Qu`attendre de la réforme du contrôle des exportations américain ?

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Qu`attendre de la réforme du contrôle des exportations américain ?
Qu’attendre de la réforme du contrôle des exportations américain ?
Olivier-Pierre JACQUOTTE
--Olivier-Pierre Jacquotte (X77, PhD, IGA e.r., linkd.in/opjacquotte ) a passé 25 ans à la DGA dans des postes liées à la R&T de
défense et à l’international. Il a en particulier été conseiller de l’ambassadeur de France à Washington pour les dossiers liés à
l’industrie de défense et au contrôle des exportations. Il a fondé la société de conseil Global Reach, spécialisée dans le
développement commercial entre France et Etats-Unis et le contrôle des exportations américain. Il anime un blog consacré à la
réforme du contrôle des exportations ( globalreachsas.blogspot.com ).
--Depuis sa mise en place dans les années 70 dans un contexte de Guerre Froide, le contrôle exercé par le
gouvernement1 américain sur les exportations, de matériels de défense en particulier, a toujours été une pomme de
discorde dans la relation transatlantique ; depuis le 11 Septembre, la situation donnait même l’impression de s’être
durcie. Annoncée par le Président Obama en janvier 2010 dans le cadre de la National Export Initiative, reprise par le
Secrétaire à la Défense Gates trois mois plus tard, la réforme du système de contrôle a été lancée avec pour double
objectif d’améliorer la compétitivité et de renforcer la sécurité des Etats-Unis, et ainsi de pallier les défauts d’un
système jugé peu efficace et redondant qui, cherchant à protéger trop, diminuait la capacité du pays à focaliser les
ressources appelées à diminuer sur les priorités les plus critiques en matière de sécurité.
Conduite par la Maison Blanche, soutenue par de nombreuses branches du gouvernement, cette réforme est depuis
plus de 20 ans la tentative la plus approfondie de rénovation d’un système modifié à la marge depuis des années : elle
pourrait donc conduire aux changements les plus profonds. Un peu plus de deux ans après ces annonces, de
nombreuses actions sont entreprises par le gouvernement américain et il est donc intéressant de se demander où en est
la réforme, et ce que nous, acteurs étatiques ou industriels, pouvons en attendre.
Quelle réforme ?
Le système américain de contrôle repose principalement2 sur deux piliers régulateurs (Tableau 1) selon la nature des
articles (terme recouvrant tout type de marchandise ainsi que les technologies, logiciels, données techniques, services,
formations...).
Articles
Loi
Dispositions
Réglementaires
Liste
Régulateur
Commerciaux
ou à usage « dual »
Export Administration Act
1979
Export Administration Regulations
(EAR)
Commerce Controlled List
(CCL)
Department of Commerce (DoC)
Bureau of Industry and Security
Militaires
+ certains commerciaux (ex. : satellites)
Arms Export Control Act
1976
International Traffic in Arms Regulations
(ITAR)
US Munitions List
(USML)
Department of State (DoS)
Directorate of Defense Trade Control
Tableau 1 : les deux piliers du contrôle des exportations américain
1
On utilisera ici pour “administration” et “gouvernement” les significations américaines, inverses par rapport à celles nationales
D’autres acteurs participent pour certains types de contrôles, par exemple le Trésor pour le respect des embargos ou le
Département de l’Energie pour ce qui concerne le nucléaire
2
1
La réforme entend résoudre les défauts du système en s’attaquant à sa bicéphalie, et en premier lieu à son point
d’entrée, les listes CCL et USML, qui déterminent la nature des articles à exporter et le régime qui en régulera les
transferts. La CCL, qualifiée de ‘positive’, est une liste exhaustive de près de 500 pages qui utilise des spécifications
détaillées de performances3 ; par opposition, l’USML, à considérer en priorité vis à vis de la CCL lors de la
détermination de la juridiction, est une liste générale4 d’articles inclus selon des critères de conception et d’utilisation,
incluant les systèmes entiers jusqu’au moindre boulon ou composant électronique ; elle laisse une large place à
l’ambiguïté et à l’interprétation subjective du régulateur. La détermination de la liste à considérer peut être difficile et
source de doute. Ces listes sont par ailleurs accompagnées de nombreux niveaux de contrôle liés aux pays destinataires
des articles.
Globalement, le système est surchargé par ces deux listes exhaustives d’articles à contrôler : 95% des demandes de
licences sont faciles à traiter et accordées car issues de pays européens ou de l’OTAN. La réforme se propose donc de
se concentrer sur les 5% difficiles représentant les cas – articles et/ou destinations – sensibles afin d’éviter un
gaspillage important en ressources et pouvoir travailler en priorité sur les transferts de technologies ayant un réel
impact pour la sécurité nationale. Pour cela, il est envisagé d’identifier une liste unique hiérarchisée (tiered) en
fonction de la sensibilité des articles qui permettrait de protéger les « joyaux de la couronne » et sur laquelle
s’appuiera le système de contrôle.
