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Pédagogie Médicale 2011; 12 (4): 213–221 RECHERCHE ET PERSPECTIVES DOI: 10.1051/pmed/2011107 © 2012 EDP Sciences / Société Internationale Francophone d’Education Médicale Évaluation clinique de l’efficacité de l'entraînement sur simulateur à la réalisation de nœuds intracorporels par les internes de chirurgie : un programme mis en place dans un service de chirurgie pédiatrique Clinical evaluation of intracorporeal knot tying simulations by surgical residents: a pediatric surgery study Isabelle LACREUSE1, Gilles MAHOUDEAU2, François BECMEUR1, Cindy GOMES FERREIRA1, Raphaël MOOG1 et Isabelle KAUFFMANN1 1 Service de chirurgie infantile, Centre hospitalier universitaire (CHU) Hautepierre, Avenue Molière, 67098 Strasbourg, France 2 Service d'anesthésiologie, Centre hospitalier universitaire (CHU) Hautepierre, Avenue Molière, 67098 Strasbourg, France Manuscrit soumis le 22 février 2011 ; commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 28 juillet et le 8 novembre 2011 ; accepté pour publication le 14 novembre 2011 Mots-clés Simulation ; chirurgie pédiatrique ; laparoscopie Résumé – Objectif : Le bloc opératoire est de moins en moins propice à l'apprentissage technique des internes en chirurgie pour diverses raisons éthiques, techniques et économiques. Or de plus en plus de procédures peuvent se faire par laparoscopie, technique qui impose un apprentissage spécifique. Ainsi, le risque de complication est majeur entre des mains non entraînées. Nous avons voulu évaluer l'impact clinique d'un programme d'apprentissage sur simulateur de laparoscopie à l'acquisition de gestes de base de laparoscopie comme la réalisation d'un nœud intracorporel dans un service de chirurgie pédiatrique. Matériel et méthodes : Quatorze internes en chirurgie ont été randomisés en deux groupes : un groupe témoin (n = 7) et un groupe entraînement (n = 7). Chaque interne a réalisé un premier nœud intracorporel au cours de la réparation laparoscopique d'une hernie inguinale de l'enfant. Un deuxième nœud est réalisé cinq semaines plus tard. Le groupe témoin n'a bénéficié d'aucun entrainement entre ces deux réalisations à l'inverse du groupe entraînement. Chaque procédure a été enregistrée puis analysée selon différents critères qualitatifs. Résultats : Alors qu'on ne trouve aucune différence significative entre les critères du premier et deuxième nœud du groupe Article publié par EDP Sciences 214 I. Lacreuse et al. témoin, les critères du deuxième nœud du groupe entraînement sont améliorés. Conclusion : l'entraînement sur simulateur de laparoscopie permet d'accélérer la phase d'apprentissage de gestuelle de base avec un impact direct sur la pratique clinique. Le bénéfice direct de ce type de programme d'entraînement est, pour le patient, une diminution du risque de complication. Keywords Simulation; pediatric surgery; laparoscopy Abstract – Objective: Learning endoscopic procedures in the operating area during surgery residencies is becoming increasingly challenging even though more and more laparoscopic procedures can be carried out. As a result, additional complications may occur due to a lack of training. We evaluated the clinical impact of a laparoscopic training program on acquiring basic laparoscopic skills, such as intracorporeal knot tying in pediatric surgery centres. Material and methods: Fourteen surgery residents were assigned in two randomised groups: a training group (n = 7) and a control group (n = 7). Each resident carried out an initial endoscopic intracorporeal knot during a laparoscopic inguinal hernia repair in a child followed by a second knot several weeks later. The control group did not perform any other endoscopic intracorporeal knot tying during the study. The training group benefited from pelvic area training. Each knot was recorded. In addition, the time it took to make each knot and the quality of each procedure were analysed. Results: The criteria were improved for the second knot in the training