais seulement des sujets (v. 3-8). Il
reconnaît ensuite la légitimité de la vengeance de Cinna contre ses propres crimes : « Leur trahison est
juste et le ciel l’autorise » (v. 25). Mais, à cette légitimité, il oppose celle, individuelle, de l’amitié trahie
qui appelle la vengeance (v. 60-66) et celle, collective, de l’État qui ne souffre pas d’être menacé et ne
doit pas pardonner sous peine d’être affaibli (v. 39-41).
Texte C : Titus oppose à la loyauté en amour et à la tendresse la raison d’État, le bonheur individuel
qu’il finit par qualifier de « lâche » au souci de l’honneur et de la grandeur de l’État.
Dans les deux textes, des souverains sont déchirés entre valeurs individuelles et valeurs d’État.
Pour Auguste, le pouvoir, déjà ancien et conquis de haute lutte, est remis en cause. Le problème
politique est celui de la contestation de sa légitimité et du choix ou non de l’usage de la force pour le
maintenir. Mais la souffrance de la trahison d’un ami et la lassitude de la lutte le poussent à la
vengeance et à la démission. La réflexion politique d’Auguste va l’amener à trouver sa gloire dans le
pardon final qui manifestera le plus haut degré de maîtrise de soi et des autres.
Pour Titus, qui règne depuis peu, il s’agit encore d’accéder à la légitimité d’empereur en donnant des
preuves de sa gloire politique et personnelle par le sacrifice de son amour aux exigences du pouvoir.
$ Texte B : Auguste passe d’abord du désespoir de la trahison de son ami à la reconnaissance lucide
de la légitimité du complot face à ses propres crimes (« Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te
plaindre »). Puis, dans un sursaut de revendication de sa légitimité de souverain, il décide de châtier
Cinna. Mais, devant le constat du cercle vicieux de la vengeance (« Mais quoi, toujours du sang et
toujours des supplices »), il est tenté par le suicide en entraînant Cinna avec lui dans la mort. Enfin la
tirade se termine sur un appel aux forces internes qui le divisent pour qu’elles l’aident à se décider.
Texte C : du vers 1 au vers 12, Titus s’interroge d’abord sur sa capacité à rompre et à résister à la
tendresse de Bérénice. Puis il envisage de repousser sa décision à plus tard en espérant dans l’indulgence
de Rome. Mais, se reprenant, il se rappelle avec lucidité (« Titus, ouvre les yeux ») l’aversion de Rome
pour les rois et son opposition à sa liaison. Enfin, Titus regarde avec honte son début de règne sans
grandeur (« Qu’ai-je fait pour l’honneur ? J’ai tout fait pour l’amour ») et se décide à rompre ce lien.
Texte D : Jean Valjean envisage alternativement deux solutions : se livrer et se taire. Quand il pense
se dénoncer, il évoque en souvenir tous les plaisirs qu’il va perdre et toute la misère qu’il va retrouver.
Il regarde avec la même horreur le fait de se taire. Les deux solutions envisagées le mènent
successivement à la mort d’une partie de lui-même.
Ces monologues sont délibératifs, dans le sens où les personnages considèrent tous, au moment de
prendre une décision grave, les avantages et les inconvénients de choix contradictoires. Leurs
arguments structurent donc leur discours en moments différents.
Dans la langue, on peut relever la présence importante du lexique des verbes de jugement ou
d’évaluation, de décision et d’alternative :
– texte A : « que je sens de rudes combats », « il faut », « il vaut mieux », « faut-il ? » « N’écoutons plus »,
« je m’accuse », « ne soyons plus en peine » ;
– texte B : « Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre », « Mais que mon jugement au besoin
m’abandonne !/Qui des deux dois-je suivre et duquel m’éloigner ? » ;
– texte C : « T’es-tu bien consulté ? il faut », « ne précipitons rien », « ouvre les yeux », « Faut-il donc ? Ne
tardons plus » ;
– texte D : « les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour », « les deux idées », « il considéra l’avenir », « il
envisagea », « ce poignant dilemme », « il faisait effort pour ressaisir son intelligence », « il tâchait de se poser
[…] le problème », « il sentait que », « toutes ses irrésolutions l’avaient repris ».
Le Cid – 15
Dans les textes A et C, les héros finissent par prendre une décision, celle du sacrifice de l’amour au
profit de la gloire. Dans les textes B et D, la scène s’achève sur l’irrésolution de chacun des
personnages et nous ne connaissons pas encore leur décision future. Le lecteur peut, certes, se fonder
sur les valeurs qui sont les leurs et sur leur soif d’absolu pour imaginer leur choix final. Il peut donc
prévoir la décision de Jean Valjean. Mais Auguste n’a pas vraiment encore envisagé le pardon et nous
n’avons ici qu’une partie de sa délibération. Il est donc difficile de le prévoir vraiment.
& Au début du texte, le discours intérieur de Jean Valjean est introduit par le résumé de paroles ou
de pensées (« il considéra l’avenir. Il envisagea »), puis ses pensées plus précises sont présentées au style
indirect libre, depuis « Il faudrait donc dire adieu » jusqu’à « Quelle misère ! ».
On trouve aussi quelques phrases au style direct avec la citation « Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean »
et, dans la 2e partie du texte, les phrases clés du dilemme qui sont répétées de manière obsédante :
« Que faire, grand Dieu ! Que faire ? » et « Faut-il se dénoncer ? Faut-il se taire ? ».
L’emploi du style indirect libre rend présentes les pensées du personnage, permettant de traduire la
force de ses interrogations et de ses sentiments contradictoires tout en les insérant dans le récit.
' La photographie est prise au moment où Rodrigue s’adresse à son épée par synecdoque (« Fer qui causes
ma peine ») dans une longue phrase qui enjambe les vers 315 à 320. Il la désigne d’un doigt qui l’accuse de
son malheur et en même temps la désigne comme ultime recours, à travers les antithèses (« Cher et cruel
espoir d’une âme généreuse »/« mais ensemble amoureuse » ; « pour venger mon honneur »/ « pour perdre ma
Chimène »). La posture de Rodrigue face à son épée à distance traduit à la fois la crainte, l’interrogation et
le défi. Sur la scène, divisée en trois zones (une d’ombre, une de lumière et une intermédiaire), Rodrigue
se dirige vers la lumière où se trouve l’épée, comme pour prendre possession de lui-même. Ces jeux
d’ombre et de lumière symbolisent le dilemme et la progression vers la décision finale.
%
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Confrontés à un dilemme poignant dont toutes les issues risquent de leur être fatales, les quatre héros
de ces textes mènent un vrai débat intérieur contradictoire avant de décider du parti à prendre : il est
pris pour seulement deux d’entre eux en fin d’extrait, mais il est en partie prévisible pour les deux
autres. La décision sera un enjeu décisif de chacune des pièces de théâtre. Elle joue aussi un rôle
essentiel dans la construction du héros de roman (texte D).
Dans ces monologues, les personnages s’adressent surtout à eux-mêmes et aux forces contradictoires
qui sont en eux. Dans le texte B, le héros s’adresse aussi aux dieux et à son adversaire, comme s’ils
étaient présents. Dans le monologue romanesque, le style direct, évidemment présent dans les
monologues de théâtre, est remplacé par le style indirect libre et le récit (ou résumé) de paroles.
Ces textes montrent l’affrontement entre des arguments représentant des intérêts et des systèmes de valeur
contraires, qui doivent conduire à des choix différents : venger un père en tuant celui de sa fiancée ou bien
perdre son honneur (texte A) ; se satisfaire en se vengeant d’un ami qui l’a trahi ou se tuer et quitter le
pouvoir par dégoût de soi-même et par lassitude (texte B) ; garder la femme aimée contre la raison d’État
ou régner avec gloire en se séparant d’elle (texte C) ; se dénoncer à la place d’un innocent et retourner au
bagne ou ne pas se dénoncer, rester heureux mais perdre sa conscience morale et son honneur (texte D).
Le lexique de l’évaluation, de la décision et de l’alternative est présent dans tous ces textes.
Le registre de ces monologues intérieurs est pathétique de par la situation tragique des protagonistes,
les sentiments de douleur extrême qu’ils manifestent et les valeurs essentielles qu’ils veulent défendre.
Commentaire
1. Un dilemme tragique et pathétique
A. Le dilemme de Titus est fondé sur la nécessité de choisir
Soit il garde avec lui Bérénice qu’il aime, soit il la répudie pour satisfaire à la raison d’État. Il oscille
entre la volonté de la renvoyer et de briser leur amour (v. 1-13) et la tentation de sacrifier l’État à son
amour (v. 36 à fin). C’est une impasse tragique d’où le héros ne peut sortir indemne.
Réponses aux questions – 16
B. Il exprime successivement des jugements contradictoires sur lui-même manifestant des valeurs qui s’opposent
Horreur devant sa cruauté (v. 1-13) et mépris pour sa lâcheté (v. 36 à fin) sont soulignés par des
caractéristiques de l’énonciation : modalités interrogatives et exclamatives, jeu des pronoms qui
alternent entre 1re et 2e personne, le pronom de 3e personne représentant alternativement Bérénice et
Rome qui s’affrontent en lui.
2. Un monologue délibératif
A. La délibération
Elle est marquée par la présence importante des verbes d’évaluation et de décision, ainsi que celui de
l’alternative : « T’es-tu bien consulté ? il faut », « ne précipitons rien », « ouvre les yeux », « Faut-il donc ? Ne
tardons plus ».
B. L’évolution du débat intérieur
Titus renonce d’abord à répudier Bérénice, puis se ravise. Ce débat est souligné par la répartition des
champs lexicaux de l’amour (1re partie : « adore », « aime », « douce langueur », « pleurs », « amour »,
« persévérance ») et de l’honneur (2e partie : « grandeur », « gloire », « mémoire », « honneur »). Le premier
laisse place progressivement au second. Les modalités injonctives ponctuent ses décisions successives
pour l’une et l’autre des alternatives (v. 6, 23-26, 37-39 et 52-53).
3. Un registre pathétique
A. Titus exprime son déchirement entre des choix également respectables et douloureux (v. 10 :
« mon triste devoir »), se reprochant trop de cruauté, de barbarie (v. 4 et 6) et de précipitation (v. 18 :
« trop prompt à me troubler »), et espérant un moment en l’indulgence de Rome, son dernier recours
pour « tant de pleurs, tant d’amour, tant de persévérance » (v. 24-25).
B. Son trouble et son hésitation sont marqués par les répétitions (v. 22-23 : Rome), les parallélismes
(v. 13 : « qui m’adore, qui m’aime »), le rythme ternaire (v. 26), le changement de rythme (v. 24).
Le héros suscite ainsi la compassion du spectateur.
Dissertation
Introduction
Si le théâtre se caractérise de manière générale par le dialogisme, le monologue a connu un succès
important à l’époque classique mais encore au XVIIIe siècle et dans le théâtre romantique. Les plus célèbres
sont considérés comme de véritables morceaux de bravoure (monologues de Hamlet, du Cid, d’Harpagon
dans L’Avare, de Figaro et de Lorenzaccio au XVIIIe siècle). Le monologue est une pause lyrique dans
l’action où le personnage est seul en scène. Quelles sont donc ses fonctions dans un genre dialogique ?
1. Le monologue, pause lyrique ou argumentative
A. Pause lyrique
Par opposition au dialogue qui fait progresser l’action dramatique, le monologue marque une pause lyrique
où le personnage témoigne de ses sentiments et ses pensées les plus secrètes : sentiments souvent
inavouables, comme l’amour désormais interdit (textes A ou C), le désespoir (héros tentés par le suicide :
textes A et B) ; reconnaissance des crimes passés les plus horribles, soif de vengeance et de sang (texte B).
