notre part sauvage

Transcription

notre part sauvage
« la limite qui sépare le langage du silence
la limite qui sépare le langage de la musique
(…)
limite qui sépare le langage de l’animalité
qui sépare le langage du cri
qui sépare le langage du chant
(…)
porter le langage à cette limite
(…)
il faut être sur cette limite
(…)
il faut être toujours à la limite qui vous sépare de l’animalité, mais justement, de telle manière qu’on en soit
plus séparé
il y a une inhumanité propre au corps humain et à l’esprit humain »
#02
Bonnets Rouges
avril 2009
Gilles Deleuze, Abécédaire, lettre A
Dossier réalisé à l’occasion de la projection du film Themroc (Claude Faraldo,
France 1972) le mercredi 15 avril 2009, au bar la Bascule (2 rue Bascule, Rennes), projection organisée par le collectif « les Bonnets Rouges », deuxième
séance du cycle de projection 2009.
contact : [email protected]
notre part sa
uvage
Themroc
(France, 1972, couleurs, 1h 44)
Production : Filmanthrope F.D.L.
« Plus viscéral [que Bof !], Themroc (1972) est le film référence de sa
carrière, aussi rare que précieuse, en tout cas sans concession vis-àvis de l’industrie du cinéma. Il a puisé la matière du sujet dans sa colère brute. Filmé sans autorisation dans le métro et sur les chantiers du
Paris pompidolien, Themroc raconte l’histoire d’un ouvrier, interprété
par Michel Piccoli qui se fait la belle du turbin (un leitmotiv !) et décide
de vivre sans temps morts pour jouir sans entraves en se transformant
en homme des cavernes urbain volontiers cannibale. Piccoli et toute la
bande encore fraîche du Café de la Gare menée par Romain Bouteille,
Miou-Miou, Patrick Dewære, Coluche, Henri Guybet avaient accepté de
participer bénévolement à l’expérience.
Claude se remémorait le climat qui régnait sur le tournage : « Après
une séquence, on allait boire des calvas au bistrot en face, rue Labrouste, dans le XVe arrondissement. La plupart des acteurs gardaient
leur déguisement de flics et la camionnette bloquait la circulation. Ça
créait un embouteillage monstre. Dès que ça klaxonnait, Coluche, qui
n’était pas encore connu, sortait avec un sifflet et admonestait l’automobiliste en vociférant par borborygmes, comme dans le film... On
faisait ça exprès pour que les gens aient la haine du flic ! » Loin d’une
nostalgie d’ancien soixante-huitard, il affirmait l’invariance de sa soif
de liberté. Pour lui, Themroc était intemporel : « Si ce n’était tous les
“fantômes” qui hantent le film, c’est comme si on l’avait fait avant-hier
», nous disait-il, il y a environ un an autour de quelques bouteilles de
rasteau (CQFD n°42). Quand on rencontrait Faraldo, on était touché
par la douceur de sa voix qui contrastait avec son regard d’acier et son
visage marqué. Son dernier rôle en tant qu’acteur fut d’interpréter un
parrain corse.
Pace e salute, Claude ! »
Article publié dans CQFD n° 53, février 2008, à l’annonce de la mort
de Faraldo.
p2
« Nous éprouvons toutes un ardent désir, une nostalgie du sauvage.
Dans notre cadre culturel, il existe peu d’antidotes autorisés à cette
brûlante aspiration. On nous a appris à en avoir honte. Nous avons
laisser pousser nos cheveux et nous nous en sommes servies pour
dissimuler nos sentiments, mais l’ombre de la Femme Sauvage se
profile toujours derrière nous, au long de nos jours et de nos nuits.
Où que nous soyons, indéniablement, l’ombre qui trotte derrière
nous marche à quatre pattes. »
Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, 1992,
Grasset et Fasquelle 1996, Le Livre de poche, p 13
« ...la lame acérée de la perspicacité, la flamme de la vie passionnée, le souffle pour exprimer ce que l’on sait, le courage
de regarder les choses en face,
la fragrance de l’âme sauvage.
»
ibidem p 40
« Il faut lutter pour permettre à notre âme de s’épanouir (...) En fait
elle ne peut se développer harmonieusement dans une atmosphère où
règne le «politiquement correct», ni si on la tuteurise avec de vieux paradigmes périmés. Elle pousse bien si on lui fournis l’ai frais d’une nouvelle perspective. Elle se développe selon sa nature propre. (...) Pour la
trouver, les femmes doivent faire retour à leur vie instinctive, à leur savoir le plus profond. Commençons donc par remonter à l’âme sauvage.
Laissons-là redonner chair à nos os par son chant. Dépouillons-nous
des oripeaux qu’on nous a donnés. Enfilons le manteau authentique
de l’instinct et de la connaissance. Infiltrons les terres psychiques qui
nous ont un jour appartenu. Ôtons nos pansements. Le remède est
prêt. Redevenons maintenant des femmes sauvages qui hurlent, rient,
chantent (...) C’est très simple : sans nous, la Femme Sauvage meurt.
