- Pédagogie médicale

Transcription

- Pédagogie médicale
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4): 213–221
RECHERCHE ET PERSPECTIVES
DOI: 10.1051/pmed/2011107
© 2012 EDP Sciences / Société Internationale Francophone d’Education Médicale
Évaluation clinique de l’efficacité
de l'entraînement sur simulateur
à la réalisation de nœuds intracorporels
par les internes de chirurgie :
un programme mis en place dans
un service de chirurgie pédiatrique
Clinical evaluation of intracorporeal knot tying simulations by surgical
residents: a pediatric surgery study
Isabelle LACREUSE1, Gilles MAHOUDEAU2, François BECMEUR1,
Cindy GOMES FERREIRA1, Raphaël MOOG1 et Isabelle KAUFFMANN1
1
Service de chirurgie infantile, Centre hospitalier universitaire (CHU) Hautepierre, Avenue Molière, 67098 Strasbourg,
France
2
Service d'anesthésiologie, Centre hospitalier universitaire (CHU) Hautepierre, Avenue Molière, 67098 Strasbourg,
France
Manuscrit soumis le 22 février 2011 ; commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 28 juillet et le 8 novembre 2011 ;
accepté pour publication le 14 novembre 2011
Mots-clés
Simulation ;
chirurgie pédiatrique ;
laparoscopie
Résumé – Objectif : Le bloc opératoire est de moins en moins propice à l'apprentissage
technique des internes en chirurgie pour diverses raisons éthiques, techniques et économiques.
Or de plus en plus de procédures peuvent se faire par laparoscopie, technique qui impose un
apprentissage spécifique. Ainsi, le risque de complication est majeur entre des mains non
entraînées. Nous avons voulu évaluer l'impact clinique d'un programme d'apprentissage sur
simulateur de laparoscopie à l'acquisition de gestes de base de laparoscopie comme la
réalisation d'un nœud intracorporel dans un service de chirurgie pédiatrique. Matériel et
méthodes : Quatorze internes en chirurgie ont été randomisés en deux groupes : un groupe
témoin (n = 7) et un groupe entraînement (n = 7). Chaque interne a réalisé un premier nœud
intracorporel au cours de la réparation laparoscopique d'une hernie inguinale de l'enfant. Un
deuxième nœud est réalisé cinq semaines plus tard. Le groupe témoin n'a bénéficié d'aucun
entrainement entre ces deux réalisations à l'inverse du groupe entraînement. Chaque procédure
a été enregistrée puis analysée selon différents critères qualitatifs. Résultats : Alors qu'on ne
trouve aucune différence significative entre les critères du premier et deuxième nœud du groupe
Article publié par EDP Sciences
214
I. Lacreuse et al.
témoin, les critères du deuxième nœud du groupe entraînement sont améliorés. Conclusion :
l'entraînement sur simulateur de laparoscopie permet d'accélérer la phase d'apprentissage de
gestuelle de base avec un impact direct sur la pratique clinique. Le bénéfice direct de ce type
de programme d'entraînement est, pour le patient, une diminution du risque de complication.
Keywords
Simulation; pediatric
surgery; laparoscopy
Abstract – Objective: Learning endoscopic procedures in the operating area during surgery
residencies is becoming increasingly challenging even though more and more laparoscopic
procedures can be carried out. As a result, additional complications may occur due to a lack of
training. We evaluated the clinical impact of a laparoscopic training program on acquiring basic
laparoscopic skills, such as intracorporeal knot tying in pediatric surgery centres. Material and
methods: Fourteen surgery residents were assigned in two randomised groups: a training group
(n = 7) and a control group (n = 7). Each resident carried out an initial endoscopic intracorporeal
knot during a laparoscopic inguinal hernia repair in a child followed by a second knot several
weeks later. The control group did not perform any other endoscopic intracorporeal knot tying
during the study. The training group benefited from pelvic area training. Each knot was recorded.
In addition, the time it took to make each knot and the quality of each procedure were analysed.
Results: The criteria were improved for the second knot in the training group while it was not
in the control group. Conclusion: Laparoscopic training on simulators helps speed up the basic
skill learning curve of surgical residents and has a real impact on clinical practice. Moreover,
patients benefit directly from this type of training since there are few complication risks in the
early part of learning.
Introduction et problématique
L’apprentissage des techniques chirurgicales au cours
de la formation post-graduée (internat ou résidanat)
des futurs chirurgiens rencontre de plus en plus d’obstacles et le bloc opératoire n'est plus l'environnement
idéal de cet apprentissage pour des raisons éthiques,
économiques et légales[1]. En effet, le compagnonnage « traditionnel » ne suffit plus à garantir l’acquisition des techniques. Diverses raisons ont été
identifiées.