B. Le monologue a aussi un rôle dans l’action
• Parfois, un personnage commente ce qui s’est passé ou médite des plans que nul n’est supposé
connaître : ainsi Arnolphe dans L’École des femmes.
• Un personnage peut aussi peser les avantages et les inconvénients d’une décision à prendre ; dans ce
cas, il délibère et le monologue a une fonction argumentative : ainsi dans les quatre monologues de
théâtre du corpus ou dans le monologue d’Hamlet.
2. Le monologue : une forme particulière de dialogue
Le personnage s’adresse toujours soit à lui-même, soit à d’autres personnages.
• Il peut s’adresser seulement à lui-même (Titus, Octave), soit à certaines parties de lui-même qui
reflètent ses contradictions et sa double personnalité sous la forme de la synecdoque (dans Le Cid :
« Mon bras », « fer », « mon âme »), soit aux forces contradictoires qui le divisent (dans Cinna : « Ô
Romains, ô vengeance, ô pouvoir absolu ! »).
Le Cid – 17
C’est donc en fait, notamment dans le monologue délibératif, entre les forces contradictoires qui sont
en lui que le dialogue a lieu. Entre l’honneur et l’amour (Le Cid, Bérénice), le désir de se venger et le
dégoût du pouvoir (Cinna) ont lieu de vrais débats qui conduisent à un choix décisif.
• Il peut s’adresser aussi à d’autres personnages morts ou absents : dans Cinna, Auguste s’adresse au
Ciel, puis à Cinna ; dans son monologue, Figaro s’adresse à son rival le Comte.
3. Le monologue : un artifice de la double énonciation
Au théâtre, le monologue est un artifice de parole dite à haute voix et que personne n’est supposé
entendre, par laquelle l’auteur s’adresse au spectateur pour lui donner des informations qu’il n’a pas.
Les spectateurs ont ainsi accès aux obstacles intérieurs qui forment le nœud de l’action et aux motifs les plus
profonds des décisions finales et du dénouement de l’action. Dans ces motifs, on trouve des éléments de
l’histoire du héros (Auguste, Jean Valjean), ses relations avec les autres personnages (haine ou amour, rivalité
ou ambition), ainsi que ses valeurs sociales et personnelles. Ainsi l’honneur familial, mais aussi l’attente de
Chimène conduisent Rodrigue au combat ; Auguste et Titus ont un souci de la gloire personnelle qui va les
pousser à dépasser des sentiments plus humains, comme l’amour (texte C) ou la vengeance (texte B).
Écriture d’invention
Critères d’évaluation :
– respecter la mise en page théâtrale et ses conventions (numéros d’acte et de scène, noms des
personnages, didascalies…) ;
– écriture en prose ou en vers et même en stances. Dans ces deux derniers cas, il faut alors prendre en
compte les spécificités poétiques du choix que l’on fait : alexandrins et rimes ; strophes régulières, vers
et type de rimes spécifiques pour les stances ;
– passage du système coupé de la situation d’énonciation au système ancré dans cette situation ;
– d’où la nécessité de transposer les résumés de paroles et le style indirect libre au style direct et, pour cela,
transformer le système énonciatif (pronoms, indications de temps et de lieu et temps grammaticaux) et
trouver des pronoms ou autres désignateurs pour désigner le(s) destinataire(s) du monologue.
A c t e
I I ,
s c è n e
2
( p p .
5 4
à
5 7 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 58-59)
Rodrigue répond ici à l’offense faite à son père : lorsque le Comte a appris que don Diègue avait
obtenu le poste de gouverneur qu’il briguait, il s’est moqué de sa vieillesse, l’a provoqué et lui a
infligé un soufflet. Don Diègue est trop vieux et trop faible pour relever le défi du Comte.
Cette offense est rappelée par la répétition de l’interrogation « sais-tu » aux vers 399-400, jouant sur le
rythme de l’enjambement puis du contre-rejet.
" Les stichomythies miment l’affrontement verbal, dans le sens où elles rythment les échanges et
retentissent comme autant d’assauts et de prises de parole. Elles sont d’ailleurs surtout utilisées pour
des injonctions et des phrases non verbales (v. 402-403, 411 et 439-440).
Les répliques plus longues développent d’autres arguments, plus affectifs, plus rationnels aussi, et
retardent l’affrontement pour prolonger la tension et ménager le suspense (v. 411-418 et 419-436).
# Les champs lexicaux qui dominent sont ceux du combat (« vaillance », « honneur », « téméraire »,
« venge », « ardeur », « armes », « vainqueur », « force », « invaincu », « invincible », « mourir »…) et de
l’amour (« passion », « mouvements », « gendre »…). Ils montrent que Rodrigue doit choisir entre la
raison (venger son père au risque de perdre Chimène) ou sa passion pour Chimène.
$ Les arguments du Comte se dessinent au fil de ses répliques (v. 403 et 430 : la jeunesse ; v. 408 :
l’inexpérience au combat ; v. 407 et 411 : la valeur de son adversaire, jusqu’ici invaincu ; v. 432-436 :
l’inégalité du combat qui opposerait les deux hommes) jusqu’à sa tirade (v. 419-436) qui recourt à
l’argument suprême, touchant directement à l’affectif de Rodrigue : Chimène.
% Le lexique évoquant l’amour et le mariage est concentré dans la tirade du Comte, et la
versification met en valeur certains termes : diérèse sur « passion » (v. 423), mise à la rime de « ma
fille » (v. 422), mise à l’hémistiche de « passion » et « mouvements » (v. 424).
!
Réponses aux questions – 18
Rodrigue semble excédé et non pas attendri, et il ramène la dispute à son origine avec le mot
« honneur » (v. 438).
& L’honneur est la plus haute valeur selon Rodrigue, même si cela doit lui coûter l’amour de
Chimène et peut-être la vie.
La construction parallèle du vers 438 s’articule sur la répétition du verbe ôter mais en opposant
« honneur » et « vie ».
Le recours à la question rhétorique donne plus de force à cette tournure. Rodrigue défie le Comte,
clairement visé par le pronom relatif « qui ».
' À travers ses répliques mais aussi celles du Comte, Rodrigue revêt les qualités des plus grands
chevaliers : « force », « honneur », « ardeur », « devoir », « vertu », « courage », « cœur »… font de lui un
« cavalier parfait » (v. 427), celui qui sera plus tard appelé Le Cid.
( Le parallélisme marque l’opposition entre deux mots de même racine : « invaincu » et « invincible »,
glissant du positif vers le négatif (« mais non pas ») et annonçant un changement d’état.
Par ailleurs, le bras devient métonymique du Comte et l’on comprend dès lors que Rodrigue est
résolu à tuer le père de Chimène. On peut même voir dans cette sentence une anticipation et
comprendre que le Comte va périr, malgré la jeunesse et l’inexpérience de Rodrigue.
) Les trois phrases sont les suivantes :
– v. 405-406 : « aux âmes bien nées, / La valeur n’attend point le nombre des années » ;
– v. 417 : « À qui venge son père, il n’est rien impossible » ;
– v. 434 : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».
L’usage de la pluralité (« aux âmes ») ou de l’indéfini (« on »), ainsi que le recours à l’impersonnel (« il
n’est rien ») donnent aux phrases la valeur d’universalité ; l’utilisation du présent omnitemporel leur
donne la valeur atemporelle du proverbe.
Ces phrases contribuent à façonner un mythe dans la mesure où elles montrent que Rodrigue s’inscrit
dans un cycle éternel, atemporel, et qu’il devient ici et maintenant l’archétype du héros, comme
d’autres le seraient en d’autres temps. Le mythe s’inscrit dans l’éternel recommencement.
*+ Les termes liés à la vie et la mort assurent l’enchaînement lexical des répliques, aux vers 436
(« mort »), 438 (« vie ») et 440 (« vivre » / « mourir »), de manière très resserrée en cette fin de scène.
Cette thématique semble annoncer et même précipiter une fin tragique : l’un des deux va mourir et
l’on se doute que ce n’est pas le héros éponyme, à ce stade de l’intrigue.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 60 à 70)
Examen des textes
! La couleur locale se met en place grâce à quelques indices : les noms des personnages (don, dona,
le duc de Medina, Matalobos…), les allusions aux provinces d’Espagne et autres lieux (Andalousie,
Castille, le palais du roi à Madrid où se passe l’action de Ruy Blas), à des événements historiques
(Charles Quint…), l’attitude faisant allusion au toréador sur l’affiche. Le comportement des
personnages (duel, honneur, esprit de combat, affrontement de valeurs…) sont des valeurs
chevaleresques mais aussi picaresques.
" La vengeance étant une réponse à l’offense faite au père (Le Cid) et à la sœur (Dom Juan), elle entre
dans les valeurs familiales (il faut laver l’honneur des siens et défendre les plus faibles, comme l’homme
âgé ou la femme). Pour Ruy Blas, il s’agit de défendre le peuple contre les abus de pouvoir des
grands ; par là, il lutte contre la corruption et défend donc l’honneur politique et patriotique.
# Les qualités sont à la fois morales et physiques. Elles rejoignent les valeurs chevaleresques héritées
des romans courtois : courage, témérité, justice, obstination, autorité, vertu…
$ L’usage de la tirade caractérise les interventions de Ruy Blas et don Carlos. La tirade est un moyen
de saturer l’espace de parole et de prendre le pouvoir de manière verbale.
Dans les trois textes, la rhétorique de ceux qui se vengent est appuyée par nombre d’effets : des effets
de métrique (enjambements, rejets et contre-rejets, décomposition de vers par le jeu des
stichomythies, mise à la rime de termes révélateurs comme ceux liés au combat ou aux conquêtes),
des images frappantes utilisant notamment la personnification (« vous choisissez l’heure/L’heure sombre où
Le Cid – 19
l’Espagne agonisante pleure » ; « votre pays qui tombe,/Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe ! »…), les
types et formes de phrases (notamment beaucoup d’interrogations oratoires et de phrases
exclamatives), des formules choc et des phrases proverbiales (« l’Espagne se meurt, car l’Espagne
s’éteint ! », « aux âmes bien nées/La valeur n’attend point le nombre des années »).
Dans le document, Chimène est représentée cambrée et conquérante ; elle menace Rodrigue, elle
debout et lui à genoux, semblant accepter avec soumission son châtiment.
% On suppose, à la fin de la lecture de l’extrait, que Rodrigue va finalement triompher du Comte
malgré les arguments développés par ce dernier et tendant à le donner vainqueur (expérience,
courage…). L’affiche représente Chimène menaçant à son tour Rodrigue après que celui-ci a tué son
père. C’est donc au tour de la jeune femme de venger son père !
On peut voir là aussi une mise à mort de leur amour.
& Les phrases à valeur de vérité générale déplacent la vengeance et la défense de l’honneur dans la
sphère intemporelle (« l’honneur est infiniment plus précieux que la vie »).
La transposition de l’action dans un autre pays et parfois une autre époque, dont usent les auteurs,
montre l’universalité du propos, le caractère éternel des thèmes comme l’amour, la haine, le pouvoir.
Sur l’affiche, les êtres nus sont dépouillés de leurs attributs caractérisants et deviennent n’importe quel
homme et n’importe quelle femme en proie à la vengeance. Les passions qu’ils traversent seraient en
quelque sorte des constantes de l’histoire de l’humanité.
' La nudité confère donc à ces silhouettes la valeur de couple universel et atemporel. On peut aussi voir
dans cette nudité une exacerbation de la sensualité qui règne entre ces deux personnages, mais aussi
l’exacerbation des passions qui les dévorent (de l’amour à la haine, de la connivence à la vengeance).
