En quoi les objets connectés changent les règles de

Transcription

En quoi les objets connectés changent les règles de
AVRIL-MAI 2015
DIGITAL
Comment les
produits intelligents
connectés changent
les règles de la
concurrence
Les « produits intelligents connectés » ont ouvert un nouveau
chapitre dans l’histoire de la concurrence.
par Michael E. Porter et James E. Heppelmann
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
Pleins feux sur…
ŒUVRE D’ART Chris Labrooy
Braun, Grille-pain
HBRFRANCE.FR
Michael E. Porter est le
professeur titulaire de
la chaire Bishop William
Lawrence à la Harvard
Business School.
James E. Heppelmann
est le président et directeur
­général de PTC, une société
de solutions technologiques
basée dans le Massachusetts
qui accompagne les
entrepreneurs dans la
création, l’exploitation et la
maintenance de produits.
Comment les produits
intelligents connectés changent
les règles de la concurrence
par Michael E. Porter et James E. Heppelmann
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 2
L
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
es technologies de l’information entraînent
une révolution profonde dans l’univers
des objets. Alors qu’ils ont longtemps été
uniquement composés de pièces mécaniques
et électriques, les objets sont aujourd’hui
devenus des systèmes complexes qui associent
un équipement matériel, des capteurs,
un stockage de données, des microprocesseurs, des logiciels, avec
d’innombrables possibilités de connectivité. Ces « produits
intelligents connectés », qui sont devenus une réalité grâce aux
énormes progrès en matière de puissance de traitement et
de miniaturisation des équipements, et grâce aux avantages
réseaux d’une connectivité sans fil omniprésente, ont ouvert un
nouveau chapitre dans l’histoire de la concurrence.
Les produits intelligents connectés proposent un
nombre exponentiellement croissant de possibilités
de nouvelles fonctionnalités, une fiabilité bien meilleure, des utilisations produit bien plus poussées, et
des capacités qui surpassent et repoussent les limites
permises par les produits traditionnels. Ces changements dans la nature même des produits bouleversent
aussi les chaînes de valeur et obligent les entreprises
à repenser et à réorganiser quasiment tout ce qu’elles
font en interne.
Ces produits d’un genre nouveau modifient les
structures sectorielles et la nature de la concurrence
en mettant les entreprises devant de nouvelles op­
portunités concurrentielles, mais aussi de nouvelles
menaces. Ils redéfinissent le périmètre des secteurs
d’activité et en créent de nouveaux. Dans un grand
nombre d’entreprises, les prod uits intelligents
connectés amènent inéluctablement à se poser la
question : « Dans quel business suis-je vraiment ? »
Les produits intelligents connectés posent de nouvelles problématiques stratégiques, à savoir comment
créer de la valeur et la capturer, comment gérer et
exploiter les montagnes de données nouvelles (et sensibles) qu’ils génèrent, comment redéfinir les ­relations
avec les partenaires traditionnels tels les canaux de
distribution, et enfin quel rôle les entreprises ­devront
jouer alors que les limites de leur ­secteur s’étendent.
L’expression « l’Internet des objets » a été imaginée
afin de refléter le nombre croissant de produits intelligents connectés et de mettre en lumière les nouvelles opportunités qu’ils représentent. Pour autant,
3 Harvard Business Review Avril-mai 2015
elle n’est pas d’une grande utilité quand il s’agit de
comprendre le phénomène et ses implications.
­L’Internet, qu’il s’applique aux personnes ou aux
­objets, constitue simplement un mécanisme de transmission de l’information. Ce qui fait que les produits
intelligents connectés sont fondamentalement
­différents n’est pas Internet, mais la nature changeante de ces « objets ». C’est avec l’étendue de leurs
capacités et avec les données qu’ils génèrent que ces
produits écrivent aujourd’hui un nouveau chapitre
de l’histoire de la concurrence.
Les entreprises doivent voir, au-delà des technologies, les transformations qui s’opèrent d’un point de
vue concurrentiel. Cet article s’applique à décortiquer
la révolution des produits intelligents connectés pour
ensuite en étudier les implications opérationnelles et
stratégiques.
La troisième vague concurrentielle
portée par l’informatique
Par deux fois déjà, au cours des 50 dernières années,
les technologies de l’information ont radicalement
remanié la concurrence et les approches stratégiques,
et nous nous trouvons aujourd’hui à l’aube de la troisième mutation. Avant l’arrivée des technologies
modernes de l’information, les produits étaient mécaniques, et l’exécution des activités de la chaîne de
valeur était accomplie manuellement et s’appuyait
sur des supports papiers et un mode de communication orale. La première vague informatique, au cours
des années 1960 et 1970, a automatisé les activités
HBRFRANCE.FR
L’idée en bref
UN ENVIRONNEMENT
QUI ÉVOLUE
Les produits intelligents
connectés offrent un nombre
d’opportunités de nouvelles
fonctionnalités qui croît
de manière exponentielle,
et ouvrent des possibilités
qui transcendent les limites
des produits traditionnels.
La nature évolutive des
produits bouleverse les chaînes
de valeur et force les entreprises à repenser quasiment
tout ce qu’elles font, de la
manière dont elles imaginent,
conçoivent et se procurent
les produits à la manière dont
elles les fabriquent, les mettent
en service et les entretiennent,
en passant par la manière
dont elles construisent et
sécurisent les infrastructures
informatiques nécessaires.
individuelles au sein de la chaîne de valeur, du traitement des commandes au règlement des factures et à
la conception assistée par ordinateur en passant par la
planification des ressources de production (voir « How
Information Gives You Competitive Advantage », de
Michael Porter et Victor Millar, HBR, juillet 1985). La
productivité de ces activités en a été remarquablement augmentée, en partie parce que de très grandes
quantités de nouvelles données pouvaient être saisies
et analysées pour chacune d’elles. Ceci a entraîné la
standardisation des processus dans les entreprises,
mais s’est accompagné d’une nouvelle problématique : comment capturer les avantages opérationnels
de l’informatique tout en consolidant des stratégies
de différenciation.
La montée en puissance d’Internet, et donc d’une
connectivité bon marché et omniprésente, lança la
deuxième vague de transformation portée par l’informatique, dans les années 1980 et 1990 (voir l’article de
Michael Porter, « Strategy and the Internet », HBR,
mars 2001). Cela permit la coordination et l’intégration des activités entre elles, c’est-à-dire avec les fournisseurs, la distribution et les clients, mais aussi d’un
point de vue géographique. Et permit aux entreprises,
par exemple, de rapprocher et d’intégrer des chaînes
logistiques disséminées dans le monde entier.
Les deux premières vagues ont engendré
d’énormes gains de productivité et de croissance dans
tous les secteurs de l’économie. Si la chaîne de valeur
s’en est trouvée transformée, la plupart des produits
eux-mêmes n’ont cependant pas été affectés.
Dans cette troisième vague, l’informatique devient
une partie intégrante du produit lui-même. Les capteurs, processeurs et logiciels incorporés dans les produits ainsi que leur connectivité (dans l’absolu, cela
revient à insérer des ordinateurs dans les produits),
associés à un cloud dans lequel les données du produit sont stockées et analysées parallèlement à l’exécution des applications, apportent des améliorations
radicales dans la fonctionnalité et les performances.
LES NOUVEAUX CHOIX
STRATÉGIQUES
Les produits intelligents
connectés induisent un nouvel
éventail de choix stratégiques
quant à la manière dont la
valeur est créée et captée, à la
manière dont les entreprises
travaillent avec leurs anciens et
nouveaux partenaires, et à la
manière dont elles s’assurent un
avantage concurrentiel, tandis
que les nouvelles possibilités
redéfinissent le périmètre
des secteurs. Les produits
intelligents connectés forcent
de nombreuses entreprises
à se poser la question : « Quelle
est vraiment mon activité ? »
Cet article propose un cadre
de travail pour élaborer sa
stratégie et s’assurer un
avantage concurrentiel dans un
univers intelligent et connecté.
Une part conséquente de ces améliorations de performance est permise grâce aux montagnes de nouvelles
données relatives à l’utilisation du produit.
Ces nouveaux produits, supérieurs, vont faire faire
un bond de productivité à l’économie. De plus, leur
production va redéfinir une fois de plus la chaîne de
valeur, en modifiant la conception produit, le marketing, la fabrication et les services après-vente, mais
aussi en créant un besoin pour de nouvelles activités
telles que le traitement analytique des données et leur
sécurité. Cela conduira à une nouvelle vague d’amélioration de la productivité à partir de la chaîne de
valeur. Cette troisième vague de transformation portée par l’informatique peut donc se révéler comme la
plus grande à ce jour et déclencher encore plus d’innovation, de gains de productivité et de croissance
que les précédentes.
Certains déclarent que l’Internet des objets
« change tout », mais il s’agit là d’une simplification
à l’extrême, dangereuse. Tout comme l’Internet luimême, les produits connectés reflètent l’émer­gence
d’un éventail de possibilités technologiques entiè­
rement nouvelles. Mais les règles qui régissent la
concurrence et les avantages concurrentiels restent
inchangées. Garder le cap dans un monde de produits
intelligents connectés obligera les entreprises à
­maîtriser ces règles mieux que jamais.
En quoi consistent les produits
intelligents connectés ?
Les produits intelligents connectés comprennent
trois éléments fondamentaux : des composants physiques, des composants « intelligents » et des composants de connectivité. Les composants intelligents
amplifient les capacités et la valeur des composants
physiques, tandis que la connectivité amplifie les
­capacités et la valeur des composants intelligents et
permet à certains d’entre eux d’avoir une existence
externe au produit physique lui-même. Il en résulte
un cercle vertueux de progression de la valeur.
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 4
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
Les composants physiques comprennent les pièces
mécaniques et électroniques du produit. Dans une
voiture, par exemple, il s’agit du bloc-moteur, des
pneus et de la batterie.
Les composants intelligents comprennent les capteurs, les microprocesseurs, le stockage des données,
les commandes, les logiciels, mais aussi, habituel­
lement, un système d’exploitation intégré et une
­interface utilisateur performante. Dans le cas d’une
voiture, par exemple, les composants intelligents com-
Certains déclarent que l’Internet
des objets « change tout ». Mais
il s’agit là d’une simplification à
l’extrême, dangereuse. Les règles
qui régissent la concurrence
restent les mêmes.
prennent l’unité de commande du moteur, le système
de freinage ABS, les pare-brise avec détection de pluie
et essuie-glaces automatiques, et les écrans d’affichage
tactiles. Dans de nombreux produits, les logiciels remplacent certains équipements ou permettent à un seul
appareil physique d’intervenir à plusieurs niveaux.
Les composants de connectivité comprennent les
ports, les antennes et les protocoles permettant les
connections filaires ou sans-fil avec le produit. La
connectivité prend trois formes, qui peuvent être
­présentes ensemble :
•  D’un vers un : un produit individuel se connecte à
un utilisateur, un fabricant ou un autre produit
grâce à un port ou une autre interface – par exemple,
­lorsqu’une voiture est branchée sur un appareil
de diagnostic.
•  D’un vers plusieurs : un système central est
connecté simultanément à plusieurs produits en
continu ou par intermittence. Par exemple,
plusieurs voitures Tesla sont connectées à un même
système chez le fabricant qui effectue le suivi de
leurs performances et réalise des manipulations
d’entretien et de mise à jour à distance.
•  De plusieurs vers plusieurs : plusieurs produits
se connectent à plusieurs autres types de produits
et également, souvent, à des sources de données
externes. Une panoplie de divers équipements
agricoles sont connectés entre eux, mais aussi à des
données de géolocalisation, afin de coordonner et
5 Harvard Business Review Avril-mai 2015
d’optimiser le système agricole. Par exemple, des
bineuses automatisées injectent des engrais azotés
à une profondeur et à intervalles spécifiques tandis
qu’un semoir suit et dépose les graines directement
dans le sol fertilisé.
La connectivité remplit une double finalité. D’une
part, elle permet l’échange d’informations entre le
produit et l’environnement dans lequel il fonctionne,
son fabricant, ses utilisateurs et d’autres produits et
systèmes. D’autre part, elle permet à certaines fonctions du produit d’exister en dehors de l’équipement
physique, dans ce que l’on appelle le cloud. Ainsi,
dans les nouveaux systèmes Wi-Fi de Bose, une application sur smartphone fonctionnant dans le cloud
joue des morceaux de musique en streaming depuis
Internet. Pour atteindre des niveaux élevés de fonctionnalité, les trois types de connectivité sont
nécessaires.
Les produits intelligents connectés font leur apparition dans tous les secteurs de production. Dans les
engins lourds, la technologie Port de Schindler réduit
le temps d’attente des ascenseurs jusqu’à 50% en
anticipant les pics d’appels, en calculant le temps le
plus court jusqu’à la destination, et en affectant le bon
­ascenseur au bon appel afin de permettre un déplacement plus rapide à ses passagers. Dans le secteur de
l’énergie, le réseau intelligent d’ABB permet aux
­fournisseurs d’énergie d’analyser des montagnes de
données en temps réel sur une large gamme d’équi­
pements de production, de transformation et de distribution (fabriqués par ABB ou par d’autres), comme
les variations de température des transformateurs et
des sous-stations secondaires. Cela alerte les centres
de contrôle des conditions d’une surcharge potentielle, ce qui permet des ajustements afin d’éviter les
pannes de courant. Dans les biens de consommation,
les ventilateurs de plafond de la société Big Ass détectent la présence d’une personne dans une pièce et
se mettent en marche, régulent leur vitesse en fonction de la température et de l’humidité, et s’ajustent
aux préférences individuelles des utilisateurs, qu’ils
ont reconnus au préalable.