Sans la Femme Sauvage, nous mourons. Para Vida, pour la vie, les deux
doivent vivre »
ibidem p 41
p 15
Themroc
Themroc est une farce anarcho-primitiviste qui conte l’histoire d’un ouvrier, qui
se révolte contre son patron et retrouve sa part sauvage et animale.
vélo-boulot-dodo
Themroc (Michel Piccoli) est un peintre en bâtiment vivant en famille dans un petit appartement. Tous les matins, il prépare mécaniquement son petit-déjeuner, il
brave la cohue des longs trajets en transport en commun pour pointer à l’usine,
où l’attend un travail répétitif et absurde. Sur son lieu de travail, Themroc appartient à la classe des gentils prolétaires. Il rénove les façades extérieures. Un
jour, en repeignant une fenêtre, il surprend son patron en train de flirter avec sa
secrétaire. Il se prend une fenêtre au visage. La figure maculée de sang, l’ouvrier
docile sent gronder en lui un sentiment de révolte compulsif. Alors qu’il est conduit chez le patron, il se révolte et s’enfuit.
rage à tous les étages
Il rentre chez lui, mure la porte de son appartement et abat le mur de façade.
Il jette ses meubles par la fenêtre. Themroc se barricade alors dans son appartement. Terré dans sa tanière, il pousse d’énormes rugissements, arrête de travailler et passe ses journées à faire l’amour... Themroc a des rapports incestueux
avec sa sœur avant de séduire une jeune voisine. De cette grotte reconstituée, il
pousse des hurlements sauvages et nargue les policiers tentant de le déloger. Il
ne sort de sa tanière avec une échelle de corde que la nuit, pour aller chasser. Les
forces de l’ordre font appel à un maçon pour reconstruire le mur de façade, mais
celui est rapidement acquis à la cause de Themroc. Sa révolte contamine l’immeuble et ses voisins ne tardent pas à l’imiter. La folie se généralise, les tabous
sont transgressés. Themroc tuera notamment un policier pour le dévorer.
un film sans paroles
D’abord sans dialogues tout court (en milieu familial), puis dans un genre d’esperanto incompréhensible (en milieu salarial), le film se poursuit ensuite (en
territoire reconquis) en cris, rugissements, et autres borborygmes.
« J’ai toujours voulue que tu sois armée. »
p 14
in Les Fleurs du miel, de Claude Faraldo, France 1976
Themroc choisit d’abord d’emprunter la voix de la satire sociale en décrivant le
travail en usine du personnage principal. Themroc et les autres ouvriers sont
majoritairement assigné à la repeinte quotidienne de la grille d’entrée de l’établissement. En rang d’oignon, les hommes s’occupent chacun d’un barreau ou
deux de chaque côté de la grille. Car l’équipe de peintres est scindée en deux :
ceux qui travaillent du côté intérieur, et ceux qui travaillent du côté extérieur. La
hiérarchie de l’usine est bien entendu en conséquence avec le sous-chef du côté
intérieur, le sous-chef du côté extérieur, le chef des deux sous-chefs et enfin le
grand patron (qui passe le plus clair de son temps à faire des avances malhonnêtes à sa secrétaire).
L’homme s’est construit une société pour le protéger des dures lois de la nature.
Mais lorsque cette même société devient inhumaine, c’est un violent retour à la
rage animale que nous propose Themroc.
p3
Filmographie de Claude Faraldo
En tant que réalisateur :
-
La Jeune morte, Les Chiens, co-réalisateur, Roger Pigaut, France 1965
Bof... anatomie d’un livreur, France 1970
Themroc, France 1972
Tabarnac, Viens chez moi, tu seras prophète (documentaire), France 1974
Les Fleurs du miel, France 1975
Deux Lions au soleil, France 1979
Flagrand désir, France 1986
La Chaîne (feuilleton TV), France, 1987
Les Jupons de la Révolution, La Baïonnette de Mirabeau (TV), France 1989
Puissance 4, France 1990
Tête de pioche (TV), France 1989
V comme vengeance (TV), France 1992
Champ clos (TV), France, 1992
Le Serpent vert (TV), France 1992
Merci pour le geste, France 1999
En tant que comédien :
- Les Années Lumière, de Jean Chapot (documentaire), France 1970 / voix du
récitant
- Les Fleurs du miel, de Claude Faraldo, France 1975 / rôle du livreur
- Le Jardinier, de Jean-Pierre Sentier, France 1980 / rôle de l’ouvrier-gagnant
- Mesrine, d’André Génovès, France 1983 / rôle de Charlie Bauer
- Blanc de Chine, de Denys Granier-Deferre, France 1987 / rôle de Rinaldi