Cette affiche peut renvoyer à la rencontre de Rodrigue et Chimène après la mort du Comte (scène 4
de l’acte III, où est prononcé le fameux « Va, je ne te hais point » de Chimène et où il est question de
l’épée encore toute trempée du sang du Comte). Le traditionnel duo d’amour entre les amants se
transforme ici en scène d’aveu et de séparation.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
L’Espagne fournit des clichés littéraires propices à inspirer les auteurs de plusieurs siècles et de
plusieurs types de discours littéraires (la poésie, le théâtre, le roman). Cervantès, Calderón sont autant
de modèles littéraires éternellement exploités.
Dans nos documents, l’Espagne est campée par plusieurs indices de couleur locale que sont les noms,
les titres (don, dona), les références aux lieux (comme Madrid) ou aux conquêtes de provinces
disputées par l’Espagne à d’autres pays (comme l’Angleterre ou la France).
Le héros picaresque (d’extraction très modeste et mêlé à des aventures diverses et originales) est un
modèle littéraire très prisé et qui renouvelle le genre du héros épique. Ruy Blas est, par exemple, un
simple valet à l’origine.
Enfin, l’Espagne véhicule les topoi de passions torrides et d’amours tumultueuses, mais aussi de
combats et de rivalités. Des hommes rompus au combat manifestent courage et orgueil. Ce sont là
autant de clichés propices à développer les thématiques ici présentes.
Commentaire
1. Un discours aux ministres
A. Prise de fonction (grâce à l’intervention de la Reine) marquée par un discours aux ministres
• Apostrophes de plus en plus longues et de plus en plus dépréciatives, marquées par l’exclamation.
• Utilisation de l’impératif de manière récurrente, le tout maintenant l’attention des interlocuteurs
tout au long de cette longue tirade.
B. Les didascalies placent Ruy Blas en marge de l’ensemble des ministres
• Il est debout, tandis que tous sont assis.
• Il parle, tandis que tous se taisent.
Réponses aux questions – 20
C. Discours politique
• Foisonnement de références géographiques et politiques ; allusion aux conquêtes passées, présentes
et futures ; noms propres évoquant des chefs de guerre.
• Ruy Blas s’adresse à des hommes connaissant ces faits et ces personnages : il y a donc en principe
une connivence entre eux ; le « je » va pourtant s’opposer à la fin de la tirade, surtout au « vous » des
infâmes.
2. Portrait d’une Espagne vaincue et ruinée
A. Personnification de l’Espagne/l’État
Le lexique (« agonisante pleure », « sa vertu », « indigent », « épuisé ») et la métrique (enjambements,
parallélisme avec répétition) sont au service de la personnification.
B. Images
• Images de soumission, de pauvreté, de saleté, d’indigence du pays : « qui vont pieds nus », « s’habillant
d’une loque ».
• Images percutantes qui dramatisent le portrait de l’Espagne : « Morsures d’affamés sur un vaisseau
perdu », « Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;/L’herbe y croît », « L’Espagne est un égout où vient
l’impureté/De toute nation ».
C. Jeu sur les différences rythmiques
Alternance de descriptions catastrophiques sur de longs vers et constats sentencieux tombant comme
des couperets (« Tout s’en va », « Quel remède à cela ? », « Et ce n’est pas assez ! »…).
3. Ruy Blas, héros épris de justice
A. De l’État au peuple
• Pertes de provinces, de biens matériels (des galères à l’argent), d’argent…
• Peuple affamé, ruiné (« Ce grand peuple espagnol […]/Expire dans cet antre où son sort se termine »),
accablé par les impôts outranciers des ministres sans scrupule (« Fossoyeurs qui venez le voler dans sa
tombe »).
• Guerres intestines (« La moitié de Madrid pille l’autre moitié ») et vaines, puisque nul n’est plus riche
que son voisin.
B. Usage du « nous » désormais opposé au « vous »
Alors que Ruy Blas aurait dû être de connivence avec les ministres, il épouse la cause du peuple dont
il est issu (« Anciens vainqueurs du monde, Espagnols que nous sommes,/Quelle armée avons-nous ? »).
C. Condamnation sans appel des ministres corrompus
• Ponctuation expressive (interrogation, suspension, exclamation) qui montre l’indignation de Ruy Blas.
• Fin de la tirade et répliques morcelées par les didascalies qui montrent à qui Ruy Blas s’adresse parmi
ses ministres (il les nomme solennellement).
D. La consécration
• Des ministres démissionnent et doivent s’exiler.
• D’autres reconnaissent en Ruy Blas « un maître », un « grand », mais certains tempèrent cet
enthousiasme en proférant quelques mises en garde (« s’il a le temps de l’être »), et l’annonce par
courrier du complot ne laisse rien présager de bon.
Dissertation
Les élèves devront monopoliser leurs connaissances dans les différents genres littéraires et les
différentes époques. La réécriture figurant parmi les objets d’étude de certaines filières, une partie des
élèves sera déjà sensibilisée à la thématique.
Étudier la littérature comme réécriture revient à travailler sur le poids du « déjà écrit » et donc à
mesurer l’influence des écrits sources et la redondance des thématiques dans la littérature.
1. La littérature : une réécriture revendiquée
A. L’intertextualité explicite
Entre les œuvres de l’Antiquité et celles des époques ultérieures : réécritures de mythes par Anouilh, Sartre,
Giraudoux ; réécritures de genres littéraires comme les fables, les caractères, les blasons, les sonnets…
Le Cid – 21
B. Les emprunts
• À la littérature étrangère : la littérature italienne pour les poètes de la Pléiade, mais aussi la littérature
espagnole (comme Calderón réécrit par Hofmannsthal, Tirso de Molina par Molière, etc.).
• À la littérature antique : Plaute et Térence, sources d’inspiration de Molière, par exemple.
C. La réécriture
Miroir déformant comme dans le cas du pastiche, de la parodie : d’Ésope à Prévert, les fables sont
passées entre les mains de nombreux auteurs comme La Fontaine, Corbière…
2. La littérature sans réécriture : une utopie ?
A. Le refus de la réécriture pour créer de nouvelles formes
Les philosophes des Lumières, le drame romantique…
B. Le refus de la réécriture pour se rapprocher du réel et non plus simplement du vraisemblable
Les romanciers réalistes…
C. Plutôt que de « réécriture », parler de « lecture », de « relation au “déjà-écrit” »
On s’inspire des Anciens sans les copier vraiment…
3. Des thématiques immuables comme fil conducteur de la création littéraire et même
artistique en général
A. De tous temps, la condition humaine et ses affres (la valse des sentiments, les passions, les interrogations sur la
vie et la mort…) ont inspiré les auteurs et ces thématiques semblent indissociables de la littérature
• L’amour (avec ses interdits comme l’adultère ou les différences d’âge : Stendhal, Sainte-Beuve,
Maupassant, Radiguet…).
• Le vice (les femmes, le jeu, le crime…).
• La vie et la mort (des essais philosophiques au théâtre de l’absurde…).
• La guerre, la cruauté des hommes (les philosophes des Lumières, les auteurs de l’entre-deux-guerres,
l’existentialisme…).
B. Cela vaut pour les arts en général et pas seulement pour la littérature
La guerre inspire Voltaire ou Montesquieu mais aussi Picasso ou Verdi.
N.B. : Les mythes ont la faculté de matérialiser ces grandes thématiques : réécrire un mythe est donc
une manière de montrer que ces thématiques sont universelles et atemporelles, qu’elles traversent les
nations et les époques. Par exemple, Dom Juan est espagnol chez Tirso de Molina, français sous la
plume de Molière et italien pour Mozart.
Écriture d’invention
Les élèves devront faire vivre la scène représentée par l’affiche en utilisant les ficelles du discours
dramatique (didascalies, discours direct, expressivité) et en tenant compte des liens affectifs qui
unissent ces deux personnages.
Il leur faudra faire verbaliser le rôle que joue l’épée (Chimène a-t-elle vraiment l’intention de tuer
Rodrigue ? Ce dernier la laisse-t-il accomplir sa vengeance avec soumission ou va-t-il tenter de la
faire changer d’avis par quelque discours habile ?).
Le but de l’exercice n’est bien entendu pas de leur faire réécrire : « Va, je ne te hais point » !
A c t e
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4
( p p .
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à
1 0 1 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 102 à 104)
Rodrigue et Chimène ne se sont pas encore rencontrés sur scène. Il s’agit donc d’une scène
capitale attendue par le spectateur, la plus longue (152 vers) et la scène centrale de la pièce. Corneille
parle du redoublement d’attention du public au moment de cette scène. Elle se passe la nuit, dans la
maison de Chimène dont Rodrigue vient de tuer le père et qui est sous le choc de cette mort. Au
début de l’acte, tous deux ont annoncé à Elvire leurs intentions : Rodrigue, celle de mourir de la
main de Chimène ; et Chimène, celle de poursuivre officiellement Rodrigue et de mourir ensuite
parce qu’elle l’aime encore. Rodrigue, caché par Elvire, l’a entendue.
!
Réponses aux questions – 22
Procédés exprimant la surprise de Chimène : phrases interrogatives et exclamatives, phrases
nominales, interjection (« hélas ! »), répétition de « Rodrigue ». L’arrivée de Rodrigue constitue un
véritable coup de théâtre pour Chimène qui a confié son amour et ses intentions à Elvire et qui sait
que Rodrigue en a été le témoin secret. La vue du meurtrier de son père forçant sa porte, l’épée à la
main, alors qu’il est recherché par l’autorité royale, a de quoi la bouleverser. De plus, elle peut
craindre pour sa réputation si quelqu’un voit entrer ou sortir Rodrigue de chez elle à cette heure.
# Le héros qui surgit armé dans la maison de la femme qu’il aime et dont il vient de tuer le père, sans
que celle-ci le chasse immédiatement, ne pouvait que choquer les règles de la bienséance et de la
vraisemblance et créer le scandale. Il s’agit bien ici d’une forme de transgression des règles de
bienséance par un coup de force. L’Académie française a de plus blâmé Chimène de ce « qu’en même
temps qu’elle poursuit Rodrigue, elle fait des vœux en sa faveur ».
$ Rodrigue prétend que la renommée de Chimène serait sauve si elle le tuait pour faire taire les
bruits sur leur amour. Il prône l’honneur d’un règlement individuel du conflit. Pour Chimène, c’est
en poursuivant publiquement Rodrigue et en passant par la justice d’État qu’elle sauvera son honneur
et fera reconnaître son droit.
% Différentes formes repérées et étapes marquées :
– v. 849-868 : dans un enchaînement de courtes répliques, Rodrigue supplie Chimène de la tuer et
Chimène, surprise et indignée, refuse ;
– v. 865-932, au milieu de la scène, deux longues tirades où les deux héros argumentent et exposent
leurs motifs : Rodrigue retrace l’historique de sa vengeance, justifie le meurtre du Comte et demande
à Chimène de le tuer ; Chimène lui répond en expliquant pourquoi elle le poursuit (venger son père
et se montrer digne de lui) ;
– v. 933-962 et 964-979 : quelques répliques plus longues et équilibrées où les héros font assaut
d’arguments pour se convaincre réciproquement ;
– v. 963 et v. 980 à fin : à nouveau un échange de vers très courts où les amants laissent éclater leur
amour après les aveux d’amour de Chimène.
& Rodrigue souhaite que Chimène le tue avec sa propre épée pour venger son père. Cette épée est
celle qui lui a été déjà confiée par son père. Il tente d’abord d’exciter Chimène à le tuer en lui
présentant l’épée meurtrière. Mais elle fait horreur à Chimène qui la repousse.
Les arguments utilisés par Rodrigue sont, pour Chimène, la possibilité de venger son père (v. 854), la
gloire d’être digne de Rodrigue en accomplissant sa vengeance comme lui (v. 903-904 et 949-950), la
nécessité de sauver sa réputation compromise par son amour pour lui (v. 967-68), et, pour Rodrigue,
la douceur (v. 939) ou la consolation (v. 960-962) de mourir de sa main.
