Transition malienne, décentralisation, gestion communale

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Transition malienne, décentralisation, gestion communale
GRAFIGÉO
1999-8
TRANSITION MALIENNE,
DÉCENTRALISATION, GESTION
COMMUNALE BAMAKOISE
M o n i q u e B E RT R A N D
Collection mémoires et documents de l’ UMR PRODIG
Le
Mali n'échappe pas à la vague des décentralisations africaines dans la dernière décennie :
de nouvelles attributions sont reconnues aux
communes urbaines déjà existantes, avec des
moyens incertains ; le niveau exécutif de l'arrondissement est supprimé au profit d'environ
700 communes rurales qui sont constituées sur
l'intégralité du territoire malien. Par-delà ses
débats techniques, cette refonte offre aux chercheurs, géographes au premier plan, l'occasion
d'interroger les arguments du territoire, la crédibilité d'identités locales, l'économie politique des
pouvoirs municipaux.
Q uels sont les enjeux de cette expérience de
» remembrement territorial par le bas » ? Le redécoupage de l'espace suggère-t-il une voie de
sortie de la crise de légitimités et de liquidités
de l'État à l'issue d'un régime de parti unique
centralisé, d'une décennie d'ajustement structurel
et de paupérisation marquée ? Ces enjeux expriment-ils les nécessités ou les limites d'une transition politique qui se joue, dans le temps et
dans l'espace, par-delà le simple moment de la
Conférence nationale ? Participent-ils enfin du
renouvellement du développement rural ou d'une
promotion inédite des encadrements urbains ? À
l'issue de la mise en place des réformes (19921997), l’ouvrage s'interroge sur les opportuni-
tés et sur les contraintes dont le changement institutionnel augure pour l'avenir. Il
confirme l'importance des conflits fonciers
et des régulations sociales dont le rapport
au sol est vecteur, en ville comme en
campagne.
ISBN 2 901560 39 3
ISSN 1281-6477
TRANSITION MALIENNE,
DÉCENTRALISATION,
GESTION COMMUNALE BAMAKOISE
DANS LA MÊME COLLECTION
(ISSN 1281-6477)
La Francophonie au Vanuatu. Géographie d’un choc culturel
par Maud Lasseur (Grafigéo 1997, n° 1, ISBN 2-901560-30-X)
La géographie tropicale allemande
par Hélène Sallard (Grafigéo 1997, n° 2, ISBN 2-901560-31-8)
Le repeuplement de la côte Est de Pentecôte.
Territoires et mobilité au Vanuatu
par Patricia Siméoni (Grafigéo 1997, n° 3, ISBN 2-901560-32-6)
B. comme Big Man
Hommage à Joël Bonnemaison (Grafigéo 1998, n° 4, ISBN 2-901560-34-2)
Siem Reap - Angkor
Une région du Nord-Cambodge en voie de mutation
par Christel Thibault (Grafigéo 1998, n° 5, ISBN 2-901560-36-9)
La colonisation mennonite en Bolivie
Culture et agriculture dans l’Oriente
par Gwenaëlle Pasco (Grafigéo 1999, n° 6, ISBN 2-901560-37-7)
Retour du refoulé et effet chef-lieu :
analyse d’une refonte politico-administrative virtuelle au Niger
par Frédéric Giraut (Grafigéo 1999, n° 7, ISBN 2-901560-38-5)
SOUS PRESSE
Transformations environnementales dans le monde malais.
Approches politiques et culturelles
par François Spica (1999-9)
A PARAÎTRE
Inventaire géomorphologique de la région de Fejej (Sud de l’Ethiopie).