Le deuxième aspect sur lequel la réforme s’attaque est « l’amalgame byzantin d’autorités, de rôles et de missions
éparpillés au sein du gouvernement, appareil bureaucratique qui a poussé sur le dos du contrôle des exportations,
diffus et confus, induisant erreurs et conflits internes et qui favorise les lacunes dans le dispositif dont profite certains
intérêts contraires à la sécurité du pays» (Robert Gates, Avril 2010). L’objectif de la réforme est ici la mise en place
d’une entité de licence unique en charge de la juridiction des biens tout autant militaires que duaux civilo-militaires,
ainsi que celle d’une entité de contrôle unique (enforcement).
Enfin, DoC et DoS disposent de bases de données différentes, de systèmes propres d’information et de traitement des
demandes de licences (essentiellement SNAP-R au BIS, D-TRADE à DDTC), également tout autant incompatibles et
peu interopérables avec le système AES (Automated Export System) utilisé par les douanes : il est proposé de mettre
en place un système d’information unique permettant de consolider les informations, en particulier eu égard aux
utilisateurs impliqués dans les activités contraires à la sécurité du pays.
Où en est la réforme ?
Les objectifs relatifs aux quatre singularities envisagées sont extrêmement ambitieux à plusieurs titres, celui relatif à la
liste unique principalement. Celles-ci ont des structures totalement différentes (Tableau 2), technologies pour la CCL,
applications pour l’USML, et nécessitent un travail d’alignement complet avant toute fusion éventuelle.
3
par exemple : MMIC power amplifier rated for operations at frequencies exceeding 31.8GHz up to and including 37.5GHz and
with an average output greater than 0.1nW (CCL/ECCN 3A001-b.2.d)
4
par exemple : Spacecraft, including communications satellites, remote sensing satellites, scientific satellites, research satellites,
navigation satellites, experimental and multi-missions satellites (USML/Cat.XV-a)
2
CCL : 10 catégories et 5 sous-catégories
USML : 21 catégories
0 Nuclear and Miscellaneous
1 Materials, Chemicals, Microorganisms and Toxins
2 Materials Processing
3 Electronics
4 Computers
5 Part 1 Telecommunications
5 Part 2 Information Security
6 Sensors and Lasers
7 Navigation and Avionics
8 Marine
9 Propulsion Systems, Space Vehicles and Related Equipment
I. Firearms
II. Artillery projectors
III. Ammunition
IV. Launch vehicles, missiles, bombs
V. Explosives, propellants
VI. Vessels of war
VII. Tanks/military vehicles
VIII Aircraft
IX. Training equipment
X. Protective equipment
XI. Electronics
XII. Fire control/guidance
XIII. Auxiliary equipment
XIV. Toxological/radiological
XV. Spacecraft
XVI. Nuclear
XVII. Classified
XVIII. Directed Energy
XIX. Gas Turbine Engines
XX. Submersibles
XXI. Miscellaneous
A Equipment, Assemblies, and Components
B Production and Test Equipment
C Materials
D Software
E Technology
Tableau 2 : structure des listes CCL et USML
L’objectif de liste unique hiérarchisée a été provisoirement abandonné et il a été décidé fin 2011 de procéder à une
étape intermédiaire où les listes seraient amendées selon deux principes afin de préparer une fusion ultérieure des
listes, aujourd’hui qualifiée d’éventuelle :
-
clarification des frontières (bright line) entre listes pour réduire les incertitudes tant du côté de l’industrie que du
gouvernement et faciliter l’accord des licences,
-
liste militaire qualifiée de more positive où les articles inclus sont précisément décrits en lieu et place des
descriptions génériques actuelles, incluant automatiquement tous les sous-systèmes, composants et accessoires.
Dans cet esprit, le gouvernement américain travaille sur une simplification de l’USML par transfert des articles vers la
CCL et création de nouvelles sous-catégories (F et G) ou d’entrées (dites ‘600’) hébergeant les articles transférés. Il
met en œuvre une méthode originale de concertation avec l’industrie, par publication des propositions de
modifications et appel à commentaires sur la manière de rendre la liste plus positive. A ce jour, les propositions de
modifications des catégories V à, X, XIII, XIX et XX, ainsi que les commentaires de l’industrie ont été rendus publics.