C’est ce qui a fait voir à Serge Doubrovsky dans l’épée exhibée une forme de « viol symbolique »
compensant la perte du plaisir de la possession désormais interdite.
' Rodrigue justifie le duel où il a tué le Comte par des raisons d’honneur vis-à-vis de son père et de
lui-même (v. 874-877), mais aussi vis-à-vis de Chimène. Le vers 890 (« Qui m’aima généreux me haïrait
infâme ») fait écho au vers 324 de la scène 6 de l’acte I (« J’attire ses mépris en ne me vengeant pas »).
( Chimène respecte le choix de Rodrigue et ne le blâme ni ne l’accuse. Elle reconnaît comme siennes les
valeurs qu’il a défendues : « honneur », « généreux courage » contre l’« infamie et l’outrage » (v. 905-910). Mais
elle doit aussi accomplir son devoir pour être à sa hauteur (v. 911-912) : symétrie « ton père »/« mon père »
et « ta gloire »/« ma gloire » (v. 913-916), « montré digne de moi »/ « montrer digne de toi » (v. 931-932).
Comme Rodrigue, Chimène refuse la lâcheté du renoncement : aux vers 871-872 de Rodrigue
répondent en écho les vers 927-928. Tous deux manifestent leur héroïsme en sacrifiant leur tendresse
réciproque à la gloire d’être à la hauteur des attentes de l’autre. La logique implacable du code de
l’honneur les oblige à être aussi « généreux » l’un que l’autre.
) Chimène, dans sa volonté de poursuivre Rodrigue en justice et son refus de le tuer, opère une
distinction entre « partie » et « bourreau » (v. 940), « prendre » (v. 941) et « obtenir », « et d’un autre » et
« toi » (v. 943), « poursuivre » et « punir » (v. 944), opposant ainsi la justice d’État caractérisée par le
procès, des magistrats et des avocats à la vengeance individuelle et la justice directe. Elle s’oppose ainsi
à Rodrigue pour qui la seule justice possible est celle de « la main seule » (v. 949-950), c’est-à-dire la
justice individuelle. On voit naître ici une conception de la justice d’État étroitement liée à la lutte
sous Richelieu entre pouvoir royal et classes nobiliaires : cette conception prend le pas
progressivement sur celle de la morale aristocratique réglant encore ses comptes par le duel.
"
Le Cid – 23
Le cri « Hélas ! Je me meurs ! » de Chimène est un cri de douleur exprimant le conflit entre son
amour et son indignation devant cette infraction à la bienséance, entre sa volonté de se venger et sa
douleur horrifiée devant cet acte proposé par Rodrigue.
*, Le déterminant possessif a une valeur de tendresse qui rappelle aussi l’engagement qui unit
Rodrigue à Chimène et les valeurs qu’ils partagent.
*- Aveux successifs :
– v. 905-909 : après la justification du meurtre du Comte par Rodrigue, Chimène avoue l’approuver
et le comprendre ;
– v. 963 : à la plainte de Rodrigue refusant de vivre avec sa haine, Chimène rétorque sur le même
thème par « Va, je ne te hais point », hémistiche célèbre qui équivaut à un aveu de son amour ;
– v. 964-965 : à Rodrigue la pressant de lui dire son ultime décision, Chimène avoue qu’elle souhaite
que la poursuite judiciaire n’aboutisse pas.
Ces aveux sont faits d’abord de manière détournée ou implicite par le procédé de la litote : « Je ne puis
te blâmer » (v. 906), « Va, je ne te hais point » (v. 963). Le dernier est arraché à Chimène, mais direct,
au vers 984. L’aveu central du vers 963 découpe l’alexandrin en trois répliques entre les amants de
6/3/3 syllabes où les deux parties de la déclaration de Chimène encadrent la réponse de Rodrigue, la
seconde renforçant la première.
*. Les vers 985-992 représentent un des plus célèbres duos d’amour du théâtre, « relation duelle
symétrique où s’échangent le sujet et l’objet, où donc chacun est objet d’amour pour l’autre » (Anne Ubersfeld,
Lire le théâtre, t. III, Belin, 1998, p. 27). Les deux héros se disent en effet leur amour réciproque et
leur souffrance sur le ton de la plainte élégiaque. Ce duo d’amour est un duo de l’amour impossible.
Procédés :
– trois alexandrins composés de deux répliques des amants formant des hémistiches symétriques (v. 985,
987 et 991) soulignent leur harmonie retrouvée. Le vers 985 met en relief le lien paradoxal entre leur
amour et leur malheur par deux exclamatives. Le vers 987 exprime le caractère inattendu de leur
malheur par deux interrogatives. Le vers 991 dit leur douleur extrême par deux autres exclamatives ;
– les constructions symétriques mettent en valeur l’extrême proximité de leur bonheur et de leur
malheur : « Que notre heur fut si proche et sitôt se perdît. Si près du port/un orage si prompt » (v. 988-990) ;
– la métaphore filée de ces derniers vers illustre la catastrophe que vivent les amants, prêts à se marier
et brusquement séparés ;
– la rime rapproche « misères » et « pères » (rôle destructeur de la famille), « apparence » et « espérance »
(caractère illusoire de l’amour).
*/ L’amour brisé de Rodrigue et Chimène ne semble pouvoir se résoudre que par la mort : Rodrigue
a tué le père de Chimène pour se montrer digne d’elle. Rodrigue veut mourir de la main de
Chimène au nom de son amour (v. 939). Chimène réclame la mort de Rodrigue par une
condamnation judiciaire qu’elle ne souhaite pas pour être digne de son amour. Rodrigue se promet
de traîner une « mourante vie » en attendant la mort (v. 993-994), cependant que l’engagement pris par
Chimène est de mourir si Rodrigue est condamné à mort par la justice royale. La mort semble à la
fois obstacle et but. La vie sans honneur comme la vie sans amour est impossible.
*0 Cette scène centrale, sans faire avancer l’action, a eu pour fonction de réunir les amants et de montrer
aux spectateurs l’intensité de leur amour réciproque. Mais les héros semblent dans une impasse tragique et
seule une issue mortelle est envisagée. Les registres tragique et pathétique dominent, ainsi que le registre
lyrique dans la dernière partie. Il faudra l’irruption de l’Histoire par le biais de l’attaque des Maures pour
donner à Rodrigue l’occasion de manifester une autre forme d’héroïsme et de reconquérir Chimène.
*+
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 105 à 115)
Examen des textes
! Aveux :
– Texte A : Chimène avoue à son fiancé Rodrigue son amour persistant malgré le duel où il a tué son
père et son désir de ne pas réussir dans son procès contre lui.
– Texte B : Phèdre, femme de Thésée, avoue la passion qui la mine à son beau-fils Hippolyte.
Réponses aux questions – 24
– Texte C : Tartuffe, ami et hôte d’Orgon, avoue son amour à la femme de celui-ci, Elmire.
– Texte D : Camille et Perdican, destinés l’un à l’autre, mais qui ont joué avec leurs sentiments,
finissent par s’avouer leur amour réciproque.
– Texte E : Cyrano, ami de Christian, le mari de Roxane mort à la guerre, « avoue » longtemps après
à Roxane son amour pour elle et son rôle ancien auprès de Christian.
Dans tous les cas, il s’agit d’un amour qui est ou est devenu interdit par des conventions sociales. Et
les personnages avouent cet amour à la personne concernée directement par l’aveu. Il ne s’agit pas,
dans ces scènes, d’une confidence à un tiers.
" Dans chaque texte, un amour est avoué avec des termes spécifiques :
– Texte A : « Je ne puis te blâmer » (v. 906), « Va, je ne te hais point » (v. 963), « Mon unique souhait est
de ne rien pouvoir » (v. 984).
– Texte B : « Eh bien, connais donc Phèdre et toute sa fureur :/J’aime ».
– Texte C : « Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature/Sans admirer en vous l’auteur de la nature/Et d’une
ardente amour sentir mon cœur atteint/Au plus beau des portraits où lui-même il s’est peint ».
– Texte D : « Insensés que nous sommes ! nous nous aimons » (Perdican), « Oui, nous nous aimons,
Perdican » (Camille).
– Texte E : « Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas ! »
On note la théâtralisation de la déclaration par les annonces, interjections, modalités exclamatives…
# Dans les textes A, D et E, il s’agit d’un amour partagé mais rendu impossible par des obstacles
sociaux ou intérieurs :
– Rodrigue (texte A) a tué le père de Chimène et il est contraire à leur honneur de continuer à se
voir. Chimène doit chercher à réclamer le châtiment de Rodrigue ;
– Camille et Perdican (texte D) ont dressé entre eux des obstacles pour se mettre à l’épreuve, et
Perdican a promis à la sœur de lait de Camille de l’épouser ;
– Cyrano (texte E) a favorisé le mariage de Christian et Roxane en écrivant ses lettres d’amour et en
se substituant à lui la nuit sous le balcon. L’obstacle principal était sa propre laideur. Le mariage de
Christian et Roxane a formé un second obstacle.
Dans les textes B et C, l’amour n’est pas partagé :
– Hippolyte (texte B) est loyal envers son père et ne regarde pas Phèdre qui l’aime ; de plus, il est
amoureux d’Aricie ;
– Elmire (texte C) est fidèle à son mari qu’elle aime ; de plus, elle méprise Tartuffe dont elle a
compris la duplicité.
$ Aveux plus ou moins arrachés (textes A et E) : ce sont les pressions de Rodrigue qui provoquent
les aveux de Chimène ; Roxane, quand elle a compris, arrache à grand-peine l’aveu de Cyrano, qui
semble lui échapper à la fin, mais c’est lui qui a commencé à lire la lettre, voulant sans doute révéler à
Roxane la vérité avant de mourir.
Aveux plus ou moins volontaires (textes B et C) : c’est Phèdre elle-même qui, devant la confusion
d’Hippolyte, en vient peu à peu à achever son aveu, mais elle soutient que cet aveu est plus fort
qu’elle et lui est arraché par la force de la passion (« Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? ») ;
devant l’ironie d’Elmire sur son attitude, Tartuffe révèle ses sentiments, tout en rejetant
hypocritement sur elle la responsabilité de cet amour (« Vous devez vous en prendre à vos charmants
attraits »).
Aveu spontané mais trop tardif (texte D) : l’aveu de Perdican devant l’attitude éplorée de Camille est
instantané et la réponse de Camille est immédiate, mais ils ont évité cet aveu pendant toute la pièce et
commis par orgueil des actes irréparables.
% Étapes et progression de l’aveu :
– Texte A : Chimène approuve d’abord l’acte de Rodrigue (« Je ne puis te blâmer ») ; puis elle dit son
amour (« Va, je ne te hais point ») ; enfin elle souhaite l’échec de la poursuite judiciaire. Ces aveux sont
faits d’abord de manière détournée par la figure de la litote. Le dernier est direct.
– Texte B : Phèdre a d’abord déguisé son aveu en substituant Thésée et Ariane à Hippolyte et ellemême. Devant l’étonnement indigné d’Hippolyte, elle lui déclare directement sa passion en évoquant
ce qui précède (« Tu m’as trop entendue. Je t’en ai dit assez »). Puis elle annonce l’aveu qui va suivre
(« Eh bien, connais donc Phèdre ») et le formule au début du vers en rejet : « J’aime ».
Le Cid – 25
– Texte C : Tartuffe dit d’abord admirer en Elmire l’œuvre de Dieu (« Au plus beau des portraits où luimême il s’est peint »), avant de lui dire son amour par le détour de la périphrase religieuse « offrande […]
de ce cœur ». Puis il se prétend soumis à son bon vouloir comme à une divinité (« Mais j’attends en mes
vœux tout de votre bonté »). Les stratégies de contournement du langage précieux sont à l’œuvre dans le
champ lexical religieux employé par l’hypocrite.