– L’évolution technologique permanente place désormais l’instrumentation chirurgicale au centre
d’une compétition commerciale entre différentes
firmes industrielles innovantes et ce, particulièrement dans le cadre de la chirurgie mini-invasive.
Ces innovations permanentes imposent au jeune
chirurgien d’assimiler sans cesse de nouvelles procédures alors même qu’il est en phase d’apprentissage. Ponctuellement, il peut être amené à
découvrir un nouvel outil au cours d’une procédure chirurgicale ce qui pose un certain nombre de
problèmes éthiques.
© 2011 EDP Sciences / SIFEM
– L’évolution sociétale impose légitimement au
chirurgien une obligation de moyens mais également une obligation de résultats, accentuant le
stress de celui-ci qui doit maîtriser son art, quelle
qu’ait été sa formation. Il en découle une obligation de moyens de formation afin, une fois de plus,
d’assurer la sécurité du patient.
– Concernant la chirurgie pédiatrique, certaines pathologies voient leur incidence diminuer du fait,
entre autres, des progrès des moyens diagnostiques anténataux. Ainsi, les jeunes chirurgiens ne
rencontrent ces pathologies que ponctuellement au
cours de leur formation et ne peuvent acquérir une
maîtrise technique suffisante grâce au seul compagnonnage au bloc opératoire.
– La laparoscopie présente des spécificités qui ne
peuvent être appréhendées autrement que par la
pratique : l'absence de sensation tactile, la rupture
de la coordination directe « œil-main », la vision
bidimensionnelle, le défaut de retour de force, les
contraintes des instruments et l’amplitude des
mouvements.
– L’augmentation du nombre d'internes en formation et les repos compensateurs diminuent le temps
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4)
Évaluation clinique de l'efficacité de l'entraînement sur simulateur ...
de présence au bloc opératoire. Par ailleurs un article récent pointe les difficultés auxquels font face
certaines disciplines, telles que la chirurgie pédiatrique, avec un afflux important d'internes et peu
de postes proposés en post-internat[2].
– Enfin en France, aucune évaluation des acquis
techniques n’est réalisée au cours de l’internat
alors que les connaissances théoriques sont sans
cesse évaluées. Il nous semble indispensable d’anticiper les situations à risque par une évaluation régulière des acquis de l’interne, afin de pouvoir
corriger les erreurs ou combler les manques au fur
et à mesure de cette période d’apprentissage.
Ainsi le compagnonnage comme seul moyen
d’apprentissage est remis en cause. Il doit être
complété par d’autres moyens de formation.
Parmi eux, la dissection cadavérique est très
intéressante puisqu’elle reproduit au mieux les
conditions réelles. Toutefois, son accessibilité reste
réduite, ne permettant pas un enseignement régulier
à l’ensemble des internes en formation. Elle n’est en
outre pas adaptée à la formation en chirurgie miniinvasive.
Les formations pratiques, telles que les ateliers
(workshop) ou divers programmes d’entraînement
(training course), sont organisées habituellement sur
quelques jours et sont très complètes puisqu’elles
associent généralement une formation théorique et
une formation pratique sur animal vivant. Toutefois,
elles sont restrictives car ne traitent que de certaines
pathologies ; elles sont chères, ponctuelles, sans
évaluation des compétences acquises et assimilées à
distance même si certains travaux prouvent l'efficacité
à long terme de telles formations[3]. De plus elles
requièrent un certain niveau de savoir-faire et ne sont
donc pas ou peu intéressantes pour les internes en
formation.
Les programmes dotés de financement (fellowship) permettant la formation dans des centres de
référence au cours de l’internat sont une excellente
alternative mais ne sont pas non plus accessibles à tous
et n’assurent pas une formation complète dans le
champ disciplinaire spécialisé concerné.