Etude au moyen de données aériennes et spatiales
par Lydie Martin
Le « grand Mekong » : mirage ou futur miracle ?
par Sophie Adam
Dynamiques fluviales holocènes dans le delta du Rhône
par Gilles Arnaud-Fassetta
Le développement durable en questions
par Sophie Bouju
TRANSITION MALIENNE,
DÉCENTRALISATION,
GESTION COMMUNALE BAMAKOISE
M o n i q u e B E RT R A N D
RAPPORT DE RECHERCHE
MINISTÈRE DE LA COOPÉRATION
« VILLES ET DÉCENTRALISATION EN AFRIQUE »
Novembre 1997
A VEC LA PARTICIPATION FINANCIÈRE
DE L’ ÉQUIPE EQUATEUR DE L’ UNIVERSITÉ DE PARIS 1 - PANTHÉON
Pôle de Recherche pour l’Organisation
et la Diffusion de l’Information Géographique
191 rue Saint-Jacques
75005 Paris
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Marie-Françoise Courel
DIRECTEUR FONDATEUR DE LA COLLECTION
Joël Bonnemaison (1940-1997)
DIRECTEUR DE LA COLLECTION
Roland Pourtier
COMITÉ ÉDITORIAL
Gérard Beltrando
Jean-Louis Chaléard
Marie-Françoise Courel
Christian Huetz de Lemps
Roland Pourtier
Photographie de couverture
Les équipements urbains générateurs
de ressources décentralisées :
reconstruction du Marché rose à Bamako
cliché de Monique Bertrand, avril 1998
« Vignettes de l’Atlas Catalan » (1375), B.N. de Paris,
d’après Fall Y.F., 1982.
L’Afrique à la naissance de la cartographie moderne. Paris, Karthala
Maquette et mise en page
Maorie Seysset
Cartographie
Samuel Robert
Traitement photographique
Thierry Husberg
Prix de vente au numéro
70 FF HT - 84,42 FF TTC
© PRODIG. 1999
ISBN 2 901560 39 3
ISSN 1281-6477
Avant-propos
Avant-propos
Grafigéo élargit sa palette.
Après les mémoires de maîtrise et DEA, la
revue entreprend la publication de deux
études effectuées dans le cadre d'un contrat
de recherche entre le Ministère de la Coopération (aujourd'hui Affaires Étrangères) et
Équateur sur le thème « Ville et décentralisation en Afrique au Sud du Sahara ». Elles
ont été réalisées par Frédéric Giraut au
Niger et par Monique Bertrand au Mali. La
seconde est publiée dans le présent
Grafigéo. La revue répond ainsi à son
ambition de rendre accessible des travaux
scientifiques trop souvent confinés dans une
étroite confidentialité.
Depuis quelques années les réformes de
l'administration territoriale en Afrique au
sud du Sahara vont bon train. Un maîtremot les guide : décentralisation. Le changement institutionnel est vivement encouragé
par la Banque mondiale qui voit dans la
valorisation du local un moyen d'introduire ou de consolider la démocratie, tout en
favorisant l'échelon des villes petites et
moyennes. Mais il y a loin de l'intention à
la réalisation effective et il convient de s'interroger sur la réalité des changements politiques, sociaux, économiques qui devraient accompagner les décentralisations.
Grafigéo 1999-8
Pièce obligée de la « transition » politique des années quatre-vingt-dix, la refonte administrative conduite au nom de la
« bonne gouvernance » a vu la multiplication du nombre de circonscriptions, chefslieux, communes, concourant à un resserrement du maillage administratif. S'agit-il
d'une décentralisation réelle, ou bien d'une
simple déconcentration des institutions
centrales de l'État ? Comment des organigrammes largement inspirés de l'expérience française, du moins dans les pays dits du
« champ », s'articulent-t-ils avec les dynamiques sociales et économiques endogènes ?
Peuvent-ils faire surgir de nouvelles territorialités à l'échelle locale ? Quelle est la part
du virtuel et du réel dans ce nouvel avatar
de l'État africain ? Autant de questions
auxquelles seules des études de terrain peuvent répondre.
