Indépendance énergétique de l`UE : l`enjeu de la mer Noire

Transcription

Indépendance énergétique de l`UE : l`enjeu de la mer Noire
compte rendu
Indépendance énergétique de l’UE : l’enjeu de la mer Noire
Compte rendu du petit-déjeuner débat du 7 novembre 2007
à la Fondation pour l’innovation politique
les contributeurs au débat
Débat animé par :
Elvire FABRY, directeur du pôle Europe-International à la Fondation pour l’innovation politique
Avec la participation de :
Andreas SCHOCKENHOFF, membre du Bundestag, vice-président du groupe CDU-CSU, président
du groupe d’amitié interparlementaire franco-allemand, coordinateur fédéral pour la collaboration
germano-russe au niveau de la société, auteur du document de travail « Pour une politique
régionale de l’UE autour de la mer Noire » publié par la Fondation pour l’innovation politique.
Agnija RASA, membre du cabinet du commissaire européen en charge de l’énergie,
Andris Piebalgs.
Alexandre VULIC, sous-directeur de l’Europe orientale au ministère des Affaires étrangères.
compte rendu des débats
La dépendance énergétique de l’Union Européenne est aujourd’hui au cœur des préoccupations
des Européens et elle le sera encore davantage s’il est vrai que, comme anticipé par l’Agence
internationale de l’énergie, cette dépendance va passer de 50 % en 2000 à 70 % en 2030.
Le débat engagé le 7 novembre à la Fondation pour l’innovation politique autour du thème
« L’indépendance énergétique de l’Union Européenne : l’enjeu de la mer Noire » a toutefois fait
émerger une autre notion, celle d’interdépendance : en effet, s’il est vrai qu’en Europe l’offre
interne d’énergie diminue, alors que la demande ne cesse de croître, et que dans ce contexte la
relation avec la Russie, notre principale fournisseur, devient de plus en plus importante et
délicate, les intervenants ont en même temps souligné que cette relation de dépendance n’est pas
à sens unique. La Russie n’a pas en effet, selon Alexandre Vulic (sous-directeur de l’Europe
Orientale au ministère des Affaires étrangères), d’autres acheteurs crédibles, en matière d’énergie,
que l’Union européenne, bien que, comme rappelé par le sénateur Montesquiou, elle essaie de
s’ouvrir davantage à l’est (Chine, Corée, Japon). De plus, du fait du manque d’une véritable
stratégie d’investissement dans les infrastructures, la Russie reste dépendante de l’Europe, pour
ses technologies et la modernisation de son économie, et des pays d’Asie centrale, pour leurs
réserves gazières.
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Dans ce contexte, la poursuite de vingt-sept politiques différentes à l’égard des pays producteurs
comme des pays de transit pose aujourd’hui problème. Plusieurs initiatives ont ainsi été prises
pour faire émerger une politique énergétique extérieure commune, qui permette à l’Europe
d’assurer la sécurité de l’approvisionnement, comme témoigné par Agnija Rasa, membre du
Cabinet du Commissaire Européen en charge de l’énergie.
La Commission, suite notamment aux événements de janvier 2006, « quand l’Union Européenne a
réalisé la fragilité de ses dépendances des approvisionnements extérieurs », a en effet proposé un
ensemble de mesures concernant un large éventail de questions, telles l’efficacité énergétique, les
énergies renouvelables, les technologies, la libéralisation du marché intérieur et la politique
extérieure de l’énergie.
En ce qui concerne la région de la mer Noire, l’UE dispose d’abord d’instruments bilatéraux : la
politique de pré-adhésion avec la Turquie, les protocoles de coopération énergétique avec
l’Ukraine et, avec la Russie, le dialogue énergétique sur les thèmes de l’efficacité énergétique et
des échanges sur les stratégies énergétiques et sur le développement des marchés.
Mais l’UE est aussi à l’origine de deux initiatives régionales : le processus de coopération pour les
pays riverains de la mer Caspienne et la mer Noire et surtout la communauté de l’énergie, qui
vise à étendre le marché intérieur du gaz et de l’électricité de l’Union Européenne au-delà de ses
frontières. Initialement conçu pour les pays des Balkans, ce traité reste ouvert pour tout autre
pays : l’Ukraine et la Moldavie ont ainsi demandé à en devenir partenaires, alors que les
négociations continuent avec la Turquie.
