Transition malienne, décentralisation, gestion communale
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Transition malienne, décentralisation, gestion communale
GRAFIGÉO 1999-8 TRANSITION MALIENNE, DÉCENTRALISATION, GESTION COMMUNALE BAMAKOISE M o n i q u e B E RT R A N D Collection mémoires et documents de l’ UMR PRODIG Le Mali n'échappe pas à la vague des décentralisations africaines dans la dernière décennie : de nouvelles attributions sont reconnues aux communes urbaines déjà existantes, avec des moyens incertains ; le niveau exécutif de l'arrondissement est supprimé au profit d'environ 700 communes rurales qui sont constituées sur l'intégralité du territoire malien. Par-delà ses débats techniques, cette refonte offre aux chercheurs, géographes au premier plan, l'occasion d'interroger les arguments du territoire, la crédibilité d'identités locales, l'économie politique des pouvoirs municipaux. Q uels sont les enjeux de cette expérience de » remembrement territorial par le bas » ? Le redécoupage de l'espace suggère-t-il une voie de sortie de la crise de légitimités et de liquidités de l'État à l'issue d'un régime de parti unique centralisé, d'une décennie d'ajustement structurel et de paupérisation marquée ? Ces enjeux expriment-ils les nécessités ou les limites d'une transition politique qui se joue, dans le temps et dans l'espace, par-delà le simple moment de la Conférence nationale ? Participent-ils enfin du renouvellement du développement rural ou d'une promotion inédite des encadrements urbains ? À l'issue de la mise en place des réformes (19921997), l’ouvrage s'interroge sur les opportuni- tés et sur les contraintes dont le changement institutionnel augure pour l'avenir. Il confirme l'importance des conflits fonciers et des régulations sociales dont le rapport au sol est vecteur, en ville comme en campagne. ISBN 2 901560 39 3 ISSN 1281-6477 TRANSITION MALIENNE, DÉCENTRALISATION, GESTION COMMUNALE BAMAKOISE DANS LA MÊME COLLECTION (ISSN 1281-6477) La Francophonie au Vanuatu. Géographie d’un choc culturel par Maud Lasseur (Grafigéo 1997, n° 1, ISBN 2-901560-30-X) La géographie tropicale allemande par Hélène Sallard (Grafigéo 1997, n° 2, ISBN 2-901560-31-8) Le repeuplement de la côte Est de Pentecôte. Territoires et mobilité au Vanuatu par Patricia Siméoni (Grafigéo 1997, n° 3, ISBN 2-901560-32-6) B. comme Big Man Hommage à Joël Bonnemaison (Grafigéo 1998, n° 4, ISBN 2-901560-34-2) Siem Reap - Angkor Une région du Nord-Cambodge en voie de mutation par Christel Thibault (Grafigéo 1998, n° 5, ISBN 2-901560-36-9) La colonisation mennonite en Bolivie Culture et agriculture dans l’Oriente par Gwenaëlle Pasco (Grafigéo 1999, n° 6, ISBN 2-901560-37-7) Retour du refoulé et effet chef-lieu : analyse d’une refonte politico-administrative virtuelle au Niger par Frédéric Giraut (Grafigéo 1999, n° 7, ISBN 2-901560-38-5) SOUS PRESSE Transformations environnementales dans le monde malais. Approches politiques et culturelles par François Spica (1999-9) A PARAÎTRE Inventaire géomorphologique de la région de Fejej (Sud de l’Ethiopie). Etude au moyen de données aériennes et spatiales par Lydie Martin Le « grand Mekong » : mirage ou futur miracle ? par Sophie Adam Dynamiques fluviales holocènes dans le delta du Rhône par Gilles Arnaud-Fassetta Le développement durable en questions par Sophie Bouju TRANSITION MALIENNE, DÉCENTRALISATION, GESTION COMMUNALE BAMAKOISE M o n i q u e B E RT R A N D RAPPORT DE RECHERCHE MINISTÈRE DE LA COOPÉRATION « VILLES ET DÉCENTRALISATION EN AFRIQUE » Novembre 1997 A VEC LA PARTICIPATION FINANCIÈRE DE L’ ÉQUIPE EQUATEUR DE L’ UNIVERSITÉ DE PARIS 1 - PANTHÉON Pôle de Recherche pour l’Organisation et la Diffusion de l’Information Géographique 191 rue Saint-Jacques 75005 Paris DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Marie-Françoise Courel DIRECTEUR FONDATEUR DE LA COLLECTION Joël Bonnemaison (1940-1997) DIRECTEUR DE LA COLLECTION Roland Pourtier COMITÉ ÉDITORIAL Gérard Beltrando Jean-Louis Chaléard Marie-Françoise Courel Christian Huetz de Lemps Roland Pourtier Photographie de couverture Les équipements urbains générateurs de ressources décentralisées : reconstruction du Marché rose à Bamako cliché de Monique Bertrand, avril 1998 « Vignettes de l’Atlas Catalan » (1375), B.N. de Paris, d’après Fall Y.F., 1982. L’Afrique à la naissance de la cartographie moderne. Paris, Karthala Maquette et mise en page Maorie Seysset Cartographie Samuel Robert Traitement photographique Thierry Husberg Prix de vente au numéro 70 FF HT - 84,42 FF TTC © PRODIG. 1999 ISBN 2 901560 39 3 ISSN 1281-6477 Avant-propos Avant-propos Grafigéo élargit sa palette. Après les mémoires de maîtrise et DEA, la revue entreprend la publication de deux études effectuées dans le cadre d'un contrat de recherche entre le Ministère de la Coopération (aujourd'hui Affaires Étrangères) et Équateur sur le thème « Ville et décentralisation en Afrique au Sud du Sahara ». Elles ont été réalisées par Frédéric Giraut au Niger et par Monique Bertrand au Mali. La seconde est publiée dans le présent Grafigéo. La revue répond ainsi à son ambition de rendre accessible des travaux scientifiques trop souvent confinés dans une étroite confidentialité. Depuis quelques années les réformes de l'administration territoriale en Afrique au sud du Sahara vont bon train. Un maîtremot les guide : décentralisation. Le changement institutionnel est vivement encouragé par la Banque mondiale qui voit dans la valorisation du local un moyen d'introduire ou de consolider la démocratie, tout en favorisant l'échelon des villes petites et moyennes. Mais il y a loin de l'intention à la réalisation effective et il convient de s'interroger sur la réalité des changements politiques, sociaux, économiques qui devraient accompagner les décentralisations. Grafigéo 1999-8 Pièce obligée de la « transition » politique des années quatre-vingt-dix, la refonte administrative conduite au nom de la « bonne gouvernance » a vu la multiplication du nombre de circonscriptions, chefslieux, communes, concourant à un resserrement du maillage administratif. S'agit-il d'une décentralisation réelle, ou bien d'une simple déconcentration des institutions centrales de l'État ? Comment des organigrammes largement inspirés de l'expérience française, du moins dans les pays dits du « champ », s'articulent-t-ils avec les dynamiques sociales et économiques endogènes ? Peuvent-ils faire surgir de nouvelles territorialités à l'échelle locale ? Quelle est la part du virtuel et du réel dans ce nouvel avatar de l'État africain ? Autant de questions auxquelles seules des études de terrain peuvent répondre. Les deux textes publiés par Grafigéo constituent une contribution à cet ample débat auquel les changements politiques des années quatre-vingt-dix ont donné un regain d'actualité. Ils proposent deux approches différentes qui dans leur complémentarité éclairent la complexité et démêlent les enjeux qui se cachent sous le vocable général et abstrait de la « décen5 Avant-propos tralisation ». Frédéric Giraut s'est intéressé à la totalité du territoire nigérien dont il analyse les phases successives de la transition institutionnelle et urbaine et les forces sociales et politiques ayant présidé au remodelage de l'administration territoriale entre 1994 et 1996. Monique Bertrand, après avoir présenté les lignes directrices des réformes maliennes entreprises entre 1992 et 1997, s'attache plus particulièrement à l'analyse de la gestion communale de Bamako, mettant notamment en exergue l'importance des questions foncières. Ces deux études démontrent que l'administration du territoire est loin d'être étrangère à la géographie parce que celleci, en interrogeant l'espace dans la matérialité des lieux et l'action des hommes, ramène toujours les institutions sur terre. Roland POURTIER. Sommaire Introduction • Enjeux et séquences du processus de décentralisation 15 . . . . . . . . Chapitre 1 • Le contexte d’émergence des réformes Acteurs et débats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 D’ UNE CARTE ADMINISTRATIVE À L ’ AUTRE DES OBJECTIFS NEUFS ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 La refonte administrative n’est pas totalement inédite La transition politique des années quatre-vingt-dix souligne la nécessité d’innovations conséquentes . . . . . . . . . . . . 19 . . . . . . . . . . 20 Renforcer la société civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Restaurer l’État de droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 I MPULSIONS EXTÉRIEURES , RESSORTS ENDOGÈNES . . . . . . . . . . 26 Des conditionnalités fortes, d e s b a i l l e u r s d e f o n d s d i f f é r e n c i é s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 « La bonne gouvernance telle qu’elle s’expose » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 L’expérience française des communes et des quartiers : une pédagogie des missions locales d’animation publique 29 32 ..................... L’appropriation africaine du slogan : le PDM . . . . . . . . . . . . . . . . . La greffe malienne : un débat plus intérieur qu’indigène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le joug des crises de début et de fin de quinquennat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tutelles ministérielles, chantier présidentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Introuvable société civile ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 2 • Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? . . . . . . . . . 33 33 35 36 45 L’ INNOVATION DES COMMUNES RURALES ET SES INCERTITUDES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 R e m p l a c e r l ’ a r r o n d i s s e m e n t ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Concevoir d’en haut, mettre en œuvre en bas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Comparaisons africaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Campagnes crédibles/campagnes déficitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 L’épineuse question des bases territoriales d e s n o u v e l l e s c o m m u n e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Micro-communes et polarisation de l’espace local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Le nœud gordien du contrôle foncier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 LE BINÔME « VILLES ET DÉCENTRALISATION RENFORCÉ EN 1996 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » . . . . . . . . . . . . . . . . . . Dimension sociale de l’ajustement et lutte contre l a p a u v r e t é : e n j e u x d ’ u n e g e s t i o n u r b a i n e d é c e n tr a l i s é e Grafigéo 1999-8 53 . . . . . . . . . . . . . 53 7 Sommaire Soutenir l’économie urbaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 L’effet Habitat II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Le paquet financier de la coopération multilatérale à l ’ i n t e n t i o n d e s v i l l e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Alléger la structure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Plusieurs innovations notables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 La spécificité bamakoise au regard des c o m m u n e s u r b a i n e s “ d e l ’ i n t é r i e u r ” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 La donne démographique et budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 Six communes sous la tutelle du district . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 Du front des communes à l’émiettement des positions politiques : le risque d’une perte de cohérence ..................... Chapitre 3 • Anticiper sur les réformes : la gestion communale à l’épreuve du marché foncier bamakois . . . . . 66 73 CONCURRENCES ET FRICTIONS DOMANIALES AU SEIN DU DISTRICT DE BAMAKO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 L’ancien domaine aéroportuaire de Bamako-Hamdallaye : r é s e r v e c o n v o i t é e , e s p a c e d i s p u t é . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .75 « Sauvons notre quartier » : les maires sur l e f r o n t d e s c a s s e s e t d e s a t t e n t e s p o p u l a i r e s . . . . . . . . . . . . . . . 79 Poids de la ville irrégulière, héritages de la gestion UDPM . . . . . . . . . . . . . . . 79 25 opérations pour une coordination communale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 LES BANCS D ’ESSAI DE LA GESTION LOCALE PRATIQUES D’ATTRIBUTION FONCIÈRE ET CLIENTÈLES COMMUNALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mobilisations peu reproductibles : vers un “ développement urbain durable ” ? : . . . . . . . . . . . . . . 87 87 1 800 parcelles en quotas municipaux au sud de l’agglomération . . . . . . . . . . . . . . 88 « Résidus » prélevés sur les zones de recasement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 « Raccords » de fonds de lotissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 « Stratégie des poches » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 F r a g m e n t a t i o n d e l a g e s t i o n u r b a i n e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 La perspective d’un « entrepreneuriat municipal » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Épreuves de force . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Leaderships locaux sous l’angle de « magouilles » et de blocages . . . . . . . . . . . . 95 C l i e n t è l e s f o n c i è r e s , d i v i s i o n s o c i a l e d e l ’ e s p a c e u r b a i n . . . . . . . . . . . . . 96 Attributions administratives, 1985-1994 : renforcement des sélections ? . . . . . . . . 98 Gentrification dans l’offre ACI/régulations communales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Nouveaux tris communaux : des poches spéculatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 Co n c l u s i o n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 03 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Liste des cartes et tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 Résumés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Grafigéo 1999-8 8 Cadre juridique J ALONS LÉGISLATIFS ET EXÉCUTIFS DE LA DÉCENTRALISATION MALIENNE (1992-1997) • P ROJET DE LOI (conseil des ministres, 22 juillet 1992) fixant le nombre, les conditions d'éligibilité et de remplacement, ainsi que les indemnités des membres du Haut Conseil des Collectivités territoriales. Celui-ci a pour vocation de donner un avis motivé sur toute politique de développement régional et local. • P ROJET DE DÉCRET (conseil des ministres, 28 novembre 1992) instituant la Mission de décentralisation auprès du ministère de l'Administration territoriale et de la Sécurité. Instituée d'abord pour un an, la Mission a pour rôle de définir les rapports entre l'État et les collectivités territoriales, de concevoir un mécanisme de répartition des biens, des ressources et des charges entre l'État et les collectivités territoriales, d'élaborer les mesures nécessaires à la politique de décentralisation telle que prévue par le programme à moyen terme du gouvernement (1992-1995). • L OI 93/008 (11 février 1993), déterminant les conditions de la libre administration des collectivités territoriales. Elle en définit les conditions d'application autour de trois échelons administratifs, fixe la nomenclature, les modalités d'organisation et de fonctionnement de chaque catégorie de collectivité : régions, cercles, communes. Pour accomplir leurs missions, les collectivités territoriales pourront créer leurs propres services et disposer des services de l'État, ce que devront préciser des décrets ultérieurs. • L OI 95-034 (12 avril 1995), déterminant Code des collectivités territoriales du Mali. Elle régit les communes existantes et celles qui seront créées dans le cadre de la décentralisation. • L OI 96-059 (4 novembre 1996), portant découpage territorial des communes. Elle fixe à 682 le nombre des nouvelles communes rurales créées par la refonte administrative. • D ÉCRET DU 17 JANVIER 1997 prorogeant le mandat des élus municipaux des 19 communes maliennes jusqu'au 30 juin (la prorogation sera ensuite repoussée au 18 juillet 1997). L'initiative est conforme à l'article 7 de la loi 95-034 du 12 avril 1995 déterminant Code des collectivités territoriales. • D ÉCRET DU 17 JUILLET 1997 ordonnant la dissolution des conseils municipaux des communes de Kayes, Kita, Koulikoro, Sikasso, Bougouni, Koutiala, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao, et du district de Bamako. Dans les communes de Nioro, Kati et San, les membres des conseils ont rendu eux-mêmes leur démission. La mesure prépare le projet de décret portant nomination de délégations spéciales chargées de la gestion des 19 communes urbaines du Mali (conseil des ministres, 23 juillet 1997), en attendant les élections municipales de 1998. Nommées sur proposition du ministre chargé des Collectivités territoriales, par décret pris en conseil des ministres (article 9 du Code des collectivités territoriales), les délégations spéciales se composeront de sept membres dont un président qui remplit les fonctions de maire. Grafigéo 1999-8 9 Décentralisation malienne : les régions et les cercles Grafigéo 1999-8 11 Décentralisation malienne : les arrondissements avant 1996 Carte 3 - Les arrondissements du Mali, avant la réforme communale de 1996 N Kidal Tombouctou Tombouctou Gao Mopti Kayes Ségou Koulikoro Sikasso 0 Grafigéo 1999-8 200 400 km 12 I Djoumanzana Banconi Sangarébou Fadjiguila Sikoroni Boulkassoumbougou Nord Djélibougou Point G Sam Samé Korofina Hippodrome Sotuba 2 Koulouba Missira 5 Ntomikorobougou 3 Sud dina Médina Dar Salam II Kodabougou 1 Coura Badialan III CC Bagadadji Quinzambougou 4 II I Ouolofobougou Zone Quartier Bolibana Ouolofobougou Hamdalaye industrielle Drav la Dravéla Tsf Niaréla Dravéla Bamako Coura Bozola Bamako Aci 2000 Coura Cit du Niger Cité Quartier du Fleuve Lassa Lafiabougou domaine agricole Missabougo IV Taliko 10 Djikoroni Para 7 6 8 9 Dont Dontèmè II Dont Dontèmè I Sema 1 Badalabougou Sema 2 Quartier Mali r ge Sokorodji Sogoninko Yirimadio Daoudabougou- Carrefour Commercial de Niamakoro Flabougou Bako Djikoroni Banankabougou Ni Sébéninkoro ninkoro concessions rurales Faso Kanou Torokorobougou concessions rurales Magnambougou Dianéguéla Dianégu Dian guéla la Sabalibougou V Village Faladié Kalaban Coura Ija Niamakoro Kalambougou Kalaban Koro Kalaban Coura Sud VI N 0 1 2 3 4 5 km Sénou limites du District de Bamako limites des 6 communes (de I à VI) limites des quartiers limites des secteurs hauteurs et corniches principales routes CC centre commercial enclaves irrégulières concessions rurales et domaines agricoles extensions urbaines M. BERTRAND, C. FOUÉTILLOU, Département de Géographie de l'Université de Caen, 1997. Enclaves irrégulières 1. Bakaribougou 2. Samako 3. Babiyabougou 4. Bougouba 5. Niomirambougou 6. Djikoroni Djénékabougou 7. Djikoroni Mariambougou 8. Djikoroni Foulabougou 9. Djikoroni Abdoulayebougou 10. Djikoroni Troukabougou Introduction Introduction • Enjeux et séquences du processus de décentralisation L de la décentralisation malienne illustre à double titre un schéma de transition. Les réformes sont d’abord annoncées et promues à la faveur d’une transition politique. A l’issue de la Conférence nationale de juillet-août 1991 s’annonce la mise en place d’une troisième république malienne fondée sur une démocratie pluraliste (Bertrand, 1992). Le changement administratif prend donc place dans une série plus large de réformes institutionnelles et politiques qui lui en donne les conditions et arguments. La refonte de la structure territoriale du pays exige de plus un travail de préparation qui peut être considéré, au regard d’expériences voisines en Afrique occidentale, comme diligent. Il s’agit de l’élaboration de textes juridiques et réglementaires, de consultations régionales, d’un débat politique et de négociations internationales, mais aussi d’une véritable communication médiatique et de tâtonnements techniques et budgétaires de terrain. La nécessité du passage d’un schéma administratif centralisé à un autre décentralisé s’impose à partir de 1992. La fin de l’année 1997 peut être ensuite retenue comme moment de clôture de ce travail préalable. Après l’adoption par l’Assemblée nationale du nouveau découpage territorial en novembre 1996, qui A PRÉPARATION Grafigéo 1999-8 consacre la création de 702 communes urbaines et rurales, ce sont en effet les élections municipales, reportées de 1997 aux deux années suivantes, qui achèveront la mise en place d’un pouvoir décisionnel local et permettront le transfert effectif de responsabilités et de compétences. Cinq années jalonnent donc les enjeux et les débats d’une phase essentiellement mobilisatrice de décentralisation malienne. Si le processus est bel et bien amorcé, on peut mener deux interprétations de ce que nous qualifions ici de transition. Une première lecture du calendrier 1992-1997 considère la situation comme un simple moment d’attente appelé à être dépassé par le fonctionnement effectif du système communal décentralisé. Les hésitations et les conflits qu’il a soulevés n’engagent donc pas durablement l’avenir. Cette interprétation conjoncturelle de la transition présuppose la perfectibilité à terme du processus. Une seconde lecture se place au contraire dans la perspective d’un engagement durable dans une nouvelle structure. Les cinq années participent bel et bien des fondations de la future configuration administrative, par la portée des textes établis comme par le climat politique (attentisme ou confrontations) qui a présidé à leur éla15 Décentralisation malienne boration. Cette dernière interprétation est cependant difficile à mener dans le contexte malien, car le dispositif communal qui couvre désormais l’intégralité du territoire national n’est pas accompagné d’une cartographie précise des limites des circonscriptions. Les bases foncières et domaniales de la réforme manquent donc à sa greffe dans le pays. Cela prive le processus d’un préalable fort, et cela hypothèque sa pérennisation institutionnelle. Pour concilier ces deux lectures d’un moment de transition, on s’appuiera sur des investigations complémentaires. A court terme, l’analyse s’attache à l’affichage du projet puis du programme de décentralisation sur la scène politique. On s’interroge notamment sur les impulsions des réformes et sur la dimension holiste qu’elles ont conférée à la gestion territoriale. En effet, la décentralisation s’inscrit durant cette période dans un véritable enchaînement de slogans, mots d’ordre et « conditionnalités » du développement : libéralisation, dimension sociale de l’ajustement structurel, démocratisation, participation populaire et gestion partagée, se combinent ainsi pour définir la rhétorique des années quatre-vingt-dix. L’ensemble renvoie à un devenir national tant économique, social, politique, qu’institutionnel et juridique. Mieux, la série est censée fonder une nouvelle « culture », celle des collectivités territoriales, un « sentiment d’appartenance » intimement et durablement lié à l’espace1. La décentralisation viserait tant à améliorer le cadre de vie des villes qu’à contribuer au développement économique rural. Elle justifierait l’ambition du « réfléchir à l’échelle globale et agir à l’échelle locale » (Programme de Développement Municipal, 1995, p. 12). De nombreux acteurs devraient donc présider à son élaboration : bailleurs de fonds étrangers, cadres nationaux, corps sociaux intermédiaires, médias et partis, ONG, multiples représen- tants d’une « société civile » abondamment sollicitée. De ces ambitions multiformes, la décentralisation ressort à la fois dense et ambiguë. Outil d’accompagnement, cheville ouvrière, finalité à part entière, instrument ou acteur d’une politique plus globale, tout cela justifie l’emploi fréquent du terme d’« interface » pour situer le rôle des collectifs territoriaux entre « le haut » de l’État et « le bas » des sociétés. On se demandera alors si cette « culture communautaire » du territoire local, gage de responsabilité et d’initiative, est compatible en ville avec une mobilité résidentielle accrue et avec le développement du marché locatif qui disperse les collectifs familiaux sur des systèmes résidentiels éclatés (Bertrand, 1994). Une seconde investigation s’attache à détecter dans la période 1992-1997 ce qui anticipe sur l’après 1997 et augure du fonctionnement futur. La question du clientélisme communal est ainsi posée dans les termes concrets de la gestion foncière. Les prémisses de la décentralisation conduisent-ils à rendre plus cohérente la gestion du territoire urbain ou à la fragmenter ? Malgré leurs différences, ces perspectives contextuelle et structurelle montrent toutes deux l’attention portée, à travers la notion de décentralisation, à la dimension spatiale du développement. Le géographe est sollicité pour questionner ce statut accordé au territoire, plus particulièrement à l’espace local dans ses rapports à la globalité nationale. Dans la problématique du développement de l’État, l’espace inspire en effet diverses interprétations qui fondent les perspectives plus théoriques de notre étude. On envisage d’abord l’espace comme emboîtement de niveaux d’administration définis par leurs compétences et leurs limites. Cette conception fonctionnaliste du découpage territorial et des rapports institutionnels s’inspire de la science adminis- 1. « Ce passage d’une culture d’administration à une culture de développement, constitue un véritable "ajustement culturel" dont le succès est loin d’être assuré, parce qu’il met en cause les conditions dans lesquelles les institutions municipales, c’est-à-dire le maire, les conseillers et le personnel des services municipaux, pratiquent la gestion des affaires. » (Venard, 1995, p. 250) « Dans ce contexte, l’espace communal devient un enjeu stratégique, aussi bien pour l’internationalisation des économies que pour la survie même de la démocratie locale, et à travers elle de la démocratie tout court. » (Elong Mbassi, 1995, p. 23) Grafigéo 1999-8 16 Introduction trative des années soixante. Le droit positif de la décentralisation cherche dans l’espace local un potentiel « de régulation sociale, indépendamment des modes de participation de l’État à la reproduction du capital et à ses crises » (Alliès, 1986, p. 275). Le redéploiement de l’administration lance le pari qu’une maille plus petite de territoire donnera un nouveau crédit à l’animation économique (sous-traitance notamment) et à la gestion sociale des solidarités primaires. Mais les fondements politiques de cette hypothèse, les conditions historiques du pari ne sont guère examinés. Orienter la décentralisation en Afrique revient alors à préciser les responsabilités respectives de l’État, des pouvoirs traditionnels cantonnés au niveau des terroirs ruraux et des quartiers urbains, et des collectivités territoriales intermédiaires, soit à « articuler » le rôle normatif descendant de l’administration déconcentrée et le rôle participatif remontant des communautés locales. Appliquée à l’expérience malienne, cette perspective convient bien à la première étape de la transition quinquennale. Dans les mois qui suivirent la mise en place de la troisième république malienne, les conditions institutionnelles de ce travail technique furent : • l’institution du Haut Conseil des collectivités territoriales prévu à l’article 25 de la Constitution, • l’institution de la Mission de décentralisation auprès du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité, • enfin la nomination du chef de la Mission de décentralisation, Ousmane Sy (communiqué du conseil des ministres du 4 novembre 1992). Au terme du travail juridique et législatif de 1993, cette première étape accouche d’une réforme des collectivités territoriales décentralisées (loi 93/008 promulguée le 11 février 1993) qui supprime l’échelon administratif de l’arrondissement et précise les modalités du transfert de compétences des niveaux centraux aux niveaux déconcentrés de l’administration (projet de Code des collectivités décentralisées finalement consacré par la loi 95/034 du 12 avril 19952). Une seconde approche du développement envisage au contraire l’espace comme l’enjeu de rapports de forces par nature sociaux. Produits historiques, les cadres territoriaux locaux démontrent alors les stratégies de capture, de biaisage ou de contournement que le politique impose au droit. L’espace apparaît ici objet d’une requalification permanente. Les redéploiements institutionnels en faveur de niveaux de gestion déconcentrés doivent être analysés dans la perspective d’une économie politique de l’État, de ses élites et bases sociales. On y décèle autant d’arbitrages que de simples gains de productivité. Les qualités, stigmates ou vertus, attachés au « sentiment d’appartenance territorial » font alors sens comme moments historiques dans les tensions d’une société, par-delà les consensus formels que suggèrent le droit positif et la règle administrative. Cette lecture de l’espace socialisé, expression de pouvoirs concurrents, convient mieux à ce que l’on pourrait appeler la deuxième phase de la transition malienne. A partir de 1995, les réformes de décentralisation se concrétisent en effet sous l’angle du cadrage géographique, des acteurs sociaux et économiques qui doivent donner corps aux nouvelles collectivités territoriales. En attendant les élections de 1998, il s’agit notamment du travail de terrain puis du débat politique qui concernent la configuration des 702 communes rurales et urbaines. La politique « descend alors de la chaire des grands débats de principe pour être ramenée sur le terrain des réalités prosaïques »3. Discuté en session extraordinaire de 2. Dans la même veine juridique et réglementaire, on peut ensuite citer le projet de décret déterminant les conditions et modalités de mise à disposition des services déconcentrés de l’État aux collectivités territoriales (conseil des ministres du 14 février 1996), ainsi que le projet de statut particulier du district de Bamako. Discuté en janvier 1996 à l’Assemblée nationale, ce dernier vise à conférer un statut institutionnel à la capitale en dérogeant au Code des collectivités territoriales au Mali (voir le chapitre 2 de cet ouvrage). 3. « L’avenir politique du Mali », L’Essor Hebdo, 10-11 août 1996. Grafigéo 1999-8 17 Décentralisation malienne l’Assemblée nationale, en parallèle avec le délicat projet de code électoral qui doit organiser les triples élections (législatives, présidentielles et municipales) de l’année suivante, le projet de découpage territorial constitue « une étape importante dans la consolidation de la consolidation de la jeune démocratie malienne » (introduction aux débats de juillet-septembre 1996)4. Par delà ces implications théoriques, notre étude analyse le calendrier des réformes, que l’on vient sommairement de résumer en deux phases, les discours de leurs promoteurs, et enfin la gestion urbaine en pratique qui apparaît décentralisée de facto avant de l’être de jure. La décentralisation malienne s’applique en effet à l’ensemble du territoire national. En étudier plus précisément les relations avec le monde urbain suppose de trancher entre deux niveaux de lecture de l’urbanisation : s’agit-il de questionner la dimension urbaine de la décentralisation ? Dans ce cas, les transferts de pouvoirs décisionnels conduiront-ils à mieux polariser le développement sur les villes, à en promouvoir un type particulier – chefs-lieux régionaux ou petits centres secondaires ? –, à corriger les déséquilibres de la hiérarchie urbaine, à renforcer enfin les relations villes-campagnes dans toutes les régions ? Ou bien envisage-ton le binôme villes/décentralisation centré sur les premières ? C’est alors la nécessité d’une gestion urbaine décentralisée qui est au cœur de l’analyse. Dans un cas l’ensemble de l’armature urbaine est prise en compte dans ses rapports avec le monde rural ; dans l’autre l’espace cadré est plus fin et met en jeu la gestion communale jusque dans la maille plus fine des quartiers. Capitale primatiale du Mali, comptant environ un million d’habitants, Bamako ne peut manquer de renvoyer à cette dimension infra-urbaine. L’agglomération illustre d’ailleurs bien le procès de requalification de l’espace local en cours depuis le début des années quatre-vingt-dix. Les six communes et la soixantaine de quartiers qui la composent ont été souvent « déqualifiés » dans le discours urbanistique et la pratique administrative antérieurs à la Transition démocratique de 1991. Assimilées aux initiatives officieuses ou « spontanées », stigmatisées dans le registre de « l’anarchie », de « l’illicite » et de « l’irrégularité », ces mailles internes du district de Bamako, qui a rang de région dans la hiérarchie administrative malienne, ont été désignées comme entravant une action réglementaire cohérente et comme antinomiques d’une gestion normée du territoire urbain. Ce discours cède ensuite la place à une valorisation médiatique, politique et financière des « forces vives du local » que la décentralisation propose de promouvoir. Esprit d’entreprise relayant l’anomie et le laisser-aller, transparence succédant aux « magouilles » du régime précédent5, concertation administrative et politique mettant fin aux « luttes de tendances, de clans et de personnes » qui prévalaient autour du parti unique à la faveur de relations personnalisées : de nouvelles idéalités sont donc censées émerger du bas de la société citadine comme du fond des terroirs ruraux. Un véritable enchaînement de slogans traduit l’inversion du discours en faveur de vertus positives. Moment provisoire d’un retour de balancier, en attendant d’autres revirements, ou inflexion durable du « savoir penser » l’espace ? La problématique de la transition est bien au cœur du processus de réforme. 4. Au terme de la session extraordinaire, le président de l’Assemblée qualifiera de « délicat, sensible et révolutionnaire » la loi sur la création des communes. La session ordinaire d’octobre 1996 qui suit qualifie encore de « grandissime et novateur » le projet sur le découpage territorial. Elle met de nouveau en parallèle des débats en matière de décentralisation (propositions de rattachement de villages et de quartiers aux communes de Bamako et de Ségou ou en vue de l’érection de Sévaré en commune urbaine, amendements divers qui aboutiront à la loi 96-059 du 4 novembre 1996), et la mise en place de 45 circonscriptions législatives totalisant 147 députés. 5. Celui-ci est né de la prise du pouvoir par les militaires du Comité militaire de libération nationale en 1968. A partir de 1979, la deuxième république malienne s’appuie sur le parti unique UDPM (Union démocratique du peuple malien) et sur le pouvoir présidentiel et clientéliste de son secrétaire général. Le Général Moussa Traoré est finalement renversé en mars 1991. Grafigéo 1999-8 18 Contexte d’émergence des réformes Chapitre 1 • Le contexte d’émergence des réformes : acteurs et débats D’UNE CARTE ADMINISTRATIVE À L’AUTRE : DES OBJECTIFS NEUFS ? La refonte administrative n’est pas totalement inédite Le régime précédent de la deuxième république malienne a déjà fait montre de réformes administratives. Celles-ci ont été menées sous la tutelle de la Commission nationale des réformes administratives (CNRA) mise en place entre 1969 et 1973. Elles se sont attachées d’abord à redéfinir la carte régionale du Mali en 1978 et 1979 (sept régions administratives auxquelles s’ajoute, bénéficiant d’un statut particulier, le district de Bamako), puis à déconcentrer dans les chefs-lieux régionaux certains services techniques et administratifs de l’État. Ces premières mesures donnent une certaine importance à la question urbaine en diffusant le principe de schémas d’aménagement et d’urbanisme au cours des années quatre-vingt. Le premier concerne Bamako en 1978. Le ministère des Transports et des Travaux publics en généralise ensuite la pratique aux 13 autres communes « de l’intérieur »1. Élaborés pour les principales agglomérations du pays, ces schémas sont transmis aux instances techniques régionales chargées désormais de veiller à l’exécution des cadres réglementaires définis par les instances centrales. La liaison entre la planification urbaine, la décentralisation et la mobilisation des ressources financières et humaines locales est déjà établie2. La pratique administrative et budgétaire de la fin des années 1980 permet alors de conclure à un réel désengagement de l’État en matière d’aménagement urbain, tant les services déconcentrés (directions techniques régionales, voire locales, de l’Urbanisme et de la Construction, ou encore des Domaines) sont pauvrement 1. Kayes, Kita et Nioro en première région, Koulikoro et Kati en deuxième région, Sikasso, Koutiala et Bougouni – érigée en commune en 1983 – en troisième région, Ségou et San en quatrième région, Mopti, Tombouctou et Gao respectivement en cinquième, sixième et septième régions. 2. « Chaque circonscription doit correspondre à un pouvoir local à la base. La décentralisation doit favoriser la participation responsable des masses populaires au développement économique et social de leurs milieux. Les collectivités déconcentrées ont un important rôle à jouer dans l’aménagement de leurs zones. » (SSAU de Bamako, rapport provisoire, 1979) Grafigéo 1999-8 19 Décentralisation malienne dotés et collaborent difficilement avec les responsables communaux dans un climat politique verrouillé. La politique de décentralisation fonctionne comme une coquille vide (Bertrand, 1990). Il n’en reste pas moins que la CNRA a surtout œuvré en direction des zones rurales. Mais les structures de participation qu’elle a promues sont restées assez formelles : les comités et les conseils de développement mis en place en 1977 ont accompagné la naissance du nouveau parti unique. Érigées en slogan militant et distinguées par les sections UDPM les plus méritantes, les associations villageoises (tons) incarnent alors, mais sans réel gain de productivité économique, les vertus de la « mobilisation locale » au service d’un développement « auto-centré ». Enfin, la crise touareg qui marque le pays depuis la fin des années quatre-vingt aboutit au remaniement territorial du grand Nord malien. En 1989, la septième région administrative de Gao est amputée du cercle3 oriental de Kidal, lequel constitue désormais une huitième région malienne, la région de Kidal. Cette nouvelle scission4 a surtout pour but d’isoler la population tamacheq dans un cadre territorial de plus grande homogénéité ethnique. La transition politique des années 1990 souligne la nécessité d’inno vations conséquentes Malgré ces précédents, la perspective de la décentralisation ne se reproduit pas à l’identique d’une république à l’autre. D’anciens mots (sensibiliser, responsabiliser, mobiliser, développer à la base) sont actualisés à la faveur d’une véritable refonte administrative. Il s’agit en effet de simplifier la hiérarchie administrative et d’associer à l’exécutif une série d’assemblées et de conseils élus à tous niveaux territoriaux (régions et communes) (Sow, 1992 ; Sall, 1993). Le maillon terminal de la commune permet alors d’organiser une véritable dévolution juridique des compétences et des ressources. Des changements significatifs concernent ainsi la forme et le fond de la démarche. Renforcer la société civile Le mot d’ordre de la réforme a d’abord évolué. Du slogan technique de « rapprocher l’administration des administrés » qui caractérisait la seconde république, on passe au cours des années quatre-vingt-dix à une ambition réellement polysémique de la décentralisation, qui autorise le citoyen à sanctionner par un vote la gestion de son cadre de vie. Le projet de modernisation s’insère dans un crédit plus large donné par la démocratisation. En témoigne l’effort de « communication » qui marque les préparatifs de réforme sur cinq ans, et qui confère aux « acteurs de la décentralisation » un profil volontariste et ouvert. Trois niveaux d’affichage public combinent chacun les termes juridiques, financiers et idéologiques de la décentralisation. 1. Les conférences des cadres relèvent d’abord d’une tradition professionnelle sélective. Mais ils font bien vite participer les représentants de la Mission de décentralisation et les bailleurs de fonds internationaux associés aux réformes. Défis généraux et opportunités pratiques y sont abondamment évoqués. 2. L’impératif de communication conduit en parallèle à une inflation de séminaires plus ouverts qui soulignent la nécessaire mobilisation des médias et des ONG. La participation de la Mission de décentralisation n’est pas moindre. Pool de journalistes, comités de jumelage, GIE, comités de développement et associations diverses, les uns comme les autres affichent les vertus de la coordination locale entre des 3. Le cercle est l’échelon administratif intermédiaire entre la région et l’arrondissement, l’équivalent au Mali du département français. 4. Déjà en 1977 la région de Gao, alors sixième région, avait été scindée en deux pour donner naissance à celle de Tombouctou. Grafigéo 1999-8 20 Contexte d’émergence des réformes acteurs de nature variée. L’approche démocratique est valorisée à l’encontre d’une tradition de monopole de la gestion territoriale. 3. Mais c’est au cœur du pays, loin des cercles bamakois, que l’affichage de la réforme est le plus novateur. Il rompt alors avec le fonctionnement du parti unique comme caisse de résonance des motions d’en haut ou comme amortisseur des remous d’en bas que celles-ci ont pu susciter. A deux occasions notables, cette pratique des « réalités du terrain » établit un contact direct avec la « société civile ». Dans un contexte politique tendu, les « concertations régionales » d’août 1994 permettent à l’ensemble du Mali de débattre d’une série de questions d’actualité, parmi lesquelles le gouvernement de Ibrahim Boubacar Keïta, promoteur de ce « dialogue avec le pays », place l’avis que les populations ont sur la décentralisation. Celles-ci sont représentées par les délégués de partis, les associations socio-professionnelles, les commandants de cercle, les députés et chefs de services régionaux. Sous la présidence des ministres du gouvernement qui se sont déplacés dans les régions pour l’occasion, les forums ont réuni pas moins de 140 participants à Gao et jusqu’à 220 à Ségou. Dans la chronologie en deux phases que nous retenons pour la réforme territoriale du quinquennat 1992-1997, l’événement pourrait définir le moment du passage de l’une à l’autre, d’un montage technique à son appréciation politique. Et pourtant, la réaction à chaud du pays s’attache encore peu au thème de la décentralisation et se consacre davantage aux questions scolaires et de sécurité dans le nord du pays. Les discussions ne sont pas en effet à hauteur des ambitions que cette régionalisation du débat politique esquisse trois ans après la Conférence nationale de 1991. L’exposé des experts ressort souvent standardisé, les recommandations des commissions tiennent peu compte des spécificités territoriales à l’exception des régions du Nord qui plaident pour leurs doléances particulières en matière de désenclavement5. Enfin, la question communale n’est réellement discutée que dans la capitale. Les six communes du district de Bamako se sont déjà engagées dans une série de revendications budgétaires et domaniales qui font traîner la relecture du statut particulier de l’agglomération. La décentralisation est donc bel et bien entrée dans un débat élargi. Mais les délégués des populations s’expriment surtout pour en demander une application progressive, ajustée aux particularités locales et tenant compte de la donne foncière coutumière. Une seconde occasion de « démocratie directe » est donnée par le travail des GREM et les tournées régionales d’Ousmane Sy. Dès sa création, la Mission de décentralisation met en place des groupes d’études et de mobilisation dont la tâche est de relayer le travail de la cellule bamakoise dans l’intérieur du pays. Lorsque s’impose la nécessité d’une refonte territoriale à partir du niveau de base des communes6, la délimitation des nouvelles circonscriptions et la désignation de chefs-lieux potentiels incombe aux GREM. Ceux-ci procèdent par contacts, d’une part avec l’administration territo- 5. A Gao : entretien du réseau routier de la région, renforcement de l’axe Sévaré-Gao par la construction d’un pont sur le fleuve Niger afin de pallier les insuffisances des bacs existants, relance des activités de l’usine de phosphates de Bourem, automatisation du téléphone et son extension à Bourem et Ménaka, couverture de la région par la télévision. A Tombouctou : recommandations pour l’équipement en moteur des bacs de Koriomé et de Rharous, pour l’implication des associations de parents d’élèves dans le maintien des cantines scolaires dans les cercles de Goundam, Niafunké et Diré. Kidal demande enfin que soit appliqué le statut particulier des régions du Nord et que la décentralisation passe par le respect des réalités locales. 6. En mars 1993, le document préparatoire du bureau d’études Dirasset table sur environ 570 communes rurales, chacune composée d’une vingtaine de villages sur la base moyenne de 10 500 habitants, avec un rayon moyen d’accès au chef-lieu estimé à 16 km dans le sud plus dense du pays. Grafigéo 1999-8 21 Décentralisation malienne riale et les services déconcentrés de l’État, d’autre part avec les « notabilités locales » : héritiers des chefferies rurales, associations, ONG et partis politiques. « Supports de communication » de la Mission de décentralisation dans chaque chef-lieu de région, les GREM justifient donc « l’originalité de la démarche malienne »7 dans la mise en chantier des structures communales. Information et consultations les occuperont principalement d’avril 1995 au milieu de l’année suivante, car il s’agit de caler les nouvelles communes rurales dans les limites des anciens arrondissements. Mais alors que la géographie administrative en comptait plus de 270 dans les 46 cercles maliens, les communes rurales à venir sont chiffrées à 632 (projet de loi portant création des communes, adopté en conseil des ministres, juin 1996), puis à 675 (session parlementaire de juillet-septembre 1996), et finalement à 682 (loi 96-059 du 4 novembre 1996). Le travail technique de terrain a bel et bien modifié le niveau territorial des arrondissements. Au cours des consultations, l’administration a cherché à limiter le plus possible une remise en cause des contours des cercles. Au contraire, les GREM ont orchestré la pression des collectifs ruraux tendant à ajuster bon nombre de frontières sur la base de vieux conflits fonciers réactualisés. L’implication personnelle du chef de la Mission de décentralisation sur le terrain est également bien démontrée lors de tournées dans les régions. Elles se multiplient en 1996-1997 et témoignent des efforts à faire pour concrétiser dans le pays un processus qui ne prend forme encore que sur le papier. A Tombouctou par exemple, les deux rencontres animées en novembre 1996 permettent au chef de la Mission de rassurer sur des problèmes aussi importants que les transferts de ressources et de compétences de l’État aux communes, la gestion du domaine foncier, la formation des futurs élus des conseils communaux, l’implication des jeunes et des femmes avant et après les élections à venir. À cette étape de la transition administrative, les visites de terrain ancrent dans les esprits le fait que la décentralisation a désormais atteint une phase de non retour. La fonctionnalité des futures communes passe par « une plus grande implication de tous » car il risque de se créer dans plusieurs zones du pays des communes factices qui n’auront aucune signification économique réelle. L’argumentaire de la réforme reste fondé sur des principes communs à l’ensemble du territoire, mais l’information se particularise au gré des missions régionales, selon le nombre de communes prévues et un morcellement plus ou moins excessif des circonscriptions rurales8, et selon les difficultés particulières de la communication dans les régions9. Dans tous les cas, une place importante est donnée à la « sensibilisation » dans les langues nationales, en particulier tamacheq et sonraï dans les régions du Nord où les tensions ethniques se sont avivées depuis 1992. Comme si les vertus magiques de la communication devaient « naturellement » remiser les passifs de plus mauvais dialogues. Proposée au début de 1997, la création d’un Observatoire des communes vise enfin à pérenniser la tutelle « interactive » de la Mission de décentralisation sur le terrain. Assurément ces trois niveaux d’affichage des réformes renvoient au fantasme répétitif de la « participation de toutes les forces vives » du pays et d’une animation conciliant « toutes les couches socioprofessionnelles de la nation ». Le fonc- 7. Entretiens à la Mission de décentralisation, août 1996. La démarche interactive avec le terrain est en fait revendiquée par diverses expériences africaines de décentralisation. 