– Texte E : Cyrano lit d’abord à haute voix la pseudo-lettre de Christian, comme si elle était sienne,
puis continue à la lire de mémoire, la nuit tombant, et se dévoile ainsi. Quand Roxane comprend et
le presse d’avouer son amour, c’est par la répétition de la négation que Cyrano se défend d’abord de
cet aveu avant de désigner, à bout de forces, Roxane par « mon cher amour », tout en niant toujours. Sa
voix en faiblissant trahit peu à peu l’approche de l’aveu et de la mort.
& Arguments avancés :
– arguments de Phèdre pour justifier sa passion : la force des sens et la passion-maladie (v. 25-26), la
haine de soi (v. 13-14), l’atavisme et la vengeance divine (v. 15-16), l’échec de ses tentatives de lutte
contre sa passion (v. 22-23 et 30-32), le désir d’expiation et de mort de la main d’Hippolyte (v. 35 à
fin). Elle réfute par avance (v. 9-12) les accusations de complaisance pour sa passion ou de
préméditation de son aveu. Ce plaidoyer vise à la réhabiliter aux yeux d’Hippolyte et tend à susciter
sa pitié et à obtenir un signe d’intérêt, fût-il de la tuer comme un « monstre ». Mais Hippolyte reste
muet et la solitude impuissante de Phèdre face à ce silence provoque la compassion du spectateur ;
– arguments de Tartuffe : la beauté divine d’Elmire comparable aux créations de Dieu qu’on admire
en elle (v. 1-14), sa lutte contre la tentation et son amour prétendument non coupable (v. 15-22), sa
soumission servile à la toute-puissance d’Elmire (v. 25-30), son caractère humain et non angélique et
le caractère irrésistible et irrationnel de la passion (v. 36-42). Ce discours tend à flatter Elmire et à
l’attendrir sur la passion de Tartuffe tout en sauvegardant son statut de dévot.
Plusieurs arguments sont communs aux deux textes : force de la passion, lutte, dépendance de l’être
aimé. Cependant, le caractère pathétique des plaintes de Phèdre témoigne d’une passion désespérée
qui n’a pas d’indulgence pour elle-même, puisqu’elle se sait coupable et veut la mort à défaut de la
réalisation de son amour. Les déclarations hyperboliques de Tartuffe, en revanche, sont trop teintées
de préciosité et de complaisance pour qu’on n’en sourie pas, et l’hypocrisie fourbe du personnage, si
elle n’a pas encore éclaté, est déjà soupçonnée par le spectateur. De plus, Elmire, cherchant à lui
montrer ses contradictions en se moquant, nous rend complices d’elle. La satire du faux dévot fait rire
le spectateur tout en lui laissant craindre la fourberie du personnage.
' Le texte D présente un registre lyrique à travers l’expression de leurs sentiments par les héros. Le
registre se fait pathétique car les héros s’expriment sur le mode du regret du temps perdu et du
bonheur gâché. Mais il leur reste encore un espoir, puisqu’ils ont su s’avouer leur amour et regretter
leur orgueil. C’est la présence de Rosette, témoin caché de leur aveu, qui va faire tourner au tragique
ce qui pouvait être un dénouement heureux. Le sens du titre apparaît alors : On ne badine pas avec
l’amour.
Comme le texte D, le texte E se situe au dénouement de la pièce. L’aveu final est aussi une
reconnaissance qui aurait pu être heureuse mais c’est en fait la mort de Cyrano qui le provoque. Le
registre est pathétique car l’aveu des sentiments si longtemps cachés par Cyrano, l’émotion et les
regrets de Roxane suscitent la pitié du spectateur pour tant de temps et de bonheur gâchés. Il devient
tragique lorsque l’on sait que la mort ne permettra pas aux amants de profiter de cet amour avoué.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
A. Fonction dramatique de l’aveu
• Place essentielle de l’aveu dans la pièce : ces scènes interviennent au milieu ou à la fin d’une pièce et
marquent soit le nœud de l’action (renforcement du conflit tragique dans Le Cid, péripétie clé qui va
précipiter le dénouement dans Phèdre), soit un dénouement tragique après le soulagement de l’aveu
(chez Musset et Rostand).
• Scènes d’aveu progressif, usant de détours dans les textes A, B, C et E et plus direct dans le texte D.
Lorsque l’aveu est arraché par l’autre ou n’ose être fait tout de suite à cause d’un conflit interne, il
Réponses aux questions – 26
vient progressivement et par étapes (pour Chimène, Phèdre et Cyrano) et sa force n’en est que plus
grande. Il représente alors une sorte de coup de théâtre.
B. Fonction psychologique
• L’amour impossible : tous les personnages de ce corpus avouent leur amour à la personne
concernée, amour impossible qui représente un interdit social (amour du beau-fils dans Phèdre, de la
femme d’un ami dans Le Tartuffe et Cyrano, du meurtrier de son père dans Le Cid) et/ou venant
d’obstacles intérieurs aux personnages (sens de l’honneur chez Chimène, orgueil chez Camille et
Perdican, sentiment d’incapacité à plaire chez Cyrano). Cet interdit représente le nœud du conflit
tragique. Dans certains cas, l’amour est partagé (textes A, D et E) ; dans d’autres (textes B et C), il ne
l’est pas – ce qui constitue un obstacle supplémentaire.
• L’argumentation : Phèdre et Tartuffe, en justifiant leur passion non partagée, révèlent à l’autre et au
spectateur l’origine de leur amour. Chimène explique son comportement, Perdican et Camille leurs
mensonges, et ils se dévoilent eux-mêmes en même temps.
C. Effet sur le registre de la pièce, selon qu’il s’agit d’une tragédie ou d’une comédie
• Le désespoir et la joie de Rodrigue et Chimène (texte A), le mutisme horrifié d’Hippolyte face à
l’aveu de Phèdre (texte B), en provoquant la compassion du spectateur, ont un effet pathétique.
• La mort liée à l’aveu crée le tragique dans les textes D et E.
• La caricature de la préciosité et l’ironie d’Elmire ont un caractère satirique chez Molière.
Commentaire
1. Une tirade d’aveu d’un amour associé à la « fureur »
A. Un aveu direct après les détours précédents
• Interjections, impératifs, apostrophes (« cruel »).
• Expression de l’aveu (« Je t’en ai dit assez », « Connais donc Phèdre et toute sa fureur »).
B. La montée de la fureur
• Agression contre Hippolyte par l’apostrophe : « cruel » (deux fois).
• Réquisitoire contre les dieux et leur cruauté (v. 15-18) ;
• Retournement de sa violence contre elle-même (v. 35 à fin).
C. Marques stylistiques de la violence amoureuse
• Champs lexicaux de l’amour douloureux et violent (« Je t’aime », « fol amour », « le poison », « le feu
fatal » ; « séduire le cœur », « charmes », « langui », « séché », « les feux », « les larmes ») et de la haine (« Je
m’abhorre/que tu ne me détestes », « odieuse », « ta haine », « tu me haïssais plus », « odieux amour »).
• Interjections et apostrophes.
• Modalités exclamatives, interrogatives et impératives traduisant le désarroi.
• Usage réitéré de l’impératif, répétitions manifestant l’exaspération (« ces dieux », « cruel », « tes yeux »,
« cet aveu », « monstre »).
Le rapprochement de ces champs lexicaux opposés traduit le drame de Phèdre : son amour est odieux
à elle-même et à Hippolyte.
2. Une tirade de justification de sa passion
Phèdre réfute par avance toute accusation de complaisance pour sa passion ou de préméditation de son
aveu (v. 9-12). Elle use d’arguments : la force des sens et la maladie de la passion (v. 25-26), l’atavisme et la
vengeance divine (v. 15-16), sa lutte inefficace contre son amour (v. 21-24 et 31-33). Il s’agit donc bien
d’un plaidoyer pour tenter de se justifier aux yeux d’Hippolyte, malgré sa culpabilité. Devant son échec,
elle réclame la mort de sa main en se traitant elle-même de « monstre » (v. 35 à fin).
3. Une tirade pathétique et tragique
A. Le registre pathétique
Le discours de Phèdre est une suite d’appels désespérés à Hippolyte : appels à comprendre les motifs
de sa passion, à la regarder comme une femme et finalement à la tuer comme un « monstre ». Ce
discours veut susciter la pitié d’Hippolyte à défaut de son amour ou obtenir de lui un signe d’intérêt,
même celui de mourir de sa main. Phèdre provoque la compassion du spectateur devant sa solitude
face au mutisme d’Hippolyte.
Le Cid – 27
B. Le caractère tragique de la scène
Il tient à l’impasse dans laquelle Phèdre se retrouve. Un aveu lui a échappé : humiliée par le silence
d’Hippolyte, elle voit quels sentiments elle lui inspire malgré son plaidoyer. Son aveu et sa fureur
l’ont rendue odieuse à Hippolyte.
Dissertation
Introduction
La parole dialoguée est instrument de l’action au théâtre et transmet les informations nécessaires à la
progression de l’action, pour le personnage ou pour le public. Mais elle peut être aussi action au
théâtre en ce sens qu’elle peut modifier à elle seule une situation, faire passer d’un état à un autre.
Pourquoi la parole dans la scène d’aveu joue-t-elle ce rôle ? L’aveu est celui d’un amour interdit ou
transgressif, représentant un obstacle social ou intérieur aux personnages. Il doit être tenu secret et sa
révélation peut transformer le personnage, les relations entre les personnages, et modifier le cours de
l’action. Ce secret représente le nœud du conflit tragique et sa révélation va en constituer une
complication ou le dénouement.
1. La parole-action entre les personnages
A. L’action exercée sur l’auteur de l’aveu
• L’aveu arraché : Rodrigue et Roxane obtiennent de leur partenaire la révélation de leur amour.
C’est la pression exercée sur l’aveu qui est action.
• L’aveu peut transformer celui qui avoue : l’aveu de Phèdre fait monter sa fureur ; Cyrano se débat
contre son aveu ; celui de Chimène provoque un retour de l’harmonie amoureuse chez les amants.
B. L’action exercée par l’auteur de l’aveu
• L’aveu d’un amour non partagé peut être une pression exercée sur l’autre : ainsi Phèdre et Tartuffe
cherchent, mais en vain, à argumenter leur passion pour convaincre l’autre.
• La révélation de l’aveu agit sur l’autre différemment, selon que l’amour révélé est partagé ou non,
connu ou non : l’aveu de Chimène suscite joie et souffrance chez Rodrigue ; celui de Perdican
provoque l’aveu de Camille et le désespoir de Rosette ; celui de Cyrano déclenche la surprise et les
regrets de Roxane ; celui de Phèdre l’horreur d’Hippolyte ; celui de Tartuffe la surprise ironique
d’Elmire.
2. L’aveu, parole-action dans l’action dramatique
L’aveu peut avoir un rôle décisif dans l’avancée de l’action, selon sa place dans la pièce, au cœur des
péripéties ou dans le dénouement : l’aveu de Chimène va soutenir Rodrigue dans son combat contre
les Maures dans l’épisode suivant. L’échec de l’aveu de Phèdre va la mettre dans une situation de
culpabilité et de rage désespérée qui provoquera la mort d’Hippolyte au retour de Thésée. Celui de
Tartuffe va permettre à la famille d’Orgon de mettre en place un plan pour démasquer le traître. Celui
de Camille et Perdican va provoquer la mort de Rosette et la fin de leur histoire.