Pourquoi cela arrive-t-il aujourd’hui ? Tout un
éventail d’innovations issues de l’ensemble du
­paysage technologique ont suivi des chemins convergents permettant de faire des produits intelligents
connectés une réalité concrète. Ceci comporte de
grandes percées en termes de performance, de miniaturisation et d’efficacité énergétique pour les capteurs
et les b
­ atteries ; des processeurs puissants et des stockages de données hypercompacts et économiques, ce
qui rend possible l’intégration d’ordinateurs à l’inté-
HBRFRANCE.FR
LE NOUVEL EMPILEMENT DE TECHNOLOGIES
Les produits intelligents connectés obligent les entreprises à mettre en place et à entretenir une infrastructure
de technologies intégralement nouvelle. Cet empilement de technologies se compose de plusieurs couches
comprenant de nouveaux matériels, des logiciels intégrés, des éléments de connectivité, un cloud de produit
constitué de programmes fonctionnant sur des serveurs à distance, un ensemble d’outils pour la sécurité, un
portail d’accès aux sources d’information externes et une interface d’intégration avec d’autres systèmes de
l’entreprise.
CLOUD DE PRODUIT
Applications du produit intelligent
Applications logicielles fonctionnant sur des serveurs à distance qui gèrent
le suivi, le contrôle, l’optimisation et l’activation des fonctions du produit de
manière autonome
Moteur de règles et d’analyses
Identité et
sécurité
Outils gérant
l’authentification
utilisateur et les
accès au système,
et assurant
la sécurité du
produit, de la
connectivité
et des éléments
du cloud
Capacités relatives aux règles, aux méthodologies de l’activité et à l’analyse du
big data comprises dans les algorithmes impliqués dans le fonctionnement des
produits et permettant d’en tirer des connaissances approfondies
Plateforme d’applications
Environnement de développement et d’exécution des applications permettant
la création rapide d’applications relatives à l’activité des produits intelligents
connectés utilisant un accès aux données, une forme de visualisation et des
outils d’exécution
Banque des données du produit
Un système de gestion des données pour le big data permettant d’agréger, de
normaliser et de gérer les données produit, aussi bien en temps réel que sur leur
historique
CONNECTIVITÉ
Communication réseau
Protocoles permettant les communications entre le produit et le cloud
Sources
d’information
externes
Portail d’accès
aux informations
provenant de
sources externes
– telles que
la météo, la
circulation, le
cours des matières
premières et
de l’énergie, les
médias sociaux et
la géolocalisation –
qui renseignent
les fonctionnalités
du produit
Intégration
avec les autres
systèmes de
l’entreprise
Outils intégrant les
données provenant
des produits
intelligents
connectés avec les
systèmes de gestion
de l’activité de
l’entreprise tels que
les systèmes de
gestion des relations
clients, de
planification des
ressources de
production ou de
gestion du cycle
de vie des produits
PRODUIT
Logiciels produit
Système d’exploitation intégré, applications logicielles embarquées, interface
utilisateur perfectionnée et composants de contrôle du produit
Produit physique
Capteurs intégrés, processeurs et port/antenne de connectivité venant s’ajouter
aux composants mécaniques et électriques traditionnels
rieur de produits ; des ports peu coûteux et une
connectivité sans fil peu onéreuse et omniprésente ;
des outils ­permettant de développer des logiciels rapidement ; du big data ; et un nouveau protocole Internet IPv6 qui ouvre la possibilité de disposer d’un
­potentiel de 340 x 1036 adresses IP, avec une sécurité
plus élevée, des transitions simplifiées lors des transferts de dispositifs d’un réseau à un autre et permettant de faire une demande d’adresse de ­manière autonome sans soutien informatique.
Les produits intelligents connectés obligent les
entreprises à mettre en place une infrastructure technologique entièrement nouvelle consistant en une
succession de couches appelée « empilement de technologies » (voir « Le nouvel empilement de technologies »). Ceci comprend des appareils modifiés, des
applications logicielles et un système d’exploitation
intégré dans le produit lui-même ; un réseau de communication pour la connectivité ; un cloud (logiciel
fonctionnant sur un serveur chez le fabricant ou chez
un tiers) contenant une base de stockage pour les
­données du produit, une plateforme pour le développement d’applications logicielles, une plateforme
pour le moteur de règles et les traitements analytiques, et des applications relatives au produit intelligent qui ne sont pas intégrées dans le produit. Placés
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 6
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
transversalement à cet empilement se trouvent une
structure relative à l’identité et à la sécurité, un portail d’accès aux données externes, et des outils reliant
les données des produits intelligents connectés à
d’autres systèmes (tels des systèmes ERP ou CRM).
Cela permet non seulement de développer des
applications et de fonctionner de manière réactive,
mais aussi de collecter, d’analyser et de partager des
montagnes de données longitudinales, générées dans
le produit et en dehors, dont on n’avait jamais pu disposer jusqu’ici. Construire et entretenir un tel empilement de technologies nécessite des investissements
conséquents et un ensemble de nouvelles compétences – en matière, par exemple, de développement
de logiciels, d’ingénierie des systèmes, d’analyse des
données et d’expertise de la sécurité en ligne – que l’on
trouve rarement dans les entreprises industrielles.
Que peuvent faire les produits
intelligents connectés ?
L’intelligence et la connectivité autorisent un ensemble de fonctions et de capacités entièrement nouvelles que l’on peut regrouper en quatre domaines :
monitoring, contrôle, optimisation et autonomie. Un
produit peut potentiellement rassembler les quatre
(voir « Les capacités des produits intelligents connectés »). Chaque capacité est importante en soi et pose
les jalons nécessaires au niveau suivant. Par exemple,
les capacités de monitoring sont les fondations pour
le contrôle du produit, l’optimisation et l’autonomie.
Une entreprise doit choisir l’ensemble des capacités
qui lui permettront de générer de la valeur pour ses
clients et de définir ainsi son positionnement
concurrentiel.
Monitoring. Les produits intelligents connectés
permettent un suivi détaillé de l’état, du fonctionnement et de l’environnement externe d’un produit à
travers des capteurs et des données provenant de
sources extérieures. En utilisant ces données, un produit peut alerter ses utilisateurs ou d’autres tiers de
changements relatifs à la situation ou aux performances. Le monitoring permet aussi aux entreprises
et aux clients de suivre les caractéristiques opérationnelles du produit ainsi que son historique afin de
mieux en saisir l’utilisation effective. Ces données
ont des implications considérables quant à la conception (pour éviter un excès de technique, par exemple),
à la segmentation du marché (à travers l’analyse de
comportements d’utilisation en fonction du profil des
clients) et aux services après-vente (en permettant
LES CAPACITÉS DES PRODUITS
INTELLIGENTS CONNECTÉS
Les capacités des produits intelligents connectés peuvent être
regroupées en quatre grands domaines : monitoring, contrôle,
optimisation et autonomie, chacun venant s’appuyer sur le
précédent. Afin d’avoir des capacités de contrôle, par exemple,
un produit doit avoir des capacités de monitoring.
Autonomie
Optimisation
Contrôle
Monitoring
1
Des capteurs et des sources de
données externes permettent
une supervision précise :
• de l’état du produit
• de son environnement externe
• du fonctionnement du
produit et de l’utilisation
qui en est faite
Le monitoring permet aussi
la mise en place d’alertes et de
notifications de changements
2
7 Harvard Business Review Avril-mai 2015
Les programmes intégrés
dans le produit ou dans son
cloud permettent :
• le contrôle des fonctions
du produit
• la personnalisation de
l’expérience utilisateur
3
Les capacités de monitoring
et de contrôle permettent
la mise en place d’algorithmes
optimisant le fonctionnement
et l’utilisation du produit afin :
• d’en améliorer les
performances
• de permettre des
diagnostics prédictifs,
des opérations de
maintenance et des
réparations
4
L’association du monitoring,
du contrôle et de l’optimisation
permet :
• un fonctionnement
autonome du produit
• une coordination autogérée
de son fonctionnement avec
d’autres produits et systèmes
• une amélioration autonome
du produit ainsi que sa
personnalisation
• la réalisation d’auto­dia­gnostics et d’opérations
de maintenance
HBRFRANCE.FR
Les produits intelligents connectés peuvent fonctionner
de manière autonome, les humains surveillant désormais
des systèmes plutôt que des unités individuelles.
d’envoyer le bon technicien avec les bonnes pièces, ce
qui permet en retour d’augmenter le taux de réparation dès la première intervention). Les données de
suivi peuvent aussi révéler des problèmes de respect
des termes de la garantie ou bien de nouvelles opportunités commerciales, telles que le besoin de capacités supplémentaires dues à une utilisation intensive.
Dans certains cas, comme pour les équipements
médicaux, le monitoring est l’élément principal de
la création de valeur. Les appareils numériques de
­mesure du glucose dans le sang de Medtronic fonctionnent avec un capteur inséré sous la peau du patient pour mesurer le niveau de glucose dans le liquide
situé entre les cellules et se connectent sans fil à un
appareil qui alerte le personnel médical et le patient
jusqu’à trente minutes avant que celui-ci n’atteigne
un taux de glucose critique, ce qui permet de mettre
en place le geste thérapeutique qui s’impose.
Les capacités de monitoring peuvent couvrir plusieurs produits à distance. Joy Global, l’un des équipementiers leaders de l’exploitation minière, surveille
ainsi les conditions de fonctionnement, les paramètres de sécurité et les indicateurs prédictifs de
maintenance d’un parc complet d’équipements
­opérant à de grandes profondeurs. Joy Global effectue
également le suivi des paramètres opérationnels de
nombreuses mines situées dans des pays différents
afin d’établir des référentiels.
Contrôle. Les produits intelligents connectés
peuvent être contrôlés grâce à des commandes à distance ou à des algorithmes intégrés dans l’appareil
ou situés dans le cloud. Les algorithmes sont des
règles qui indiquent au produit comment réagir à des
changements spécifiques de son état ou de son environnement (par exemple : « Si la pression est trop
­élevée, activer le dispositif d’arrêt automatique », ou :
« Si la circulation à l’intérieur du parking atteint tel ou
tel niveau, allumer ou éteindre les plafonniers »). Le
contrôle à partir de logiciels intégrés dans le produit
ou dans le cloud permet de personnaliser les performances du produit à un niveau qui n’était jusqu’alors
pas rentable, ni même possible. Cette même technologie permet également aux utilisateurs de contrôler
et d’individualiser leur interaction avec le produit de
nombreuses manières. Par exemple, les utilisateurs
peuvent ajuster la couleur de leurs ampoules Philips
Lighting par l’intermédiaire d’un smartphone, les
­allumer ou les éteindre, les programmer pour qu’elles
clignotent en rouge si un intrus est détecté ou diminuer progressivement l’intensité de l’éclairage en
­soirée. Doorbot, un système de sonnette et de verrouillage de porte, permet aux clients de laisser entrer
des visiteurs chez eux à distance après avoir vérifié
leur identité sur leur smartphone.
Optimisation. Le flux abondant de données
­recueillies par les produits intelligents connectés,
­associé à la capacité de contrôler le fonctionnement
du produit, permet aux entreprises d’en optimiser
les performances de nombreuses manières, dont la
­plupart étaient auparavant impossibles. Les produits
intelligents connectés peuvent appliquer des algorithmes et des programmes d’analyse à des données
en cours d’utilisation ou contenues dans son historique afin d’améliorer considérablement le rendement, l’utilisation et l’efficacité. En ce qui concerne
par exemple les éoliennes, un microcontrôleur installé sur place peut ajuster la position de chaque pale
à chaque tour afin de capturer un maximum de
l’énergie fournie par le vent. De plus, chaque éolienne
peut être ajustée non seulement afin d’améliorer ses
performances, mais aussi de minimiser son impact
sur l’efficacité de celles qui se trouvent à proximité.
Le suivi en temps réel de l’état du produit et les
capacités de contrôle du produit permettent aux
­entreprises d’optimiser leurs prestations en réalisant
des opérations de maintenance lorsqu’une panne est
imminente et en effectuant des réparations à distance, ce qui diminue ainsi les intervalles de temps où
un produit se trouve hors service ou encore la nécessité d’envoyer un réparateur sur place. Même
lorsqu’une intervention sur place est nécessaire, les
informations obtenues à l’avance quant à la nature du
dysfonctionnement, aux pièces requises et à la
­manière d’effectuer la réparation réduisent les coûts
de service et améliorent le taux de réussite dès la
­première intervention. Diebold, par exemple, surveille un grand nombre de ses distributeurs bancaires
afin de repérer les premiers signes d’anomalie. Après
avoir évalué le fonctionnement d’un distributeur, la
machine est réparée, si possible, à distance. Dans le
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 8
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
LES CINQ FORCES QUI RÉGISSENT LA
CONCURRENCE AU SEIN D’UN SECTEUR
cas contraire, l’entreprise envoie un technicien à qui
on aura fourni un diagnostic détaillé du problème,
une recommandation de protocole de réparation et,
souvent, les pièces dont il a besoin. Finalement,
comme beaucoup de produits intelligents connectés,
les distributeurs bancaires Diebold peuvent être mis
à jour au fur et à mesure que de nouvelles améliorations sont disponibles. Cela se fait souvent à distance,
grâce à des logiciels.
Autonomie. Les capacités de monitoring, de
contrôle et d’optimisation des produits intelligents
connectés se combinent pour leur permettre d’atteindre des niveaux d’autonomie jusqu’ici inimaginables. Au plus simple niveau, on trouve un fonctionnement autonome correspondant à celui de l’iRobot
Roomba, un aspirateur qui utilise des capteurs et un
programme pour scanner et nettoyer les sols dans des
pièces à l’agencement différent. Des produits plus
sophistiqués sont capables de se renseigner sur leur
environnement, de diagnostiquer le niveau de service nécessaire et de s’adapter aux préférences de
l’utilisateur. L’autonomie réduit le besoin d’agents
humains tout en permettant d’améliorer la sécurité
dans des environnements dangereux et en facilitant
le travail dans des endroits éloignés.