- L’Ange noir, de Jean-Claude Brisseau, France 1993 / rôle d’Aslanian
- Maigret se défend, d’Andrzej Kostenko (TV), France 1993 / rôle de Palmari
- La Patience de Maigret, d’Andrzej Kostenko (TV), France 1994 / rôle de Palmari
- La Rivière Espérance, de Josée Dayan (série TV en 9 épisodes), France 1995 /
rôle d’Ambroise Debord
- Mafiosa, le clan, de Louis Choquette : (feuilleton TV), France 2006 / rôle d’An-
p4
« Qu’est-ce que ça veut dire : devenir animal ? Ça ne veut pas dire imiter,
encore qu’il faille imiter parce qu’il faut bien s’appuyer sur quelque chose. Devenir cheval ? Devenir chien ? Qu’est-ce que ça veut dire pour Kafka : devenir
coléoptère ? Ce n’est pas au moment où on imite que ça marche. Est-ce que je
peux, dans une certaine latitude et une certaine longitude d’un corps, donner
à mes parties composantes un rapport de mouvement et de repos, de vitesse
et de lenteur, qui corresponde à celui du cheval, et par voie de conséquence
est-ce que les affects qui, alors viennent me remplir, sont ou non, des affects
cheval ? C’est par là qu’on a défini le plan de consistance ou de composition;
ces latitudes avec leurs devenirs, avec leurs passages : passage d’une longitude à une autre, passage d’une latitude à une autre. Que son corps prenne
une longitude et une latitude nouvelle, le capitaine Akab, et il se trouve qu’il
meurt, lui aussi : son plan de consistance, son plan océanique, il meurt là
dessus. Sur le plan de consistance ou de composition il n’y a que des degrés
de vitesse et de lenteur, d’une part, définissant des longitudes, et d’autre part,
des affects ou parties intensives définissant des latitudes. Il n’y a ni forme ni
sujet. Les affects sont toujours du devenir. »
Gilles Deleuze, Cours à Vincennes.
« Les devenirs-animaux ne sont pas des rêves ni des fantasmes. Ils sont
parfaitement réels. Mais de quelle réalité s’agit-il ? Car si devenir animal ne
consiste pas à faire l’animal ou à l’imiter, il est évident aussi que l’homme ne
devient pas « réellement » animal (…) Le devenir ne produit pas autre chose
que lui-même. (…) Ce qui est réel, c’est le devenir lui-même, le bloc de devenir, et non pas des termes supposés fixes dans lesquels passerait celui qui
devient. »
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux.
« dans un devenir animal, on a toujours affaire à une meute, à une bande, à
une population, à un peuplement, bref à une multiplicité (…) Je suis légion »
Ibidem.
p 13
LE RÉALISATEUR
Né le 23 mars 1936 à Paris, Claude Faraldo, fils d’un ouvrier immigré italien
qui bossait à Billancourt comme tourneur-ajusteur. Plongé dans le monde du
travail à 13 ans, tour à tour manoeuvre, porteur de télégrammes ou livreur
jusqu’à vingt-six ans, il connaît toutes les humiliations quotidiennes, la fatigue,
le travail qui abrutit. Il s’affranchit du boulot pour devenir cinéaste par hasard
et par révolte.
En 1964, il rencontre Evelyne Vidal jeune comédienne reconvertie dans le métier d’agent, qui devient sa compagne et fondera plus tard, avec Gérard Lebovici et Michèle Méritz, l’agence Artmédia. Elle qui lui permet de vivre trois
ans sans rien faire. Il débute dans la vie artistique. Il revendique son origine
prolétarienne et considère que le cinéma doit contester le système et l’ordre
existant.
En 1965, après avoir tout critiqué – « J’étais un mec mauvais à l’époque » – ,
il co-réalise son premier film, La Jeune Morte avec Roger Pigaut (avec JeanClaude Rolland – dont on connaît le destin tragique – et Françoise Fabian),
racontant la sortie de prison d’un jeune homme qui enquête sur la mort mystérieuse de sa jeune fiancée. Il imagine un scénario (Bof !), écrit quelques pièces
de théâtre (Doux Métroglodytes, dont il s’est inspiré pour réaliser Themroc,
jouée au Studio des Champs-Elysées par Huguette Hue et Bernard Fresson),
suit le Cours Simon.
En 1970, il réalise Bôf !, anatomie d’un livreur (avec Marie Dubois et Paul
Crauchet) s’appuyant sur son expérience personnelle (il a été livreur de vin
chez Nicolas) et nourrie par le courant libertaire de l’après-68. Cette histoire
d’un ouvrier qui prône à son fils le rejet du travail, de la famille et de la propriété, réclamant le droit à la paresse et vivant un «communisme sexuel», fait
un petit scandale et lui vaut les encouragement de Jacques Prévert.
