Parachet Brchit - Consistoire de Paris

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Parachet Brchit - Consistoire de Paris
 La paracha de la semaine est la section hebdomadaire de la Torah, lue rituellement chaque Chabbat, dans toutes les synagogues à travers le monde à la mémoire du regretté Grand Rabbin de Paris David Messas (zatsal) PARACHAT VAYETSE
Rav Claude Lemmel *
« C’est avec beaucoup d’émotion que je prends la parole aujourd’hui, car les profonds liens d’amitié qui me
liaient à Rabbi David datent de 1952, date à laquelle j’eus le plaisir de le connaître, sans savoir que ce
plaisir s’amplifierait à chaque occasion.
La paracha Vayétsé pourrait bien résumer la manifestation du souvenir de quelques unes des qualités de
Rabbi David :
Vayétsé Ya’acov mibéer chava vayélekh Harana
.‫ ָח ָרנָה‬,‫ ִמ ְבּאֵר ָשׁבַע; וַיֵֶּל ְך‬,‫וַיֵּצֵא יַעֲקֹב‬
« Ya’acov sortit de Béer Chéva, il alla à Haran ». (Genèse 28, 10)
Ce premier verset de Vayétsé traduit exactement les sentiments que nous ressentions en voyant Rabbi David
lorsqu’il quitta ses parents, le Maroc, le soleil, cette chaleur humaine, cette chaleur religieuse tout à fait
extraordinaire, pour Aix-les- Bains, au beau milieu du mois de novembre, dans un endroit tout à fait froid. Il
nous a d’ailleurs tout se suite montrer sa frilosité et il a fallut se dépêcher de l’amener dans sa chambre.
A l’image de Ya’acov qui quitta la chaleur du foyer de ses parents, Rabbi David quitta le giron familial et
tout ce qu’il y avait de magnifique dans le judaïsme marocain.
Il l’a fait à l’initiative de son regretté père, Hagaon Rabbi Chalom Messas Zékher Tsadik Livrakha. Il lui avait
parfaitement bien fait comprendre, il lui avait insufflé que dans la vie, il faut toujours accomplir la
maxime de nos pères, hévé golé lémakom Torah. Il faut accepter une situation inconfortable, de galout,
d’exil, pour étudier la Torah dans un makom Torah, en un lieu où se trouve la Torah.
C’est d’ailleurs ce que fit Ya’acov, puisque lorsqu’il quitta la maison de ses parents, il alla d’abord étudier
pendant quatorze années dans l’académie de Chem et de ’Ever, les grands sages de son temps.
Il est un autre épisode dans cette paracha qui évoque ce qu’a été la vie de Rabbi David.
Plus tard, Yaacov, aperçut la pierre obstruant le puits, le béer maïm haïm, le puits d’eaux vives. Ce n’est
qu’après avoir vu Rahel, c'est-à-dire de façon plus large, après avoir aperçu celle qui deviendra son épouse,
la échet haïl, avec laquelle il allait partager toute son existence, qu’il trouva la force de soulever la pierre.
De même, Rabbi David s’est trouvé encouragé et soutenu par son épouse, échet haïl qui lui permit de
trouver la force de soulever la pierre qui obturait le « puits » et empêchait la diffusion des maïm haïm, des
eaux de vie de la Torah.
Rabbi David est arrivé en France avec un cœur tendre, un lev bassar, un cœur souple, un cœur fait de
sourire, d’amabilité et de convivialité. C’est grâce à cela qu’il a put briser le lev haévene, le cœur de
pierre de la communauté. C’est ce qui a permis à tous ceux qui l’approchaient de reconnaître à travers lui,
non seulement un personnage important, intelligent, affable, mais aussi de reconnaître le véritable sourire
de la Torah.
Avec son sourire, à l’instar de Ya’acov, il s’est opposé à toutes les difficultés, à toutes les turpitudes et à
toutes les trahisons inhérentes à la vie communautaire.
