Florin - 1er novembre 1950

Transcription

Florin - 1er novembre 1950
1950 - 2010
60 ans depuis la fondation de la Roche d'Or
Nous fêtons, le 1er novembre 2010, les soixante ans de fondation de la
Communauté de La Roche d’Or. Aussi, sommes-nous heureux de vous
proposer ce texte de Florin CALLERAND commentant cet évènement
de grâce avec toute sa résonance pour aujourd’hui et pour demain !
1er Novembre 1950 :
Marie, cette présence qui, par le dedans, fait respirer !
En ce moment, dans mon cœur, il y a comme un bouillonnement de
souvenirs, mais aussi d'expériences actuelles. Et si je me laissais aller à parler, sans
contrôle, il y en aurait pour longtemps ! Alors je ne veux faire qu'une ou deux
touches qui me paraissent tellement importantes.
C'est avec la médiation de la statue de Notre Dame du Silence, qui
autrefois était dans le jardin de Gouille et maintenant au bout de la grande allée,
que s'est produit l'événement du 1er Novembre 1950.
C'est là que vers quatre heures de l'après-midi, nous avons perçu
la présence actuelle, active, rayonnante, joyeuse, et donnant la joie, de
Marie toute proche à cause de son Assomption. Je ne dis pas que j'ai
fait à ce moment-là la totalité de la découverte. Non, mais tout de
même, c'est à ce moment-là l'expérience majeure.
De façon tranchée, on peut dire que la plupart des chrétiens, quand ils
pensent à Marie, pensent qu'elle est au ciel. Et de ce seul fait, par ce jargon spatial
de théologie à plusieurs dimensions : en bas, en haut, ici, là-bas, avant, après... on
s'imagine que Marie n'est pas présente, qu'elle n'est pas actuelle, qu'elle est partie.
Eh bien, à ce moment-là, il m'a été donné, avec une évidence donnant un
comblement de bonheur, de percevoir qu'il n'y avait pas deux mondes, que
le ciel n'était pas ailleurs que dans la terre, et que Marie n'était pas plus
partie que Christ n'était parti, au jour de l'Ascension, dans un autre
monde, parce qu'il n'y a pas d'autre monde. Il y a Dieu créant qui tient
tout en sa présence créatrice. Et c'est en lui que nous trouvons Marie,
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si bien que, l'Assomption a été donnée à Marie comme le moyen plus
pertinent et plus réaliste de nous rencontrer dans le secret de notre
personne. Et c'est pourquoi je vous citais cette parole de saint Grignion de
Montfort : "L'Assomption, c'est Marie domiciliée dans le cœur des créatures
à la façon dont Christ Ressuscité y est domicilié." En Dieu créant, voici
Marie avec lui, en Christ sauvant, voici Marie avec lui, en l'Esprit Saint
accompagnant, inspirant, voici Marie avec lui. Il n'y a pas à chercher
Marie ailleurs que dans les montées d'inspiration et de grâce qui
viennent en nous.
Vous allez peut-être me dire : "Mais enfin, quelle différence y-a-t-il entre
une grâce mariale et une grâce du Christ, entre une grâce mariale et une grâce de
l'Esprit Saint ?" La réponse est de vous dire qu'il n'y en a pas. Et il faut employer
des paraboles pour essayer de pénétrer dans l'expérience.
Voici une parabole. Maintenant, pendant cette retraite, dans cette salle,
notre respiration est renouvelée par un léger courant d'air qui s'appelle la
climatisation. Cela n'est rien, c'est de l'air mêlé à de l'air. Et supposez que, tout
d'un coup, la climatisation tombe en panne : nous n'aurions plus à respirer que
l'air qui est dans cette chapelle. Mais parce que la climatisation fonctionne, et que
l'air pulsé entre dans l'air statique de la chapelle, il y a un léger mouvement, et il y
fait bon, nous respirons.
C'est une parabole, cela n'a pas la prétention d'être un exposé théologique savant
conceptuel. N'empêche que, la grâce c'est Marie avec un petit quelque chose
d'elle dans la grâce du Christ. Ou – suite de la parabole –, au moment où l'air sort
de la bouche de ventilation, que quelqu'un discrètement s'en aille, avec son flacon
de parfum, faire tomber seulement quelques gouttes de lavande ! Voici que tout
d'un coup : "Ah tiens ! Un quelque chose qui nous arrive !" Et voilà, c'est de l'air
parfumé à la lavande. Eh bien, c'est comme cela que toutes les grâces sont
de Dieu, du Christ, la source d'Esprit Saint, mais Marie met ses
gouttelettes de lavande dans cette action de Dieu. C'est comme cela
qu'on perçoit la présence actuelle de Marie. Elle s'occupe de notre respiration, de
notre santé spirituelle, elle est au cœur des inspirations que Dieu ne cesse de
donner à ses enfants. C'est ainsi qu'il faut s'approcher du Mystère de Marie en
Dieu, avec Dieu.