Les deux textes publiés par Grafigéo
constituent une contribution à cet ample
débat auquel les changements politiques
des années quatre-vingt-dix ont donné un
regain d'actualité. Ils proposent deux
approches différentes qui dans leur complémentarité éclairent la complexité et démêlent les enjeux qui se cachent sous le
vocable général et abstrait de la « décen5
Avant-propos
tralisation ». Frédéric Giraut s'est intéressé
à la totalité du territoire nigérien dont il
analyse les phases successives de la transition institutionnelle et urbaine et les forces
sociales et politiques ayant présidé au
remodelage de l'administration territoriale
entre 1994 et 1996. Monique Bertrand,
après avoir présenté les lignes directrices
des réformes maliennes entreprises entre
1992 et 1997, s'attache plus particulièrement à l'analyse de la gestion communale
de Bamako, mettant notamment en
exergue l'importance des questions foncières. Ces deux études démontrent que
l'administration du territoire est loin d'être
étrangère à la géographie parce que celleci, en interrogeant l'espace dans la matérialité des lieux et l'action des hommes,
ramène toujours les institutions sur terre.
Roland POURTIER.
Sommaire
Introduction • Enjeux et séquences
du processus de décentralisation
15
. . . . . . . .
Chapitre 1 • Le contexte d’émergence des réformes
Acteurs et débats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
D’ UNE CARTE ADMINISTRATIVE À L ’ AUTRE
DES OBJECTIFS NEUFS ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
La refonte administrative n’est pas totalement inédite
La transition politique des années quatre-vingt-dix
souligne la nécessité d’innovations conséquentes . .
. . . . . . . . . .
19
. . . . . . . . . .
20
Renforcer la société civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Restaurer l’État de droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
I MPULSIONS EXTÉRIEURES , RESSORTS ENDOGÈNES . . . . . . . . . . 26
Des conditionnalités fortes,
d e s b a i l l e u r s d e f o n d s d i f f é r e n c i é s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
« La bonne gouvernance telle qu’elle s’expose » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
L’expérience française des communes et des quartiers :
une pédagogie des missions locales d’animation publique
29
32
.....................
L’appropriation africaine du slogan : le PDM . . . . . . . . . . . . . . . . .
La greffe malienne : un débat
plus intérieur qu’indigène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le joug des crises de début et de fin de quinquennat . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Tutelles ministérielles, chantier présidentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Introuvable société civile ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre 2 • Décentralisation pour le Mali rural
ou gestion urbaine décentralisée ?
. . . . . . . . .
33
33
35
36
45
L’ INNOVATION
DES COMMUNES RURALES
ET SES INCERTITUDES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
R e m p l a c e r l ’ a r r o n d i s s e m e n t ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Concevoir d’en haut, mettre en œuvre en bas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Comparaisons africaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Campagnes crédibles/campagnes déficitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
L’épineuse question des bases territoriales
d e s n o u v e l l e s c o m m u n e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Micro-communes et polarisation de l’espace local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Le nœud gordien du contrôle foncier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
LE
BINÔME « VILLES ET DÉCENTRALISATION
RENFORCÉ EN 1996 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
»
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Dimension sociale de l’ajustement et lutte contre
l a p a u v r e t é : e n j e u x d ’ u n e g e s t i o n u r b a i n e d é c e n tr a l i s é e
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. . . . . . . . . . . . .
53
7
Sommaire
Soutenir l’économie urbaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
L’effet Habitat II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Le paquet financier de la coopération multilatérale
à l ’ i n t e n t i o n d e s v i l l e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Alléger la structure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Plusieurs innovations notables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
La spécificité bamakoise au regard des
c o m m u n e s u r b a i n e s “ d e l ’ i n t é r i e u r ” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
La donne démographique et budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Six communes sous la tutelle du district . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Du front des communes à l’émiettement des
positions politiques : le risque d’une perte de cohérence
.....................
Chapitre 3 • Anticiper sur les réformes :
la gestion communale à
l’épreuve du marché foncier bamakois
. . . . .