p 12
Faraldo poursuit sa veine corrosive, son goût de l’outrance et de la contestation
débridée en 1972 dans Themroc, d’après la pièce de théâtre qu’il avait écrite
en 1969 Doux Métroglodytes, sur le thème de la révolte et de la vie sauvage
d’un ouvrier très contemporain. Michel Piccoli y incarne un peintre en bâtiment
qui, révolté contre son abrutissante existence et contre la civilisation du confort, transforme son logis en grotte primitive, délestée de tous objets symboles
de la société de consommation. Mué en barbare, ne s’exprimant que par cris et
onomatopées et chantant le retour à la nature, il se voit bientôt imité par ses
voisins qui, avec lui, finissent par orchestrer un barbecue subversif, tournant
un CRS à la broche. Les acteurs du Café de la Gare, dont Romain Bouteille, Coluche, Miou-Miou, Henri Guybet ou Patrick Dewaere, participent bénévolement
au film.
p5
Après l’échec de son film Tabarnac (1974), reportage sur la tournée du groupe
rock québécois Offenbach, il retrouve son instinct provocateur avec Les Fleurs du
miel (1975), tourné en trois semaines dans son pavillon de Garches (Hauts-deSeine) : une réflexion sur la liberté en amour qui met en scène un intellectuel bourgeois, un ouvrier silencieux, livreur de bouteilles (encore) et une femme décidée
à prendre sa vie en main. Deux lions au soleil (1979) passe du ras-le-bol à un
réalisme social désespéré, dans cette errance de deux prolos homosexuels (JeanPierre Sentier et Jean-François Stévenin) qui décident d’arrêter de travailler et vivent leur désenchantement sans agressivité, découvrant que l’escroquerie ne vaut
pas mieux que la misère. Flagrant désir, enfin (1986), confirme l’évolution du ton
décapant de l’auteur en ironie douce-amère. Faraldo y évoque la grande bourgeoisie
bordelaise et les rapports de pouvoir au fil d’une enquête policière dans le Médoc.
Il y avait aligné cette fois une distribution franco-américaine, avec Sam Waterston,
Marisa Berenson et Lauren Hutton. Il a également travaillé pour la télévision, signant notamment Le Serpent vert et Tête de pioche dans les quartiers populaires de
Marseille. Enfin, revenant au cinéma, Merci pour le geste, avec Jacques Hansen et
Marie Rousseau, est sorti en France en janvier 2000.
Ses origines populaires, qu’il ne manquait pas de revendiquer, en faisaient un cas à
part dans le système cinéma français, notablement bourgeois. Mais le thème social,
pour être omniprésent dans son cinéma, était aussi le vecteur d’une pulsion subversive plus large, qui touche autant aux mœurs et au souci de soi qu’à la stricte
satire politique. Ce mélange d’humour, de pessimisme et de goût pour toutes les
libérations fait de Claude Faraldo un pur exemple de cinéaste post-68.
Il est mort d’une crise cardiaque le 29 janvier 2008 à Alès.
Claude Faraldo s’est intéressé à ce thème de la jouissance, et ses films montrent bien, sans le secours du moindre discours politique proprement dit, ce qu’il peut avoir de profondément révolutionnaire.
Dans Bof ! (1971, France), une famille d’ouvriers « usurpe » ces « privilèges » des classes possédantes que sont
l’oisiveté, la débauche gastronomique (avec champagne, signe obligé de l’opulence bourgeoise) et la licence
sexuelle, voire le libertinage (le travailleur n’a droit qu’à l’alcool, au stade et au tiercé), foulant aux pieds, du
même coup, avec une allégresse féroce, toutes les valeurs dont l’ordre impose le respect au prolétariat (travail,
sagesse économique, morale familiale). Utopie, bien sûr, mais dont l’agressivité et l’insolence tranquille font
une arme redoutable : préfère le jeu au labeur, moque-toi de tous tes devoirs, tel est le «message» de Faraldo.
L’utopie, c’est encore elle qu’exaltent Gébé et Jacques Doillon dans L’An 01, — 1972, France. Mais dans ce
film fait d’idées jolies et inoffensives — à commencer par la première : si on faisait un pas de côté ? - elle se
dépouille de toute violence pour revenir en fin de compte à une existence purement poétique. Ce n’est plus la
jouissance, c’est le rêve. Et même pas le rêve de jouissance, qui est encore jouissance.
Dans Themroc (1972, France), toujours de Faraldo, est indiqué plus clairement, plus concrètement, l’élément
ravageur, dévastateur, de la jouissance. Cette fois-ci, le héros, un ouvrier, rompt encore plus radicalement avec
son époque, avec son existence de travailleur, en transformant sa chambre en une sorte de grotte préhistorique
ouverte sur le vide et en s’y murant, pour s’y livrer avec sa jeune sœur aux pratiques exclusives de l’érotisme et
de l’anthropophagie, ceci, après s’être débarrassé de tout ce qui appartenait à sa vie quotidienne, y compris vêtements et parole. Pour finir, il entraîne l’immeuble tout entier dans le même délire destructeur et orgiastique.