8. 51 communes dans la région de Tombouctou, 106 dans celle de Koulikoro, 147 dans celle de Sikasso. 9. Déficit d’information dû au retour des réfugiés touaregs et à un accès difficile aux régions du Nord. La Mission de décentralisation y a d’ailleurs œuvré avec l’appui des équipes mobiles du Commissariat du Nord. Grafigéo 1999-8 22 Contexte d’émergence des réformes tionnement pratique des concertations met en scène, en réalité, un projet démocratique de type représentatif beaucoup plus qu’une tentative de court-circuiter les médiations institutionnelles et traditionnelles du pays. On peut se demander si cette implication cadrée au niveau des collectivités territoriales de base garantit, mieux que l’identification de la société civile à l’espace national, un fonctionnement social réellement élargi. C’est donc bien la catégorie politique « du local » qui est en jeu. « L’évolution récente du paysage socio-politique des villes africaines met en évidence les limites de la démocratie “représentative” quand elle ne s’assortit pas d’un processus permanent de participation de la “société civile” à la gestion municipale. Est-il alors nécessaire, pour mobiliser les énergies locales pour le développement, de promouvoir un “sens d’appartenance” à la commune comparable au sens national que cherchent à mobiliser les États ? [...] Et quelle contrepartie, quelles contributions, peut-on attendre d’une telle participation ? » (Venard, 1995, p. 251) Rappelons que la fin de la deuxième république et la suppression de l’impôt de capitation, décidée par les autorités de la Transition politique, ont fortement ébranlé une fiscalité régionale déjà médiocre. La restauration de l’autorité de l’État, qui est au cœur du débat politique de 1992-1994, impose donc un redressement significatif des taux de recouvrement fiscal. En ce sens, « la décentralisation rappelle à tous les devoirs civiques de chacun » (tournée du président de la république, Koulikoro, mai 1993). • Augmenter la productivité des infrastructures régionales. Dès la fin de l’année 1992, par exemple, la gestion du port de pêche de Mopti est transférée du ministère du Budget au nouveau maire de la commune. Une convention en bonne et due forme satisfait ici une demande longtemps formulée par la capitale de la cinquième région. Les autorités communales y voient l’occasion de nouvelles recettes permettant une meilleure prise en charge de la valorisation de la ville. Pour le ministre du Budget, « la cession du domaine public s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle politique de décentralisation dont l’objectif visé demeure la prise en main par les collectivités de la gestion effective de leurs affaires. » Restaurer l’État de droit Seconde innovation de la troisième république, les réformes des années 1990 s’attachent à redéployer les missions de l’État. Si la décentralisation redonne vie à une chance étouffée lors de la décolonisation, elle doit en effet dépasser le stade de la simple déconcentration et de ses saupoudrages et conduire à repenser l’État. Car le thème apparaît dilué dans le questionnement plus général du développement, lequel est lui-même tiraillé entre ses priorités économiques, sociales et politiques, ses promoteurs publics et ses acteurs privés. Le calendrier de la réforme déroule ainsi un véritable catalogue des connexions que la décentralisation – révélateur ou catalyseur – engage avec de nombreuses missions de service public : • plaider pour le développement local et « lutter contre la grève des impôts ». Grafigéo 1999-8 • Régionaliser les infrastructures du secteur eau et assainissement. • Redéployer la gestion des équipements scolaires du niveau des communes (premier cycle) et des cercles (deuxième cycle) au niveau régional (lycées) et central (enseignement supérieur) ; encadrer les initiatives privées et communautaires en matière de santé. • Stimuler une relecture du Code domanial et foncier du Mali. La rentrée judiciaire de la fin de l’année 1995 fait intervenir le ministre de la Justice au moment où se multiplient des litiges fonciers dans le pays : « il importe que l’État, au moment où il va transférer certaines de ses compétences aux collectivités décentralisées, réaffirme sa prééminence sur le domaine national ». Le président de la république infléchit quelque peu le ton : « le droit à la terre constitue un gage de la réussite de la décentralisation, mais aussi un défi face à l’autogestion. La révision de la législation sur le foncier ne saurait tarder, de même la banque de l’habitat verra le jour, Inchallah, en 1996. » 23 Décentralisation malienne • Contribuer à la résorption de l’insécurité urbaine, appuyer la structuration des quartiers pour lever les défis de la réhabilitation urbaine au bénéfice des pauvres, tout en facilitant le décaissement rapide des fonds publics au bénéfice des entrepreneurs. Promouvoir les compétences locales, impliquer les femmes dans les structures de décision, intégrer les jeunes diplômés, susciter la création d’emplois, assurer la mission de maintenance des équipements, équilibrer les investissements, encourager l’implication d’acteurs non publics, œuvrer pour un « développement urbain durable » sans exclure l’assistance aux campagnes et l’incitation à une productivité rurale accrue, « jusqu’au plus petit de nos hameaux »10, telles sont bien les engagements publics multiformes de la décentralisation. Car il s’agit bien de faire valoir une pensée pratique de l’État, que ses nouvelles relations « au local » redéfinissent comme cadre fort, incitateur, arbitre et coordinateur. Loin d’affaiblir le pouvoir central, la décentralisation entend restaurer une légitimité que le régime précédent et la transition qui y a mis fin ont ébranlée. Diverses conférences de presse du chef de la Mission de décentralisation évoquent ainsi la nature du contrôle que pourrait avoir l’État sur les collectivités décentralisées : « a priori, il ne peut être que celui de la légalité et de la transparence de la gestion des fonds publics ». Il s’agit bien de prendre ses distances face aux gestions territoriales du passé, comme le montre enfin le commentaire du projet de découpage communal présenté au gouvernement en 1996 : « Conformément à la logique ancienne, certains pensaient qu’il fallait venir taper à Bamako pour résoudre les problèmes qui se passaient à Inadiatafane ou à Korienzé ou à Youwarou11. Nous leur avons répondu non chaque fois qu’ils venaient nous voir. Car si notre intention était de décider en laboratoire, nous aurions pris un ordinateur qui aurait procédé à un découpage. Les débats à la base visent à résoudre les problèmes à la base. (...) Cela ne ferme cependant pas les portes car la situation est susceptible d’évoluer. Après départ, beaucoup s’apercevront qu’ils ont fait de mauvais choix et devront se rallier à d’autres. Il est donc prévisible que ce début d’organisation sera suivi de fusions de communes rurales lorsque les gens mesureront les limites de leur choix. Dans ce contexte, il est donc important de souligner la responsabilité des gens. Il leur appartenait de hiérarchiser les critères, peut-être ont-ils choisi de privilégier par dessus tout les liens qui les unissaient entre eux. En cas de problème ce sont donc eux qui sont responsables et non l’État12. Toutefois, ces multiples engagements publics soulèvent plusieurs ambiguïtés et trois types de questions. Force est de constater d’abord que les espaces mis en exergue par la réforme sont pluriels. Ces perspectives de décentralisation semblent impliquer des niveaux territoriaux divers, et ces ambitions pourraient paraître lourdes à gérer pour un pays qui se situe au bas de la hiérarchie des PIB africains. Amélioration du cadre de vie local des quartiers et des villages, productivité accrue des terroirs et des marchés urbains, ventilation régionale des aides et financements extérieurs, modernisation des juridictions nationales : l’éventail des échelons est bien large et pose le problème de leur articulation. Envisage-t-on le simple emboîtement de ces différents cadres d’intervention ? Dans ce cas l’ensemble du territoire est régi par des principes législatifs, administratifs et techniques homogènes (par exemple la primauté domaniale de l’État), l’autonomie de chaque échelon se joue dans les modalités d’application des 10. Cérémonie d’ouverture de l’assemblée générale annuelle du Fonds africain pour l’Habitat, présidée par le président de la république (mai 1996). Le discours est placé sous le signe des « indicateurs d’un nouveau départ, qui ont pour nom intégration, démocratie, décentralisation. » 11. Pour une illustration de ce clientélisme local subordonné au clientélisme national sous le régime UDPM, voir Bertrand, 1994, chapitre 8. 12. « La foi contagieuse d’Ousmane Sy », L’Essor Hebdo, 18-19 mai 1996. Grafigéo 1999-8 24 Contexte d’émergence des réformes règles, non dans leur définition. Ou bien les glissements d’échelles sont-ils réellement plus souples, la gestion des territoires ajustant alors ses principes au cas par cas ? C’est là toute l’ambiguïté, qui dépasse la seule expérience du Mali, des termes d’« auto-promotion » et d’« autogestion » qui fondent en partie la rhétorique politique de la décentralisation13. Comment les bailleurs de fonds se partageront-ils de plus les interventions locales, régionales et nationales ? En termes de complémentarités ou de concurrences sur les niveaux territoriaux jugés les plus efficaces ou les moins contre-productifs ? Enfin, une interrogation de taille concerne les modalités d’intervention de l’État. Premier récepteur des crédits de coopération internationale, l’État y est souvent présenté souvent acteur ou arbitre d’une intervention publique directe. Il s’agit alors de rationaliser l’allocation territoriale et sociale des ressources humaines, des investissements ou des subventions communales. Cela conduit notamment la Mission de décentralisation à s’exprimer sur une politique de saupoudrage de moyens. A la question cruciale du transfert de ressources et de compétences de l’État aux « communes déficitaires », le chef de la Mission fait remarquer en direction du Nord malien que « vu le niveau de développement disparate des régions, l’État a prévu dans le budget 1997 une ligne de crédit pour les communes déficitaires. Les discussions sont également en cours avec le ministre de la Fonction publique pour mettre à disposition des communes rurales des agents de l’État. » D’autres discours et expériences valorisent au contraire le rôle indirect de l’État. On est alors déjà très en retrait d’une assistance immédiate. A supposer qu’il y ait réellement eu engagement d’un État-providence dans les années passées, il s’agit désormais de créer les conditions d’un désengagement budgétaire et juridique au profit de formes non publiques et non fiscales de mobilisation des épargnes locales et des financements extérieurs : investissements privés, mise en régie des services collectifs, relais des ONG et de la coopération décentralisée. Cette seconde perspective s’affiche aussi bien pour le développement urbain que pour le développement rural. La réforme institutionnelle du ministère du Développement rural et de l’Environnement, au début de 1997, annonce en clair que l’État se désengage de certaines missions (production, commercialisation, distribution de crédits et d’intrants) au profit du secteur privé, et qu’il se recentre sur les missions de conception, d’orientation et d’application de la politique nationale. Ce nouveau contexte créé autour de la décentralisation impose de préparer les populations à la prise en charge progressive de leurs responsabilités en matière de développement socio-économique. « C’est dans ce cadre qu’une mission d’appui-conseil aux populations fut confiée au début de 1997 à un premier contingent de volontaires déployés dans la région de Gao. Fort d’une vingtaine de jeunes diplômés, en majorité sortis de l’Institut polytechnique rural de Katibougou, celui-ci a été préparé aux missions de volontariat et a suivi une formation au renforcement des techniques de production de plants de fixation des dunes. » Mais pour lever la sempiternelle question de l’eau, « cette contrainte lourde qui se retrouve partout où les volontaires interviennent, de gros moyens seront nécessaires dont personne n’a ici la maîtrise. » (L’Essor Hebdo, 22-23 mars 1997) L’alternative intervention / délégation augure-t-elle finalement d’un traitement différencié des régions et des communes au travers de la décentralisation à venir ? La géographie économique malienne, par ses extrêmes, donne du crédit à cette dernière hypothèse : le Grand Nord pérenni- 13. « Le débat malien sur la décentralisation depuis 1992 illustre manifestement (...) ce type de tension entre la tentation administrative à promouvoir l’uniformité du dispositif et le souhait des populations à faire reconnaître une organisation “à géométrie variable”. Nous sommes là au cœur des problèmes d’indigénisation et les obstacles à dépasser restent formidables. C’est en effet toute la philosophie spontanée de l’action réformatrice qui est en cause et qui interpelle l’idéologie idéaliste des juristes occidentaux ou occidentalisés. » (Le Roy, 1996) Grafigéo 1999-8 25 Décentralisation malienne serait une logique d’assistance de l’État ; le Sud cotonnier, seul réel garant de la viabilité économique « du local », incarnerait « un pays qui a des ressources qu’il suffit de mobiliser et de bien gérer, la décentralisation (étant), pour y parvenir un passage obligé »14. Mais la majeure partie des terroirs et des villes secondaires du Mali reste en demi-teinte dans ces attentes réciproques du « bas » et du « haut ». Si la nécessité de développer un État de droit et une politique de développement durable suscite le ralliement de tous à une décentralisation progressive, la demande sociale locale se révèle moins unanime à l’égard d’un État redéployé. Il convient d’envisager comment cette « société civile » est mise en scène par les divers promoteurs de la réforme. IMPULSIONS EXTÉRIEURES, RESSORTS ENDOGÈNES Assurément la décentralisation apparaît au Mali comme le dernier avatar d’une rhétorique du développement, comme le plus récent slogan de l’expertise internationale, les pays du Sud se trouvant une fois de plus dans le prolongement du Nord. Le mot d’ordre est-il alors plaqué sans biais par les bailleurs de fonds des coopérations multilatérales, bilatérales ou décentralisées ? On rejoint ici les réflexions plus générales sur la « greffe » de l’État africain et sur l’« indigénisation » des perspectives de développement (Bayart, 1989, GEMDEV, 1996). La décentralisation reprend également d’anciennes perspectives d’intégration des communautés locales aux espaces de la mondialisation. Des « conditionnalités » internationales aux digestions endogènes, elle prend rang dans la série des modèles de modernisation technique, de libéralisation économique et de démocratisation politique qui concourent à l’élargissement du capitalisme. Des conditionnalités fortes, des bailleurs de fonds différenciés « ... présentement, le Mali dispose auprès de ses partenaires extérieurs de préjugés favorables, quant à la qualité de notre processus démocratique, aux efforts que nous sommes en train de déployer pour asseoir la décentralisation, à la rigueur de sa gestion économique et à la cohérence de notre démarche politique. »15 Dès les années quatre-vingt, les « partenaires extérieurs » de l’Afrique ont renouvelé la chaîne des arguments du développement avec le thème d’une nécessaire structuration des collectivités locales. La tendance se concrétise au cours des années quatre-vingt-dix en termes budgétaires. En effet, les « acteurs du développement » se sont multipliés et entrent parfois en concurrence. Tant la Mission de décentralisation que le troisième Projet urbain du Mali (ce dernier étant intitulé « Décentralisation et infrastructures ») rassemblent les crédits de nombreux bailleurs de fonds : coopérations française, allemande, canadienne, Banque mondiale-IDA américaine surtout. D’autre part, la critique des plans d’ajustement structurel à la fin des années quatre-vingt conduit la Banque mondiale à admettre une série de régulations institutionnelles et sociales (dimension sociale de l’ajustement et composantes sociales des PAS) puis territoriales (promotion de la décentralisation). Le changement de conjoncture entraîne une « reconceptualisation en terme de governance » (Campbell, 1996). Ainsi banalisées, ces nécessités du moment ne font cependant pas oublier que la gestion des territoires est la plus vieille affaire du politique, et que le sens donné à ces termes de références communs diffère souvent d’une coopération à l’autre. On se borne ici à montrer 14. « La foi contagieuse d’Ousmane Sy », L’Essor Hebdo, 18-19 mai 1996. 15. Discours à la nation du président de la république, 22 septembre 1995. Grafigéo 1999-8 26 Contexte d’émergence des réformes quelques inflexions des bailleurs nordaméricains et français. « La bonne gouvernance telle qu’elle s’expose »16 L’effet de contexte du début des années quatre-vingt-dix est abondamment évoqué en matière de décentralisation. Comme en matière de politique économique, la Banque mondiale incarne la tradition d’une position minimaliste et de méfiance concernant l’intervention de l’État. « Par opposition au ton plutôt provocateur et militant des donateurs bilatéraux qui cherchent à instaurer une conditionnalité politique pour favoriser la “démocratisation”, notamment des systèmes multipartistes et la défense des libertés civiles qui sont vues comme des éléments indispensables au “bon gouvernement”, la position de la banque mondiale concernant la governance est beaucoup plus modeste et mesurée et évite le piège de préconiser telle ou telle forme de gouvernement comme préalable à la good governance. [...] Ce paradigme libéral-pluraliste (qui postule la liberté du citoyen face à l’État) a (donc) très peu de chose à dire sur la construction et la reproduction des bases du pouvoir ou de l’ordre politique. « Par contraste avec la volonté de redéfinir le rôle de l’État, la position de l’USAID en faveur du démembrement des responsabilités et des rôles des États en Afrique est beaucoup plus tranchée et radicale. » Une telle position s’appuie sur : 1. le transfert de responsabilités aux communautés locales, « devolution » qui inclut l’éducation de base, la santé, les infrastructures (route, eau), et jusqu’aux pouvoirs policiers et judiciaires, la législation et la gestion de la propriété locale ; 2. le transfert de responsabilités au secteur privé, ce qui nécessite privatisations, déréglementation et abolition des contrôles ; 3. l’octroi de responsabilités à de nouvelles unités politiques régionales multiÉtats pour des raisons d’économie d’échelle [...]. Autant de projets de réformes politiques qui « proposent avec précision une réorientation des interventions que devront assumer l’USAID et les autres bailleurs de fonds en ce qui concerne : le renforcement institutionnel, le renforcement de la société civile, la décentralisation, le transfert de propriété, et leur rôle pour éviter le renforcement de l’autorité centrale. » (Campbell, 1996, p. 22-26) Réorientés au cours des années quatre-vingt-dix sur la scène internationale, ces principes généraux sont transposés dans le cadre du Mali sans guère de déformation. Les conditionnalités ne sont pas infléchies en fonction des caractéristiques écologiques, politiques et surtout économiques du pays, comme le montrent divers séminaires organisés sous l’égide de la Banque mondiale ou de l’USAID. L’atelier « Communication et bonne gouvernance », organisé à Cotonou par le Centre ouest-africain des médias et développement en collaboration avec l’UNESCO, s’adresse aux journalistes du Bénin, du Mali et du Togo en mars 1997. L’étude de la Banque mondiale sur les Perspectives à long terme de l’Afrique au sud du Sahara, publiée en 1984, y est présentée comme le document qui annonce sur le continent le concept de gouvernance, soit la « composante éthique du développement » qui manquait à la Banque. Mais il faudra attendre les années 1990 pour voir certaines institutions comme le PNUD pousser l’analyse au-delà du seul souci de croissance économique en y incluant la notion de responsabilité politique : un gouvernement ne peut être efficace que s’il jouit d’une certaine légitimité que seule peut conférer une société qui se reconnaît et se retrouve en lui. Ce serait « pécher contre le bon sens » que de soutenir que la transparence dans la gestion publique, l’instauration de l’État de droit, la décentralisation ou l’élargissement de la participation des populations au processus de prise de décision, la liberté de presse et la bonne gestion de l’information ne sont pas des exigences qui doivent s’appliquer dans n’importe quel pays. Plus concrètement, la crédibilité des institutions locales est le thème d’un séminaire bamakois organisé sous le triple parrainage de l’Association des Maires du Mali (AMM), de l’USAID et du ministère de l’Administration territoriale (octobre 1995). Partenaires maliens et américains y rappellent, en des 16. L’Essor Hebdo, 15-16 mars 1997. Grafigéo 1999-8 27 Décentralisation malienne termes souvent psychologiques, le bilan médiocre de la « relation de confiance » édiles/administration locale/populations, puis les « bonnes résolutions » qui s’imposent. Le directeur adjoint de l’USAID au Mali demande alors aux maires de démontrer qu’ils méritent la confiance des électeurs grâce auxquels ils occupent leur poste. En particulier, les taxes collectées localement doivent être utilisées localement « sinon les populations peuvent être amenées à se poser beaucoup de questions ». Les termes de références (transparence et gouvernance) de la décentralisation se généralisent enfin à d’autres coopérations bilatérales. Plus récentes sur le « marché » malien, plus discrètes dans les lignes budgétaires multilatérales du FED, elles tentent de trouver leur place soit autour d’opérations localisées et de filières techniques ciblées (c’est le cas de la coopération danoise), soit dans les ambitions plus généralement institutionnelles. C’est le cas de la GTZ allemande. fonds avouent d’ailleurs réserver leur aide à la seule région jugée apte au développement au sud du Mali. Le cadre est en effet prospère ; production cotonnière, échanges vivriers frontaliers avec la Côte d’Ivoire, stimulant de la dévaluation de janvier 1994, justifient tant les espoirs que les mises en garde du développement décentralisé autour de nouveaux investissements. Bailleur de fonds parmi de nombreux autres de la Mission de décentralisation, celle-ci organise à Bamako un séminaire international sur la décentralisation en Afrique francophone (juin 1996). Une quarantaine de participants venus de huit pays africains y échangent leurs expériences sur l’état d’avancement des réformes entreprises afin d’harmoniser l’appui allemand à la décentralisation. Les thèmes sont on ne peut plus « rodés » par la banalisation du discours : « mobilisation et gestion des ressources des collectivités locales, perspectives de participation populaire, dépendance et complémentarité entre l’État et les collectivités décentralisées, psychologie de la réorganisation territoriale ». Les recommandations ne sont pas moins standardisées : « création d’un réseau d’échanges permanents entre les différents pays membres, responsabilisation des collectivités locales et respect plus rigoureux de la législation financière, établissement des contrats et conventions entre les communes et les acteurs du développement, renforcement des capacités de services pour le développement, stratégies pour mieux impliquer les femmes dans les organes de décision ». En janvier 1997, des travaux de bitumage apparaissent ainsi financés, « pour la première fois au Mali », à l’initiative de populations « responsables » et sur cotisations et taxes locales. Dès 1993 en réalité, la « spontanéité » des Sikassois a été quelque peu inspirée par les représentants de l’USAID et par l’ambassadeur des États-Unis en visite sur place. Le « volet eau » du développement local est également promu lorsque la coopération du Danemark inaugure en juillet 1996 le réseau d’adduction de toute la ville, pour une population estimée à 100 000 habitants et pour un montant de 12 milliards de francs CFA. Suite à une convention signée en novembre 1993, la maîtrise de l’eau au Mali, constitue un objectif privilégié de la coopération danoise à travers trois accords d’assistance technique et financière. Le projet de Sikasso s’ajoute aux forages déjà réalisés dans les cercles de Sikasso et Kadiolo et au projet de renforcement du réseau d’adduction d’eau de Bamako-Ouest. Le représentant de la coopération danoise exprime alors de manière exemplaire comment des conditionnalités générales se concrétisent sur le terrain : « que soient évitées les mauvaises habitudes du passé, tels que les branchements clandestins, le non-paiement des factures, le manque d’entretien par le personnel de la station et son réseau ! » Si l’exhortation renvoie bel et bien la balle dans le camp des techniciens et des usagers, les contributions de l’État malien et des populations bénéficiaires restent modestes dans le bilan global de l’opération. La première se résume en exonérations douanières et fiscales, attribution de parcelles de terrain et mobilisation du personnel technique national (environ 350 millions de francs CFA) ; la seconde est évaluée à 44 et 117 millions de francs CFA en participations physiques et financières. Ces conditionnalités s’affichent également en actes dans les choix de l’urbanisme opérationnel. A cet égard, le cas de Sikasso est intéressant par les multiples crédits qu’il attire. Plusieurs bailleurs de Avec des enjeux financiers plus lourds, le montage du troisième Projet Urbain du Mali montre enfin le cadre dans lequel la Banque mondiale situe son intervention. Contrairement aux précédentes, la nou- Grafigéo 1999-8 28 Contexte d’émergence des réformes velle programmation des investissements urbains ne s’appuie plus sur une cellule administrative bamakoise. Dans la logique du retrait de l’État, elle valorise au contraire deux agences d’exécution, relais plus légers et directement productifs : l’Agetipe et l’Agence de cession immobilière. « Pour ce troisième projet urbain associé au projet Agetipe II, la BM va débloquer un prêt de 40 milliards de francs CFA remboursable en 40 ans, avec un intérêt si faible qu’on pourrait l’appeler frais de gestion. Si le taux d’intérêt est tout à fait symbolique, les conditionnalités, elles, sont bien réelles et rigoureuses. Les fonds seront en effet débloqués sous réserve de rentabilité financière et économique. Pas question de prendre en charge des volets improductifs. En clair, la Banque réclame des garanties que l’ouvrage, une fois réalisé, sera entretenu, contrairement aux infrastructures de Agetipe I et du deuxième Projet urbain où des “défaillances” ont été constatées. Cette garantie est apportée par le volume de travaux d’entretien décidé chaque année par les municipalités et le district et la part de ressources qui leur sera allouée. Le souci va en fait plus loin car si la Banque s’interroge sur l’argent que les communes et le district vont dépenser dans l’entretien, elle s’inquiète aussi de leurs recettes. Actuellement les communes recouvrent seulement 15 % de ce qu’elles devraient percevoir sur les équipements marchands et le district ne récolte que 30 millions de francs CFA en impôts et taxes, alors qu’il dépense chaque année 300 millions de francs CFA dans le service du transport. “Le service rendu doit être payé” rappelle opportunément le représentant de la Banque mondiale. L’institutionnalisation de procédures plus rigoureuses passe alors par la formulation de contrats-villes qui lieront les municipalités et l’État. » (L’Essor Hebdo, 20-21 juillet 1996) De ces impulsions extérieures, on retient donc qu’elles ne formulent la dimension territoriale du développement qu’en termes institutionnels. La pédagogie de la rigueur financière, que les schémas d’aménagement et d’urbanisme de la décennie précédente avaient promue sur le papier, sous l’impulsion des cadres techniques maliens, est désormais le fait de promoteurs internationaux à l’appui de financements effectifs. Grafigéo 1999-8 L’expérience française des communes et des quartiers : une pédagogie des missions locales d’animation publique En matière de décentralisation, la coopération française rejoint souvent l’aide nord-américaine. Mais elle en diffère aussi sensiblement du fait des relations particulières et évolutives que l’ancienne métropole maintient avec le Mali. En effet, la formule de la décentralisation fait écho à une expérience française déjà ancienne que les réformes administratives et les politiques urbaines des années quatre-vingt ont actualisée. Plus que d’autres domaines de coopération, la « promotion du local » a contribué à renouveler les procédures de décaissement et le discours français sur le développement. La mission de service public reste au cœur du modèle français tel qu’il tente de s’exporter dans plusieurs pays francophones d’Afrique noire. Ancien préfet de région, le sénateur Jean Clauzel en tire ainsi les principales recommandations à destination du continent (Clauzel, 1992). 1. Les enjeux africains de la réforme sont fondamentalement économiques. Les politiques relèvent de pressions conjoncturelles et non d’une lente maturation politique comme dans le cas français. Le processus s’inscrit donc dans une marge de manoeuvre limitée. Conçue comme levier pour le développement local, la décentralisation offre « une possibilité de transférer sur les collectivités locales des dépenses d’équipement que les budgets nationaux peinent à assumer ». 2. L’expérience française est exemplaire par la place qu’elle a d’abord donnée, avant une régionalisation plus conséquente, au niveau communal d’encadrement territorial. Elle consacre ainsi une véritable « idéologie du local », le mythe de la communauté consensuelle, et les vertus du patrimoine géographique. « On ne risque guère de se tromper en affirmant que la décentralisation a d’autant plus 29 Décentralisation malienne de chance de réussir qu’elle s’applique d’abord aux communautés les plus réelles, les plus enracinées dans le sol et plus encore dans l’esprit des hommes et des femmes appelés à les constituer, c’est-à-dire, de quelque terme qu’on les désigne ici où là, les communes. La carte de ces futures communes doit faire l’objet d’une étude particulièrement attentive et complète, prenant en considération le passé, le présent et l’avenir, conduite avec la préoccupation de concilier réalité de communauté humaine et potentialité économique et fiscale. Le mariage des deux données est aussi nécessaire que parfois malaisé, particulièrement en zone d’habitat peu dense et dispersé. » 3. La décentralisation ne compromet pas la crédibilité de l’État, elle en redéploie les légitimités. 4. L’autonomie réelle des collectivités territoriales se juge à des critères de rigueur : transferts financiers, ressources fiscales, capacité d’investissement. 5. Une véritable éthique de la responsabilité conduit à formuler de nouvelles exigences pour les élus et les représentants de l’État : celles de la formation, de la professionnalisation, voire d’une véritable culture publique locale. Mais l’expérience française valorise surtout une pratique contractuelle de la gestion locale. Dès la huitième Commission des Nations Unies pour les Établissements Humains (Kingston, avrilmai 1985), la coopération française soulignait les mérites des contrats de villes moyennes et de pays, ainsi que le resserrement des relations villes-campagnes qu’ont suscités le Plan économique 1973-1979, la réforme de décentralisation de 1983 puis la préparation du neuvième Plan de 1984-1988 (Bertrand, 1986). Dans le même temps, les grandes agglomérations ont vu se multiplier les « projets DSQ » (développement social des quartiers) et les régies de quartier. Ils sont relayés à la fin de la décennie, en relation avec la Délégation interministérielle à la Ville, par une « perspective DSU » (développement social urbain). Transposée en Afrique francophone (Venard, 1993), la réflexion des urbanistes porte sur l’alternative « gestion urbaine du problème social » (crise économique, crise de l’école et de l’intégration citoyenne)/« gestion sociale du problème urbain » (crise des banlieues, crise d’identité et d’emplois urbains). Le thème du développement local est donc fortement valorisé contre la généralisation des processus d’exclusion dans un contexte de crise des disponibilités financières publiques. La formule contractuelle s’exporte au travers de multiples projets d’animation locale : soutien aux petites entreprises d’insertion, aux services et équipements de proximité. Tout en se situant en droite ligne de la tradition incitatrice des politiques publiques, elle s’en démarque en intégrant de nouveaux acteurs associatifs dans la concertation, la décision et l’exécution locales. Les termes de ce recentrage local sont donc rodés au seuil des années quatre-vingt-dix. Mais l’expérience trouve surtout un terreau favorable dans la multiplication des associations, jumelages-coopération, ONG et GIE en milieu urbain africain17. La logique française se démarque donc fortement des perspectives « macro » (restauration des grands équilibres budgétaires africains, objectifs de croissance nationale et internationale) qui motivent davantage les bailleurs de fonds américains. Enfin, la coopération française diverge des options plus franchement libérales en n’écartant pas l’hypothèse d’un soutien direct aux services et équipements impro- 17. Voir les Journées « Développement social urbain et coopération Nord-Sud » organisées par le Pro- gramme Solidarité Habitat en octobre 1992. Rassemblant des spécialistes des dynamiques urbaines en Afrique et des acteurs du DSU en France, elles sont organisées autour de thèmes que l’on retrouve autant dans les décentralisations françaises et africaines : « l’échelle d’action pertinente et la notion de projet global », « l’insertion par l’économique », « le rôle de l’État, la participation et la citoyenneté ». Ils sont ensuite repris lors d’un séminaire analogue organisé à Dakar en janvier 1993 (documents de synthèse multigraphiés, Paris, PSH, juin 1993). Grafigéo 1999-8 30 Contexte d’émergence des réformes ductifs, voire d’un engagement de fonds publics dans la création d’emplois. C’est le sens que donne la Mission française de coopération et d’action culturelle de Bamako au protocole d’accord qu’elle signe en juillet 1996 avec la Direction malienne de la Coopération internationale pour la mise en place d’un nouveau mécanisme financier, le « Fonds social de développement ». Celui-ci est destiné à financer en priorité des projets de petites dimensions dans les secteurs sociaux et les services collectifs, et à consolider « les dynamiques micro-économiques créatrices de revenus et d’emplois ». Les projets sont orientés de préférence en milieu urbain, au bénéfice des populations pauvres, mais il n’est pas exclu de prévoir des actions en milieu rural pour les même objectifs. Des représentants de la société civile ou des collectivités locales pourront désormais directement soumettre leur requête à un comité de sélection regroupant des membres de la coopération française, de l’État malien et d’autres bailleurs de fonds. Le FSD prend la suite du Fonds spécial de développement qui avait été mis en place après la dévaluation du franc CFA en janvier 1994. Trois milliards de francs CFA ont été engagés entre 1994 et 1995 dont la presque totalité a été consacrée à la construction de salles de classes à Bamako et dans les villes secondaires, la construction et la réhabilitation de 14 plateaux de sport et de 26 centres de santé communautaire. Une partie des crédits a été aussi engagée dans la formation, l’alphabétisation, la promotion des femmes et de jeunes diplômés. Un fonds pour l’emploi a enfin été mis en place, et une aide a été accordée à la création de microentreprises favorisant l’insertion des jeunes dans la société. De même, le Fonds social de développement (création d’emplois, amélioration des conditions de vie) doit démontrer qu’un choix plus précis des interventions et des « groupes-cibles » a des conséquences positives dans le renforcement des compétences locales, l’appui à la structuration des quartiers et au processus de décentralisation. La mise en place de cadres de concertation entre populations, opérateurs et structures déconcentrées de l’État en est la condition principale. Cette évolution de la coopération française (décaissements plus rapides, changement d’échelle d’intervention) suscite déjà des réactions maliennes. Celles-ci donnent à penser qu’un ciblage plus fin des collectifs territoriaux et sociaux avive les concurrences locales, autant qu’il stimule la responsabilité des « groupes ressources ». Quelques expériences d’animation locale traduisent la difficulté de concilier sur le terrain les intérêts parfois contraires de partenaires institutionnels et informels variés18. Derrière la participation escomptée, apparaissent de réelles tentatives d’accaparement des nouvelles lignes de crédit. C’est en ce sens qu’intervient le maire de Kayes19 lors de la Table ronde « Développement local, municipalités et décentralisation » qui clôt le séminaire régional du Programme de développement municipal (PDM) tenu à Nouakchott en avril 1994 : « Je voudrais faire part de l’expérience des fonds spéciaux qui ont accompagné la dévaluation au Mali. Nous avons appris entre temps qu’un fonds spécial a été mis à la disposition des communes pour aider les populations à faire face aux difficultés engendrées par cette dévaluation. Les maires n’ont pas été 18. Dans le cadre d’un appui aux associations de quartiers mené entre 1992 et 1995, la Caisse française de développement soutient la participation des femmes et des jeunes diplômés ainsi qu’une réflexion sur l’épargne populaire. L’objectif est de « créer une dynamique de coordination au niveau local, et des passerelles contrariant l’émiettement politique et social des quartiers ». Trois points sont dégagés : une aide aux associations intervenant dans le secteur de l’assainissement et du ramassage des ordures, l’intégration d’artisans et d’entrepreneurs locaux dans un volet infrastructures, la mise en place de banques de quartier et de filières de crédit local. Le bilan est jugé mitigé : une cellule initiée en relation avec le gouverneur du district de Bamako a d’abord butté sur une mauvaise transmission des informations et sur l’insuffisante mobilisation des services sectoriels. Le soutien apporté à quelques associations de jeunes diplômés a de plus suscité la protestation des maires qui estimaient ne pas avoir été associés aux opérations. Un projet d’installation et de gestion de latrines au marché de Hamdallaye s’est ainsi vu bloqué par le maire de la commune IV. De son côté, la CFD a regretté ne pas être habilitée à prendre des engagements financiers directement avec les communes, celles-ci devant recevoir les fonds de coopération par l’intermédiaire du gouvernorat du district (entretien avec Watché Papazian, CFD, avril 1994). 19. Kayes est la capitale de la première région à l’ouest du Mali. Sa place dans la hiérarchie urbaine ne cesse de se dégrader depuis l’indépendance du pays. Grafigéo 1999-8 31 Décentralisation malienne informés de manière formelle. Ensuite nous avons appris que ce fonds sera géré par deux institutions, à savoir : la Caisse française de développement et la Mission française de coopération qui est à l’ambassade de France à Bamako. Sur le terrain il y a même eu un accrochage entre les deux institutions ; finalement la Mission française de coopération a cédé le terrain à la Caisse française. Nous avons simplement été informés que ces fonds seront utilisés pour les travaux d’assainissement dans les quartiers. Dans toutes les villes, les GIE sont constitués et c’est à eux qu’il revient de formuler, de remplir les fiches de projet pour évaluer leurs besoins et leurs occupations, pour avoir le financement. Donc nulle part les maires n’ont été concernés. » (PDM, 1995, p. 316) Par delà ces nuances propres aux différents bailleurs de fonds, se pose donc la question de l’appropriation du processus de réforme administrative et territoriale. A propos d’une reformulation du rôle de l’État, Bonnie Campbell souligne « l’urgence du rapatriement des débats par les pays concernés » (1996, p. 28). Une telle « endogénéisation » concerne d’abord tout le contexte africain, francophone en particulier, et plus spécifiquement dans le cadre malien. De nouvelles dimensions de la réforme de décentralisation apparaissent alors. Elles sont plus sociologiques que techniques mais conditionnent fortement la transposition des conditionnalités au niveau de collectifs locaux. En effet, la culture historique des terroirs a souvent concentré les pouvoirs dans une logique d’opposition des responsabilités sociales : lignages aristocratiques/de basse condition, aînés/cadets, « autochtones »/« étrangers », genres masculin / féminin. La densité et le brassage des milieux urbains ont certes lissé une partie de ces héritages et en ont brouillé les formes contemporaines. Mais il n’est pas sûr que les missions de service public soient toujours clairement délimitées des intérêts privés et particuliers. Principes réformateurs et compromis du passé définiront sans doute, au bas de l’État comme au sommet de la construction nationale, une modernité hybride. La géographie du nouveau découpage Grafigéo 1999-8 communal est l’expression première de ce type de compromis. L’appropriation africaine du slogan : le PDM Le Programme de développement municipal en Afrique sub-saharienne (PDM) est lancé en mars 1992 à Cotonou. Son Module Afrique de l’Ouest exerce une réelle coordination des associations des maires des pays francophones. Des séminaires internationaux déclinent aussi régulièrement les « trois grandes familles d’objectifs » (Elong Mbassi, 1994) que suscitent les réformes nationales de décentralisation : « décentralisation et développement » (mobiliser les populations en vue d’un développement durable à la base), « décentralisation et démocratie » (approfondir et enraciner la démocratie au niveau local), « décentralisation et reconstruction de l’État » (donner une nouvelle légitimité aux institutions publiques). Le programme impressionne surtout par la rigueur de ses « attentes » et par la lucidité à l’égard des « risques » qu’elles suscitent, alternative que l’on retrouve dans les interventions du chef de la Mission de décentralisation du Mali. En aucun cas, la décentralisation ne constitue un slogan vite transplanté mais resté formel, dans l’attente de subsides qui n’infléchiraient pas les termes anciens du développement-coopération. La « crise de gouvernementalité » propre au continent africain, le « handicap de la construction d’États sans base anthropologique », la variété des niveaux de réflexion (de la mondialisation à la culture de quartier), tout cela témoigne d’une réelle largeur de vue sur les institutions publiques africaines. En quelques années, le PDM est devenu le partenaire reconnu de grandes institutions internationales et des organisateurs de la Conférence Habitat II. La nouvelle donne des années quatrevingt-dix conditionne l’appropriation africaine du slogan de décentralisation : 1. A partir de 1988, les programmes 32 Contexte d’émergence des réformes « dimension sociale de l’ajustement » (DSA) relaient les « programmes d’ajustement structurel » (PAS) dont les conséquences négatives ont été analysées par le PNUD, la Banque mondiale et la BAD. De nombreuses enquêtes attestent de la dégradation du niveau de vie des ménages africains, ce qui contrarie les perspectives d’un développement « soutenable ». 2. Les capacités d’investissement du secteur public sont dans le même temps réduites, alors que les bailleurs de fonds sont devenus plus exigeants. La rigueur budgétaire, l’obligation de payer des services sociaux autrefois publics et gratuits, mais qui ne fonctionnaient que sporadiquement ou en faillite chronique, conduisent à mettre le coût du développement social en première ligne des réformes. Cela revient concrètement à exiger des populations qu’elles participent au financement du développement local. Libéralisation semble mieux rimer avec démocratisation. Le PDM intègre un schéma tripartite de recommandations, à l’endroit des communes, des États et des bailleurs de fonds internationaux. C’est donc un modèle de décentralisation centré sur « le local » et sur l’institution communale qui est durablement intériorisée. La « gouvernance » doit faire l’objet d’une réflexion politique tant locale que nationale en Afrique. Les pratiques clientélistes sont stigmatisées et occupent souvent les dessins humoristiques du bulletin L’Afrique municipale (Cotonou, PDM)20. La greffe malienne : un débat plus intérieur qu’indigène Au travers des encouragements à la décentralisation, la société malienne est désignée sous deux catégories : la « socié- té civile » d’une part, terme largement inspiré de transpositions internationales ; « les populations » d’autre part, qui renvoient à un ensemble peu organisé. L’emploi de ces mots dans leurs contextes géographique et conjoncturel témoigne de l’appropriation imparfaite du principe de décentralisation. Le joug des crises de début et de fin de quinquennat En amont et en aval des préparatifs institutionnels, le contexte social des années 1992-1997 met la réforme sous tension. La donne politique du Mali influe fortement sur le débat concernant la décentralisation, soit pour le reléguer en arrière-plan des priorités du moment, en retarder les échéances techniques et parlementaires, soit pour justifier au contraire de l’urgence des réformes. Audelà d’une démocratisation reconnue comme exemplaire, au-delà des encouragements des partenaires extérieurs qui placent le pays dans un registre général de confiance retrouvée, plusieurs crises prennent en étau la refonte territoriale. Engagées dès la fin de l’année 1992, la « crise du Nord » et la « crise scolaire » culminent au cours de l’année 1994 et concernent à plusieurs titres la réforme de décentralisation. L’aggravation de l’insécurité dans certaines régions du pays a en effet conduit les autorités nationales à nommer des gouverneurs militaires à la tête des circonscriptions régionales, rappelant en cela une pratique du précédent régime qui n’offrait guère de gage d’assouplissement de la vie administrative21. Ces deux séries de difficultés motivent principalement les concertations régionales d’août 1994, tout en s’insérant dans un programme de discussion qui concer- 20. « Le développement du Mali ainsi que sa marche vers le progrès social et économique ne peuvent se faire sans les collectivités et sans l’implication des populations. Il se fera avec les hommes, les femmes, les enfants, les valides, les invalides sans exclusion aucune et sans clientélisme. » (président de l’Association des Maires du Mali, séminaire sur « le rapprochement entre l’administration et l’administré », Bamako, USAID/AMM, octobre 1995) La remarque prend sont sens après que nombre d’édiles municipaux aient été provisoirement emprisonnés pour cause de prévarication à la fin de la deuxième république malienne. 