group while it was not in the control group. Conclusion: Laparoscopic training on simulators helps speed up the basic skill learning curve of surgical residents and has a real impact on clinical practice. Moreover, patients benefit directly from this type of training since there are few complication risks in the early part of learning. Introduction et problématique L’apprentissage des techniques chirurgicales au cours de la formation post-graduée (internat ou résidanat) des futurs chirurgiens rencontre de plus en plus d’obstacles et le bloc opératoire n'est plus l'environnement idéal de cet apprentissage pour des raisons éthiques, économiques et légales[1]. En effet, le compagnonnage « traditionnel » ne suffit plus à garantir l’acquisition des techniques. Diverses raisons ont été identifiées. – L’évolution technologique permanente place désormais l’instrumentation chirurgicale au centre d’une compétition commerciale entre différentes firmes industrielles innovantes et ce, particulièrement dans le cadre de la chirurgie mini-invasive. Ces innovations permanentes imposent au jeune chirurgien d’assimiler sans cesse de nouvelles procédures alors même qu’il est en phase d’apprentissage. Ponctuellement, il peut être amené à découvrir un nouvel outil au cours d’une procédure chirurgicale ce qui pose un certain nombre de problèmes éthiques. © 2011 EDP Sciences / SIFEM – L’évolution sociétale impose légitimement au chirurgien une obligation de moyens mais également une obligation de résultats, accentuant le stress de celui-ci qui doit maîtriser son art, quelle qu’ait été sa formation. Il en découle une obligation de moyens de formation afin, une fois de plus, d’assurer la sécurité du patient. – Concernant la chirurgie pédiatrique, certaines pathologies voient leur incidence diminuer du fait, entre autres, des progrès des moyens diagnostiques anténataux. Ainsi, les jeunes chirurgiens ne rencontrent ces pathologies que ponctuellement au cours de leur formation et ne peuvent acquérir une maîtrise technique suffisante grâce au seul compagnonnage au bloc opératoire. – La laparoscopie présente des spécificités qui ne peuvent être appréhendées autrement que par la pratique : l'absence de sensation tactile, la rupture de la coordination directe « œil-main », la vision bidimensionnelle, le défaut de retour de force, les contraintes des instruments et l’amplitude des mouvements. – L’augmentation du nombre d'internes en formation et les repos compensateurs diminuent le temps Pédagogie Médicale 2011; 12 (4) Évaluation clinique de l'efficacité de l'entraînement sur simulateur ... de présence au bloc opératoire. Par ailleurs un article récent pointe les difficultés auxquels font face certaines disciplines, telles que la chirurgie pédiatrique, avec un afflux important d'internes et peu de postes proposés en post-internat[2]. – Enfin en France, aucune évaluation des acquis techniques n’est réalisée au cours de l’internat alors que les connaissances théoriques sont sans cesse évaluées. Il nous semble indispensable d’anticiper les situations à risque par une évaluation régulière des acquis de l’interne, afin de pouvoir corriger les erreurs ou combler les manques au fur et à mesure de cette période d’apprentissage. Ainsi le compagnonnage comme seul moyen d’apprentissage est remis en cause. Il doit être complété par d’autres moyens de formation. Parmi eux, la dissection cadavérique est très intéressante puisqu’elle reproduit au mieux les conditions réelles. Toutefois, son accessibilité reste réduite, ne permettant pas un enseignement régulier à l’ensemble des internes en formation. Elle n’est en outre pas adaptée à la formation en chirurgie miniinvasive. Les formations pratiques, telles que les ateliers (workshop) ou divers programmes d’entraînement (training course), sont organisées habituellement sur quelques jours et sont très complètes puisqu’elles associent généralement une formation théorique et une formation pratique sur animal vivant. Toutefois, elles sont restrictives