mariages précoces et forcés au cameroun

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mariages précoces et forcés au cameroun
MARIAGES PRÉCOCES ET
FORCÉS AU CAMEROUN:
RÉSULTATS DES RECHERCHES
INTRODUCTION
Les mariages précoces et forcés sont très répandus au Cameroun, surtout dans la
région septentrionale du pays. Une violence contre les femmes et les filles, cette
pratique s’avère particulièrement dangereuse et néfaste pour la situation socioéconomique, la santé sexuelle et procréative, ainsi que le bienêtre psychologique
des filles et des femmes.
L’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes – Extrême-Nord
(ALVF-EN) est une association féministe dont l’objectif est d’éradiquer toutes les
formes de violence faites aux femmes et aux filles dans le nord du Cameroun.
Ce document est basé
sur les recherches
menées par l’Institut
Supérieur du Sahel
à l’Université de
Maroua (Cameroun),
en partenariat avec
ALVF-EN, et financé
par l’IWHC.
ALVF-EN a parrainé une vaste étude afin de mieux comprendre la pratique des
mariages précoces et forcés au Cameroun et apporter une aide dans le cadre
des efforts de prévention et de plaidoyer de la société civile. Cette étude permet
à l’association d’également mieux assister le gouvernement Camerounais dans le
développement et la mise en œuvre de politiques efficaces promouvant les droits et
l’autonomisation des femmes.
L’OBJECTIF ET MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE
Pour déterminer l’ampleur et la portée du mariage précoce et forcé au Cameroun,
l’Institut Supérieur du Sahel, en partenariat avec ALVF-EN, a mené une enquête
pour recueillir les points de vue d’individus et de ménages sur les causes et
conséquences du mariage précoce et forcé. Ils ont également examiné le contexte
politique et légal dans lequel surviennent ces mariages ainsi que le profile des
filles et des femmes qui y sont le plus exposées. La collecte des données dans
les dix régions du Cameroun, tant rurales qu’urbaines, a été conduite par le biais
d’entretiens, de discussions de groupe, et de sondages.
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“LES FEMMES M’APPARTIENNENT ET JE FAIS CE QUE JE VEUX.”
PARTICIPANT
LE POINT SUR LES RÉSULTATS
Perceptions des individus et des ménages
•
Plus de la moitié des personnes interrogées (61%) déclare savoir ce qu’est le mariage précoce et forcé
et qu’il est interdit par la loi. Toutefois, les données qualitatives indiquent que les répondants en savent
plus sur les normes traditionnelles et religieuses qui légitiment la pratique que sur les législations qui s’y
réfèrent.
•
Quatre-vingt-neuf pourcent des personnes interrogées ont indiqué que les femmes ne doivent pas avoir
leurs premières règles sous le toit de leurs parents mais plutôt chez leur époux.
•
Quinze pourcent de ceux interrogés pensent que le mariage précoce et forcé protège les jeunes filles..
Les normes traditionnelles et religieuses encouragent et renforcent le mariage précoce et forcé
•
Bien que les gens disent que la pauvreté est un facteur déterminant du mariage précoce et forcé dans
l’Extrême Nord du Cameroun (32% des interrogés), les normes traditionnelles étaient mentionnées
comme étant la cause principale (41% des interrogés).
•
Dans certaines communautés, le mariage est considéré comme un accomplissement pour une fille.
Une fille qui n’est pas mariée est mal vue: elle est souvent perçue comme stérile, ou comme étant une
prostituée, voire une sorcière.
•
Dans de nombreuses communautés d’Adamaoua, dans le Nord et l’Extrême-Nord du Cameroun, le
mariage est un acte qui honore la famille dans son ensemble. Au sein des familles musulmanes, le
mariage de la fille est souvent organisé par les parents qui achètent des cadeaux et du matériel pour
le nouveau foyer de la mariée. Le jour du mariage, en particulier lors d’un mariage peul, la famille doit
apporter la preuve de la virginité de la fille. Si tel est le cas, la belle-famille offre davantage de cadeaux.