Reste l’apprentissage par simulation, qui utilise
diverses ressources allant du simple simulateur de
laparoscopie à la réalité virtuelle, avec de nombreuses
© 2011 EDP Sciences / SIFEM
215
alternatives. De nombreuses études ont évalué
l’apport de ces moyens d’apprentissage[4-6] et soulignent le manque de preuve quant à la supériorité des
simulateurs de haute fidélité (réalité virtuelle) comparativement aux simulateurs de laparoscopie de type
pelvitrainer[7], en tout cas pour l'acquisition des
gestes de base de laparoscopie. Dès lors, l’objectif de
faciliter l'accès au simulateur de chirurgie laparoscopique à l’ensemble des internes en formation est
souhaitable et permettrait d’harmoniser et d’assurer
leur formation. Ceci permettrait également d’évaluer
régulièrement leurs acquis au cours du cursus. Pour
répondre à ce besoin pédagogique, les responsables
académiques de quelques spécialités, comme l'urologie ou encore la gynécologie, ont su réagir et mettre
en place des programmes de formation à la laparoscopie[8,9], sans consensus national. L'impact médicolégal mais aussi économique de la nécessité d'une
formation sur simulateur avant certification est maintenant établi dans ces spécialités[10,11]. Parallèlement,
la Haute autorité de santé française, tout comme le
National Health Service intègrent actuellement la
simulation dans leurs recommandations pour la
formation médicale initiale ou continue. Outre-Atlantique, l'apprentissage par simulation fait partie des
exigences lors de la certification en chirurgie digestive
au travers du programme Fundamentals of Laparoscopic Surgery[12,13].
Il nous a ainsi paru nécessaire de mettre en place
au sein de notre service un programme de formation
à la gestuelle de base en chirurgie laparoscopique.
L’analyse de la littérature spécialisée recense de nombreux articles prouvant l'intérêt de la formation sur
simulateur de laparoscopie mais aucun n'apporte la
preuve directe de l'impact clinique d’une formation
recourant à cet outil. Autrement dit, la transférabilité
aux conditions réelles des progrès constatés lors de la
réalisation d'exercices sur simulateur n’est pas établie. Enfin, de façon spécifique à la chirurgie
pédiatrique, il n’est pas établi que des habiletés
apprises grâce à des simulateurs « adulte » permettent
d'améliorer sa gestuelle chez l'enfant. En effet, la
population pédiatrique présente quelques particularités, à commencer par la taille de la cavité explorée
(abdominale, thoracique,...). Il existe des simulateurs
pédiatriques permettant de reproduire avec davantage
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4)
216
I. Lacreuse et al.
de fidélité les conditions réelles. Cependant, à notre
connaissance, aucune publication ne documente
l'impact de tels simulateurs sur la formation en laparoscopie pédiatrique.
Avant d'investir dans de tels outils, nous avons
voulu apporter la preuve de l'impact clinique direct
d’une formation effectuées sur simulateur « adulte »
dans notre service de chirurgie pédiatrique.
Matériel et méthodes
Durant un an, nous avons proposé aux internes affiliés
au service de chirurgie pédiatrique de participer à
cette étude sur la base du volontariat. Il s'agissait
d'internes en cours de validation du diplôme d’études
spécialisé (DES) de chirurgie générale. L'exercice
proposé était la réalisation d'un nœud intracorporel en
laparoscopie chez l’enfant, dans le cadre de la prise
en charge d’une hernie inguinale par persistance du
canal péritoneo-vaginal. Un senior expert en
laparoscopie (plus de 100 procédures effectuées) est
présent tout au long de la procédure et tient la caméra.
Deux groupes de sept internes sont alors constitués
par tirage au sort. Les internes du groupe témoin
(groupe T) réalisent deux nœuds intracorporels à cinq
semaines d'intervalle sans entraînement dans
l'intervalle. Les internes du groupe d’entraînement
(groupe E) bénéficient durant ces cinq semaines d'un
programme d'entraînement sur le simulateur de
laparoscopie, selon un protocole bien établi consistant
à réaliser une séance d'entraînement par semaine à
raison de 10 nœuds par séance. Seule la première
séance était supervisée par un senior expert en
laparoscopie (toujours le même) montrant la
technique et corrigeant les erreurs de chacun. Cette
base d’entraînement a été décidée arbitrairement, au
vu des données de la littérature[14]. Notre simulateur
de laparoscopie était constitué d'une boîte opaque au
travers de laquelle sont passés les instruments de
laparoscopie, dont un dispositif optique relié à une
colonne de laparoscopie (figure 1). L'installation des
trocarts reproduisait les conditions d'installation lors
d'une réparation laparoscopique de hernie inguinale
chez l'enfant. Il s'agit alors de réaliser un nœud sur un
© 2011 EDP Sciences / SIFEM
Fig. 1. Le simulateur de laparoscopie.
gant chirurgical à l'aide d'un fil serti aux mêmes
caractéristiques que celui utilisé lors d'une réparation
herniaire.