3. Rôle de l’aveu dans l’information des personnages et des spectateurs
A. Par la double destination, l’aveu informe à la fois le personnage et les spectateurs
B. Le spectateur peut avoir deux positions
• Dans Le Tartuffe, il apprend, en même temps qu’Elmire, l’amour de Tartuffe et se laisse prendre par
la surprise et la crainte devant la duplicité du personnage. Il est au même niveau que les personnages.
• Par le phénomène de double destination, il est au courant de la passion de Phèdre et de son histoire,
ainsi que des sentiments de Chimène déjà révélés à leurs confidents dans des scènes précédentes dont
il a été témoin. Il connaît aussi la passion de Cyrano dont il a suivi le parcours amoureux. Dans ce cas,
il est en surplomb par rapport aux personnages et peut anticiper sur ce qui va suivre.
4. L’effet produit sur le spectateur
Comme dans toute scène essentielle, le spectateur ressent, face à ces scènes d’aveu, certaines émotions
qui constituent le registre de ces scènes :
– le sentiment du pathétique l’anime dans la plupart de ces scènes, où les personnages souffrent d’avouer
ce qu’ils n’ont pas pu dire auparavant ou de l’avouer à quelqu’un qui ne partage pas leur amour ;
Réponses aux questions – 28
– le sentiment du tragique est lié, dans certaines scènes (textes B, D et E), à l’impasse où se trouvent
les personnages par leur situation et/ou par la présence de la mort ;
– le rire est suscité, dans la scène du Tartuffe, par le caractère caricatural de l’hypocrisie de Tartuffe et
par l’ironie d’Elmire, mais la crainte est entretenue par le cynisme du personnage.
Écriture d’invention
Critères d’évaluation :
– insertion du dialogue dans un récit avec contextualisation au XVIIe siècle : temps, lieu, personnages,
événements. Clarification de la situation d’énonciation ;
– présentation d’arguments au service de thèses annoncées : scène scandaleuse ou scène
bouleversante ;
– utilisation d’arguments étayés : scène scandaleuse au regard de la bienséance, de la morale, de la
vraisemblance ; scène bouleversante par son lyrisme, par la force du pathétique, par la noblesse des
sentiments héroïques des personnages, par les attentes qu’elle suscite ;
– enchaînement cohérent d’arguments au moyen des stratégies de base de l’argumentation :
justification, réfutation, concession ;
– emploi d’exemples adaptés s’appuyant sur la scène et sur l’ensemble de la pièce, pris dans le texte et
dans la mise en scène.
A c t e
I V ,
s c è n e
3
( p p .
1 2 6
à
1 3 2 )
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 133-134)
Chimène a entendu dire par la rumeur que Rodrigue était revenu et elle se le fait confirmer par sa
confidente, Elvire, qui détient une fois de plus les informations importantes. On apprend par ailleurs
que Rodrigue revient victorieux contre les Maures.
" Après avoir tué le Comte pour venger l’honneur de son père (don Diègue), Rodrigue est entré en
disgrâce auprès de Chimène qui ne voit plus qu’en lui le meurtrier de son père, bien qu’elle l’aime
toujours.
Sur les conseils de son père, Rodrigue est parti combattre les Maures (III, 6), dans l’espoir d’y trouver
quelque titre de gloire qui le réhabiliterait à la Cour et auprès de Chimène.
# Le surnom donné à Rodrigue est expliqué par don Fernand : « Ils t’ont nommé tous deux leur Cid en
ma présence :/Puisque Cid en leur langue est autant que seigneur,/Je ne t’envierai pas ce beau titre
d’honneur./Sois désormais le Cid »… Ce surnom marque le renouveau du personnage parti en disgrâce,
renié par celle qu’il aimait et revenant en vainqueur adulé de tous.
Dans sa tirade, Rodrigue fait allusion au moment où ce surnom lui est donné : « Ils demandent le chef :
je me nomme, ils se rendent. »
$ Rodrigue se fait prier avant de raconter son histoire et cela est à mettre sur le compte de la
modestie du héros. Il va céder devant les requêtes insistantes de don Fernand (v. 1242 et 1257) : il
s’agit de raconter le combat et la tirade a donc une vocation narrative. Elle est l’occasion pour
Rodrigue de saturer la parole et de dominer l’échange, autre forme de pouvoir.
% Cette longue tirade narrative s’articule grâce à des liens logiques (donc, alors, bientôt, enfin, mais,
cependant…) et des repères temporels au fil de la nuit (« Passe une bonne part d’une si belle nuit »,
« jusques au point du jour »). On sait ainsi que l’action se déroule une nuit durant et que le combat ne
prend fin que bien après le lever du jour.
& La réplique est caractérisée par les marques du discours direct (1re et 2e personnes du singulier ou
du pluriel, marques subjectives, ponctuation expressive…).
Le récit, lui, est signalé par :
– le changement de pronoms : ils/on, donc les indices de la 3e personne ;
– le changement de temps : imparfait et passé simple puis présent de narration ;
– la longueur des phrases qui s’étirent sur plusieurs vers par le jeu des enjambements et ralentissent le
rythme de la tirade, en comparaison d’un échange de répliques rapide et alerte.
!
Le Cid – 29
Une fois passé la contextualisation du récit (« Nous partîmes cinq cents »), le temps utilisé est surtout
le présent de narration. Ce temps rend le récit plus vivant, en mimant la vivacité, la rapidité,
l’enchaînement des actions : « On les laisse passer », « abordent », « ancrent », « descendent »,
« répondent », « paraissent »…
( On remarque l’alternance d’enjambements (donc de phrases longues et de vers qui s’étirent) et de
vers saccadés qui font alterner la mise en place lente et silencieuse de l’embuscade (v. 1263-1276) et la
rapidité des actions une fois l’assaut lancé (« Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent », « Nous les
pressons sur l’eau, nous les pressons sur terre »…).
Les rythmes binaires et ternaires miment les avancées des combattants (« Ils gagnent leurs vaisseaux, ils
en coupent les câbles »), les affrontements.
) Le registre épique s’identifie à travers des manifestations de l’exagération, celle de l’ampleur du
combat et des mérites du héros :
– opposition lexicale entre « moi » et « troupe » qui place le narrateur (Rodrigue) en position
héroïque ;
– antéposition de l’adjectif « mâle » avant « assurance » (la guerre est un attribut masculin et l’homme
se doit d’y montrer sa bravoure !) ;
– amplification du nombre de combattants « cinq cents »/« trois mille » rehaussée par l’enjambement
(« Nous partîmes cinq cents » apparaît alors en contre-rejet) ;
– recours au superlatif « les plus épouvantés » ;
– termes intensifs (« tant », « un tel »).
*+ Le champ lexical qui domine est lié au combat et couvre aussi bien l’aspect stratégique que les
affrontements eux-mêmes, en passant par l’évocation du sang : « troupe », « courage »,
« commandement », « garde », « stratagème », « ordre », « cris », « armés », « combattre », « pillage »,
« guerre », « des ruisseaux de leur sang », « terreurs », « alfanges », « champs de carnage », « mort »,
« exploits »…
Certains termes sont mis à la rime – ce qui en accentue le poids (« courage », « stratagème », « guerre »,
« mort »).
Cette surenchère lexicale contribue à la dramatisation de la scène et amplifie les exploits guerriers de
Rodrigue.
*, Les phrases « Leur courage renaît, et leurs terreurs s’oublient » et « Le flux les apporta ; le reflux les
remporte » sont construites suivant le principe du parallélisme qui met en valeur les oppositions terme à
terme (« courage »/« terreurs » ; « flux »/« reflux » ; « apporta »/« remporte ») et contribue ainsi à la
dramatisation de la scène.
*- Les vers « Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent,/Et courent se livrer aux mains qui les
attendent » et « Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port,/Sont des champs de carnage, où triomphe la
mort » présentent une alternance de rythme saccadé : un rythme ternaire (v. 1281) ou binaire avec
césure dans les hémistiches (v. 1299) est suivi d’un développement sur un vers entier (v. 1282 et
1300) – ce qui constitue un enjambement. À cela s’ajoute la multiplication des coordinations dans un
cas (v. 1299) ou l’asyndète dans un autre cas (absence de coordination au vers 1281).
Il y a ainsi phénomène d’amplification, de dramatisation dans le récit du combat. Tout ici contribue à
mettre en valeur la victoire de Rodrigue.
'
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 135 à 145)
Examen des textes
! Le lexique évoque à la fois la cruauté et les moyens mis en œuvre pour le combat (hommes,
animaux, armes, stratagèmes…) : « meurtriers mercenaires », « se battre », « entreprise infernale »,
« exterminer son prochain » (Voltaire) ; « bataillons », « escadrons », « l’infanterie », « les cuirassiers », « le
cliquetis des sabres », « cette cavalerie », « tous les cadavres », « frissons d’horreur » (Stendhal) ; « victoire »,
« lutte », « mourants qu’on égorge », « victoire », « blessures difformes » (Hugo) ; « la tranchée », « coups de
fusil », « la canonnade », « longues rafales », « coups séparés », « la fusillade », « le bombardement », « un
champ de bataille » (Barbusse).
Réponses aux questions – 30
Les images s’attardent sur les parties du corps (bouches, visages…) devenant métonymiques des
combattants et de ce qu’ils endurent. Les jeux des synesthésies donnent aux combats une sensualité
écœurante (odeurs, bruits, couleurs…).
Le tableau joue sur le réalisme proche de la photographie pour donner une allure documentaire à ce
qui est représenté : des soldats morts. Les casques projetés à terre (pendant la fusillade, le
bombardement ?) symbolisent la brutalité fulgurante de la guerre. Les images sont tout aussi frappantes
dans les documents textuels, surtout quand il est question de corps humains ou d’animaux (les
chevaux chez Stendhal) jonchant le sol, baignant dans des mares de sang.
Les constructions des phrases, la métrique, la ponctuation expressive (surtout dans les textes en vers de
Corneille et Hugo) participent pleinement de la dramatisation du combat.
" La pluralité est omniprésente dans les textes et contribue à la couleur épique : les troupes décrites
par Rodrigue, les groupes de meurtriers dans le texte de Voltaire, l’armée et tous ses corps (infanterie,
etc.) chez Stendhal et Hugo, les soldats des tranchées qui « s’étirent, vomissent des bâillements » sont
caractérisés par « des figures, rougeoyantes ou livides, avec des salissures qui les balafrent, trouées par les
veilleuses d’yeux brouillés et collés au bord, embroussaillées de barbes non taillées ou encrassées de poils non rasés »
chez Barbusse. Lorsqu’une figure singulière émerge (Rodrigue, Fabrice), elle n’en est que plus
remarquable.
Les phénomènes d’amplification, représentatifs ici du genre épique, apparaissent plus clairement dans
les textes de Corneille, Stendhal et Hugo :
– le lexique du combat dramatise la scène décrite et la rend pathétique (pour les vaincus) tout en
glorifiant le vainqueur ;
– les images fortes mettent en scène des corps blessés ou tués (« Gouffre où les régiments, comme des pans
de murs,/Tombaient, ou se couchaient comme des épis mûrs ») ;
– les oppositions terme à terme (« La pâle mort mêlait les sombres bataillons ») ;
– les personnifications (« La Déroute, géante à la face effarée, […]/Qui, pâle, épouvantant les plus fiers
bataillons, […]/Se lève grandissante au milieu des armées,/La Déroute apparut au soldat qui s’émeut »).
# La dénonciation est chez Hugo plus véhémente que chez Stendhal. Hugo convoque les 1re et
2e personnes du singulier pour teinter très clairement de subjectivité son récit de la bataille. La
3e personne sert ensuite au long récit de la bataille. Chez Stendhal, le point de vue passe de l’infanterie
à Fabrice, parfait antihéros à la naïveté désarmante.