Dans les premières images de Themroc, Faraldo se livre à une description parfaitement réaliste, d’une apparence toute documentaire, de la foule des salariés qui se rendent à leurs lieux de travail. Trains de banlieue, métro, autobus, moyens de transport divers. Quais de gare, trottoirs et passages cloutés. La masse des travailleurs
s’écoule, se divise, se reforme, perd des unités ou des paquets entiers. Dans cette foule, cependant, on ne peut
pas ne pas remarquer des visages particuliers, des individualités plus marquées, qui retiennent l’attention au
passage, avant d’être remplacés par d’autres. Mais Faraldo, par la simple adjonction d’un sous-titre, volontiers ironique — « Prolétariat bigarré mais homogène », « hautes secrétaires galbées » —, dissipe en quelque
sorte nos illusions et redonne son caractère anonyme, uniforme, global au spectacle de ces travailleurs dont le
destin est à la fois commun et particularisé. Il veut nous montrer en somme l’idéologie dominante en action :
une société où le dialogue n’existe plus, car pour qu’il y ait dialogue, il faut qu’il y ait véritablement altérité,
et l’idéologie fait des individus des stéréotypes, des autres des répliques de moi-même. Nous sommes dans
l’univers mystifiant de Narcisse, qui croit dialoguer, et qui, en fait, ne s’enchante que de se découvrir pareil
à soi, identique à lui-même, inchangé et inchangeable. Narcisse est privé du désir, comme il est privé de la
connaissance, l’un et l’autre n’étant attachés qu’à un dialogue authentique. Son «enchantement », le trompeur
sentiment de plénitude qu’il éprouve le privent également de la jouissance : c’est l’absurde postulation de la
demande, comblée avant d’être signifiée, que symbolise son incessante parodie de dialogue. L’idéologie est un
monde de miroirs, de reflets, où le reflet et le reflété deviennent interchangeables.
Cinéma et Politique de Christian Zimmer, Seghers 1974, p 132, 133
1. Le Plaisir du texte, coll. «Tel Quel », édit. du Seuil, 1973.
2. Op. cit., p. 14.
3. Op. cit., p. 36.
4. Op. cit» p. 39.
p6
p 11
le paradis perdu de la jouissance
Ce mariage du cinéma et de la télévision, nous voudrions brièvement indiquer, pour conclure, les trois directions que
lui ont données les cinéastes. La première : coexistence, dans le même film, du document télévisuel, du reportage
d’actualité, et de la fiction la plus élaborée, rapprochement d’où peuvent naître des effets de contraste ou de ressemblance savoureux et révélateurs (exemple : Qui êtes-vous Polly Maggoo ? — 1966, France -, de William Klein). La
seconde : amalgame aussi poussé que possible entre l’élément extérieur — l’auteur, la caméra — et l’objet même
du film — l’action, les personnages —, fusion aussi intime que possible entre le regardant et le regardé, intégration
au film du cinéaste qui abdique ses privilèges, s’efface, pour devenir lui-même plus ou moins acteur, simple ferment
créateur, discret incitateur conduisant les personnages à s’exprimer, à se créer eux-mêmes, espèce d’« accoucheur »
platonicien des êtres.
.../...
Troisième direction, enfin, du mariage cinéma-télévision : imitation pure et simple du style, du langage télévisuels par
la fiction, dans un but de crédibilité, sinon de vraisemblance, c’est-à-dire pour accroître la force même du discours,
l’éloquence de la fable. Exemples : La Bombe, (1967, Grande-Bretagne), de Peter Watkins, Ice (1969, Etats-Unis),
de Robert Kramer. (Le même style «direct», c’est à souligner, est toutefois utilisé dans ces deux films dans des sens
assez opposés : chez Watkins, il s’agit bien de rendre parfaitement plausible, crédible l’image de l’apocalypse atomique, afin que l’avertissement touche vraiment les consciences ; chez Kramer, on dirait volontiers au contraire que
le «direct» renouvelle, rafraîchit l’expression d’une réalité fictive, seconde, qu’il se met au service de la fiction, pour
donner à celle-ci — la Révolution dans les rues de New York — une image rêvée, c’est à-dire hautement désirable, et,
en même temps, créer un effet de distanciation parfaitement brechtien). La télévision, ici, ne supplante pas le cinéma
: c’est le cinéma qui, lui empruntant tout ce qui peut lui servir, lui apporter une jeunesse et une vigueur nouvelles,
remporte sur elle une victoire, en retournant, en renversant le sens de cette familiarité avec l’univers qui caractérise
sa démarche. En intégrant cette démarche, le cinéma peut redonner au public une curiosité véritable pour le monde,
un appétit authentique de connaissance, en d’autres termes réintroduire le désir dans la fonction de voir, faire du
spectateur un être désirant, donc concerné et conscient.
.../...