Les produits autonomes peuvent se coordonner à
d’autres produits et systèmes. La valeur de ces capacités peut croître de manière exponentielle à mesure
que de plus en plus de produits sont connectés. Ainsi,
l’efficacité énergétique d’un réseau électrique augmente quand un nombre croissant de compteurs intelligents y sont reliés, ce qui, à terme, permet au fournisseur de connaître plus précisément les schémas de
consommation et de répondre à la demande.
Au bout du compte, les produits peuvent fonc­
tionner en complète autonomie, en appliquant des
algorithmes qui utilisent les données relatives à leurs
­performances et à leur environnement – y compris
l’activité d’autres produits du système – et en s’appuyant sur leur capacité à communiquer avec d’autres
produits. Les opérateurs humains se contentent alors
de suivre leurs performances et de surveiller un parc
d’équipements ou de systèmes plutôt que des appareils individuels. Le système d’exploitation minière à
longue taille de Joy Global, par exemple, est capable
de fonctionner en toute autonomie à de grandes
­profondeurs, sous la supervision d’un centre de
contrôle minier situé en surface. Les performances et
les pannes de l’équipement font l’objet d’un suivi
continu et les techniciens sont envoyés sous terre
pour s’occuper des problèmes qui nécessitent une
intervention humaine.
9 Harvard Business Review Avril-mai 2015
Les objets intelligents connectés
auront un impact majeur sur la
structure des secteurs d’activité.
Les cinq grandes forces qui
régissent la concurrence
fournissent un cadre permettant
de comprendre l’importance de
ces changements.
POUVOIR DE
NÉGOCIATION
DES
FOURNISSEURS
MENACE DE
NOUVEAUX
ENTRANTS
RIVALITÉS
ENTRE
CONCURRENTS
EN PLACE
POUVOIR DE
NÉGOCIATION
DES ACHETEURS
MENACE DE
PRODUITS OU DE
SERVICES DE
SUBSTITUTION
Redéfinir la structure des secteurs
Afin de comprendre les effets des produits intelligents
connectés sur les profits et la concurrence, il nous faut
examiner leur impact sur la structure même du
­secteur d’activité concerné. Quel que soit le secteur, la
concurrence est régie par cinq grandes forces : le
­pouvoir de négociation des acheteurs, la nature et
l’intensité des rivalités entre les entreprises concurrentes, la menace de nouveaux entrants, la menace de
produits ou de services de substitution, et, enfin, le
pouvoir de négociation des fournisseurs. Ensemble, la
composition et l’intensité de ces forces déterminent la
nature de la concurrence au sein du secteur et la
moyenne des profits des entreprises. La structure
d’un secteur évolue lorsqu’une nouvelle technologie,
les besoins des clients ou d’autres facteurs modifient
l’équilibre de ces cinq forces. Les produits intelligents
connectés vont profondément affecter la structure
de nombreux secteurs, tout comme l’avait fait la
­précédente vague informatique, avec l’arrivée de­
­l’Internet. Les effets seront ressentis plus fortement
dans les secteurs manufacturiers.
Le pouvoir de négociation des acheteurs. Les
produits intelligents connectés ouvrent de nouvelles
opportunités de différenciation de l’offre, ce qui
éloigne la concurrence du seul facteur prix. Le fait de
connaître la manière dont les clients utilisent réellement les produits donne aux entreprises plus de possibilités de les segmenter, de les personnaliser, d’établir des prix qui capturent plus de valeur et d’élargir
l’offre de services à valeur ajoutée. Les produits intelligents connectés permettent en outre aux entreprises
de développer des relations plus étroites avec leurs
HBRFRANCE.FR
clients. L’emprise sur l’historique et les données d’utilisation du produit a fait augmenter les coûts de changement de fournisseur pour les acheteurs. De plus, les
produits intelligents connectés permettent aux entreprises de réduire leur dépendance vis-à-vis de la distribution ou de partenaires, voire de les contourner, ce
qui permet de faire plus de profit. Ceci tend à atténuer
ou à réduire le pouvoir de négociation des acheteurs.
GE Aviation, par exemple, est maintenant en
­mesure de fournir directement plus de services aux
utilisateurs finaux – une évolution qui a augmenté
son pouvoir par rapport à ses clients proches, à savoir
les avionneurs. Les informations recueillies à partir
de centaines de capteurs placés dans les moteurs des
avions permettent par exemple à GE et aux compagnies aériennes d’en optimiser les performances, en
identifiant les écarts entre les performances prévues
et les performances effectives. L’analyse des données
de consommation de carburant réalisée par GE a
­permis à Alitalia d’identifier des changements possibles dans ses procédures de vol, comme la position
des volets à l’atterrissage afin de réduire l’utilisation
de carburant. Les relations solides qu’a établies
GE avec les compagnies aériennes lui servent à se
­dif­férencier, tout en améliorant le rapport de force
avec les constructeurs aéronautiques.
Les produits intelligents connectés peuvent aussi
améliorer le pouvoir de négociation des acheteurs en
leur offrant une meilleure compréhension des per­
formances réelles du produit, ce qui leur donne la
possibilité de faire jouer un fabricant contre l’autre.
Les acheteurs peuvent également considérer que
l’accès aux données d’utilisation peut diminuer leur
dépendance vis-à-vis du fabricant en termes de
conseils et d’assistance. Enfin, si on les compare aux
modèles propriétaires, les business models de « produit en tant que service » ou les services de produit
partagé (abordés ci-après) peuvent augmenter le pouvoir des acheteurs en réduisant le coût de migration
vers un autre fabricant.
La rivalité entre concurrents. Les produits
­intelligents connectés peuvent potentiellement faire
évoluer la concurrence en ouvrant un vaste éventail
de nouvelles possibilités de différenciation et de
­services à forte valeur ajoutée. Ces produits permettent aussi aux entreprises de proposer une offre
sur mesure à des segments de marché plus ciblés et
même de personnaliser les produits à l’échelle individuelle, poussant encore plus loin leur différenciation
tout en améliorant leur avantage prix.
Les produits intelligents connectés génèrent
­également des opportunités d’élargissement de la
proposition de valeur au-delà des produits euxmêmes, pour y inclure des données précieuses et des
offres de services sophistiquées. Babolat, par
exemple, produit des raquettes et des équipements
de tennis depuis plus de cent quarante ans. Avec sa
nouvelle raquette Babolat Play Pure Drive, dont la
poignée intègre des capteurs et des composants
de connectivité, l’entreprise propose maintenant
un ­service destiné à aider les joueurs à progresser à
travers le suivi et l’analyse de la vitesse des balles, des
effets et des points d’impact, le tout transmis à une
application pour smartphone.
Dans la dynamique concurrentielle, cet éloignement de la pression des prix est compensé par la migration de la structure des coûts des produits connectés
intelligents vers une part plus conséquente de coûts
fixes, tandis que les coûts variables diminuent. Cela est
dû à l’importance des coûts initiaux de développement des logiciels, à la complexité de la conception des
produits et à la part fixe des coûts a
­ ffectés à la mise en
place de l’empilement de technologies évoqué plus
haut, lequel inclut une connectivité fiable, ainsi qu’un
stockage des données, des traitements analytiques et
une sécurité solides (voir « Le nouvel empilement de
technologies »). Les secteurs dont les structures de
coûts fixes sont les plus élevées sont plus sensibles à la
pression des prix, dans la mesure où les entreprises
cherchent à ventiler leurs coûts fixes sur un nombre
plus conséquent d’unités vendues.
L’énorme expansion des capacités qu’offrent les
produits intelligents connectés peut aussi donner
envie aux entreprises et à leurs rivales de se lancer
dans une surenchère de caractéristiques et de fonctions et d’offrir bien trop de performances produits,
dans une dynamique qui fait grimper les coûts et
­entame la rentabilité du secteur.
Enfin, la rivalité entre concurrents peut aussi s’accentuer à mesure que les produits intelligents connectés intègrent des systèmes de produits plus larges,
une tendance que nous aborderons plus loin. Par
exemple, historiquement, les fabricants de luminaires, d’appareils de divertissement audiovisuel et
de systèmes de climatisation à usage domestique ne
se sont jamais trouvés en concurrence. Pourtant, ils
se disputent aujourd’hui une place sur le nouveau
marché des « maisons connectées », qui transforme un
large éventail d’appareils ménagers en produits
intelligents.
La menace de nouveaux entrants. Dans un
univers de produits intelligents connectés, les nouveaux entrants sont confrontés à de nouveaux obstacles de taille, à commencer par l’ampleur des coûts
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 10
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
REDÉFINITION DU PÉRIMÈTRE DES SECTEURS D’ACTIVITÉ
Non seulement l’augmentation des capacités des produits
intelligents connectés restructure la concurrence au sein des
secteurs d’activité, mais elle en élargit également le périmètre.
Cela se manifeste à mesure que la concurrence évolue des produits,
pris individuellement, à des systèmes de produits constitués
de produits connexes, à des systèmes de systèmes reliant toute
une panoplie de systèmes de produits entre eux. Un fabricant de
tracteurs, par exemple, peut se retrouver en situation de concurrence
dans un secteur d’exploitation agricole automatisée élargi.
3. Produit intelligent connecté
2. Produit intelligent
1. Produit
fixes liés à une conception de produits plus complexe, à la technologie intégrée et aux nombreuses
couches qui composent les nouvelles infrastructures
informatiques. Par exemple, avec l’analyseur de
­produits chimiques TruDefender FTi, Thermo Fisher
a ajouté des éléments de connectivité à un produit
proposant déjà des fonctionnalités intelligentes, afin
de permettre la transmission des analyses chimiques
d’environnements dangereux aux utilisateurs afin
qu’ils puissent commencer les actions de prévention
sans avoir à attendre la décontamination de la machine et du personnel. Thermo Fisher avait besoin de
créer un cloud complet pour le produit afin de recueillir, d’analyser et de stocker les données en toute
sécurité et de les distribuer aussi bien en interne
qu’en externe, un projet pour le moins considérable.
L’élargissement des fonctions d’un produit peut
créer des barrières plus hautes à l’entrée. Biotronik,
une entreprise d’appareils médicaux, fabriquait à l’origine des pacemakers, des pompes à insuline et d’autres
appareils individuels. Aujourd’hui, elle propose des
dispositifs intelligents connectés tels des systèmes
de surveillance de soins à domicile, qui intègrent des
centres de traitement des données permettant aux
équipes médicales de surveiller à distance l’équipement de leurs patients et leur état clinique.
11 Harvard Business Review Avril-mai 2015
Les barrières à l’entrée s’élèvent aussi lorsque les
entreprises présentes sur le marché s’approprient
les avantages cruciaux des premiers entrants en recueillant et en accumulant des données produits, puis
en les exploitant pour améliorer leurs produits et leurs
services, et pour remanier leur service après-vente.
Les produits connectés peuvent également permettre
d’augmenter la fidélité des clients et les coûts de
­migration, deux facteurs eux-mêmes susceptibles de
participer à la hausse des barrières à l’entrée.
Ces dernières s’abaissent, cependant, lorsque les
produits intelligents connectés court-circuitent ou
annihilent les forces et les atouts des entreprises présentes sur le marché. De plus, celles-ci peuvent se
montrer hésitantes à s’engager dans le développement des capacités des produits intelligents connectés, préférant protéger leurs forces relatives au matériel ainsi que leur rentabilité liée à la fourniture de
services et de pièces détachées. Cela laisse la porte
ouverte à de nouveaux compétiteurs comme OnFarm,
qui n’offre pas de produits, mais concurrence avec
succès les f­ abricants d’équipements agricoles traditionnels en proposant aux agriculteurs des services
de collectes de données sur les nombreuses machines
de leurs exploitations pour les aider à prendre de
meilleures décisions. OnFarm n’a ainsi pas besoin de
HBRFRANCE.FR
5. Système de systèmes
4. Système de produits
CARTES MÉTÉO
CAPTEURS DE PLUIE,
D’HUMIDITÉ, DE
TEMPÉRATURE
PRÉVISIONS MÉTÉO
WEATHER
SYSTÈME
DE
DATA
SYSTEM
DONNÉES
PLATFORM
MÉTÉOROLOGIQUES
APPLICATION DE DONNÉES
MÉTÉOROLOGIQUES
PLANTEUSES
TRACTEURS
SYSTÈME
D’ÉQUIPEMENTS
AGRICOLES
BASE DE DONNÉES DES
PERFORMANCES DE
L’EXPLOITATION
MOISSONNEUSESBATTEUSES
SYSTÈME
D’ÉQUIPEMENTS
AGRICOLES
SYSTÈME DE
GESTION DE
L’EXPLOITATION
AGRICOLE
SYSTÈME
D’OPTIMISATION
DES SEMENCES
BASE DE DONNÉES
DES SEMENCES
APPLICATION
D’OPTIMISATION
DES SEMENCES
BINEUSES
CAPTEURS DE
TERRAIN
SYSTÈME
D’IRRIGATION
APPLICATIONS
D’IRRIGATION
STATIONS D’IRRIGATION
devenir l­ui-même un fabricant de matériel. En
­matière de ­domotique, Crestron, un fournisseur de
solutions ­intégrées, propose des systèmes complexes
et ­dédiés dont les interfaces utilisateurs sont parti­
culièrement sophistiquées. Les fabricants de produits
sont aussi confrontés à de nouveaux enjeux amenés
par d’autres concurrents non traditionnels comme
Apple, qui a récemment lancé un nouveau système
plus simple de gestion des maisons connectées à
­partir d’un smartphone.