Chez Hugo, le style est ouvertement subjectif : phrases non verbales alternant avec phrases verbales et
portant en elles l’expression du désespoir (« Waterloo ! Morne plaine ! », « Hélas ! », « Carnage affreux !
Moment fatal ! », « Affront ! Horreur ! »…), ponctuation expressive abondante. Chez Stendhal, la
dénonciation de la cruauté du combat se mêle à la moquerie (« Nous avouerons que notre héros était fort
peu héros en ce moment. Toutefois la peur ne venait chez lui qu’en seconde ligne ; il était surtout scandalisé de ce
bruit qui lui faisait mal aux oreilles »). Le portrait de l’antihéros éclipse quelque peu la critique de la
guerre.
Chez les deux auteurs, le sang submerge le tableau, mais il est représenté de manière plus imagée chez
Stendhal (l’habit rouge).
$ Le texte de Voltaire est proche du pamphlet en dénonçant le caractère non rationnel de la guerre.
Chez Stendhal, il s’agit du point de vue omniscient ironique et du portrait du antihéros.
Barbusse, quant à lui, recourt à la 1re personne et au vocabulaire prosaïque pour donner à son texte le
style réaliste du témoignage.
Le tableau joue lui aussi sur la force du réalisme, proche de la photographie.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Les cinq documents textuels ont d’abord recours à des artifices rhétoriques propres à leur genre (la
versification et la métrique pour les textes en vers de Corneille et Hugo ; l’artifice du point de vue
dans le roman de Stendhal ; le réalisme testimonial de Barbusse). Chacun ensuite utilise un lexique,
des images, des registres à même de rendre la scène de guerre dramatique et pathétique.
Le Cid – 31
Le tableau puise sa force dans le réalisme et se rapproche en cela surtout du texte de Barbusse, tout en
rejoignant certaines images fortes (les morts jonchant le sol, par exemple ; l’usage de la métonymie
pour cristalliser l’humanité des combattants et/ou des morts dans un détail comme le casque, la
bouche, la barbe…) présentes aussi dans les autres textes.
Commentaire
Introduction
Bien qu’issu d’une œuvre didactique (Dictionnaire philosophique), cet extrait de l’article « Guerre » ne
recèle pas seulement les caractéristiques du discours argumentatif mais aussi celles du discours narratif.
1. La narration au service de l’argumentation
A. Naissance du conflit
Anecdote développée dans un paragraphe assez long qui finalement nuit à la clarté du récit. On ne sait
plus trop quelle est l’origine exacte du conflit et c’est justement l’absurdité de l’origine que veut
montrer Voltaire.
B. Propagation du conflit
Chaque paragraphe voit s’étendre l’épidémie et les armées de fortune apparaissent partout, en suivant
la logique chronologique du présent de narration montrant avec quelle rapidité et avec quelle facilité
s’enchaînent les événements.
C. Déferlement de violence de part et d’autre
Champ lexical de la violence et du combat : « meurtriers mercenaires », « pouvoir », « se battre »,
« s’acharnent », « puissances belligérantes », « s’attaquant », « entreprise infernale »…
2. Une condamnation sans appel de l’absurdité de la guerre
A. De la fiction à la généralisation
Indéfinis (« un généalogiste », « un prince »), pluriels (« les autres princes », « des peuples ») et démonstratifs
(« cette province », « ces multitudes ») noient la fiction dans l’indéfini et lui donnent une valeur
universelle propre à la critique sociale.
B. Enchaînement simple et limpide de la syntaxe
Des phrases longues mais structurées par une ponctuation claire et abondante (les deux-points et les
points virgules rendent le discours clair et évident) miment la facilité avec laquelle le combat s’enclenche
et se poursuit ; la guerre n’est pas un processus mûrement réfléchi mais instinctif et arbitraire.
C. Les valeurs bafouées
• Fragilité du lien familial et donc de l’héritage.
• Alliances avec les combattants motivées par l’argent ou par aucun intérêt valable, si ce n’est celui de
« faire tout le mal possible ».
• La religion elle-même est associée à cette entreprise violente et destructrice (invoquer Dieu avant
d’aller « exterminer son prochain » !).
• Aucune valeur n’est plus respectée et tout devient au contraire prétexte à entrer dans le cycle
infernal de la guerre.
Dissertation
1. De quelles armes dispose la littérature ?
A. La fiction
Elle peut déjouer la censure : critique sociale aux XVIIe et XVIIIe siècles, littérature engagée au XXe siècle.
B. Recours à l’agréable, au plaisant, à l’ornement pour « enjoliver » l’argument
« Plaire et toucher » selon Racine.
C. Symbiose idéologique entre écrivains
Les cabales en littérature montrent que des écrivains peuvent se liguer contre un autre, par jalousie ou
par idéologie (Molière et Corneille décriés par leurs contemporains sur certaines œuvres).
Réponses aux questions – 32
2. Un risque : noyer l’argumentation sous l’esthétique et la rhétorique
A. Le comique, la satire, l’ironie
Rire peut faire oublier le contenu idéologique.
B. Créer de la vraisemblance et de la fiction peut faire oublier la portée générale du discours
C. L’émotion peut submerger le discours, l’émetteur, le destinataire lui-même
L’auteur joue alors sur le pathétique et la dramatisation de la scène décrite (tirades au théâtre,
poésie…).
3. Quelles fonctions, sinon, pour la littérature ?
A. Plaisir de plaire et toucher le public et surtout de lui parler de ce qu’il vit
Le drame, le théâtre de l’absurde…
B. Recherche sur le langage et ses capacités
• Enrichissement de la langue aux XVIe et XVIIe siècles.
• Jeux verbaux au XXe siècle.
C. La littérature, pure recherche de beauté
Donc, une fin en soi (Valéry…).
Écriture d’invention
Le point de vue omniscient permet aux lecteurs de se familiariser avec la manière de penser et d’agir
de Fabrice. Il leur faudra donc ici réinvestir cette manière d’être et la transposer dans l’écriture d’une
lettre.
Les élèves devront respecter les caractéristiques du genre épistolaire (objet d’étude de l’année 2005
pour certaines filières) : émetteur et destinataire identifiables, ayant entre eux des relations plus ou
moins teintées d’affectif ; indices de 1re et 2e personne ; clarté du propos pour être compris du
lecteur…
Le Cid – 33
COMPLÉMENTS
A U X
M I S E S
E N
S C È N E
◆ Mises en perspective de textes
– Sur quelles dimensions de la mise en scène chacun des textes cités met-il l’accent ?
– Quelles sont les spécificités des mises en scène des versions musicales et chantées par rapport aux
pièces de théâtre ?
◆ Questions sur les textes
– Que pensez-vous de la réplique de Jean Vilar (p. 212) ?
– Quel registre différent le dénouement du Cid proposé par Massenet (p. 215) donne-t-il à la pièce ?
◆ Mises en perspective des textes et des illustrations
– Comment comprenez-vous la dernière phrase du texte de Dominique Borg (p. 214) ? Vous
illustrerez cette réflexion en vous appuyant sur les costumes portés par les acteurs du Cid sur des
photos de votre choix, notamment celle de la page 213.
– « Le Cid est dans l’arène » (p. 215). En quoi les photos de la mise en scène de Thomas Le Douarec
(pp. 68 et 99) illustrent-elles cette remarque ?
Compléments aux lectures d’images – 34
COMPLÉMENTS
A U X
L E C T U R E S
D
’IMAGES
◆ Portrait de Corneille par Gaston Morel (p. 4)
L’œuvre
Ce portrait célèbre de Corneille, réalisé à la fin du XIXe siècle, est une sanguine, dessin réalisé avec un
crayon rouge comme le minéral dont il est fait.
On y voit le visage de l’auteur, épuré et presque austère (ni perruque, ni autre artifice) – ce qui révèle
la simplicité de l’homme et une naissance modeste. Seule sa notoriété et ses succès littéraires lui
permettront de mettre un pied dans le grand monde. Le visage présente une face très éclairée et une
autre plongée dans l’ombre. On pourrait y voir les deux faces de son art : le baroque et le classicisme,
la vivacité de ses comédies et la rigueur de ses tragédies.
Travaux proposés
– Que révèle ce portrait sur l’auteur (sa condition sociale, son caractère…) ?
– Ce portrait, contrasté, peut-il éclairer l’œuvre de Corneille ?
◆ Illustration de la version musicale du Cid (p. 5)
L’auteur
Célestin Nanteuil (1813-1873) est né à Rome mais il est de nationalité française. Il a notamment
appris son art chez Ingres et a illustré, entre autres, des ouvrages de Victor Hugo (avec qui il était très
lié), de Balzac, de Cervantès et de Perrault.
L’affiche
On suppose qu’il s’agit d’une représentation de Rodrigue en tenue de combat, l’épée à la main. Si le
costume est fidèle à l’armure du chevalier (tenue et armes), la coiffure, la moustache et l’attitude lui
donnent une allure plus proche de celle du dandy !
Travaux proposés
– Qui est représenté ici, selon vous ?
– En quoi cette illustration est-elle fidèle ou pas à l’époque présumée du Cid ? En quoi est-elle
romantique ?
◆ Mise en scène du Cid par D. Donnellan (p. 48)
Le metteur en scène
Declan Donnellan est né en Angleterre. Avec Nick Ormerod, son partenaire, il a fondé la compagnie
Cheek By Jowl en 1981. Ils ont fait connaître au public britannique des classiques européens comme
Andromaque de Jean Racine, Le Cid de Pierre Corneille, Miss Sara Sampson de Doris Lessing et Une
affaire de famille d’Alexandre Ostrovski.
Cette compagnie est surtout devenue célèbre pour ses productions de Shakespeare, notamment celle
de Comme il vous plaira, avec une distribution exclusivement masculine, qui fut jouée aux Bouffes du
Nord en 1995. En 1998, il a mis en scène, pour le Festival d’Avignon, Le Cid de Corneille.
L’image
On voit ici Rodrigue joué par l’acteur noir William Nadylam. Son costume manifeste une
transposition de l’histoire dans une autre époque.
La structure de l’image repose sur le faisceau de lumière qui met en avant le personnage et l’épée,
sorte de prolongement de son bras (l’effet est accentué par l’ombre de l’épée au sol).
L’étude de ce groupement porte sur le monologue ; l’épée est ici comme le confident du personnage
(« Fer qui causes ma peine ») et occupe la scène avec lui. Voir aussi la réponse à la question 7, page 16.
Le Cid – 35
Travaux proposés
– De quelle manière Rodrigue est-il représenté dans cette mise en scène ?
– Observez la structure de cette image. Quels éléments sont mis en valeur et pourquoi ?
◆ Rodrigue et son père : mise en scène de Jean Vilar (p. 50)
Le metteur en scène
Cf. pp. 211-212.
L’image
Le TNP s’ouvre sur une représentation du Cid mis en scène par Jean Vilar et avec Gérard Philipe dans
le rôle-titre.
Cette photo montre don Diègue, bafoué par le Comte, demandant à son fils de le venger. Rodrigue
regarde l’épée, lien symbolique entre les deux hommes mais aussi objet de son malheur futur puisque,
en vengeant son père, il perdra Chimène.
Travaux proposés
– Quel lien existe-t-il entre l’image de la page 48 et celle-ci ?
– Que révèle l’attitude de chacun des personnages ?
◆ Affiche de la version flamenco du Cid (pp. 68-69)
Le metteur en scène
Thomas Le Douarec est un jeune metteur en scène prometteur et audacieux. Il a mis en scène, en
1998, une version flamenco du chef-d’œuvre de Corneille : des chanteurs et des danseurs
accompagnent les personnages sur la scène et ponctuent d’interventions musicales et chorégraphiques
les tirades et épisodes clés.