Ainsi donc, Marie n'est pas partie, elle est entrée au cœur même
de cette activité divine qui fait que nous existons, qui fait que nous
sommes sauvés, qui fait que nous sommes inspirés et entraînés dans la
vie éternelle, et Marie y met sa petite gouttelette de parfum, point par
point, seconde par seconde, moment par moment.
Il n'y a pas à aller chercher Marie ailleurs. On vous encouragera à aller à
Lourdes, c'est bien évident ! Mais Lourdes vous renverra à cette expérience
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intérieure et profonde. La preuve, c'est que Bernadette Soubirous, après avoir fait
l'expérience des apparitions, ne remet plus une seule fois les pieds à Lourdes ! Et
croyez-vous que quand elle était à Nevers, elle était moins unie à Marie que
lorsqu'elle était aux pieds de la grotte à Lourdes ? Non. Lourdes c'est un
lancement, c'est un rappel, c'est une accentuation, c'est une prédication, mais il
s'agit de vivre sans cesse et toujours "avec". "Ecoutez, prêtez l'oreille, s'écrie
saint Louis-Marie de Montfort, je vais vous dire quelque chose à quoi, tout
d'abord vous ne pourrez croire, eh bien je porte Marie gravée au-dedans de
moi avec des traits de gloire."
Seulement la gloire ne se grave pas à coups de burin. C'est pourquoi il faut
corriger cette expression de saint Louis-Marie de Montfort. La gloire c'est du
souffle, la gloire c'est du parfum, la gloire c'est un style de vie, la gloire
c'est une joie, la gloire c'est un sentiment d'éternité introduit dans le
temps et dans l'espace actuel. La gloire c'est Quelqu'un qui ne pèse
pas, qui ne s'impose pas, mais Quelqu'un qui, par le dedans, fait vivre,
fait respirer. C'est là le mystère de Marie actuel. Parler de
l'Assomption en langage d'actualité, eh bien c'est cela la grâce de la
Roche d'Or que nous avons reçue le 1er Novembre 1950...
Et ce soir, vers 15 ou 16 heures, je serai heureux d'aller faire un petit tour
par là-bas, vers cette statue aux pieds de laquelle nous disions le chapelet, ma
mère, deux autres personnes commençant la Communauté, et moi. Tout d'un
coup, au milieu du chapelet, vers la fin du troisième mystère de
Pentecôte, nous avons été saisis par cette présence. Rien de
spectaculaire, pas d'apparition, mais l'évidence au-dedans de Marie
souriante, avec nous, qui disait : "Réjouis-toi, réjouissez-vous, je suis
avec vous jusqu'à la consommation de votre histoire." C'est la parole
même que Jésus disait aux disciples, reprise par Marie, qui nous a été
donnée. Dès cet instant nous étions lancés, nous recevions notre grâce
spécifique, et du coup, la mission qui est de déployer la grâce spécifique du
départ. C'est d'une simplicité extraordinaire. Et pendant toutes ces années, il n'y a
pas eu une seule retraite où ce mystère de départ n'ait été non seulement
évoqué, mais j'allais dire utilisé, mis en valeur et déployé de toutes sortes de
manières !
Voilà donc ce qu'est la Roche d'Or, c'est une maison très chère au cœur
de Marie, dans laquelle cette grâce qu'elle a donnée à la Communauté est offerte
et proposée à tous ceux qui viennent "faire communauté" avec cette
Communauté. C'est pourquoi, nous vous saluons avec immensément de bonheur
et de joie, car, comme le disait le Seigneur Jésus : "Il y a beaucoup plus de bonheur à
donner qu'à recevoir." (parole de saint Paul dans son fameux discours de Milet,
lorsqu'il s'en va vers la finale pour son sacrifice).