La réalisation de chaque nœud est enregistrée en
vidéo anonymement. Chaque vidéo sera visionnée par
une seule personne experte en laparoscopie. Les
critères permettant de juger de la qualité et de la
sécurité de la gestuelle seront cotés :
– temps de réalisation (en minutes) : paramètre de
sécurité et de qualité. Ce critère a longtemps été un
critère cité pour évaluer le savoir-faire des chirurgiens et établir ce que l'on appelle leur courbe
d'apprentissage ;
– nombre de sortie de champ, correspondant au
nombre de fois où les instruments sortent du
champ de la caméra. Il s'agit d'un paramètre de sécurité car tout instrument sortant du champ de la
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4)
Évaluation clinique de l'efficacité de l'entraînement sur simulateur ...
217
Tableau I. Résultats des performances des internes des groupes « témoin » et « entraînement » lors de la réalisation d’un
nœud intracorporel, au regard des critères d'étude (exprimés en moyenne pour chacun d'entre eux).
groupe
nœud
2. Sortie
de champ
7
3. Aller/retour
Amplitude
inapproprié
4. Coordination
5. Tremblement
n°1
1. Durée
(min)
11
Témoin
inappropriée
Présents
n=7
n°2
12,5
6
inapproprié
inappropriée
Présents
Entraînement
n°1
11
6
inapproprié
inapproprié
Présents
n=7
n°2
3,5*
2
appropriée
appropriée
Présents
Ce tableau compare les valeurs moyennes obtenues pour chaque critère lors du nœud réalisé en début d'étude (n°1)
et du nœud réalisé en fin d'étude (n°2). Nous avons comparé les valeurs moyennes obtenues entre ces deux nœuds
pour chaque critère pour chaque groupe indépendamment. Nous avons utilisé un test de comparaison de moyenne
sur échantillons appariés avec p < 0,05 significatif.
Concernant le groupe témoin, nous ne notons aucune différence significative entre le nœud n°1 et le nœud n°2 et ce
pour l'ensemble des critères. Concernant le groupe entraînement, la durée de réalisation du nœud est
significativement améliorée entre le premier le deuxième nœud. Nous n'avons pas pu mettre en évidence de
différence significative entre les données qualitatives des premier et deuxième nœuds du groupe entraînement même
si on note une tendance à l'amélioration des critères.
caméra est potentiellement dangereux pour le malade avec le risque que cet instrument lèse un organe ;
– amplitude et nombre des mouvements aller/retour,
correspondant à l’amplitude et au nombre de fois
où les instruments vont et viennent en profondeur
dans le champ de la caméra. C’est un paramètre de
qualité car il rend compte de la capacité qu’a l’opérateur d’adapter sa gestuelle tridimensionnelle à sa
vue bidimensionnelle sur écran. Elle est cotée en :
approprié, approximatif et non approprié ;
– coordination des mains, évaluant la capacité à dissocier la gestuelle de chaque main. Elle est cotée
en : appropriée, approximative et non appropriée ;
– tremblements. Ce critère est coté en : présents ou
absents.
L'ensemble de ces critères s'inspire des scores
validés cités dans la littérature[15]. Nous avons adapté
et simplifié la grille de cotation, du fait du faible
nombre de participants afin de gagner en puissance
statistique.
Pour chaque groupe nous avons réalisé un test de
comparaison de moyenne sur échantillons appariés
avec p < 0,05 significatif.
© 2011 EDP Sciences / SIFEM
Par ailleurs, nous avons réalisé en fin d'étude un
recueil oral de satisfaction auprès de chaque participant.
Résultats
Le tableau I représente la moyenne des résultats de
chaque critère pour chacun des deux groupes T et E.
Nous observons une baisse significative de la durée
de réalisation entre le premier et deuxième nœud dans
le groupe E, ce qui n'est pas le cas dans le groupe T.
En ce qui concerne les critères de qualité, dit critères
subjectifs, bien que les données statistiques ne soient
pas significatives du fait de la faiblesse de nos échantillons, nous constatons une nette tendance à
l'amélioration de l'ensemble des critères, excepté le
critère « tremblements ».
Les participants du groupe T avaient tous un
sentiment « négatif » de cette expérience. Chacun
expliquait avoir assisté à des laparoscopies au cours
desquelles des nœuds intracorporels étaient effectués,
comme lors de cette étude. Tous à l’exception de deux
pensaient de ce fait faire mieux en ayant « compris »,
« assimilé visuellement la technique ». À l’inverse, les
participants du groupe E avaient tous un sentiment
positif, ayant pris conscience que d’avoir assisté de
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4)
218
telles interventions et d’en avoir compris la technique
ne suffisait pas à maîtriser la gestuelle et que, par
contre, l’entraînement sur simulateur leur permettait
de dépasser leurs difficultés.