Le combat, les passions, le désespoir sont ainsi mis en valeur.
Cf. aussi pp. 214-215.
L’affiche
L’affiche n’est pas moins audacieuse que l’ensemble du spectacle, puisqu’on y voit les silhouettes
dénudées des deux héros, Rodrigue et Chimène.
Il faut dépasser l’apparence racoleuse de l’affiche et y voir sans doute la passion mise à nue et l’esprit
flamenco de cette version.
L’épée rappelle le geste du toréador mettant à mort la bête ; ici, Chimène s’apprête à transpercer
Rodrigue tout en lui offrant son corps. Toute l’ambivalence des sentiments (amour et vengeance) est
ainsi représentée.
Voir aussi les réponses aux questions 1, 5, 6 et 7, pp. 19-20.
Travaux proposés
– À quel(s) moment(s) de la pièce cette affiche renvoie-t-elle ?
– Observez les illustrations des pages 48 et 50 et comparez-les avec celle-ci. Quelle est la place de
l’épée dans chacune de ces images ?
◆ L’Infante et Chimène : mise en scène de Gérard Desarthe (p. 72)
L’image
Comédien et metteur en scène, Gérard Desarthe présente sa version du Cid en 1988 à Bobigny, avec
Samuel Labarthe et Marianne Basler dans les rôles principaux.
Sur cette image, l’Infante et Chimène parlent sans se regarder. Cette attitude mérite d’être soulignée ;
l’Infante veut conserver son statut royal et cacher son trouble. Elle reste en apparence calme et sereine
(voir l’expression de son visage, son attitude), alors que Chimène est animée de craintes, si ce n’est de
pressentiments (Rodrigue va-t-il s’en prendre au Comte pour venger son père ?), et qu’elle cherche
quelques paroles rassurantes dans les propos de l’Infante.
Compléments aux lectures d’images – 36
Travaux proposés
– Que nous apprennent les costumes des deux personnages ?
– En quoi leur attitude vous semble-t-elle conforme à la scène en cours ?
◆ Chimène et Rodrigue : mise en scène de Thomas Le Douarec (p. 99)
L’image
On comprend que l’image est probablement celle qui a inspiré l’affiche (pp. 68-69), la nudité en
moins. Cela dit, à un moment, Chimène se déshabille pour aller se coucher et l’effeuillement se fait
en ombres chinoises. La nudité n’est donc pas une originalité de l’affiche seule.
On distingue clairement ici la disposition de la scène qui reproduit une arène ; les musiciens flamenco
sont en arrière-plan mais on les voit jouer, alors même que les deux héros sont en pleine scène d’aveu
et de conflit. L’attitude des comédiens fait penser à une mise à mort dans l’arène. Leurs costumes
jouent sur le contraste noir/blanc : la pureté des sentiments et la noirceur de l’âme ? l’hymen prévu et
la mort qui vient bouleverser un si beau dessein ?
Travaux proposés
– En quoi la mise en scène vous semble-t-elle conforme ou pas au texte de Corneille ?
– Quels éléments évoquent ici un combat dans une arène ?
◆ Gravure de Moreau Le Jeune (p. 104)
L’auteur
Jean-Michel Moreau Le Jeune (1741-1814) est un graveur et illustrateur français, élève de L. J. Le
Lorrain. En 1785, il est nommé dessinateur du cabinet du roi. Il devient, en 1793, membre de la
Commission des arts avant d’enseigner à l’École centrale. Moreau Le Jeune est en quelque sorte le
chroniqueur de son temps. On lui doit aussi des scènes d’intimité, de mœurs et des portraits.
L’œuvre
La scène peut ici représenter Rodrigue déposant son arme aux pieds de Chimène (soutenue par sa
confidente) pour qu’elle décide de son sort. On peut aussi imaginer qu’il s’agit de don Sanche se
présentant devant Chimène après avoir combattu, pour elle, contre Rodrigue (scène 5 de l’acte V :
« Obligé d’apporter à vos pieds cette épée »).
Travaux proposés
– Quels peuvent être les personnages présents sur cette image ?
– À quelle(s) scène(s) du Cid cette illustration peut-elle correspondre ?
◆ Rodrigue : mise en scène de Gérard Desarthe (p. 129)
L’acteur
Samuel Labarthe entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris en 1983 où il
suit les cours de Viviane Théophilidès, Michel Bouquet et Daniel Mesguich. Il s’illustre au théâtre
aussi bien dans les œuvres classiques de Racine, Corneille, Rostand, Pirandello, Tchekhov que dans
des pièces contemporaines (Moravia, Pasolini, Calvino, Duras, Miller).
Il campe ici Rodrigue, devenu (nous dit la légende) le Cid. La métamorphose doit se deviner au
changement de costume (voir celui qu’il tient à la main) et le Cid se reconnaît à l’épée du combattant,
l’épée du vainqueur. Sa tenue, d’allure orientale, rappelle celle des Maures sur lesquels il vient de
remporter une éclatante victoire.
Ce n’est pas un héros exalté par les prouesses ni enivré par la victoire qui se présente à nous mais bien
un conquérant plein de sagesse et de maturité, au visage grave.
Travaux proposés
– Comment la métamorphose de Rodrigue en Cid est-elle ici matérialisée ?
– Que peut-on deviner de la psychologie du personnage, tel que le campe cet acteur ?
Le Cid – 37
◆ C. R. W. Nevinson, Paths of Glory (p. 143)
L’œuvre
Il s’agit d’une huile sur toile (45,7 ¥ 61 cm) exposée à l’Imperial War Museum de Londres. Cette
toile représente deux cadavres de Tommies, devant les barbelés. On voulut la censurer mais Nevinson
sut défendre sa toile : après tout, il ne faisait que peindre ce que chaque combattant avait vu des
dizaines de fois durant la Première Guerre mondiale.
Le peintre se distinguait surtout par des toiles cubo-futuristes ; cette toile est originale par son réalisme
frappant, loin de toute recherche géométrique. Ici, le but est clairement moral et politique.
Le titre a inspiré, en 1957, à Stanley Kubrick le film éponyme (titre français : Les Sentiers de la gloire)
visant à dénoncer l’absurdité et la violence de la Grande Guerre, dans lequel Kirk Douglas incarne un
officier français aux prises avec sa hiérarchie.
On peut faire le rapprochement avec Le Feu d’Henri Barbusse : « Parfois des renflements allongés – car
tous ces morts sans sépultures finissent tout de même par entrer dans le sol – un bout d’étoffe seulement sort
– indiquant qu’un être humain s’est anéanti en ce point du monde », et bien sûr, aussi, avec Voyage au bout
de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (à la fois pour la peinture de Nevinson et pour le film de
Kubrick) : « Il y a bien des façons d’être condamné à mort. […] De la prison, on en sort vivant, pas de la
guerre » (p. 15) ; « La grande défaite, en tout, c’est d’oublier, et surtout ce qui vous a fait crever, et de crever sans
comprendre jusqu’à quel point les hommes sont vaches » (p. 25).
Travaux proposés
– En quoi le réalisme est-il frappant dans cette toile ?
– Quels éléments incitent à penser que cette œuvre est ouvertement une critique morale et politique
de la guerre ?
◆ Portrait de Corneille par Thomas Woolnoth (p. 177)
L’œuvre
Ce portrait de Corneille réalisé au XVIIIe siècle doit être comparé avec celui de la page 4. Le personnage
affiche ici un air sérieux, comme impénétrable. Seul le visage est mis en lumière, tant le costume,
comme les cheveux, est sombre. Nulle frivolité pour cet auteur pourtant vite promis au succès.
Travaux proposés
– Quelles similitudes notez-vous entre ce portrait et celui de la page 4 ?
– Que pouvez-vous percevoir de la personnalité de Corneille ?
◆ Affiche du film Le Cid d’Anthony Mann (p. 210)
Le réalisateur
Né Emil Anton Bundmann, le 30 juin 1906 à San Diego (Californie), Anthony Mann fait à 14 ans ses
débuts au théâtre en tant que comédien. Régisseur en 1930 puis fondateur avec James Stewart de la
Stock Company (1934), il est remarqué par l’influent producteur David O. Selznick qui l’engage :
d’abord talent-scout (réalisateur et monteur de bouts d’essais d’acteurs), puis assistant réalisateur, il passe
à la réalisation en 1942 (Dr. Broadway) et tourne des films musicaux anodins et des séries B : « Je dois
admettre que je fis huit ou dix pauvres films – du moins, je les qualifie de pauvres parce qu’il me fallut les réaliser
avec de tout petits budgets, sans acteurs, sur de très mauvais scénarios, mais il faut bien vivre, je ne veux pas dire
matériellement, mais exister en tant que metteur en scène. » C’est avec le western qu’Anthony Mann
acquiert la renommée et accède au statut d’auteur. On retiendra surtout les œuvres réalisées avec son
ami James Stewart et le scénariste Borden Chase : Winchester 73 (1950), L’Appât (1953), L’Homme de
la plaine (1955). Il abordera ensuite d’autres genres (mélodrame, film de guerre), sans grand succès.
Dans les années 1960, Hollywood lance la mode du film historique à grand budget et Anthony Mann
devient le collaborateur de divers péplums (Quo vadis puis Spartacus, duquel il sera évincé et remplacé
par Stanley Kubrick sur la demande du producteur et acteur Kirk Douglas). C’est en 1961 qu’il dirige
l’adaptation cinématographique du Cid, avant de réaliser, deux ans plus tard, le péplum La Chute de
l’Empire romain.
Compléments aux lectures d’images – 38
Anthony Mann décède le 29 avril 1967 sur le tournage berlinois de Maldonne pour un espion, dont
Laurence Harvey, un des acteurs du film, achèvera la réalisation.
L’affiche
L’affiche peut se décomposer en trois parties : la plus imposante campe le couple vedette, autour du
titre éponyme (donc redondant avec le personnage représenté au-dessus) en lettres ronflantes ; enfin,
la troupe victorieuse menée par le Cid. Tout ici exalte la personnalité dominante du héros.
Travaux proposés
– Comment cette affiche met-elle essentiellement en valeur le personnage éponyme ?
– Comparez cette affiche avec celle de la version flamenco de Thomas Le Douarec : quelle est
l’attitude du couple Chimène/Rodrigue sur chacune de ces affiches ?
◆ Rodrigue et son père : mise en scène de Francis Huster (p. 213)
Le metteur en scène
Cf. pp. 212-214.
L’image
Rodrigue et don Diègue sont côte à côte mais le fils semble dominer le père, la main sur l’épaule. On
suppose que Rodrigue conte ses exploits. Don Diègue affiche calme et fierté, le menton levé et le
regard posé au loin, semblant voir le destin héroïque de son fils.
Travaux proposés
– À quel(s) moment(s) de la pièce cette photographie peut-elle correspondre ?
– Comparez cette photographie avec celle de la page 50 : en quoi l’attitude des personnages est-elle
différente ?
Le Cid – 39
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
◆ Sur le théâtre
– Pierre Larthomas, Le Langage dramatique, PUF, 1980.
– Jean-Pierre Ryngaert, Introduction à l’analyse du théâtre, Bordas, 1991.
– Anne Ubersfeld, Lire le théâtre (3 tomes), Belin, 1996.
◆ Sur le théâtre classique
– Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France, Nizet,1962.
◆ Sur Corneille
– Serge Doubrovsky, Corneille et la Dialectique du héros, coll. « Tel », Gallimard, 1982.
– Georges Forestier, Corneille : le sens d’une dramaturgie, SEDES, 1998.
◆ Sur Le Cid
– Jean-Yves Vialleton (textes réunis par), Lectures du jeune Corneille : « L’Illusion comique » et « Le Cid »,
Presses universitaires de Rennes, 2001.

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