66
73
CONCURRENCES
ET FRICTIONS DOMANIALES
AU SEIN DU DISTRICT DE BAMAKO . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . 75
L’ancien domaine aéroportuaire de Bamako-Hamdallaye :
r é s e r v e c o n v o i t é e , e s p a c e d i s p u t é . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .75
« Sauvons notre quartier » : les maires sur
l e f r o n t d e s c a s s e s e t d e s a t t e n t e s p o p u l a i r e s . . . . . . . . . . . . . . . 79
Poids de la ville irrégulière, héritages de la gestion UDPM . . . . . . . . . . . . . . . 79
25 opérations pour une coordination communale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
LES
BANCS D ’ESSAI DE LA GESTION LOCALE
PRATIQUES D’ATTRIBUTION FONCIÈRE
ET CLIENTÈLES COMMUNALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mobilisations peu reproductibles :
vers un “ développement urbain durable ” ?
:
. . . . . . . . . . . . . .
87
87
1 800 parcelles en quotas municipaux au sud de l’agglomération . . . . . . . . . . . . . . 88
« Résidus » prélevés sur les zones de recasement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
« Raccords » de fonds de lotissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
« Stratégie des poches » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
F r a g m e n t a t i o n d e l a g e s t i o n u r b a i n e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
La perspective d’un « entrepreneuriat municipal » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Épreuves de force . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Leaderships locaux sous l’angle de « magouilles » et de blocages . . . . . . . . . . . . 95
C l i e n t è l e s f o n c i è r e s , d i v i s i o n s o c i a l e d e l ’ e s p a c e u r b a i n . . . . . . . . . . . . . 96
Attributions administratives, 1985-1994 : renforcement des sélections ? . . . . . . . . 98
Gentrification dans l’offre ACI/régulations communales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Nouveaux tris communaux : des poches spéculatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
Co n c l u s i o n
. . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 03
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Liste des cartes et tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Résumés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Grafigéo 1999-8
8
Cadre juridique
J ALONS
LÉGISLATIFS ET EXÉCUTIFS DE LA DÉCENTRALISATION MALIENNE
(1992-1997)
• P ROJET DE LOI (conseil des ministres, 22 juillet 1992) fixant le nombre, les conditions d'éligibilité et de remplacement, ainsi que les indemnités des membres du Haut
Conseil des Collectivités territoriales. Celui-ci a pour vocation de donner un avis
motivé sur toute politique de développement régional et local.
• P ROJET DE DÉCRET (conseil des ministres, 28 novembre 1992) instituant la Mission
de décentralisation auprès du ministère de l'Administration territoriale et de la
Sécurité. Instituée d'abord pour un an, la Mission a pour rôle de définir les rapports
entre l'État et les collectivités territoriales, de concevoir un mécanisme de répartition des biens, des ressources et des charges entre l'État et les collectivités territoriales, d'élaborer les mesures nécessaires à la politique de décentralisation telle que
prévue par le programme à moyen terme du gouvernement (1992-1995).
• L OI 93/008 (11 février 1993), déterminant les conditions de la libre administration
des collectivités territoriales. Elle en définit les conditions d'application autour de
trois échelons administratifs, fixe la nomenclature, les modalités d'organisation et de
fonctionnement de chaque catégorie de collectivité : régions, cercles, communes.
Pour accomplir leurs missions, les collectivités territoriales pourront créer leurs
propres services et disposer des services de l'État, ce que devront préciser des
décrets ultérieurs.
• L OI 95-034 (12 avril 1995), déterminant Code des collectivités territoriales du
Mali. Elle régit les communes existantes et celles qui seront créées dans le cadre de
la décentralisation.
• L OI 96-059 (4 novembre 1996), portant découpage territorial des communes. Elle
fixe à 682 le nombre des nouvelles communes rurales créées par la refonte administrative.
• D ÉCRET DU 17 JANVIER 1997 prorogeant le mandat des élus municipaux des
19 communes maliennes jusqu'au 30 juin (la prorogation sera ensuite repoussée au
18 juillet 1997). L'initiative est conforme à l'article 7 de la loi 95-034 du 12 avril 1995
déterminant Code des collectivités territoriales.