21. Le Lieutenant-colonel Karamoko Niaré, officier d’aviation, est ainsi nommé gouverneur du dis- Grafigéo 1999-8 33 Décentralisation malienne ne également la refonte communale. Mais au moment où l’État tente de réaffirmer ses missions d’encadrement et de développement, son autorité est mise en cause sur les questions de l’intégrité territoriale et du contrôle social des « cadets » urbains. Au-delà des chronologies propres de la rébellion touareg et du mouvement Gandha Koye, au-delà des grèves et des manifestations scolaires qui entraînent l’instabilité gouvernementale des premières années du quinquennat, ce sont bien les bases régionales et sociales du pays qui sont prises à défaut de fonctionner. L’impératif de mobilisation unitaire du Mali derrière les enjeux de la décentralisation est mis à mal22. Signé en avril 1992, le Pacte national prévoit d’abord d’intégrer les combattants des mouvements de l’Azaouad dans les forces de sécurité maliennes et de rapatrier les personnes déplacées par la rébellion. Le statut particulier concédé au Nord (6e, 7e et 8e régions) inspire également un véritable tournant dans la politique malienne de décentralisation. En effet, le Pacte stipule l’institution d’une Assemblée inter-régionale et la cogestion de chaque niveau territorial – régions, cercles, arrondissements et communes – par une assemblée élue et un pouvoir exécutif. Mais cette autonomie relative est bien vite démentie par le retard pris dans le transfert de ressources susceptibles de donner corps aux responsabilités nouvelles. Le Fonds de développement et le Fonds d’indemnisation qui sont mentionnés dans les dispositions générales du Pacte n’ont pas été définis rapidement. Le programme décennal de développement du Nord s’est trouvé vite bloqué par la reprise des mouvements armés et du banditisme. Dans l’immédiat, les troubles de 1993-1994 ont donc occulté la réforme des collectivités territoriales au profit d’une gestion immédiate de l’insécurité. Mais à plus long terme il s’est installé dans le pays une inquiétude de fond des populations maliennes à l’égard de la décentralisation : comment promouvoir une autonomie locale, comment assumer des responsabilités sans budget ? Les futures assemblées élues ne tournerontelles pas à vide ? Certes le Grand Nord est bien perçu dans tout le pays comme la zone par excellence dépourvue de bases productives stables. Mais la notion de « région déficitaire » a fait tâche d’huile et a nourri l’argumentaire d’une méfiance plus générale à l’égard de réformes trop rapides. Essentiellement urbaines, les difficultés scolaires ont également donné le sentiment au pays que son pouvoir était mal assuré. Autre effet durable : le devoir d’assistance publique est rappelé à l’occasion du débat sur l’attribution de bourses d’études, au moment où la décentralisation est censée mettre à contribution financière une part croissante des populations. Lors des consultations régionales de 1994, le « pays profond » prend conscience du fait que le transfert de responsabilité aux communes impliquera la gestion des établissements du premier cycle scolaire. Les attentes populaires pourrontelles continuer de s’exprimer selon une logique de sollicitation de l’État-providence ? Ces deux crises parallèles ont leur logique propre : insuffisance de l’État d’un côté, trop grande fermeté de l’autre. Mais face à de telles difficultés, la troisième république naissante courrait le risque d’achopper sur les ambitions de la décentralisation. Les apaisements de 19951996 justifient a contrario l’avancée des dossiers techniques et parlementaires de la réforme, avant qu’une nouvelle crise vienne contrarier l’accouchement politique des communes. En aval du quinquennat, la crise électorale de 1997 dépasse également de trict de Bamako en juin 1994, après une vacance de plusieurs mois pour la succession de Mme Sy Kadiatou Sow. 22. L’État est surtout mis en cause dans l’incapacité des forces de l’ordre à réagir aux attaques organisées contre l’administration et les particuliers. Grafigéo 1999-8 34 Contexte d’émergence des réformes beaucoup le calendrier et les enjeux de la décentralisation. Mais comme les tensions précédentes, elle influe sur la crédibilité des concertations dans la suite de la troisième république malienne. Après toute une série de reports et de crispations autour des préparatifs électoraux, la majorité Adema-Pasj est reconduite entre avril et juillet 199723. Mais le climat politique reste tendu jusqu’à la fin de l’année : critique radicale des conditions de vote, boycott et annulation des élections exigées par l’opposition qui durcit le ton, meetings et manifestations répétés d’un collectif de partis opposé à la mouvance gouvernementale, isolement croissant des leaders politiques bamakois par rapport au reste du pays. C’est dans ce contexte sensible (méfiances, arrestations et violences), où les accusations de mauvaise foi répondent à celles de monopole, que se comprend finalement l’inversion du calendrier électoral au détriment des communales. Le cadre privilégié de la « démocratie locale » tarde à se mettre en place tout au long de l’année. Une transition institutionnelle s’impose donc avec la mise en place de « délégations spéciales » qui rappellent, sous des formes constitutionnelles nouvelles, la gestion autoritaire des communes sous le régime militaire des années soixante-dix. Tutelles ministérielles, chantier présidentiel La tutelle de la Mission de décentralisation aurait pu donner à penser qu’une nouvelle concurrence administrative renouvelait celles de la deuxième république malienne, et concourrait par la négative à endogénéiser le processus de réforme. La mise en place de la Mission en 1992 ouvrit le débat. Le porte-parole du gouvernement dut alors assurer les journalistes de l’intention du gouvernement de « jouer franc-jeu pour réussir la décentralisation ». Risque que la nouvelle structure « doublonne » avec celles qui s’occupaient déjà du problème, et en particulier avec le ministère des Réformes institutionnelles et de la Décentralisation24 ? Risque que la décentralisation soit prise en otage par les partis politiques ? Le ministre de la Communication répondit en rappelant le bilan peu satisfaisant de trente ans de travail sur la décentralisation et justifia par là la nécessité de promouvoir de nouvelles structures de réforme dans un agencement institutionnel et politique assaini. (Briefing du conseil des ministres, 28 octobre 1992) Le changement de tutelle de la Mission de décentralisation (de l’Administration territoriale aux services du Premier Ministre) n’a pas suscité de nouvelles inquiétudes. Non pas qu’un tel héritage de concurrences au sommet de l’État se soit totalement dilué dans les pratiques de la troisième république. Mais les perspectives de la décentralisation ne semblent pas avoir stimulé d’enjeux de taille à ce niveau-là. Le souci de cohérence administrative est de plus une constante des interventions du président Alpha Oumar Konaré dans ses tournées en régions, ses discours de crise et ses messages bi-annuels à la Nation. La décentralisation y apparaît comme un « grand chantier » pour le pays, impulsé par le chef de l’État en personne qui en incarne la philosophie d’avenir plus que le suivi technique. Ses principaux discours font alors ressortir les pressions externes et internes qui conduisent le pays à s’approprier la réforme. A l’instar des autres dossiers de politique économique et sociale, la décentralisation s’inscrit dans la tension de deux nécessités : donner des gages de rigueur aux bailleurs de fonds, et assurer les popula- 23 Les élections de 1997 doivent renouveler le personnel politique du Mali à trois niveaux : communes, assemblée nationale, présidence de la République. L’ordre des élections de 1992 sera finalement inversé à l’issue des confrontations politiques de la fin du premier quinquennat. Le parti majoritaire (Parti africain pour la solidarité et la justice) est né en mai 1991 de l’Association pour la démocratie au Mali, elle-même créée en octobre 1990. 24. Celui-ci ne survivra pas au premier gouvernement de Y.A. Touré. Grafigéo 1999-8 35 Décentralisation malienne tions d’une « responsabilité nationale » à leur égard. « A la veille de la mise en place du Haut Conseil des collectivités territoriales consacrant la réussite de cet important projet, on peut juger de la profondeur de la réforme entreprise à l’immense espoir qui habite les communautés de base, désormais maîtresses de leur destin pour des domaines assez importants. Le Mali nouveau se jugera au fonctionnement correct des communes, fonctionnement qui ambitionne de redonner confiance aux populations en leur propre capacité de décision et de gestion, contre les thèses et les agissements de l’État jacobin et centralisateur. » Répondant ensuite aux voeux du corps diplomatique, le chef de l’État réaffirme que « le projet de décentralisation qui suit son cours visera [...] la prise en compte des particularités et des nuances locales propres aux populations concernées. » (message présidentiel à la nation, 36e anniversaire de l’indépendance malienne) Le discours d’investiture présidentielle, qui inaugure en juin 1997 le second mandat d’A.O. Konaré, ne manque pas de rappeler la continuité du processus de réformes : « Mais pour moi le meilleur passeport du Mali pour son entrée dans le IIIe millénaire se trouve être ce vaste chantier de la décentralisation qu’en 1992 j’ai inscrit au rang de priorité au même titre que le règlement du conflit du Nord. Audelà du fait inédit de l’existence de plus de 700 communes, la décentralisation conduit à une nouvelle mentalité administrative et libère enfin l’énergie insoupçonnée du pays profond. » Enfin, le message à la nation du 22 septembre 1997 donne au président l’occasion de consacrer à la décentralisation ses plus longs développements et d’en décliner les deux dimensions rurales et urbaines. « Dans la mesure où nous demeurons une nation essentiellement rurale, je crois pouvoir dire que pour le Mali, la dernière grande réforme de cette fin de siècle est la décentralisation qui demeure la plus grande justification politique de la démocratisation. En faisant de cet acte majeur l’une des plus grandes priorités de la troisième république, nous avons accepté d’assumer notre vocation agricole, d’où les grands progrès accomplis avec le coton, l’élevage et, d’une façon générale, avec l’exploitation des produits du cru. Mais je l’ai dit et répété en de nombreuses circonstances, la décentralisation, avant d’être une dynamique économique, est avant tout un état d’esprit qui réhabilite le Grafigéo 1999-8 monde rural au triple plan moral, administratif et politique. [...] « Mes chers compatriotes, les signes certains de la reprise économique sont également perceptibles dans les villes où une nouvelle race d’entrepreneurs monte à l’assaut des marchés du pays et de la sous-région. Les initiatives se multiplient dans des secteurs hier encore ignorés. Ce bouillonnement qui prépare notre pays aux changements à venir est à mettre à l’actif d’un nouvel esprit qui anime l’ensemble des producteurs : la conviction que seules des associations et des corporations fortes sont aujourd’hui susceptibles de porter de grands projets. » Au-delà du ton mobilisateur, les ambiguïtés du chantier sont perceptibles : la décentralisation doit promouvoir un cadre juridique et administratif homogène ; elle doit aussi se fonder sur des « nuances », sur le respect des différences qui ont marqué l’histoire du pays, sur l’assurance, demandée et donnée localement, que seront refusés des traitements trop généraux. Diverses composantes de la « société civile » ne manqueront pas d’exploiter cette tension entre globalité et particularités. Introuvable société civile ? Plus encore que d’autres slogans internationaux, la décentralisation conduit experts, hommes de terrain et analystes nationaux à une tentative de classement des « forces vives » du « pays profond ». On connaît certes les limites de la formule de A. Gramsci ; mais force est de constater qu’elle inspire, à propos de l’Afrique noire comme de l’Amérique latine, une prise en compte du « politique par le bas » (Bayart, 1989). Alliances et compromis figurent ainsi au cœur de la problématique du pouvoir d’État. A l’occasion d’un séminaire du PDM, Jean-Louis Venard définit notamment trois grandes catégories susceptibles de s’engager dans le développement communal (Venard, 1995) : 1. les « communautés traditionnelles » puisent leur légitimité dans la culture villageoise tout en continuant d’inscri36 Contexte d’émergence des réformes re les liens familiaux et claniques au cœur de l’histoire du peuplement urbain. S’y rattachent les associations de résidents issus d’une même région et d’autres groupes nés de pratiques religieuses ; 2. les « pouvoirs économiques locaux » (grands commerçants, corporations de la place, réseaux de clientèles et lobbies en tout genre) animent la redistribution des avantages résultant de l’économie urbaine ; 3. enfin, des « collectifs citadins nés de la crise de l’urbanisation » ont plus récemment voix au chapitre du fait de revendications concrètes exprimées autour de l’inégal accès aux terrains ou aux services de proximité. A cette dernière strate d’enjeux locaux, nés d’un contexte de pénurie, participent également des ONG mobilisées à l’occasion d’actions d’urgence, des associations sportives ou divers groupes de jeunes. La classification de ces « composantes de la société civile » nous paraît intéressante à deux titres : d’une part parce qu’elle démontre la capacité d’organisation du tissu social local qui ne se résout ni à l’anomie, ni à la virginité politique qu’on lui prête souvent, ni à une informalité persistante. A défaut d’incarner une culture du terroir ou du territoire, associations du moment, chefferies de quartier et leaderships durables définissent le terreau fertile « du bas ». D’autre part, ce niveau local révèle une citadinité fragmentée qui contraste avec la rhétorique consensuelle du grand chantier25. On reprendra donc les termes de JeanLouis Venard en y ajoutant d’emblée l’intervention des partis dans le débat sur la décentralisation. La jeunesse de la plupart des partis maliens, l’absence de clivage durable dans la vie politique nationale, les chevauchements que ces organisations encore faibles révèlent avec d’autres sphères de la vie sociale, nous incitent en effet à lire leurs propos sur la réforme en termes de « société civile ». Le débat politique malien est moins stimulé par la décentralisation que par les crises dans lesquelles elle s’insère. Les interventions sont éparses et jugées politiciennes. On compte pourtant trois types d’expression. 1. L’opposition s’exprime d’abord contre la majorité gouvernementale et parlementaire. Accusations et méfiances marquent le durcissement d’une vie politique très centrée sur la capitale. L’opposition met côte à côte des militants du Mouvement démocratique, qui a mis à bas le régime de la deuxième république, et des héritiers de ce dernier. C’est dire si ses arguments sont de circonstance. Quant à la majorité, elle s’appuie sur le poids parlementaire de l’ADEMA-PASJ depuis les élections législatives de 199226 et sur les gouvernements « d’ouverture démocratique » qui ont associé quelques partis alliés. Ce clivage majeur du premier quinquennat a nourri quelques arguments pour ou contre la décentralisation, non dans son principe mais dans sa réalisation. Au plus fort de la critique portée contre l’État dans la gestion des crises du Nord et scolaire, l’USRDA27 conteste également la démarche des décentralisateurs. « Le principe de la libre administration des collectivités territoriales 25. « Un tel éparpillement des sociétés urbaines africaines entre une multitude de composantes entremêlées traduit le fait que ces sociétés sont entrées – sous l’impact de l’urbanisation, de la crise économique et de l’ouverture culturelle au reste du monde – dans une crise d’intégration rongeant peu à peu les mécanismes anciens d’insertion sociale qui rendaient les individus entièrement dépendants du maillage et de leurs solidarités communautaires. » (Venard, 1995, p. 251) 26. 74 élus au deuxième tour sur les 116 députés du Mali. Le poids du parti se renforce lors des législatives de juillet 1997, qui donnent aux députés Adema-Pasj un total de 129 sièges sur les 147 de la seconde législature. 27. L’Union soudanaise du Rassemblement démocratique africain hérite du premier mouvement politique ayant structuré, à partir de 1946, l’opposition à la colonisation française. Grafigéo 1999-8 37 Décentralisation malienne décidé par la Constitution de la 3e république en son article 70 a pour but de rompre définitivement avec les méthodes de gestion administrative coloniale fortement centralisées. Mais si son application devait échouer à cause des imperfections de sa structure, cela sera dû à la trop grande diligence avec laquelle les autorités sont en train de travailler sur le sujet. »28 Le secrétaire général de la section USRDA de Ségou critique ainsi le projet de code des collectivités territoriales qui, en érigeant des villages en communes rurales, aboutit à la suppression de l’arrondissement. Si l’on respecte scrupuleusement la liberté des citoyens à s’unir, le nouveau découpage conduira à la naissance de communes rurales plus grandes que certains unités administratives anciennes mais moins peuplées qu’une commune urbaine, parce que « des villages distants de plus de cent kilomètres seront tentés de se constituer en commune ». Mais c’est surtout le mode d’élection des élus territoriaux qui fait l’objet d’une acerbe critique : l’élection des conseillers communaux au scrutin proportionnel, puis le choix des conseillers de cercle au sein des conseils communaux et des conseillers de région au sein des conseils de cercle (selon un scrutin indirect donc), ne seraient que « la réédition du système de conseil de notables du temps colonial : un système qui faisait des élus de simple caisses de résonance du pouvoir tout en leur laissant les coudées franches dans la gestion des biens publics. Ce qui est inadmissible en démocratie ». L’USRDA est donc prompte à déceler dans le système prévu « la mise à l’écart des populations de la gestion politique et économique de leur vie quotidienne, faisant d’elles de nouvelles victimes d’une décentralisation qui se fait pourtant à leur profit ». Le parti préconise alors à tous les niveaux un « scrutin universel permettant aux Maliens de choisir leurs futurs dirigeants. ». Quant aux autorités, elles sont accusées de vouloir faire la politique de deux poids deux mesures en maintenant des dispositions particulières pour le grand Nord, celles du Pacte national (séparation du législatif et de l’exécutif, prise en charge par l’État de la rémunération des conseillers régionaux) qui ne concernent pas le reste du pays. Tout transfert de pouvoir doit enfin s’accompagner de transfert de ressources et de personnes. « Or le gouvernement rappelle sans cesse ses problèmes financiers. Le pays à peine sorti de la décade de sécheresse sera-t-il en mesure de s’autofinancer suffisamment ? L’idée de décentralisation ainsi conçue ressemble à un cadeau empoisonné, un débarras » comme en témoigne la proposition gouvernementale de faire prendre en charge le 1er cycle scolaire par niveau de la commune, le 2e cycle par celui du cercle, l’enseignement secondaire par la région et le supérieur par l’État. Le dispositif envisagé est défini comme une « démission ». 2. D’autres préparatifs de la réforme font au contraire ressortir des alliances contre nature et des rapprochements insolites. Les positions politiques s’individualisent alors en matière de décentralisation. Les discussions sur le projet de découpage territorial des communes montrent comment un dossier jugé unanimement « sensible » brouille finalement le clivage majorité/opposition29. Dans la définition des 700 nouvelles communes rurales, le dossier des plaintes formulées par des villages, arrondissements ou cercles doit être passé au peigne fin. Sur la prévision d’une quarantaine de communes urbaines, la Mission de décentralisation n’en a de plus délimité qu’une quinzaine, auxquelles s’ajoutent des micro-communes de moins de 5 000 habitants. Héritant d’un dossier technique qui les a inégalement sollicités sur le terrain, les députés doivent donc contribuer à atténuer les frictions, les problèmes fonciers, les « querelles ancestrales nées ou réchauffées » par un découpage qui, par exemple, ôte 4 villages à Kita au profit de Diéma, 2 fractions à Gourma-Rharous au profit de Tombouctou, une localité à Djenné au profit de Macina ou 10 villages à Banamba au profit de Niono. En conduisant un travail de déblayage qui fait ressortir des « cas litigieux » et des « communes à problèmes », les sous-commissions parlementaires divisent l’Assemblée selon des considérations géographiques au sein desquelles les groupes politiques se dissolvent. Le renouvellement du mandat des élus est en effet fortement lié au ralliement de « grands électeurs », notables coutumiers en particulier, et de leaders d’opinion dans les circonscriptions. Il s’agit donc bien de répercuter à 28. Message du bureau politique de l’USRDA, Bamako, 8 mai 1994. 29. Session parlementaire extraordinaire de juillet-août 1996, session ordinaire de janvier 1997 ; « Dossier de la décentralisation à l’Assemblée nationale, attention fragile ! », L’Essor Hebdo, 67 juillet 1996. Grafigéo 1999-8 38 Contexte d’émergence des réformes Bamako les cautions ou les contestations émises à propos des limites communales. « Nombre d’équilibres locaux se sont en effet forgés et renforcés après l’indépendance, risquant d’être dérangés par la refonte territoriale. Députés et présidents de commissions de travail, chacun a en tête que les propositions de délimitation et de choix des chefs-lieux de commune venues de la base ne sont pas exemptes de calculs, certains étant même explicitement désignés comme rétrogrades. Malgré les efforts de pondération déployés par les spécialistes administratifs, les querelles locales n’ont guère été épuisées ; rares ont été les députés qui ne se sont pas vus approcher par leurs électeurs pour dénouer un dossier polémique, et qui ne s’exposeront pas, de la sorte, à recevoir quelques mois plus tard le bénéfice ou la sanction électoral octroyé à l’aulne de la satisfaction apportée. Des cassetête en suspens donc, qui ont moins amené le parlement malien à se transformer en foire d’empoigne idéologique que suscité d’âpres négociations particulières. » A la veille des campagnes électorales, le cas des « villages flottants » et des « villages oubliés » à la périphérie des communes urbaines donne ainsi lieu à d’originaux rapprochements opposition/Adema. 3. Enfin, au sein même des partis, des intérêts locaux s’expriment contre la position des comités centraux. C’est le cas par exemple au sein de l’ADEMAPASJ dont quelques élus communaux se rallient difficilement à l’idée gouvernementale d’une démission de fin de mandat qui faciliterait la mise en place des délégations spéciales. Les divisions ressortent davantage chez les partis d’opposition dont la ligne de boycott électoral embarrasse bien des militants locaux en 1997. L’USRDA vit ainsi une véritable fronde interne en mai 1997, lorsque la décision de boycott est annoncée par le Collectif de l’opposition dont se réclament les dirigeants du parti. Si la position concernant les présidentielles est admise comme moyen de pression sur le gouvernement, l’enjeu des législatives et surtout des municipales est perçu différemment car ces élections mettent directement en jeu des intérêts locaux. Des mouvements d’humeur sont relevés ça et là, certains partis éclatent même Grafigéo 1999-8 au rythme du durcissement de l’opposition. La section USRDA de Bougouni fait savoir quant à elle qu’elle passe outre les consignes de sa direction. Une lettre du 27 mai informe ainsi le secrétaire général du bureau national de l’USRDA « de la ferme décision des militants du cercle d’aller aux élections communales et législatives et ce malgré le mot d’ordre de boycott lancé par le Collectif de l’opposition ». Au total, les positions de partis et de personnes à propos de la décentralisation ne font que souligner un fonctionnement politique du Mali déjà apparent sur les grands thèmes institutionnels ou électoraux de la troisième république. Clivages d’ensemble, frictions internes, rapprochements pragmatiques puisent leurs fondements dans les « luttes de tendance » qui ont marqué les deux précédents régimes. L’ensemble paraît n’intéresser les populations que par l’attente d’une redistribution, somme toute pauvre, des faveurs particulières que suscite la réforme à l’encontre de ses promoteurs. D’autres composantes de la « société civile », plus morcelées dans l’espace malien, sont réceptives à la question de la refonte territoriale qu’implique la décentralisation. Bien des expériences témoignent à l’évidence d’un « local » de culture politique peu égalitaire, héritant de tensions et de compromis récurrents, parfois prompt à court-circuiter l’une ou l’autre expression de l’État pour développer une marge ponctuelle de manœuvre. Cela n’exclut pas toutefois, autre constante de l’histoire nationale, le maintien d’une logique d’assistance fortement ancrée dans les régions. Les attentes à l’égard de l’État omnipotent sont même reformulées dans la transition démocratique. Les diverses composantes retenues ici donnent réellement l’impression d’un terreau social fragmenté et souvent en décalage par rapport à l’idée de la mobilisation populaire30. L’examen de la demande 39 Décentralisation malienne sociale révèle en fait des pratiques territoriales inégalement ancrées. 1. « Les populations » s’expriment d’abord sur la décentralisation dans les termes d’une réelle appréhension. C’est ici la « composante communautaire » que Jean-Louis Venard classait en premier dans la culture locale. Mais ces voix paysannes apparaissent souvent représentées par leurs notables régionaux, d’où le pluriel qui rappelle l’encadrement des partis uniques successifs. Les comptes rendus de leurs réactions dans la presse font ressortir deux inquiétudes principales. Au cours des concertations régionales de 1994, des tournées régionales du chef de la Mission de décentralisation (1995-1996) et de la campagne présidentielle menée dans l’intérieur du pays (1997), pointe d’abord la délicate question foncière. Le remaniement des limites administratives de base risque en effet de perturber les usages fonciers « coutumiers » dont la gestion communautaire n’est inscrite dans aucun registre cadastral. Il fait ressortir d’âpres contestations de limites et d’usufruits. Il donne surtout à penser aux « gens du terroir » que la terre est désormais monopole public et que la délimitation des nouvelles collectivités territoriales vaut menace de réquisition. La crainte n’est pas tout à fait infondée au vu des tensions domaniales qui sont le lot des périphéries des communes urbaines déjà existantes. La plupart des maires ont été prompts à lotir de vieux domaines de cultures, avec plus ou moins de compensations à la clef, pour renflouer leurs budgets locaux de misère (Bertrand, 1994). La décentralisation ne change en réalité pas les termes de la loi sur le domaine éminent de l’État, ne résout guère et complique même le noeud gordien de la gestion des terres. Les patrimoines « autochtones » seront-ils livrés aux appétits des « étrangers » ? La décentralisation actualisera-t-elle ce vieux conflit, latent ou ouvert, des communautés locales ? Le second point sensible régulièrement soulevé concerne la viabilité économique des futures collectivités décentralisées. En tournée dans le Cercle de Kati en janvier 1997, le Président A.O. Konaré entend l’argumentation implacable de « la base » : payer mieux et plus d’impôts pour asseoir les finances communales signifie concrètement une productivité accrue du travail paysan, ce qui renvoie au nécessaire financement par l’État d’une politique agricole et sociale nationale. Or celle-ci implique autant de dépenses improductives que d’engagements dans les marchés économiques. Les populations formulent ainsi le voeu que l’État fournisse de plus en plus de matériel agricole à des conditions préférentielles et qu’il diminue le prix des intrants agricoles. Favoriser le développement des cultures de contre saison c’est aussi installer des barrages de retenue d’eau que ne pourront mettre en œuvre seules les populations. Il est enfin déploré partout l’absence de dispensaires et de salles de classes en nombre suffisant, ainsi que le manque de personnel qualifié lorsque ces structures existent. Par un paradoxe prévisible, l’exhortation présidentielle à une « prise en charge des populations par elles-mêmes » fait ressortir l’attente prégnante et renouvelée des mêmes populations à l’égard du développement national. 2. Un second type de réactions implique des animateurs jugés plus modernes, des « personnes ressources » inhérentes à la dynamique des villes, autant d’interlocuteurs cibles que la décentralisation ne ferait que coordonner. On retrouve ici les deux dernières « composantes de la société civile » que JeanLouis Venard classait comme « intérêts économiques locaux » et « collectifs revendicatifs liés aux pénuries urbaines ». Leur capacité d’initiative apparaît déjà rodée sous la catégorie des acteurs décentralisés : jumelagescoopérations, ONG, GIE, associations d’usagers, PME locales, associations, opérateurs économiques, Maliens de 30. Le découpage communal adopté en 1996 est présenté par le président de l’Assemblée nationale comme « l’aboutissement d’un immense travail d’étude, de prospection et de concertation de toutes les couches socio-professionnelles, de l’ensemble des populations maliennes ». Grafigéo 1999-8 40 Contexte d’émergence des réformes l’extérieur, femmes, jeunes, etc. Un tel foisonnement caractérise le tissu social des villes maliennes autant que celui d’autres cités africaines. Toutefois les tensions et les concurrences qui le traversent démentent l’unanimité des collectivités territoriales. Aux invitations répétées d’en haut à participer, quelques pratiques d’en bas répondent en effet avec une marge d’action qui se révèle finalement peu conforme au modèle social souhaité. « La Commune est vierge, elle attend beaucoup de vous. » C’est en ces termes que le maire de la Commune I (nord-est de Bamako) s’adresse en août 1994 aux « opérateurs économiques » de sa circonscription venus répondre à l’appel lancé par les autorités municipales. La réunion s’inscrit selon le maire dans l’esprit de la décentralisation prônée par le pays. Elle est axée sur la fiscalité, le sport, les finances, la sécurité et l’environnement, domaines reconnus fondamentaux pour le développement de la jeune commune. Pour les initiateurs de la rencontre, il s’agit bien d’ancrer une culture de développement local et de partenariat, qui suppose l’identification d’interlocuteurs et la formalisation de leurs rapports avec les autorités municipales. Le maire saisit donc l’occasion pour porter à la connaissance des administrés l’initiative des riverains de la rue Sada Diallo concernant un projet de réalisation de deux caniveaux bordiers. Une façon de mettre en exergue les « bonnes pratiques » de la « bonne gouvernance » que reprendra, à l’échelle mondiale, la Conférence Habitat II (Istanbul, 1996). La pratique associative apparaît cependant inégale et souvent tendue sur le terrain. La multiplication des GIE de collecte des ordures ménagères, pourtant valorisée au plan international, annonce en quelques années un bilan mitigé. Elle ne montre encore guère de capacité à faire sortir les jeunes diplômés du secteur économique informel31. De même, la distribution de travaux à haute intensité de maind’œuvre par l’AGETIPE est loin de résoudre la question du chômage et laisse dubitatif sur l’insertion urbaine durable de salariés temporaires médiocrement rémunérés. Mais ce sont surtout les associations d’usagers qui multiplient frustrations et contestations dans le concert tumultueux de la « démocratie locale » naissante. Celle-ci ressort en ville autant minée de contentieux anciens qu’inventive. Bamako fait ainsi remonter toute une série de critiques formulées au sein des quartiers par une jeunesse qui « s’inquiète », « dénonce » et « revendique ». Le slogan politique du kokajè (nettoyage exigé contre les pratiques clientélistes du passé) inspire ce nouveau rôle d’animation que prétendent incarner notamment des jeunes diplômés sans emplois. En juillet 1992, la presse se fait l’écho de la révolte des jeunes de Ouolofobougou-Bolibana contre l’association des femmes de leur quartier (AFOB) et l’association Guamina. Toutes deux sont impliquées dans un projet d’assainissement local dont le maître d’œuvre est l’ONG nord-américaine World Education. L’AFOB hérite en effet d’un jeu de personnes et d’intérêts que les sections locales de l’Union nationale des femmes du Mali (UNFM, annexe de l’ancien parti unique UDPM) ont concrétisé sous le régime précédent dans la recherche de financements extérieurs. L’année suivante, les jeunes des périphéries de l’agglomération mettent également en cause plusieurs commissions de quartier chargées d’organiser le « recasement » de populations déguerpies. A 31. Kaba, 1995 ; Ba, 1995. Regroupés au sein de la coordination CODIAM, les GIE ont dernièrement organisé une table ronde (Bamako, décembre 1996) sur le thème « rôle, enjeux et perspectives des GIE dans l’assainissement en milieu urbain au Mali », en y conviant les maires du Mali et les responsables des services centraux. La participation financière de la Mission française de Coopération est assurée, et la médiation du PDM n’est pas moins nécessaire pour calmer une confrontation croissante entre les promoteurs de l’assainissement et les représentants des communes : « La table ronde a été le lieu d’évolutions importantes dans la compréhension de chacun concernant la place des GIE du Mali dans l’assainissement. Deux basculements majeurs sont notés au cours de la table ronde : une reprise de l’initiative et de leurs responsabilités par les municipalités, et un recentrage technique et professionnels des GIE. Partis d’une situation de tensions liées aux logiques en présence, logique de l’emploi des jeunes d’un côté, logique de l’assainissement de la ville de l’autre, les débats ont évolué vers une meilleure compréhension de leurs termes et des enjeux en présence. » (« Le PDM au quotidien », L’Afrique municipale, Cotonou, PDM, n° 9, p. 21) Grafigéo 1999-8 41 Décentralisation malienne Djikoroni-Para, l’Association malienne pour le bien-être de la jeunesse (AMBEJ) dénonce le détournement de bon nombre de parcelles au profit de populations nanties non prioritaires ou de clients privilégiés des nouveaux responsables communaux (Bertrand, 1995). Au-delà du cas de Bamako, des formes associatives beaucoup plus diffuses n’échappent pas aux difficultés de la coordination locale. Les jumelages-coopérations qui adhèrent au consensus sur la décentralisation ne manquent pas de révéler bon nombre de conflits de compétences, comme le montre l’expérience de Mourdiah. L’action de l’Association pour le développement de l’arrondissement de Mourdiah (ADM) s’étend aux 40 villages de la circonscription et s’inscrit dans le cadre de la politique nationale de développement du pays. Grâce à des actions concrètes, l’ADM a jeté les bases de contacts internationaux dans le cadre du jumelage-coopération Mourdiah-Hennebont (Morbihan). Néanmoins l’association connaît des difficultés liées à ce qu’elle déplore comme ingérences des autorités administratives. Celles-ci s’érigent souvent en premier interlocuteur face aux « Amis de Hennebont », reléguant ainsi au second plan les activités du comité local de jumelage-coopération de Mourdiah et de l’ADM. Quelques ONG de la place et même des fonctionnaires s’évertuent également à négocier directement avec Hennebont et à contourner l’ADM. De telles rivalités dans le contrôle des perspectives financières de la coopération décentralisée ne sont pas rares au Mali. Egalement valorisé au plan international, l’exemple des Centres de santé communautaires (Cescom) va dans le même sens. Alors que les années soixante-dix ont vu éclore des formations sanitaires de premier niveau, appelées dispensaires et maternités rurales, en ville les pionniers de ce type d’initiative locale furent un groupe de notables du grand quartier populaire de Banconi (périphérie nord de Bamako). Créé sans but lucratif, leur centre de santé privé s’appuie sur le respect des normes techniques préconisées par l’OMS et fonctionne sous le contrôle de représentants de la commune I. L’idée était de montrer aux populations qu’avec une approche responsabilisée et beaucoup de rigueur, il était possible de résoudre des problèmes considérés comme insolubles : rendre accessibles les services de santé de base à la majorité de la population du quartier, aux Grafigéo 1999-8 revenus modestes (le coût de la consultation est de 500 francs CFA), offrir des soins de qualité (l’accent est mis, contrairement à ce qui prévaut souvent dans les centres publics, sur la qualité de l’accueil), et garantir la viabilité technique et financière du centre à long terme. Depuis son ouverture en mars 1989, le centre de l’Association de santé communautaire de Banconi n’a cessé d’attirer les habitants d’autres quartiers et de susciter d’autres initiatives dans la capitale. Au milieu de l’année 1994, le Mali comptait en effet près de 120 associations de santé communautaires (ASACO). Mais leur réussite implique de lourds préalables, esprit de responsabilité et dévouement désintéressé, qualités dont l’absence génère des situations conflictuelles. A Bamako, d’où est parti le mouvement, l’exemple méridional de Sabalibougou constitue une mise en garde. Ce centre est fermé du fait des « rivalités politiciennes » qui ont suscité une tension à l’image des difficultés plus globales que vit le quartier en matière de régularisation foncière. L’affaire, poussée jusqu’en justice, n’a pu longtemps être tranchée faute de textes réglementaires clairs. Un autre exemple est à retenir parce qu’il concerne la région de Sikasso. Du fait de sa vitalité économique, celle-ci est censée mieux répondre aux conditions de viabilité financière et de mobilisation sociale. Le centre de Sanzana est né de l’initiative de missionnaires en collaboration avec une ONG italienne. Sa transformation en Cescom strict semble poser quelques problèmes au cours de l’année 1996 lorsque le « projet » qui gérait jusqu’alors le centre prend fin. Les populations sont donc appelées à prendre le relais, mais d’après les promoteurs italiens, le comité de gestion aurait « du mal à trouver des responsables, et honnêtes ». Pas facile en effet de trouver des personnes scolarisées à Sanzana. Or la rivalité entre les villages parties prenantes du centre interdit de recruter des membres dans une seule localité. Quant au centre de santé de Kignan (chef-lieu d’arrondissement dans la même région méridionale), il s’épargne pour le moment les tensions de ce dilemme : une partie du personnel est payée par l’État, et l’autre sur la taxe de développement régional et local. Le centre devra être prochainement transformé en Cescom. Les villageois sont intéressés et devraient contribuer sans problèmes, mais voudraient également faire venir un médecin pour les interventions chirurgicales. Ce à quoi s’oppose le médecin du cercle de Sikasso dont dépend l’arrondissement. Refus de collabora42 Contexte d’émergence des réformes tion et ambiances qualifiées de détestables jusque dans la presse bamakoise, il n’est donc pas rare que le courant ne passe pas avec l’administration ou avec de nouveaux médecins de campagne, eux-mêmes gestionnaires de centres privés. Le paysage associatif malien, sur lequel la décentralisation tente de greffer ses ambitions, souligne donc le peu d’homogénéité d’une « société civile locale » qui apparaît souvent plus idéalisée que durablement ancrée dans les territoires. Certains « groupes cibles » relèvent du label et leurs contours socio-économiques sont flous (jeunes, femmes) ; d’autres collectifs naissent de façon pragmatique autour d’objectifs ponctuels mais se connectent sans médiation nationale sur un partenariat financier extérieur. L’Association de Baco Djikoroni (ouest de Bamako) finançait ainsi en 1996, pour un coût total de 37 665 000 francs CFA, sa « maison de quartier » en collaboration avec la Fondation Abbé Pierre et diverses ONG. Or le saupoudrage des financements décentralisés ne fait pas office de politique globale des collectivités territoriales. Des pans entiers de l’espace et de la demande sociale restent à l’écart de ces opportunités souvent difficilement reproductibles. Dernière réserve apportée enfin à la Grafigéo 1999-8 « culture territoriale » sur laquelle tentent de s’appuyer les réformes pour impulser une révolution des mentalités : les mobilités externes et internes aux villes s’accroissent. D’après une enquête à passages répétés que nous avons menée entre 1992 et 1994 à Bamako, 40 % des 3 220 personnes que nous avons recensées dans 159 unités résidentielles (539 ménages) ont connu une mobilité entrante ou sortante en une seule année d’intervalle. Ces déménagements concernent surtout des individus au sein des ménages propriétaires, et surtout des ménages entiers parmi la population locataire. Les fluctuations de l’emploi et le développement du marché locatif contribuent à redistribuer les collectifs familiaux en systèmes résidentiels éclatés. La relation à l’espace devient plus souple. L’ancrage aux lieux et le statut « d’autochtone » se recomposent du fait de pratiques individualisées de mobilité et du fait d’appartenances territoriales diversifiées. Il convient alors de mieux différencier les enjeux respectifs de la décentralisation en ville (évolution d’un système communal déjà existant) et dans les campagnes (suppression des arrondissements et introduction des nouvelles communes rurales). 43 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? Chapitre 2 • Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? C OMME ON L’A VU, la réforme territoriale vise tant le développement des campagnes que la promotion des villes. L’alternative n’échappe pas à la presse nationale dans la même semaine de juillet 1996, à la veille du débat parlementaire sur le découpage communal. L’Opinion s’inspire du Contrat social de Rousseau pour rappeler que la démocratie se pratique avec plus de simplicité et de naturel dans les campagnes. Le point de vue est appliqué au travail préparatoire de la Mission de décentralisation : la leçon est venue des campagnes où « le sens aigu de l’intérêt de la collectivité a permis un découpage territorial sans le cataclysme annoncé ». « L’état de nature » a donc permis aux habitants des campagnes de transcender les mesquineries et les faux problèmes citadins et de faire valoir « les valeurs inestimables sur lesquelles repose la société traditionnelle ». Le Soudanais prend le contre pied de ce point de vue car le salut est au contraire dans les villes. La preuve : tous les spécialistes estiment qu’il n’y a pas assez de villes au Mali. Il en manque au bas mot 50 pour que le développement s’accélère, que les équipements sociaux se démocratisent, pour que l’État bénéficie de plus de relais. Les villes joueront donc un rôle essentiel dans la décentralisation qui s’amorce avec la définition d’une nouvelle carte administrative, l’émergence d’une nouvelle mentalité, de nouveaux acteurs du développement Grafigéo 1999-8 dotés d’un sens élevé de l’initiative. Difficile donc d’échapper au romantisme dès qu’on parle de décentralisation. Pour Le Mali nouveau, justement, c’est dans ce romantisme que réside le danger de l’entreprise. L’hebdomadaire traite lui aussi de la décentralisation. Le volontarisme romantique peut s’assimiler en l’occurrence à des oeillères masquant irrémédiablement un paysage dans lequel chaque élément est une mise en garde contre la précipitation : une population pauvre et illettrée, une élite boiteuse au plan de la gestion, une tradition très peu fondée sur des rapports égalitaires. Il semble que les pays africains, qui ont régulièrement échoué jusqu’ici, utilisent la méthode Coué pour se convaincre que « cette fois sera la bonne ». L’INNOVATION DES COMMUNES RURALES ET SES INCERTITUDES Remplacer l’arrondissement ? Concevoir d’en haut, mettre en œuvre en bas Une fois mise en place la Mission de décentralisation, l’année 1993 consacre un choix technique de taille. A la question faut-il décentraliser d’abord en amont ou en aval de la structure administrative, la Mission finira par trancher en faveur de la base. 45 Décentralisation malienne Les études prospectives de 1993 envisageaient pourtant de retailler le découpage territorial d’abord au niveau des régions. Il s’agissait alors de refondre la géographie administrative malienne par le haut de nouvelles provinces, le niveau communal de base épousant grossièrement la forme des cercles. L’étude financée par la coopération allemande (Diraset, 1993) propose ainsi trois scénarios de découpage régional. Le premier s’articulerait autour de 16 provinces (plus Bamako), soit un nombre encore petit qui maintiendrait un niveau administratif intermédiaire entre ceux de la province et de la commune. Le deuxième envisage 23 provinces et reçoit l’appui du bureau d’étude Diraset. Ses avantages résideraient dans une assiette démographique jugée plus viable, un rayon d’action maîtrisable autour des chefs-lieux (accès en deux ou trois heures), des chances égales données à la promotion des petites et des moyennes villes. Enfin, l’option d’un découpage en 30 provinces impliquerait que les nouvelles provinces se fondent presque dans les cercles actuels, dans une géographie plus directe mais confinant au fractionnement. L’étude financée par le Fonds européen de développement (Dehousse, Guemar, Mounkoro, 1994) s’appuie quant à elle sur la nécessité de simplifier le régime des taxes maliennes afin d’organiser un meilleur partage entre les collectivités territoriales. La création d’un fonds de péréquation est d’ailleurs mentionnée dans la Loi-cadre 93-008 ; il pourrait rendre crédible l’hypothèse d’un nombre raisonnable de communes urbaines. L’étude se fonde ainsi sur une correspondance possible entre la maille communale à définir et les chefs-lieux des cercles actuels, soit une cinquantaine de communes. S’y ajouteraient, de manière 1. plus souple, les agglomérations de 8 à 12 000 habitants ainsi que celles dont la viabilité économique est déjà prouvée. A l’issue de ces premières expertises, c’est finalement le choix de partir du niveau communal et de couvrir l’intégralité du territoire national qui est retenu1. Non pas que l’idée de restructurer cercles et régions soit abandonnée, mais parce que la perspective « remontante » de la refonte est censée découler, dans un agenda administratif plus lointain, des nécessités et des problèmes de la base. Les niveaux supérieurs sont toutefois affectés par la décentralisation : l’exécutif administratif change parfois de nom (le commandant de cercle devient représentant du gouvernement) ; il est surtout doublé d’un conseil de décision élu parmi les représentants des conseils inférieurs (conseillers communaux pour le conseil de cercle, conseillers du cercle pour le conseil de région). On se démarque donc du rôle consultatif et formel que les comités et conseils de développement ont pu jouer sous le régime précédent. Plus généralement, un réel décalage entre les ambitions et la réalité du calendrier de travail ressort du bilan porté au milieu du quinquennat par un expert du FED auprès de la Mission de décentralisation2. Le travail sur les textes a connu tâtonnements et lenteurs de programmation : la loi-cadre de février 1993 fixe les grandes lignes des compétences, des ressources et de l’organisation administrative des régions, cercles et communes ; une première mouture du Code des collectivités territoriales modifie ensuite ce texte en matière budgétaire et ne prévoit plus que deux niveaux administratifs (régions et communes). Sa discussion sera reprise avant même l’accouchement d’un nouveau statut particulier du district, dont les études techniques ont commencé en jan- « L’édification de la pyramide de la décentralisation s’opérant à partir de la base, il s’agit par l’adoption du présent projet de loi de réaliser la plate-forme communale en procédant à de nouveaux regroupements de villages, de fractions nomades et de quartiers pour former des communes rurales et urbaines à la place des arrondissements actuels » (conseil des ministres du 18 juin 1996). 