car ne traitent que de certaines pathologies ; elles sont chères, ponctuelles, sans évaluation des compétences acquises et assimilées à distance même si certains travaux prouvent l'efficacité à long terme de telles formations[3]. De plus elles requièrent un certain niveau de savoir-faire et ne sont donc pas ou peu intéressantes pour les internes en formation. Les programmes dotés de financement (fellowship) permettant la formation dans des centres de référence au cours de l’internat sont une excellente alternative mais ne sont pas non plus accessibles à tous et n’assurent pas une formation complète dans le champ disciplinaire spécialisé concerné. Reste l’apprentissage par simulation, qui utilise diverses ressources allant du simple simulateur de laparoscopie à la réalité virtuelle, avec de nombreuses © 2011 EDP Sciences / SIFEM 215 alternatives. De nombreuses études ont évalué l’apport de ces moyens d’apprentissage[4-6] et soulignent le manque de preuve quant à la supériorité des simulateurs de haute fidélité (réalité virtuelle) comparativement aux simulateurs de laparoscopie de type pelvitrainer[7], en tout cas pour l'acquisition des gestes de base de laparoscopie. Dès lors, l’objectif de faciliter l'accès au simulateur de chirurgie laparoscopique à l’ensemble des internes en formation est souhaitable et permettrait d’harmoniser et d’assurer leur formation. Ceci permettrait également d’évaluer régulièrement leurs acquis au cours du cursus. Pour répondre à ce besoin pédagogique, les responsables académiques de quelques spécialités, comme l'urologie ou encore la gynécologie, ont su réagir et mettre en place des programmes de formation à la laparoscopie[8,9], sans consensus national. L'impact médicolégal mais aussi économique de la nécessité d'une formation sur simulateur avant certification est maintenant établi dans ces spécialités[10,11]. Parallèlement, la Haute autorité de santé française, tout comme le National Health Service intègrent actuellement la simulation dans leurs recommandations pour la formation médicale initiale ou continue. Outre-Atlantique, l'apprentissage par simulation fait partie des exigences lors de la certification en chirurgie digestive au travers du programme Fundamentals of Laparoscopic Surgery[12,13]. Il nous a ainsi paru nécessaire de mettre en place au sein de notre service un programme de formation à la gestuelle de base en chirurgie laparoscopique. L’analyse de la littérature spécialisée recense de nombreux articles prouvant l'intérêt de la formation sur simulateur de laparoscopie mais aucun n'apporte la preuve directe de l'impact clinique d’une formation recourant à cet outil. Autrement dit, la transférabilité aux conditions réelles des progrès constatés lors de la réalisation d'exercices sur simulateur n’est pas établie. Enfin, de façon spécifique à la chirurgie pédiatrique, il n’est pas établi que des habiletés apprises grâce à des simulateurs « adulte » permettent d'améliorer sa gestuelle chez l'enfant. En effet, la population pédiatrique présente quelques particularités, à commencer par la taille de la cavité explorée (abdominale, thoracique,...). Il existe des simulateurs pédiatriques permettant de reproduire avec davantage Pédagogie Médicale 2011; 12 (4) 216 I. Lacreuse et al. de fidélité les conditions réelles. Cependant, à notre connaissance, aucune publication ne documente l'impact de tels simulateurs sur la formation en laparoscopie pédiatrique. Avant d'investir dans de tels outils, nous avons voulu apporter la preuve de l'impact clinique direct d’une formation effectuées sur simulateur « adulte » dans notre service de chirurgie pédiatrique. Matériel et méthodes Durant un an, nous avons proposé aux internes affiliés au service de chirurgie pédiatrique de participer à cette étude sur la base du volontariat. Il s'agissait d'internes en cours de validation du diplôme d’études spécialisé (DES) de chirurgie générale. L'exercice proposé était la réalisation d'un nœud intracorporel en laparoscopie chez