La menace de produits de substitution. Les
produits intelligents connectés peuvent fournir des
performances, une personnalisation et une valeur
client supérieures à celles des produits de substitution
traditionnels, ce qui réduit les menaces de cette nature tout en améliorant la croissance et la rentabilité
du secteur. Toutefois, pour de nombreuses activités,
les produits intelligents connectés engendrent également de nouveaux types de menaces de substitution,
notamment lorsque l’éventail des capacités du produit englobe celles de produits classiques. Par
exemple, l’appareil de fitness portable de Fitbit, qui
recueille plusieurs types de données relatives à la
santé, dont les niveaux d’activité et la façon de dormir, vient se substituer à des équipements traditionnels comme les montres de course et les podomètres.
Les nouveaux business models qui émergent avec
les produits intelligents connectés peuvent venir remplacer ceux basés sur la propriété du produit, ce qui
en réduit la demande dans son ensemble. En effet, les
modèles de « produit en tant que service » permettent
aux utilisateurs d’avoir entièrement accès à un produit, mais de ne payer que pour l’usage qu’ils en font.
L’une des variantes de ce modèle se trouve dans le
modèle d’utilisation partagée. Zipcar, par exemple,
fournit à ses usagers un accès à des véhicules en temps
réel, au moment et à l’endroit où ils en ont besoin.
Cette approche remplace la possession d’une voiture
et a encouragé les constructeurs automobiles traditionnels à s’introduire sur ce marché avec des offres
telles que RelayRides de GM, DriveNow de BMW et
Dash de Toyota.
Un autre exemple est celui des vélos partagés, que
l’on voit apparaître dans de plus en plus de villes. Une
application pour smartphone montre la localisation
des stations où les vélos peuvent être empruntés et
déposés. Les utilisateurs sont suivis et le montant
­correspondant au temps d’utilisation du vélo leur est
facturé. Une utilisation partagée diminue clairement
le besoin de posséder un vélo pour les résidents urbains, mais elle peut encourager plus de personnes
vivant en ville à les utiliser puisqu’elles n’ont plus à se
VIDÉO Pour une étude de
cas filmée sur la manière
dont les produits intelligents
connectés d’exploitation
minière de Joy Global ont
transformé les performances
minières, rendez-vous
sur https://hbr.org/
video/3819456791001/
smart-connected-mining
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 12
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
CARTOGRAPHIER L’IMPACT SUR LA CONCURRENCE
Cet article constitue
le premier d’une série
qui en comporte deux
et dans laquelle nous
étudions la manière
dont les produits
intelligents connectés
font évoluer la
concurrence dans de
nombreux secteurs.
Aussi est-il essentiel
que les entreprises se
posent les questions
de fond suivantes :
1 Quelle influence les
produits intelligents
connectés ont-ils sur la
structure du secteur et sur
son périmètre ?
2 Quelle influence les
produits intelligents
connectés ont-ils sur la
configuration de la chaîne
de valeur ou sur l’ensemble
des activités impliquées
dans le jeu de la
concurrence ?
3 Quelles nouvelles formes
de décisions stratégiques
les produits intelligents
connectés obligeront-ils
les entreprises à prendre
afin d’établir un avantage
concurrentiel ?
4 Quelles sont les
implications
organisationnelles
lorsqu’on fait le choix de
s’engager dans l’aventure
de ce nouveau type de
produits et quelles sont
les difficultés susceptibles
d’affecter la réussite
de sa mise en œuvre ?
soucier ni de l’achat ni d’un emplacement où le garer.
Ces vélos partagés, pratiques, sont non seulement
un substitut aux vélos personnels mais éventuellement aux voitures et à d’autres formes de transports
urbains. C’est l’intelligence et la connectivité de cette
approche qui rend tout à fait possible sa substitution
à la pleine propriété.
Le pouvoir de négociation des fournisseurs.
Les produits intelligents connectés ébranlent les relations traditionnelles avec les fournisseurs et redis­
tribuent les pouvoirs de négociation. A mesure que
les composants intelligents et la connectique des
­produits apportent plus de valeur aux composants
physiques, ces derniers peuvent être banalisés, voire
remplacés à terme par des logiciels. En outre, les
­logiciels réduisent le besoin d’adaptation physique et
donc le nombre des divers composants physiques.
Généralement, l’importance des fournisseurs dans
le coût total du produit décline et il en est de même de
leur pouvoir de négociation.
Cependant, les produits intelligents connectés
entraînent aussi souvent l’apparition de nouveaux
fournisseurs dont les fabricants n’avaient jusqu’ici
jamais eu besoin : les fournisseurs de capteurs, de
­logiciels, de connectique, de systèmes d’exploitation
intégrés, de stockage de données, de traitements
­analytiques et d’autres éléments de l’empilement de
technologies. Certains d’entre eux, comme Google,
Apple et AT & T, sont des géants dans leur secteur. Ils
possèdent les talents et les capacités dont la plupart
des fabricants n’avaient historiquement pas besoin
mais qui deviennent aujourd’hui des éléments
de ­différenciation et des postes de coût essentiels.
Le pouvoir de négociation de tels fournisseurs peut se
révéler très élevé, ce qui leur permet de s’arroger une
13 Harvard Business Review Avril-mai 2015
Dans cet article, nous
étudions l’influence des
produits intelligents
connectés sur la structure
des secteurs et leur périmètre,
puis nous nous penchons
sur les nouvelles décisions
stratégiques auxquelles les
entreprises sont confrontées.
Dans le deuxième volet
(à paraître dans un prochain
numéro d’HBR), nous
étudierons leur influence sur
la chaîne de valeur et les
questions organisationnelles
qu’ils soulèvent.
(PTC fait du business avec plus de 28 000
entreprises à travers le monde, certaines
étant mentionnées dans cet article.)
plus grande part de la valeur du produit et de réduire
la rentabilité des fabricants.
Un bon exemple de ce nouveau genre de fournisseurs est l’Open Automotive Alliance, une plateforme
commune dans laquelle General Motors, Honda, Audi
et Hyundai ont récemment allié leurs forces afin
­d’utiliser le système d’exploitation Android de Google
dans leurs véhicules. Les équipementiers du secteur
automobile n’avaient pas les capacités spécifiques
nécessaires au développement d’un système d’exploitation embarqué robuste permettant de proposer une
expérience utilisateur hors pair tout en permettant à
un écosystème de développeurs de construire des
applications. Le pouvoir des équipementiers traditionnels se trouve sérieusement diminué par rapport
à des fournisseurs tels que Google, qui disposent non
seulement de ressources et d’un niveau d’expertise
importants, mais aussi d’une marque grand public
forte et d’un grand nombre d’applications connexes
(par exemple, les clients peuvent préférer une voiture
capable de se synchroniser avec leur smartphone, leur
musique, leurs applis).
Les nouveaux fournisseurs liés à l’empilement de
technologies des produits intelligents connectés
­profitent aussi parfois d’un pouvoir plus grand du fait
de leur rapport aux utilisateurs finaux et de leur accès
aux données d’utilisation du produit. A mesure que les
fournisseurs recueillent celles-ci auprès des utilisateurs, ils sont en mesure de leur proposer de nouveaux
services, comme l’a fait GE avec Alitalia.
Nouveaux périmètres sectoriels
et systèmes de systèmes
La puissance des capacités des produits intelligents
connectés redéfinit non seulement la concurrence au
HBRFRANCE.FR
sein d’un secteur mais peut aussi aller jusqu’à en redéfinir la nature même. Le périmètre concurrentiel d’un
secteur d’activité s’élargit pour englober des gammes
de produits apparentés qui, ensemble, répondent à un
besoin sous-jacent plus large. Les fonctions d’un produit sont optimisées par leur connection avec d’autres
produits. Par exemple, intégrer des équipements agricoles intelligents et connectés – tels que des tracteurs,
des bineuses et des planteuses – peut permettre
d’améliorer les performances des équipements dans
leur ensemble.
La base même de la concurrence glisse donc de la
fonctionnalité d’un produit distinct vers les performances d’un système de produits plus large, dont
l’entreprise n’est qu’un acteur. Un fabricant peut
­maintenant proposer une offre groupée de plusieurs
équipements connectés avec les services connexes
destinés à optimiser le résultat final. Ainsi, si l’on reprend l’exemple de l’exploitation agricole, le secteur
s’étend de la fabrication de tracteurs à l’optimisation
des ­équipements agricoles. Dans le cas de l’exploitation ­minière, Joy Global a évolué, de l’optimisation des
­performances d’équipements pris individuellement
à l’optimisation de l’ensemble des équipements
­déployés dans la mine. Le périmètre du secteur s’est
élargi, partant d’engins miniers séparés pour aboutir à
des systèmes d’équipement minier.
De plus en plus fréquemment, cependant, les
­limites d’un secteur s’étendent encore au-delà des
­systèmes de produits, jusqu’à des systèmes de systèmes – c’est-à-dire un ensemble de systèmes de produits tout à fait différents associés à des informations
­externes pouvant être coordonnées et optimisées,
comme dans le cas d’un bâtiment intelligent, d’une
maison intelligente ou d’une ville intelligente. John
Deere et AGCO, par exemple, ont entrepris de relier
non seulement les machines agricoles entre elles mais
aussi les systèmes d’irrigation, le sol et les sources de
nutriments, à quoi s’ajoutent les informations relatives
à la météo, au prix des produits récoltés et au cours des
matières premières, afin d’optimiser les p
­ erformances
de l’exploitation dans son ensemble. Les maisons
­intelligentes, qui impliquent plusieurs systèmes de
produits, dont l’éclairage, le chauffage et la climati­
sation, les divertissements et la sécurité, en sont un
autre exemple. Les entreprises dont les p
­ roduits et la
conception ont le plus d’impact sur la performance
totale du système seront les mieux ­placées pour diriger
le processus et en tirer une valeur démesurée.
Certaines entreprises – comme John Deere, AGCO
et Joy Global – cherchent délibérément à étendre et à
redéfinir leurs activités. D’autres peuvent se trouver
menacées par cette évolution qui génère de nouveaux
concurrents, un nouveau champ concurrentiel et la
nécessité de disposer de capacités entièrement nouvelles et élargies. Les sociétés qui ne s’adaptent pas
risquent de voir leurs produits traditionnels banalisés
ou d’être reléguées à un rôle de fournisseur d’équipementiers, contrôlé par les intégrateurs de systèmes.
L’effet qu’auront précisément les produits intel­
ligents connectés sur la structure de l’activité sera
­variable d’un secteur à l’autre, mais certaines tendances semblent claires.
Tout d’abord, l’élévation des barrières à l’entrée,
­associée à l’avantage d’être la première entreprise sur
le marché – avantage procuré par une accumulation et
une analyse anticipée des données d’utilisation du
produit –, indique que de nombreux secteurs devront
fusionner.
Ensuite, la contrainte des fusions sera amplifiée
dans les secteurs dont le périmètre s’élargit. Dans de
tels cas, les fabricants monoproduit auront du mal à
concurrencer les entreprises multiproduits, capables
d’optimiser les performances produits à travers des
systèmes plus étendus.
Enfin, il est probable que de nouveaux entrants
importants émergent, car les e
­ ntreprises qui ne sont
pas entravées par un héritage identitaire ou figées
dans une approche concurrentielle, et qui, de surcroît,
n’ont pas à défendre une source de profits déjà établie,
saisiront les opportunités d’exploiter pleinement le
potentiel des produits intelligents connectés afin de
créer de la valeur. ­Certaines de ces stratégies seront
d’ailleurs « sans ­produit », c’est le système qui relie les
produits – et non les produits par eux-mêmes – qui
constituera l’avantage principal.
Produits intelligents connectés
et avantages concurrentiels
Comment les entreprises peuvent-elles s’assurer un
avantage concurrentiel durable dans une structure
sectorielle mouvante ? Les principes fondamentaux
de la stratégie continuent de s’appliquer. Pour acquérir un avantage concurrentiel, une entreprise doit être
capable de se différencier afin de pouvoir imposer un
prix plus élevé, ou de produire à un coût inférieur à
celui de ses rivaux, voire les deux. Ceci permet de
dégager une rentabilité et une croissance supérieures
à la moyenne du secteur.
L’efficacité opérationnelle (EO) constitue la base
de tout avantage concurrentiel. L’EO nécessite l’application des meilleures pratiques dans l’ensemble
de la chaîne de valeur, qui englobe les technologies
­récentes, les derniers équipements en matière de
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 14
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
­ roduction, ainsi que des méthodes de pointe dans
p
la vente, les solutions informatiques et la gestion de
la chaîne logistique.
C’est dans l’efficacité opérationnelle que réside
l’enjeu principal. Si une entreprise ne fonctionne pas
de manière efficace et n’applique pas systématiquement les meilleures pratiques, elle perdra du terrain
sur ses concurrents en matière de coûts et de qualité.
Pourtant, l’EO constitue rarement la source d’un
avantage concurrentiel durable, car les concurrents
mettront les mêmes pratiques en œuvre et finiront
par s’aligner.
Pour aller au-delà de l’efficacité opérationnelle,
une entreprise doit définir un positionnement stratégique distinct. Là où l’EO consiste à faire les choses
bien, le positionnement stratégique consiste à les faire
différemment. Une entreprise doit choisir la manière
dont elle proposera une valeur unique à l’ensemble
des clients à qui elle choisit de s’adresser. Une stratégie nécessite des compromis : il ne s’agit pas seulement de décider de ce qu’il faut faire, mais aussi de ce
qu’il ne faut pas faire.
Les produits intelligents connectés définissent
de nouvelles normes d’efficacité opérationnelle et
­relèvent considérablement le niveau en termes de
­meilleures pratiques. Toutes les entreprises devront
décider comment intégrer les capacités de produits
intelligents et connectés dans leurs propres produits.
Mais le produit ne sera pas le seul à être affecté.