Par ailleurs, lorsque Rabbi David arriva en quelque sorte, au bout de sa route, il put dire, comme le dira
Ya’acov, dans la paracha de la semaine prochaine, ‘im lavan garti, « avec Lavane j’ai résidé » qui selon le
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Midrach, constitue une déclaration allusive faite par Ya’acov disant vétariag mitsvot chamarti, « et j’ai pu
observer les six cent treize commandements ».
Le midrach base cette assertion sur le fait que le mot garti est composé des mêmes lettres que le mot
tariag dont la valeur numérique est six cent treize.
De même, malgré toutes les difficultés et les épreuves qui ont été les siennes, Rabbi David a pu, au soir de
sa vie, avoir le sentiment du travail réalisé avec chlémout, avec intégrité.
Enfin, à l’image de Ya’acov qui retourna vers la terre promise, et fut accueilli par des anges, Rabbi David a
quitté ce monde et a été accueilli par les anges qui l’ont conduit dans le Gan Eden.
Chétéhi nichmato tseroura bitseror hahaïm ‘im nichmot hatsadikim chébégan éden. « Que sa néchama, son
âme soit liée avec les néchamot, les âmes, des tsadikim, des justes, reposant au Gan Eden, au jardin
d’Eden. »
Lorsque Ya’acov rêva de la fameuse échelle, en hébreu le soulam, il employa l’expression connue et très
intéressante :
Ma nora hamakom hazé , eine ze qui im beth elokim, vézé chaar hachamaïm
‫ַשּׁ ָמיִם‬
ָ ‫ ַשׁעַר ה‬,‫ וְזֶה‬,‫בֵּית אֱלֹהִים‬-‫ כִּי אִם‬,‫ אֵין זֶה‬:‫ ַהמָּקוֹם ַהזֶּה‬,‫נּוֹרָא‬-‫ מַה‬,‫ וַיֹּאמַר‬,‫וַיִּירָא‬
Et, saisi de crainte, il ajouta: "Que ce lieu est redoutable! (nora)
Ceci n'est autre que la maison du Seigneur et c'est ici la porte du ciel.(Genèse 28, 16)
« Combien est redoutable, extraordinaire, et merveilleux cet endroit ! ».
Ya’acov connut en cet endroit précis, la crainte révérencielle du Créateur.
Mais, en quoi cet endroit était-il nora redoutable, extraordinaire ? Qu’y avait-il en cet endroit de si
extraordinaire qui dépassait l’entendement humain ? Car lorsque l’entendement humain est pris à défaut,
l’homme ressent un immense sentiment de crainte et de révérence.
‫ עֹלִים וְיֹ ְרדִים בּוֹ‬,‫ַשּׁ ָמיְמָה; וְ ִהנֵּה ַמ ְל ֲאכֵי אֱלֹהִים‬
ָ ‫ ַמגִּי ַע ה‬,‫ וְרֹאשׁוֹ‬,‫ וְ ִהנֵּה ֻסלָּם ֻמצָּב אַ ְרצָה‬,‫וַיַּחֲלֹם‬
Il eut un songe que voici: Une échelle était dressée sur la terre, son sommet atteignait le ciel et des
messagers divins montaient et descendaient le long de cette échelle.
(Genèse 28-12)
A travers le rêve de l’échelle posée à terre et dont le sommet atteignait le ciel Véhiné soulam moutsav
artsa, verocho maguia hachamaïma, Ya’acov prit conscience de l’existence du lien possible et
inimaginable au départ entre le transcendant - quelque chose qui fait partie de l’inconnaissable, et que
nous n’avons aucune possibilité de saisir - et l’humain, c'est-à-dire le monde de la terre dans lequel nous
évoluons.
Tous les concepts relatifs à la question de la transcendance et de l’immanence lui furent révélés en cet
instant, ce qui expliqua qu’il fut saisi de cette crainte révérencielle qui s’appelle nora, redoutable.