2. Entretien avec Olivier Donnet, Mission de décentralisation, mai 1994. Grafigéo 1999-8 46 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? vier 1994, et dont l’adoption en session parlementaire sera retardée jusqu’en 1996. Aussi important que le travail juridique, le travail de consultations locales et régionales soulève des questions de fond non moins évolutives : nécessité de réviser le code électoral afin de permettre des listes locales ouvertes et des candidatures n’émanant pas de partis ; nécessité d’associer les « opérateurs économiques », souvent inorganisés, à la programmation du développement économique de base. La stratégie de la Mission de décentralisation est alors envisagée selon le calendrier suivant, qui subira de nombreuses remises en cause : 1. création de 600 communes à l’horizon 1995, élections communales fixées avant l’échéance du renouvellement des conseils municipaux déjà en place, réflexion pour savoir si les nouvelles élections concerneront ou non les élus de 1992 ; 2. audit mené à Bamako des services techniques de l’État concernés par la décentralisation (Santé, Éducation, Équipement, Développement rural, Finances et Fonction publique) : chaque ministère est effectivement consulté en 1994, mais beaucoup de services se montrent choqués par l’initiative à l’exception du ministère du Développement rural qui est le seul à apporter des réponses structurelles ; les préparatifs s’avèrent délicats dans ce premier inventaire qui pourrait jouer le rôle de détonateur pour les réformes promues à la base ; 3. transfert progressif de compétences en matière de santé, d’éducation de base et de développement rural dans un délai de six mois, transfert des ressources affectées mais à condition de revoir la fiscalité locale. Les hypothèques les plus lourdes de la réforme sont bien là. Comparaisons africaines Par sa perspective remontante, le processus malien suggère un parallèle évident avec l’expérience sénégalaise. Rappelons que celle-ci a institué beaucoup plus tôt les communes et les communautés rurales3. Leur fonctionnement est désormais rodé sous l’angle d’une politisation de la gestion locale (Bredeloup, 1997). Pour l’heure, la décentralisation sénégalaise rejoint la vague institutionnelle africaine des années 1990, puisque ce n’est qu’en juin 1996 que la loi portant Code des collectivités locales a été votée par l’Assemblée nationale du pays. L’échelon de la région rejoint les deux précédents dans le statut des collectivités locales ; les élections de la fin de l’année concernent pour la première fois des représentants des régions. Egalement frontalière avec le Mali, la Mauritanie soulève de même le problème de la viabilité économique de ses nouvelles communes. En témoigne le bilan tenu devant le PDM par l’Association française des volontaires du progrès (séminaire de Nouakchott, avril 1994). « Les communes sont aujourd’hui en place dans le Guidimakha, en zone urbaine tout aussi bien qu’en zone rurale. Une commune rurale regroupe de l’ordre de 15 localités (villages et hameaux) et a une superficie moyenne de 580 km² pour une population moyenne de 7 000 habitants. Les conseils municipaux et maires présentent l’avantage d’être élus. Mais, dans les débats électoraux, on s’intéresse moins aux programmes socio-économiques qu’aux éternelles luttes de pouvoir, d’ordre tribal. Apparaissant aujourd’hui comme un facteur de division plus que de rassemblement, la commune ne peut donc pas servir de cadre pour les concertations qu’il conviendrait de provoquer sur le thème du développement. Sur le plan financier, ces conflits ont pour résultat qu’une bonne partie de la population refuse de payer les taxes locales. Sachant que les mairies n’ont quasiment aucun moyen de pression (police...), le budget ne sera jamais recouvré et 3. Respectivement par les lois 66-64 du 30 juin 1966 et 72-25 du 25 avril 1972. A la suite de quelques réajustements territoriaux (divisions régionales, nouvelles communes), le Sénégal compte aujourd’hui 10 régions, 317 communautés rurales et 48 communes urbaines Grafigéo 1999-8 47 Décentralisation malienne les capacités de développement sont infimes. Finalement aucune commune de la région ne dispose d’un budget d’investissement. Généralement elles parviennent à peine à couvrir leurs frais de fonctionnement. L’essentiel de leurs recettes est formé de taxes diverses, difficilement prélevées sur les commerces (boutiques, tables, vente ambulante) et les habitations. [...] Les enquêtes réalisées ont montré que les niveaux d’organisation sont faibles dans le Guidimakha. Il n’est pas du tout évident que les villages ou les associations qui travaillent (au montage de fonds d’investissements locaux) soient capables de gérer dans les règles une enveloppe financière. En outre, la population est encore très attentiste et l’intention de pérenniser des outils financés par l’extérieur n’est pas présente. » (AFVP, 1995, p. 121-123) Un échange d’expérience avec le Burkina Faso permet enfin de situer le Mali comme inspirant lui-même un modèle de démarche. En février 1997, une rencontre des experts de l’urbanisme des deux pays est organisée à Ségou sur le thème « Gestion urbaine et décentralisation », dans la droite ligne des recommandations de la conférence internationale Habitat II (Istanbul, juin 1996). Les deux pays sont engagés dans un processus de décentralisation qu’ils ne mènent pas de la même façon. Les burkinabé se sont lancés dans l’entreprise avant le Mali à la faveur du changement de régime de 1983, mais ont opté ensuite pour une avancée à pas prudents sous le régime de B. Compaoré. La première bataille du pays reste celle de la « persuasion des populations qui demeurent fort peu convaincues de l’utilité d’une si grande réforme ». Le découpage régional malien semble pourtant séduire le voisin qui pourrait créer une dizaine de régions à la place des 45 provinces actuelles. Au total, les expériences voisines font ressortir un bilan mitigé et un constant balancement entre les vertus ou les potentiels attribués aux communes et une gestion locale déjà entachée d’habitus poli- tiques ou de pénuries budgétaires. Les contrastes de l’économie rurale malienne renvoient à une même alternative. Campagnes crédibles/campagnes déficitaires En théorie, la contrainte des ressources financières et humaines est contournée par trois types de disposition : 1. le fonds de péréquation annoncé dans la Loi-cadre 93-08 (il devrait être alimenté par contribution des collectivités et par dotation du budget de l’État) ; 2. la mise à la disposition des collectivités territoriales des services déconcentrés de l’État (conseil des ministres du 14 février 1996) ; 3. la ressource idéologique de la « mobilisation » et le pari qu’une autonomie de gestion ne peut que stimuler la production, l’offre de travail et sa fiscalisation. La mise en œuvre du découpage communal suscite cependant des réactions contrastées sur le terrain. Sans présager du futur fonctionnement des collectivités, les deux extrêmes du pays (Sud cotonnier versus Nord enclavé) laissent dans l’attentisme un vaste pays intermédiaire. La viabilité financière des communes renvoie logiquement aux bases économiques susceptibles d’impulser ou d’entretenir les transferts de compétences. Comme on l’a vu, le potentiel économique du Sud-Mali augmente les besoins socio-économiques des populations et suscite une véritable demande sociale en matière de décentralisation. De nombreux bailleurs de fonds internationaux concentrent également leur aide sur la seule région jugée rentable du pays. En témoigne la reconduction des crédits français de développement dans le cadre de l’accord de financement Mali-CCCE4. Pour un montant de 850 millions de francs CFA, ce financement complémentaire de Mali- 4. Septembre 1992. La Caisse centrale de coopération économique est en cours de transformation en Caisse française de développement. Grafigéo 1999-8 48 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? cation que l’on peut donner du phénomène des micro-communes tout en gardant à l’esprit que le plus important surviendra lorsque les gens se rendront compte qu’une commune ce n’est pas une mobilisation ponctuelle pour construire une école, une route, un centre de santé, mais une mobilisation durable pour développer leur espace. » Sud III vise « la définition d’une nouvelle intervention en milieu rural, prévoit de se pencher sur la problématique foncière, le fonctionnement des institutions locales et la gestion décentralisée des actions de développement ». Ses liens avec le système productif régional sont maintenus puisqu’il devrait permettre à la CMDT5 de poursuivre ses actions de formation des collectifs paysans. La dévaluation du franc CFA a entraîné de plus dans la région de Sikasso une recrudescence de la production et de l’égrenage cotonniers, un regain d’intérêt du commerce ivoirien pour la production vivrière locale et de nouveaux flux commerciaux ouest-africains articulés au transit guinéen. C’est dans ce contexte économique « vertueux » que le découpage communal ressort particulièrement morcelé au sud du Mali : 147 communes sont délimitées en région de Sikasso contre 106 dans la région voisine de Koulikoro. C’est sur la question de ces micro-communes que le chef de la Mission de décentralisation apporte ses premières explications au quotidien national L’Essor (18-19 mai 1996). Le territoire local ainsi défini par les populations se calque donc ici sur les espaces de l’organisation productive. Un tel choix n’a pas toujours guidé le découpage malien, y compris dans d’autres cas régionaux de micro-communes. Les « gens du Nord » adhèrent à la refonte communale bien en retrait des « gens du Sud ». La tournée de la Mission de décentralisation en sixième région, à la fin de l’année 1996, est de nouveau l’occasion de rendre compte d’un clivage économique que les populations se représentent, après presqu’une décennie de troubles ethniques, comme étant celui du Nord (zones sahélienne et pré-saharienne), lâché par le pouvoir central, au profit du Sud (zones soudanienne et pré-guinéenne). « A Sikasso, le terrain a démenti l’étude prospective que nous avions faite. Nous n’avions pas prévu autant de communes, c’est vrai, mais a posteriori notre erreur est compréhensible et tient un peu à l’esprit d’indépendance qui a prospéré dans cette région. Elle est composée d’entités où l’esprit de repli sur soi est un facteur assez important pour expliquer que les ensembles soient très petits. Les micro-communes peuvent aussi tirer leur origine de toutes les expériences d’organisations paysannes qui ont vu jour dans la zone CMDT. Des villages qui avaient connu un mode précédent d’organisation n’ont, cette fois, pas pris conscience que le mode d’organisation proposé n’avait pas la même dimension. Sikasso étant une zone à potentiel, les gens ont pu aussi penser que même sans être nombreux, leur potentiel leur permettrait de faire face aux exigences de la décentralisation. Voilà l’expli- La région de Tombouctou comptera 51 communes dont deux urbaines, Tombouctou et Diré. Mais ses représentants ont à cœur de faire comprendre aux gens de Bamako que « le vote d’une loi doit tenir compte des réalités du terrain ». Car il risque de se créer dans cette zone des communes factices qui n’auront aucune signification économique réelle. De sérieuses appréhensions habitent donc les populations quant à l’émergence réelle des nouvelles entités. Perceptible tout au long des débats, l’inquiétude trouve son explication dans la disparité économique constamment évoquée entre « les régions du sud, relativement prospères », et « celles du nord, moins favorisées ». Parmi les cinq critères retenus pour constituer une commune, les considérations démographiques et de viabilité économique ne s’appliquent réellement qu’aux seules régions du sud. Certes la décentralisa- 5. Compagnie malienne de développement textile. De capital mixte depuis le milieu des années soixante-dix, la société a pris le relais de la CFDT française qui a impulsé la production cotonnière sous la colonisation. L’encadrement des producteurs locaux se diversifie depuis autour du secteur vivrier. Grafigéo 1999-8 49 Décentralisation malienne tion ne signifie nullement désengagement de l’État, mais en dépit des assurances données par Ousmane Sy, les populations de Tombouctou sont sceptiques sur l’engagement du pouvoir central à créer les conditions de la viabilité des futures communes. Pour elles il faut commencer nécessairement par une politique de désenclavement tambour battant de la région. Si la décentralisation, qui n’est pas appréhendée comme une panacée, doit constituer un espoir pour la zone, sa réussite passe inéluctablement par un soutien particulier de l’État. L’économie rurale s’avère en réalité plus complexe du fait du Mali médian, de ces régions incertaines entre grand Nord et extrême Sud. Dans l’environnement géographique et culturel de Bamako (deuxième région, nord de la troisième région, est de la première région, ouest de la quatrième région), le processus de décentralisation est bel et bien perçu comme irréversible. Mais les communes qui se dessinent prennent conscience du fait qu’elles ne pourront survivre et se renforcer qu’en améliorant les potentialités agricoles existantes. Les populations du cercle de Kati qui reçoivent la visite du président de la république en 1997 l’ont déjà bien manifesté en listant bon nombre de contributions économiques et sociales attendues directement de l’État. Enfin et surtout la géographie des systèmes productifs se construit finement au niveau local, à une échelle qui n’épouse pas les contours des collectivités territoriales. Se pose donc le problème des fondements fonciers des futures communes. L’épineuse question des bases territoriales des nouvelles com munes Proposée par le conseil des ministres du 18 juin 1996, adoptée et amendée par l’Assemblée nationale à la fin de 1996, la refonte communale se présente en réalité sans support cartographique. Dans le détail, elle donne souvent l’impression d’un véritable bourbier territorial. Grafigéo 1999-8 Micro-communes et polarisation de l’espace local Rappelons qu’au terme du travail préparatoire qu’elle a initié dans les régions à partir d’avril 1995, la Mission de décentralisation a défini quelques 632 communes sur l’ensemble du territoire national. L’ébauche de 1996 modifie donc un tiers des arrondissements, et même plus dans les régions de Mopti (56 %), Tombouctou (40 %), Koulikoro (46 %) et Kidal (44 %). Les modifications les plus significatives portent généralement sur les arrondissements centraux, enjeux de polarisations croissantes autour des équipements scolaires ou sanitaires déjà existants. L’une des plus grandes difficultés rencontrées par la mission a été le choix des chefs-lieux parmi les localités concurrentes de la même collectivité locale. Par l’ampleur des remaniements qu’elle suscite, la zone du delta intérieur du Niger illustre l’acuité du problème du cadrage territorial et les incertitudes économiques et sociales qui pèsent sur la nouvelle greffe. Au cours des consultations des GREM, l’administration régionale et locale a certes tenté de canaliser la consultation des populations rurales dans le sens d’une faible remise en cause des anciennes limites d’arrondissements et de cercles. Mais nombre de vieux conflits ont resurgi à propos du rattachement des localités villageoises, hameaux de culture et campements de pêche, à telle ou telle commune, sur le choix du chef-lieu de commune, et sur la future élection des maires. En vertu d’un espace vécu à la fois fragmenté et discontinu (Gallais, 1984), les populations ne se sont pas toujours exprimées dans une logique de continuité ou de proximité spatiale. Comment, en effet, passer de la communauté sociale, souvent enchâssée dans des réseaux de mobilité, à la collectivité territoriale ? Comment caler un nouveau découpage sans négliger, comme l’ont souvent fait des strates antérieures d’encadrement administratif (la maille de 50 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? l’arrondissement, par exemple), les territorialités propres de systèmes productifs divers et imbriqués dans un espace mouvant (Gallais, 1984) ? La céréaliculture saisonnière, les cultures de contre-saison, l’élevage transhumant et la pèche mettent en jeu des déplacements proches ou lointains, et vivent les rythmes de la crue selon des pratiques finement inscrites dans les zones d’inondation. Dans la marqueterie humaine du « delta », les questions ethniques n’ont pas manqué de rebondir et de faire écho à celles des formes sociales et des espaces du travail, surtout ceux organisés en réseaux de mobilités. L’émiettement communal dans lequel les populations semblent s’engager pourrait alors contribuer à de nouveaux risques de cloisonnement économique local au détriment d’une meilleure articulation des systèmes productifs entre eux et de leur ouverture sur l’extérieur. Les villageois confirmeraient le confinement et l’enclavement qu’elles déplorent par ailleurs. Mais n’est-ce pas donner a priori trop d’importance aux cadres administratifs dans la dynamique du développement social et économique ? En réalité, bien des conflits revigorés par les choix de rattachement, de délimitation et de chefslieux communaux ont des fondements plus sociaux que spatiaux : allégeances lignagères, prérogatives ethniques, concurrences des plus anciens occupants et de « nouveaux venus » dans une histoire ancienne, légitimités de chefferies consacrées ou démolies par la colonisation, nouvelles initiatives d’émigrés de retour après avoir « fait » la Côte d’Ivoire ou l’Afrique centrale, etc. Les arguments s’enchevêtrent et rendent inopérantes bien des grilles de composition territoriale par trop univoques autour des critères de taille ou d’accessibilité. Difficile encore de dire si les divergences locales s’appuient sur des conceptions différentes en matière de développement économique, ou bien si elles les fondent. Les études localisées manquent encore dans le Mali rural pour tester à une échelle fine la question récurrente des rapports entre les bases économiques et les cadres institutionnels du développement. Le chef de la Mission de décentralisation lui-même ne manque pas de faire ressortir les « communes à problèmes », les arbitrages sensibles et les choix conflictuels qui engagent avant tout des logiques sociales. Prégnantes dans toute réforme institutionnelle, souvent héritées mais aussi inscrites dans les enjeux de la modernité, celles-ci figurent en bonne place dans les débats régionaux. Au-delà du cas sénoufo, où les micro-communes semblent justifiées par le bassin cotonnier de Sikasso, d’autres régions témoignent d’un défaut structurel d’entente sur le choix des chefs-lieux communaux. A la frontière avec la Mauritanie, au cœur du pays malinké, dans l’aire d’influence de Bamako, également dans la région de Mopti, des villages concurrents s’appuient sur les usages coutumiers de la terre pour contrarier les ébauches de regroupement. Ils imposent alors deux communes là où l’on n’en aurait tracé qu’une en vertu de normes comptables de viabilité économique. Ces tensions des localités et des groupes « maîtres du sol » stimulent de nouvelles hésitations chez les habitants des hameaux de cultures dépendant. Bien des collectifs paysans apparaissent tiraillés entre deux tutelles foncières. Ne risquera-t-on pas de perdre des champs si l’on opte pour le village « d’en face » ? Comment plaider sa cause lorsque la Mission de décentralisation, confrontée aux conflits de légitimité foncière à rebondissement, s’en est remise à l’avis des « vieux » des conseils de village, appliquant l’adage, pour simplifier sa tâche, du « entendez-vous d’abord entre vous »6 ? Nous sommes en démocratie : responsabilisons les gens. Les gens se réunissent, discutent, 6. Plus généralement, la palabre des anciens suscite autant l’enthousiasme de ceux qui y voient une preuve de démocratie locale que la critique des détracteurs de la gérontocratie villageoise. Grafigéo 1999-8 51 Décentralisation malienne négocient, trouvent des solutions en ce qui concerne la démocratie. Il en sera exactement ainsi de la décentralisation. Les incompréhensions ne nous ont donc pas surpris. Ce territoire est, en effet, bâti sur des réalités, les hommes ont un passé caractérisé aussi par des conflits, des villages ne se sont jamais entendus, d’autres sont prêts à s’affronter, des familles sont brouillées. Nous savions tout cela et nous nous sommes attachés à créer un cadre pour que les gens parlent de leurs problèmes [...] car la décentralisation a, ne l’oublions pas un aspect politique. Enjeu de pouvoir, elle est destinée à mettre en place des pouvoirs locaux. Des intérêts sont forcément en jeu. Nous avons donc refusé d’être des interlocuteurs sur des problèmes que nous ne connaissions pas alors que des gens sont même venus nous proposer de l’argent pour que leur village soit érigé en chef-lieu de commune. Nous leur avons dit que ce n’était pas nous qui décidions : les résultats des débats nous viennent ici confirmés et nous n’avons aucun pouvoir de les changer. [...] La souplesse dans l’interprétation des critères va de pair avec la hiérarchisation des critères. Un exemple : dans le cercle de Bougouni, il y a eu un débat. La commission qui a travaillé sur ce cercle a fixé le seuil de viabilité à 8 000 âmes par commune. Lors des débats, des villages regroupant 7 500 habitants ont demandé à être érigés en commune s’attirant de la commission la réponse qu’il y avait incompatibilité avec les premiers critères, et qu’il fallait reprendre les discussions et essayer d’atteindre le seuil fixé. Les populations ayant maintenu leurs propositions, la commission a cédé en leur signifiant qu’il en allait de leur responsabilité si elles s’engageaient à devenir commune rurale, l’administration ne pouvant plus être mise en cause. [...] Quand nous avons été saisis par la région de Mopti du cas de Douentza, nous y avons dépêché deux de nos collègues. Les conclusions qui nous ont été ramenées montrent que l’administration n’a pas bien fait son travail. Les hommes politiques en ont profité pour faire une mainmise sur l’opération. Une de nos missions s’est alors rendue sur place trouver avec les populations la solution adéquate à leurs problèmes. Des problèmes politiques existent entre différents groupes à Douentza, auxquels est venu se greffer un litige relatif aux anciens cantons7. Le débat instauré a permis de les révéler et les discussions engagées avec les responsables politiques du cercle de constater combien les gens demeurent sous l’influence de leurs entités passées. [...] Le cas de Douentza, comme celui de Goundam offrent l’occasion de rappeler que cette réorganisation territoriale a pour philosophie de laisser les populations débattre entre elles dans les limites de la loi qui interdit de créer des communes sur une base raciale. Là où les gens ne sont pas parvenus à s’entendre, l’État décidera à leur place. Nous avons réduit au minimum les cas d’arbitrage en installant à tous les niveaux des commissions de conciliation. Si toutes ces commissions d’arrondissement, de cercle, de région et nationale n’ont pas tranché, le gouvernement avant de déposer le projet à l’Assemblée nationale tranchera et l’Assemblée nationale appréciera. »8 Le nœud gordien du contrôle foncier On comprend dans ces conditions que la Mission de décentralisation ait achoppé sur l’élaboration du support cartographique de la réforme communale. L’opération a bien été envisagée, et l’outil informatique a même suscité des espoirs au fur et à mesure que le terrain démentait la simplicité de la démarche cartographique. Mais comment passer des limites administratives de l’arrondissement à une cartographie plus fine sans disposer de marqueurs des terroirs villageois et sans cadastre des patrimoines communautaires ruraux ? Comment définir le territoire d’une collectivité locale quand l’accès à la terre est délégué en chaînes, quand de multiples droits d’usage sont gérés par voie orale au gré des alliances matrimoniales et de positions statutaires. Places des anciens esclaves, des gens de caste, des aristocraties résistantes ou déclassées, des aînés, eux-mêmes crispés ou ouverts à l’égard de leurs cadets : les unes comme les autres apparaissent finalement mouvantes sur la longue durée. La « raison graphique » de la carte s’accommode mal de ce droit coutumier plus ou moins contaminé par des logiques de marché. Les rela- 7. Unités administratives sous la colonisation. Leur mise en place s’est inspirée des rapports de forces entre chefferies locales au moment de la conquête française. 8. « La foi contagieuse d’Ousmane Sy », L’Essor Hebdo, 18-19 mai 1996. Grafigéo 1999-8 52 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? tions de pouvoir nouées autour de la terre fondent un rapport réticulaire à l’espace. Bien des réseaux sociaux locaux forgent leur représentation des lieux autant dans la distance et la discontinuité qu’en vertu de proximités et de continués géographiques. Et jusque dans les villes, les « cartes mentales » des prérogatives et usages fonciers ont inspiré les tractations de la refonte communale. En Commune V de Bamako, qui compte de nombreux ruraux d’origine, les participants aux concertations régionales d’août 1994 se sont prononcés « en faveur de la décentralisation, mais à condition qu’elle soit progressive et qu’elle tienne compte des droits coutumiers par rapport au code domanial ». Mêmes échos lors de la tournée présidentielle d’avril 1996 « à l’écoute du Mopti profond » : à Diondiori (cinquième région), les principaux problèmes évoqués sont les conflits fonciers, l’enclavement, la faiblesse du taux de scolarisation et la persistance du choléra. A Ténenkou, où un découpage de la circonscription en dix communes n’a pu être que crayonné, le commandant de cercle souligne la nécessité d’élaborer des textes plus adaptés aux réalités actuelles de la gestion foncière. Consciente du problème, la Mission de décentralisation s’en remet finalement à la « refonte du code domanial » qui relève d’autres compétences ministérielles : incantation bien récurrente, en ville comme en campagne, depuis près de deux décennies. Mais le casse-tête est lourd d’implications depuis la colonisation, et aucun juriste ni homme politique malien n’apparaît réellement prêt à s’y confronter de font en comble (Bertrand, 1990). La définition de bases territoriales claires pour les communes est donc remise à plus tard. Ou bien ce défaut cartographique hypothèque en profondeur le fonctionnement à venir des communes ; ou bien il est le gage de la souplesse nécessaire aux communautés rurales. La perspective de futurs compromis pourrait alors inciter les nouvelles collectivités, en quête d’une meilleure assise économique, à quelques fusions. Grafigéo 1999-8 Par delà ces incertitudes graphiques et juridiques, le critère de la polarisation de l’espace a souligné les particularités des milieux ruraux et urbains, ainsi que l’opposition des régions septentrionales et méridionales. « Nous constatons en définitive que nous aurons affaire à quatre types d’établissements humains : - le cas unique de Bamako qui est une agglomération urbaine avec six communes urbaines - les anciennes communes types comme Sikasso, Ségou, Mopti, etc., - des villes chefs-lieux de communes rurales, c’est-à-dire des villes qui n’ont pas accepté d’être communes urbaines mais qui ont demandé à rester avec des villages environnants, lesquels sont en moyenne situés entre 10 et 20 km du chef-lieu de la commune rurale (cas de Fana) - et les communes rurales entières qui sont composées de villages ou de fractions. L’aménagement du territoire devra donc être abordé différemment avec notamment un débat d’approche de développement. » (« La foi contagieuse d’Ousmane Sy », op. cit.) La deuxième phase du quinquennat va dans le même sens en approfondissant les enjeux spécifiques des villes en matière de décentralisation. LE BINÔME « VILLES ET DÉCENTRALISATION » RENFORCÉ EN 1996 Dimension sociale de l’ajustement et lutte contre la pauvreté : enjeux d’une gestion urbaine décentralisée Au moment où se concrétise l’innovation des communes rurales, la fin du quinquennat oriente également la décentralisation dans le sens d’une gestion urbaine plus performante. Deux éléments renforcent ces connections déjà bien établies dans les discours internationaux au début de la décennie : d’une part la préparation et le déroulement du second Sommet mondial des villes ; d’autre part l’achèvement du deuxième Projet urbain du Mali et les perspectives ouvertes par la Banque mondiale en faveur d’un troisiè53 Décentralisation malienne me Projet urbain. Soutenir l’économie urbaine On sait en effet que l’évolution des programmes d’ajustement structurel au début des années quatre-vingt-dix est concomitante d’un certain revirement de la Banque mondiale à l’égard du monde urbain dans les pays en développement. L’analyse de l’urban bias, qui a longtemps conduit les bailleurs de fonds internationaux à négliger les « villes-parasites », laisse place à une prise en compte des agglomérations comme riches de leurs migrants, de leurs savoir-faire et capitaux, entretenant de bénéfiques relations de croissance avec les campagnes. « Malgré la dégradation des conditions de vie, de plus en plus de gens vivent dans les villes. Pendant longtemps on a cru que, pour freiner l’exode rural, il fallait limiter les investissements dans les villes. Cependant la croissance démographique urbaine de l’Afrique subsaharienne (5,5 % par an au cours des dernières décennies), la plus élevée du monde, a tendance à montrer le contraire. » (DuranyJacob, 1995, p. 107) Le Programme de gestion urbaine vise ainsi à concrétiser les initiatives de divers organismes internationaux travaillant en relation avec la Commission des Nations Unies pour les Établissements Humains (Habitat). Il s’agit de renforcer la contribution que la ville peut apporter au développement économique et social. Après sa création en 1985, à l’appui de la Banque mondiale et du PNUD, le premier PGU se déroule de 1986 et 1990 autour du thème du renforcement des ressources urbaines (gestion des terrains, gestion des finances municipales, équipement urbain). La deuxième phase du PGU ajoute à ces composantes celles de l’environnement urbain et de l’atténuation de la pauvreté urbaine, en relation avec les conférences internationales organisées sur les mêmes thèmes par les Nations Unies. Les bailleurs de fonds annoncent enfin la phase III du PGU pour la période 19971999 : le programme s’attache désormais Grafigéo 1999-8 au renforcement des institutions régionales de promotion d’un réel entrepreneuriat municipal. Dans le contexte africain, le Programme de Développement municipal relaye fortement ce renversement d’analyse en particulier à propos des plus grandes des agglomérations urbaines. A la faveur de la décentralisation, les villes devraient revendiquer plus d’autonomie, notamment financière, et affirmer leur rôle de moteur économique dans la compétition internationale. Au poids du secteur urbain dans la mondialisation font donc écho les questions de budget local. Si d’un pays africain à l’autre, d’un héritage colonial à l’autre, l’origine et le contenu institutionnel des pouvoirs locaux diffèrent beaucoup, la mise en perspective des villes sur plusieurs aires culturelles et zones d’intégration économique s’impose tout de même de manière croissante. « Au niveau de la zone UEMOA, 22 % de la population est administrée au niveau local par un exécutif élu : les capitales représentent 45 % de cette populations et les villes de plus de cent mille habitants 60 %. Les recettes de fonctionnement des capitales représentent plus de 72 % des recettes de fonctionnement de l’ensemble des collectivités locales de premier niveau ; leur capacité d’investissement 57 % de la capacité d’investissement totale et leurs recettes de fiscalité locale 92 % de celles de l’ensemble des collectivités étudiées. Ce constat montre que si les politiques de décentralisation doivent garder une approche homogène, une attention toute particulière doit être portée à la gestion financière et comptable des grandes agglomérations. » (Schmitt, 1997, p. 4) La gestion urbaine fait donc dérouler, coopération par coopération, le même arsenal de la « participation populaire », de la « responsabilisation de la société civile » que celui qui a marqué quelques années plus tôt les villes d’Amérique latine et le développement « auto-centré » des campagne africaines. La culture, la solidarité et la mobilisation territoriales sont censées ressortir d’un nouvel habillage institutionnel, celui de la contractualisation et du partenariat. 54 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? « C’est pourquoi l’appui aux collectivités économiques urbaines et à la décentralisation de la gestion des villes devrait incontestablement constituer les deux axes stratégiques majeurs de la coopération urbaine de la France. Sectoriellement, l’attention devrait porter sur quatre priorités : - l’articulation entre la politique urbaine et l’aménagement économique du territoire pour faciliter l’intégration interne des économies nationales et leur ouverture sur les échanges extérieurs ; - l’organisation de partenariats entre les autorités communales, les organisations de la société civile et les entreprises pour définir et mettre en œuvre les projets locaux d’équipements, de gestion des services et d’animation urbaine ; - le renforcement des capacités à programmer l’organisation de l’espace urbain et à gérer l’occupation du sol en partenariat avec les initiatives privées ; - l’augmentation des ressources locales adossées sur la mobilisation de financements extérieurs. Mais pour répondre à l’ampleur du mouvement d’urbanisation du Sud, la coopération de la France devrait aussi passer d’une logique d’offre à une logique de réponse à la demande. Ainsi, au-delà de ses appuis techniques sectoriels classiques, publics, privés et multiformes, conviendrait-il que son assistance s’attache, en amont de l’intervention sectorielle, à promouvoir une culture urbaine qui permettrait à ses partenaires de faire le lien entre la gestion technique, l’animation sociale et culturelle de la ville, la promotion des activités économiques urbaines et le développement national. » (Prévot, 1997, p. 2) Enfin les urbanistes maliens répercutent en bout de chaîne l’équation du développement urbain durable et de la décentralisation. Dans cet avenir jalonné de slogans internationaux et de fléchages budgétaires, les différentes administrations impliquées dans la gestion urbaine définissent un document-cadre pour le développement des communes déjà existantes et de celles qui naîtront avec la décentralisation. « Trois thèmes relatifs à l’organisation institutionnelle, aux ressources et outils financiers locaux, et aux opérateurs locaux ont servi de socle aux discussions et aux propositions faites à partir des différents exposés de situations, de projections sur l’avenir, des expériences actuelles et des orientations tentées dans d’autres pays d’Afrique et en France. Les propositions émises concernent entre autres l’utilisation des études d’état de lieux pour organiser un transfert cohérent de compétences de l’État aux collectivités et un appui aux municipalités pour gérer efficacement les nouvelles compétences. »9 L’effet Habitat II Le second Sommet mondial des villes (Istanbul, juin 1996) permet également de fixer chez les urbanistes maliens bon nombre de termes de référence de la gestion décentralisée. En 1996, trois « journées ministérielles de Bamako » (mai 1996) ont également confronté les plans d’action nationaux que les des pays africains francophones présenteront en vue de la Conférence des Nations Unies. D’après le chargé d’affaires de l’ambassade de France, qui a pris en charge financièrement la rencontre, « au lieu d’être un aboutissement, le sommet mondial doit constituer une étape dans la démarche volontaire du développement urbain, en pensant notamment le rôle fondamental des collectivités locales dans la gestion et l’organisation des villes sans pour autant exclure l’État dans ses responsabilités de contrôle, de coordination et d’orientation. » Ouvrant les travaux, le Premier ministre malien confirme : « Nos populations font en effet montre d’une ferme volonté d’être impliquées et effectivement responsabilisées dans la gestion des affaires les engageant ou les concernant. La tendance à plus d’implication et plus de responsabilisation se renforce avec l’amorce de décentralisation dans les pays africains. » Le paquet financier de la coopé ration multilatérale à l’intention des villes L’orientation privilégiée de la décentralisation en direction des villes ressort surtout, à partir de 1995, du montage budgétaire du troisième Projet Urbain du Mali (PUM) qui concrétise les discours de 9. Atelier « Décentralisation et développement urbain », ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat, janvier 1996. Grafigéo 1999-8 55 Décentralisation malienne la coopération internationale. Rappelons l’enjeu financier de ces projets : le premier avait apporté au budget de la capitale plus de 5 milliards de francs maliens en 197810 ; le second s’évaluait en 1985, pour 5 ans, à près de 13 milliards de francs CFA11. A son achèvement, en 1993, se pose la question de la reconduction, en l’état ou remaniée, d’un troisième Projet urbain. Mais la Banque mondiale déplore le coût de fonctionnement du bureau du PUM et de son personnel permanent qu’elle juge bureaucratiques. Alléger la structure L’impulsion est désormais donnée sur le terrain par deux agences d’exécution qui garantissent un appui institutionnel léger. Le futur projet sera supervisé par un groupe interministériel de coordination qui doit veiller à ce que les concurrences ministérielles du précédent régime (Transports et Travaux publics, Intérieur et Collectivités territoriales) ne se reproduisent pas autour du contrôle financier et technique12. Si l’AGETIPE13 et l’Agence de cession immobilière sont déjà en place depuis 1992, et jugées efficaces, il est prévu d’ajouter à ce noyau dur de la gestion urbaine une « structure d’appui aux collectivités locales ». L’impératif de la récupération des coûts est en effet maintes fois répété dans le deuxième PUM et au cours des séminaires qui l’ont accompagné (DPU, 1984) : accroître la rente fiscale, rationaliser la gestion du patrimoine foncier, tels sont bien le credo du projet qui se concrétise difficilement dans la donne institutionnelle du Mali (Bertrand, 1990). On comprend pourquoi le troisième PUM en préparation met plus que jamais en exergue le thème des investissements générateurs de ressources. Au cours des négociations du dossier, le document préparatoire du troisième PUM annonce en 1996 un coût de base de près de 67 milliards de francs CFA, et des coûts globaux hors taxe de plus de 86 milliards selon que le projet s’étale sur 4 ou 5 ans (République du Mali, Banque mondiale, 1996). Le rapport définitif du Groupe Huit est achevé au cours de l’année 1997, et partage le budget global du troisième Projet, intitulé « Décentralisation et infrastructures », en prêts et subventions. L’inflation des montants accordés par la coopération urbaine est donc spectaculaire bien que biaisée par la dévaluation du franc CFA de 1994. Les conditions de crédits restent conformes à ceux des précédents PUM : intérêts annuels de 0,75 %, remboursement échelonné sur 25 à 50 ans avec une période de grâce de 10 ans. Rien à voir avec les conditions des banques nationales (intérêts annuels dépassant souvent les 17 %, banques de dépôts disposant de liquidités importantes mais n’accordant guère de crédits de moyen et long termes). Plusieurs innovations notables Outre l’allégement de la gestion du Projet et son resserrement autour 10. Avant le retour au franc CFA en 1984, 200 francs maliens valaient, depuis 1962, 100 francs CFA. 11. Élaboré par le Groupe Huit de concert avec deux autres bureaux d’études, le deuxième PUM fonde son financement sur une participation de 5 % du Mali et sur des crédits internationaux répartis entre la Banque mondiale pour l’essentiel et le FAC français. 12. « Le troisième Projet urbain, en cours de préparation, aura pour vocation d’apporter un appui à la mise en oeuvre de la décentralisation. Il couvrira Bamako et les huit capitales régionales. Il est piloté par un comité de coordination chargé d’assurer la supervision et la coordination de l’exécution de l’ensemble des sous-projets et de mettre en cohérence l’action des collectivités bénéficiaires du Projet. Présidé par le ministre chargé de l’Urbanisme et composé de départements et services concernés par l’objet du projet, le comité de coordination est doté d’une cellule légère qui constitue son organe d’exécution. » (conseil des ministres, 3 avril 1996) 13. Agence d’exécution des travaux d’intérêt public pour l’emploi : à l’instar de ses homologues ouest-africaines, elle garantit des conditions de décaissement financier rapide. Grafigéo 1999-8 56 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? d’agences impulsées clef en main par la Banque mondiale, le dossier évolue par rapport aux deux précédents. Les co-financements nécessaires à la réalisation du projet apparaissent d’abord nettement diversifiés. Le montage des derniers Projets urbains africains de la Banque mondiale rallie en effet plus de coopérations bilatérales que les précédentes opérations. Le contexte des années 1990 explique qu’aux côtés de l’État et des municipalités maliennes, mis à contribution dans des proportions symboliques, relayant les crédits de l’IDA (Banque mondiale14), apparaissent les financements de la CFD et du FAC français, de l’ACDI canadienne, et de nouvelles coopérations européennes (FED, KFW et GTZ)15. Au montage global du budget s’incorporent par exemple des conventions bilatérales de subvention comme celle de 5,8 milliards de francs CFA que la Caisse française de développement met à la disposition du Mali au milieu de 1997 dans le cadre du troisième Projet urbain. La contribution est consacrée à des interventions directes de réhabilitation et de création d’infrastructures urbaines génératrices de revenus dans toutes les capitales régionales. L’ensemble vise « non seulement une amélioration du cadre de vie des communes maliennes, mais aussi l’implication de ces dernières dans la gestion urbaine dans le contexte de la décentralisation ». Dans le même temps, le Fonds d’aide et de coopération formule son nouveau projet « décentralisation et développement urbain au Mali ». Étalé sur quatre ans, il fixe comme objectif la maîtrise du développement local urbain à travers le renforcement des capacités administratives, financières et techniques du district et des six communes de Bamako, ainsi que de quatre capitales régionales (Kayes, Ségou, Sikasso et Mopti). L’appui du FAC porte plus précisément sur l’amélioration de la gestion des finances locales et sur la réorgani- sation des services techniques communaux. Sont prévus des actions de formation des élus et des personnels communaux, un soutien aux initiatives de quartier et l’équipement des administrations de tutelle. Ce projet doit « s’articuler avec les interventions d’autres bailleurs de fonds, notamment la Banque mondiale qui soutient le troisième Projet urbain du Mali et la Caisse française de développement. Il impliquera fortement la coopération décentralisée. »16 Mais c’est surtout l’intérêt porté aux villes secondaires qui donne ses arguments à la vocation décentralisatrice du troisième PUM. Par l’analyse de « l’organisation de l’espace et du réseau de villes au Mali », qui figure dans la présentation du contexte national, par l’annonce de « contrats de villes » qui apparaît dans les recommandations institutionnelles, le rapport définitif du Groupe Huit concrétise le renversement de perspective de la fin de la décennie. Les deux précédents PUM n’avaient accordé qu’une maigre attention à l’urbanisation des régions. Le projet de 1978 prévoyait quelques aménagements ponctuels dans les capitales régionales de Kayes, Gao et Mopti, (adduction d’eau et assainissement), mais pour moins de 4 % du coût total des 22 projets techniques retenus dans le pays. Bamako capturait donc la quasi-totalité du montage financier. Les opérations menées dans les autres chefs-lieux se révélèrent d’ailleurs peu concluantes : le projet de Gao fut abandonné, celui de Kayes ne concerna qu’un seul quartier alors qu’il aurait fallu reprendre la totalité du réseau urbain, les emprunts de Mopti furent difficilement remboursés. Le second PUM tira donc les leçons de ces expériences laborieuses en ne dégageant plus aucun financement opérationnel pour les villes secondaires. 