M. Vulic met toutefois en évidence les limites et les retards dans la construction d’une véritable
politique européenne commune de l’énergie, critique qui émerge aussi dans les remarques faites
par le public, notamment le Sénateur Montesquiou. Ce qui manque, selon M. Vulic, c’est une
véritable politique extérieure de l’énergie, pour la gestion de la dépendance et fondée sur cinq
éléments :
1. une stratégie qui synthétise les concepts touchant à la sécurité énergétique (transparence,
ouverture, diversification, solidarité) et qui précise la stratégie européenne de sécurité de
2003, limitée pour le moment aux seuls aspects militaires ;
2. un dispositif complet de sécurité énergétique à l’échelle de l’Union Européenne, pour gérer les
crises, envisager des stocks, coordonner les mesures nationales ;
3. le renforcement de l’efficacité énergétique, avec une approche interne mais aussi externe,
notamment pour aider les pays voisins à moderniser leurs infrastructures énergétiques ;
4. une discipline collective des politiques énergétiques nationales, y compris au niveau
industriel ;
5. un accès direct aux sources d’approvisionnement de l’Asie Centrale, afin de « diversifier cette
dépendance avec de nouvelles routes d’approvisionnement ».
Le problème, comme le souligne Mme Rasa, est que les traités ne fournissent de véritable base
juridique que pour le marché interne, alors que la prise en charge des relations énergétiques
extérieures reste limitée par les importantes relations bilatérales déjà développées par les États
membres. Le traité réformateur apporte toutefois une première réponse, en introduisant deux
éléments nouveaux : la solidarité entre les États et le développement des interconnexions
énergétiques, afin de pouvoir réaliser cette solidarité.
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La proposition du parlementaire allemand Andreas Schockenhoff, à partir de laquelle la
discussion avait été engagée, a toutefois une ambition qui va au-delà des simples questions
énergétiques : la région de la mer Noire n’est en effet pas seulement une voie d’acheminement
essentielle de ressources énergétiques, mais aussi une zone de transit stratégique pour le crime
organisé, la traite des êtres humains, le trafic d’armes et de drogue et le terrorisme, ainsi que le
théâtre de nombreux foyers de conflits (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du sud, Haut-Karabakh),
qui constituent des défis considérables pour la stabilité et la sécurité de l’Europe.
M. Schockenhoff plaide donc en faveur d’une politique régionale autour de la mer Noire, d’une
coopération politique, économique et culturelle plus étroite, dans le domaine de l’énergie
(notamment le développement des infrastructures et l’intégration des marchés), mais aussi de la
coopération économique (en vue de la création d’une zone de libre échange), de l’environnement,
de la coopération judiciaire et policière, des échanges dans la société civile (notamment avec
l’assouplissement des conditions de circulation des personnes et la mise en place de programmes
européens spécifiques) et enfin de la résolution des « conflits gelés » .
Il s’agit donc de « dépasser les limites de la politique européenne de voisinage et d’étendre
l’espace juridique européen » aux pays voisins, afin que l’Union européenne puisse jouer un rôle
plus actif dans la région, non pas pour y projeter une stratégie globale, mais pour créer un effet de
catalyseur, de synergie entre les initiatives existantes. Le cadre institutionnel serait caractérisé par
ce que M. Schockenhoff définit comme une « approche ascendante à géométrie variable » sur des
projets concrets, l’expérience de la BSEC (Black Sea Economic Cooperation) ayant montré les
limites des décisions à unanimité.
Bien qu’une approche régionale puisse présenter des avantages intéressants, les États restent tout
de même les principaux interlocuteurs, car les finalités et le point de départ dans cette coopération
pour chaque pays sont différents. Les trois intervenants s’accordent en effet sur la nécessaire
complémentarité entre une approche régionale et l’engagement des États riverains de la mer
Noire, en particulier :
1. Bulgarie et Roumanie : l’adhésion de ces deux pays à l’Union Européenne joue en faveur d’un
rôle plus fort de l’UE dans la région.
2. Turquie : qu’il y ait adhésion ou partenariat privilégié, ce que les intervenants considèrent le
plus probable, sa modernisation est dans notre intérêt commun. La Turquie est en effet notre
allié ancien dans l’alliance atlantique, ainsi qu’un pays de transit absolument fondamental
pour la sécurité énergétique. C’est donc une situation d’alliance stratégique que nous devons
rechercher, par exemple en soutenant le projet Nabucco.
3. Russie : bien que partenaire de plus en plus exigeant, maintenant qu’elle a retrouvé une
nouvelle assurance sur la scène internationale, elle reste importante par sa taille, son poids
économique et militaire, ses richesses énergétiques et son potentiel économique. Russie et
Union Européenne se trouvent certes dans une situation de concurrence, économique, mais
aussi de modèle politique, dans ce que les Russes appellent « l’étranger proche » et nous le
« voisinage », mais ceci n’est pas un obstacle à un partenariat privilégié, basé sur des valeurs
communes et qui s'exprime aussi par une politique extérieure commune dans la région. Il ne
faut donc pas négliger la demande de la Russie d’être associée en amont, notamment sur les
questions économiques, les infrastructures, le terrorisme, la criminalité, l’immigration et
l’environnement, tout en sachant qu’on ne pourra pas l’associer à tout et de manière trop
anticipée. Le dialogue avec la Russie est essentiel pour assurer la sécurité énergétique de
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l’Europe, notamment pour les pays du centre et de l’est européen, qui dépendent parfois à
plus de 80% du gaz russe.