Le contexte légal
•
Cameroun a ratifié plusieurs accords internationaux relatifs aux droits de l’homme, mais ces lois ne sont
pas toujours appliquées. Souvent les accords internationaux sont en contradiction avec les textes de loi
nationaux.
•
Bien qu’en 1989 le Cameroun a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant qui fixe l’âge minimal
du mariage à 18 ans pour les filles et les garçons, la loi Camerounaise stipule qu’une fille âgée d’à peine
15 ans peut se marier avec le consentement parental. L’âge minimal du mariage pour les garçons au
Cameroun est de 18 ans.
•
Il y a un manque de volonté politique de changement législatif et judiciaire.
•
Les procédures pénales en cas de mariage précoce et forcé sont souvent entravées par les représentants
du gouvernement et les forces de l’ordre. Dans l’ensemble, la police ignore le problème, les tribunaux
abandonnent les poursuites judiciaires, et les juges acceptent les pots-de-vin de la part des hommes qui
cherchent à épouser des filles mineures.
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“IT EST DIFFICILE D’OBTENIR UN DIPLÔME PARCE QUE CES PRATIQUES
SONT ENRACINÉES DANS NOS COUTUMES.”
JEUNE PARTICIPANTE À L’UNE DES DISCUSSIONS DE GROUPE
Les plus à risque
•
La majorité des cas de mariage précoce et forcé (60%) signalés dans cette étude implique des filles
âgées de 13 à 15 ans.
•
Selon les interrogés, les filles de milieux défavorisés et/ou des filles qui ne sont pas scolarisées sont
les plus touchées par cette pratique. Il y a un manque de volonté politique de changement législatif et
judiciaire.
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Conséquences du mariage précoce et forcé
Les mariages précoces et forcés ont des conséquences majeures pour la société camerounaise. Les
femmes interrogées lors des entretiens ont insisté, dans le cadre de témoignages confidentiels, sur
la manière dont le mariage précoce et forcé a conduit à l’arrêt précoce de leur éducation et à une
rupture dans leur développement personnel. Bon nombre des personnes interrogées ont convenu que
le mariage précoce et forcé laisse les filles sans défense, anxieuses et avec une faible confiance et
autonomie personnelle. Elles ont mis en évidence leur incapacité à avancer dans leur vie quotidienne et
leur manque d’implication dans la vie socioculturelle communautaire. Les filles mariées sont exposées
à un risque accru d’insultes, de blessures et de viol. De nombreuses jeunes filles qui étaient mères ont
indiqué avoir été confrontées à de graves complications durant l’accouchement et avoir eu des enfants
nés avec des anomalies congénitales notamment des lésions cérébrales. Certaines jeunes femmes
ont affirmé qu’elles avaient peur des relations sexuelles et sont à présent séropositives ou atteintes
d’IST en raison du mariage précoce et forcé. Les traumatismes psychologiques ont même entraîné des
tentatives de suicide.
Dénonciation du mariage précoce et forcé
La dénonciation du mariage précoce et forcé au Cameroun reste limitée. Dans certaines régions,
des brigades communautaires de dénonciation lancées par l’ALVF-EN sont actives et conscientisent
les communautés sur les droits des filles et les conséquences néfastes du mariage précoce et
forcé. Cependant, le silence des victimes ne facilite pas la révélation des cas. Bien que l’implication
communautaire soit à la traine, à l’heure actuelle, l’ALVF-EN continue de développer et de soutenir un
vaste réseau de Brigades et de Centres Vie de Femmes dans l’Extrême-Nord (centres polyvalents
pour aider les femmes qui ont vécu ou sont à risque de violences domestiques). Selon l’ALVF-EN, ces
initiatives sont un outil efficace pour empêcher et faire un suivi du mariage précoce et forcé, ainsi que
pour apporter un soutien aux victimes.