14. D’un montant de 40 milliards de francs CFA, l’accord de crédit Mali-IDA est adopté en janvier 1997 par l’Assemblée nationale sans amendement et à la majorité des 66 députés présents. 15. Pour une enveloppe financière de 36 540 milliards de francs CFA, « la coopération néerlandaise s’engage pour les années 1997-1998 dans les secteurs prioritaires de la réforme économique, le développement rural, l’environnement, la santé, la promotion des femmes, les infrastructures, l’appui au processus de décentralisation et les micro-réalisations » (conseil des ministres, 1er octobre 1997). 16. « Nouvelles de la coopération », Villes en développement, Paris, ISTED, 1997, n° 97, p. 8. Grafigéo 1999-8 57 Décentralisation malienne Celles-ci ne trouvèrent de place que dans le volet « études et formation » de 1986. Mais alors que le consultant local de la Banque mondiale comptait orienter le choix d’une « étude de préfactibilité » vers quelques centres méridionaux du Mali, la direction malienne du PUM se décida au contraire en faveur de localités sahéliennes pour des raisons politiques de « soutien au Nord ». Les idées pilotes censées ressortir des prospectives (renforcement des réseaux locaux, articulation des petites villes à leurs campagnes) ressortaient appauvries de ce changement de contexte. Les experts avaient surtout retiré aux villes « de l’intérieur » toute opportunité de drainer de l’extérieur des crédits lourds. Un déficit que les quelques jumelages-coopérations ne purent combler durant les années quatre-vingt. Prenant acte du travail de la Mission de décentralisation, le troisième PUM affiche au contraire d’emblée « l’enjeu territorial » de la question urbaine. A cet égard, il prévoit d’intervenir dans les huit capitales régionales, selon leur taille et leurs priorités, ainsi qu’un programme « sites et cités historiques » (promotion touristique) en direction des localités de Tombouctou, Djenné et du pays dogon. Cette dernière composante du projet reçoit d’ailleurs 9 % des coûts de base évalués dans le rapport final de 1996. Certes Bamako continuera de recevoir le plus gros des financements eu égard à son poids dans l’urbanisation malienne. Mais l’adressage urbain concerne désormais les quatre principales villes du pays ; la cartographie détaillée et l’élaboration des plans d’urbanisme de référence couvrent en principe toutes les communes urbaines. Chacune des trois premières composantes du projet17 envisage ainsi divers sous-projets en direction des capitales régionales. Leur prise en compte conduit à « responsabiliser les élus » à tous les niveaux. Moti-Sévaré partage avec Bamako, par exemple, le volet « eau potable » des infrastructures de base, et décroche dans la même composante une ligne budgétaire pour la réalisation de son plan directeur d’assainissement. Mais c’est surtout la construction et la réhabilitation des marchés et des gares routières qui concentrent les actions en faveur des capitales régionales. Ce type d’opération confirme la spécialisation des financements de la Caisse française de développement autour d’opportunités locales : d’une part la promotion des projets de quartier au sein de l’agglomération bamakoise, d’autre part le soutien apporté aux villes secondaires dans leurs terroirs. Cette réorientation budgétaire validet-elle pour autant l’existence d’un « réseau de villes au Mali » ? L’armature urbaine s’avère en effet mince autour de 69 agglomérations de plus de 5 000 habitants : outre la « métropole » centrale (Bamako-Kati-Koulikoro), le pays ne compte que six « grandes villes » de 50 à 90 000 habitants et neuf « villes intermédiaires » de 17 à 35 000 habitants. Les villes de 10 à 20 000 habitants ne concentrent que 6,8 % de la population citadine. L’esquisse de régionalisation qu’improvise le Projet urbain s’appuie sur les contextes économiques plus larges, souvent peu prospères, plus que sur un véritable réseau de relations entre les villes elles-mêmes et entre les villes et leurs régions. Le troisième PUM ajoute alors à l’objectif de « maîtriser le développement de la capitale nationale » ceux de l’urbanisation provinciale : « renforcer la région centrale », « conforter le NordEst » en relançant l’activité commerciale de Gao, « accompagner la croissance du Sud » en s’appuyant sur le dynamisme cotonnier et frontalier de Sikasso, « soutenir » le développement de l’Ouest » en réservant enfin quelques subsides à Kayes, l’éternelle mal lotie du développe- 17. Gestion urbaine et appui institutionnel : 6,4 % des coûts de base ; infrastructures urbaines : 62,2 % ; aménagements de terrains : 22,4 %. Grafigéo 1999-8 58 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? ment régional. La spécificité bamakoise au regard des communes urbaines « d e l ’ i n t é r i e u r » 18 La donne démographique et budgétaire La spécificité de l’agglomération capitale n’est pas seulement juridique depuis 1979 (ordonnance 78-32 fixant le statut particulier du district de Bamako). Le poids humain de Bamako est bien connu : avec aujourd’hui un million d’habitants, l’agglomération concentre environ 40 % des citadins maliens et ne bénéficie guère de contrepoids dans le pays. L’écart avec la deuxième ville n’a cessé de s’accroître jusqu’au dernier recensement de 1987 qui donnait à Ségou huit fois moins d’habitants qu’à Bamako. Sans démentir le dynamisme démographique de certaines villes secondaires, ce poids hiérarchise fortement les prévisions budgétaires des communes maliennes les mieux dotées, comme en témoigne l’approbation des recettes et dépenses de 1993 par le conseil des ministres19 : Certes le poids budgétaire des villes Tableau 1 - Budgets prévisionnels, 1993 Localités Bamako Koutiala Ségou Sikasso Kati Koulikoro Budget total, francs CFA 2 027 345 000 231 537 000 203 769 000 169 290 000 86 736 215 82 604 000 secondaires apparaît peu en rapport avec leur poids démographique. Les prévisions de Koutiala (chef-lieu de cercle et capitale du coton dans le Sud-Est malien : 48 700 habitants en 1987) dépassent celles de deux capitales régionales plus peuplées (Ségou : 88 100 ; Sikasso : 73 900). Kati et Koulikoro (34 300 et 20 800 habitants en 1987) sont également moins peuplées que les capitales régionales de Mopti (74 800), Kayes (51 000), Gao (55 300), mais elles disposent de budgets prévisionnels supérieurs à 75 millions de francs CFA. C’est ce qui rend nécessaire l’approbation ministérielle de leur budget, alors que les prévisions inférieures à ce seuil ne sont adoptées que par la seule instance communale. Les ratios budgétaires par habitant suivent encore moins la hiérarchie urbaine. Par personne, les Bamakois disposent ainsi, en théorie, d’un peu plus de 2 000 francs CFA en 1993, alors que les Koutialais plafonnent à environ 3 500 francs CFA la même année. Notre étude des communes méridionales au cours des années quatre-vingt montrait d’ailleurs déjà que le ratio koutialais dépassait celui de la capitale régionale de Sikasso tant dans les prévisions que dans les comptes exécutés20. Cependant, l’écart entre le budget de Bamako et celui de la plupart des autres communes urbaines reste très marqué : de 1 à 9 avec Koutiala. C’est là l’hypothèque majeure de la décentralisation urbaine, tant les structures démographiques et économiques ont déséquilibré le pays en faveur de Bamako. Cette concentration financière n’est que peu infléchie dans l’activité des agences 18. Aux 13 communes urbaines héritées de la deuxième république s’ajoutent depuis 1992 les cinq communes de Banamba, Bandiagara, Dioila, Djenné et Niono. Mais le quinquennat ne leur a donné aucune consistance (maire, budget) dans l’attente de la décentralisation généralisée. 19. L’année 1993 permet de comparer les budgets avant la dévaluation de janvier 1994. Pour une analyse des capacités financières des communes, voir République du Mali, Banque mondiale, 1996, vol. I. 20. Les budgets prévisionnels de 1987 étaient de 192 172 000 francs CFA à Sikasso et de 165 291 045 francs CFA à Koutiala. Il est donc intéressant de noter que les prévisions de 1993 ont conduit Koutiala à doubler sa capitale régionale en volume global. En 1987, l’effort fiscal par habitant était de 3 500 et 1 500 francs CFA (budgets prévisionnel et exécuté) à Koutiala, de 2 600 et de 1 500 francs CFA à Sikasso. Grafigéo 1999-8 59 Décentralisation malienne d’exécution du PUM à partir de 1992. L’AGETIPE n’élargit qu’en 1994 ses interventions en direction de quelques villes de province, et dans des proportions limitées par le défaut d’entrepreneuriat local. L’Agence de cession immobilière formule également quelques projets en direction du reste du pays, mais ceux-ci n’ont pas encore débouché. Hors de Bamako, Kayes est censée attirer les investissements immobiliers d’une clientèle fortement solvable, celle des Maliens émigrés en France. Après deux ans de fonctionnement de l’Agence de cession immobilière, une seule « mission de prospective » est menée en France par un représentant de l’agence. Puis un autre de ses agents, originaire de la première région, est délégué auprès du gouvernorat de Kayes. Mais du fait du projet immobilier concurrent de la Société d’équipement du Mali21, la tentative semble couper court. Sans doute l’agence est elle-même déçue par l’attraction que son offre bamakoise de parcelles à bâtir exerce sur les Maliens émigrés à l’étranger, et qui se révèle d’abord en retrait de la participation escomptée après la dévaluation de 1994. D’autres relations sont plus récemment engagées avec la commune de Ségou, à l’initiative de cette dernière. Ici, l’agence freine la diversification de ses opérations en constatant que les responsables de la deuxième agglomération du pays ne sont pas capables d’évaluer sa superficie et ses disponibilités domaniales. Cette absence de ressources communales pour mener à bien des études préliminaires, élaborer des prospectives et fonder un dossier d’aménagement, renvoie aux enjeux institutionnels de la décentralisation. Le poids de la capitale vaut cependant aux six communes qui la composent d’être placées sous la tutelle administrative forte du gouvernorat du district de Bamako. C’est lui qui décide du budget de l’agglomération et qui l’exécute. Le statut particulier du district – qui a rang de région dans l’organigramme malien depuis 1978 – a donc privé les équipes communales d’une marge de manoeuvre que les autres communes urbaines ont pris plus tôt, souvent par anticipation sur le droit, au cours des années quatre-vingt. Leurs maires ont notamment usé du patrimoine domanial de leurs circonscriptions en s’improvisant agents lotisseurs dans des proportions plus importantes que leurs homologues de Bamako. Dans la capitale, l’instance communale fut souvent court-circuitée par le jeu politique du parti unique. En s’appuyant sur les quartiers, les sections de l’UDPM ont oeuvré directement auprès des représentants du Bureau exécutif central du parti unique, plus que sous le couvert des élus communaux. L’acceptation des quartiers irréguliers donna de fréquentes occasions à cette gestion politique des problèmes locaux de se manifester22. Dans les villes secondaires au contraire, les services techniques de l’urbanisme ont été déconcentrés sans réels moyens, et les gouverneurs se sont impliqués en priorité dans les affaires rurales. Cela a laissé aux responsables communaux des coudées plus franches pour contourner, biaiser ou négliger les textes administratifs et réglementaires de l’urbanisme. Ne pouvait que les inciter à cela une vie budgé- 21. Ancienne société d’État, devenue mixte sous la troisième république. 22. La révision de la limite entre les Communes III et IV de Bamako donne à deux reprises un bon exemple de tels courts-circuits sous le régime UDPM. A la naissance du parti en 1981, le secrétaire général de la section de la Commune III est alors secrétaire administratif du BEC, alors que la Commune IV ne bénéficie pas de représentation en haut lieu. La limite est alors modifiée au détriment de la Commune IV puisque le cimetière de Hamdallaye est détaché de son quartier et rattaché à la Commune III. D’autres prétentions s’affichent également autour du vaste terrain de l’ancienne zone aéroportuaire de Bamako, seule réserve foncière que la commune centrale peut convoiter. Mais au cours du dernier mandat UDPM, le secrétaire général de la section de la Commune IV est devenu membre du BEC, ce qui lui donne l’occasion de revenir sur la frontière fixée par écrit. Grafigéo 1999-8 60 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? taire pauvre, certes, mais peu embarrassée des tutelles régionales (Bertrand, 1990). Six communes sous la tutelle du district Les attentes des communes de Bamako en faveur d’une révision du statut particulier de l’agglomération sont fortes depuis 1992. Durant le premier quinquennat de la troisième république, elle s’expriment surtout autour des questions budgétaires, foncières et électorales. Au début de 1996, le projet de statut du district de Bamako est finalement voté par l’Assemblée nationale mais le texte apparaît en retrait des ambitions les plus décentralisatrices. Les responsables locaux s’estiment alors conduits à une série d’anticipations sur les réformes. L’aspiration des communes bamakoises à une plus grande autonomie est en réalité ancienne. Sous la troisième république, elle se fait sentir dès la prise d’activité du conseil du district dont le fonctionnement se trouvera de ce fait bloqué en quelques mois. A peine annoncée la décentralisation entraîne en effet un surcroît de doléances. Les collectivités territoriales se comportent à l’image de quelques grandes corporations professionnelles maliennes dans les premières années du nouveau régime. Cela conduit les promoteurs des réformes à modérer les ardeurs et à calmer les appétits, à en appeler à toujours plus de circonspection. La tempérance est particulièrement de mise pour le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat qui est aussi l’ancien gouverneur du district de Bamako : « Avec le statut des communes qui va changer dans le cadre de la décentralisation, elles auront à gérer leur foncier. Mais encore faudrait-il qu’elles aient quelque chose à gérer demain. L’appel que je leur lance, c’est donc de préserver ce qui reste des réserves foncières. » (L’Essor, octobre 1996) En réalité, la gestion politique du district conduit à un véritable rapport d’opposition qui se durcit du premier gouverneur de la troisième république à son successeur à partir de 1994 : les maires cherchent à anticiper sur une promesse vague d’élargissement de leurs prérogatives domaniales et de leurs moyens budgétaires ; le représentant de l’État se crispe sur « l’état actuel des textes » ; la tension est finalement interprétée comme la mainmise du parti majoritaire (ADEMAPASJ) sur l’appareil d’État et sur la capitale au détriment de l’opposition politique. La couleur politique des élus municipaux interfère en effet avec le débat sur la décentralisation dès l’issue des scrutins successifs de 1992. Alors que les élections législatives ont donné la majorité à l’ADEMA-PASJ dans le district de Bamako23, alors que l’Adema-Pasj bénéficie également de la majorité dans les communes urbaines « de l’intérieur », la capitale ne compte qu’un maire ADEMAPASJ (Commune IV) à la tête des six équipes municipales pluralistes. Les autres maires sont donc prompts à faire apparaître Bamako comme un bastion de l’opposition au sein d’un paysage fortement dominé par le parti majoritaire. Or les rapports des communes et du gouvernorat du district ne sont pas indifférents à cette contradiction politique entre les autorités nationales et cinq magistrats municipaux de la capitale. S’il est vrai que les élections présidentielles et législatives de 1997 semblent augurer d’une recomposition politique de Bamako en rapport avec la suprématie nationale de l’ADEMA-PASJ, les tensions internes aux communes ont déjà submergé le débat institutionnel au sein du district de Bamako. Trois types d’accrochages sont successivement évoqués à l’occasion d’une « interview exclusive » donnée au quotidien national L’Essor par le nouveau gouverneur du district en septembre 1994. 23. Celle-ci est renouvelée en juillet 1997 lorsque les députés ADEMA-PASJ concentrent 13 sièges à Bamako et n’en laissent qu’un seul à un député allié du PARENA. Grafigéo 1999-8 61 Décentralisation malienne La nomination de militaires à tête des régions ne manque pas d’être alors interprétée comme une preuve de l’absolutisme du parti au pouvoir. Les relations ne sont pas toujours faciles entre les maires élus et le gouverneur nommé par l’autorité centrale. Les premiers se plaignent notamment de ne pas avoir les moyens de leurs ambitions et ils accusent l’ordonnance n°7979/CMLN déterminant les impôts et taxes de les livrer pieds et poings liés aux bon vouloir du gouverneur. « L’ordonnance n°79-79/CMLN déterminant les impôts et taxes du district fut adoptée pour apporter des solutions précises à un besoin du moment. On peut comprendre que les maires, dans le contexte actuel qui est différent de celui de 1979, s’en plaignent, mais pour le moment c’est cette ordonnance qui est en vigueur. Cependant le district fait des efforts pour prendre en compte cette préoccupation des maires avant la révision des textes. Par exemple le district ne gère dans la ville de Bamako que trois marchés (le Grand marché, le marché de Médine et l’autogare de Sogoninko) et a abandonné au niveau de ces marchés une partie des taxes au profit de certaines communes. En outre, dans la mesure de ses possibilités, le district alloue des subventions aux maires. (...) Force est de reconnaître que la faiblesse de nos ressources par rapport à nos ambitions et objectifs constitue un véritable handicap. Depuis 1987 par exemple, le contribuable paie difficilement l’IAS. L’incivisme généralisé qui s’est installé après les événements de mars 1991 explique en grande partie l’amenuisement des ressources. » Les maires se plaignent aussi d’une trop grande ingérence du district dans les problèmes fonciers. Les projets de réhabilitation des quartiers périphériques ont allumé de véritables bombes à retardement et vous-même avez été nommé au moment où l’imbroglio de Sabalibougou (quartier méridional) se compliquait. Comment le district compte-t-il agir pour désamorcer ces tensions ? « Il est vrai que dans un passé récent les problèmes domaniaux, principalement l’attribution des parcelles, relevaient exclusivement du domaine du gouvernorat du district. (...). Le gouvernorat se désengagera progressivement face à ce problème, mais il ne faut pas perdre de vue qu’à l’heure actuelle il n’existe aucun texte dans ce sens. Peut-être que la question sera examinée dans l’avenir. Toutefois les pro- blèmes sociaux qui accompagnent le foncier retombent toujours sur le gouvernorat qui est tenu en même temps que les maires de s’investir en vue de leur trouver des solutions. C’est pourquoi nous devons toujours agir conformément aux aspirations de la grande majorité, n’en déplaise aux pêcheurs en eau trouble. Avec la décentralisation qui s’amorce, Bamako risque d’avoir le même statut que d’autres capitales, c’est-à-dire dirigée par un maire élu. « L’État centralisateur que nous avons connu jusqu’à présent semble avoir montré ses limites. Il va donc de soi que nous ayons une autre vision de la gestion de notre société : la décentralisation. Mais à mon avis, cette décentralisation doit se faire de façon progressive et non précipitée. En ce qui me concerne, je vous dirai que je ne suis nullement préoccupé par les prérogatives ou les pouvoirs que le gouverneur pourrait perdre dans cette perspective. » Il n’en reste pas moins qu’en vertu d’habitus politiques anciens, les conflits au sein du conseil de district sont rapportés aux personnalités respectives des deux gouverneurs de la troisième république, plutôt qu’aux schémas institutionnels. En 1993, le conseil suspend ses activités après quelques mois d’un fonctionnement jugé partisan par l’opposition. Mais « le second gouverneur ne s’entend pas mieux avec les maires, pour des raisons nouvelles : plus qu’un autochtone, c’est un militaire, et il fait cavalier seul. C’est ainsi qu’il est venu avec son équipe à lui et qu’il a remplacé tous les adjoints et le secrétaire général du gouvernorat. Son attitude à l’égard des maires se voit le mieux quand il désavoue publiquement, à la télévision ou dans la presse, l’action de l’un ou de l’autre dans les conflits qui les opposent avec des commerçants ou avec les populations. Il n’y a pas de collaboration entre nous, et pourtant nous ne sommes qu’élus, c’est l’administratif qui a la haute main sur les services techniques déconcentrés et donc sur les cordons de la bourse. »24 La question du partage des recettes entre le budget du district et ceux des 24. Entretien avec le maire de la Commune III, août 1996. Grafigéo 1999-8 62 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? communes attise en effet le plus de tensions. Les maires jugent notamment dérisoire la dotation financière que le conseil du district leur a finalement accordée en 1994. « Depuis trois ans c’est la même somme de 5 millions de francs CFA quels que soient les effectifs d’administrés. En 1996 nous avons englouti ce fonds dans le recensement administratif. Les maires ont demandé des majorations, mais le district a refusé à cause d’un blocage par le gouverneur et par les opérateurs économiques qui siègent au conseil. Or nous les communes nous sommes à même de recouvrir les impôts mieux que ne le fait le district. Le gouvernorat n’arrive même pas à des taux de recouvrement de 50 % sur certaines taxes pour lesquelles il n’a pas de compétences. Le district nous répond que son budget est trop faible et que les recettes sont pompées par le remboursement de la dette du Projet urbain. En réalité l’argent dort dans les caisses : plus de deux milliards sont déjà déposés sur le compte du district à la Banque de développement du Mali, au titre des versements domaniaux et des frais de viabilisation des parcelles attribuées. Or cet argent ne travaille pas et le district n’en retire aucun intérêt. »25 Le premier budget du district (1993) accordait à chaque commune une subvention de quelques millions de francs CFA que « les maires avaient arrachée ». Mais elle ne fut pas attribuée durant l’année, de telle sorte que les communes continuèrent à ne fonctionner que sur les taxes municipales et les taxes de marché. Cette dotation financière était de plus jugée insignifiante : la Commune III devait par exemple débourser dans le même temps deux millions de francs CFA de salaires mensuels. Lors du vote du budget suivant (1994), les maires protestèrent donc du fait que le district ne tenait pas ses engagements financiers auprès des communes. « Mais les autres conseillers municipaux, qui siègent également au conseil du district, ont saboté notre protestation » (allusion du maire aux élus du parti majoritaire). Les mêmes arguments se répètent donc invariablement d’une année à l’autre : d’après le premier adjoint du gouverneur, en charge du budget, « l’argent ne rentre pas dans les caisses ce qui compromet toute redistribution aux communes ». A cela répond le maire de la Commune III. Centrale dans l’agglomération, sa circonscription ne dispose pas de réserves foncières sur lesquelles fonder des ressources domaniales ; elle abrite par contre les principales zones commerciales de la capitale dont les ressources fiscales échappent en partie à la municipalité : « Quand le district cède aux communes des zones de taxation, celles-ci réussissent à faire recettes. Pourquoi pas alors le district ? On ne pourra faire admettre indéfiniment l’argument de l’incivisme des populations. C’est ainsi que la taxation du Grand Marché de Bamako revient au budget du district qui empiète chaque année sur les rues voisines relevant de la perception communale. D’après le gérant du Grand marché, la rue qui passe devant la Chambre de Commerce de Bamako ne rapporte pas plus de 5 000 francs par jour au district, alors que la commune est capable de prélever 12 000 francs. » C’est donc la mauvaise gestion du district qui est incriminée. « Par exemple, le gouvernorat prévoit 30 millions de francs pour les fournitures de bureau, alors que l’on pourrait tout à fait économiser sur ce poste budgétaire pour honorer la subvention financière des communes. L’inertie prévaut dans les relations financières entre district et communes, et le budget est voté en moins d’une journée. »26 Le débat sur la décentralisation conduit alors les maires à lister une série de revendications auprès de leur ministère de tutelle, l’Administration territoriale. Les changements demandés portent sur : 1. l’attribution de véhicules de fonction aux maires. Certains maires se rendent dans les réunions du conseil de district dans la seule voiture personnelle du maire de la Commune III ou en mobylette, ce qui les prive d’un minimum de crédibilité ; 25. Entretien avec le maire de la Commune III, août 1996. 26. Entretien avec le maire de la Commune III, avril 1994. Grafigéo 1999-8 63 Décentralisation malienne 2. l’absence de régie d’avance au niveau des communes, ce qui les rend tributaires de relations difficiles avec le Trésor. On rejoint ici le reproche souvent adressé aux institutions publiques de l’Afrique francophone à propos du principe de l’unicité de caisse. Comment dans ces conditions s’acquitter rapidement de dépenses contractées auprès d’entreprises privées, à l’instar de l’AGETIPE ? 3. l’absence de téléphone aux domiciles des maires « qui tient à l’obstruction que font certains conseillers municipaux de ces propositions par les maires » ; 4. l’absence de logement de fonction pour les maires. Et de citer le maire d’une commune méridionale qui réside en location partagée dans une cour collective. Or dans les cas de « révoltes des populations » (troubles scolaires en Commune IV, résistances au déguerpissement dans le quartier de Sabalibougou, par exemple), les domiciles des maires sont les premiers désignés par la vindicte populaire ; « leurs familles et leurs biens ne bénéficient d’aucune sécurité » ; 5. les coupures intempestives d’électricité et de téléphone décidées par les gestionnaires Énergie du Mali et Société des Télécommunications du Mali au nom des arriérés de la gestion UDPM. Mais l’urgence porte bien structurellement sur le soutien au budget d’investissement des communes. Par exemple, les prévisions ordinaires de la Commune III sont de 62 millions de francs CFA en 1994 pour environ 82 000 administrés (moins de 760 francs CFA par tête), et ce budget courant sera réalisé à 82 %. Mais le budget extraordinaire de la même année est nul. Les prévisions budgétaires de 1993 et de 1994 de la Commune V sont de même estimées à environ 60 millions et ne comportent pas non plus de section d’investissement. La population étant plus nombreuse en périphérie méridionale de l’agglomération (108 800 habitants au recensement administratif de 1991), le ratio par administré n’y est que d’environ 550 francs CFA. L’analyse des prévisions et des comptes administratifs de la Commune IV (périphérie occidentale) montre une réalité sensiblement différente pour l’année 199227 (tableau 2). Ce premier budget communal de la troisième république n’est pas rigoureusement équilibré en recettes et dépenses. Rapportées à une population de plus de 140 000 personnes, les prévisions fondent un effort fiscal de moins de 500 francs CFA. Les deux principaux postes de salaires capturent donc plus de 26 % des dépenses courantes. Mais du budget ordinaire au budget d’investissement, les taux de recouvrement et d’émission varient sensiblement. Les dépenses sont bien sûr mieux honorées que les recettes, et les recettes courantes ne sont recouvrées qu’à 60 %. Mais contrairement aux autres communes, c’est ici la section II qui équilibre le budget total. En contribuant à 48 % des recettes exécutées, les recettes domaniales (ventes de terrains) ont été recouvrées à 300 %, bien au-delà du budget extraordinaire escompté. Si l’exemple caractérise la pratique budgétaire de la Commune IV, en vertu d’offensives foncières sur lesquelles il conviendra de revenir, il montre aussi plus généralement les limites structurelles des finances communales et le flou de la gestion locale. Comme dans d’autres villes secondaires du Mali, les transferts financiers se font de la section II à la section I, alors que c’est normalement le surplus courant qui doit alimenter une part du budget d’investissement (Bertrand, 1990). Or la manne financière des recettes foncières n’est guère reproductible d’une année sur l’autre, et sa capacité à couvrir le déficit des recettes ordinaires se montrera politiquement incertaine. Malgré un total équilibré, à défaut d’être conforme à l’orthodoxie financière 27. En avril 1994, les comptes du budget exécuté de 1993 n’étaient pas encore disponibles. On se reporte alors sur la comparaison prévisions / exécution du budget 1992. Grafigéo 1999-8 64 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? Tableau 2 - Budget de la Commune IV, 1992 Principaux postes budgétaires Section I (budget courant) Recettes Taxes municipales Taxes marchés et places Location de magasins, emplacements de stockage Dépenses Frais de personnel Section II (investissement) Recettes Aliénation de biens domaniaux Transferts de recettes Dépenses Prévisions 1994 56 169 000 Total budget 66 169 000 Prévisions 1992 Compte administratif 1992 Taux d’exécution 54 546 974 10 000 000 17 000 000 32 675 290 3 024 000 15 013 200 60 % 30 % 88 % 12 000 000 5 286 500 44 % 54 146 974 14 141 000 49 396 317 12 970 178 91 % 92 % 10 564 974 10 000 000 564 974 10 964 974 65 111 948 64 621 768 30 000 000 30 000 000 10 317 321 62 675 290 59 713 638 284 % 300 % 0% 94,1 96 % 92 % 10 000 000 et à la réglementation domaniale, le gestionnaire de la Commune IV déplore d’importantes lacunes financières. Ainsi la taxe de développement local et régional28, que perçoit le receveur de la circonscription, échappe-t-elle aux municipalités pour être gérée par le seul district. Aucune clef de redistribution de ces recettes n’est déterminée pour l’agglomération bamakoise. Les subventions hors budget, qui figurent dans les comptes additifs des communes, constituent également un grand mystère pour les praticiens les plus locaux : on compte deux versements de 1 et 1,25 millions de francs CFA en 1992, deux versements de 1 et 1,25 millions en 1993, et aucun engagement financier du district au milieu de l’année 1994. La dotation est donc irrégulière sans que l’on sache très bien si toutes les communes sont ou non logées à la même enseigne. Enfin les difficultés du recouvrement fiscal ne sont pas moindre pour la commune que pour l’ensemble du district : « Les chefs de famille ne viennent s’acquitter de la taxe municipale que lorsqu’ils réclament à la mairie des prestations administratives (actes de naissance, demande de parcelles à usage d’habitation, etc.) qui exigent que le paiement de la taxe soit d’abord régularisé, et souvent sur plusieurs années. » La situation ne diffère guère enfin en Commune I. Aux contraintes financières générales tentent de pallier quelques bricolages dans le budget d’investissement29. Les prévisions de 1994 ne comportent pas de section d’investissement et se résument à un budget de fonctionnement de 74 642 000 francs CFA (ratio de 475 francs pour une population évaluée à plus de 157 000 personnes). Les comptes administratifs de 1993 n’étant pas encore disponibles, on s’appuie de nouveau sur les données de 1992. Alors que recettes et dépenses étaient prévues pour 46 776 000 francs la première année du mandat municipal, les recettes ont été recouvrées à 86 % et les dépenses ont été engagées à 77 %. Non moins banales sont les contraintes financières dans lesquelles la commune situe ses difficultés : le budget ne bénéficie d’aucune dotation de l’État, et ne reçoit qu’une subvention négociée du district. Celle-ci n’a d’ailleurs pas de fondement 28. La TDLR fut instaurée sous la seconde République pour contribuer au « développement à la base » au même titre que les conseils et comités locaux de développement. Le manque de retombées concrètes de cet impôt territorial, qui s’est ajouté à l’impôt de capitation (aujourd’hui supprimé) et à l’impôt sur le revenu, a nourri l’un des principaux reproches adressés au régime UDPM. 29. Entretien avec le secrétaire général de la Commune I, avril 1994. Grafigéo 1999-8 65 Décentralisation malienne institutionnel et n’est que « conduite année par année selon les possibilités financières du gouvernorat. Les communes n’ont pas vu d’améliorations financières sous la troisième république et se sont toujours débrouillées seules. Le problème a été évoqué par les maires en conseil de district et cela a suscité de multiples réticences : les textes législatifs n’ayant pas encore été modifiés, le gouvernorat se dit lié par les statuts juridiques et financiers du district. Des textes sont pourtant à l’étude pour apporter aux communes une dotation générale de fonctionnement sur le modèle français. Mais on est loin d’être fixé sur les modalités d’affectation de cette DGF, sur son taux, et si elle nous parviendra depuis l’État ou depuis les gouvernorats des régions. » Le fonctionnement de la taxe de développement local et régional (TDLR) est de plus défaillant alors qu’il devrait contribuer au budget d’investissement. « Dans les régions, la taxe est recouvrée par les communes et les cercles avec une clef de répartition financière entre la base, le niveau des cercles et communes, celui des régions30. Dans le cas du district de Bamako, depuis 1979, les communes ne bénéficient pas d’une telle grille alors que c’est le régisseur des recettes de la commune qui la perçoit et qui la transmet au gouvernorat. Mais au lieu de profiter au niveau régional (associations des parents d’élèves, salaires payés par la Direction régionale de la Coopération pour le fonctionnement des comités d’action coopérative), la taxe pourrait profiter aux mêmes associations qui sont représentées au niveau communal. » Enfin, les communes ne maîtrisent pas les conditions d’accès aux prêts bancaires ni les modalités selon lesquelles elles devront honorer leurs engagements. On comprend pourquoi le budget de 1992 de la Commune I reste ici comme ailleurs un budget de fonctionnement. Les salaires concentrent 41 % des prévisions et 45 % des dépenses engagées ; seuls les revenus des marchés dépassent les prévisions et assurent jusqu’à 37 % des recettes effectives. Mais « à Bamako, les recettes des patentes et licences et des vignettes sont pompées par le budget du gouvernorat de Bamako, alors que les communes de l’intérieur en bénéficient pleinement ». Du fait d’une telle insuffisance, le conseil municipal envisage donc d’ajouter aux budget de 1994 une taxe sur l’aliénation des biens du domaine. L’imputation n’apparaissait pas en 1992 car aucun lotissement à usage d’habitation n’était programmé. Les prévisions de 1994 affichent au contraire 11 millions de recettes extraordinaires qui contribuent à la hausse générale du budget. Il s’agit en effet de faire profiter le budget local des opérations domaniales. « Cette disposition particulière n’est pas prise à l’insu des autorités du district ; mais si les terrains que l’on est en train de mobiliser pour reloger les déguerpis des quartiers irréguliers de Bamako sont affectés aux communes, ils doivent être normalement pourvoyeurs de ressources. La preuve en est que la nomenclature Tableau 3 - Budget de la Commune I, 1992 Principaux postes budgétaires, 1992 Dépenses de personnel Dépenses de matériel Recettes taxes municipales Taxes fiscales non fonctionnelles Taxes sur prestations administratives Taxes sur services économiques* Prévisions Réalisations Taux de réalisation + 19 000 000 16 315 303 86 % Même ordre de grandeur 17 900 000 10 591 500 59 % 22 800 000 11 880 000 52 % 6 000 000 5 500 000 92 % 11 250 000 14 737 000 131 % * marchés et foires 30. Vue des régions, la réalité est plus confuse contrairement à ce qu’en dit le secrétaire général de la Commune I. Grafigéo 1999-8 66 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? budgétaire des communes prévoit une imputation pour cela dans le budget d’investissement. Le montant que l’on prélèvera dépendra des terrains. Pour l’instant, le conseil municipal n’a attribué de parcelles que pour le quartier de Djoumanzana. On prévoit ici de demander 50 000 francs aux déguerpis de l’ancien tissu irrégulier, pour le compte de la commune. Quant aux frais d’aménagement des nouveaux terrains, ils reviendront au district ou aux organisations de population si ce sont elles qui prennent en charge les travaux. Mais si les populations le peuvent, elles s’organiseront pour réduire les coûts. Des cas se sont déjà produits dans ce sens, mais de telles initiatives doivent s’inscrire dans les normes de la réhabilitation et de la légalité. » De la mobilisation des dépenses et des recettes extraordinaires dépend donc en grande partie la crédibilité de l’institution communale à l’égard de sa tutelle régionale et de sa base sociale. Comme on le verra dans la dernière partie du rapport, la gestion foncière de l’agglomération constitue l’enjeu central de cette redistribution des ressources urbaines. Du front des communes à l’émiettement des positions politiques : le risque d’une perte de cohérence Le statut particulier adopté en janvier 1996 pour Bamako est en retrait des attentes budgétaires et domaniales des maires. Malgré le dépôt d’une quinzaine d’amendements dont un seul est refusé, le projet que défend le ministre de l’Administration territoriale est accepté par 93 voix, sans refus ni abstention. Il s’agit de résoudre les problèmes institutionnels du district en lui conférant un « statut par dérogation à la loi qui régit le code des collectivités territoriales au Mali » (loi 95/034 du 12 avril 1995). Le poste de gouverneur du district disparaît ainsi que son rôle de président du conseil du district. Selon l’article 3 du nouveau texte « le district sera administré par un conseil de district qui élit en son sein un organe exécutif composé d’un président et de deux vice-présidents ». Ce sont donc les conseillers municipaux – chaque commune occupant une place au prorata de sa population – qui formeront un collège devant élire en son sein les trois membres du conseil exécutif. Les six communes de Bamako sont finalement mieux représentées dans la collectivité décentralisée, mais elles ne disposent toujours pas, à l’instar des autres communes urbaines, de domaine foncier propre ni du droit de lever impôts et taxes. Elles ne peuvent notamment pas procéder à des affectations ou à des retraits de terrains à bâtir. « Des textes d’accompagnement sont en cours d’élaboration afin de combler les lacunes » assure le ministre qui soulève ainsi plus de problèmes qu’il n’en résout. Le défaut de solidarité politique entre les communes et à l’intérieur des équipes municipales explique pour beaucoup que leurs revendications budgétaires et domaniales n’aient pas abouti. Certes le statut du nouveau maire de Bamako répond mieux que celui du gouverneur de district aux pressions municipales. Le texte finalement voté augure d’ailleurs de prochaines rivalités électorales et personnelles31. Mais d’importants points d’achoppement ne sont pas levés, et l’Association des maires du Mali a estimé ne pas être suffi- 31. Les maires se sont opposés à l’hypothèse de non éligibilité des maires de communes à la tête de Bamako. La loi de 1996 rend finalement possible leur candidature à condition que le nouvel élu démissionne ensuite de ses fonctions locales. Mais le nouveau statut de Bamako introduit une hypothèque sérieuse sur les pouvoirs des « maires de second rang ». Assisté d’un commissaire au gouvernement, un fonctionnaire nommé pour représenter l’État, le maire en chef de l’agglomération ne sera-t-il pas tenté de transformer les élus communaux en simples exécutants de sa politique ? Celle-ci ne risquera-t-elle pas de se trouver dénuée de contrepoids ? De nouvelles concurrences pourraient également pointer entre l’instance élue et la tutelle administrative du commissaire au gouvernement. L’utilisation des services déconcentrés de l’État conduit notamment à envisager de possibles conflits de compétences. Grafigéo 1999-8 67 Décentralisation malienne samment consultée dans le travail de décentralisation32. Bamako se fragmente en réalité depuis le régime précédent à tous les niveaux des quartiers et des communes. Le pluralisme politique de la troisième république n’a ni gommé le passif de concurrences internes aux municipalités, ni effacé les divisions propres à toute grande agglomération. Plus encore que d’autres collectivités, Bamako conduit à formuler de multiples réserves sur la personnalité géographique, plus encore la « culture territoriale », qu’engendrerait sans contradiction le rapport des électeurs à un espace de résidence, à supposer qu’il soit sédentaire et unique. 1. Les structures démographiques de Bamako font apparaître un dynamisme inégal : le centre d’origine colonial est particulièrement dense, saturé, chargé en ménages de vieux propriétaires et de jeunes locataires. Mais sa population commence à stagner et se redistribue vers les périphéries de l’agglomération. Celles-ci croissent encore vite, souvent sans équipements, sous l’impact de mouvements centrifuges depuis le centre de l’agglomération et de flux centripètes depuis l’intérieur du pays. 2. Les réserves foncières de l’agglomération apparaissent donc inégalement disponibles d’une commune à l’autre. L’urbanisation de la rive septentrionale butte sur l’imposante corniche qui marque la retombée du plateau mandingue sur la vallée du Niger. Celle-ci n’offre d’ouverture qu’en amont et en aval de l’agglomération (Communes I et IV), souvent au sortir des limites administratives du district. Le centre (commune III) se plaint quant à lui de l’absence de réserves foncières et donc du manque de perspectives financières corrélatives. L’urbanisation méridionale est au contraire plus récente. Elle croît fortement depuis les années soixante-dix du fait d’une topographie peu contraignante (Communes V et VI). Mais des extensions irrégulières très amples (Sabalibougou, Niamakoro) y témoignent de concurrences tendues dans les années 1980. Le domaine aéroportuaire de Sénou, le détournement de domaines agricoles au profit d’une élite citadine (Magnambougou) et l’implantation de lotissements haut de gamme (Faladiè, Baco Djikoroni, Kalaban Coura Sud) contribuent à faire barrage au front des citadins « indésirables ». La question foncière débouche donc sur celle des initiatives politiques et des marges de manoeuvre, plus ou moins durables, que se donnent les maires et leurs clientèles sous la troisième république. 3. Enfin, la vie politique elle-même apparaît inégalement tendue d’une commune à l’autre. Les collectivités locales sont diversement soutenues par leur tutelle administrative, et diversement stimulées par le renouveau de la compétition électorale dans la donne pluraliste. Les enjeux de la décentralisation sont donc différemment perçus dans l’agglomération. De l’avis du maire de la Commune V, c’est bien la « politisation des relations entre les communes et le gouvernorat (qui) bloque les perspectives d’un transfert de responsabilités au niveau local ». Le district est conduit à freiner le rythme des réformes et à en limiter l’ampleur. « Les premiers mandats de 1992 ont fait peur au pouvoir : en allant trop vite et trop loin dans la décentralisation, on courrait le risque que 32. A propos de la création de plus de 600 communes rurales, le président de l’Association des maires du Mali déplore que dépourvues de ressources, celles-ci ne déboucheront que sur « une forme nouvelle de taxation des populations. C’est l’échec assuré si l’État ne leur donne pas de dotation financière. Pourquoi une telle réforme alors que les communes qui existent déjà n’ont ellesmêmes pas de ressources ? Il aurait mieux fallu se concentrer sur les villes secondaires. Les cinq dernières communes érigées en 1992 ne sont d’ailleurs toujours pas opérationnelles. » (entretien avec le maire de la Commune III, août 1996) Grafigéo 1999-8 68 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? soit élu un maire CNID33, en tout cas non Adema, à la tête de la capitale. En engageant ensuite l’opération “Sauvons notre quartier”, le gouvernorat a fait encaisser aux maires le risque politique des casses (irréguliers déguerpis). Il s’est déchargé sur nous des problèmes de terrains. Dans le même temps, on ne nous donnait pas de prérogatives foncières, ni le droit de recouvrer la TDRL. Avec une dotation financière infime, de moins de 5 millions en Commune V, on avait bien la volonté de travailler mais pas de moyens pour cela. Maintenant tout le monde est exaspéré devant la lenteur du programme du gouvernorat. Les attentes se font de plus en plus pressantes jusqu’aux domiciles des maires. Les médias manquent aussi de partialité : j’ai demandé un débat à la télévision pour que les maires de Bamako s’expriment sur le bilan de ces deux années et sur les questions de décentralisation. Mais l’Office de la radio-télévision du Mali n’a pas voulu donner suite. Par contre l’émission “Devoir d’informer” a donné la parole aux représentants du quartier Sabalibougou sans faire entendre correctement, d’abord, la position de la mairie. »34 Conflits externes et internes aux communes, l’ensemble hypothèque la crédibilité des communes à l’égard de leur tutelle administrative. Les concertations régionales d’août 1994 donnent l’occasion de mesurer la fragmentation de l’expression citadine. Parmi trois types d’interventions, une part médiocre des discussions s’attache à la réforme administrative. La décentralisation et les statuts particuliers du district sont traités en termes souvent stéréotypés, alors que des points de friction concrets s’annoncent déjà entre les pouvoirs locaux et leur tutelle territoriale. Dans les débats de la Commune I, on estime que « la décentralisation imposera de nouvelles contraintes aux communes urbaines notamment celles de Bamako ». Pour ce qui est du paiement des taxes et des impôts, la motivation des populations s’impose, ici comme ailleurs. Les participants aux assises demandent surtout « que l’État assume pleinement son rôle tout en laissant un jeu franc en vue de répondre aux aspirations des peuples. » « En ce qui concerne la décentralisation, la commission de la Commune IV recommande la relecture du statut particulier du district pour mieux séparer les attributions du président du conseil de celles du représentant de l’État, ainsi que la redistribution des ressources budgétaires entre le district et les communes, le renforcement des pouvoirs des maires, notamment en matière domaniale. Le maire met l’accent sur la modicité de son budget communal, modicité « aggravée par l’incivisme notoire des contribuables depuis mars 1991 qui ne facilite par le recouvrement des taxes et impôts, principales ressources de la municipalité ». La Commune III rappelle également qu’elle fonctionne sur ses fonds propres avec quelques subventions provenant de l’État. Cette contribution étant insuffisante, le complément aurait dû provenir des taxes municipales. « Mais leur recouvrement auprès des contribuables constitue l’un des problèmes majeurs en raison du manquement des citoyens à leurs devoirs visà-vis de l’État. La quasi absence d’une conscience nationale et professionnelle hypothèque la mise en œuvre de la politique de développement communal. La persistance d’une fixation sur l’État-providence se concrétise par une fuite généralisée de responsabilité ». D’autres problèmes apparaissent bien communs à nombre de communes, mais les représentants municipaux restent sur leur quant-à-soi. La réhabilitation des quartiers irréguliers, le défaut d’infrastructures scolaires et l’insécurité urbaine occupent les plus longs développements. La commune I se présente ainsi comme l’une des plus vastes du district. « Elle comprend quatorze quartiers dont trois seulement sont lotis. Fortement enclavées, ces populations sont victimes du chômage et de la paupérisation endémiques ». Egalement périphérique, la Commune V annonce l’urgence de la réhabilitation. « Avec une population de 126 000 habitants dont près de la moitié vit dans des 33. Mouvement associé à l’Adema contre le régime UDPM et pour la transition démocratique. Le CNID donne ensuite naissance à un parti qui se trouve bien vite en concurrence et en opposition avec l’Adema-Pasj dans le premier quinquennat de la troisième république. Le boycott électoral auquel il souscrit en 1997 lui vaut d’être marginalisé sur la scène politique nationale et locale. 