La vocation d`aimer
Transcription
La vocation d`aimer
L’ENTREVUE COLUMBIA La vocation d’aimer Un nouveau livre se penche sur la théologie du corps de Jean-Paul II et sur la signification de l’amour humain. D De 1979 à 1984, le pape Jean-Paul II a consacré 129 audiences générales du mercredi à présenter sa vision de la personne humaine, créée en tant qu’union du corps et de l’âme, ainsi que la vocation à aimer qu’a chacun d’entre nous. La catéchèse du pape, qu’on a qualifiée de « théologie du corps », est considérée par plusieurs comme révolutionnaire en ce qu’elle expose de profondes vérités sur les expériences humaines les plus fondamentales — qui nous sommes et l’être que nous sommes appelés à devenir. Un nouvel ouvrage sur la théologie du corps sera publié au cours du présent mois sous la signature conjointe du Chevalier suprême Carl A. Anderson et du père José Granados, professeur adjoint à l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille, rattaché à l’uniABOVE: LESLIE GILBERT PHOTOGRAPHY TOP LEFT: JUPITERIMAGES PA R L’ É Q U I P E D E CO L U M B I A versité catholique des États-Unis, à Washington, D.C. Intitulé La vocation d’aimer : se familiariser avec la théologie du corps de Jean-Paul II (Doubleday), le livre nous éclaire sur le sens et les conséquences des intuitions du pape. Columbia s’est entretenu avec le Chevalier suprême Anderson et le père Granados à propos de leur nouveau livre. Columbia : Le mot « théologie », aux yeux de plusieurs, fait référence à des concepts abstraits concernant Dieu. Qu’a donc voulu dire le pape Jean-Paul II avec son expression « théologie du corps », et n’est-ce pas à certains égards une expression radicale voire contradictoire ? Père Granados : La théologie ne s’intéresse pas qu’aux questions touchant Dieu lui-même; elle s’intéresse plutôt à la parole de Dieu — c’est-à-dire au moyen qu’il utilise pour nous parler, nous dire qui il est et à quel point il nous aime. Dans l’esprit de la théologie, l’Incarnation est centrale et c’est grâce à elle que Dieu est venu à notre rencontre et s’est rendu visible en prenant vie dans un corps humain. Grâce à l’Incarnation, le corps entre dans le domaine de la théologie. Lorsque le Verbe s’est fait chair, Dieu a exprimé clairement combien le corps peut mettre à profit un langage capable de parler de Dieu et des moyens mis en œuvre par celui-ci pour nous appeler à l’aimer lui, ainsi que nous les uns et les autres. Carl Anderson : C’est précisément pour cette raison que nous avons écrit La vocation d’aimer — afin de sortir la théologie de ce carcan qui la limiterait, soi-disant, aux « concepts abstraits entourant Dieu » et de montrer, du même coup, combien la vision du pape nous touche tous personnellement, chacun de nous. Nous ne devons jamais oublier que tout au long de son ministère sacerdotal, JeanPaul II est demeuré complètement engagé envers l’attention à apporter aux couples mariés et aux familles. La théologie du corps est dès lors un éléc o l u m b i a /a v r i l 2 0 0 9 9 Le père Jose Granados et le Chevalier suprême Carl A. Anderson discutent après la cérémonie de consécration du McGivney Hall, à l’université catholique des États-Unis de Washington, D.C., le 8 septembre 2008. Le père Granados, professeur à l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille, a co-signé avec le Chevalier suprême l’ouvrage La vocation d’aimer : se familiariser avec la théologie du corps de Jean-Paul II (paru en anglais chez Doubleday, 2009). ment clé de son approche pastorale. “ Nous tion et le destin de l’humanité dans leur entièreté. Carl Anderson : Ce concept est tout aussi important pour l’œuvre des Chevaliers de Colomb puisque notre Ordre est basé sur les principes de la charité, l’unité et la fraternité. On pourrait d’ailleurs dire que l’abbé a mis en lumière cette réalité qu’est « la communion des personnes » de la manière éminemment pratique que l’on sait, voilà plus d’un siècle déjà. Au centre des idées de Jean-Paul II figure avons écrit le concept de la communion des personLa vocation nes, qu’il perçoit d’aimer afin comme un reflet de la Trinité. En quoi, ce de montrer faisant, le pape a-t-il développé la doctrine combien la traditionnelle ? Père Granados : La vision du bonne nouvelle du pape nous christianisme c’est que Dieu est amour, touche tous c’est-à-dire une communion de personnes Que gagneront les gens à personnelleau sein de laquelle le étudier la théologie du ment, chacun corps ? Où avez-vous puisé Père se donne totalement au Fils, en votre inspiration pour de nous. union avec l’Esprit écrire cet ouvrage ? saint. Jean-Paul II a Père Granados : Notre développé une comobjectif est d’aider le préhension de la personne humaine à lecteur à découvrir cette grande vocala lueur de l’amour trinitaire. L’amour tion à laquelle Dieu l’appelle : la vocahumain, et particulièrement l’amour tion d’aimer. Car souvent, nous de la famille — entre maris et vivons sans en réaliser l’existence, ce femmes, parents et enfants, frères et qui nous empêche bien évidemment sœurs — est le miroir grâce auquel d’y répondre. Le danger, c’est de voir l’amour de Dieu brille dans le monde, par conséquent nos existences ce qui permet à l’humanité de com- gaspillées, incapables de se réaliser munier à cet amour. Jean-Paul II est pleinement. Avec ce livre, nous aimeparti de ce thème central de la tradi- rions éveiller de nouveau le lecteur à tion et il a interprété, ainsi, la voca- la bonne nouvelle de son existence, au 10 caractère merveilleux du destin qu’a prévu Dieu pour lui. Cela signifie que la