Le cas particulier de deux participants doit être
mentionné :
– celui d’un participant du groupe T, n’ayant jamais
eu l’occasion de réaliser de telles gestuelles auparavant et dont les performances ont étonné. Le
temps de réalisation de ses deux nœuds (respectivement 6 et 7 minutes), était bien moindre que celui des autres participants du même groupe ; il
possédait par ailleurs une maîtrise des spécificités
de la laparoscopie, que sont les critères 2, 3 et 4 du
tableau. Il présente une très bonne coordination
des deux mains, un bon repère tridimensionnel, sachant très bien dissocier son regard de ses mains.
Ce participant est un « vidéo-gamer », passionné
de jeux vidéo ayant une grande habitude de dissocier son regard de l’action de ses mains ;
– celui d’un participant du groupe E, chirurgien
étranger venu un an en France pour apprendre la
laparoscopie. Il ne pratique pas les jeux vidéo,
n'avait jamais participé à aucune laparoscopie auparavant. Par contre il montrait une très grande
motivation et a énormément profité du simulateur
puisqu’il a réalisé en moyenne un entraînement de
10 nœuds trois à quatre fois par semaine, soit une
utilisation trois à quatre fois plus fréquente que ses
collègues du même groupe. Alors qu’il réalise un
premier nœud difficilement (durée 20 minutes et
une mauvaise cote à l’ensemble des critères qualitatifs), il réalise un deuxième nœud que l’on peut
qualifier de très bon (nœud réalisé en deux minutes
avec l’ensemble des critères qualitatifs les mieux
notés).
Discussion
L’apparition de la laparoscopie en chirurgie pédiatrique est marquée par une nette augmentation des
complications per et post-opératoires, particulièrement dans les centres manquant d’expérience[16].
Pourtant la laparoscopie tient une place de plus en plus
© 2011 EDP Sciences / SIFEM
I. Lacreuse et al.
importante dans l'arsenal thérapeutique proposé. Elle
requiert des compétences spécifiques imposant un
apprentissage spécifique. Le compagnonnage au bloc
opératoire ne suffit pas dans ce cadre et doit être complété d'outils pédagogiques accessibles, utilisables
dans des conditions reproductibles et grâce auxquels
la progression de l'apprenant doit pouvoir être
objectivée.
Dès 1962, Fitts a décrit les phases d'apprentissage
d'une tâche ou d'une technique[17]. Durant la première
phase, dite phase cognitive, l'apprenant reçoit les
informations verbales, écrites ou encore schématisées, pour la réalisation de la technique. C'est la phase
« novice » des cinq niveaux d'expertise de Dreyfus
et al.[18], celle où surviennent les erreurs. Pour Fitts,
la seconde phase est dite associative, au cours de
laquelle l'apprenant corrige ses erreurs jusqu'à une
assimilation de la technique enseignée. La troisième
et dernière phase est celle de l'autonomie, celle où la
technique enseignée est parfaitement maîtrisée, automatisée et réalisée presque « inconsciemment ». Les
patients ne doivent bénéficier de soins que de la part
de chirurgiens en phase d'autonomie, les deux phases
précédentes étant celles de l'apprentissage.
Ainsi le nouveau défi de l'enseignement chirurgical, en France comme ailleurs, est que chaque
interne en fin de cursus soit en phase d'autonomie de
l'apprentissage gestuel de la laparoscopie (exemple :
nœuds intracorporels, préhension des tissus,...). Il y a
aujourd'hui une exigence de refonder l'enseignement
pratique en chirurgie en France. Comme nous l'avons
mentionné, certaines spécialités ont déjà franchi le pas
de ce changement en introduisant la simulation dans
leur méthodes d'apprentissage mais sans réel consensus ou validation nationale. Le centre universitaire de
Nice Sophia-Antipolis est le premier centre français
ayant un programme de formation et de validation du
diplôme d'études spécialisés en chirurgie s'appuyant
en partie sur les apprentissages par simulation. Ce
programme a été validé par l'American College of Surgeon.
Une intervention chirurgicale correspond à
l'apprentissage d'une séquence de tâches. Chacune
des tâches doit être assimilée et lorsque l'on étudie la
progression de l'apprenant dans l'acquisition de cette
séquence, on parle de courbe d'apprentissage
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4)
Évaluation clinique de l'efficacité de l'entraînement sur simulateur ...
(learning curve), terme introduit en 1936 par Wright
dans l'industrie de l'aéronautique dont les programmes de formation sont confrontés aux mêmes
contraintes économiques et morales que ceux en
santé[19]. Concrètement, ces programmes de formation permettent une optimisation de la courbe
d’apprentissage, qui bénéficie directement au patient
avec une chirurgie moins longue, mieux maîtrisée[8].