Pour les catégories XI et XII, le Département d’Etat a directement sollicité des propositions de la part du Defense
Trade Advisory Group, comité consultatif constitué d’industriels et d’universitaires travaillant au profit du DoS sur les
questions relatives au contrôle des exportations ; les propositions pour la catégorie XI ont été publiés pour
commentaires. Trois autres catégories (I, II, et III) devaient faire rapidement l’objet de propositions.
La catégorie XV (satellites) a fait l’objet d’un lobbying intense de l’industrie (emmenée par l’Aerospace Industries
Association) qui estime que le transfert vers l’USML des satellites a fait perdre 21Md$ et 9000 emplois à l’industrie
spatiale. Le Congrès qui avait lui-même été l’artisan de ce transfert à la fin des années 905, a demandé un rapport
conjoint aux Départements d’Etat et de la Défense sur les risques encourus en transférant à nouveau les satellites vers
la CCL : le rapport6 conclut effectivement au re-transfert des satellites de communication (sans composant classifié)
5
Rapport Cox sur les préoccupations en matière de sécurité envers la Chine, puis Storm Thurmond National Defense
Authorization Act
6
Report to the Congress – Section 1248 of the National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2010 – Avril 2012
3
ou de télédétection (en deçà d’un certain niveau de performance), ainsi que de leurs composants (en deçà du niveau de
performance de l’USML). Ce transfert a finalement été voté par le Congrès en décembre 2012 dans le cadre du budget
2013 de la défense, pour la plus grande satisfaction de l’industrie américaine
Le travail effectué devrait conduire à terme à une réelle simplification de l’USML – 74% des articles de la catégorie
VII seront par exemple transférés vers la CCL ou non répertoriés (EAR99) – mais laissera les listes dans leur structure
initiale. Un travail complémentaire d’harmonisation sera encore nécessaire pour pouvoir fusionner les listes en cette
liste unique souhaitée.
Afin de progresser vers la convergence des entités de licence, le gouvernement s’est attaché à une homogénéisation et
une simplification des pratiques et des règles d’accord de ces licences de manière à rationaliser et fluidifier le
processus. On notera en particulier un amendement sur le contrôle des articles liés au cryptage, une nouvelle
juridiction sur articles ITAR incorporés dans un article EAR (see-through), ou la mise en cohérence des définitions
utilisées au sein du gouvernement pour la notion de « service de défense » ou de « conçu spécialement pour ». Il
propose également des règles pour la gestion des licences et autres documents (TAA, CJ, ré-exports et transferts…)
pour la phase de transition où les produits migrent d’une liste à l’autre. On notera également la création d’une nouvelle
exemption STA (Strategic Trade Authorization) au sein de l’EAR qui allège désormais le processus de licence pour
certains articles et dont profitent les pays alliés. Développée dans le but de renforcer l’interopérabilité inter-alliés, cette
exemption élimine les délais de décision et des incertitudes, et raccourcit donc ceux entre commande et livraison. Elle
aurait ainsi permis d’éliminer près de 3000 licences pour un montant de 1,4Md$. Elle facilite par ailleurs le respect de
la conformité (compliance) par les compagnies étrangères
DoC et DoS disposent chacun d’entités en charge du suivi de conformité. En revanche, le contrôle et le relevé
d’infractions (enforcement) est aujourd’hui du ressort d’une multitude d’agences au sein des Départements du
Commerce, de la Justice, de l’Energie, du Homeland Security, ou du Trésor. Créé en novembre 2010, mis en place en
mars 2012, l’ Export Enforcement Coordination Center est sous tutelle du DHS le précurseur de l’entité de contrôle
unique envisagée ; il coordonne l’action des différentes agences dans leurs domaines et résout les conflits éventuels
dans leurs enquêtes.
Qu’attendre de la réforme ?
Beaucoup a été accompli durant ces 18 derniers mois, sûrement plus qu’en plus de 30 ans d’existence de ces lois. Un
effort de transparence et un souci de l’utilisateur industriel de ces lois doivent être mis au crédit de l’administration et
du gouvernement. Cependant la finalisation de cette réforme sera longue et difficile pour plusieurs raisons.
-
Le travail encore à conduire pour la fusion des listes est considérable : finalisation des transferts entre listes,
alignement des catégories, harmonisation des définitions, fusion effective. On remarquera à ce sujet que les
catégories USML les plus sensibles n’ont pas été traitées.
-
Les éléments de calendrier ne sont pas favorables : tout d’abord, la réforme a perdu un de ses ardents promoteurs,
Robert Gates, qui n’est plus aux affaires. Par ailleurs, cette thématique ne dispose pas d’une grande priorité parmi
les sujets d’intérêt nationaux, en particulier dans un contexte d’élection présidentielle fin 2012.