Comme nous l’avons vu plus haut, l’évolution vers
les produits intelligents connectés implique aussi
la ­c réation de nouvelles meilleures pratiques pour
­l’ensemble de la chaîne de valeur.
Ce point spécifique sera développé dans un article
ultérieur (voir « Cartographier l’impact sur la concurrence »). Ici, nous allons examiner rapidement l’impact
qu’ont les produits intelligents connectés sur la
conception du produit, les services, le marketing, les
ressources humaines et la sécurité, dans la mesure où
l’évolution de ces fonctions internes a souvent une
influence directe sur les décisions stratégiques.
Conception. Les produits intelligents connectés
requièrent un ensemble de principes de conception
tout à fait nouveaux, comme des concepts permettant d’établir la standardisation du matériel à travers
une adaptation qui s’appuie sur les logiciels, des
concepts permettant la personnalisation, des
concepts intégrant la possibilité de réaliser des améliorations produits en continu, et des concepts permettant un service de prévisions, perfectionné ou à
distance. Des compétences pointues en ingénierie
des systèmes et en méthodes de développement de
15 Harvard Business Review Avril-mai 2015
Tesla
Un véhicule Tesla ayant
besoin d’une réparation
peut appeler de manière
autonome une action
corrective par le biais du
téléchargement d’un logiciel
ou bien, si nécessaire,
envoyer une notification au
client lui proposant qu’un
voiturier vienne chercher
le véhicule afin de l’amener
dans un centre Tesla.
logiciels agiles sont essentielles à l’intégration d’un
produit matériel et de son électronique, de ses logiciels, de son système d’exploitation et de sa connectique – autant de champs d’expertise qui ne sont pas
si fréquents chez de nombreux fabricants. Les processus de développement de produit devront également
savoir s’adapter de manière rapide et efficace à des
changements de conception qui interviennent à des
étapes tardives, voire après la vente. Les entreprises
devront harmoniser les rythmes intrinsèquement différents du développement du matériel et des logiciels, une équipe développant un logiciel doit pouvoir
générer jusqu’à dix itérations d’une application dans
le même intervalle de temps que celui nécessaire à la
création d’une seule nouvelle version du matériel sur
lequel elle fonctionne.
Service après-vente. Les produits intelligents
connectés offrent des progrès importants en termes
de maintenance préventive et d’efficacité de l’entretien. De nouvelles organisations et de nouveaux processus sont nécessaires pour profiter des données
produit susceptibles de révéler des problèmes existants ou imminents et de permettre aux entreprises
de réaliser des réparations rapides, et parfois à distance. Les données d’utilisation et de performance
en temps réel ­favorisent les réductions des coûts de
déploiement sur le terrain et un gain significatif dans
la gestion des stocks de pièces détachées. Les alertes
anticipées de défaillance imminente sur une pièce ou
un composant peuvent réduire les pannes et permettre une planification de l’entretien plus efficace.
Les données relatives à l’utilisation et aux performances du produit peuvent permettre un retour
concernant la conception du produit, de sorte que les
entreprises puissent à l’avenir réduire les dysfonctionnements et ajuster de manière plus efficace les services qui y sont associés. Les données d’utilisation du
produit peuvent aussi servir à valider des demandes
relatives à la garantie ou à identifier d’éventuels
­non-respects des conditions de cette dernière.
Dans certains cas, les entreprises peuvent diminuer les coûts d’entretien en remplaçant des pièces
physiques par des « pièces logicielles ». Par exemple,
les affichages LCD en verre des cockpits dans les
avions modernes, qui peuvent être réparés ou mis à
jour par l’intermédiaire de logiciels, ont remplacé les
jauges et les cadrans mécaniques et électriques. Les
données d’utilisation du produit permettent également aux entreprises d’opter pour une meilleure
« conception pour l’entretien » – c’est-à-dire de r­ éduire
la complexité ou de repenser la disposition de pièces
sujettes aux pannes afin de simplifier les ­réparations.
HBRFRANCE.FR
Toutes ces opportunités modifient considérablement les activités de services au sein de la chaîne
de valeur.
Marketing. Les produits intelligents connectés
permettent aux entreprises d’établir de nouvelles
formes de relations avec leurs clients, ce qui nécessite
un nouvel éventail de pratiques et de compétences
marketing. A mesure que les entreprises accumulent
et analysent les données d’utilisation du produit,
elles acquièrent une connaissance plus fine de la
­manière dont ce dernier crée de la valeur pour les
clients, ce qui en retour permet d’affiner le positionnement des offres et de proposer une communication
plus claire des avantages du produit auprès des
clients. Grâce aux outils de traitement analytique, les
entreprises peuvent segmenter leurs marchés de
­m anière plus sophistiquée afin de proposer des
­produits et services packagés sur-mesure apportant
plus de valeur à chaque segment, avec un prix qui
aura été déterminé afin de saisir une plus grande part
de cette valeur. Cette approche est particulièrement
pertinente quand les produits peuvent être adaptés
rapidement et efficacement avec un coût marginal
peu élevé grâce à des modifications des logiciels (par
opposition à des modifications du matériel). Par
exemple, John Deere, qui, avant, produisait plusieurs
moteurs de différents niveaux de puissance destinés
à différents segments de clientèle, peut aujourd’hui
modifier le niveau de puissance sur un même moteur
simplement à partir d’un logiciel.
Ressources humaines. Les produits intelligents
connectés engendrent de nouvelles exigences et de
nouveaux enjeux en termes de ressources humaines.
Le plus urgent concerne le besoin de recruter de nouveaux panels de compétences, dont beaucoup sont
très demandées. Les services d’ingénierie, dont le
personnel est traditionnellement constitué d’ingénieurs en mécanique, doivent intégrer des talents
spécialistes du développement de logiciels, d’ingénierie des systèmes, du cloud, du traitement analytique
du big data et d’autres domaines encore.
Sécurité. Les produits intelligents connectés
­nécessitent une gestion solide de la sécurité afin de
protéger les données circulant depuis, vers et entre les
produits, de protéger les produits contre des utilisations non autorisées et de sécuriser l’accès entre
­l’empilement de technologies du produit et d’autres
systèmes de l’entreprise. Cela demande de nouveaux
processus d’authentification, des stockages sécurisés
de données produit, des mesures de protection contre
les hackers aussi bien pour les données produits que
pour les données clients, une définition et un contrôle
des autorisations d’accès, et des mesures de pro­
tection pour les produits eux-mêmes vis-à-vis des
­hackers et des utilisations non autorisées.
Implications stratégiques
Au final, le chemin d’un avantage concurrentiel passe
toujours par la stratégie. Nos travaux de recherche
révèlent que, dans un monde intelligent et connecté,
les entreprises doivent faire face à dix nouveaux choix
stratégiques. Chacun implique des compromis et doit
refléter la situation particulière de l’entreprise. Ces
choix sont aussi interdépendants ; ils doivent se
­renforcer mutuellement et définir un positionnement
stratégique global cohérent pour l’entreprise.
Quel éventail de caractéristiques et de
c­ apacités une entreprise devrait-elle envisager pour ses produits intelligents connectés ?
1
Les produits intelligents connectés étendent radicalement la gamme de possibilités et de caractéristiques
potentielles pour les produits. Les entreprises
peuvent être tentées d’ajouter autant d’options que
possible, surtout au regard du coût marginal relativement bas de l’adjonction de capteurs supplémentaires
ou de nouvelles applications, et des coûts essentiellement fixes du cloud de produit et des autres infrastructures. Mais ce n’est pas parce qu’une entreprise
peut offrir un grand nombre de nouvelles possibilités
que la ­valeur du ­produit aux yeux des clients en dépasse le coût. Et lorsque les entreprises se lancent
dans une surenchère de fonctionnalités et de capacités, elles finissent par brouiller les différences stratégiques, et créer une compétition à somme nulle.
Comment une entreprise devrait-elle décider
quelles caractéristiques intelligentes connectées
­proposer ? Tout d’abord, elle doit choisir celles qui
apporteront une valeur réelle au client par rapport à
leur coût. Dans le secteur des chauffe-eau à usage
domestique, A.O. Smith a développé des capacités de
détection et de notification des dysfonctionnements,
mais les chauffe-eau ont une telle longévité et une
telle fiabilité que peu de foyers sont prêts à payer un
prix qui justifierait le coût de ce genre d’option. En
conséquence, A.O. Smith ne les propose qu’avec une
sélection restreinte de modèles. A contrario, pour les
chaudières et chauffe-eau à usage commercial, de
telles possibilités sont appréciées et de plus en plus
demandées. La valeur que représentent un suivi et
une gestion à distance pour des clients professionnels,
dont les activités ne peuvent pas fonctionner sans
chauffage ou sans eau chaude, est élevée par rapport
au coût que cela représente, et de telles fonctionnali-
Joy Global
Les équipements miniers
intelligents et connectés
tels que cette haveuse pour
longue taille se coordonnent
en toute autonomie avec
d’autres appareils afin
d’améliorer l’efficacité de
l’exploitation.
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 16
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
Babolat
Le système Play Pure Drive
de Babolat intègre des
capteurs et des composants
de connectivité dans
la poignée d’une raquette
de tennis, ce qui permet
aux utilisateurs de suivre
et d’analyser la vitesse
des balles, leurs effets et
les points d’impact afin
d’améliorer leur jeu.
tés sont donc en passe de devenir la norme – sachant
que le coût d’incorporation d’éléments intelligents
et connectés dans les produits tendra à diminuer dans
le temps, comme c’est le cas pour les chaudières et
les chauffe-eau. Aussi, lorsqu’elles décident quelles
caractéristiques proposer, les entreprises doivent
constamment revoir l’équation de valeur.
Ensuite, la valeur des caractéristiques ou des capacités est amenée à varier selon les segments de marché
et, en conséquence, la sélection offerte dépendra du
segment sur lequel l’entreprise choisit de se positionner. Schneider Electric, par exemple, propose des produits de construction et des solutions de gestion de
bâtiment intégrées qui recueillent de grands volumes
de données concernant la consommation d’énergie et
d’autres mesures des performances d’un bâtiment.
Pour un de ses segments de clientèle, les solutions de
Schneider impliquent un suivi à distance des équipements, des alertes et des services de conseil sur la
­réduction des consommations énergétiques ou sur
d’autres postes de coûts. Par contre, pour un autre
segment de clients souhaitant une solution de soustraitance complète, Schneider prend le contrôle à
­d istance des équipements afin de minimiser la
consommation d’énergie pour le compte du client.
Enfin, une entreprise devrait intégrer les capacités
et caractéristiques qui lui permettent de consolider
son positionnement vis-à-vis de la concurrence. Une
entreprise ayant opté pour une stratégie haut de
gamme a généralement la possibilité de renforcer son
axe de différenciation par un éventail d’options
­sophistiquées, tandis qu’une société au positionnement low-cost peut choisir de n’incorporer que les
caractéristiques les plus basiques ayant un impact sur
les performances principales tout en réduisant les
coûts d’exploitation. Par exemple, la division chaudières Lochinvar d’A.O. Smith, dont la stratégie s’articule autour d’une différenciation prononcée, a choisi
d’établir une nouvelle norme pour le cœur de son activité en intégrant systématiquement des éléments intelligents et connectés dans ses produits. A contrario,
le fabricant de montres de luxe Rolex a décidé que
l’univers des montres intelligentes connectées ne
constituait pas un domaine dans lequel il souhaitait
entrer en lice.
Quelle part des fonctionnalités devrait être
intégrée dans le produit et quelle part dans
le cloud ? Une fois que l’entreprise a choisi quelles
2
capacités proposer, elle doit décider si les technologies de chaque fonctionnalité devraient être intégrées
dans le produit (ce qui en augmente le coût unitaire)
17 Harvard Business Review Avril-mai 2015
ou apportées par l’intermédiaire du cloud, ou les
deux. Outre les coûts, un certain nombre de facteurs
devraient être pris en considération.
Temps de réponse. Une fonctionnalité nécessitant
un temps de réponse rapide, comme un arrêt en urgence par mesure de sécurité dans une centrale nucléaire, implique obligatoirement que le logiciel soit
intégré dans le produit physique. Cela réduit aussi le
risque d’allongement du temps de réponse dû à une
perte ou un défaut de connectivité.
Automatisation. Les produits intégralement automatisés, tels les systèmes de freinage antiblocage,
nécessitent en principe que la plus grande part des
fonctionnalités soit intégrée dans l’appareil.
Disponibilité, fiabilité et sécurité du réseau. Incorporer les logiciels dans le produit évite de dépendre
du réseau et limite la quantité de données circulant
entre le produit et les applications situées dans le
cloud. Cela réduit le risque que des données sensibles
ou confidentielles soient mises en danger au cours de
la transmission.
Lieu d’utilisation du produit. Les entreprises utilisant des produits dans des lieux éloignés ou dangereux peuvent atténuer les dangers et les coûts relatifs
à de telles situations en hébergeant les fonctionnalités
dans le cloud de produit. Comme nous l’avons vu précédemment, les analyseurs de produits chimiques
Thermo Fisher, utilisés dans des environnements
dangereux ou toxiques, ont des capacités situées dans
le cloud et une connectivité permettant la transmission instantanée des données de contamination, ce
qui favorise la mise en œuvre immédiate d’actions de
prévention.
Nature de l’interface utilisateur. Si l’interface utilisateur est complexe et amenée à changer fréquemment, il convient de la placer dans le cloud. Le cloud
offre en effet la possibilité de proposer une expérience
utilisateur bien plus riche tout en tirant éventuellement parti d’une interface utilisateur solide, existante
et familière, tel un smartphone.
Fréquence des opérations d’entretien ou des améliorations du produit. Les applications et les inter-
faces basées sur le cloud permettent aux entreprises
de réaliser facilement, voire automatiquement, des
changements ou des améliorations.