La courbe d'apprentissage rend compte d’une amélioration des performances avec l’expérience, avec
toujours un aspect cumulatif puisque chaque expérience passée va concourir à l’amélioration de l’expérience à venir, l’amélioration étant plus rapide au
début de l’apprentissage. Cette courbe est extrêmement importante en laparoscopie puisqu’elle montre
le niveau de performance du chirurgien au début de
son expérience en laparoscopie, puis la vitesse avec
laquelle il améliore ses performances par la « profondeur » de la courbe, enfin son niveau de stabilisation[20] (plateau de la courbe).
Le premier point de la courbe est non modifiable
puisqu’il s’agit de la première expérience du chirurgien. Nous ne pouvons influencer par l’apprentissage
que la profondeur de la courbe. Or, c'est bien cette
phase la plus intéressante puisque chaque expérience
passée enrichissant l’expérience future, l'accumulation des expériences va rendre la pente plus rapide et
accélérer le processus de formation, le patient étant
alors pris en charge par un chirurgien plus expérimenté. De même, quelle que soit la vitesse
d’acquisition de l’expérience, la pente est toujours
plus importante au début de la courbe : les premières
expériences sont les plus formatrices. Ainsi, c’est bien
en insistant sur les premières phases de l’apprentissage de la laparoscopie que l’on peut optimiser
l’apprentissage de nos internes et assurer une sécurité
au patient.
Notre étude a permis d’obtenir des résultats
conformes à ce qui était anticipé.
Elle a confirmé que l’on peut accélérer l'acquisition d'une gestuelle de base en laparoscopie (la
réalisation de nœuds intracorporels) par l'utilisation
de simulateur, même lorsque le simulateur ne reproduit pas parfaitement les conditions réelles. Dans
notre situation, le simulateur ne reproduisait pas les
contraintes de la laparoscopie pédiatrique, liées au
© 2011 EDP Sciences / SIFEM
219
manque d'espace et, malgré cela, les participants du
groupe E ont progressé dans les conditions réelles
après entrainement.
En dépit d’un échantillon de participants faible,
ces résultats illustrent que la simulation peut
améliorer l’apprentissage de procédures techniques
plus ou moins complexes dans un contexte reconstruit
et d’en améliorer la maîtrise en conditions réelles.
Notre étude a documenté les bénéfices à cet égard de
façon objective, à l’aide de mesures quantitatives et
qualitatives, ce qui, concernant la maîtrise de
technique laparoscopique en situation clinique réelle,
avant et après entraînement sur simulateur, n’était pas
établi dans la littérature.
La laparoscopie est née avec la génération précédente mais est bien la spécialité des générations
futures. De nombreuses études soulignent, comme
nous l’avons fait à propos de l’un des participants de
l’étude, que des étudiants ayant l’habitude des jeux
vidéos ont acquis inconsciemment quelques habilités
fondamentales de laparoscopie[21]. Une telle aptitude
accélère la pente initiale de la courbe d'apprentissage
sans en influencer la suite qui, elle, dépendra directement de l’expérience chirurgicale. Ainsi notre étude
justifie l’introduction de l’entrainement sur simulateur dans le cursus de formation des internes en
chirurgie pédiatrique et particulièrement au début de
ce cursus. Une étude similaire confirme ces résultats[16]. De nombreuses études apportent également
des preuves du niveau 3 selon la taxonomie de
Kirkpatrick[22], en faveur de la simulation dans le
domaine de l’anesthésiologie qui doit faire face aux
mêmes difficultés d’apprentissage technique que la
chirurgie[23].
Quelques limites de notre travail doivent être
mentionnées.
La faiblesse de l’effectif des participants a déjà
été soulignée, ce qui n’a pas permis de faire ressortir
une différence statistiquement significative des critères qualitatifs du groupe E entre le premier et le
deuxième nœuds. Nous avons également souligné les
limites de l’outil de simulation utilisé, qui ne permettait pas une reproduction parfaite de la réalité de la
situation clinique étudiée. Il est probable que l'amélioration de l'outil optimiserait la portée d'un tel
enseignement.
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4)
220
On peut par ailleurs faire l’hypothèse que le
niveau de formation et de motivation des participants
était très variable. Il s'agissait d'internes en cours de
validation du DES de chirurgie générale, alors que
certains ce destinaient à l'orthopédie, d'autres à la
chirurgie digestive adulte ou encore à la chirurgie
pédiatrique. La répartition par randomisation a permis
de réduire ce biais. Il faut cependant noter que notre
protocole d’étude ne permettait pas d’évaluer des
indicateurs en lien avec la motivation ni d’en apprécier l’impact. Il n’a pas été possible d’établir une
véritable courbe d'apprentissage pour chacun des participants, la réalisation de seulement deux nœuds en
conditions cliniques réelles ne le permettant pas.