théologie du corps n’est pas qu’une doctrine sur la sexualité humaine, elle fournit aussi et surtout une compréhension globale de la personne humaine et du monde lui-même. En fait, l’objectif visé par Jean-Paul II est de traduire et saisir notre réalité globale en termes d’amour. Carl Anderson : Pour ma part, ce livre m’a aussi permis d’approfondir une réflexion entamée avec mon précédent ouvrage, Une civilisation de l’amour, en montrant comment, à travers la théologie du corps, Jean-Paul II a expliqué la vocation d’aimer commune à chaque personne. Ce qui nous permet, en retour, de mieux comprendre notre vocation dans le cadre du mariage, de la famille et du monde dans son ensemble. Avant même de devenir le pape JeanPaul II, Karol Wojtyla avait des décennies d’expérience pastorale et il avait écrit sur des sujets liés au mariage et à la famille. Justement, pourquoi la famille est-elle si importante pour lui, et que nous enseigne la théologie du corps quant à la nature de l’amour humain ? Père Granados : Selon Jean-Paul II, la famille est le lieu où nous découvrons qui nous sommes. Le pape, d’ailleurs, fait référence à ce qu’on appelle la w w w. ko f c .o r g « Voici ce qu’est le corps : un témoin de la création en tant que don fondamental, donc un témoin de l’Amour comme source d’où émane le même don. » Extrait de la catéchèse sur la théologie du corps du pape Jean-Paul II, le 9 janvier 1980. généalogie de la personne. Notre identité comme personne humaine se forme au sein de la famille. Le fait que nous soyons les enfants de nos parents, par exemple, n’est pas accidentel et constitue plutôt une composante fondamentale de notre être. Le même type de constat vaut pour un parent : on n’a pas seulement un enfant, on est surtout un père ou une mère. Au sein de la famille, nous comprenons que nous avons été enfantés et que nous sommes finalement appelés à devenir, nous aussi, des époux et des parents. Autrement dit, notre vie repose sur un amour originel que nous recevons d’abord en tant qu’enfant, puis que nous faisons fructifier en le donnant à notre tour à quelqu’un. Carl Anderson : On voit par là pourquoi Jean-Paul II estime que la famille est le lieu central de rencontre entre le christianisme et la société contemporaine. Si nous ne comprenons pas nos vies en tant qu’époux et que parents d’une manière profondément chrétienne, il est alors très difficile de mener une existence chrétienne dans le monde d’aujourd’hui. Mais l’intuition de Jean-Paul II va encore plus loin : en comprenant nos vies d’époux et de parents tel que Dieu l’a voulu, nous apprenons à vivre une vie encore plus authentiquement chrétienne. Or, cela vaut même pour ceux qui ne se marient pas. À commencer par les « expériences originelles » relatées dans les premiers chapitres de la Genèse, la catéchèse sur la théologie du corps représente, à certains égards, un commentaire biblique sur la nature humaine. Quel TOP LEFT: JOHN WHITMAN ABOVE: CNS FILE PHOTO rôle joue la Révélation chrétienne dans notre compréhension de ce que nous sommes ? Peut-on expliquer les idées et intuitions de Jean-Paul II en termes séculiers ? Père Granados : L’homme moderne vit une crise d’identité. Nous devons savoir qui nous sommes et quel chemin nous devons emprunter dans la vie. Dans le livre de la Genèse, Jean-Paul II a vu le code génétique de notre identité en tant qu’êtres humains. Par exemple, le pape évoque cette solitude originelle : Adam, dans le jardin, comprend qu’il est seul. Cette expérience est interprétée à la lueur de la relation qu’entretient chacun avec le Créateur, le seul qui puisse combler nos attentes et nos désirs. Cela signifie que notre identité se constitue toujours à la lueur du mystère divin, en tant que créatures émanant de lui. Jean-Paul II ajoute à cela l’expérience de l’unité : nous ne savons qui nous sommes et comment rejoindre Dieu que lorsque nous rencontrons une autre personne grâce à l’amour. Précisément parce que le pape débute par une analyse de l’expérience humaine, la théologie du corps est universelle et déborde le cadre chrétien. Tous les êtres humains se pose des questions sur le sens de la vie et comment se réaliser pleinement. Or la théologie du corps répond à ces questions en termes d’amour. Votre livre est publié un an après la visite du pape Benoît XVI aux ÉtatsUnis. En quoi les enseignements de Jean-Paul II trouvent-ils écho chez Benoît XVI ? Père Granados : Au début de son pontificat, Benoît XVI a déclaré ne pas vouloir trop écrire, puisqu’il se sentait surtout appelé à mieux faire connaître l’œuvre de JeanPaul II. En fait, la première encyclique du présent pape, Deus Caritas Est (Dieu est amour) s’inscrivait dans la foulée des écrits de Jean-Paul II sur l’amour. À l’instar de son prédécesseur, Benoît XVI prend comme point de départ la manière qu’emploie le Christ pour révéler à l’homme sa propre vocation. Dans Deus Caritas Est, il écrit que pour bien comprendre ce qu’est cet amour, nous devons nous tourner vers Celui qui est mort sur la croix (12). C’est au pied de celle-ci que nous pouvons contempler l’amour dans toute sa splendeur. Carl Anderson : C’est d’ailleurs là la vision pastorale principale du concile Vatican II. Les papes Jean-Paul II et Benoît XVI visent tous deux à renouveler l’Église tel que le préconisait le concile. Les deux cherchent à remplir cette mission en voyant dans le Christ la révélation de l’amour divin, lequel fait de nous ce que nous sommes et qui établit pour nous le type d’existence que nous sommes appelés à mener. ■ c o l u m b i a /a v r i l 2 0 0 9 11