l’enfant, dans le cadre de la prise en charge d’une hernie inguinale par persistance du canal péritoneo-vaginal. Un senior expert en laparoscopie (plus de 100 procédures effectuées) est présent tout au long de la procédure et tient la caméra. Deux groupes de sept internes sont alors constitués par tirage au sort. Les internes du groupe témoin (groupe T) réalisent deux nœuds intracorporels à cinq semaines d'intervalle sans entraînement dans l'intervalle. Les internes du groupe d’entraînement (groupe E) bénéficient durant ces cinq semaines d'un programme d'entraînement sur le simulateur de laparoscopie, selon un protocole bien établi consistant à réaliser une séance d'entraînement par semaine à raison de 10 nœuds par séance. Seule la première séance était supervisée par un senior expert en laparoscopie (toujours le même) montrant la technique et corrigeant les erreurs de chacun. Cette base d’entraînement a été décidée arbitrairement, au vu des données de la littérature[14]. Notre simulateur de laparoscopie était constitué d'une boîte opaque au travers de laquelle sont passés les instruments de laparoscopie, dont un dispositif optique relié à une colonne de laparoscopie (figure 1). L'installation des trocarts reproduisait les conditions d'installation lors d'une réparation laparoscopique de hernie inguinale chez l'enfant. Il s'agit alors de réaliser un nœud sur un © 2011 EDP Sciences / SIFEM Fig. 1. Le simulateur de laparoscopie. gant chirurgical à l'aide d'un fil serti aux mêmes caractéristiques que celui utilisé lors d'une réparation herniaire. La réalisation de chaque nœud est enregistrée en vidéo anonymement. Chaque vidéo sera visionnée par une seule personne experte en laparoscopie. Les critères permettant de juger de la qualité et de la sécurité de la gestuelle seront cotés : – temps de réalisation (en minutes) : paramètre de sécurité et de qualité. Ce critère a longtemps été un critère cité pour évaluer le savoir-faire des chirurgiens et établir ce que l'on appelle leur courbe d'apprentissage ; – nombre de sortie de champ, correspondant au nombre de fois où les instruments sortent du champ de la caméra. Il s'agit d'un paramètre de sécurité car tout instrument sortant du champ de la Pédagogie Médicale 2011; 12 (4) Évaluation clinique de l'efficacité de l'entraînement sur simulateur ... 217 Tableau I. Résultats des performances des internes des groupes « témoin » et « entraînement » lors de la réalisation d’un nœud intracorporel, au regard des critères d'étude (exprimés en moyenne pour chacun d'entre eux). groupe nœud 2. Sortie de champ 7 3. Aller/retour Amplitude inapproprié 4. Coordination 5. Tremblement n°1 1. Durée (min) 11 Témoin inappropriée Présents n=7 n°2 12,5 6 inapproprié inappropriée Présents Entraînement n°1 11 6 inapproprié inapproprié Présents n=7 n°2 3,5* 2 appropriée appropriée Présents Ce tableau compare les valeurs moyennes obtenues pour chaque critère lors du nœud réalisé en début d'étude (n°1) et du nœud réalisé en fin d'étude (n°2). Nous avons comparé les valeurs moyennes obtenues entre ces deux nœuds pour chaque critère pour chaque groupe indépendamment. Nous avons utilisé un test de comparaison de moyenne sur échantillons appariés avec p < 0,05 significatif. Concernant le groupe témoin, nous ne notons aucune différence significative entre le nœud n°1 et le nœud n°2 et ce pour l'ensemble des critères. Concernant le groupe entraînement, la durée de réalisation du nœud est significativement améliorée entre le premier le deuxième nœud. Nous n'avons pas pu mettre en évidence de différence significative entre les données qualitatives des premier et deuxième nœuds du groupe entraînement même si on note une tendance à l'amélioration des critères. caméra est potentiellement dangereux pour le malade avec le risque que cet instrument lèse un organe ; – amplitude et nombre des mouvements aller/retour, correspondant à l’amplitude et au nombre de fois où les instruments vont et viennent en profondeur dans le champ de la caméra. C’est un