Enfin, cette étude est ponctuelle au cours du cursus
des participants. Si réellement cet enseignement est
bénéfique à l’étudiant et complémentaire de sa formation « classique », ce qui semble être le cas, il serait
intéressant d’uniformiser cet apprentissage pour que
chacun en bénéficie au début de son cursus, notamment en cas d’orientation pédiatrique. Une évaluation
régulière devrait être réalisée afin d’adapter le programme de formation à l’apprenant en fonction de ses
acquisitions. Il s’agirait alors d’une formation plus
personnelle avec un suivi longitudinal, qui fait actuellement défaut dans notre système de formation
universitaire où les connaissances théoriques sont
évaluées très régulièrement alors que les procédures
pratiques ne le sont pas et qu’elles sont considérées
comme acquises en fin d’internat, quelles qu’aient été
les expériences des uns et des autres.
Une seconde étude a débuté. Nous avons mis en
place un programme d'entraînement à la laparoscopie
inspirée des Fundamentals of Laparoscopic Surgery
(FLS de la Society of American Gastrointestinal and
Endoscopic Surgeons) pour tout interne réalisant un
stage dans notre service. Chacun d'entre eux doit
remplir une feuille de renseignements évaluant son
expérience en laparoscopie et ses attentes. Un senior
expert réalise ensuite chaque exercice avec l'étudiant
en lui expliquant les buts de l'exercice. Nous avons
créé sept exercices dits d'initiation et sept de
perfectionnement. En fonction des acquis de l'interne,
celui-ci s'entrainera aux exercices d'initiation ou de
perfectionnement à raison d’une séance par mois
minimum. Régulièrement, le senior vient assister à une
© 2011 EDP Sciences / SIFEM
I. Lacreuse et al.
séance d'entrainement afin d'objectiver les progrès de
l'apprenant et de corriger les éventuelles erreurs. Une
fiche de suivi individuelle permettant de reporter
la durée et la qualité de la réalisation des exercices
permet d'assurer ce contrôle. Afin de mieux définir
les objectifs à atteindre, cinq seniors experts en
laparoscopie ont réalisé les différents exercices et une
moyenne a été établi à l'aide de leur score. À la fin de
leur stage, une évaluation finale est prévue, ainsi qu'un
recueil de satisfaction. Cette étude est en cours et
méritera une analyse critique des résultats à son terme.
Conclusion
Le recours à la simulation peut combler les lacunes de
l'enseignement technique en chirurgie, en assurant un
apprentissage minimum commun, évaluable et mesurable. Elle assure l’acquisition d’un certain nombre de
gestes techniques, dont la complexité progressera avec
le cursus de l’interne, qui pourra à tout moment être
évaluée en condition expérimentale de simulation ou
encore en conditions réelles[24]. Le dogme « observer,
réaliser, enseigner » devient « observer une fois, simuler maintes fois, réaliser une fois avec compétence et
enseigner à tous »[25]. Puisque les instances comme la
Haute autorité de santé soulignent l'intérêt des nouvelles méthodes d'enseignement comme la simulation
dans le cursus des études médicales, il appartient aux
responsables académiques de compléter la formation
classique dite de compagnonnage par des programmes
de formations par simulation, qui concilient des impératifs techniques et comportementaux en conditions
proches du réel.
Contributions
Isabelle Lacreuse a supervisé le programme
d'entraînement des internes et lu les vidéos et est à
l'initiative de cette étude. Gilles Mahoudeau a
collaboré à l’élaboration de l’étude. François
Becmeur, Cindy Gomes Ferreira, Raphaël Moog et
Isabelle Kauffmann ont participé à cette étude lors
de la réalisation des nœuds intracorporels en
assistant les internes.
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4)
Évaluation clinique de l'efficacité de l'entraînement sur simulateur ...
Références
1. Reznick RK, MacRae H. Teaching surgical skillschanges in the wind. N Eng J Med 2006;355:2664-9.
2. Scalabre A, Bourgeois E, Peycelon M, Pons M, Raux S,
Kohler R, Varlet F. L’avenir de la chirurgie pédiatrique en France : la démographie des chirurgiens
pédiatres en formation. Pédagogie Médicale
2011;12:49-56.
3. Pareek G, Hedican SP, Bischoff JT, Shichman SJ, Wolf
JS, Nakada SY. Skills-based laparoscpy training
demonstrates long-term trasnfer of clinical laparoscopic practice: additional follow-up. Urology
2008;72:265-67.