Le paradis perdu de la jouissance
Une question vient à l’esprit. Elle n’est pas étrangère au débat. Ce « bourrage », ce « gavage » d’images — fictions
et événements, informations vraies et futilités — qu’opère la télévision, n’ont-ils pas aussi pour fonction de barrer la
jouissance, terme logique, espéré du désir ? Dans Le Plaisir du texte, Roland Barthes établit une distinction radicale :
la jouissance n’a rien à voir avec le plaisir1. Et cette opposition nous ramène à une opposition qui nous est familière:
celle de l’« univers de continuité » et de l’ « univers de rupture ». Celle de la demande et du désir. La jouissance, dit
Barthes, est coupure, brisure, perte2. Elle dévaste, alors que le plaisir - cette illusion - me donne l’impression de réparer un manque. Saturer de plaisir, offrir à la demande une inépuisable réponse, ce sera donc bien, et éviter la naissance
du désir, et interdire la jouissance. «Indicible », rappelle Barthes, précisément parce qu’« interdite »3.
L’idéologie bourgeoise — la critique de cinéma, tout particulièrement — insiste sur le « plaisir » que doit procurer
l’œuvre : plaisir immédiat, facile à prendre (l’œuvre doit « parler aux sens »), accessible à tous. Elle sous-entend : le
plaisir importe plus que la connaissance, c’est le premier qu’il faut rechercher, et non la seconde. Celle-ci, en somme,
est aussi interdite que la jouissance par l’idéologie dominante.
Mais, au demeurant, n’y a-t-il pas des rapports étroits entre
jouissance et connaissance? Barthes pose la question et semble
enclin à le penser 4 : si la jouissance est rupture, la connaissance elle aussi implique clivage, transfert, changement de plan.
La connaissance vraie ne s’ajoute pas : elle risque de remettre
en question tout le savoir, tout l’acquis, d’où un vertige qui
s’apparente à celui de la jouissance. La connaissance est une
aventure. L’aventure de l’altérité. Saut dans l’inconnu, sinon
dans le vide. On comprend que certains reculent et préfèrent
étiqueter ce qui est différent, c’est-à-dire destiné à la connaissance, soit inférieur (racisme), soit illégal (intolérance).
p 10
cinéma enragé
plutôt que
cinéma engagé
Car l’œuvre de cinéma, de par les moyens techniques et financiers qu’elle met en jeu, est la plus directement liée
à l’infrastructure de la société et c’est d’autre part la moins improvisée et la moins individuelle des œuvres culturelles humaines ; c’est celle où l’inconscient trouve le moins place et où la volonté froide et méthodique d’agir
sur les esprits est la plus délibérée. Ce n’est donc pas un hasard si le cinéma français est depuis une dizaine d’années, par ce qu’il montre et surtout ce qu’il ne montre pas, l’un des plus idéologiques qui soient. Sombre période.
Avant mai 1968 c’était la pénombre, maintenant c’est la nuit. Certes, quelques lueurs encore, des restes de ce
qui fut le jour, mais pour combien de temps ? Heureux XVIIIe siècle, heureux XIXe siècle, dont les intellectuels
pouvaient rêver d’un XXe siècle meilleur. Nous sommes d’un siècle qui a battu quelques records d’horreur et de
lâcheté. Nous savons qu’Après moi le déluge est la devise d’un nombre croissant de responsables politiques, économiques, militaires. Nous savons que les forces de résistance sont grandes encore, même si on les décime ; mais
nous ne sommes plus sûrs qu’elles l’emporteront. On appela le XVIIIe siècle français siècle des lumières pour
quelques esprits énergiques et quelques années de pensée euphorique. Pour ces années que nous vivons — et
pour d’autres qui ont précédé —, le XXe siècle français tout entier mérite l’appellation inverse. Le cinéma — j’y
reviens —, le cinéma, art des ombres, témoigne à sa façon, capitale et mystifiante, de ce siècle des ombres.
.../...
L’AN 00
Comme murmurait à travers son bâillon, d’une voix rendue vive par l’émotion, l’hôtelier bègue ligoté, la tête en
bas, au-dessus de ses fourneaux, par des clients facétieux : « On n’est pas sortis de l’auberge ! » Donc, les Français, le regard tourné vers la ligne bleue de leur téléviseur (couleurs) et caressant interminablement en pensée le
petit frigidaire, la petite voiture et le petit jardin dont les féroces Marxistes Totalitaires ont failli les dépouiller,
vont connaître encore cinq belles et grandes années de prospérité dans le calme et d’ouverture dans la stabilisation (1). Attachez vos ceintures et attention aux courants d’air. L’intéressant est que c’est précisément à ce
moment exaltant de notre histoire nationale que les grands écrans se mettent à présenter des images de ramdam
et de chambardement : ramdam purement fantasmatique, comme on voit, et chambardement par procuration.