paramètre de qualité car il rend compte de la capacité qu’a l’opérateur d’adapter sa gestuelle tridimensionnelle à sa vue bidimensionnelle sur écran. Elle est cotée en : approprié, approximatif et non approprié ; – coordination des mains, évaluant la capacité à dissocier la gestuelle de chaque main. Elle est cotée en : appropriée, approximative et non appropriée ; – tremblements. Ce critère est coté en : présents ou absents. L'ensemble de ces critères s'inspire des scores validés cités dans la littérature[15]. Nous avons adapté et simplifié la grille de cotation, du fait du faible nombre de participants afin de gagner en puissance statistique. Pour chaque groupe nous avons réalisé un test de comparaison de moyenne sur échantillons appariés avec p < 0,05 significatif. © 2011 EDP Sciences / SIFEM Par ailleurs, nous avons réalisé en fin d'étude un recueil oral de satisfaction auprès de chaque participant. Résultats Le tableau I représente la moyenne des résultats de chaque critère pour chacun des deux groupes T et E. Nous observons une baisse significative de la durée de réalisation entre le premier et deuxième nœud dans le groupe E, ce qui n'est pas le cas dans le groupe T. En ce qui concerne les critères de qualité, dit critères subjectifs, bien que les données statistiques ne soient pas significatives du fait de la faiblesse de nos échantillons, nous constatons une nette tendance à l'amélioration de l'ensemble des critères, excepté le critère « tremblements ». Les participants du groupe T avaient tous un sentiment « négatif » de cette expérience. Chacun expliquait avoir assisté à des laparoscopies au cours desquelles des nœuds intracorporels étaient effectués, comme lors de cette étude. Tous à l’exception de deux pensaient de ce fait faire mieux en ayant « compris », « assimilé visuellement la technique ». À l’inverse, les participants du groupe E avaient tous un sentiment positif, ayant pris conscience que d’avoir assisté de Pédagogie Médicale 2011; 12 (4) 218 telles interventions et d’en avoir compris la technique ne suffisait pas à maîtriser la gestuelle et que, par contre, l’entraînement sur simulateur leur permettait de dépasser leurs difficultés. Le cas particulier de deux participants doit être mentionné : – celui d’un participant du groupe T, n’ayant jamais eu l’occasion de réaliser de telles gestuelles auparavant et dont les performances ont étonné. Le temps de réalisation de ses deux nœuds (respectivement 6 et 7 minutes), était bien moindre que celui des autres participants du même groupe ; il possédait par ailleurs une maîtrise des spécificités de la laparoscopie, que sont les critères 2, 3 et 4 du tableau. Il présente une très bonne coordination des deux mains, un bon repère tridimensionnel, sachant très bien dissocier son regard de ses mains. Ce participant est un « vidéo-gamer », passionné de jeux vidéo ayant une grande habitude de dissocier son regard de l’action de ses mains ; – celui d’un participant du groupe E, chirurgien étranger venu un an en France pour apprendre la laparoscopie. Il ne pratique pas les jeux vidéo, n'avait jamais participé à aucune laparoscopie auparavant. Par contre il montrait une très grande motivation et a énormément profité du simulateur puisqu’il a réalisé en moyenne un entraînement de 10 nœuds trois à quatre fois par semaine, soit une utilisation trois à quatre fois plus fréquente que ses collègues du même groupe. Alors qu’il réalise un premier nœud difficilement (durée 20 minutes et une mauvaise cote à l’ensemble des critères qualitatifs), il réalise un deuxième nœud que l’on peut qualifier de très bon (nœud réalisé en deux minutes avec l’ensemble des critères qualitatifs les mieux notés). Discussion L’apparition de la laparoscopie en chirurgie pédiatrique est marquée par une nette augmentation des complications per et post-opératoires, particulièrement dans les centres manquant d’expérience[16]. Pourtant la laparoscopie tient une place de plus en plus © 2011 EDP Sciences / SIFEM I. Lacreuse et al. importante