4. Gurusamy KS, Aggarwal R, Palanivelu L, Davidson
BR. Virtual reality training for surgical trainees in
laparoscopic surgery. Cochrane database syst Rev
2009;21:CD006575.
5. Aggarwal R, Grandtcharov T, Moorthy K, Hance J,
Darzi A. A copetency-based virtual reality training
curriculum for the acquisition of laparoscopic psychomotor skill. Am J Surg 2006;191:128-33.
6. Datta V, Bann S, Aggarwal R, Mandalia M, Hance J,
Darzi A. Technical skills examination for general
surgical trainees. Br J Surg 2006;93:1139-46.
7. Adrales GL, Chu UB, Hoskins JD, Witzke DB, Park AE.
Development of a valid, cost-effective laparoscopic
training program. Am J Surg 2004;187:157-63.
8. Laguna MP, Schreuders JJ, Rassweiler CC, Abbou CC,
van Velthoven R, Janetschek G, Breda G, de la
Rosette JJ. Development of laparoscopic surgery
training facilities in Europe: Results of a survey of
the European Society of Uro-Technology (ESUT).
Eur Urol 2005;47:346-51.
9. Frumovitz M, Soliman PT, Greer M, Schmeler KM,
Moroney J, Bodurka DC, Ramirez PT. Laparoscopy
training in gynecologic oncology fellowship programs. Gynecol Oncol 2008;111:197-201.
10. Gallagher AG, Cates CU. Approval of virtual reality
training for carotid stenting: what this means for procedural-based medecine. JAMA 2004;292:3024-26.
11. Bashankaev B, Baido S, Wexner SD. Review of available methods of simulation training to facilitate surgical education. Surg Endosc 2011;25:28-35.
12. Fried GM, Feldman LS, Vassiliou MC, et al. Proving
the value of Simulation in Laparoscopic surgery. Ann
Surg 2004;240:518-528.
© 2011 EDP Sciences / SIFEM
221
13. Society of American Gastrointestinal and Endoscopic
Surgeons (SAGES). Fundamental of Laparoscopic
Surgery (FLS) program. 2009 [On-line] Disponible
sur : http://www.flsprogram.org.
14. Scott DJ, Young WN, Tesfay ST, Frawley WH, Rege
RV, Jones DB. Laparoscopic skills training. Am J
Surg 2001;182:137-42.
15. Vassiliou MC, Feldman LS, Andrew CG, BergmanS,
Leffondré K, Stanbridge D, Fired GM. A global
assessment tool for evaluation of intraoperative
laparoscpoic skills. Am J Surg 2005;190:107-13.
16. Ossen C, Van Ballaer P, Shaw RW, Koninckx PR.
Effect of training on endoscopic intracorporeal knot
tying. Hum Reprod 1997;12:2658-63.
17. Fitts PM, Posner MI. Learning and skilled performance in human performance. Belmont; CA:
Brooks/Cole,1967.
18. Dunphy BC, Williamson SL. In Pursuit of Expertice.
Toward an educational model for Expertice Development. Adv in Health Sc Educ 2004;9:107-27.
19. Raja R, Mishra RK. The impact of learing curve in
laparoscopic surgery. Worldjls 2008;1:56-59.
20. Cook JA, Ramsay CR, Fayers P. Statistical evaluation
of learning curves effect on surgical trials. Clinical
Trials 2004;1:421-27.
21. Rosser JC. The impact of video games on training surgeons in the 21st century. Arch Surg 2007;142:181-6.
22. Kirkpatrick D. Evaluating training programs: The
four levels. San Francisco (CA): Berrett-Koehler
Publishers (2nd Ed.), 1998.
23. Naik VN, Matsumoto ED, Houston PL, Hamstra SJ,
Yeung RYM, Mallon JS, Martire TM. Fiberoptic orotracheal intubation on anesthetized patients. Anesth
2001;95:343-8.
24. Bittner JG, Coverdill JE, Imam T, Deladisma AM,
Edwards MA, Mellinger JD. Do increased training
requirements in gastrointestinal endoscopy and
advanced laparoscopy necessitate a paradigm shift?
A survey of program directors in surgery. J Surg Educ
2008;65:418-26.
25. Trevor SL. Formation par simulation pour les résidents en médecine d’urgence: c’est le temps d’aller
de l’avant. CJEM 2008;10:470-3.
Correspondance et offprints : Isabelle Lacreuse, Service de
chirurgie infantile, CHU Hautepierre, Avenue Molière, 67098
Strasbourg, France.
Mailto : [email protected]
Pédagogie Médicale 2011; 12 (4)