• D ÉCRET DU 17 JUILLET 1997 ordonnant la dissolution des conseils municipaux des
communes de Kayes, Kita, Koulikoro, Sikasso, Bougouni, Koutiala, Ségou, Mopti,
Tombouctou, Gao, et du district de Bamako. Dans les communes de Nioro, Kati et
San, les membres des conseils ont rendu eux-mêmes leur démission. La mesure prépare le projet de décret portant nomination de délégations spéciales chargées de la
gestion des 19 communes urbaines du Mali (conseil des ministres, 23 juillet 1997), en
attendant les élections municipales de 1998. Nommées sur proposition du ministre
chargé des Collectivités territoriales, par décret pris en conseil des ministres
(article 9 du Code des collectivités territoriales), les délégations spéciales se composeront de sept membres dont un président qui remplit les fonctions de maire.
Grafigéo 1999-8
9
Décentralisation malienne : les régions et les cercles
Grafigéo 1999-8
11
Décentralisation malienne : les arrondissements avant 1996
Carte 3 - Les arrondissements du Mali,
avant la réforme communale de 1996
N
Kidal
Tombouctou
Tombouctou
Gao
Mopti
Kayes
Ségou
Koulikoro
Sikasso
0
Grafigéo 1999-8
200
400 km
12
I
Djoumanzana
Banconi
Sangarébou
Fadjiguila
Sikoroni
Boulkassoumbougou
Nord
Djélibougou
Point G
Sam
Samé
Korofina
Hippodrome
Sotuba
2
Koulouba
Missira
5 Ntomikorobougou
3 Sud
dina
Médina
Dar Salam
II
Kodabougou
1
Coura
Badialan
III CC Bagadadji Quinzambougou
4
II I Ouolofobougou
Zone
Quartier
Bolibana Ouolofobougou
Hamdalaye
industrielle
Drav la
Dravéla
Tsf
Niaréla
Dravéla
Bamako
Coura
Bozola
Bamako
Aci 2000
Coura
Cit du Niger
Cité
Quartier
du Fleuve
Lassa
Lafiabougou
domaine agricole
Missabougo
IV
Taliko
10
Djikoroni Para
7
6
8
9
Dont
Dontèmè
II
Dont
Dontèmè
I
Sema 1
Badalabougou
Sema 2
Quartier
Mali
r
ge
Sokorodji
Sogoninko
Yirimadio
Daoudabougou- Carrefour Commercial
de Niamakoro
Flabougou
Bako Djikoroni
Banankabougou
Ni
Sébéninkoro
ninkoro
concessions
rurales
Faso Kanou
Torokorobougou
concessions rurales
Magnambougou
Dianéguéla
Dianégu
Dian
guéla
la
Sabalibougou
V
Village
Faladié
Kalaban
Coura
Ija
Niamakoro
Kalambougou
Kalaban
Koro
Kalaban
Coura Sud
VI
N
0
1
2
3
4
5 km
Sénou
limites du District de Bamako
limites des 6 communes (de I à VI)
limites des quartiers
limites des secteurs
hauteurs et corniches
principales routes
CC
centre commercial
enclaves irrégulières
concessions rurales et domaines agricoles
extensions urbaines
M. BERTRAND, C. FOUÉTILLOU, Département de Géographie de l'Université de Caen, 1997.
Enclaves irrégulières
1. Bakaribougou
2. Samako
3. Babiyabougou
4. Bougouba
5. Niomirambougou
6. Djikoroni Djénékabougou
7. Djikoroni Mariambougou
8. Djikoroni Foulabougou
9. Djikoroni Abdoulayebougou
10. Djikoroni Troukabougou
Introduction
Introduction • Enjeux et séquences du processus de décentralisation
L
de la décentralisation
malienne illustre à double titre un
schéma de transition. Les réformes
sont d’abord annoncées et promues à la
faveur d’une transition politique. A l’issue
de la Conférence nationale de juillet-août
1991 s’annonce la mise en place d’une troisième république malienne fondée sur une
démocratie pluraliste (Bertrand, 1992). Le
changement administratif prend donc
place dans une série plus large de réformes
institutionnelles et politiques qui lui en
donne les conditions et arguments.