Il y aurait bien sûr une façon simple (et simpliste) de rendre compte du phénomène en parlant de machination
idéologique et en mettant Elle court, elle court la banlieue (Pirès), la Vie facile (Warin), Et crac (Douchet),
Themroc (Faraldo) ou l’An 01 (Gébé et DoiIIon) — puisque c’est d’eux qu’il sera question ici — sur le compte
d’un processus délibéré de compensation imaginaire. Mais on sait que le travail idéologique n’opère jamais de
façon aussi consciente et si des soupçons sont permis envers (et contre) un film commercial comme celui de
Pirès, il est difficile de percevoir du machiavélisme dans l’entreprise de Gébé et Doillon, qui ont tourné sans
avance sur recette du C.N.C. et grâce, comme on dit, à de multiples concours amicaux (certains prestigieux,
comme ceux d’Alain Resnais et de Jean Rouch, auteurs chacun d’une séquence). Il y aurait même une façon
contraire (tout aussi mythique assurément) d’interpréter la convergence thématique de ces films : signes visibles
d’un phénomène de «ras le bol» suscité par quinze ans de gaullo-pompidolisme, ils seraient l’expression d’une
libération aussi inéluctable et spontanée que la nouvelle vague tchèque des années soixante était l’expression du
rejet de quinze ans de stalinisme. En ce cas, il y aurait à lire ici l’amorce d’un renouveau — enfin ! — du cinéma
français correspondant à l’amorce d’un changement social et politique.
Peu importe après tout : spectacularisation mystifiante d’une impossible révolution ou trace à l’état pur d’une
révolte imminente, ces films, qui font système et constituent peut-être effectivement une sorte de nouvelle «nouvelle vague» dans un cinéma qui sentait assez sinistrement le cadavre et le patchouli, ont de toute façon la vertu
de faire un peu respirer, de faire assez joyeusement pouffer et même de faire penser.
Par exemple, je vais dire un peu de mal de l’An 01, pour me distinguer, mais je ne sache pas de film qui, en
1973, pose explicitement ou implicitement autant de questions, et de questions essentielles, que celui-ci. Sur ce
que suggère ou qu’escamote l’An 01, il y aurait de quoi dire pendant un an et j’imagine fort bien un professeur
de la classe de philosophie bâtissant tout son cours à partir de ce film. Les lecteurs de Charlie Hebdo connaissent depuis longtemps la qualité particulière de l’imagination du dessinateur Gébé, tout à la fois visionnaire et
logique, cocasse, de tournure essentiellement utopiste (mais présentant toujours, par la transformation discrète
et froidement délirante d’un détail réel, des utopies profondément insérées dans notre quotidien). Depuis 1968,
cet utopisme rigoureux a changé, semble-t-il, de signe : à la vision pessimiste (à peine déformante) d’un monde
d’ores et déjà inhumain, genre Modeste proposition ou 1984 (dont l’ubuesque Berck était la figure vengeresse
— figure tranquillement scandaleuse d’une impossible insertion sociale et d’un isolement quasi schizophrénique
mais ici c’est l’isolé, le schizophrène qui est le plus fort —), s’est ajoutée, comme l’avers radieux d’une fresque
très sombre, une rêverie anarchisante assez proche, dans sa naïveté assumée, des rêveries de la contre-culture
américaine, avec ce que celle-ci peut avoir parfois d’étrangement et d’involontairement conformiste.
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On connaît l’actuelle publicité de Coca-Cola au cinéma : un chœur de personnages très typés de la vie quotidienne
américaine (la sténo-dactylo, l’étudiant, la standardiste, le chanteur pop) filmés chacun sur son lieu de travafl (au
chanteur pop près, grimpé, Dieu sait pourquoi, sur un pic des Rocheuses), scandant tous, bouteille de Coke à la main
et sourire dents blanches au visage, un hymne boy-scout incroyablement nigaud. Il y a de cette euphorie simplette
dans certains passages de 01, film sans drame, sans violence, dont l’unanimisme miraculeux (autorisé «aux moins de
treize ans», c’est d’ailleurs un film «pour tous publics») permet d’évacuer toute question véritable sur le passage de la
société actuelle à cette société sans clefs (sans propriété), sans travail (ou presque) et sans crimes.
Dans ces images de ville libérée des cadences infernales, des bagnoles et de la pollution, où l’on se met à planter
des légumes sur les trottoirs, dans cette rebucolisation fantasmée, on aura reconnu le ennième avatar de l’exaltation
épicurienne de la vie simple et comme le négatif même de notre société du plaisir non-naturel et non-nécessaire. Estce une utopie? Oui et non. Le grand saut (le pas de côté) peut se faire aujourd’hui même, nous dit Gébé. Il suffit de
vouloir. Voilà l’utopie. Car — et c’est certes un scandale pour la raison — en politique, la phrase «il suffit de vouloir»
n’a guère de sens. L’histoire porte l’absurde en elle comme une écharde inôtable : qu’une somme de volontés individuelles (même innombrables, même immensément majoritaires) parvient rarement à faire une décision collective
efficace, le XXe siècle nous le rappelle cruellement — ce siècle des impuissances où le pacifisme, l’internationalisme,
les diverses Sociétés des Nations (tout ce qu’il y a de rationnel dans le politique) n’ont pas empêché une guerre, pas
arrêté un génocide. Ce que Gébé saute, c’est la terrible puissance de l’illusion, le poids de l’irréversible, le jeu des
inerties et des intérêts, tout ce qui, le moment venu, peut se changer en formidable violence contre-révolutionnaire.