dans l'arsenal thérapeutique proposé. Elle requiert des compétences spécifiques imposant un apprentissage spécifique. Le compagnonnage au bloc opératoire ne suffit pas dans ce cadre et doit être complété d'outils pédagogiques accessibles, utilisables dans des conditions reproductibles et grâce auxquels la progression de l'apprenant doit pouvoir être objectivée. Dès 1962, Fitts a décrit les phases d'apprentissage d'une tâche ou d'une technique[17]. Durant la première phase, dite phase cognitive, l'apprenant reçoit les informations verbales, écrites ou encore schématisées, pour la réalisation de la technique. C'est la phase « novice » des cinq niveaux d'expertise de Dreyfus et al.[18], celle où surviennent les erreurs. Pour Fitts, la seconde phase est dite associative, au cours de laquelle l'apprenant corrige ses erreurs jusqu'à une assimilation de la technique enseignée. La troisième et dernière phase est celle de l'autonomie, celle où la technique enseignée est parfaitement maîtrisée, automatisée et réalisée presque « inconsciemment ». Les patients ne doivent bénéficier de soins que de la part de chirurgiens en phase d'autonomie, les deux phases précédentes étant celles de l'apprentissage. Ainsi le nouveau défi de l'enseignement chirurgical, en France comme ailleurs, est que chaque interne en fin de cursus soit en phase d'autonomie de l'apprentissage gestuel de la laparoscopie (exemple : nœuds intracorporels, préhension des tissus,...). Il y a aujourd'hui une exigence de refonder l'enseignement pratique en chirurgie en France. Comme nous l'avons mentionné, certaines spécialités ont déjà franchi le pas de ce changement en introduisant la simulation dans leur méthodes d'apprentissage mais sans réel consensus ou validation nationale. Le centre universitaire de Nice Sophia-Antipolis est le premier centre français ayant un programme de formation et de validation du diplôme d'études spécialisés en chirurgie s'appuyant en partie sur les apprentissages par simulation. Ce programme a été validé par l'American College of Surgeon. Une intervention chirurgicale correspond à l'apprentissage d'une séquence de tâches. Chacune des tâches doit être assimilée et lorsque l'on étudie la progression de l'apprenant dans l'acquisition de cette séquence, on parle de courbe d'apprentissage Pédagogie Médicale 2011; 12 (4) Évaluation clinique de l'efficacité de l'entraînement sur simulateur ... (learning curve), terme introduit en 1936 par Wright dans l'industrie de l'aéronautique dont les programmes de formation sont confrontés aux mêmes contraintes économiques et morales que ceux en santé[19]. Concrètement, ces programmes de formation permettent une optimisation de la courbe d’apprentissage, qui bénéficie directement au patient avec une chirurgie moins longue, mieux maîtrisée[8]. La courbe d'apprentissage rend compte d’une amélioration des performances avec l’expérience, avec toujours un aspect cumulatif puisque chaque expérience passée va concourir à l’amélioration de l’expérience à venir, l’amélioration étant plus rapide au début de l’apprentissage. Cette courbe est extrêmement importante en laparoscopie puisqu’elle montre le niveau de performance du chirurgien au début de son expérience en laparoscopie, puis la vitesse avec laquelle il améliore ses performances par la « profondeur » de la courbe, enfin son niveau de stabilisation[20] (plateau de la courbe). Le premier point de la courbe est non modifiable puisqu’il s’agit de la première expérience du chirurgien. Nous ne pouvons influencer par l’apprentissage que la profondeur de la courbe. Or, c'est bien cette phase la plus intéressante puisque chaque expérience passée enrichissant l’expérience future, l'accumulation des expériences va rendre la pente plus rapide et accélérer le processus de formation, le patient étant alors pris en charge par un chirurgien plus expérimenté. De même, quelle que soit la vitesse d’acquisition de l’expérience, la pente est toujours plus importante au début de la courbe : les premières