La refonte de la structure territoriale du
pays exige de plus un travail de préparation
qui peut être considéré, au regard d’expériences voisines en Afrique occidentale,
comme diligent. Il s’agit de l’élaboration de
textes juridiques et réglementaires, de
consultations régionales, d’un débat politique et de négociations internationales,
mais aussi d’une véritable communication
médiatique et de tâtonnements techniques
et budgétaires de terrain. La nécessité du
passage d’un schéma administratif centralisé à un autre décentralisé s’impose à partir
de 1992. La fin de l’année 1997 peut être
ensuite retenue comme moment de clôture
de ce travail préalable. Après l’adoption par
l’Assemblée nationale du nouveau découpage territorial en novembre 1996, qui
A PRÉPARATION
Grafigéo 1999-8
consacre la création de 702 communes
urbaines et rurales, ce sont en effet les élections municipales, reportées de 1997 aux
deux années suivantes, qui achèveront la
mise en place d’un pouvoir décisionnel local
et permettront le transfert effectif de responsabilités et de compétences.
Cinq années jalonnent donc les enjeux et
les débats d’une phase essentiellement
mobilisatrice de décentralisation malienne.
Si le processus est bel et bien amorcé, on
peut mener deux interprétations de ce que
nous qualifions ici de transition.
Une première lecture du calendrier
1992-1997 considère la situation comme
un simple moment d’attente appelé à être
dépassé par le fonctionnement effectif du
système communal décentralisé. Les hésitations et les conflits qu’il a soulevés n’engagent donc pas durablement l’avenir.
Cette interprétation conjoncturelle de la
transition présuppose la perfectibilité à
terme du processus.
Une seconde lecture se place au contraire dans la perspective d’un engagement
durable dans une nouvelle structure. Les
cinq années participent bel et bien des fondations de la future configuration administrative, par la portée des textes établis
comme par le climat politique (attentisme
ou confrontations) qui a présidé à leur éla15
Décentralisation malienne
boration. Cette dernière interprétation est
cependant difficile à mener dans le contexte malien, car le dispositif communal qui
couvre désormais l’intégralité du territoire
national n’est pas accompagné d’une cartographie précise des limites des circonscriptions. Les bases foncières et domaniales de
la réforme manquent donc à sa greffe dans
le pays. Cela prive le processus d’un préalable fort, et cela hypothèque sa pérennisation institutionnelle.
Pour concilier ces deux lectures d’un
moment de transition, on s’appuiera sur des
investigations complémentaires. A court
terme, l’analyse s’attache à l’affichage du
projet puis du programme de décentralisation sur la scène politique. On s’interroge
notamment sur les impulsions des réformes
et sur la dimension holiste qu’elles ont
conférée à la gestion territoriale. En effet, la
décentralisation s’inscrit durant cette période dans un véritable enchaînement de slogans, mots d’ordre et « conditionnalités » du
développement : libéralisation, dimension
sociale de l’ajustement structurel, démocratisation, participation populaire et gestion
partagée, se combinent ainsi pour définir la
rhétorique des années quatre-vingt-dix.
L’ensemble renvoie à un devenir national
tant économique, social, politique, qu’institutionnel et juridique. Mieux, la série est
censée fonder une nouvelle « culture », celle
des collectivités territoriales, un « sentiment
d’appartenance » intimement et durablement lié à l’espace1. La décentralisation viserait tant à améliorer le cadre de vie des villes
qu’à contribuer au développement économique rural. Elle justifierait l’ambition du
« réfléchir à l’échelle globale et agir à l’échelle locale » (Programme de Développement
Municipal, 1995, p. 12). De nombreux
acteurs devraient donc présider à son élaboration : bailleurs de fonds étrangers, cadres
nationaux, corps sociaux intermédiaires,
médias et partis, ONG, multiples représen-
tants d’une « société civile » abondamment
sollicitée.