4. Ukraine : la coopération avec ce pays et avec les autres de la région n’est pas freinée par les
exigences européennes en matière de démocratie, état de droit, liberté d’opinion, droits de
l’homme et renforcement de la société civile (contrairement à ce qui arrive avec certains pays
du sud de la Méditerranée, ce qui distingue ce projet de celui de l’Union méditérannéenne).
Les pays de la région sont en effet déjà tenus par les engagements pris dans le Conseil
d’Europe et aussi incités par la perspective d’une plus grande intégration à l’UE, voire de
l’adhésion. L’Ukraine a explicitement exprimé une stratégie de rapprochement avec l’Union
Européenne dans tous les domaines et il est dans l’intérêt de l’Union de conforter cette
évolution, notamment par le soutien à la modernisation de ses infrastructures énergétiques et
de stockage du gaz.
5. Asie centrale : dans cette région, « les cartes sont en train de se redistribuer » : en mai, à
l’occasion de l’accord de Turkmenbachi avec la Russie pour l’organisation du marché gazier,
Turkmènes et Kazakhs ont ouvert une porte à l’Union Européenne, afin de ne pas s’enfermer
dans une relation avec la Russie et nous avons tout intérêt à leur prêter attention, notamment
en développant les infrastructures nécessaires et un climat juridique favorable aux
investissements. En ce qui concerne les conflits gelés, la clé est certes à Moscou, mais l’Union
peut tout de même aider et accompagner un éventuel accord, à travers l’action des
représentants spéciaux, des opérations de gestion de crise ou de maintien de la paix, des
mesures de confiance.
L’intervention du public a enfin contribué à faire émerger des thématiques qui n’avaient pas été
abordées ou assez approfondies dans les exposés :
1. la nécessité d’une réflexion sur le recours à l’énergie nucléaire civil pour la région mer Noire,
afin de diversifier les sources d’approvisionnement énergétique ;
2. l’importance de pousser l’Iran à être un partenaire fiable de la communauté internationale,
notamment pour les opportunités qu’une relation avec ce pays peut avoir pour les grandes
entreprises européennes du gaz liquide ;
3. la relation avec les États-Unis, qui ont dans la région des intérêts différents des ceux de
l’Union Européenne, plus centrés sur des questions de sécurité, et la nécessité d’aborder ses
questions aussi sous un angle transatlantique.
réactions au débat
Le débat avec le public n’ayant pas permis à tous de s’exprimer, Başak Yalçin, Premier Secrétaire
de l’Ambassade de Turquie, a tenu à nous faire part des remarques suivantes :
« Suite aux remarques de M. Aita, rédacteur en chef du Monde diplomatique-édition
arabe, qui évoquait le danger de perdre la Turquie en mettant en question sa perspective
d’adhésion à l’UE et en sympathisant avec les activités terroristes du PKK, M.
Schockenhoff a réagi en notant que la Turquie n’adhérait pas à l’héritage culturel et
identitaire commun à l’Europe et que par conséquent la perspective d’adhésion n’était pas
une éventualité.
Justement, c’est tout à fait cette réponse qui risque d’éloigner davantage la Turquie.
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Dire qu’il est « différent et autre » à un pays européen engagé dans des relations
exceptionnelles avec l’UE depuis presque cinquante ans est plutôt tardif. Je tiens à
rappeler, par votre intermédiaire, à M. Schockhenhoff que la question de la prétendue «
différence culturelle » de la Turquie n’était guère évoquée lorsqu’elle est devenue membre
de l’OTAN, du Conseil de l’Europe, de l’OCDE, de l’OSCE et surtout elle ne l’a pas été au
lancement des négociations d’adhésion avec l’UE le 3 octobre 2005. Il faut également se
rappeler que la politique de l’UE en ce qui concerne la culture est basée sur le principe de «
l’unité dans la diversité » et qu’il n’y a pas de définition d’une culture commune
européenne.
Pour l’opinion publique turque et heureusement pour beaucoup d’Européens, il est clair
que la Turquie appartient à l’Europe, fait partie intégrante du système européen des
valeurs démocratiques et peut apporter en Europe une contribution importante au
dialogue et à l’harmonie entre les cultures. C’est pour cette raison que je crains que
l’intégration européenne demeure inachevée sans l’adhésion de la Turquie à l’UE. »
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