Le fabricant d’équipements audio domestiques,
Sonos, pionnier dans les produits intelligents connectés, profite des capacités que lui ouvre le cloud pour
« réinventer les systèmes audio de la maison à l’ère du
numérique », et met en avant l’aspect pratique, le
choix musical et la facilité d’utilisation. Les systèmes
sans fil de Sonos placent aussi bien la source musicale
HBRFRANCE.FR
que l’interface utilisateur dans le cloud, ce qui permet
à la marque d’épurer le design de ses produits physiques : l’appareil, portable, contrôlé depuis un smartphone, ne contient que l’ampli et le haut-parleur. Avec
une telle offre, Sonos cherche à révolutionner le marché de la hi-fi domestique. La contrepartie ? Le son des
systèmes audio sans fil diffusant de la musique en
streaming n’a pas le niveau de qualité qu’exigent les
vrais mélomanes. Les concurrents comme Bose feront
d’autres choix, et d’autres compromis, pour asseoir
leur stratégie de différenciation.
Nous pensons que, à mesure que les produits intelligents connectés évoluent, plus de possibilités d’interface homme-machine pourraient migrer du produit vers le cloud. Cependant, le niveau de complexité
d’utilisation de ces interfaces augmentera, à tel point
que cela risque de dépasser les utilisateurs et d’entraîner un retour de manivelle. Ce qui pourrait alors amener les entreprises à réinstaurer des interfaces plus
simples et plus faciles d’utilisation pour certaines
fonctions de base, y compris, par exemple, les commandes on/off.
3
L’entreprise devrait-elle envisager un
s­ ystème ouvert ou un système fermé ? Les
produits intelligents connectés impliquent divers
types de fonctionnalités et de services, et constituent
souvent des systèmes englobant plusieurs produits.
Une approche en système fermé vise à faire en sorte
que les clients achètent l’intégralité du système de
produits intelligents connectés auprès d’un seul fabricant. Les interfaces clés sont des interfaces propriétaires et seuls des partenaires autorisés peuvent y accéder. Les données opérationnelles que GE collecte
grâce à ses moteurs d’avion, par exemple, sont exclusivement mises à la disposition des compagnies
­aériennes qui utilisent les moteurs en question. A
contrario, un système ouvert permet au client final
d’assembler lui-même les différentes parties d’une
solution – aussi bien les produits concernés que la plateforme qui reliera l’ensemble du système – en se les
procurant auprès de plusieurs entreprises différentes.
Ici, les interfaces d’accès à chaque partie du système
sont ouvertes ou standardisées, ce qui autorise un
acteur externe à créer de nouvelles applications.
Les systèmes fermés créent un avantage concurrentiel dans la mesure où ils permettent à l’entreprise
de contrôler et d’optimiser la conception de chacune
des parties du système les unes par rapport aux autres.
L’entreprise garde la mainmise sur les technologies et
les données ainsi que sur la direction du développement du produit et de son cloud. Les fabricants de
Ralph
Lauren
Le Polo Tech de Ralph
Lauren envoie en streaming
la distance parcourue, les
calories brûlées, l’intensité
des mouvements, le rythme
cardiaque et d’autres
données sur le mobile de
l’utilisateur.
composants du système ne peuvent pas y accéder ou
doivent obtenir expressément le droit d’y intégrer
leurs produits. Une approche fermée peut se traduire
par le fait que le système d’un fabricant devient de
facto la norme du secteur, ce qui permet à l’entreprise
de s’attribuer une valeur maximale.
Une approche fermée nécessite des investissements conséquents et est optimale lorsqu’un seul
­fabricant possède une position dominante dans le
­secteur, sur laquelle il peut s’appuyer afin de contrôler
l’approvisionnement des différentes parties du
­système. Si Philips Healthcare ou GE Healthcare était,
l’un ou l’autre, le fabricant dominant d’équipements
d’imagerie médicale, par exemple, cela entraînerait
une approche fermée dans laquelle l’un pourrait
­imposer aux hôpitaux des systèmes d’imagerie médicale n’incluant que ses propres équipements ou éventuellement ceux de ses partenaires. Cependant,
comme ni l’une ni l’autre de ces entreprises n’a cette
position de force qui restreint le choix des hôpitaux,
elles proposent toutes deux, pour leurs systèmes
d’imagerie, des plateformes pouvant être reliées à des
machines produites par d’autres fabricants.
Un système entièrement ouvert permet à n’importe quelle entité d’y participer et d’interagir avec
lui. Lors du lancement des ampoules intelligentes
connectées Hue, par exemple, Philips Lighting a intégré une application simple pour smartphone, permettant aux utilisateurs de contrôler séparément la couleur et l’intensité de chaque ampoule. Philips publia
également l’interface de programmation de l’application, à partir de laquelle des développeurs indé­
pendants lancèrent des dizaines d’applications, qui
élargirent le champ d’utilisation des ampoules Hue,
ce qui eut pour effet d’en stimuler les ventes. Une
­approche ouverte favorise un développement des
applications et des innovations système plus rapides
dans la mesure où plusieurs entités y contribuent. Elle
peut aussi se traduire par une norme de facto du
­secteur mais, cette fois-ci, l’entreprise n’en retirera
pas les avantages propriétaires.
Si un système fermé s’avère possible pour des
­systèmes de produits individuels, il est souvent peu
­pratique pour les systèmes de systèmes. Whirlpool,
par exemple, constate que sa position de leader dans
le domaine des appareils ménagers ne sera pas suffisante pour en faire aussi un leader dans les maisons
connectées, qui comprennent non seulement de
l’électroménager connecté mais aussi des éclairages
automatisés, ainsi que des systèmes de chauffage et de
climatisation, de divertissement et de sécurité. C’est
pour cela que Whirlpool conçoit ses équipements afin
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 18
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
qu’ils puissent instantanément être reliés à une
gamme de systèmes domotiques présents sur le
­marché, en ne cherchant à garder son contrôle propriétaire que sur les caractéristiques de ses propres
produits. On peut voir des approches hybrides, dans
lesquelles un sous-ensemble de fonctionnalités est
ouvert tandis que l’entreprise garde le contrôle sur
l’accès à l’étendue complète des possibilités, dans des
secteurs tels que celui des équipements médicaux, où
les fabricants adoptent une interface standard pour
le secteur mais proposent plus de fonctionnalités à
leurs clients. A terme, les approches fermées deviendront plus d
­ ifficiles dans la mesure où les technologies
­seront plus répandues et où les clients seront réfractaires à ce qu’on limite leurs choix.
4
L’entreprise devrait-elle développer la totalité des fonctionnalités et des infrastructures relatives aux produits intelligents connectés en interne, ou devrait-elle en sous-traiter
une partie auprès de fournisseurs et de partenaires ? Mettre en place l’empilement de techno­
logies pour les produits intelligents connectés nécessite des investissements importants dans un ensemble
de compétences, de technologies et d’infrastructures
spécialisées que l’on trouve peu fréquemment dans
les entreprises industrielles. En outre, une grande partie de ces compétences sont rares et très demandées.
Une entreprise doit choisir quelles couches de
technologies développer et garder en interne, et celles
qu’il convient de sous-traiter à des fournisseurs ou à
des partenaires. Ensuite, dans le choix de partenaires
externes, elle doit décider si elle opte pour le développement de solutions personnalisées sur mesure ou
pour l’acquisition des meilleures licences standards à
chaque niveau. Nos travaux de recherche indiquent
que les entreprises les plus prospères combinent
­judicieusement les deux.
Les entreprises qui développent des produits intelligents connectés en interne intègrent des compétences et des infrastructures clés, et gardent plus de
contrôle sur les caractéristiques, les fonctionnalités et
les données produit. Elles peuvent aussi s’attribuer
l’avantage d’être la première entreprise sur le marché,
ce qui leur donne les moyens d’influencer la direction
que prendra le développement de la technologie. Elles
suivront leur propre courbe d’apprentissage, plus ardue, ce qui pourra les aider à entretenir leur avantage
concurrentiel. Par exemple, alors que les compétences
relatives aux logiciels sont peu développées dans la
plupart des entreprises industrielles, Jeff Immelt a
­affirmé récemment : « Toutes les entreprises indus19 Harvard Business Review Avril-mai 2015
Sonos
Les systèmes audio sans
fil de l’entreprise placent
l’interface utilisateur dans
le cloud, ce qui permet
de contrôler l’appareil
depuis un smartphone.
trielles vont devenir des éditeurs de logiciels. » La nature des technologies qui entrent en jeu dans les produits intelligents connectés explique clairement
pourquoi cela pourrait bien devenir réalité et pourquoi il est crucial de construire ses propres capacités
informatiques en interne.
C’est pour ces raisons que les pionniers de la
­première heure, AGCO et John Deere, ont tous deux
essentiellement choisi l’option interne pour développer des machines agricoles intelligentes. GE, pour
sa part, a ouvert un grand centre de développement
­informatique afin de disposer des capacités internes
que le groupe considère comme stratégiques pour
toutes ses unités opérationnelles.
Cependant, comme cela a été le cas avec les deux
vagues informatiques précédentes, la difficulté, les
compétences, le temps et les coûts qu’implique la
construction d’un empilement de technologies
­complet pour les produits intelligents connectés sont
titanesques et mènent à une spécialisation pour chacune des couches. Tout comme Intel s’est spécialisé
dans les microprocesseurs et Oracle dans les bases
de données, de nouvelles sociétés spécialisées dans
les composants de l’empilement de technologies
des produits intelligents connectés émergent déjà,
et leurs investissements technologiques sont amortis
sur ­plusieurs milliers de clients. Les précurseurs qui
optent pour un développement en interne risquent
de surestimer leur aptitude à maintenir leur avance et
de finir par ralentir leur cadence de développement.
Mais la sous-traitance peut devenir une nouvelle
source de coûts, dans la mesure où les fournisseurs et
les partenaires exigent une part plus importante de la
valeur créée. Les entreprises qui dépendent de partenaires compromettent également leur capacité à se
différencier quand elles avancent, leur capacité à
construire et à garder en interne le type d’expertise
nécessaire pour définir la stratégie de conception du
produit dans son ensemble, ainsi que pour gérer
­l’innovation et bien choisir ses fournisseurs.
Lorsqu’elles font le choix d’options internes plutôt
qu’externes, les entreprises devraient identifier les
couches de technologies qui leur ouvrent le plus
­d’opportunités en matière de maîtrise du produit,
d’innovations futures et d’avantage concurrentiel, et
sous-traiter celles plus susceptibles de devenir génériques ou d’avancer trop rapidement. Par exemple, la
plupart des entreprises devraient entretenir des capacités internes solides dans des domaines tels que la
conception du produit, l’interface utilisateur, l’ingénierie des systèmes, l’analyse des données et le développement rapide d’applications.
HBRFRANCE.FR
Ces choix seront amenés à évoluer dans le temps.
Dans les premiers stades de développement des technologies des produits intelligents connectés, le
nombre de fournisseurs compétents et solides étant
limité, les entreprises étaient obligées d’opter pour un
développement en interne ou sur mesure. Mais on
voit déjà émerger des fournisseurs de référence proposant des solutions de connectivité et des clouds
clés en main, des plateformes d’applications haute
performances sécurisées et des outils de traitement
analytique du big data prêts à l’usage. Il est de ce fait
d’autant plus difficile pour les initiatives internes de
garder le rythme et cela peut transformer une avance
initiale en véritable handicap.
5
Quelles données l’entreprise doit-elle recueillir, sécuriser et analyser afin d’optimiser la valeur de son offre ? Les données produit
sont essentielles à la création de valeur et à la définition d’un avantage concurrentiel dans l’univers des
produits intelligents connectés. Mais la collecte de
données nécessite des capteurs, qui viennent ajouter
au coût du produit, ce qui est aussi le cas de la transmission, du stockage, de la sécurisation et de l’analyse
de ces données. Les entreprises peuvent aussi se trouver dans l’obligation d’obtenir les droits relatifs à ces
données – éléments de coût et de complexité supplémentaires. Afin de déterminer le type de données apportant suffisamment de valeur par rapport aux coûts
qu’elles impliquent, l’entreprise doit prendre en considération les questions suivantes : en quoi chaque type
de données crée-t-il une valeur tangible en termes de
fonctionnalité ? En termes d’efficacité de la chaîne de
valeur ? Les données vont-elles aider l’entreprise à
améliorer la manière dont le système de produits se
comporte au fil du temps ? A quelle fréquence faut-il
collecter les données pour optimiser leur utilité et
combien de temps devrait-on les garder ?
Les entreprises doivent aussi se pencher sur les
questions des risques relatifs à l’intégrité du produit, à
la sécurité et au respect de la vie privée pour chaque
type de données, avec les coûts que cela représente.
Moins les données recueillies par une entreprise sont
sensibles, moins il y a de risques de brèches ou de
­perturbations dans les transmissions. Lorsque les
­exigences de sécurité sont élevées, les entreprises ont
besoin de compétences spécifiques pour protéger les
données et limiter les risques lors de la transmission,
en stockant des données dans le produit lui-même.
Le type de données qu’une entreprise choisit de
recueillir et d’analyser dépend aussi de son positionnement. Si la stratégie de l’entreprise vise à être leader
sur les performances du produit ou à minimiser les
coûts, elle doit généralement chercher à capturer une
« valeur immédiate » importante qu’elle peut exploiter
en temps réel. Ceci se montre particulièrement vrai
pour des produits complexes au prix élevé pour lesquels toute période d’arrêt engendre un lourd manque
à gagner, tels les éoliennes ou les moteurs à réaction.