34. Entretien avec le maire de la Commune V, mai 1994. Grafigéo 1999-8 69 Décentralisation malienne zones d’occupation spontanée, de grands défis attendent les autorités, notamment la réhabilitation des quartiers irréguliers, l’aménagement des centres commerciaux dans la plupart des quartiers lotis, l’assainissement et l’aménagement des rues. » La Commune IV n’est pas en rade pour agiter ses « victimes ». « Sur le plan social, il faut souligner le caractère très cosmopolite de cette population qui a favorisé l’éclosion de plusieurs quartiers spontanés avec son cortège de faibles revenus de la grande majorité de la population, de chômage des jeunes, de masse croissante des travailleurs saisonniers, d’absence d’éclairage public, d’insuffisance des effectifs et postes de police, et du développement du banditisme et de la délinquance. » En Commune VI enfin, « trois quartiers seulement sont entièrement lotis ; les autres, constituées généralement d’anciens villages, présentent un réel besoin de viabilisation ». Sur le plan scolaire, la Commune I se montre « confrontée à plusieurs obstacles liés aux infrastructures, aux effectifs pléthoriques. Ces difficultés sont accentuées par l’insuffisance du personnel enseignant, de matériel didactique et des équipements pédagogiques. » Outre la vétusté des classes, il est déploré en Commune III « la pléthore des effectifs qui constitue le lot commun de tous les établissements de la circonscription ». Le maire de la Commune IV fait remarquer que sa municipalité est « l’une de celles qui a le plus souffert des “casses” qui ont accompagné la crise scolaire. Débrayages et grèves, en passant par le boycottage des cours, ont émaillé l’année scolaire. Et le maire de citer les cas de violence commis dans sa circonscription en 1993 : mairie incendiée, coopérative Jamana et subdivision de l’EDM détruites, tribunal ainsi que bien d’autres patrimoines publics et privés saccagés. Le 15 février dernier, la violence avait atteint le domicile du maire, une clinique, les centres secondaires de Lafiabougou et Djicoroni. » « Côté insécurité, le banditisme frappe de plein fouet la Commune I, comme en témoignent les agressions et pillages ainsi que des homicides qui y sont perpétrés continuellement malgré l’existence d’un commissariat de police. » Détaillant les dangers de l’insécurité, le maire de la Commune IV recense 614 vols déclarés et commis de janvier 1992 à juin 1994 ; ont été enregistrés également 7 cas de viols, 21 cas d’assassinats, d’infanticides et d’abandons d’enfants, et 22 cas de saisie de drogue. S’agissant de l’insécurité, la Commune II n’est plus en rade : « il serait souhaitable que le commissariat de police du 3ème arrondissement qui comprend un agent pour plus de 270 habitants soit équipé de trois véhicules et renforcé en personnel. » Les questions les plus spécifiques ne sont enfin abordées que de manière ponctuelle. La Commune II signale « l’inexistence de locaux pour la mairie qui occupe un bâtiment appartenant à la Régie des chemins de fer. Ses archives et documents ont été saccagés lors des événements de mars 1991 et février 1994 ». La Commune III « déplore l’inexistence de maternité dans cette circonscription. » Quant à la Commune IV, elle demande une fois de plus la révision de ses limites avec la Commune III, « en tenant compte de la frontière naturelle que constitue la rivière Farako, et de la nécessité d’intégrer certains villages périphériques ».35 Des divergences bien concrètes apparaissent pourtant tout au long du premier quinquennat dans les conflits que des maires engagent en propre avec le gouvernorat sans toujours bénéficier de la solidarité de leurs homologues. Les deux exemples suivants impliquent la gestion des recettes fiscales. Le premier concerne le règlement des dépenses courantes de consommation électrique en Commune II. Au milieu de l’année 1993, les délestages se multiplient dans l’éclairage public et l’on reparle après bien des précédents de la « quadrature financière du cercle District-Energie du Mali ». Le conflit prend toutefois une tournure inédite quand la mairie de la Commune II, qui pâtit le plus de la situation, se déclare prête à payer elle-même son éclairage public. Quitte sans soute à se rattraper sur les fonds de la TDRL qu’elle se doit de reverser au gouvernorat, et dont elle définirait ellemême mieux la gestion. Les « éclairages divergent » en réalité entre le district et la Commune II, à propos de multiples impayés d’électricité. La proposition 35. Entretien avec le maire de la Commune V, mai 1994. Grafigéo 1999-8 70 Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ? faite par les élus locaux déplaît aux autorités du district : pas question de gérer des fonds propres alors que la décentralisation n’est pas encore effective. La commune ne parvient même pas à payer le salaire de ses employés. Mais le maire persiste et signe, estimant que sa circonscription a les moyens de supporter les factures de l’éclairage public sans passer par le gouvernorat, comme elle l’a déjà fait pour d’autres réalisations : en une année de mandat, son équipe a assuré l’électrification de la rue 44 au Carré des martyrs (Niaréla), installé des bornes-fontaines dans le quartier Hippodrome, obtenu un moratoire de la Société des Télécommunications du Mali pour le règlement des arriérés municipaux de téléphone (1,7 million), et payé son personnel pendant 8 mois (10,6 millions par mois). Or le district n’est pas non plus capable d’indiquer le montant exact de la consommation en électricité des différentes communes. En réglant ses propres factures, la mairie pourrait ainsi « gérer un territoire foncier et non plus un territoire administratif soumis à la gestion du district ». Pour le maire, nul doute : la loi n°93/008 du 11 février 1993 consacre bien la décentralisation de Bamako et « donne le droit aux collectivités territoriales de gérer leur domaine privé. La loi exprime l’autonomie des communes qui cesseront de ne subsister que sur les taxes indirectes alors que les taxes directes tombent dans les caisses du Trésor public. Mieux, la mairie pourrait vendre des terrains sur son territoire et réunir une somme convenable qui, ajoutée aux éventuels prêts qui seront contractés auprès des banques, permettrait de régler les arriérés dus à l’Énergie du Mali, voire de financer d’autres projets du district. » Une fois de plus le secrétaire général du district répond que si la promulgation de la loi sur la libre administration des collectivités territoriales est une réalité, les dispositions particulières concernant le district n’ont pas encore été adoptées. Les mairies n’ont donc pas encore le droit de gérer les problèmes fonciers de leur circonscription et ne peuvent compter absolument sur des subventions en provenance du district. Les maires doivent attendre que les anciens textes municipaux soient abrogés avant d’opérer librement dans tous les domaines sur leur territoire. L’administrateur se montre surtout sceptique quant à la capacité de la Commune II de régler ses factures d’électricité. En 1992 et 1993, la tutelle administrative a versé des subventions à la mairie pour lui permettre de payer ses employés ; les budgets communaux ne sont donc pas encore opérationnels. Enfin les factures d’électricité du district sont globales et non fractionnées par quartier, comme le réclame d’ailleurs le gouvernorat. La rationalisation de la taxation des marchés met ensuite aux prises le maire de la Commune III et le gouverneur. En août 1996, la rénovation du marché Dibida suscite un véritable bras de fer entre la Commune III et l’Association des commerçants détaillants des marchés du Dibida (ADD). Celle-ci s’oppose à l’évacuation totale des lieux. Le problème n’est local qu’en apparence, car un financement de la Banque mondiale est engagé dans l’affaire et le gouverneur conteste en public la démarche du maire. Depuis 1992, prétextant un aménagement insuffisant du marché, les commerçants sont réticents à s’acquitter des taxes qui incombent désormais au budget communal. Leur déguerpissement manu militari a lieu finalement dans la nuit du samedi 24 août 1996. Le maire est en effet pressé d’achever les travaux que bloque « le comportement négatif de certains », sous peine de perdre le financement extérieur de la rénovation et les ressources en jeu dans la gestion d’une importante zone commerciale. Son argument est constant à l’intention des autres municipalités : « la Commune III est centrale dans l’agglomération ; moi je n’ai pas de terrains à vendre donc pas de recettes foncières, contrairement aux collègues qui s’empressent d’attribuer leurs réserves ». L’affaire du marché fait écho à la façon dont commune par commune sont encadrés les petits vendeurs. Un autre rapport de force vient par exemple de s’engager entre le gouvernorat et le maire de la Commune II. Au nom d’une « politique locale de promotion de l’emploi », celui-ci a laissé s’implanter de nouveaux commerces informels sur la voie publique36. Jouant au contraire la carte de la normalisation, le maire de la Commune III 36. La presse souligne à cette occasion un « net distinguo entre les motivations du responsable de la régulation de la circulation de Bamako et celles du maire de la Commune II. Le premier a des impératifs de service public tandis que l’élu cherche à renflouer ses caisses. Le terrain semble lui donner raison car la mairie a installé des petits commerçants un peu n’importe comment sur des places publiques et maintenant le long des rails. Ni la gêne occasionnée, ni la sécurité et encore moins la salubrité ne semblent être prises en compte. Mais le plus surprenant c’est que la mairie s’étonne lorsque ses “contribuables” se font expulser de ces emplacements où ils n’ont rien à faire. Mais pour lesquels, il est vrai, ils ont payé. » (L’Aurore, août 1996). Grafigéo 1999-8 71 Décentralisation malienne poursuit : « Mon budget ne fait même pas 100 millions de francs alors que nous avons l’occasion de faire sur le marché Dibida un investissement de 200 millions. Mais pour cela les bailleurs de fonds ont des exigences, nous devons travailler dans les délais avec un financement mobilisé par l’AGETIPE. » Une commission de réaménagement du site et de recasement des déguerpis est donc mise en place par les commune. Mais le recensement des commerçants concernés suscite des débats houleux jusqu’au conseil du district : la campagne électorale s’annonce pour l’année suivante, des accusations mutuelles et de fortes oppositions de personnes pointent. On découvre que les commerçants ne parlent pas d’une voix, mais qu’en réalité deux associations se font concurrence pour représenter les demandeurs de kiosques provisoires. L’une est l’interlocutrice privilégiée de la mairie ; l’autre cherche un nouvel interlocuteur jusqu’au niveau de la présidence et des services du Premier Ministre, accusant la commune « d’attaquer les pauvres pour satisfaire les riches ». Selon le gouverneur du district, « le réaménagement du Dibida n’aurait pas soulevé autant de problèmes si le maire avait mieux véhiculé l’information à destination des occupants des lieux ». Les divergences internes aux équipes municipales ressortent enfin des conseils du district et des communes qui rassemblent les élus de différents partis. Après avoir évoqué de difficiles relations politiques entre communes et district, le maire de la Commune V enchaîne sur les facteurs de blocage au sein de sa propre municipalité. « L’opposition communale Adema met des bâtons dans les roues des maires qui sont de l’opposition nationale en refusant de voter certaines résolutions du conseil municipal. De plus les associations de quartier héritent des clans UDPM. Les tendances de l’ancien parti unique continuent de vivre à travers les prises de position virulentes de leurs anciens représentants. Ce sont les maires qui n’avaient pas de passé politique sous le régime UDPM, qui n’étaient pas liés par d’anciennes rivalités de personnes ou de clans, qui sont montés les premiers sur le créneau des déguerpissements, comme en Communes I et V. Mais aujourd’hui ces maires sont empêchés par leur propre équipe de retirer un quelconque bénéfice politique de leur gestion, alors qu’ils ne touchent que 15 000 francs CFA d’indemnités mensuelles et qu’ils sont submergés à domicile de doléances personnelles. On craint surtout des mesures trop tardives de décentralisation. Elle ne laisseront pas le temps aux responsables du premier mandat communal de mettre en œuvre leurs ambitions. »37 Au total, le contexte politique et social de sensibilisation à la décentralisation montre des problèmes différenciés en milieu urbain et en milieu rural. Le premier vit déjà les faiblesses juridiques, domaniales et budgétaires des structures communales ; le second perçoit le découpage territorial comme une innovation importante mais incertaine. Autant que le clivage géographique entre le Nord « déficitaire » et le Sud « volontaire », l’opposition des ruraux et des citadins ressort fortement des préparatifs de la réforme : les campagnes affichent leurs inquiétudes et leur souci d’une évolution mesurée et progressive ; les villes semblent au contraire vouloir forcer le cours des choses et anticiper sur des textes qui tardent à être promulgués. Mais dans les deux cas, la question foncière, rurale et urbaine, est bien au cœur de la refonte communale. Soit parce que l’accès au sol conditionne la mobilisation productive des collectifs paysans ; soit parce que le marché des terrains à bâtir constitue un enjeu majeur de redistribution fiscale. Les collectivités décentralisées en gestation manquent encore de bases territoriales, et la gestion du sol apparaît finalement comme le meilleur analyseur de la transition qui se joue au cours des années quatre-vingt-dix. 37. Entretien avec le maire de la Commune V, mai 1994. Grafigéo 1999-8 72 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier Chapitre 3 • Anticiper sur les réformes : la gestion communale à l’épreuve du marché foncier bamakois C ’EST EN EFFET le contrôle des terrains à bâtir qui donne la meilleure mesure des difficultés du transfert de responsabilités et de ressources à l’échelon communal. Dès mai 1992, le conseil des ministres adopte un projet d’ordonnance portant modification du Code domanial et foncier de 1986. « Ce projet s’inscrit dans le cadre des actions initiées sous la Transition pour améliorer la qualité des prestations rendues aux usagers. Il s’agit de décharger le conseil des ministres des nombreux dossiers domaniaux au profit des chefs de circonscriptions administratives, à l’exception du gouverneur du district qui gère le domaine privé de sa collectivité. Cette approche favorisera le développement de l’immobilier et la mise en valeur des terres à travers tout le pays. » Mais d’autres dispositions administratives entrent en contradiction avec la rétention des prérogatives domaniales au niveau du district. Dès l’année 1993, celui-ci cesse de centraliser les demandes de parcelles à usage d’habitation et en reporte l’enregistrement au niveau des communes. Celles-ci se voient transmettre non seulement les demandes non encore satisfaites, jusque-là stockées par les services domaniaux du gouvernorat1, mais aussi les nouvelles demandes que le contexte de libéralisation politique a multipliées. Un an après ce transfert, la Commune III estime en avoir reçu 2 800 accompagnées d’un réel malentendu : la nouvelle circule parmi les Bamakois que le district a mis des parcelles à disposition des communes. Les communes en profitent donc pour instaurer chacune leur propre taxation du dépôt d’une demande. La Commune IV prélève ainsi 400 francs CFA sur les nouveaux formulaires que la mairie établit pour la circonstance ; elle exige également que soit versée la taxe municipale (500 francs annuels, un impôt local particulièrement mal recouvré) pour les trois dernières années, ainsi que la TDLR de l’année en cours (3 000 francs). Il s’agit bien de compenser le fait que les communes bamakoises ne sont pas habilitées à recevoir des bénéficiaires des lotissements administratifs la taxe d’édilité de 1. Le Centre des domaines du district qui gère les lotissements administratifs estime à plus de 25 000 les demandes en attente depuis la seconde république. Grafigéo 1999-8 73 Décentralisation malienne 101 000 francs CFA qui leur est exigée au moment des attributions domaniales. Celle-ci revient intégralement au gouvernorat du district et échappe une fois de plus aux budgets locaux. La mairie de la Commune IV est pourtant allée jusqu’à envisager, à l’encontre de la législation nationale, d’improviser pour son propre compte une taxe municipale de 2 500 à 5 000 francs CFA sur les parcelles dont elle désignerait les attributaires. Dans ce contexte, les maires ne manquent pas de soulever une importante contradiction de leur tutelle : le district continue d’attribuer des terrains tout en arguant auprès des communes que les réserves de l’agglomération sont épuisées, ce qui ne permet pas de leur en laisser la libre disposition. « L’équipe nationale de football vient de se voir attribuer gratuitement des lots pour avoir été qualifiée pour la coupe d’Afrique des nations de 1994. D’où viennent ces parcelles alors que les communes demandent à en distribuer à leurs administrés sans en recevoir ? »2 Les communes de Bamako connaissent sur ce point un fonctionnement bien différent de leurs homologues des villes secondaires du Mali (Bertrand, 1994). Mais une opération d’urbanisme d’envergure justifie, à partir de 1993, l’implication croissante des communes dans les affaires domaniales : mandat est alors donné aux maires, par le premier gouverneur de la troisième république et par le conseil des ministres, de contrôler sur le terrain la réhabilitation des quartiers irréguliers. L’intervention des élus concernera même les zones de recasement qui devront accueillir les victimes des démolitions opérées pour désenclaver et régulariser les zones non loties. Nommé « Sauvons notre quartier », ce programme spécial fait l’objet d’importantes négociations gouvernementales car il s’agit bien de court-circuiter la procédure classique d’approbation des lotissements au niveau des ministères techniques et financiers. Aux communes revient la charge de désigner parmi leurs administrés ceux qui ont subi des « casses » et qui ont droit aux parcelles de recasement. L’opération se transforme bientôt en une véritable course de vitesse, car le « redressement » d’anciens quartiers spontanés donne aux maires l’occasion d’imposer leurs revendications sur la scène urbaine. Alors que la maîtrise d’ouvrage de l’opération reste au district (le gouvernorat et la Direction régionale de l’Urbanisme et de la Construction), bien des communes tentent de se substituer à leur tutelle administrative pour aménager les quartiers irréguliers et viabiliser les zones de recasement : comment contacter « d’en bas » d’éventuels bailleurs de fonds ? Puisque le recouvrement des coûts des parcelles sécurisées ou nouvellement attribuées dans la procédure de recasement incombe toujours au Centre des domaines du district, les communes cherchent à retirer le crédit politique de l’opération et à prendre ainsi de court les lenteurs juridiques de la décentralisation. Ce véritable banc d’essai de la gestion décentralisée augure cependant mal d’une cohésion d’ensemble tant il légitime une marqueterie d’initiatives infracommunales. « Sauvons notre quartier » inaugure de plus une série de pratiques d’attribution foncière plus ou moins officialisées par les communes. Bamako rejoint alors la gestion de fait que les autres communes urbaines du Mali mettent en œuvre depuis plus longtemps. Ce dernier paradoxe institutionnel et surtout politique n’est pas des moindres : les communes constituent l’argument principal de l’expérience malienne de décentralisation ; mais leurs ambitions en matière de gestion urbaine entrent en concurrence avec les prérogatives monopolistes de l’Agence de cession immobilière (ACI). Car celle-ci est l’une des deux agences d’exécution du troisième Projet urbain du 2. Entretien avec le maire de la Commune III, avril 1994. Grafigéo 1999-8 74 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier Mali qui aligne ses crédits aussi sur l’impératif de décentralisation. Alors que les communes relèvent de la tutelle du ministère de l’Administration territoriale, l’ACI, promue par les conditionnalités financières de la Banque mondiale, s’adosse au ministère des Finances dont la Direction des Impôts a en charge la révision de la législation foncière. CONCURRENCES ET FRICTIONS DOMANIALES AU SEIN DU DISTRICT DE BAMAKO L’ancien domaine aéroportuaire de Bamako-Hamdallaye : réserve convoitée, espace disputé Avec le déplacement de l’aéroport de Bamako au sud de l’agglomération (Sénou), la « zone ASECNA » constitue depuis les années soixante-dix une importante réserve foncière de plus de 556 hectares. Elle présente surtout l’avantage d’être située à cheval sur les Communes III et IV dans le prolongement direct du centre-ville. Depuis 1993, elle est également desservie par les échangeurs du deuxième pont de Bamako. La réserve stimule en réalité des appétits anciens, bien que gelés par le monopole domanial de l’État sous la seconde république. Une fois libérée par l’aviation nationale, son devenir se dessine mal du fait de fortes concurrences administratives en haut lieu. Quelques morcellements au compte-gouttes témoignent alors de pratiques foncières clientélistes menées au sommet de l’État. Le domaine aéroportuaire figure dans les registres de gestion des titres fonciers définitifs sous les numéros 1 071 et 1 339. Il est immatriculé au nom de la France en 1946, puis il apparaît amputé, depuis 1973, d’une série de lots de 3 à plus de 12 hectares chacun. Ces affectations domaniales se justifient par les besoins immobiliers de certains ministères, mais servant surtout les intérêts privés de commerçants, d’entrepreneurs ou de cadres de l’État. La donne institutionnelle de 1992 renouvelle la concurrence autour de l’appropriation de la zone avec l’entrée en scène de l’ACI. A l’initiative du district de Bamako, celle-ci commercialise en un temps record deux importants lotissements à usage d’habitation en périphérie de la Commune V (Baco Djikoroni et une partie de Kalaban Coura Sud). Or ces ventes diffèrent sensiblement des anciennes attributions administratives : elles sont d’abord menées aux enchères ce qui conduit à des prix qui doublent, triplent ou plus les montants versés au gouvernorat de Bamako dans le cadre des lotissements publics classiques. Les ventes sont de plus assorties de la délivrance d’un titre foncier définitif. Elles ne se confondent donc pas avec la simple lettre d’attribution qui est censée évoluer en permis d’habiter dans le régime de la concession domaniale précaire. Une fois ces premières interventions rodées, l’ACI s’appuie sur sa tutelle ministérielle pour faire admettre au niveau central qu’elle est seule habilitée à morceler, viabiliser et commercialiser le vaste titre foncier occidental dans une nouvelle opération qu’elle baptise « ACI 2 000 » dès 1995. Au nom de la « transparence du marché » et de la « réplicabilité » financière qu’elle a vocation à assurer à l’encontre des pratiques clientélistes du passé, l’agence du Projet urbain se porte garante d’une récupération rapide des coûts fonciers auprès de la clientèle hautement solvable qu’elle a su mobiliser dans l’agglomération. Ce faisant, elle oriente la valorisation de cette réserve convoitée dans un sens sélectif et d’initiative internationale qui choque les urbanistes maliens. Après une offensive bureaucratique au début des années quatre-vingt3, ceux-ci apparaissent marginalisés dans la mise en œuvre concrète de la planification urbaine. Faute de moyens adéquats, les objectifs d’une politique nationale d’habitat pour le plus grand nombre sont 3. Loi 82-122 portant viabilisation préalable des zones de lotissement. Grafigéo 1999-8 75 Décentralisation malienne apparus souvent bafoués. Mais les initiatives de l’ACI concurrencent les dossiers techniques et financiers soumis en quelques mois au ministère des Travaux Publics pour examen en conseil des ministres : alors que la cellule technique du district de Bamako a déjà produit un premier schéma d’aménagement de l’ancienne zone aéroportuaire, les techniciens de la Direction nationale de l’urbanisme et de la Construction en élaborent un second en 1993 qu’ils adressent à la Direction nationale des Impôts pour relecture et transmission au niveau gouvernemental. Le dossier est finalement court-circuité par un troisième schéma qu’un bureau d’études marocain a réalisé succinctement pour le compte de l’ACI. Les trois ministères de l’Administration territoriale, de l’Équipement et de l’Urbanisme, et des Finances sont donc sollicités dans ce jeu de pressions qui ne déroge pas aux habitudes prises sous le régime UDPM. Le troisième étant par ailleurs le mieux représenté dans les « clans politiques » de l’ADEMA-PASJ4, la gestion du domaine revient définitivement à l’ACI à la fin de 19945. Les ventes commencent en octobre 1995 avec une première tranche de plus de 1 100 parcelles. Or l’aménagement des terrains (électrification, adduction d’eau, voirie) n’est pas encore achevé. En juillet 1996, 700 parcelles sont déjà vendues et battent tous les records de prix. L’affaire en serait restée à ces convoitises en haut lieu de l’État si l’annonce de la décentralisation, les élections municipales de 1992 et l’opération « Sauvons notre quartier » n’avaient pas entraîné la Commune IV et ses populations dans le jeu des pressions sociales et administratives6. La circonscription dispose en effet de la plus vaste ouverture sur l’ancien domaine aéroportuaire, et assiste depuis plusieurs décennies à son grignotage au profit de ceux qu’elle qualifie de nantis. Or l’ouest de Bamako se compose en partie de quartiers irréguliers ; le manque de solvabilité des habitants et le manque de parcelles offertes en attributions administratives les ont conduits à s’installer dans les espaces non lotis de la vallée du Niger. Djikoroni compte ainsi cinq secteurs irréguliers. Pendant plus de quatre ans, la Commune IV incarne alors deux stéréotypes contraires attachés aux collectivités locales maliennes : d’une part 4. Les directeurs successifs de l’ACI sont représentés dans le « clan CMDT » qui se montre influent au niveau central de l’État. On explique également le fait que le titre foncier de la zone ASECNA a été diligemment affecté à la gestion de l’agence parce que son premier directeur est devenu ministre des Finances sous la troisième république. 5. Décret 94-233 du 12 juillet 1994. Le plan de morcellement prévoit de diviser les 543 hectares du terrain en six zones : habitat, cité administrative, équipements, espaces verts, commerces et « péricentre ». Les premières parcelles vendues, classsées en « habitat économique », ont les mises à prix les moins élevées : 2,4 millions, c’était le prix final, après enchères, des parcelles vendues par l’ACI deux ans plus tôt dans les meilleurs emplacements de Baco Djikoroni ! On envisage ensuite des mises à prix de 5 à 7 millions pour les vastes parcelles de « l’habitat résidentiel ». Dans le même temps, les derniers lots attribués par le gouvernorat de Bamako au sud de l’agglomération ne dépassent pas 351 000 francs CFA. Pour les justifications de cette inflation des coûts d’accès au sol, voir Bertrand, 1997. 6. Le maire de la Commune III exprime à propos de l’ACI un avis généralement partagé par les élus : « On aurait pu tout aussi bien placer l’aménagement de l’ancienne zone aéroportuaire sous la responsabilité des techniciens maliens. Pourquoi payer des bureaux d’études étrangers plus chers ? L’ACI ressemble à un État dans l’État de par le soutien que lui donne le ministère des Finances. Mais elle ne résoudra pas le problème du logement des sans abris. Il reviendra bien aux communes de sélectionner leurs propres demandeurs à l’issue des déguerpissements. Sur quels critères ? La commune ne peut que proposer mais doit soumettre ses listes au district qui les valide à la condition que les personnes proposées ne soient pas déjà détentrices d’une autre concession à Bamako. Nous avons alors demandé que la liste des personnes disposant déjà d’un terrain nous soit d’abord envoyée. Depuis six mois que la demande a été faite au gouvernorat, rien ne nous est parvenu. Il y a une autre contradiction : nous devons sélectionner nos administrés en fonction d’une règle de non cumul, mais l’ACI elle-même encourage les cumuls de titres fonciers qu’elle vend à des coûts très élevés. » (avril 1994). A l’ancienne critique du monopole domanial de l’État succède donc celle du « deux poids, deux mesures ». Grafigéo 1999-8 76 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier la résistance à la « cannibalisation foncière » dont les promoteurs exclurait d’en haut les citadins de base ; d’autre part le clientélisme et les irrégularités dont les maires seraient les initiateurs privilégiés à l’encontre des règles du marché et de l’urbanisme. « Bras de fer », « guerre des piquets et des pierres », les titres de la presse scandent les relations difficiles entre les quartiers, la municipalité, l’ACI et le district de Bamako. Dès la Transition démocratique, de nouvelles affectations foncières sont menées directement par les autorités nationales sur le terrain, et donnent le sentiment qu’une distribution est en train de s’amorcer qui ne dit pas son nom. La coordination des partis politiques du quartier de Djikoroni Para tente alors de prendre les devants de l’aménagement du site en numérotant le bâti irrégulier à casser ou à préserver sur le tracé de futures voies élargies, et en bornant de piquets les parcelles de recasement prélevées sur le titre foncier de l’ancien aérodrome. La « base » semble alors déterminée à oeuvrer pour une régularisation foncière que les élus locaux du régime UDPM avaient bloquée dans un climat de factions électorales. Les initiatives de la coordination démocratique sont donc bien entamées lorsque se met en place la nouvelle équipe municipale et que s’annonce le Programme spécial de réhabilitation qui concerne tous les quartiers irréguliers de la capitale. Le travail de terrain s’interrompt par deux fois à Djikoroni-Para et Djikoroni-Djénékabougou en 1993 : des associations de jeunes et de déguerpis contestent en série le recensement des ayants droits au recasement, car il ne déroge pas, semble-t-il, aux « tares de la coloration familiale, politique et clanique ». Une pléthore de représentants locaux, qui incarneraient la « participation de la société civile » dans bien des discours internationaux, dénoncent les « copinages et la corruption » qui entachent l’idée d’une mobilisation décentralisée. Le gouvernorat est même sollicité Grafigéo 1999-8 pour arrêter les travaux de construction que des commissions de quartier ont autorisés après avoir attribué des parcelles de recasement. On a en effet sélectionné quelques clients particulièrement solvables à défaut d’être puisés dans les listes de déguerpis. A Djénékabougou, par exemple, trois commissions de suivi se succèdent de la deuxième à la troisième république, chacune s’opposant au travail de la précédente sur fond de détournements financiers puis d’oppositions municipales. Avant même que le programme d’envergure de « Sauvons notre quartier » ne soit officiellement lancé, le manque de confiance locale est patent dans ces opérations de sécurisation foncière. La « bagarre » est ensuite relayée par l’intervention du maire dès qu’est pressentie celle de l’ACI en 1994. Le premier convoque une série de réunions au gouvernorat pour faire entendre les besoins de sa commune : il s’agit d’abord de reprendre et d’étendre les recasements dans la perspective du programme de réhabilitation généralisé, mais aussi de tenir de nouvelles promesses d’attributions aux administrés locaux. La municipalité exige donc une rapidité et une simplicité d’exécution sur « la réserve de la circonscription » : affectation immédiate de 70 hectares prélevés sur le titre foncier au titre de la commune, aménagement du terrain réduit au piquetage des lots. Quant à l’ACI, elle se dispense d’entendre les revendications municipales et manœuvre en coulisse pour obtenir la gestion intégrale du domaine au profit des « clientèles de tout le district ». A l’argument de la territorialité communale répond donc celui d’une viabilisation de haut niveau dont seule l’agence à les moyens. Le maire menace de « faire sortir les jeunes de sa circonscription pour casser les aménagements de l’ACI », mais son propre domicile est agressé dans la même période par des élèves en grève. S’il plaide pour « régler les problèmes sociaux de la base », son homologue de la Commune I, luimême en charge de nombreux quartiers 77 Décentralisation malienne irréguliers, est conduit à collaborer avec l’ACI dans ses propres zones de recasement. Le gouvernorat ne manque pas de relever ces contradictions en chaîne : comment promouvoir la décentralisation si les ambitions locales riment avec pagaille ? En effet, la tutelle administrative ne se prononce pas clairement sur la légitimité des prétentions foncières de la Commune IV. Certes le maître d’ouvrage du programme « Sauvons notre quartier » est tenté de les justifier car la réhabilitation des quartiers irréguliers ne peut aboutir sans les terrains de recasement qu’il faut bien mobiliser ça et là pour le compte des communes. Mais c’est encore le gouvernorat qui négocie pour le compte d’une autre commune un véritable accord de gestion foncière avec l’ACI. Ces relations tripartites entre les communes, le district et l’ACI apparaissent dans un cas mauvaises et dans l’autre arrangeantes. La porte est alors ouverte à l’interprétation politique du contentieux entre le maire de la Commune IV, seul élu AdemaPasj parmi les maires de Bamako, et la direction de l’ACI : le premier incarnerait une tendance populiste du parti majoritaire, tandis que la seconde en représenterait les intérêts libéraux et élitistes. En réalité, les difficultés rencontrées avec les communes viennent du fait qu’elles pensent que le sol de leurs circonscriptions est de leur ressort, idée que la décentralisation en cours est loin de concrétiser dans le district de Bamako. L’ancien aérodrome est en réalité à cheval sur les Communes III et IV. Celle-ci n’a pas attendu la procédure juridique de désaffectation du titre foncier au nom de l’État, puis de sa réaffectation au nom de la collectivité territoriale de tutelle. Cafouillages techniques et anticipations politiques jettent le discrédit sur les perspectives de décentralisation. L’ACI s’est pourtant retrouvée le bouc émissaire des populations victimes de casses auxquelles l’opération « Sauvons notre quartier » promettait des parcelles de recasement. Le rapport technique du lotissement ACI 2 000 n’affectait en effet à Grafigéo 1999-8 cette finalité qu’une vingtaine d’hectares à la Commune IV. Celle-ci resta sur ses positions en en exigeant jusqu’à 70. 17 hectares ayant déjà été attribués en 1996, le ministère des Finances demanda donc à l’ACI qu’elle cède les trois hectares restants. Mais la mairie procéda à de nouveaux morcellements avec sa propre équipe de topographes, initiant alors un véritable jeu de cache-cache : alors que l’équipe locale continuait de nuit à piqueter, l’ACI enlevait les bornes le jour et effectuait ses ventes en priorité dans la zone méridionale d’ACI 2 000 pour encercler le terrain convoité par la municipalité. La fin de l’année 1996 conduit à un dernier avatar de l’affaire. Une intervention directe du gouverneur, après qu’il n’ait guère affiché de solidarité avec la commune relevant de sa juridiction, complique encore l’imbroglio foncier de l’ancien aéroport. Par décision du 18 mars 1996, les responsables du district avaient en effet procédé à l’attribution de près de 1 800 parcelles sur le site de l’ACI. La contradiction était sérieuse car le gouvernorat, deuxième actionnaire de l’agence, ne devrait pas ignorer qu’elle était directement mandatée par l’État pour diriger le plan d’urbanisme sectoriel de l’ancien aéroport. Ces attributions domaniales ont de plus continué jusqu’en janvier 1997, alors que le ministre de l’Administration territoriale avait déjà invité tout gouverneur, maire, commandant de cercle et chef d’arrondissement à « surseoir aux attributions de terrain jusqu’à nouvel ordre ». Conduit à intercéder entre l’ACI et la Commune IV, le gouverneur ordonna enfin la destruction des chantiers amorcés par des « recasés » de Djikoroni-Para au-delà de la zone de 20 hectares concédée à la municipalité. Il dépêcha ses bulldozers sur le terrain contre ceux qu’il qualifiait de pirates, et l’intervention tourna en nouvel affrontement. Ce revirement de l’autorité de tutelle à l’égard des initiatives locales n’a d’ailleurs pas empêché l’ACI de déposer une plainte contre les propres empiéte78 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier ments du gouvernorat. De multiples enjeux s’expriment donc au fil de ces jeux d’influences souvent confus. Les intérêts financiers de telles offensives communales ne sont pas négligeables, comme l’ont démontré d’autres initiatives de la Commune IV dès les premiers temps de la Transition démocratique. La gestion des marchés de la circonscription avait alors fait l’objet de réelles convoitises que finit par contester l’administration de tutelle. Ici s’explique le bénéfice des comptes budgétaires communaux de 1992 et l’exception que représente alors l’ouest de l’agglomération. Rappelons que des aliénations domaniales à hauteur de 30 millions de francs CFA ont permis de réaliser les recettes extraordinaires de la Commune IV bien au-delà des prévisions (dix millions) et de compenser largement le déficit du médiocre budget de fonctionnement courant. Il s’agit bien d’une gestion foncière, ce dont la commune n’a pas, en principe, la compétence. Les marchés des quartiers Lafiabougou et Hamdallaye se sont en effet couverts de solides constructions à usage commercial dès les premiers mois de 1992. Les nouveaux responsables locaux ont assumé le bénéfice de la vente de parcelles en arguant du fait que la taxation des marchés incombe aux communes depuis les statuts du district de 1979. On confond donc à bon compte la perception de recettes fiscales et l’aliénation du domaine affecté à l’activité commerciale. En réalité, la Commune IV a commencé à vendre des terrains aux commerçants depuis 1988, selon une formule de bail avec promesse de vente. Prévaut alors un climat de gestion financière et de sélection clientéliste peu clair7. Après le changement politique de 1991, le nouveau budget local programma de recouvrir les arriérés des commerçants ce qui fit tripler les recettes extraor- dinaires. Les intéressés voyaient dans le nouveau contexte la perspective d’un investissement public significatif dans les zones de marchés, qui libérait du coup leurs propres investissements privés. Mais la nouvelle équipe municipale de 1992 dut revenir sur la décision de vendre les domaines commerciaux de façon à en conserver la gestion au sein de sa circonscription. Une nouvelle formule d’exploitation fut introduite dans les budgets suivants. Au terme d’un délai de cinquante ans, qui laissait aux commerçants le temps d’amortir leurs investissements immobiliers, les terrains devront retourner en location dans le patrimoine communal. La formule du bail rencontre de plus l’assentiment des autres maires. Quoi qu’il en soit, la pratique communale des années quatre-vingt-dix ne s’improvise pas sans lien avec les gestions héritées du passé. « Sauvons notre quartier » : les maires sur le front des casses et des attentes populaires La responsabilité des communes en matière de régularisation foncière n’a pas fait émerger de lobbying municipal au profit des clientèles citadines. Certaines interventions sont durement menées et entament la crédibilité des instances locales. Les initiatives communales apparaissent ainsi prises en tenailles entre la tutelle administrative du gouvernorat et le jugement politique de la « société civile ». Poids de la ville irrégulière, héritages de la gestion UDPM Comme la plupart des villes africaines, Bamako s’est fortement développée en marge du circuit administratif des lotissements officiels. Certes la puissance publique détient au Mali un véritable monopole domanial depuis la colonisa- 7. Selon le maire de la Commune III, le gouvernorat lui-même avait initié un modèle de contrat-vente dans lequel on prévoyait la possibilité pour le commerçant acheteur d’acquérir le titre foncier de son lot en trois mois. Cela aurait mis définitivement fin à la perspective de recettes locatives communales. Grafigéo 1999-8 79 Décentralisation malienne tion française. Mais alors que l’administration a loti près de 70 % des nouveaux terrains d’habitation de 1960 à 1976, sa contribution tombe à 30 % des trames constituées entre 1976 et 1983 (Direction du Projet Urbain, 1984). Les années de sécheresse qui marquent cette période gonflent de nombreux « sinistrés » l’exode rural national vers la capitale. Les transactions officieuses concernent alors 60 % des terrains conquis à l’urbanisation ; le développement qualifié de spontané est estimé à 34 % puis à 45 % des logements de la capitale (DPU, 1984 ; Programme « Sauvons notre quartier », gouvernorat du District de Bamako, 1993). A ces conditions illicites d’accès au sol s’ajoutent l’enclavement et le défaut notoire d’équipements dans une part importante de la ville. Des réhabilitations sont pourtant prévues dès l’élaboration du schéma directeur d’urbanisme de Bamako et sa révision de 1990. Mais elles buttent sur un traitement ambivalent du problème par le régime UDPM, par le biais de ses comités de quartiers, sections communales et Bureau exécutif central. Pour la plupart, les zones prévues pour le recasement des futurs « déguerpis » sont dotées d’un titre foncier que l’État affecte au nom du district de Bamako par décret de 1990. Les conditions juridiques du transfert de population sont donc préparées dès avant le changement de régime politique. Dans la pratique cependant, les autorités de la deuxième république ont fait alterner, pendant plus d’une décennie, d’une part des casses ponctuelles et des mesures d’intimidation à l’encontre des « irréguliers », d’autre part des reconnaissances tacites, l’acceptation politique du front d’urbanisation spontanée, voire même quelques cas de « redressement » foncier. Or les luttes de tendances et de per- sonnes qui ont animé la vie du parti unique dans la capitale ont court-circuité le fonctionnement communal. Elles ont souvent eu pour terreau la négociation de reconnaissances, la minimisation des « opérations bulldozer », et la régularisation de quelques embryons irréguliers (Bertrand, 1995). Des mobilisations paraadministratives menés officieusement en leur faveur valent ainsi aux quartiers de Fadjiguila-Djoumanzana (Commune I) et de Daoudabougou (Commune V)8 de voir leur réhabilitation reprise après le changement de régime, avec la nécessité de démêler des situations locales fort embrouillées. De nombreux « omis » des précédents recasements clament leur droits à être « rattrapés » dans les prochaines opérations et à ne pas rester « sans abris ». Le bilan de la deuxième république reste donc mince quant aux nombre de quartiers concernés et quant aux transformations apportées au cadre de vie des populations. Dianéguéla (Commune VI), par exemple, est « redressé » à la fin des années quatre-vingt dans le prolongement d’une intervention du Projet Urbain du Mali dans le secteur voisin de Magnambougou. Mais rien ne justifie, aux yeux des populations régularisées, le versement requis d’une taxe d’édilité de plus de 100 000 francs CFA et de frais de bornage, car leur quartier reste enclavé, privé d’eau et d’électricité. L’expérience augure des futures difficultés que les nouvelles équipes communales rencontreront pour assurer le sacro-saint « recouvrement des coûts » dans un marché foncier assaini. Enfin, le legs de l’UDPM apparaît chargé de médiations et de contentieux en tous genres. Il est surtout compliqué en quelques mois de Transition démocratique par l’occupation irrégulière des 8. Après plusieurs casses menées dans ce quartier à la fin des années soixante-dix, des enquêtes furent menées pour recenser, sans fond de plan, les occupants des cours à maintenir et ceux à déguerpir dans la perspective du désenclavement de la zone. Jusqu’à plus de six ménages, propriétaires ou locataires, se déclarèrent alors responsables de certaines constructions. D’autres blocages apparurent lorsque les premières parcelles de recasement furent attribuées à des clients politiques non nécessiteux. La reprise du recensement s’imposa donc en 1994. Grafigéo 1999-8 80 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier zones de recasement qui ont commencé à être définies9. Du fait d’importants retards d’aménagement, de nouvelles vagues d’occupants illicites viennent contrarier la mise en œuvre des projets de recasement, mettre en attente les anciens déguerpis, et démentir la crédibilité des autorités bamakoises. Des immigrés d’origine rurale et des citadins paupérisés sont désignés comme les responsables de cette « anarchie foncière » que la nouvelle expression politique a stimulée en 1991-1992. A l’annonce d’une reprise en main des dossiers par le district, chaque quartier hérite donc d’initiatives hétéroclites, de recensements menés tantôt par la Direction nationale de l’Urbanisme et de la Construction (Sabalibougou, 1987), tantôt par des collectifs locaux sous la houlette de l’UDPM, tantôt encore par des coordinations démocratiques de quartiers. Certains plans d’aménagement ont été élaborés sommairement par des entrepreneurs privés (Sébéninkoro, Missabougou) ; d’autres ont été rédigés de manière normative mais irréaliste, aux regards des moyens financiers des populations, par les urbanistes de la fonction publique malienne. 