Cette même crainte se retrouva au moment du don de la Torah au clal israël, à l’assemblée d’Israël.
La Torah enseigne qu’en ce moment D.ieu déscendit, vayéréd Hachem, et donna au peuple d’Israël la
Torah perçue comme totalement transcendante et qui ne pouvait donc pas a priori être reçue et comprise
par les hommes.
Le Talmud, dans le traité Chabbat, rapporte que les anges s’étonnèrent et demandèrent à D.ieu :
« Comment est-il possible de donner la Tora à un homme, Yiloud ichah, à un être né d’une femme, une
créature terrestre, alors que la Torah précède l’univers et constitue l’émanation de or panim chel hakadoch
baroukha hou, la lumière de la face de D.ieu ? ». La Torah est complètement transcendante. C’est en
contemplant la Torah que D.ieu a créé l’univers : istakel beoraïata oubara alma.
Donc la Torah est au-delà de tout.
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Réchite darko kedem mifalav meaz
‫ ֶקדֶם ִמ ְפ ָעלָיו מֵאָז‬:‫ֵאשׁית ַדּרְכּוֹ‬
ִ ‫ ר‬,‫ ָקנָנִי‬--‫יְהוָה‬
L'Eternel me créa au début de son action, antérieurement à ses œuvres, dès l'origine des choses (Proverbes
8, 22)
Ainsi, au moment du don de la Torah, l’assemblée d’Israël comprit que la volonté de D.ieu était que la
connaissance divine, l’intelligence divine, alors inaccessible, soit désormais à la portée de tous.
Hamachpili lirote bachaïm oubaarets
‫ַשּׁ ַמיִם וּבָאָרֶץ‬
ָ ‫ בּ‬--‫ַשׁפִּילִי ִלרְאוֹת‬
ְ ‫ַהמּ‬
Qui abaisse ses regards sur le ciel et sur la terre. (Psaumes 113,6)
A ce propos, le Zohar explique que le « soulam », l’échelle, « da Sinaï », c’est le Sinaï. Les deux mots
soulam, échelle, et Sinaï ont les mêmes valeurs numériques.
A l’endroit où Ya’acov vit les anges monter et descendre, il découvrit le concept de la téfila, de la prière,
le concept de itarouta deletata, le fait que d’en bas, un éveil est possible, un appel vers l’en haut est
possible.
D.ieu peut répondre de là haut, même si on L’invoque ici bas, sur terre.
En conséquence, en priant, on se retrouve quelque part au Sinaï.
Remarquons que dès avant la sortie d’Egypte, D.ieu indiqua à Moché qu’il devait annoncer au peuple
qu’immédiatement après la délivrance il devrait LE servir sur « cette montagne »
Taavdoun et haélokim al hahar hazeh.
‫ עַל ָההָר ַהזֶּה‬,‫ ָהאֱלֹהִים‬-‫ ַתּ ַעבְדוּן אֶת‬,‫ ִמ ִמּ ְצ ַריִם‬,‫ ָהעָם‬-‫בְּהוֹצִי ֲא ָך אֶת‬
Quand tu auras fait sortir ce peuple de l'Égypte, vous adorerez le Seigneur sur cette montagne même.
(Exode 3, 12)
Avant même de recevoir la Torah, le Sinaï fut désigné comme un endroit de service et de prière.
Ce lieu désigne donc à la fois un lieu de prière et le lieu du don de la Torah. C’est en devenant serviteur de
D.ieu que le don de la Torah est possible.
La téfila, la prière, est un préliminaire à la réception de la Torah.
Dans le rêve de l’échelle, Ya’acov perçut parfaitement le lien indéfectible qui relie la téfila, la prière avec
la Torah, avec l’étude de la Torah.
Comment Ya’acov a-t-il pu percevoir cela ?
Cette vision n’a été possible que parce qu’au cours des quatorze années qui l’ont précédée, Ya’acov fournit
des efforts constants et intenses pour l’étude de la Torah, dans un dévouement total et absolu pour nous
expliquer comment la Torah peut être acquise.