Il n’y a pas de réaction (à tous les sens du mot) dans l’An 01, à l’exception canularesque de l’inoffensif complot du
Professeur Choron et de ses amis. Ce n’est pas un hasard si le seul flic du film est un brave bougre sympathique, le
seul général un brave général gâteux, le seul criminel un jeune homme qui joue au voleur : pour que l’an 01 ait lieu, il
faut (et il suffit) que tout le monde soit beau, tout le monde soit gentil... On voit que le statut de ce film est celui d’un
agréable objet hypothétique, dont la tare originelle — cet initial «supposons que le mal n’existe plus et que l’homme
soit raisonnable» — signale à la fois l’onirisme et l’impossibilité.
Impossibilité totale ? Non, puisqu’il y eut possibilité partielle : n’oublions ni les communes hippies, ni Paris en mai
68, ni surtout les neuf mois de grève générale qui marquèrent en Suède le passage au socialisme. Ce film ne part pas
de rien : comme l’imaginaire, il brode sur le réel. Seulement, d’un cas particulier, il saute au général, escamotant le
problème de la possibilité même de cette extrapolation.
Comme toute utopie, il est cependant précieux négativement : car en suggérant que tout pourrait être différent, il fait
ressortir la contingence, l’absurde et finalement le caractère intolérable d’une société «développée» comme la nôtre.
Sur un mode «mineur», il y avait déjà quelque chose de cette confrontation implicite dans la Vie facile, de Francis
Warin : simplement, au lieu de l’hypothèse hyperbolique d’une société transformée de part en part, ce film présente
la réalité limitée de la vie «différente» d’un petit groupe marginal (le Grand Magic Circus). Son caractère romanesque (le personnage du baroudeur, le rapprochement presque épinalesque de deux types de marginalité, les dialogues
parfois trop écrits) gâte cependant ce film qui fait un peu regretter la fraîcheur et la très touchante simplicité (tchékovienne ?) de la Bergère en colère, court-métrage du même Warin avec le même Circus.
Un autre court-métrage présenté en même temps que celui-ci (et le seul qui justifie un tant soit peu le titre général
du programme dans lequel il a été présenté : Réalisateurs en colère), l’excellent Et crac, de Jean Douchet (qui tire le
meilleur parti des talents d’acteur de Claude Chabrol et de la merveilleuse Bulle Ogier), témoigne de façon explicite
du phénomène d’écœurement (ici chez une jeune femme qui prend le maquis M.L.F.) qu’on voit apparaître avec insistance dans les films français les plus intéressants d’aujourd’hui.
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Elle court, elle court la banlieue, de Gérard Pirès, ou la première partie de Themroc, de Claude Faraldo, c’est
l’illustration de la célèbre devise de la France pompidolienne : métro (ou vélo, ou traino), boulot, dodo. Voilà le
point de départ Le point d’arrivée, diversement fantasmé, onirisé, provocant (et cependant toléré par la censure),
c’est toujours, dans un pays qui est devenu le plus spectaculairement policier d’Europe occidentale, la revanche de Guignol sur le gendarme — le Guignol pouvant être une guignole de la plus séduisante espèce, comme
dans le pourtant assez tiédasse film de Pirès, qu’on a connu plus virulent (2). Dans le genre, c’est évidemment
Faraldo, l’auteur du merveilleux Bof, qui va le plus loin, hyperboliquement lui aussi — non dans le sens d’une
progression globale, mais d’une régression individuelle peu à peu contagieuse —, en construisant toute une
fiction autour de la prise au pied de la lettre de l’expression «bouffer du flic». Le retour à l’état sauvage d’un
ouvrier célibataire (Michel Piccoli) qui abandonne avec une rapidité d’année lumière tabous sexuels, habitudes
alimentaires, docilités de toutes sortes et jusqu’au langage articulé, devient la métaphore d’un rejet violent de la
vie imposée à la classe ouvrière par le capitalisme et l’urbanisme UDR.
Tandis que l’An 01 proposait un autre modèle de société en faisant l’économie de la violence qui pourrait y
conduire, Themroc est un film de la pure violence, sans autre modèle de remplacement que la provocante image
de la vie à Cro-Magnon. En ce sens, ces deux films se complètent et forment la trace unique d’un urgent désir de
révolution. Pur désir, car l’an moins 100 000 ou l’an 01 ne semblent guère en vue. Pour l’heure - et c’est aussi ce
que nous disent tristement ces films -, c’est plus que jamais métro, boulot, dodo. C’est l’an zéro zéro.
Le Cinéma autrement de Dominique Noguez, Éditions du Cerf 1987, p 198, 201-202
1. Ce texte à été écrit au lendemain des élections législatives française de 1973, qui donnèrent une nouvelle fois
la majorité à l’UDR et à ses alliés.
2. Trois sketches de Gérard Pirès dans Panthéon : La Fête des Mères, Art de la turlutte, S.W.B.

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