Pour les entreprises cherchant le leadership dans
un système de produits, il faut investir dans une collecte et une analyse de données de grande envergure
qui englobe plusieurs produits et des environnements
externes, et concerne même des produits que l’entreprise ne propose pas. Par exemple, un système de
­produits intelligents connectés peut nécessiter la
­collecte d’informations sur la circulation, sur les
conditions météo et sur le prix des carburants à divers
endroits pour une flotte complète de véhicules.
Différentes stratégies impliquent différentes décisions quant au recueil des données. Nest, qui ambitionne d’être le leader dans l’efficacité énergétique et
les dépenses d’énergie, collecte un large éventail de
données à la fois sur l’utilisation des produits et les
pics de consommation sur le réseau énergétique. Ceci
a permis la mise en place du programme Rush Hour
Rewards, qui augmente le thermostat de la climatisation des résidences des clients afin de réduire leur
consommation d’énergie lors des pics de demande et
prérafraîchit la maison avant que ce pic ne survienne.
En s’associant avec les fournisseurs d’énergie pour
obtenir des données de leur part et les intégrer avec
celles de sa clientèle, Nest permet à ses clients de
­gagner des remises ou des avoirs auprès de leur fournisseur d’énergie et de consommer moins d’énergie à
des moments où tous les autres en utilisent plus.
Medtronic
Les appareils numériques
de mesure du glucose
dans le sang de Medtronic
sont implantés dans le
patient et se connectent
sans fil à un système de
surveillance et d’affichage.
Ils peuvent ainsi alerter
lorsque l’évolution des
taux de glucose nécessite
l’attention.
Comment l’entreprise gère-t-elle les droits
de propriété et d’accès à ses données produit ? Au moment où une entreprise choisit la nature
6
des données à recueillir et à analyser, elle doit aussi
déterminer comment en obtenir les droits et en gérer
les accès. La question clé est : à qui les données appartiennent-elles effectivement ? Le fabricant est peutêtre propriétaire du produit, mais les données d’utilisation appartiennent potentiellement au client. Par
exemple, qui est le propriétaire légitime des données
transmises en streaming depuis le moteur intelligent
et connecté d’un avion – le fournisseur du moteur, le
constructeur aérien ou la compagnie aérienne qui
possède l’avion et l’exploite ?
Il existe un éventail d’options pour définir les droits
relatifs aux données des produits intelligents connectés. Les entreprises peuvent chercher la pleine proAvril-mai 2015 Harvard Business Review 20
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
Les produits intelligents connectés amorceront un
cycle de gains de productivité à l’heure où l’influence
des premières vagues informatiques s’amenuise.
HBR.ORG Pour une
analyse complète
des stratégies
concurrentielles,
consultez l’article de
Michael Porter : « The
Five Competitive Forces
That Shape Strategy »
(HBR, janvier 2008).
priété des droits, ou envisager une propriété conjointe.
Il y a également plusieurs niveaux de droits d’exploitation, comprenant les accords de confidentialité, le
droit de partager les données ou de les vendre. Les
entreprises doivent définir leur approche en termes de
transparence dans la collecte et l’utilisation des données. Les droits relatifs aux données peuvent être présentés dans un accord clair ou noyés dans des documents en caractères minuscules, ou encore rédigés
dans un jargon incompréhensible. Si l’on assiste actuellement à un mouvement général vers plus de
transparence dans la collecte des données, dans tous
les secteurs, les normes quant à leur confidentialité et
à leur propriété restent souvent à établir.
Une autre option pour la gestion des droits et de
l’accès aux données consiste à mettre en place un
cadre de partage des données avec les fournisseurs de
composants, qui leur permette d’avoir accès aux informations concernant l’état et les performances des
composants, mais pas à leur localisation. Cependant,
limiter l’accès des fournisseurs aux données risque
potentiellement d’en réduire l’intérêt si ces derniers ne
peuvent pas avoir une connaissance approfondie de
l’utilisation du produit, ce qui ralentit l’innovation.
Les clients et les utilisateurs veulent aussi avoir
leur mot à dire dans ces choix. Aujourd’hui, certains
clients sont bien plus ouverts que d’autres au partage
de leurs données d’utilisation du produit. Par exemple,
un élément de la proposition de valeur de Fitbit est la
possibilité de partager les informations d’activité
­collectées sur des médias sociaux. Mais tout le monde
ne le souhaite pas. De même, des conducteurs prudents peuvent accepter de partager avec leur assurance ou avec les loueurs de voitures les données
concernant leurs habitudes de conduite afin d’obtenir
un tarif plus avantageux, mais d’autres peuvent se
montrer réticents. Les entreprises devront fournir une
proposition de valeur claire à leurs clients afin de les
encourager à partager leurs pratiques ou d’autres données. A mesure que les consommateurs prennent
conscience de la valeur que ces données génèrent
dans l’ensemble de la chaîne de valeur, ils vont jouer
un rôle plus actif et plus exigeant dans les décisions
relatives à la nature des données collectées, à leur
­exploitation et à ceux qui en tirent profit.
21 Harvard Business Review Avril-mai 2015
Il est aujourd’hui assez courant de voir des contrats
« d’un clic » accordant un consentement large au
­recueil de données lors de la première utilisation d’un
produit intelligent connecté. Ce consentement autorise les entreprises à recueillir sans distinction les
données et à les utiliser sans trop de contraintes. Avec
le temps, nous nous attendons à voir apparaître des
cadres contractuels plus rigoureux et des procédures
qui régissent ces droits afin de définir et de protéger
la propriété intellectuelle associée aux données des
produits intelligents connectés. Il appartient aux
­entreprises de devancer la tendance, surtout pour les
données qu’elles ont réellement besoin de recueillir
afin de promouvoir la création de valeur.
Dans les secteurs très réglementés comme celui
des équipements médicaux, une gestion minutieuse
des données sera également essentielle. Les normes
réglementaires d’accès et de sécurité des données
sont déjà en place dans beaucoup de secteurs de ce
genre. Biotronik a créé une infrastructure qui permet
de recueillir de manière sécurisée des informations
sur le patient, comme des phénomènes d’arythmie
ou le niveau de charge de la batterie d’un pacemaker,
et de ne les partager qu’avec un public spécifique, à
savoir le médecin du patient. De toute façon, quel que
soit le secteur, la gestion des données constituera une
compétence essentielle et les violations en matière de
données entraîneront des conséquences graves,
quelle que soit l’entité à qui incombe la faute. Le
risque relatif à la sécurité fait partie intégrante du
business case concernant la nature des données à
­recueillir et la manière de les gérer.
7
L’entreprise devrait-elle se libérer d’intermédiaires tels que les canaux de distribution ou les réseaux de services ? Les produits
i­ntelligents connectés permettent aux entreprises
d’entretenir des relations directes et approfondies
avec leurs clients, ce qui peut diminuer le besoin de
travailler avec des canaux de distribution partenaires.
Les entreprises peuvent également diagnostiquer les
problèmes de performance et les pannes, et parfois
même les réparer à distance, ce qui réduit leur dépendance vis-à-vis de services partenaires dans ce
­domaine. En minimisant le rôle des intermédiaires,
HBRFRANCE.FR
les entreprises peuvent éventuellement engranger des
revenus supplémentaires et augmenter leurs marges.
Elles peuvent aussi améliorer leurs connaissances des
besoins des clients, renforcer la notoriété de la marque
et promouvoir la fidélité des clients en les informant
plus directement sur la valeur du produit.
Tesla, par exemple, a remis en question le statu
quo du secteur automobile en vendant directement
ses voitures au lieu de les confier à un réseau traditionnel de concessionnaires. Cela a simplifié l’approche prix de l’entreprise : le client paie le prix affiché, ce qui évite le marchandage auquel on assiste
habituellement chez les concessionnaires et améliore
significativement la satisfaction des clients. En éliminant les tiers impliqués dans les réparations, Tesla
capture les revenus associés et consolide sa relation
avec les clients. La société envoie directement des
mises à jour logicielles à ses voitures, ce qui lui permet
d’améliorer en continu l’expérience client tout en offrant à chaque fois aux conducteurs l’équivalent de
« l’odeur d’une voiture neuve ». Lorsque les outils de
veille détectent qu’un véhicule Tesla nécessite une
intervention, soit la voiture appelle de manière autonome afin de réaliser une réparation à distance par le
biais d’un logiciel, soit elle envoie une notification au
client l’invitant à effectuer une demande pour qu’un
voiturier vienne chercher la voiture afin de l’amener
dans un centre Tesla. Le constructeur a récemment
été classé numéro 1 par le magazine spécialisé
« Consumer Reports » en termes de satisfaction client.
Si la désintermédiation présente clairement beaucoup d’avantages, il reste important, voire nécessaire,
de cultiver un certain niveau de proximité avec les
clients dans la plupart des secteurs. Les clients
doivent a
­ ccuser réception du produit et parfois
­l’installer physiquement, et certaines formes d’inspections de service sont toujours nécessaires. De
plus, il se peut que les clients aient établi des relations
solides avec des revendeurs ou des canaux de distribution, qui leur offrent une gamme de produits plus
large ainsi qu’une expertise de terrain plus ciblée et
plus approfondie. Lorsque les fabricants réduisent le
rôle de partenaires précieux, ils risquent de voir ces
derniers se tourner vers des concurrents qui ont choisi
de travailler en collaboration étroite avec eux. D’autre
part, remplir les rôles auparavant administrés par des
partenaires, comme les ventes ou les services en
­direct, peut se révéler difficile et impliquer un coût
de mise en route élevé ainsi que des investissements
lourds dans des maillons de la chaîne de valeur
tels que les ventes, la logistique, les stocks et les
infrastructures.
La décision de « désintermédier » ou non un partenaire de distribution ou de service dépendra en
grande partie du type de réseau que l’entreprise gère.
Les partenaires ne font-ils que distribuer les produits
ou jouent-ils un rôle crucial en matière de formation
et de services sur le terrain ? Quelle part des activités
du partenaire peut-on remplacer par des capacités
propres aux produits intelligents connectés ? Les
clients verront-ils aussi un avantage dans la suppression de l’intermédiaire ? Les clients comprendront-ils
que les relations avec les canaux traditionnels ne sont
plus nécessaires et que cela implique des coûts
supplémentaires ?
8
L’entreprise devrait-elle changer de business model ? Les fabricants se sont tradition-
nellement focalisés sur la production de biens physiques dont ils captaient la valeur en transférant la
propriété du bien au client par le biais d’une transaction de vente. Le propriétaire est alors responsable
des coûts d’entretien du produit ainsi que des autres
coûts relatifs à son utilisation, et supporte les risques
liés aux temps d’arrêt, aux dysfonctionnements et
aux défauts qui ne sont pas couverts par la garantie.
Les produits intelligents connectés permettent de
changer radicalement ce business model établi de
longue date. Les fabricants, par leur accès aux données produit et leur capacité à anticiper, réduire et
réparer les défaillances, ont aujourd’hui la possibilité,
pour la toute première fois, d’influer sur les performances du produit et d’optimiser les services. Cela
ouvre un éventail de business models inédits pour
capter de la valeur – un éventail qui va d’une variante
du modèle traditionnel de transfert de propriété, où
le client bénéficie de nouveaux services plus ­efficaces,
au modèle du « produit en tant que service », où le
fabricant garde la propriété et assume la responsabilité de tous les coûts de service et d’entretien du produit contre un montant facturé en continu. Les clients
paient au fur et à mesure, et non au départ. Ici, la
­valeur de l’amélioration de la performance produit, qui
permet de réduire les coûts de service (par exemple,
une consommation d’énergie optimisée), et de l’efficacité des services est capturée par le fabricant.
Les produits intelligents connectés engendrent un
dilemme pour les fabricants, en particulier pour ceux
qui produisent des produits complexes ayant une
durée de vie relativement longue et pour lesquels les
pièces et les services constituaient une source de revenus importants, aux profits souvent dispro­
portionnés. Whirlpool, par exemple, possède actuel­
lement une activité florissante de vente de pièces
Philips
Lighting
Les utilisateurs peuvent
contrôler les ampoules Hue
de Philips Lighting par le
biais d’un smartphone, et
les programmer afin qu’elles
clignotent si elles détectent
un intrus ou pour qu’elles
diminuent progressivement
leur luminosité le soir.
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 22
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
détachées et de contrats de service – un modèle qui
ne favorise pas une dynamique de production de produits plus fiables, plus durables et faciles à réparer. Si,
au lieu de cela, Whirlpool se tournait vers un modèle
de « produit en tant que service », où l’entreprise resterait propriétaire du produit tandis que le client ne
paierait que pour l’utilisation de la machine, la dynamique économique s’en trouverait inversée.
La rentabilité des modèles du « produit en tant que
service » dépend de la politique de prix pratiquée et
des termes contractuels, qui dépendent à leur tour
des pouvoirs de négociation. De tels modèles sont
susceptibles d’augmenter le pouvoir des acheteurs,
dans la mesure où les clients ont la possibilité de
changer lorsque le contrat arrive à son terme (si le produit n’est pas intégré, comme dans le cas d’un ascenseur), contrairement au modèle de pleine propriété.
Le partage de produits, une variante du modèle du
« produit en tant que service », se concentre sur une
utilisation optimisée de produits utilisés par intermittence. Les clients paient pour utiliser le produit (par
exemple une voiture ou un vélo) lorsqu’ils en ont
­besoin, et l’entreprise (comme Zipcar ou Hubway)
se charge de tout le reste. Le partage de produits tend
à s’élargir aux produits non mobiles tels que les
habitations.
Les entreprises peuvent aussi envisager un m
­ odèle
hybride entre les deux extrêmes que sont le « produit
en tant que service » et la propriété traditionnelle. Il
s’agit par exemple de la vente de produits packagés
avec des contrats de service ou de garantie, ou de la
vente de packages comprenant le produit et des
contrats basés sur la performance. Les contrats de services permettent au fabricant de garder l’entretien en
interne et de capter plus de valeur par l’efficacité des
services. Dans le cas d’un contrat basé sur la performance, le fabricant vend le produit avec un contrat
assurant que celui-ci fonctionnera selon des spécifications données (comme le pourcentage de temps de
fonctionnement). Ici, la propriété est bien transférée,
mais le fabricant reste responsable de la performance
du produit, aspect dont il assume aussi le risque.