25 opérations pour une coordination communale Annoncé en avril 1993 par le gouverneur du district de Bamako, le « Programme spécial de réhabilitation » tente de rompre avec l’urbanisation du fait accompli et son cortège de compromis. Il s’agit pour cela de traiter globalement le problème tout en court-circuitant des circuits d’approbation administrative traditionnellement centralisés. En cela l’opération interfère avec la décentralisation car on fait réellement l’économie de lents aller et retours entre les ministères techniques et le conseil des ministres. Un calendrier resserré s’impose en effet pour éviter que de nouveaux espaces de recasement soient occupés par des strates plus récentes d’irréguliers. Pour cela, un décret du conseil des ministres a mis à disposition du district de Bamako les zones censées accueillir les victimes des casses. Mais il s’agit surtout de confier aux communes la surveillance concrète du terrain. Le programme retient 25 secteurs irréguliers sur les 33 que les équipes municipales ont énumérés. Les priorités d’intervention sont établies en conseil du district, bien que certains maires aient pris l’initiative de casses locales dès leur installation (Sabalibougou en Commune V, Banconi en Commune I). Quant aux techniciens régionaux, ils partagent le montage financier des opérations entre une exigence de participation populaire et une nouvelle quête de bailleurs de fonds internationaux. Le district n’a pas d’autres moyens à apporter que ses employés et quelques engins. Dans le calendrier qui s’impose à partir de 1993, « Sauvons notre quartier » donne donc aux communes l’occasion d’affirmer leur capacité d’arbitrage entre les commissions locales de recensement et de suivi, au niveau des quartiers, et l’instance du district. Conçu pour répondre à une situation d’exception, le programme conduit les maires à intervenir de manière ferme pour tracer des voies de passage dans les vieux tissus irréguliers et libérer les zones de recasement qui ont été investies irrégulièrement. C’est le cas jusqu’à la fin de 1996 à Niamakoro et Sénou (Commune VI). Le premier magistrat est en effet désigné comme le responsable des opérations de terrain. Son rôle de coordination l’oblige à concilier des objectifs politiques (embellir la capitale sans négliger l’insertion des pauvres), financiers (faire payer le coût de l’aménagement) et techniques (normer l’em- 9. C’est le cas à Fadjiguila, Sikoro, Banconi-Sourakabougou en Commune I, à Sabalibougou en Commune V, à Faladiè-Solala en Commune VI. Grafigéo 1999-8 81 Décentralisation malienne prise des voies, aligner les parcelles, dégager des places pour de futurs équipements). Ainsi doit-il « sensibiliser les populations » (mission qui incombait au parti sous le précédent régime), calmer les associations qui plaident les intérêts des anciens et des nouveaux venus en ville, dégager des fonds pour la viabilisation des terrains, assister, voire relayer les techniciens du gouvernorat. Peu à peu s’impose une procédure de participation dans les deux commissions que compte chaque quartier concerné : l’une supervise les opérations techniques et associe le maire aux représentants du district ; l’autre est chargée du suivi sur le terrain (recensement des ménages candidats au recasement, marquage du bâti existant, bornage des nouvelles parcelles, perception de cotisations financières) et assure un contact essentiel avec « la base ». La tâche n’est pas simple. Les commissions municipales se révèlent souvent prises en tenailles entre des prescriptions techniques normatives, des financements incertains auprès d’ONG nationales ou internationales, les associations qui fleurissent dans les quartiers autour d’intérêts divers, et les notables de la place. Ceux-ci, chefs de quartiers ou anciens responsables des comités UDPM, ont en effet souvent construit leur audience locale sur la désignation d’emplacements irréguliers et sur leur pérennisation. Trois points principaux mettent en difficulté la capacité des maires à asseoir leur crédibilité sur des tâches de gestion urbaine. Au plan technique, le traitement standardisé des dossiers de réhabilitation dissimule mal une négociation diffuse en faveur d’aménagements au rabais et de solutions locales de débrouillardise. Pour diminuer le coût des opérations, les options minimalistes qui sont à l’étude ou mises en pratique devraient démentir les espoirs d’embellissement durable et conséquent de Bamako. Le pari de modernisation urbaine s’effrite pour une part majeure de la capitale. La Commune III est ainsi conduite à Grafigéo 1999-8 inverser ses propres étapes du calendrier de réhabilitation et à demander la révision des plans de désenclavement des quartiers irréguliers de Samé, du Point G et de Niomirambougou. Le « redressement » de Samé est en réalité programmé depuis le début des années quatrevingt. Un premier schéma technique est alors établi par les techniciens du district sans consultation de la commune ni des populations. Or il s’agit de mener une grande opération de casses qui devrait concerner presque toute la population, ce que le maire de la troisième république refuse ensuite. Il propose au contraire de ramener à 25 mètres une servitude prévue de 50 mètres entre la voie de chemin de fer qui traverse le quartier et les premières habitations. « Mais c’est difficile à avaler pour des techniciens qui ne font que copier des règles européennes inadaptées. D’une manière générale, on a prévu des voies trop larges. Ce n’est pas nécessaire car Samé est bâtie sur une zone accidentée. Au mieux on pourrait créer des voies piétonnes avec des escaliers. Mais les voies de 20 mètres sont inutiles, sauf pour un triangle de circulation qui peut être également ajusté. La population de Samé s’est finalement calmée et a accepté d’être sensibilisée après que la municipalité ait fait la demande de révision du schéma. » L’ordre d’instruction des dossiers techniques est fixé par le district. Le dossier de Samé étant plus avancé que celui du quartier du Point G, cela a obligé la commune à stopper son intervention dans le second au profit du premier. C’est pourtant au Point G que la Commune III avait eu l’initiative de « la première casse de Bamako » en mai 1992. « La zone de recasement faisait l’objet de reventes inacceptables, souvent à l’initiative d’anciens patients de l’hôpital du Point G qui s’installaient dans le secteur après leurs soins. Le chef de quartier avait déclaré qu’il n’était pas informé de cela, mais cette occupation de la zone de recasement compromettait l’aménagement de l’ancien noyau villageois. » La casse communale a cependant épargné les maisons déjà habitées et s’est attachée principalement aux constructions en cours. « Parmi ces derniers déguerpis, on trouve surtout des commerçants qui ont les moyens et qui sont déjà logés ailleurs à Bamako. Ce sont les mêmes qui vont occuper d’autres zones de recasement ailleurs et qui ont été poussés à s’installer de manière illicite quand le redressement des quartiers spontanés a été annoncé. Le résultat est que l’intervention municipale a été bloquée au Point G, à cause dossier prioritaire 82 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier de Samé, et que la population n’a plus eu confiance en la mairie. » A Samé, la zone de recasement désignée par les techniciens de l’urbanisme n’était pas occupée. Le maire jugea donc qu’il n’était pas nécessaire de soumettre au gouvernorat un nouveau recensement des populations à recaser, et l’on se borna à demander des révisions techniques. Une délégation municipale s’adressa d’abord au deuxième adjoint du gouverneur, en charge des questions domaniales, mais essuya un net refus de négocier. Le maire protesta alors en personne : « le lotissement de Samé ne se fait pas à partir d’un bureau ! Une délégation technique du district a dû se rendre sur le terrain, et le gouvernorat a été mis devant le fait accompli d’un assouplissement nécessaire. » Reste à concrétiser cette révision. Cela revient pour la commune à chercher des fonds pour effectuer elle-même le travail, car le district accumule les retards et ne dispose pas des moyens nécessaires. Deux ans plus tard, les attributions de parcelles dans la zone de recasement de Samé montrent le bricolage retenu : c’est bien une commission extraordinaire de la commune qui a géré les choix d’attribution, au profit des déguerpis mais aussi au profit de nouveaux candidats à l’appropriation. Sur un total de 208 parcelles, 60 ont été morcelées en additif de la zone de recasement. La minimisation des casses dans l’ancien tissu irrégulier a d’ailleurs permis de limiter le nombre de candidats au recasement ; les propriétaires de champs réquisitionnés sur le nouveau lotissement ont reçu un nombre équivalent de lots au titre de « compensations agricoles » ; les maraîchers déguerpis d’un autre secteur de la commune (abords du fleuve) ont enfin bénéficié de quelques parcelles. Le reste a donc permis de satisfaire des demandes nouvelles et d’en prélever des recettes. Finalement, les travaux de réhabilitation ont consisté en un simple élargissement de voies ; des caniveaux ont été creusés par l’ONG malienne Alphalog en collaboration avec l’Association de développement de Samé10. En Commune IV également, les extensions irrégulières les plus modestes, comme les plus nanties, conduisent les autorités locales à minimiser les casses. « Dans le vaste quartier populaire de Djikoroni-Para, le chef de quartier n’était pas d’accord pour que l’on trace des voies d’emprise de 20 à 30 mètres, car 6 à 8 mètres suffisent. Les techniciens sont obligés d’écouter. Une autre voie prévue risquait de détruire beaucoup de concessions. Pour limiter les dégâts, on a proposé une déviation aux techniciens. (...) A Djénékabougou, le tracé d’une place publique devait casser six concessions déjà bâties ; la doléance des populations a été transmise au niveau communal qui l’a répercutée au niveau des techniciens » En périphérie du quartier de Lafiabougou, Bougoudani est au contraire marqué par la présence de jeunes cadres supérieurs. Ceux-ci ont été découragés par des demandes de lots insatisfaites auprès de l’administration et se sont installés irrégulièrement en toute connaissance de cause. Le quartier compte 275 villas d’une valeur de 6 à 10 millions chacune. La mairie a donc refusé de casser de tels investissements. L’extension concernait également des propriétaires de champs, pour lesquels une concertation fut engagée avec la commune. Les relevés topographiques et le piquetage des parcelles s’engagèrent sous la houlette d’une commission locale de quartier qui préleva une cotisation de 15 000 francs CFA par ménage. « Le travail devrait être normalement financé sur un fonds de développement que l’État devrait allouer au gouvernorat pour les communes ; mais il n’est pas alimenté. Pour respecter le calendrier des opérations, il est préférable que les gens se cotisent pour acheter la chaux du marquage des concessions, les pinceaux et la nourriture des agents techniciens. » Mais ici on est réticent pour faire appel aux services d’entreprises privées, en particulier de géomètres. Le précédent financier du quartier voisin de Sèbèninkoro (détournement par l’entreprise Topo Azawad de fonds collectés à la base au début des années 1990) sert de leçon pour le reste de la commune.11 Après des casses spectaculaires en 1992-1993, à l’initiative des équipes municipales, les réhabilitations ne se déroulent pas moins sur fond d’ajustements techniques et financiers en Communes I et V. D’ouest en est de la Commune I, l’emprise 10. Entretien avec le maire de la Commune III, avril 1994. 11. Entretien avec le maire de la Commune IV, avril 1994. Grafigéo 1999-8 83 Décentralisation malienne d’une voie de chemin de fer prévue dans le plan des urbanistes apparaît ambitieuse à tous : il s’agit à terme de détourner la voie ferroviaire du centre-ville vers les quartiers septentrionaux. Or la zone est fortement occupée et les populations menacées de casse demandent la réduction du projet de servitude. L’étude technique du district a également prévu une contribution financière de 200 000 francs CFA par ménage, pour un aménagement du quartier comprenant l’électrification, le creusement de caniveaux à ciel ouvert, l’adduction d’eau et la réfection de la voirie de terre. Des discussions s’amorcent alors pour abaisser le coût des travaux à 100 000 francs, voire 70 000 dans le secteur de Zèguènèkorobougou (Banconi). Les propriétaires s’organisent dans le bâti ancien, et tiennent une série d’assemblées générales houleuses. Zèguènèkorobougou prend les devants en faisant appel à des topographes privés, directement payés par les habitants, pour amorcer un bornage diligent. « On a fait appel à un technicien privé selon un marché de gré à gré négocié en 1993. La commune ne s’y est pas opposée car il s’agissait d’une opération test qui pourra inspirer des opérations ultérieures dans la commune. Sur la base du plan du district, les propriétaires se groupent par îlots et versent chacun 7 000 francs. Après le marquage des cours, la phase de bornage doit suivre dans le tissu spontané. Elle est normalement à la charge du gouvernorat, mais les populations sont impatientes et se demandent s’il n’y a pas de possibilité de commencer plus vite les travaux. Or ni les communes ni les services techniques du gouvernorat n’en ont les moyens. Face à ce risque de la durée, les populations prennent leurs propres responsabilités. »12 Dès 1992, une autre initiative de Korofina-Sud avait déjà court-circuité le montage financier du district en faisant appel au bureau d’étude privé Express Topo. Au plan social, ces ajustements initiés ou récupérés par les communes n’ont pas empêché de plus dures confrontations avec les populations et leurs associations. Ici encore les perspectives de la décentralisation sont malmenées, « le local » apparaît porteur d’une certaine ingénuité. Les casses précoces de 1992, la résistance physique et judiciaire de certaines populations en 1993-1994, la reprise des évacuations par la force en 1995 et 1996 (Commune VI), tout cela suscite régulièrement un appel au calme national : la presse critique, de hauts notables tentent d’apporter leur médiation, « l’espace d’interpellation démocratique » (forum politique annuel) rappelle le gouvernement à l’ordre de ses engagements de respect de la démocratie et de l’autorité de l’État. Cet arrière-plan politique conduit les maires à déplorer en public le manque de soutien de leur tutelle administrative. Mise à l’épreuve des faits, la décentralisation continue de nourrir les polémiques. La Commune V apparaît ainsi sur le devant de la scène dès l’entrée en fonction de son maire. Celui-ci s’attache, avant même le programme du gouvernorat, à endiguer les quartiers non lotis de la circonscription. Des contestations radicales concernent particulièrement les zones de recasement du front irrégulier de Sabalibougou et la réserve foncière méridionale de la Commune V entre 1992 et 1995. Déguerpis pour laisser le champ libre aux ventes de l’ACI puis à d’anciens candidats au recasement, les occupants de ces zones sont tour à tour accusateurs auprès des autorités nationales, puis accusés et de nouveau accusateurs au Tribunal correctionnel de Bamako. Ils se défendent d’abord de s’être installés après 1987, date à laquelle le recensement de Sabalibougou a clos la liste de ceux qui sont promis au recasement. La vindicte est vivement menée par l’Association de défense des intérêts des personnes installées en vertu des règles coutumières (ADIPIRC), que vient de créer un diplômé de l’École nationale d’administration. Forte de sympathisants dans plusieurs quartiers de Bamako, elle demande « sanction contre le gouverneur pour « crimes commis » contre les victimes des casses sur la zone de recasement. Tant la démarche judiciaire que le propos consacrent sous la Transition démocratique la remise en cause des encadrements politiques classiques. Mais c’est bien la commune qui conteste sur le terrain l’installation que le chef de village de Sabalibougou a permise à cette dernière strate d’irréguliers. Chacun stigmatise alors les « pratiques malsaines du passé », les uns pour dénoncer la spéculation foncière populaire, les 12. Entretien avec le secrétaire général de la Commune I, avril 1994. Grafigéo 1999-8 84 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier autres pour plaider pour une légitimité « coutumière » d’en bas contre les monopoles domaniaux d’en haut. Pour préparer l’évacuation des zones de recasement de Sabalibougou en vertu d’un plan de réhabilitation qui a trop tardé, le bras de force est désormais engagé entre les forces de l’ordre, déléguées sur place par la commune, et les populations qui les reçoivent à coups de pierres. La mairie est jugée digne des anciens jeux clientélistes de « ceux qui promettent puis se rétractent ensuite en revendant à des nantis les terrains qui devraient revenir aux démunis ». Occupation du secteur par les bulldozers, interpellation des « irréductibles », le ton est donné pour d’autres casses dans l’agglomération. L’ADIPIRC n’est d’ailleurs pas moins virulente en Commune I où son leader y est arrêté pour avoir « incité à la résistance sur les ondes d’une radio libre ». Les irréguliers illégitimes sont alors accusés de « refus de soumission à l’ordre public avec circonstances aggravantes d’usage de la violence ». Les meneurs ne sont plus des intellectuels mais pour la plupart des « Bamakois d’origine rurale », pour les « actes de guerre » desquels sont demandées des peines exemplaires d’amendes et d’emprisonnement. Le dernier acte suscite autant de commentaires dans les médias : aux plaidoyers des squatters, « oubliés du développement national », répond un maire acculé : « les maisons cassées en décembre 1992 ont été nuitamment reconstruites par les récalcitrants ; la vraie discrimination s’exerce en fait contre de plus anciens déguerpis. Depuis des années, ils sont de plein droit pressés de s’installer sur leurs lots de recasement. » Des négociateurs nationaux s’expriment après que les associations locales se soient scindées en leaderships rivaux sur le terreau d’anciennes luttes de clans UDPM et de nouvelles concurrences politiques : accusations à l’endroit des élus, trahison reprochée au chef de quartier : le jeu social du quartier et de la commune n’est pas régulé plus sereinement que le marché foncier de l’ensemble de l’agglomération. La zone orientale de Sabalibougou est ainsi dénommée « zone du Golfe » pour exprimer le climat de tension qui s’est installé parmi plus de 1 300 familles. Déjà rasée trois fois sans décourager de nouveaux occupants irréguliers, elle illustre la difficulté d’instaurer une confiance municipale pour liquider de vieux conflits. Deux nouvelles associations de défense des habitants contre-attaquent en déposant d’abord une plainte, avec l’aide d’avocats de renom, contre la commission locale chargée de la régularisation de Grafigéo 1999-8 Sabalibougou. Celle-ci aurait détourné des lots de recasement pour le compte de personnes non concernées par l’affaire. Les soupçons et les rumeurs font échos à ceux que la Commune IV a rendu publics l’année précédente. L’association Djigui sigui ton joue quant à elle la carte du manque de rigueur du plan d’assainissement de Sabalibougou, qui prévoyait en 1987 de régulariser 4 200 ménages alors que le quartier en compte désormais plus de 8 000. Conçu à la suite d’une première casse en 1983, ce document met en cause l’incapacité des pouvoirs publics à exécuter euxmêmes une gestion foncière adaptée aux réalités citadines. Mais au-delà de la donne démographique, difficile à contrôler, c’est bien la récupération politique de l’opération qui envenime les relations commune/associations/gouvernorat : ici des leaders en quête de reconnaissance municipale tentent de retarder le travail ; là des maires contestent aux assemblées générales de quartier le monopole de l’action de terrain. Au plan politique en effet, les municipalités sont sérieusement critiquées à propos du détournement d’une partie des zones de recasement au profit de populations non nécessiteuses. Des terrains mobilisés dans le cadre de « Sauvons notre quartier » sont attribués au profit de candidats à l’appropriation qui ne sont pas issus des quartiers irréguliers ou n’ont pas subi de casses. De solides constructions, qui apparaissent sur les zones de recasement débarrassées de leurs occupants illicites, le prouvent en quelques mois. Mais ces investisseurs sélectionnés par les municipalités s’empressent d’établir leur propre légitimité : « nous avons attendus trop longtemps d’hypothétiques attributions dans les lotissements du gouvernorat ; or ici nous payons nos parcelles bien plus vite que les déguerpis. Nous contribuons nous aussi à résoudre les problèmes de trésorerie des communes ». Des pratiques de sélection jugées malsaines à la fin de la deuxième république et sous la Transition démocratique finissent donc par s’imposer aux maires de la troisième république. Mais les plus riches de ces nouveaux clients de la donne politique pluraliste rappellent les pratiques spéculatives du précédent régime : cumul de lots dans plusieurs zones de recase85 Décentralisation malienne ment, reventes en sous-main de parcelles non bâties à des prix bien supérieurs à ceux requis par le programme de réhabilitation et dépassant le million de francs CFA. De nouvelles associations naissent à l’occasion du travail de recensement et de prélèvement des cotisations dans les commissions locales de réhabilitation. Estimant qu’elles sont mal représentées auprès des municipalités, certaines sont promptes à semer le doute sur la transparence du recasement et à suspecter les responsables locaux de caser leurs clients dans quelques places laissées vacantes13. Un réseau d’intermédiaires s’improvise également depuis les services techniques du district, et risque de semer la confusion dans ces attributions municipales qui ne disent pas leur nom. Les techniciens régionaux sont en effet très présents dans les commissions de suivi des réhabilitations. Véritables connaisseurs du terrain, ils jouent un rôle important dans la circulation des informations domaniales en dehors des populations concernées. Plusieurs sont sollicités par leurs collègues du gouvernorat pour réserver quelques parcelles non pourvues, orienter le morcellement de places prévues ou d’improbables zones d’activité dans le sens d’intérêts personnels, et veiller à quelques échanges opportuns de parcelles à l’échelle de l’agglomération tout entière. Ainsi le programme spécial « Sauvons notre quartier » continue-t-il d’alimenter des relations de service personnalisé autour du marché foncier urbain, comme l’ont fait de plus classiques lotissements sous la gestion centra- lisée de la deuxième république. Mais c’est surtout dans leurs relations avec l’ACI que se joue la capacité des communes à tirer parti des zones de recasement au profit d’attributions plus sélectives. Alors que la Commune IV s’est engagée dans un véritable rapport de forces avec le gouvernorat et l’ACI autour de la réserve foncière de l’ancien aérodrome, la commune I joue au contraire la carte de la péréquation sociale : une partie de ses terrains de recasement est consacrée à une commercialisation de haut niveau technique et financier ; les recettes dégagées de ces ventes neuves sont censées financer la préparation des terrains pour les déguerpis locaux qui ne peuvent s’acquitter de lourds frais d’aménagement. Pour mener à bien la réhabilitation de Banconi, le district a en effet acquis sur ses fonds14 un ancien titre foncier immatriculé au nom de l’État et dont il destine huit hectares à la zone de recasement. Par accord tripartite rédigé entre le gouvernorat, la commune et l’ACI, il est prévu que 63 des 185 parcelles seront vendues par l’agence pour le compte du district avec l’eau et l’électricité assurées pour chaque parcelle. On vise ici une clientèle très solvable et sélectionnée par enchères dans toute l’agglomération. Avec le bénéfice de ce quota, l’ACI devra prendre en charge l’aménagement sommaire (routes en latérite et caniveaux en terre) des lots de recasement destinés aux déguerpis plus modestes de Banconi. Ceux-ci n’auront à s’acquitter que de 120 ou 130 000 francs CFA (soit les frais de bornage ajou- 13. « A Banconi, par exemple, les associations ne manquent pas : Association pour le suivi de l’aménagement à Banconi (son président est membre du parti majoritaire), Association pour le développement économique et social de Banconi (qui rassemble des sensibilités politiques plus diverses), et surtout des associations plus locales encore constituées en appui à l’aménagement des secteurs de Djenguènèbougou, du Plateau, de Djènèsokala, etc. Elles ont voulu être mêlées aux opérations mais l’administration du district ne les a pas reconnues par crainte qu’elles se substituent à sa propre action. Par contre elles sont représentées dans les négociations à la mairie, mais pas toujours au profit d’une action unitaire. C’est comme cela que les deux associations d’appui à l’aménagement de Djoumanzana maintiennent la vieille opposition entre les notables de Fadjiguila et ceux de Djoumanzana. » (entretien avec le premier adjoint au maire de la Commune I, avril 1994) 14. Plus de 490 000 francs CFA versés en 1993. Grafigéo 1999-8 86 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier tés à la taxe d’édilité), quand les clients directs de l’ACI paieront leurs parcelles jusqu’à plus de deux millions. Mais une telle initiative ne peut se comprendre sans le rappel des précédents qui ont déjà conduit le régime UDPM à négocier pour la commune l’intervention d’un solide bailleur de fonds. Banconi apparaît presque comme un laboratoire d’opérations tests dont peu ont abouti jusqu’à présent. Déjà le premier Projet Urbain du Mali envisageait de financer sa viabilisation sommaire sur les crédits de la Banque mondiale (ouverture de quelques artères principales, bitumage d’une route et creusement de petits caniveaux sur environ trois km). L’opération fut menée avec retard à la fin des années quatre-vingt, mais les populations n’eurent pas à se cotiser. Quelques bornesfontaines apparurent également et l’on s’arrêta à la définition d’une petite zone de recasement. Mais une fois les crédits épuisés, celle-ci fit l’objet de nouvelles occupations illicites auxquelles l’équipe municipale élue en 1992 dut mettre fin. De leur côté, les techniciens régionaux avaient conçu un nouveau plan de réhabilitation pour Banconi sans tenir compte des travaux réalisés par le Projet urbain. L’Agence Coopération et Aménagement (ACA française) avait été aussi de la partie en initiant une dizaine de maisons expérimentales en banco stabilisé. Le projet resta lettre morte, les techniciens maliens ignorant l’impact de ces constructions. On en revint finalement aux prévisions de la Banque mondiale pour la zone de recasement : l’aménagement prévu du titre foncier faisait apparaître un coût total de 63 millions. Ne mettre à contribution que les seuls ménages recasés revenait à exiger d’eux des montants de 310 à 370 000 francs CFA, c’est-à-dire à faire capoter toute perspective de recouvrement des coûts auprès d’une population peu solvable. La commune préconi- sa donc une solution au rabais : puisque la taxe d’édilité était incompressible, on ne pouvait exiger des ménages qu’un maximum de 130 000 francs. Restaient cependant quelques 63 parcelles que l’ACI inséra dans ses ventes aux enchères. C’est d’ailleurs elle qui centralisa tous les fonds pour la mise en œuvre de cet aménagement à deux vitesses. Dans ce contrat tripartite, la commune est bien partie prenante dès l’achat du titre par le district. Ce type de péréquation relève pourtant de circonstances ponctuelles. Plus que jamais le manque de solidarité politique des communes entre elles et le défaut d’une ligne action commune ressort ici. La réhabilitation urbaine augure d’une fragmentation que d’autres interventions domaniales souligneront dans la suite du quinquennat. LES BANCS D’ESSAI DE LA GESTION LOCALE : PRATIQUES D’ATTRIBUTION FONCIÈRE ET CLIENTÈLES COMMUNALES Mobilisations peu reproductibles : vers un « développement urbain durable » ? En parallèle avec la gestion de rattrapage urbain, l’attribution de parcelles neuves occupe également les responsables des communes bamakoises alors même qu’ils déplorent l’absence de prérogatives décentralisées en la matière. Quelques techniques de mobilisation foncière rappellent dans la seconde moitié du quinquennat les pratiques officieuses que bien des maires des villes secondaires ont déjà expérimentées à la fin du régime précédent15. Ces attributions « par la petite porte » étaient alors rythmées par les élections qui renouvelaient les comités, les sections et les équipes municipales de l’UDPM. Tantôt admises tantôt contestées par les cadres administratifs régionaux, 15. Bertrand, 1990 : retrait de parcelles non mises en valeur dans les anciens lotissements et réattributions arbitraires, bandes de lots « raccordés » dans les périphéries des villes sans viabilisation ni même parfois plan de morcellement, places publiques démembrées au profit de clients municipaux. Grafigéo 1999-8 87 Décentralisation malienne elles avaient fini par définir un ersatz de gestion locale. De telles initiatives tentent surtout de court-circuiter les prescriptions normatives des techniciens de l’urbanisme et ont également des précédents dans la capitale malienne. Mais ici elles ont été le fait des instances politiques et du gouvernorat plus que des communes elles-mêmes. Sous la troisième république, les municipalités bamakoises mènent désormais en propre une série d’attributions qui mêlent des initiatives officielles et d’autres officieuses. L’ensemble fait-il office de transition foncière ? Moment provisoire à dépasser, dans l’attente de véritables refontes juridiques et institutionnelles ? Ou gestation de pratiques durables pour la suite du régime ? 1 800 parcelles en quotas municipaux au sud de l’agglomération Le dernier grand lotissement administratif promu par le gouvernorat du district suscite une revendication tumultueuse des maires au sein du conseil du district dès la fin de l’année 1992. L’opération de Kalaban Coura Sud frappe en effet par son ampleur : plus de 9 000 parcelles sont concernées, dont environ un tiers est commercialisé par l’ACI. Il revient normalement au gouvernorat de sélectionner les candidats à l’appropriation pour les deux tiers restants, de percevoir la taxe d’édilité de 101 000 francs et les frais de viabilisation de 250 000 francs que doit payer chaque attributaire. En réalité l’opération est programmée dès le régime UDPM sur les crédits du deuxième Projet Urbain du Mali. Mais ce sont les autorités de la Transition démocratique puis celles de la troisième république qui désigneront les bénéficiaires des lots. En 1993, plus de la moitié des 6 000 parcelles sont déjà distribuées sur décisions du gouverneur tant les demandes de parcelles se comptent par milliers au gouvernorat16. A ce rythme les communes réclament leur « part du gâteau » : le lotissement concerne les demandeurs de toutes les parties de l’agglomération, qui ne trouvent pas sur place d’opérations susceptibles de répondre à leurs candidatures répétées. Or celles-ci sont bien enregistrées depuis 1993 au niveau des mairies. Les pressions se multiplient donc auprès du gouverneur qui tente de glisser sur le terrain juridique : les communes n’ont aucune prérogative domaniale et n’ont pas contribué aux frais d’aménagement de la zone. Mais les maires refusent de s’engager sur une position de principe et se voient finalement accorder des « quotas politiques » par le conseil du district : chaque municipalité pourra attribuer à « ses » administrés un paquet de 200 parcelles prélevées à Kalaban Coura Sud, à l’exception de la Commune V qui est dotée d’un quota de 800 lots. Le lotissement méridional prend place en effet dans sa circonscription, et, aux dires du maire, il doit contribuer à absorber les refoulés de nombreux quartiers irréguliers voisins. Mais il reste entendu que ces « attributaires municipaux » continueront de s’acquitter de leurs frais au niveau du district. Les intérêts communs des six municipalités volent ensuite en éclat lorsqu’il s’agit de répartir les quelques centaines de parcelles au sein des circonscriptions respectives. Que pèsent ces quotas face aux demandes qui sont transmises par milliers aux municipalités ? Commune par commune, les élus décident donc de grilles de répartition interne qui suscitent de vifs débats politiques. De même que les autorités nationales viennent de promettre des quotas de parcelles pour les corporations professionnelles les plus mobilisées par leurs syndicats dans les premières années du quinquennat, de même on s’attache localement à trier les 16. La correspondance domaniale du gouvernorat du district de Bamako permet de compter environ 1 500 demandes de parcelles enregistrées par an entre 1987 et 1992. Or seulement 860 lots sont attribués en moyenne par an entre 1985 et 1994. Il s’agit bien d’un marché de pénurie. Grafigéo 1999-8 88 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier candidats à satisfaire en priorité. La Commune IV formule ses choix en termes politiques : les différents partis représentés au conseil municipal se partagent « à la proportionnelle, et entre leurs militants respectifs » une partie des 200 parcelles ; chaque service public représenté au niveau local (enseignement, police, santé, justice, impôts, perception) est également doté de deux à trois lots ; tous les conseillers communaux vivant en location, les employés municipaux chefs de famille et locataires reçoivent une parcelle ; enfin, plus de la moitié du quota est attribuée pour satisfaire des cas sociaux dont la solvabilité n’est pas garantie auprès du district. Le paquet est donc épuisé en quelques mois d’arbitrages. Les attributions de Kalaban Coura Sud ont mis les responsables de la Commune I mal à l’aise et plus longtemps dans l’expectative : il ne s’agit que d’un « reliquat infime qui de toute façon ne débouchera pas sur des recettes municipales ; on a voulu en fait opposer les maires à leurs populations. Comment de plus inciter les nombreux déguerpis de la circonscription à déménager à l’autre bout de l’agglomération ? » Les décisions sont contestées de l’intérieur en Commune III : alors que le maire a fait la proposition à ses conseillers d’un tirage au sort parmi les milliers de candidatures, l’opposition politique fait barrage et impose une répartition des parcelles par quartiers (8 lots à distribuer dans chaque subdivision de la commune) et par conseillers municipaux (des attributions très fléchées sur les militants). Le principe est repris en Commune V où les conseillers municipaux ont chacun proposé « leurs bénéficiaires » selon le poids des quartiers qu’ils représentaient : Quartier Mali reçoit un minimum de 25 parcelles, tandis que le maximum de 200 lots revient au noyau villageois de Kalaban Coura. Le reste du quota est ventilé en sous-quotas : de deux lots pour le service de la perception ou quatre pour la police à 20 lots pour l’administration communale. Un lot pour les conseillers municipaux locataires, une centaine de parcelles pour répondre aux demandes individuelles par tirage au sort au milieu de l’année 1994 : ici comme ailleurs la gestion foncière prend l’allure d’une loterie de compromis, teintée de clientélisme. munes ont improvisé un prélèvement financier à l’occasion de ces attributions ponctuelles17, l’épuisement des quotas a laissé les collectivités locales toujours aussi démunies. Seul le crédit politique de leurs élus a pu augmenter, mais en laissant sur la marge des frustrés plus nombreux que les satisfaits. « Résidus » prélevés sur les zones de recasement Les nécessités du rattrapage urbain offrent une deuxième occasion aux municipalités d’attribuer des lots au comptegouttes. L’ambiguïté vient du fait que les réserves foncières immatriculées au nom du district nourrissent des revendications territoriales chez certains élus : « c’est chez moi, donc c’est pour moi ». La réhabilitation de Bamako a suscité en ce sens des démarches officielles de détournement domanial, comme l’accord tripartite qui conduit la Commune I à mobiliser l’une des zones de recasement de Banconi sous les bons auspices de l’ACI et du district. D’autres pratiques municipales moins avouables, qui associent quelques « nantis » aux recasés démunis, peuvent même être officialisées du fait de la signature apportée par le gouverneur du district aux décisions d’attribution. Ici comme ailleurs, les lettres d’attribution continuent d’être émises par la tutelle administrative et les bénéficiaires des parcelles vont régler leur dû au Centre des domaines du district. En 1995 et au début de 1996, les registres du service permettent d’estimer que plus de 230 parcelles ont été vendues hors recasement par la Commune I sur la zone de Djoumanzana. 63 parcelles sont également prélevées sur la zone de recasement de Djicoroni Para par la Commune IV. Quelques morcellements supplémentaires se greffent encore sur la réhabilitation de Daoudabougou (Commune V) et sur l’opération de Sokorodji (Commune VI). Quand bien même certaines com17. « 10 000 francs de traitement des dossiers » en Commune V. Grafigéo 1999-8 89 Décentralisation malienne « Raccords » de fonds de lotissements Des extensions rajoutées après l’approbation des plans d’urbanisme alignent également les initiatives bamakoises sur celles dont d’autres communes urbaines sont coutumières à une échelle moindre. Ces attributions municipales se greffent sur des lotissements précédemment programmés et contribuent à une réelle surenchère de l’activité domaniale dans la deuxième partie du quinquennat : alors que 1 633 lettres d’attribution ont été délivrées par le Centre des domaines du district en 1994, l’année suivante et les six premiers mois de 1996 permettent d’en compter 2 593 et déjà 2 249. Une telle inflation par rapport à la décennie 19851994 ne tient pas seulement à la liquidation des derniers emplacements disponibles dans les lotissements méridionaux. S’esquisse également un retournement des choix d’attribution au profit des communes à partir de 1995. Par exemple un nouveau « raccord » est mené à la fin de l’année dans le prolongement de Sogoninko-Complémentaire en Commune VI ; 44 parcelles sont attribuées en quelques mois à 351 000 francs CFA (frais viabilisation compris) et cinq autres le sont à 101 000 francs (soit la seule taxe d’édilité). 94 parcelles à 301 000 francs et 130 parcelles à 200 000 francs sont également vendues en 1996 en annexe de Baco Djikoroni Extension et de Kalaban Coura Complémentaire. C’est la Commune V qui prend ici le relais de l’ACI et du gouvernorat sur des terrains déjà aménagés. Ces deux raccords méridionaux rapportent au budget du district des sommes trois fois supérieures (plus de 54 millions) à celles que rapporte dans le même temps le recasement des déguerpis de Djoumanzana (Commune I) sur 170 parcelles attribuées à 101 000 francs. On comprend pourquoi le paiement efficace de ces nouvelles clientèles conduit le gouvernorat à entériner les choix communaux. Au milieu de 1996, le raccord de Kalaban Coura Complémentaire en était d’ailleurs à sa quatrième tranche d’extension. Les frais d’aménagement des lots étaient versés non plus sur un compte du district, comme dans le gros du lotissement administratif, mais sur un compte ouvert par la Commune V. La nouveauté provient surtout du fait que les communes vont jusqu’à fixer elles-mêmes les frais d’aménagement des terrains sous l’argument qu’elles seront maîtres d’œuvre des travaux en réquisitionnant pour cela les engins du district. Dans ces conditions, la viabilisation des bandes nouvellement morcelées ne peut plus être, contrairement à la loi, préalable à l’attribution des parcelles et à la construction des premières maisons. Elle restera d’ailleurs négociées dans l’urgence et dans la pénurie de moyens techniques, en retrait des objectifs généraux. Les sommes versées pourraient donc irriguer d’autres opérations locales, mais elles resteront gérées en dehors des budgets communaux. « Stratégie des poches »18 Une dernière technique de mobilisation para-administrative apparaît depuis 1995. On approche en effet des élections de 1997 et il convient de ne pas négliger l’aspiration de la masse des citadins à l’appropriation d’un terrain à bâtir. A la multiplication des lettres d’attribution contribue également, en effet, une gestion officieuse des places publiques et autres emplacements libres dans les anciens lotissements. Elle permet à certains maires de « libérer » ça et là quelques dizaines de lots en marge de toute procédure réglementaire. 