expériences sont les plus formatrices. Ainsi, c’est bien en insistant sur les premières phases de l’apprentissage de la laparoscopie que l’on peut optimiser l’apprentissage de nos internes et assurer une sécurité au patient. Notre étude a permis d’obtenir des résultats conformes à ce qui était anticipé. Elle a confirmé que l’on peut accélérer l'acquisition d'une gestuelle de base en laparoscopie (la réalisation de nœuds intracorporels) par l'utilisation de simulateur, même lorsque le simulateur ne reproduit pas parfaitement les conditions réelles. Dans notre situation, le simulateur ne reproduisait pas les contraintes de la laparoscopie pédiatrique, liées au © 2011 EDP Sciences / SIFEM 219 manque d'espace et, malgré cela, les participants du groupe E ont progressé dans les conditions réelles après entrainement. En dépit d’un échantillon de participants faible, ces résultats illustrent que la simulation peut améliorer l’apprentissage de procédures techniques plus ou moins complexes dans un contexte reconstruit et d’en améliorer la maîtrise en conditions réelles. Notre étude a documenté les bénéfices à cet égard de façon objective, à l’aide de mesures quantitatives et qualitatives, ce qui, concernant la maîtrise de technique laparoscopique en situation clinique réelle, avant et après entraînement sur simulateur, n’était pas établi dans la littérature. La laparoscopie est née avec la génération précédente mais est bien la spécialité des générations futures. De nombreuses études soulignent, comme nous l’avons fait à propos de l’un des participants de l’étude, que des étudiants ayant l’habitude des jeux vidéos ont acquis inconsciemment quelques habilités fondamentales de laparoscopie[21]. Une telle aptitude accélère la pente initiale de la courbe d'apprentissage sans en influencer la suite qui, elle, dépendra directement de l’expérience chirurgicale. Ainsi notre étude justifie l’introduction de l’entrainement sur simulateur dans le cursus de formation des internes en chirurgie pédiatrique et particulièrement au début de ce cursus. Une étude similaire confirme ces résultats[16]. De nombreuses études apportent également des preuves du niveau 3 selon la taxonomie de Kirkpatrick[22], en faveur de la simulation dans le domaine de l’anesthésiologie qui doit faire face aux mêmes difficultés d’apprentissage technique que la chirurgie[23]. Quelques limites de notre travail doivent être mentionnées. La faiblesse de l’effectif des participants a déjà été soulignée, ce qui n’a pas permis de faire ressortir une différence statistiquement significative des critères qualitatifs du groupe E entre le premier et le deuxième nœuds. Nous avons également souligné les limites de l’outil de simulation utilisé, qui ne permettait pas une reproduction parfaite de la réalité de la situation clinique étudiée. Il est probable que l'amélioration de l'outil optimiserait la portée d'un tel enseignement. Pédagogie Médicale 2011; 12 (4) 220 On peut par ailleurs faire l’hypothèse que le niveau de formation et de motivation des participants était très variable. Il s'agissait d'internes en cours de validation du DES de chirurgie générale, alors que certains ce destinaient à l'orthopédie, d'autres à la chirurgie digestive adulte ou encore à la chirurgie pédiatrique. La répartition par randomisation a permis de réduire ce biais. Il faut cependant noter que notre protocole d’étude ne permettait pas d’évaluer des indicateurs en lien avec la motivation ni d’en apprécier l’impact. Il n’a pas été possible d’établir une véritable courbe d'apprentissage pour chacun des participants, la réalisation de seulement deux nœuds en conditions cliniques réelles ne le permettant pas. Enfin, cette étude est ponctuelle au cours du cursus des participants. Si réellement cet enseignement est bénéfique à l’étudiant et complémentaire de sa formation « classique », ce qui semble être le cas, il serait intéressant d’uniformiser cet apprentissage pour que chacun en bénéficie au début de son cursus, notamment en