9
L’entreprise devrait-elle se lancer dans de
nouvelles activités en monnayant ses
­données et en les vendant à des tiers ? Les entreprises peuvent s’apercevoir que les données accu­
mulées grâce aux produits intelligents connectés
­revêtent une grande valeur pour des entités autres
que leurs clients habituels. Ou réaliser qu’elles
peuvent recueillir des données supplémentaires,
­au-delà de celles dont elles ont besoin pour optimiser
23 Harvard Business Review Avril-mai 2015
Eolienne
Lorsque des éoliennes
intelligentes sont en réseau,
le programme peut ajuster
les pales sur chacune
d’entre elles afin d’en
minimiser l’impact sur
l’efficacité des éoliennes
situées à proximité.
la valeur du produit, ce qui est très intéressant pour
d’autres entités. Dans les deux cas, cela peut ouvrir
la voie à de nouveaux services, voire à de nouvelles
activités.
Les données relatives aux performances des
­composants d’un produit, par exemple, peuvent être
très utiles aux fournisseurs de ces pièces. Les données
concernant les conditions de conduite ou les ralen­
tissements recueillies par une flotte de véhicules
peuvent être importantes pour d’autres conducteurs,
pour les opérateurs de systèmes logistiques ou
pour une équipe de réparation de la voirie. Les
­données de comportement de conduite peuvent être
­précieuses pour des gestionnaires de parcs ou des
compagnies d’assurances.
Une fois de plus, lorsqu’elles décident de la
­manière de capter d’autres formes de valeur à partir
des données produit, les entreprises doivent prendre
en considération les éventuelles réactions de leurs
clients principaux. Si certains d’entre eux ne se soucient pas de la manière dont leurs données sont
­utilisées, d’autres peuvent avoir des idées très arrêtées en matière de confidentialité et d’exploitation.
Les entreprises devront identifier des mécanismes
qui leur permettent de fournir des données à des tiers
sans générer d’hostilité de la part de leurs clients. Par
exemple, une entreprise peut vendre non pas les
­données individuelles des clients, mais plutôt des
données anonymes ou agrégées concernant les comportements d’achat, les habitudes de conduite ou la
consommation d’énergie.
devrait-elle élargir son champ
10 L’entreprise
d’activité ? Non seulement les produits intelli-
gents connectés transforment les produits existants
mais, de plus, ils élargissent souvent le périmètre du
secteur. Des produits qui ont toujours été séparés et
distincts peuvent se retrouver intégrés dans des
­systèmes optimisés de produits reliés, ou devenir des
composants de systèmes de systèmes. L’évolution du
périmètre du secteur signifie que des entreprises
­leaders dans leurs secteurs depuis plusieurs décennies peuvent se retrouver à jouer un rôle secondaire
dans un paysage élargi.
L’émergence de systèmes de produits et de systèmes de systèmes soulève au moins deux types
de choix stratégiques sur le champ d’activité de
­l’entreprise. Le premier pose la question de l’expansion de l’entreprise à des produits connexes ou à
d’autres p
­ arties du système de systèmes. Le second
pose la question de la possibilité de fournir la plateforme qui relie les produits et les informations
HBRFRANCE.FR
LES ERREURS À ÉVITER
connexes, même si elle n’en produit pas ou n’en
contrôle pas toutes les parties.
Les entreprises peuvent être tentées de se lancer
dans les produits connexes afin de saisir cette grande
opportunité, mais l’entrée sur ces marchés comporte
toujours des risques et impose de s’armer de nouvelles compétences. Elles doivent donc identifier une
proposition de valeur claire avant d’envisager une
telle aventure. Elargir le champ du produit sera plus
intéressant s’il existe d’importantes opportunités
d’amélioration en optimisant le système à travers la
coconception de produits connectés. Sinon, si l’optimisation ne dépend pas de la conception individuelle
des produits, une entreprise peut se montrer plus avisée en se concentrant sur son métier et en proposant
une connectivité ouverte à des produits connexes
fabriqués par d’autres. La réussite dépend moins de
la conception traditionnelle de produits que de l’ingénierie de systèmes.
Les entreprises dont les produits (et les capacités
technologiques associées) sont au cœur du fonc­
tionnement et des performances d’un système de
produits plus global, comme c’est le cas pour les
­équipements d’exploitation minière de Joy Global,
seront les mieux placées pour se lancer dans les produits connexes et dans l’intégration d’un système. Les
­f abricants qui produisent des équipements dont
­l’importance dans le système est moins cruciale,
comme les camions qui transportent le minerai,
­seront moins compétents et moins crédibles aux yeux
des clients pour occuper le poste de fournisseur d’un
système plus important.
La décision de développer, ou non, la plateforme
technologique qui relie un système de produits ou un
système de systèmes dépend de plusieurs questions
reliées. La première est de savoir si l’entreprise a les
moyens de rassembler les technologies et les compétences informatiques dont elle aura besoin, mais
qui sont très différentes de celles requises pour la
conception et la fabrication de produits. Une autre
question essentielle concerne le centre névralgique
de l’optimisation du système. Une optimisation « ­­ interne » implique l’intégration de concepts produits
individuels afin que ceux-ci fonctionnent mieux
­ensemble. Une optimisation « externe » intervient
dans les algorithmes qui relient les produits et les
autres informations, et implique que les produits
eux-mêmes soient modulaires. L’optimisation
­interne constitue la ­logique la plus solide en faveur
d’une expansion vers les produits connexes afin
­d’offrir une plateforme propriétaire. L’optimisation
externe favorise une ­plateforme ouverte, qui peut
Les produits intelligents connectés ouvrent un large
éventail d’opportunités de création de valeur et de
croissance. Cependant, saisir ces occasions ne sera
pas chose facile. Voici quelques-uns des plus grands
risques d’un point de vue stratégique :
Ajouter des fonctionnalités pour lesquelles les clients ne sont pas prêts
à payer le prix. Ce n’est pas parce qu’une fonctionnalité est possible qu’elle
représente une proposition de valeur claire pour le client. Ajouter des
caractéristiques et des options sophistiquées peut même réduire la rentabilité,
à cause des coûts et de la complexité d’utilisation que cela implique.
Sous-estimer les risques en termes de sécurité et de confidentialité.
Les produits intelligents connectés ouvrent d’énormes portes d’accès
aux systèmes de l’entreprise ainsi qu’à ses données, ce qui nécessite de
renforcer la sécurité du réseau ainsi que celle des appareils et des capteurs,
sans oublier de crypter les informations.
Mal anticiper les nouvelles menaces en termes de concurrence. Les
nouveaux concurrents proposant des produits aux capacités intelligentes
et connectées (tels des éléments de connectivité ou des programmes
intégrés), ou bien des business models basés sur la performance ou le
service, peuvent se faire rapidement une place et redéfinir la concurrence,
voire le périmètre du secteur.
Attendre trop longtemps avant de se lancer. Avancer lentement concède
un double avantage aux concurrents et aux nouveaux entrants : celui
de commencer à recueillir et à analyser les données, et celui de prendre de
l’avance dans la courbe d’apprentissage.
Surestimer les capacités internes. L’évolution vers des produits intelligents
connectés nécessitera de nouvelles technologies, de nouvelles compétences
et de nouveaux processus dans l’ensemble de la chaîne de valeur (concernant
par exemple le traitement analytique du big data, l’ingénierie des systèmes
et le développement d’applications). Il est essentiel de réaliser un état des lieux
réaliste quant aux capacités à étayer en interne et celles à développer avec
l’aide de nouveaux partenaires.
même être proposée par une entreprise qui ne
­fabrique pas le moindre produit.
Carrier Corporation est une illustration de tels
choix. Fort d’un siècle d’innovation dans la conception d’une gamme complète d’équipements de chauffage et de climatisation – chaudières, climatiseurs,
pompes à chaleur, humidificateurs et ventilateurs –,
Carrier optimise les performances de son système de
produits en intégrant les concepts individuels à l’ensemble de la gamme de produits, tandis que la plateforme de son système de chauffage et de climatisation
intelligent Infinity les relie entre eux. Cependant, le
chauffage et la climatisation font aussi partie d’un
système domotique plus large.
Carrier ne s’est pas lancé dans d’autres segments
de produits domotiques car ceux-ci impliquaient des
compétences radicalement différentes. Au lieu de
cela, sa plateforme Infinity offre des interfaces qui
permettent aux produits de chauffage et de climatisation de s’intégrer dans un système de systèmes.
Avril-mai 2015 Harvard Business Review 24
PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS
HBRFRANCE.FR
Enfin, à mesure que les produits intelligents
connectés élargissent le champ d’activité du secteur
et le périmètre de la concurrence, de nombreuses
entreprises devront repenser leur mission. Au-delà de
la définition traditionnelle des produits, l’attention se
concentre aujourd’hui sur les besoins élargis auxquels
l’entreprise est à même de répondre. Par exemple,
Trane ne se considère plus comme un fabricant
d’équipements de chauffage et de climatisation, mais
comme une entreprise améliorant les bâtiments à
hautes performances pour le bien de tous leurs occupants. Et comme les produits communiquent et collaborent entre eux en réseaux de plus en plus nombreux
et de plus en plus diversifiés, beaucoup d’entreprises
devront réexaminer leur mission principale et revoir
leur proposition de valeur.
Toute entreprise doit faire un choix clair dans
chacune de ces dimensions de la stratégie en s’assurant que chaque décision est cohérente avec les autres
et les renforce. Par exemple, une entreprise qui a décidé de viser le leadership d’un système de produits
se lancera dans les catégories de produits connexes,
travaillera à l’intégration des concepts de produits à
l’intérieur du système, recueillera des données d’utilisation produit très poussées, et consolidera ses
­capacités internes à travers l’empilement de technologies. A contrario, une entreprise qui se concentre sur
une seule partie du système de produits devra s’attacher à devenir la référence en termes de caractéristiques et de fonctionnalités, tout en proposant des
interfaces ouvertes et transparentes afin que ses
­produits puissent être facilement intégrés dans les
systèmes et les plateformes d’autres entreprises et y
apporter une précieuse contribution. Au bout du
compte, la réussite dans un tel univers concurrentiel
ne viendra pas de l’imitation de ses rivaux, mais de la
capacité à définir et à accomplir de manière réaliste
une proposition de valeur tout à fait unique.
Un horizon plus large
Les produits intelligents connectés changent la manière dont on crée de la valeur pour les clients, la
manière dont les entreprises se partagent un marché
et le périmètre même de la concurrence. Ces évolutions vont toucher pratiquement tous les secteurs,
directement ou indirectement. Mais les produits intelligents connectés auront un impact qui va bien audelà. Ils influenceront la trajectoire de l’économie
dans son ensemble et amorceront le prochain cycle de
gains de productivité porté par l’informatique, pour
les entreprises, pour leurs clients et pour l’économie
25 Harvard Business Review Avril-mai 2015
DIGITAL
Retrouvez notre
série d’articles sur
l’Internet des objets
sur hbrfrance.fr
mondiale, à un moment où l’influence des vagues
informatiques précédentes s’amenuise et où les gains
de productivité ont commencé à stagner.
Non seulement cette troisième vague informatique
créera des paliers d’amélioration dans les capacités et
dans les performances des produits, mais elle fera
­progresser radicalement notre capacité à répondre à
de nombreux besoins commerciaux et humains. Dans
de nombreux domaines, les produits seront bien plus
efficaces, plus sûrs, plus fiables, et on en exploitera
mieux les capacités tout en préservant les ressources
naturelles rares comme l’eau, les sources d’énergie et
les matières premières.
Cette opportunité de promouvoir l’innovation et
une croissance économique rapide, avec le retour à la
prospérité que cela implique, n’arrive pas trop tôt. La
dernière décennie s’est caractérisée par des réductions
de coûts internes, des investissements prudents,
une rentabilité plus élevée pour les grandes sociétés,
une multiplication des fusions et acquisitions, et une
­innovation en berne pour de larges pans de l’économie. Cela s’est traduit par une croissance timide de
l’emploi, par des améliorations plus lentes dans les
domaines du salaire et du niveau de vie du citoyen
moyen, par une perte de confiance vis-à-vis des
­opportunités économiques, mais aussi par un certain
scepticisme vis-à-vis du capitalisme et une réduction
des subventions publiques pour les entreprises.
Le chapitre qu’ouvrent aujourd’hui les produits
intelligents connectés peut infléchir cette tendance,
à condition que les entreprises se lancent avec enthousiasme dans cette dynamique. Ensemble, les entre­
preneurs et les gouvernements devront former les
employés de tous les secteurs pour leur donner les
compétences leur permettant de prendre part à l’aventure. Et établir dans le même temps un cadre législatif
et réglementaire nécessaire à la définition de normes,
afin de promouvoir l’innovation, de protéger les données et d’écarter les comportements d’opposition
au progrès (comme l’opposition politique des concessionnaires automobiles à Tesla).
Les Etats-Unis sont prêts à mener le mouvement
et à profiter de manière formidable d’un monde de
produits intelligents connectés, étant donné les
atouts dont dispose le pays dans les technologies
concernées, dans une grande part des compétences
requises et dans les secteurs clés. Si cette nouvelle
vague de technologies permet aux Etats-Unis de
­redynamiser ses capacités en tant que leader tech­
nologique au sein de l’économie mondiale, cela
­insufflera un nouvel élan au rêve américain tout
en contribuant à faire avancer le monde. 

Documents pareils