Ya’acov établit ici les conditions nécessaires afin d’acquérir la Tora. Il a montré que l’on étudie la Torah
par un effort constant sans rechercher des solutions de facilité, en lisant quelques textes très rapidement
sur Internet, ou en ayant la Torah « dans sa poche » !
Après le don de la Torah, le Ramban (Nahmanide) précise au début de son commentaire sur la paracha
Bémidbar, que les Bné Israël, les enfants d’Israël, emportèrent le Sinaï avec eux, lors de leurs
pérégrinations dans le désert. Le Sinaï était représenté par le michkan et plus précisément par le arone,
l’arche sainte, objet central du michkan.
En effet, les commentateurs remarquent que les mêmes lettres se retrouvent dans les mots aron, arche et
nora, redoutable.
Cette manifestation extraordinaire de la crainte révérencielle lors du don de la Tora, avait pour objet, de la
part de D.ieu, de permettre aux enfants d’Israël d’atteindre la notion de yr’a, de craite qui est la notion de
nora, redoutable, qui est la notion de kabalat hatorah l’acquisition de la Torah symbolisée par le arone, par
l’arche sainte.
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On retrouve cette notion de nora, redoutable dans la téfila, dans la prière. Suite à la destruction du
temple, le prophète Jérémie souhaita ôter la louange de nora, redoutable, des qualités de D.ieu récitées
dans la prière. Car disait-on en ce temps, maintenant que la révélation de l’en haut vers l’en bas a cessé du
fait de la destruction du Temple, comment peut-on encore dire nora !
Mais, plus tard, les hommes de la Grande Assemblée, les anché kénesset haguédolah réintroduisirent à
nouveau le terme de nora.
Ils expliquèrent que l’existence des Bné Israël, du peuple d’Israël, malgré la volonté constante des nations
de le détruire physiquement mais aussi spirituellement, en voulant détruire la Torah qui est son principal
soutien, prouvait bien que D.ieu était nora, redoutable.
La présence de D.ieu est donc visible dans notre quotidien par le biais de la Tora intimement liée à la téfila.
Comme dit un verset de Michlé :
Messir ozno michémoa Torah gam téfilato toéva
‫ תּוֹ ֵעבָה‬,‫ גַּם ְתּ ִפלָּתוֹ‬--‫ִשּׁמֹ ַע תּוֹרָה‬
ְ ‫ מ‬,‫ֵמסִיר אָזְנוֹ‬
« Celui qui éloigne ses oreilles des paroles de Torah – qui ne souhaite même pas les entendre - même sa
téfila, sa prière est prise en horreur par D.ieu. » (Proverbes 28,9)
Cette vision de l’échelle, sur laquelle les anges montaient, indiquant qu’ils élevaient notre prière à
l’Eternel et sur laquelle les anges descendaient indiquant ainsi que D.ieu nous répond, montre que nous
avons besoin pour cela de deux éléments : la Torah et la téfila.
« Soulam zé Sinaï », l’échelle c’est le Sinaï.
La Torah et la téfila sont donc deux notions totalement indissociables.
Que ces paroles de Torah soient pour le zékhout, le mérite, de Rabbi David, mon inoubliable ami, avec qui
j’ai beaucoup partagé. En espérant que l’on puisse arriver rapidement par le zékhoute HaTorah, le mérite
de la Torah, et son zékhoute, son mérite, Torah et une avoda chéléma !
RABBIN CLAUDE LEMMEL
Le Rav Claude Lemmel est attaché à la communauté Adath Yereim. Ancien chef d’établissement scolaire, il est aujourd’hui
enseignant et conseiller pédagogique familiale. Elève de l’Ecole d’Orsay et de la Yéchiva d’Aix les Bains, il fait partie de l’équipe
des jeunes Talmidé Hakhamim qui au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont permis la renaissance de la communauté juive
de France.
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