cas d’orientation pédiatrique. Une évaluation régulière devrait être réalisée afin d’adapter le programme de formation à l’apprenant en fonction de ses acquisitions. Il s’agirait alors d’une formation plus personnelle avec un suivi longitudinal, qui fait actuellement défaut dans notre système de formation universitaire où les connaissances théoriques sont évaluées très régulièrement alors que les procédures pratiques ne le sont pas et qu’elles sont considérées comme acquises en fin d’internat, quelles qu’aient été les expériences des uns et des autres. Une seconde étude a débuté. Nous avons mis en place un programme d'entraînement à la laparoscopie inspirée des Fundamentals of Laparoscopic Surgery (FLS de la Society of American Gastrointestinal and Endoscopic Surgeons) pour tout interne réalisant un stage dans notre service. Chacun d'entre eux doit remplir une feuille de renseignements évaluant son expérience en laparoscopie et ses attentes. Un senior expert réalise ensuite chaque exercice avec l'étudiant en lui expliquant les buts de l'exercice. Nous avons créé sept exercices dits d'initiation et sept de perfectionnement. En fonction des acquis de l'interne, celui-ci s'entrainera aux exercices d'initiation ou de perfectionnement à raison d’une séance par mois minimum. Régulièrement, le senior vient assister à une © 2011 EDP Sciences / SIFEM I. Lacreuse et al. séance d'entrainement afin d'objectiver les progrès de l'apprenant et de corriger les éventuelles erreurs. Une fiche de suivi individuelle permettant de reporter la durée et la qualité de la réalisation des exercices permet d'assurer ce contrôle. Afin de mieux définir les objectifs à atteindre, cinq seniors experts en laparoscopie ont réalisé les différents exercices et une moyenne a été établi à l'aide de leur score. À la fin de leur stage, une évaluation finale est prévue, ainsi qu'un recueil de satisfaction. Cette étude est en cours et méritera une analyse critique des résultats à son terme. Conclusion Le recours à la simulation peut combler les lacunes de l'enseignement technique en chirurgie, en assurant un apprentissage minimum commun, évaluable et mesurable. Elle assure l’acquisition d’un certain nombre de gestes techniques, dont la complexité progressera avec le cursus de l’interne, qui pourra à tout moment être évaluée en condition expérimentale de simulation ou encore en conditions réelles[24]. Le dogme « observer, réaliser, enseigner » devient « observer une fois, simuler maintes fois, réaliser une fois avec compétence et enseigner à tous »[25]. Puisque les instances comme la Haute autorité de santé soulignent l'intérêt des nouvelles méthodes d'enseignement comme la simulation dans le cursus des études médicales, il appartient aux responsables académiques de compléter la formation classique dite de compagnonnage par des programmes de formations par simulation, qui concilient des impératifs techniques et comportementaux en conditions proches du réel. Contributions Isabelle Lacreuse a supervisé le programme d'entraînement des internes et lu les vidéos et est à l'initiative de cette étude. Gilles Mahoudeau a collaboré à l’élaboration de l’étude. François Becmeur, Cindy Gomes Ferreira, Raphaël Moog et Isabelle Kauffmann ont participé à cette étude lors de la réalisation des nœuds intracorporels en assistant les internes. Pédagogie Médicale 2011; 12 (4) Évaluation clinique de l'efficacité de l'entraînement sur simulateur ... Références 1. Reznick RK, MacRae H. Teaching surgical skillschanges in the wind. N Eng J Med 2006;355:2664-9. 2. Scalabre A, Bourgeois E, Peycelon M, Pons M, Raux S, Kohler R, Varlet F. L’avenir de la chirurgie pédiatrique en France : la démographie des chirurgiens pédiatres en formation. Pédagogie Médicale 2011;12:49-56. 3. Pareek G, Hedican SP, Bischoff JT, Shichman SJ, Wolf JS, Nakada SY. Skills-based laparoscpy training demonstrates long-term trasnfer of clinical laparoscopic practice: additional follow-up. 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