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Eh bien, ici, au cours de cette semaine, c'est la Communauté qui sera
beaucoup plus heureuse que vous, retraitants. Mais vous, dès que vous rentrerez
dans votre milieu de vie, si vous le voulez, vous saurez ce que c'est que de
partager au monde aveugle, dans les ténèbres, ce bonheur-là ! A ceux-là vous
révèlerez qu'il y a la présence vivifiante du Dieu vivant, et que la terre est appelée
à devenir "ciel", et que déjà c'est commencé. C'est comme cela que vous
apporterez dans le monde le bienfait, le seul Bienfait auquel il aspire, d'être sauvé
des ténèbres et de la surdité.
Alors, vous aurez devant vous la joie qui est la nôtre de voir des personnes
qui se mettent en relation avec l'invisible, et qui deviennent fils de Marie, fils
d'Abraham. "Il partit, ce vieux bonhomme, Abraham, notre père à tous, le père de
Jésus et de Marie, comme s'il voyait l'invisible." C'est la parole de saint Paul dans
l'Epître aux Hébreux. Eh bien voilà notre mission ! Et c'est ce que nous allons
faire par rapport à vous, et c'est ce que vous aurez à faire par rapport au monde
dans vos milieux de vie. "Il y a beaucoup plus de bonheur à donner qu'à recevoir."
N'empêche que, quand on reçoit, c'est déjà fameux...
Notre tristesse, notre pessimisme, il nous faut l'apporter à Marie afin que
vienne en nous la joie réaliste et l'optimisme de Dieu. Il y a tellement de
souffrance, tellement d'épreuves, tellement de drames dans le monde, de tous
genres que, véritablement, la réaction immédiate c'est de dire : "Vraiment, cela ne
vaut pas la peine de vivre !" Ces guerres, ces histoires ! Pensons au Moyen
Orient, au monde, pensons à nos vies, à nous, aux drames, aux deuils, ces choses
absurdes, absurdes ! Alors il est évident que la tristesse et le pessimisme sont là, à
la porte. Et qui peut y échapper d'une manière ou d'une autre ?
C'est vrai que la foi chrétienne, c'est une folie ! Alors qui pourrait
faire des reproches à quelqu'un de ne pas être fou ! Comment voulez-vous que
ce soit facile d'être fou à la façon chrétienne, c'est-à-dire de croire à la vie quand
on est devant la mort, devant le cadavre d'un enfant, devant le drame d'accident
sur la route… Comment voulez-vous que nous ne soyons pas tristes, et qu'il n'y
ait ce désarroi ?
C'est en face de cela que Marie s'est dressée. Et le sens de l'Annonciation
c'est de dire à une femme : "Réjouis-toi, saute de joie !" Je ne sais pas si pour Marie
cela a été tellement facile. Enfin, elle y est entrée ! Et la théologie orthodoxe dit
que c'est là, le premier exploit de Marie. C'est un exploit, la joie chrétienne, c'est
un exploit, un élan qui n'est pas naturel. Il faut la grâce pour passer dans la
folie de Dieu qui nous dit : "Tu veux me laisser devenir Dieu jusqu'au bout ?
Pourquoi est-ce que tu arrêtes mon activité de Dieu ! Mais enfin, fais-moi
confiance ! D'abord, tu n'es pas responsable de ta vie, c'est moi qui t'y ai lancé en
existence, alors, laisse-moi faire jusqu'au bout, je connais mon métier de Dieu !"
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N'empêche que Dieu nous apparaît comme un incapable… Ce n'est pas la
peine de faire ici le procès de Dieu qui a été fait de mille et une façons, et qui est
fait en nous de toutes les formes de tentation. C'est cela le péché fondamental,
c'est cela la tristesse.
Alors nous apportons cela comme Marie qui en était pleine : cela n'allait
pas mieux dans son temps, en Israël, c'était catastrophique autant qu'aujourd'hui.
"Saute de joie, exulte d'allégresse, fille de Sion car voici, ton Dieu est dans
ton ventre, dans tes flancs." Je viens de vous citer textuellement la prophétie
de Zacharie et de Sophonie. Marie prend cela au sérieux, et de la tristesse
elle passe à la joie. C'est impossible... On peut tendre ses muscles, mais on ne
peut faire que du stoïcisme... Mais avec le souffle de l'Esprit on entre dans
l'expérience : Dieu est en train de dire son dernier mot avec sa
création, et son dernier mot c'est la Résurrection.
Alors, nous apportons notre tristesse, notre pessimisme, et nous disons :
"Viens, viens lumière ! Viens joie ! Viens Toi, comme tu es venu en Marie !"
A notre tour de passer de la tristesse à la joie...
Florin CALLERAND
1er novembre 1988
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