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Les stratégies pour prévenir et lutter contre le mariage précoce et forcé
1. Amélioration du cadre législatif Les données provenant des entretiens révèlent qu’il n’y a pas de culture de dénonciation. Jusqu’à ce
que l’autonomisation et les droits de la femme sont intégrés dans les cadres juridiques nationaux,
il sera difficile de réaliser des changements. Depuis 1997, les militantes défendant les droits des
femmes, notamment l’ALVF-EN, plaident pour la reforme du Code de la Personne et de la Famille
(Code la Famille) qui abrogerait un certain nombre de dispositions qui sont discriminatoires à l’égard
des femmes notamment l’exception relative au consentement parental, et relèveraient l’âge légal à
18 ans pour les filles. Malheureusement, le débat sur cette réforme continue de subir des blocages
au Parlement. Le ministre de la Justice estime que le Code pénal actuel prévoit des dispositions
suffisamment claires sur ces questions. La rédaction formelle et l’adoption de lois contre la violence
sexuelle et sexiste qui figure aussi au centre du plaidoyer de l’ALVF-EN a été également retardée. Des
campagnes et des mobilisations soutenues pour changer la position de la législature camerounaise en
faveur d’un nouveau cadre juridique sont nécessaires pour traiter et bannir cette pratique.
2. Soutien en faveur de l’éducation des jeunes filles
Le gouvernement doit améliorer l’équité éducative en offrant des bourses académiques et l’accès
gratuit à l’éducation primaire et secondaire pour que les filles puissent s’inscrire à l’école et poursuivre
leurs études. L’État doit prendre d’autres mesures fortes pour motiver l’investissement des parents
dans l’éducation de leurs filles. Les programmes doivent développer la connaissance des législations
actuelles sur le mariage de même que sur les dangers et les risques du mariage précoce et forcé.
L’éducation globale à la sexualité notamment, l’égalité de genre, les rapports de pouvoir, les droits et la
santé sexuels et reproductifs sont des composantes essentielles. Pour prévenir le mariage précoce et
forcé, le système scolaire camerounais doit réviser les programmes pour y intégrer l’éducation globale
à la sexualité, développer la formation et le soutien des enseignants et organiser des débats éducatifs
sur ces questions dans les écoles et au sein des communautés.
3. La mise en œuvre d’un service de suivi national du mariage précoce et forcé
Un service de suivi national spécialisé dans les droits des enfants et des filles pour surveiller le
phénomène serait essentiel pour développer une compréhension accrue de la pratique et de
l’efficacité des initiatives de prévention. L’objectif serait de collecter des informations fiables sur
le mariage précoce et forcé et les diffuser auprès de ceux qui travaillent sur le terrain tels que les
leaders communautaires, les enseignants et d’autres parties prenantes clés notamment les médias.
4. Développement d’une plateforme d’organisations luttant contre la pratique du mariage
précoce et forcé
Très peu d’organismes d’État et non-étatiques sont actuellement impliqués dans des initiatives
visant à éradiquer le mariage précoce et forcé. L’engagement insuffisant du gouvernement pour
le développement de compétences au sein de son effectif afin d’empêcher la pratique représente
une entrave au progrès. Le manque de synergie entre les rares organisations de la société civile
soucieuses de cette question ne facilite pas la définition de stratégies. Pour s’attaquer à cette pratique
de manière efficace, il faut mettre en commun des compétences et savoir-faire, créer un réseau de
parties prenantes et inciter l’État à réagir.
Mise en place d’une campagne nationale de sensibilisation sur le mariage précoce et forcé
Une campagne nationale comprenant des programmes radio et télévisés et des annonces
publicitaires, de même que des actions de sensibilisation dans les communautés, doivent être
organisées pour favoriser une prise de conscience des communautés. Cette étude démontre
clairement que le mariage précoce et forcé est une pratique destructrice et répandue à cause d’un
manque d’ information et de sensibilisation.
L’Association de Lutte Contre les Violences Faites aux Femmes Antenne de l’Extrême Nord (ALVF-EN) apporte du
soutien et renforce l’autonomie des filles et des jeunes femmes survivantes de mariages précoces et forcés, de
violences sexistes, et de déplacements forcés dans l’extrême nord du Cameroun.
B.P. 264, Maroua, Cameroon
T + 237.2229.1367