153 parcelles sont découpées et attribuées sur des places démembrées en 1995. Déjà 503 autres bénéficiaires de cette même filière font leur apparition dans le registre du Centre des domaines du district au milieu de l’année 1996. Cette mobilisation des 18. L’expression est du maire de la Commune III (entretien, août 1996). Grafigéo 1999-8 90 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier « poches » urbaines au profit d’intérêts particuliers concerne surtout Hippodrome et Bakaribougou en Commune II. En Commune III, une autre place réservée aux espaces verts est démembrée dans le même temps par l’équipe du gouverneur et fournit une vingtaine de lots. Alors qu’il a lui-même laissé réquisitionner une « poche » de sa circonscription, le maire menace sa tutelle de casser « des constructions qui n’ont rien rapporté au budget municipal ». Cela n’améliore pas les relations administratives entre le district et la commune. Cela prouve surtout que la confusion foncière n’épargne plus guère de collectivités territoriales. La technique des « poches » souligne finalement la vocation des communes à satisfaire tantôt les intérêts citadins les plus modestes, mais au prix d’aménagements sommaires, tantôt une clientèle pressée de prendre rang moyennant finances dans les concurrences à l’attribution du moindre terrain, fut-il comme en certains cas vendu à plusieurs personnes à la fois. Les prix des lots dépassent alors aisément le million de francs CFA. Mais l’aménagement des terrains ne suit pas cette inflation des prix. Le relais foncier est bel et bien engagé par les pouvoirs locaux du fait des pressions politiques exercées en conseil de district et des pressions sociales plus diffuses dans l’espace urbain. L’ensemble définit plus que jamais une offre kaléidoscopique de terrains à bâtir. Il contribue à l’hétérogénéité des parcellaires de quartier. Les frais de toutes les parcelles attribuées par les communes en zones de recasement (hors contingents de déguerpis), en raccords périphériques et en démembrements des places publiques, se montent aux totaux suivants pour le seul premier semestre de 1996 (tableau 4). Cette économie parallèle aux prévisions budgétaires locales est donc loin d’être négligeable. Elle représente l’équivalent des budgets prévisionnels de deux communes bamakoises. Le tableau fait ressortir une opposition forte entre la Commune III, centrale et ne disposant pas de réserve foncière, et les périphéries méridionales dont les lotissements n’ont pas encore atteint les limites du district. Bloquées par une forte contrainte topographique, les communes du Nord ont pratiqué des morcellements internes à leurs quartiers déjà constitués plutôt que de petites extensions en raccord. La prise en charge des aménagements fonciers apparaît également très variable d’une commune à l’autre, et au sein d’une commune d’un secteur à l’autre : les communes septentrionales ne viabilisent guère ou perçoivent directement quelques montants de l’aménagement sommaire qu’elles prennent en charge elles-mêmes ; du fait d’opérations plus récentes et plus exigeantes, les communes du Sud recourent davantage aux services techniques du district et lui font reverser les frais afférents. Mais alors que l’aménagement d’une parcelle vendue par la Commune V nécessite en moyenne plus de 108 000 francs, les coûts unitaires montent à 120 000 francs, en moyenne, dans les opérations de la Commune VI. Il n’en reste pas moins que le plus gros Tableau 4 - Recettes domaniales du district de Bamako, premier semestre 1996 Janvier-juillet 1996 Commune I Commune II Commune III Commune IV Commune V Commune VI Total Grafigéo 1999-8 Nombre de parcelles 231 102 4 73 321 89 820 Sommes totales 23 331 000 10 302 000 404 000 7 371 000 67 256 500 19 545 175 128 209 675 Taxe d’édilité 23 331 000 10 302 000 404 000 7 371 000 32 421 000 8 989 000 82 818 000 Frais de viabilisation 34 835 500 10 556 175 45 391 675 91 Décentralisation malienne des lettres d’attribution délivrées dans les années 1994-1996 concerne des lots de recasement ou des parcelles régularisées dans les zones de réhabilitation. C’est bien le programme spécial « Sauvons notre quartier » qui offre aux communes l’occasion d’expérimenter de réelles pratiques foncières, mais pour une clientèle citadine qui est déjà essentiellement en place. Cette surenchère de gestions bricolées conduit finalement les autorités du Mali à une décision autoritaire à la fin de l’année 1996. La perspective des élections prochaines rend l’enjeu foncier trop sensible pour donner libre court aux initiatives décentralisées. D’autres conjonctures de la vie politique nationale l’ont déjà montré sous les première et deuxième républiques (Bertrand, 1990). « Halte aux attributions de parcelles ! » exige l’État. Dans une circulaire du 21 novembre 1996 adressée à tous les gouverneurs, commandants de cercle, chefs d’arrondissement et maires, le ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité suspend ainsi « jusqu’à nouvel ordre toute attribution de parcelles à usage d’habitation, commercial ou de concession rurale dans leurs régions, districts, communes et localités respectives ». La démarche fait suite à une décision du conseil des ministres du 19 novembre 1996 qui vise à mettre un « holà à des pratiques souvent douteuses développées par des équipes en fin de mandat ou par des administrateurs désireux de prendre la décentralisation de vitesse ». La décision suscite une vive protestation des maires du district de Bamako et des populations concernées par l’opération « Sauvons notre quartier » : le programme de recasement a été décidé par les mêmes ministres qui en interdisent aujourd’hui le déroulement pratique ; les maires ont été déjà pénalisés par les lenteurs de programmation technique du district ; la décision de blocage foncier intervient alors que les casses sont pratiquement terminées à Daoudabougou et Djikoroni et que les populations déguerpies attendent en masse d’être recasées. Grafigéo 1999-8 Or dans le même temps l’ACI se voit octroyer l’aménagement de 243 ha en Communes V et VI, dans la perspective du troisième Projet urbain. Les pauvres se verront-ils refuser la sécurisation de leur habitat alors que les riches continueront d’accéder en toute quiétude au marché des enchères et à la possibilité d’y cumuler des parcelles ? Les élus regrettent surtout de ne pas avoir de vision claire des différentes opérations concernées par la mesure. L’administration du district elle-même est mise en cause puisqu’elle continue jusqu’après janvier 1997 de délivrer des lettres d’attribution. Une fois de plus, les décisions du moment mettent en question l’orientation durable de l’agglomération vers une gestion décentralisée. Fragmentation de la gestion urbaine Au terme de trois années d’un programme d’envergure et de pratiques plus souvent admises que réglementaires, les initiatives municipales apparaissent différenciées. Le renouvellement des élus locaux est maintenant prévu pour l’année 1998. Le second quinquennat confirmera ou non si cette configuration municipale s’inscrit de manière durable dans la réalité bamakoise, ou si elle n’est que la forme circonstancielle de relations fortement personnalisées. La place de l’ACI dans la mobilisation foncière du district devrait croître au détriment d’une marge de manoeuvre locale, puisque le troisième Projet Urbain du Mali affecte à l’agence la responsabilité commerciale des derniers secteurs à urbaniser au Nord-Est, au Sud-Est et au Sud-Ouest. A terme, environ 15 000 nouveaux lots, découpés sur près de 750 hectares, compléteront une trame urbaine déjà constituée de plus de 57 000 parcelles bâties en 1987. Pour l’heure subsiste une réelle contradiction entre décentralisation et cohésion de la gestion de Bamako ; l’élection à venir d’un « grand maire » laisse tout un chacun dubitatif sur l’atténuation 92 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier du risque de fragmentation urbaine. Scissions politiques, divisions électorales et intérêts particuliers en tous genres ont déjà montré le manque de volonté fédératrice dans la capitale. Comment ainsi organiser le transfert des déguerpis d’une commune qui ne dispose pas de réserve domaniale vers les zones de recasement d’une commune voisine ? La question se pose concrètement à Niomirambougou où s’affrontent par maires interposés un « bon droit » du sol et un « bon droit » de l’investissement. Situé au nord-ouest de l’agglomération, cette petite extension irrégulière prolonge les lotissements de Badialan. Les habitants revendiquent le contrôle coutumier d’anciens domaines agricoles que la délimitation des Commune III et IV a isolés administrativement du reste du quartier. Alors que le vieux noyau villageois est implanté au nord du marigot frontalier, en Commune III, les terres revendiquées se trouvent rattachées au territoire de la Commune IV. Si le contentieux des limites administratives dépasse fort les habitants du petit quartier, plus sensibles sont pour eux les enjeux de l’école « que le quartier a construite » et du recasement des populations à déguerpir dans le cadre de « Sauvons notre quartier ». L’établissement scolaire est désormais rattaché à la Commune IV et Niomirambougou s’estime amputé de l’investissement pour lequel les parents d’élèves ont cotisé. Faute de place pour aménager une zone de recasement à proximité du secteur irrégulier, les services techniques de l’urbanisme envisagent également de confier les futurs déguerpis de Niomirambougou aux autorités de la Commune IV. La mesure arrangerait les responsables de la Commune III qui ne disposent d’aucun terrain pour recaser qui que se soit. Dans les limites administratives de la Commune IV par contre, une petite zone de deux hectares située au flanc de la corniche septentrionale offre une disponibilité de plus d’une centaine de parcelles. C’est précisément le domaine que les habitants de Niomirambougou persistent à envisager comme étant de leur autorité coutumière. A ce « bon droit » oral répond le maire de la Commune IV en s’appuyant sur une domanialité moderne : les parcelles de sa circonscription seront destinées en priorité aux recasés de la commune ; les gros effectifs de déguerpis de Djikoroni, au sud de la circonscription, ne trouveront sans doute pas tous leur place à proximité de leur quartier d’origine, et la zone septentrionale de Niomirambougou devra être mobilisée pour répondre à leurs besoins. Au total, les populations pourraient donc être prises en tenailles entre deux légitimités communales, ellesmêmes mal soutenues par leur tutelle administrative, si les contentieux environnants ne sont pas résolus. On comprend dès lors pourquoi l’aspiration des communes à plus de pouvoir n’apparaît pas sans risques. A chaque commune ses alliances personnelles, ses rapports de force avec d’autres acteurs institutionnels et ses tensions internes. Une typologie permet ainsi de dégager quelques profils municipaux. La perspective d’un « entrepreneuriat municipal » Les autorités des Communes I et III illustrent un premier type de gestion volontariste. Deux maires issus de partis d’opposition se disent appartenir à une « génération sans passé politique », c’està-dire qui échappe aux compromissions de l’ancien régime UDPM et des relations personnelles qui perdurent par-delà le changement de république. Le premier campe la modernité de sa fonction dans les relations qu’il tente d’établir avec les « opérateurs économiques », et dans le partenariat également engagé avec les deux agences phares des bailleurs de fonds internationaux : avec l’ACI, comme on l’a vu, la Commune I recase une partie des déguerpis de Banconi sur une zone partagée à cet effet avec les crédits du Projet Urbain du Mali ; avant cela, les locaux de la mairie ont été financés dans le cadre des appels d’offre gérés par l’Agetipe. « Ici contrairement à ailleurs on fait peu de tapages car on a privilégié l’implication maximum de la population sans nier le pilotage du gouvernorat. La Commune I comporte un nombre important de quartiers irréguliers par rapport 19. Entretien avec le secrétaire général de la Commune I, avril 1994. Grafigéo 1999-8 93 Décentralisation malienne au reste de Bamako. Mais elle est aussi en avance sur les réhabilitations. »19 Quant au maire de la Commune III, élu comme troisième homme en 1992 dans la concurrence de deux leaders plus en vue, il affiche son esprit d’entreprise sur un double terrain. L’impératif de réhabilitation urbaine implique d’abord que la commune mobilise et gère sans retard d’importants crédits en dehors de son budget en faveur de populations cibles : financements du Projet urbain, via l’Agetipe, pour la réhabilitation des marchés centraux, recherche d’un partenariat avec les ONG20. « Ces collaborations ont permis à la commune de mener à bien les travaux d’aménagement des trois quartiers concernés par “Sauvons notre quartier” en court-circuitant les techniciens du district et en évitant de courtiser le gouverneur »21. Sur un autre plan, le maire est celui qui valorise le plus l’impératif de publicité et d’organisation des communes en réseaux national et mondial. Président de l’Association des Maires du Mali, il représente ses homologues au sein du module Afrique de l’Ouest du PDM. « L’association est née sous le régime UDPM, mais elle a connu un nouvel essor sous la troisième république. Ses statuts et règlements intérieurs ont été entièrement repris, un nouveau bureau a été élu par 17 des 19 maires maliens, les cinq communes constituées en mai 1992 restant alors fictives faute d’élections municipales et surtout de budget. L’association est surtout relancée par le soutien qu’elle reçoit du PDM et par les échanges avec les autres associations africaines du même type. L’impulsion manque encore de vigueur au Mali du fait du petit nombre de communes urbaines impliquées ; le versement par les communes des cotisa- tions mensuelles de 10 000 francs CFA est encore incertain. On peut cependant compter maintenant sur un siège à Bamako, un petit local de trois pièces doté d’une secrétaire et d’un ordinateur. » Partie prenante de plusieurs séminaires et débats sur la décentralisation, l’AMM fait entendre ses principales revendications concernant l’absence de régie des maires et l’unicité de caisse à laquelle leurs budgets sont soumis. « D’après le modèle français, le Trésor peut faire des avances aux collectivités décentralisées. Mais dans les faits le Trésor monopolise et bloque le crédit municipal, quand il existe, pour les besoins financiers de l’État. Ainsi, un maire peut difficilement effectuer un mandat faute de liquidités. Comment demander à un agent municipal d’augmenter son rendement alors qu’il attend son salaire pendant plusieurs mois ? » Épreuves de force Deux communes se distinguent ensuite par les mauvaises relations auxquels elles ont été soumises tant avec la tutelle du district qu’avec « la base ». Le maire de la Commune IV a été à de nombreuses reprises classé comme « le seul maire Adema » de Bamako, ce qui n’a guère empêché de difficiles relations avec la commune voisine (III), le gouvernorat et l’ACI. Comme on l’a vu, convoiter la vaste réserve foncière conduit à concrétiser deux sensibilités politiques au sein du parti majoritaire : les « populistes » mettent en avant la « nécessité de loger avant tout les sans abris » ; les « libéraux » prônent « la transparence du marché et la cohérence de la gestion urbaine ». Ce bras de fer local de la gestion bamakoise annonce à bien des égards des confronta- 20. Dans le quartier irrégulier de Samé une première tranche de travaux était achevée en 1996 à l’initiative de la Commune. Après quelques casses au bulldozer pour élargir des voies, l’ONG malienne Alphalog procéda au creusement de caniveaux sommaires en collaboration avec l’Association de développement de Samé (contribution en main-d’œuvre et cotisations). Notons que d’une manière générale les communes et les associations de quartiers de Bamako misent peu sur une contribution directe du jumelage avec la ville d’Angers, les relations avec la collectivité française paraissant accaparées par le district. 21. Entretien avec le maire de la Commune III, août 1996. Grafigéo 1999-8 94 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier tions grandissantes dans le futur de la décentralisation. Pendant plus de trois années également, le maire de la Commune V est apparu sur le front des résistances que la « société civile » de Sabalibougou, relayant celle de Daoudabougou dans les années 1980, imposait à sa gestion. « Un maire au charbon » titre souvent la presse, un maire qui n’hésite pas à intervenir sur les ondes et à la télévision, autant de canaux d’expression démocratique qui animent la décentralisation tout en la biaisant souvent. Deux zones de recasement et une réserve domaniale ne simplifient pas la tâche, loin s’en faut, dans ce vaste front méridional tant les strates d’occupants illicites, les associations, les clientèles politiques, les collectifs d’usagers d’hier et d’aujourd’hui sont intriqués dans des intérêts contradictoires. « Assainir la situation face aux tergiversations antérieures, éviter les violences, les délégations intempestives et toutes les formes de récupération des manifestations populaires », tels sont les objectifs de ce que le maire, qui situe son mandat dans un « quinquennat sacrifié », qualifie de bourbier. Leaderships locaux sous l’angle de « magouilles » et de blocages Un héritage clientéliste lourd profile enfin un troisième type de fonctionnement des équipes municipales. Au titre des prévarications, le maire de la Commune II, qui est par ailleurs candidat à la députation en avril 1997, fait l’objet d’une mise en accusation importante à la fin de son mandat. Son premier adjoint est également concerné. Une fois de plus, la gestion foncière est en cause, et particulièrement les initiatives prises par la municipalité sous couvert de l’opération « Sauvons notre quartier ». La réhabilitation du quartier irrégulier de Bougouba aurait ainsi permis d’engager une vaste opération de spéculation à laquelle s’attache une enquête en cours. Alors que le plan de lotissement du secGrafigéo 1999-8 teur n’était pas encore adopté par les techniciens du district, dont on connaît les lenteurs, près de 4 000 décisions d’attribution auraient été vendues au niveau de la commune, dont plus de 3 000 à des personnes extérieures à la zone. Environ 650 bénéficiaires seulement seraient des familles concernées à juste titre puisqu’elles habitaient auparavant le secteur le plus enclavé de Bougouba. Si ces attributions d’initiative locale ne sont pas toutes irrégulières, certaines listes (quatre ou cinq comportant chacune plusieurs centaines de noms) intriguent bien les enquêteurs. L’une d’elle aurait été falsifiée pour gonfler une série de bénéficiaires de plus de 500 à près de 900 personnes, avec des noms revenant plusieurs fois. D’autres noms apparaîtraient sans adresse, sans doute l’indice de cumuls déguisés ou de promesses de reventes en sous-main. Les spéculateurs auraient été aidés par une procédure domaniale pleine de trous qui leur aurait permis d’obtenir des convocations vierges qu’ils remplissaient à leur convenance, puis de rectifier la liste initiale en changeant un nombre élevé de noms. Additions et manipulations diverses auraient permis au maire d’avoir à sa disposition un volant important de terrains sur lesquels aurait spéculé un réseau chargé de la vente des convocations. Comme dans une affaire du même genre dévoilée dix ans plus tôt dans la commune de Koutiala (Bertrand, 1994) une large gamme de prix pratiqués aurait permis de hiérarchiser les vendeurs et les clientèles : alors que des parcelles ont été vendues sans considération technique de 500 à 600 000 francs CFA, d’autres plus proches du fleuve ont été cotées de 3 à 4 millions. Les rectifications de noms sur les listes auraient été facturées à 100 000 francs CFA sans reçu. Avec la reprise en main du dossier par la tutelle administrative, les détenteurs de promesses d’attribution pour Bougouba risqueront donc de se retrouver Gros Jean, avec dans le meilleur des cas le remboursement des frais d’édilité (100 000 95 Décentralisation malienne francs CFA) en guise de consolation. C’est sans doute considérer le clientélisme municipal du seul point de vue de l’offre de parcelles, et oublier à bon compte la pression prégnante de la demande. Personne n’a identifié « son » terrain, pour la bonne raison que le morcellement du secteur ne s’est pas fait. Certains ne disposent pour tout justificatif de l’argent qu’ils ont versé que d’un reçu manuscrit établi sur une feuille volante. En réalité, l’ampleur de l’opération témoigne de l’audace de spéculateurs masqués sous la bannière d’une liberté d’action locale, mais aussi, structurellement, d’un marché foncier de pénurie, segmenté et hiérarchisé, dans lequel des citadins avertis peuvent à tout moment manquer de prudence. Quant à la Commune VI, ses initiatives apparaissent les plus médiocres au sein du district. Le cas s’explique par une situation de blocage politique pérennisé sur les bases d’un clivage municipal hérité des « tendances » et des concurrences personnelles au sein de l’ancien parti unique. Le maire appartient à l’opposition gouvernementale (il est membre du Parti pour la Démocratie et le Progrès) mais il aurait été contesté dès son élection ; une première pétition fut signée par la majorité des 49 conseillers municipaux et adressée au ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité pour réclamer sa destitution, au motif de « vente illicite de parcelles et détournement de plusieurs millions sur le budget municipal ». Le gouvernorat aurait maintenu le statu quo, le maire rétorquant qu’il « ne coulerait pas seul dans l’affaire ». Une seconde pétition fut signée par un collectif plus restreint de conseillers municipaux. « Au cours des consultations régionales de 1994, la commune méridionale se fait remarquer par la concentration de “querelleurs” qu’elle offre aux téléspectateurs. Sur les bancs du théâtre Bazoumana Sissoko (lieu des débats), les participants avaient une occupation spatiale éloquente. Ils avaient en effet formé des groupuscules selon leurs appartenances politiques ou associatives en prenant soin de matérialiser par des chaises vides les limites de leur zone. » Des intervenants aux débats mettent l’accent sur le « manque d’initiative des autorités municipales dans l’exécution de certains travaux, même quand ceux-ci sont financés comme le complexe sportif »22. Le scénario rappelle en effet la vie mouvementée des clans UDPM locaux. Que les accusations soient fondées ou non, l’atmosphère de soupçon réactive un « vieux problème politique ». Le maire de la troisième république est en réalité l’ancien secrétaire général du comité UDPM de Faladiè-Village. A ce titre il représentait une tendance du parti unique auquel s’opposait, jusqu’au sein du Bureau exécutif central, les représentants d’une tendance rivale. Au dire d’autres maires, « ça continue de bagarrer au sud de Bamako avec les mêmes clans D. contre M. ». Le blocage va jusqu’à contaminer le débat du conseil du district : « le gouverneur nous avait fait la proposition de déconcentrer au profit des communes certains prélèvements fiscaux comme une partie des patentes et des licences qui nous reviendrait à 30 %. Nous avons alors discuté pour porter la déconcentration à 60 % compte tenu du fait que les communes doivent assumer des tâches d’assainissement et d’aménagement. Malheureusement, les communes ne font pas bloc au sein du district à cause des conseillers municipaux qui ne suivent pas leurs maires. Les divisions se sont manifestées surtout en Commune VI. »23 Clientèles foncières, division sociale de l’espace urbain Pour caractériser les clientèles foncières des communes qui anticipent sur la décentralisation, on peut d’abord les comparer aux clientèles que le gouvernorat du district de Bamako a sélectionnées de manière centralisée. Les attributions 22. « Concertations régionales dans le district », L’Essor Hebdo, 27-28 août 1994. 23. Entretien avec le maire de la Commune III, août 1996. Grafigéo 1999-8 96 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier de parcelles, créées ou sécurisées après une occupation antérieure, peuvent être également comparées à la demande de terrains à usage d’habitation. Elles peuvent être enfin comparées à l’offre des parcelles vendues aux enchères par l’ACI à partir de 1992. Nous disposons pour cela de quatre séries de données24 (tableau 5). 1. la demande totale de 3 023 personnes ayant déposé leur candidature pour l’obtention d’un lot au cours des deux années 1997 (régime UDPM) et 1992 (troisième république, dernière année de l’enregistrement des demandes auprès du gouvernorat) ; 2. un sondage au 1/10 de 862 bénéficiaires de lettres d’attribution délivrées de 1985 à 1994 par le gouvernorat. Il s’agit d’une clientèle que les communes n’ont pas contribué à sélection- ner, tant sur des parcelles neuves (lotissements diversement viabilisés) que sur des parcelles régularisées (gestion de rattrapage) ; 3. le relevé exhaustif des 1 356 bénéficiaires de la gestion de rattrapage (régularisations et recasements25) entre 1994 et juillet 1996, soit 22 % des attributaires de la période. Les communes sont désormais responsables de leur sélection, même si, comme on l’a vu, le gouverneur continue de signer les lettres d’attribution et de faire encaisser au moins la taxe d’édilité des parcelles. Les municipalités désignent même jusqu’à un client sur quatre du district si l’on ajoute à cette gestion de rattrapage les attributaires que les « poches » et les raccords de lotissements ont également satisfaits. 4. Enfin, la clientèle de l’ACI ressort de la Tableau 5 - Distribution socio-économique de la demande et des segments de l’offre administrée, communale, ACI Activités (%) / Segments fonciers PRINCIPAUX GROUPES Actifs indépendants Total salariés Salariat privé Salariat fonction publique Divers autres SOUS-GROUPES Ménagères Commerçants Artisans Chauffeurs Actifs agricoles Ouvriers Corps enseignant Tous ingénieurs Tous comptables Tous inspecteurs Services économiques et financiers de l’État CMDT-HUICOMA * Total identifié Demandes 1987-1992 Attributions 1985- Attributions 1994- ACI 19921994 (district) 1996 (communes) 1994 31,1 64,5 12,4 50,3 4,4 55,9 40,0 9,6 26,6 4,1 63,9 32,3 14,9 13,8 3,8 30,8 64,2 24,0 34,9 5,0 11,7 7,8 3,7 2,6 1,4 7,6 2,2 3,2 1,0 2,0 12,8 10,4 10,4 5,6 7,4 1,5 4,1 1,9 2,1 1,8 1,8 18,9 13,3 11,2 3,3 8,0 1,2 2,0 1,9 1,8 1,4 1,3 6,1 10,1 3,1 1,8 6,5 4,7 9,2 4,7 3,7 3,7 100,0 100,0 100,0 7,4 100,0 * Compagnie malienne de développement textile, Huileries cotonnières du Mali. 24. Relevés personnels : section domaniale du gouvernorat (avril 1993), Direction nationale des Impôt (avril 1994), Centre des domaines du district (mai 1994 et août 1996). 25. Durant ces 18 mois, les trois quarts des lettres d’attribution délivrées par cette gestion de rattrapage sont le fruit de recasement. Les déguerpis sont en effet dans l’obligation de s’acquitter des frais domaniaux pour se voir désigner leurs emplacements. Au contraire, les « régularisés sur place » sont peu prompts à s’acquitter des montants requis puisque toute menace de casse est désormais suspendue. Grafigéo 1999-8 97 Décentralisation malienne propriété immatriculée entre 1992 et 1994 avec un sondage au tiers de 2 182 acheteurs dans les lotissements méridionaux de Baco Djikoroni et de Kalaban Coura Sud. Attributions administratives, 1985-1994 : renforcement des sélections ? Les demandes de parcelles à usage d’habitation montrent d’abord une évolution sensible de 1997 à 1992. Non seulement le changement de régime a multiplié les candidatures de manière inflationniste, mais il a entraîné la recrudescence des voeux des salariés bamakois. Ces pressions salariales s’exercent notamment dans le dépôt de demandes groupées qui tentent de peser sur la nouvelle autorité politique pour compenser les frustrations que la gestion UDPM a précédemment accumulées. Travailleurs en proie aux retard de salaires de plusieurs mois, au pouvoir d’achat profondément dégradé depuis 1984, insuffisamment dotés en terrains au profit d’une bourgeoisie commerçante, ils plaident pour un rattrapage social sous les bons auspices du régime pluraliste. Dans les premières années du quinquennat, en effet, c’est directement auprès de l’État que de multiples revendications catégorielles et marchandages corporatistes exigent la transparence des attributions selon le critère de la nécessité. Avocats et enseignants donnent le ton dès mai 1992 : en contrepartie d’une révision à la baisse de leurs doléances salariales, ils obtiennent une distribution particulière de parcelles prélevées dans le lotissement administratif de Kalaban Coura Sud au sud de l’agglomération. Ce type d’accès privilégié aux nouveaux lots (une centaine pour les premiers, 500 pour les seconds) reproduit la formule pragmatique, jusque-là réservée aux situations plus confuses, d’un paiement en nature des obligations publiques. Le niveau décisionnel du district est bien court-circuité, ce qui s’est déjà vu dans l’histoire de Bamako Grafigéo 1999-8 comme des autres régions. Par contre ce nouveau corporatisme qui affecte les clientèles foncières de l’État s’inscrit dans des négociations désormais ouvertes et trouve des échos médiatiques inédits. Les pressions syndicales directes sont bien vite accompagnées de demandes en séries par branches professionnelles, par unités techniques de travail ou encore par services déconcentrés dans l’agglomération. A un niveau professionnel de plus en plus fin, s’accumulent les demandes groupées du ministère de l’Administration territoriale (des plantons jusqu’aux cadres), de l’Office national des Transports, de la Direction des Travaux publics, du service sanitaire Onchocercose, de la Société des Télécommunications du Mali, des professeurs de l’ENA, du personnel malien du PNUD, des travailleurs de l’ASECNA, de diverses banques, de l’Office de la radio-télévision du Mali... jusqu’aux « 144 éléments de la fanfare nationale ». L’effet de masse et la tentative de percée politique du salariat se fragmente désormais. Les employés des services techniques du district et les personnels des communes contribuent particulièrement à ces « solidarités de bureaux » : secrétaires, agents des recettes et des perceptions, employés de mairies représentent 30 % des demandeurs de la fonction publique en 1992. L’emploi salarié est certes moteur dans l’expression d’une citoyenneté exigeante à l’égard des autorités du pays, mais la formulation de ses besoins résidentiels n’échappe pas à un réel émiettement (Bertrand, 1995). Le pouvoir politique national s’empresse désormais de renvoyer les doléances particulières au ressort administratif du gouvernorat de Bamako. Le changement de régime influence donc les caractères socio-économiques de la demande. L’année 1987 sur-représente les actifs non salariés, souvent de revenus incertains et médiocres, et les femmes non actives ; ces ménagères demandent généralement des parcelles pour le compte de Bamakois déjà propriétaires d’un lot. L’année 1992 sur-représente au 98 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier contraire les salariés employés par le district et ses communes, et par conséquent les femmes actives (secrétaires et comptables notamment). Les salariés ont développé un réel crédit politique à la faveur de la transition démocratique, et tenté de compenser le faible crédit financier de leurs requêtes domaniales sous le régime précédent. Mais alors que le salariat public et privé concentre près des deux tiers des demandes de parcelles, il ne pèse plus que pour 40 % dans les attributions menées par le gouvernorat entre 1985 et 1992. Le premier niveau de déconcentration des responsabilités domaniales serait-il peu sensible à cette clientèle ? La comparaison des demandes et de l’offre foncière décennale montre en effet, en amont des interventions communales, l’effet sélectif du marché bamakois. L’insuffisance des terrains a joué à deux niveaux : sur les critères financiers d’une part, car les candidats à l’appropriation doivent être de plus en plus solvables pour répondre aux exigences de viabilisation des lotissements administratifs qui font monter les prix des parcelles26 ; des tris politiques ressortent d’autre part de cas fréquents de cumuls de parcelles ou encore du rôle de prête-noms que jouent bien des ménagères dépourvues de ressources propres. Ces sélections ont joué principalement au détriment du salariat de la fonction publique qui reçoit moins du quart des lettres d’attribution alors qu’il pèse pour la moitié de la demande. Le bénéfice revient au contraire aux actifs indépendants (moins du tiers de la demande, plus de la moitié des attributions), principalement aux commerçants, aux artisans et aux chauffeurs qui réalisent les plus grosses progressions relatives de la demande à l’offre administrative. Particulièrement discriminée, la catégorie des enseignants pèse dans les choix d’attribution du gouvernorat pour moitié moins que dans la demande. On comprend pourquoi la nécessité d’un rattrapage est formulée en termes politiques directement au niveau central de l’État après la Transition démocratique. Gentrification dans l’offre ACI/ régulations communales D’autres segments du marché foncier spécialisent davantage les clientèles par rapport au tri administratif central du gouvernorat du district. Les initiatives des communes augmentant en même temps que la percée commerciale de l’ACI, il convient de comparer les offres respectives des unes et de l’autre. Incontestablement, l’effet sélectif des ventes aux enchères se lit dans les profils socio-économiques des acquéreurs de titres fonciers définitifs auprès de l’ACI. Pendant les deux premières années de son activité, les parcelles vendues à Kalaban Coura Sud et à Baco Djikoroni ont des superficies moyennes de 380 et 350 m2, soit des tailles comparables aux lots classiques. Mais les prix moyens de vente sont montés à 692 000 et 1 189 380 francs après enchères. L’inflation progresse encore plus vite dans la dernière opération ACI 2 000 où les premiers lots vendus affichent des prix de plusieurs millions en 1996. L’écart avec l’offre du district (de simples concessions domaniales) est donc frappant. Il justifie la concentration des acheteurs sur un salariat fortement majoritaire, mais désormais trié parmi les cadres et les techniciens d’entreprises dynamiques : les ingénieurs et les inspecteurs réalisent de fortes progressions depuis la 26. Votée en 1983, la Loi 82-122 induit de nouveaux coûts d’aménagement foncier. A la taxe d’édilité de 100 000 francs s’ajoutent les frais de nivellement des voies, de creusement de caniveaux à ciel ouvert, éventuellement d’adduction d’eau et d’électrification. Dans les principales opérations programmées à la fin des années 1980 dans les périphéries méridionales de Bamako, les prix montent à 301 000 francs CFA (Faladiè-Village), 325 000 francs (Faladiè-IJA), 351 000 francs (Kalaban Coura Sud) et 363 000 francs (Magnambougou Extension-Sokorodji). Grafigéo 1999-8 99 Décentralisation malienne haute administration financière de l’État et les deux entreprises cotonnières du pays. La percée des ouvriers d’usine correspond non pas à un salariat modeste, mais plutôt à l’investissement des Maliens de France, clientèle solvable s’il en faut, que l’ACI s’évertue à attirer surtout après la dévaluation du franc CFA. Les actifs indépendants reculent donc nettement dans l’offre ACI par rapport aux attributions administratives, à l’exception des commerçants qui pèsent d’un même poids dans les deux segments. C’est d’ailleurs le groupe professionnel le mieux représenté dans les ventes aux enchères, et le plus impliqué dans les cumuls de parcelles. Ce segment commercial est donc très vite perçu comme élitiste par les maires et par les citadins ordinaires. Cela permet de comprendre a contrario les choix sociaux des communes et la fonction de régulation que les équipes municipales exercent à la faveur des réhabilitations urbaines. Entre 1994 et 1996, en effet, la gestion de rattrapage inverse de nouveau le rapport entre salariés et actifs indépendants. Les sélections du district en faveur des seconds s’accentuent ; les clientèles des municipalités se spécialisent encore davantage autour des activités informelles. Prompts à s’installer dans les quartiers irréguliers, aux prix de stratégies parfois spéculatives, les commerçants sont les premiers à bénéficier de la sécurisation foncière dans les anciens tissus ou sur les trames neuves du recasement. Leur présence est ici record, mais elle concerne des marchands et des vendeurs moins nantis que leurs collègues investisseurs du marché ACI. Fortement représentés dans le quartier Hippodrome, ils révèlent également les attributions en sous-main auxquelles conduisent le partage des zones de recasement entre déguerpis et non nécessiteux, et le démembrement des « poches » publiques. La modestie économique générale des clientèles de rattrapage se lit surtout à travers le poids record des retraités, des actifs agricoles et des ménagères. Cellesci viennent en tête des attributions avec près d’une parcelle sur cinq. Mais on compte ici plus de veuves chargées de famille, installées dans les quartiers irréguliers faute de ressources, que de prêtenoms de plus riches chefs de ménage. A l’inverse, les cadres moyens et supérieurs de l’État sont à leur plus bas niveau de représentation ici, tant ils ont négligé les stratégies d’appropriation irrégulière au profit du secteur locatif et dans l’attente des attributions administratives. A travers l’opération d’envergure de « Sauvons notre quartier »27, la clientèle communale présente donc un record de polarisation socio-économique : les seuls groupes des ménagères, commerçants, artisans, actifs agricoles et employés de commerce concentrent près de 61 % des lettres d’attribution délivrées. Les attributions profitent pour un quart aux activités marchandes : commerçants et employés de commerce, auxquels s’ajoutent des bouchers, des boulangers, des restaurateurs et surtout une masse de vendeursétalagistes aux revenus modestes. Dans la pratique enfin, le segment du rattrapage débouche sur les prix de cession foncière les moins élevés du marché bamakois. Rares sont les frais d’aménagement versés effectivement dans les caisses du gouvernorat en plus de la taxe d’édilité incompressible. Seule la viabilisation de Daoudabougou justifie un record de 172 000 francs CFA perçus en moyenne par parcelle, mais qui reste bien inférieur aux montants mentionnés plus haut pour les lotissements administrés par le gouvernorat. Le transfert de responsabilité aux communes a donc forgé sur le terrain un segment peu coûteux, dont les objectifs d’aménagement sont réalisés au rabais ou remis à plus tard. Plus qu’une 27. Rappelons que les 18 mois étudiés entre 1994 et 1996 concernent surtout les quartiers irréguliers de Djoumanzana et de Boulkassoumbougou-Bobobougou en Commune I. Grafigéo 1999-8 100 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier réhabilitation proprement dite, « Sauvons notre quartier » est une opération de sécurisation foncière qui recouvre encore insuffisamment ses coûts. Nouveaux tris communaux : des poches spéculatives La logique de la sélection financière n’est cependant pas absente de ces premières expériences communales, tant il est vrai que la décentralisation implique un transfert de ressources au niveau local. Faire payer ceux qui sont solvables pour aménager sommairement quelques terrains à destination des pauvres, telle est la devise qui s’impose au travers de quelques places urbaines morcelées ça et là en terrains d’habitation. La Grafigéo 1999-8 Commune II (Bougouba) l’a déjà montré en vendant plusieurs centaines de parcelles à des prix qui ont varié en fonction des clientèles retenues plus qu’au regard des niveaux d’aménagement foncier. Plus discret, un petit morcellement de 52 parcelles est mené dans le même temps derrière l’École supérieure de la Santé (Commune III). Les lots sont vendus à 1 500 000 francs, mais ces montants élevés n’apparaîtront pas dans le registre domanial du district. Beaucoup de commerçants de la circonscription se sont d’ailleurs portés candidats à l’achat, un seul se proposant même de prendre 10 parcelles au comptant ! Mais le maire préféra retenir, contre l’avis de ses conseillers, une sélection de fonctionnaires car les employés des deux hôpitaux 101 Conclusion Conclusion A U TOTAL, plus de 2 000 lettres d’at- tribution sont donc délivrées par an en moyenne entre 1994 et 1996, toutes parcelles confondues (gestions neuves et de rattrapage). On dépasse de beaucoup le rythme des attributions de la période décennale précédente (moins de 900 lettres délivrées annuellement entre 1985 et 1994). Par rapport au monopole domanial du gouvernorat, la transition communale qui se dessine est bien loin de freiner la tendance à la dilapidation foncière que l’on observait déjà de la deuxième république à la Transition démocratique. Un nouveau schéma de clientélisation se développe, au niveau local, autour d’une proportion non négligeable de terrains à usage d’habitation. La gestion municipale occupe en effet un double créneau dans le marché bamakois : d’une part la réhabilitation urbaine que les mesures d’exception des autorités de tutelle ont généralisée (environ 1/3 des espaces urbanisés) ; d’autre part les ersatz plus diffus des « poches » et des « raccords », qui complètent l’offre administrée classique sur un mode négocié, parfois officieux. En réponse à cette décentralisation de facto, la consigne ministérielle interdisant Grafigéo 1999-8 aux responsables locaux de désigner de nouvelles parcelles sera-t-elle durable ? Insufflera-t-elle une refonte d’envergure de la législation domaniale ? Un retour en arrière sur les pratiques administratives et politiques des première et deuxième républiques montre que de tels scénarios en dents de scie se sont déjà produits à plusieurs reprises : attributions bricolées ou tolérées, bridées ensuite par des délégations spéciales (suites du coup d’État de 1968) et par des suspensions imposées en haut lieu sous les réprimandes présidentielles, puis de nouveau initiatives « de la base » sous la pression des clientèles locales (Bertrand, 1994). Mais la troisième république a bien pour défi de conjuguer des héritages prégnants (pénuries budgétaires, habitus clientélistes) et les contraintes ou les opportunités de gestions neuves (conditionnalités internationales, pluralisme politique, dynamiques associatives). Au milieu des années quatre-vingtdix, le tournant conjoncturel du marché bamakois est donc bien amorcé en relation avec la problématique de la décentralisation. La gestion foncière nourrit les voeux de transfert de prérogatives, mais elle anticipe également fort sur les décrets 103 Décentralisation malienne réglementaires, la pratique administrative, les implications juridiques et électorales de la réforme. Durables ou non, l’ensemble de ces profils municipaux augurent de modes locaux de légitimation politique qui sont appelés à se pérenniser dans l’avenir de la décentralisation. En cela la gestion territoriale implique autant le bas de la « société civile » que le haut de l’État. En cela l’expérience bamakoise et son cortège de bricolages technico-financiers justifient, par-delà les échéances électorales de 1998, d’intéressantes comparaisons avec les communes urbaines plus petites de l’intérieur. En cela enfin l’économie politique du rapport des producteurs et des usagers à la terre fonde de nouvelles comparaisons entre la gestion des villes et le découpage des communes rurales. Au-delà d’une lecture strictement institutionnelle de la décentralisation, les bases sociales « du local » sont en jeu. Dans le cas de la capitale, le risque d’une « ville puzzle » n’est pas à négliger, tant les initiatives associatives, les biais politiciens et les courts-circuits techniques fragmentent la mise en œuvre de la politique urbaine. Le résultat apparaît Grafigéo 1999-8 souvent contraire à la programmation d’ensemble que tentent de mettre en place le Projet Urbain du Mali et les autorités gouvernementales sous la pression de certaines nécessités sociales. Des contresens apparaissent sur le caractère « naturellement » démocratique des pratiques locales et sur la légitimité infaillible des initiatives décentralisées. Des intérêts divergents, des contre-offensives en série vont même jusqu’à anesthésier certains élans de participation populaire et de réelles bonnes volontés politiques. Réveil de logiques lignagères et néo-coutumières dans les périphéries lointaines, divisions municipales au centre : l’ensemble ne manque certes pas de précédents ! Il n’en reste pas moins que cette gestion foncière déconcentrée s’avère aussi novatrice. Les communes l’ont montré en contribuant à sécuriser d’anciens administrés et à insérer quelques locataires sur des trames neuves. Ancrer en ville ces citadins aux pratiques spatiales incertaines, leur consacrer des investissements locaux, élargir l’argument du territoire à des populations encore instables, tels sont bien les défis géographiques de la décentralisation. 104 Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier Bibliographie AFVP, 1995. Étude et conception d’un fonds d’investissement local dans la Wilaya du Guidimakha. In Programme de Développement Municipal, Communes et développement local dans les pays du Sahel, Cotonou, PDM/CEDA, p. 117-125. ALLIÈS P., 1986. Le local, l’État et la société civile. 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VENARD J.-L., 1995. Communes et société civile. In Programme de développement municipal, Communes et développement local dans les pays du Sahel, Cotonou, PDM/CEDA, p. 249253. 106 Liste des cartes et des tableaux LISTE DES CARTES Carte 1 : Carte 2 : Carte 3 : Carte 4 : Régions du Mali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cercles du Mali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Arrondissements du Mali avant la refonte communale de 1996 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les quartiers de Bamako . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 11 12 13 LISTE DES TABLEAUX Tableau 1 : Tableau 2 : Tableau 3 : Tableau 4 : Budgets prévisionnels, 1993 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Budget de la commune IV, 1992 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Budget de la commune I, 1992 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recettes domaniales du district de Bamako premier semestre 1996 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tableau 5 : Distribution socio-économique de la demande et des segments de l’offre administrée, communale, ACI . . . . . . . . . Grafigéo 1999-8 59 65 66 91 97 107 Résumés Résumés • Français Le Mali n'échappe pas à la vague des décentralisations africaines dans la dernière décennie : de nouvelles attributions sont reconnues aux 19 communes urbaines déjà existantes, avec des moyens incertains ; le niveau exécutif de l'arrondissement est supprimé au profit d'environ 700 communes rurales constituées sur l'intégralité du territoire malien. Par delà ses débats techniques, cette refonte offre aux chercheurs, géographes au premier plan, l'occasion d'interroger les arguments du territoire, la légitimité et la crédibilité d'identités locales, l'économie politique des pouvoirs municipaux. Dans une conjoncture internationale plus large qui met « le local » en exergue, la réforme territoriale est en effet proposée au pays dès la mise en place des nouvelles institutions de la troisième République en 1992. Si elle ne manque pas de précédents sous les régimes antérieurs, elle s'appuie sur une expression politique qui a ses parts d'héritages et de nouveautés. La décentralisation inspire d'emblée des ambitions multiples dans lesquelles se lisent les « conditionnalités » ambiantes et les opportunités particulières des bailleurs de fonds. La participation de la société civile est comme partout abondamment requise de l'extérieur, mais inégalement traduite à l'intérieur. S'y ajoutent la nécessité de budgets assainis et de multiples déclinaisons de la « bonne gouvernance ». La transition démocratique et l'ajustement économique du Mali sont en effet jugés exemplaires à l'extérieur, arguments que ne manque pas de retenir le débat poliGrafigéo 1999-8 tique interne. Le pays n'échappe pas cependant à de fortes tensions au cours du premier quinquennat pluraliste (1992-1997). Outre des crises sectorielles, scolaires par exemple, l'ont montré d'une part la crise régionale du Nord, d'autre part le raidissement du « Collectif de l'opposition » sur le triple processus électoral de 1997-1998. Capitale primatiale du Mali, Bamako ne manque pas d'interroger la dimension urbaine de la décentralisation. L'agglomération illustre en effet le procès de requalification des espaces locaux (communes et quartiers) en cours depuis le début de la décennie. Après avoir été assimilées aux initiatives spontanées, stigmatisées dans le registre de l'anarchie, désignées comme antinomiques d'une gestion normée du territoire urbain, ces mailles internes de la ville voient leurs vertus inversées dans un sens positif. Le discours cède la place à une valorisation médiatique, politique et financière des « forces vives du local » dont l'étude analyse la pertinence sur le terrain. Esprit d'initiative relayant l'anomie et le laisseraller, « transparence » succédant aux « magouilles » et aux « luttes de tendances » du parti unique : de nouvelles « idéalités » sont donc censées remonter du « bas » de la société citadine comme du fond des terroirs ruraux. Des pressions internationales aux gestions locales à l'œuvre dans la capitale, en passant par les implications régionales du développement, la décentralisation malienne est abordée à travers un glissement d'échelles géographiques. La première partie envisage le contexte d'émergence et les jalons des réformes. Elle montre à la fois l'originalité et la banalité de 109 Décentralisation malienne l'entreprise malienne de « communalisation » du territoire national. Sont mis en évidence les promoteurs et les animateurs du changement institutionnel, les effets de contexte, d'influence à l'égard des conceptions nord-américaines et françaises des missions de service public. Le message se veut ferme : « mieux d'État » ; mais l'allocation des investissements et des subventions est incertaine. Si l'appropriation du slogan de la décentralisation est bien réelle, les débats n'apparaissent pas toujours « indigénisés » et l'on est conduit à s'interroger sur le terme de société civile. Au milieu de la décennie, les perspectives pratiques du « remembrement » communal font ensuite ressortir les « catégories » du territoire malien. Les développements respectifs de la campagne « anémiée » et de la ville « animée », du Grand Nord « déficitaire » et du Sud « crédible », des terroirs et de leurs chefs-lieux, nourrissent différents registres de la participation : attentisme versus activisme. En attendant les élections municipales, l'accouchement des nouvelles collectivités polarise une série d'alternatives : valorisation traditionaliste du consensus à la base, ou sélection d'un entrepreneuriat innovant dans les logiques de la mondialisation. La société malienne est pensée au travers d'étiquetages et de cadrages spatiaux qui sont supposés étanches, et qui dispensent surtout d'interroger l'effet des mobilités géographiques sur les dynamiques locales. La « culture territoriale de la démocratie » est présentée à la fois comme un objectif et comme un pré-requis de la refonte administrative, ambiguïté dont attestent particulièrement les contours et les moyens des futures communes. S'attachant enfin à la capitale malienne, la troisième partie envisage la gestion décentralisée à l'épreuve du marché urbain. Le cas de Bamako prend un relief particu- lier du fait de son statut institutionnel (six communes sous la tutelle d'un district, un « maire central » bientôt élu), et du fait du poids électoral de l'opposition lors du mandat 1992-1997. Les pratiques communales y sont donc tendues du fait d'anticipations et de blocages que les populations, les associations et les élus imposent au processus de la décentralisation. Les opérations foncières offrent ainsi un bon cadre d'analyse des concurrences à l'œuvre dans l'affirmation des légitimités locales. A l'aune d'une gestion de rattrapage et de marchés saturés, le clientélisme foncier qui prévalait sous la deuxième république ne semble pas disparaître. Il paraît davantage bourgeonner autour des municipalités, mais en laissant des marges de manoeuvre inégales et encore non fixées. Une typologie des pratiques et des clientèles communales en suggère, in fine, les conséquences à terme, et notamment la fragmentation de la gestion urbaine en dépit d'objectifs de coordination. • Anglais Seen from abroad, Mali is considered as a good example of decentralisation, where the local model holds a central position in the reforms for the promotion of the democracy and economic change. These have opened up many new perspectives which allow us to examine the particular « conditions » which the financial institutions expect when offering development capital. The report examines the challenges created by the geographical situation of new communes (local councils), such as the definition of « participation » in the different areas of the country, or by the management of the municipalities in the capital, Bamako. Finally, land questions appear to be the most relevant way of testing the evolution of local power structures during the 90s. Dépôt légal : novembre 1999 Grafigéo 1999-8 110