-
Jusqu’à présent les travaux ne demandaient qu’une notification au Congrès ; la dernière phase de fusion des listes
et de création des agences demande une action du Congrès pour mettre en place les lois nécessaires à
l’implémentation de la réforme. Le Congrès a toujours été conservateur sur ce sujet, les plus durs ayant même
l’avantage dans le débat public. Outre le débat sur le bien-fondé et les risques issus de cette réforme, un bras de fer
politique interne est à prévoir quand il s’agira de légiférer : que ce soit au Sénat et à la Chambre, deux comités
différents sont en charge de l’EAR et l’ITAR, lequel cédera son pouvoir sur le sujet ?
-
Le sujet, par nature conflictuel, suscitera encore de nombreux de débats, entre industrie et gouvernement, au sein
du gouvernement entre ministères, au sein du Congrès,…
4
-
Les américains se souviennent amèrement de la réforme des impôts qui n’est pas un exemple de simplification. La
contrainte sur la sécurité nationale est forte et le gouvernement devra bien veiller à répondre à ce que l’objectif de
simplification fixé lors du lancement de la démarche soit respecté dans ce contexte contraint.
Le contrôle export impacte l’exportateur américain, mais aussi le client étranger, industriel ou étatique, souhaitant
acheter des biens américains, ou tout éventuel partenaire de collaboration ; il est donc important pour les industriels
nationaux impliqués dans des relations commerciales ou de collaboration avec les Etats-Unis de suivre de près les
évolutions du système.
Il ne faut pas s’y tromper, la réforme est un outil de sécurité nationale, mais aussi de guerre économique : en
remontant les murs autour des technologies sensibles, il protège les Etats-Unis de leur prolifération et contribue à
éviter de les retrouver un jour contre eux sur un théâtre d’opérations. En abaissant ces mêmes murs autour de
technologies commerciales, elle permet de redynamiser l’économie américaine et lui permet d’exporter plus largement
ces technologies ; elle vient donc ainsi concurrencer l’industrie étrangère, européenne en particulier, voire contrer les
efforts qu’elle avait consenti pour pallier l’ITAR et développer les technologies lui permettant d’exporter vers des
directions bannies par les Etats-Unis (exemple des satellites ITAR-free vers la Chine).
Un des travers du système de contrôle américain, bien connu et subis à l’étranger, est le caractère extraterritorial voulu
par ces lois ; ceci concerne les transferts internes au sein d’un pays tiers, la ré-exportation, les produits manufacturés à
l’étranger avec contenu américain, les activités de courtage. Même quand cette extraterritorialité ne s’applique pas, le
pouvoir de rétorsion du gouvernement américain reste suffisamment dissuasif pour chercher à rester en accord. La
réforme ne changera vraisemblablement rien en ce qui concerne cette volonté des américains de contrôler en dehors de
leurs frontières pour que des pays ou groupes hostiles ne mettent la main sur leurs technologies les plus sensibles. Des
documents tels le DSP-83 ou autre certificat d’utilisateur final feront donc toujours partie du paysage.
Par ailleurs, les programmes internes de conformité (compliance) se doivent de rester attentifs vis-à-vis des évolutions
du système afin de rester conforme, en particulier en anticipation d’éventuels contrôles exercés et d’investigations
conduites par le gouvernement américain (Golden Sentry pour le DoC et Blue Lantern pour le DoS).
La réforme simplifiera et facilitera indéniablement le transfert de technologies ; à ce titre l’exemption STA représente
une avancée qui facilitera l’inter-opérabilité avec les alliés des Etats-Unis. Par les transferts CCL-USML, la réforme
ouvrira également des opportunités à laquelle l’industrie nationale doit se préparer : produits contrôlés de manière plus
souple, accès à de nouveaux couples ‘technologie/pays’ jusqu’à présent hors limites. Cependant, malgré les
clarifications engagées, un certain flou et une dose d’arbitraire seront toujours entretenus afin de mieux contrôler les
technologies les plus sensibles au gré des intérêts économiques ou politico-diplomatiques des Etats-Unis.
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La route vers le système plus agile, transparent, prédictible et efficace voulu par Robert Gates est encore longue. A
terme, la réforme sera source de menaces et d’opportunités : il est donc important de rester attentif et vigilent et suivre
son avancement afin de contrer les premières et de profiter des secondes, et actif en suivant les évolutions, voire en
participant par des contributions aux propositions de modifications.
Le dialogue franco-américain doit à ce titre être maintenu, entre administrations ou avec les syndicats professionnels
industriels très actifs, l’AIA en particulier.
Enfin on peut saluer le fait que l’Europe se dotant d’outils de contrôle intra-communautaire commence à être
considérée en temps qu’Union par l’Administration américaine : un dialogue, certes encore timide, entre Etats-Unis et
Union Européene commence à ce titre à être amorcé, mais il mériterait d’être renforcé.
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