De ces ambitions multiformes, la décentralisation ressort à la fois dense et ambiguë. Outil d’accompagnement, cheville
ouvrière, finalité à part entière, instrument
ou acteur d’une politique plus globale, tout
cela justifie l’emploi fréquent du terme
d’« interface » pour situer le rôle des collectifs territoriaux entre « le haut » de l’État et
« le bas » des sociétés. On se demandera
alors si cette « culture communautaire » du
territoire local, gage de responsabilité et
d’initiative, est compatible en ville avec une
mobilité résidentielle accrue et avec le développement du marché locatif qui disperse
les collectifs familiaux sur des systèmes résidentiels éclatés (Bertrand, 1994).
Une seconde investigation s’attache à
détecter dans la période 1992-1997 ce qui
anticipe sur l’après 1997 et augure du fonctionnement futur. La question du clientélisme communal est ainsi posée dans les
termes concrets de la gestion foncière. Les
prémisses de la décentralisation conduisent-ils à rendre plus cohérente la gestion
du territoire urbain ou à la fragmenter ?
Malgré leurs différences, ces perspectives
contextuelle et structurelle montrent toutes
deux l’attention portée, à travers la notion
de décentralisation, à la dimension spatiale du développement. Le géographe est sollicité pour questionner ce statut accordé au
territoire, plus particulièrement à l’espace
local dans ses rapports à la globalité nationale. Dans la problématique du développement de l’État, l’espace inspire en effet
diverses interprétations qui fondent les
perspectives plus théoriques de notre étude.
On envisage d’abord l’espace comme
emboîtement de niveaux d’administration
définis par leurs compétences et leurs
limites. Cette conception fonctionnaliste du
découpage territorial et des rapports institutionnels s’inspire de la science adminis-
1. « Ce passage d’une culture d’administration à une culture de développement, constitue un véritable "ajustement culturel" dont le succès est loin d’être assuré, parce qu’il met en cause les conditions dans lesquelles
les institutions municipales, c’est-à-dire le maire, les conseillers et le personnel des services municipaux,
pratiquent la gestion des affaires. » (Venard, 1995, p. 250) « Dans ce contexte, l’espace communal devient
un enjeu stratégique, aussi bien pour l’internationalisation des économies que pour la survie même de la
démocratie locale, et à travers elle de la démocratie tout court. » (Elong Mbassi, 1995, p. 23)
Grafigéo 1999-8
16
Introduction
trative des années soixante. Le droit positif
de la décentralisation cherche dans l’espace
local un potentiel « de régulation sociale,
indépendamment des modes de participation de l’État à la reproduction du capital et
à ses crises » (Alliès, 1986, p. 275). Le
redéploiement de l’administration lance le
pari qu’une maille plus petite de territoire
donnera un nouveau crédit à l’animation
économique (sous-traitance notamment) et
à la gestion sociale des solidarités primaires.
Mais les fondements politiques de cette
hypothèse, les conditions historiques du
pari ne sont guère examinés.
Orienter la décentralisation en Afrique
revient alors à préciser les responsabilités
respectives de l’État, des pouvoirs traditionnels cantonnés au niveau des terroirs
ruraux et des quartiers urbains, et des collectivités territoriales intermédiaires, soit à
« articuler » le rôle normatif descendant de
l’administration déconcentrée et le rôle participatif remontant des communautés
locales. Appliquée à l’expérience malienne,
cette perspective convient bien à la première étape de la transition quinquennale.
Dans les mois qui suivirent la mise en place
de la troisième république malienne, les
conditions institutionnelles de ce travail
technique furent :
• l’institution du Haut Conseil des collectivités territoriales prévu à l’article 25 de la
Constitution,
• l’institution de la Mission de décentralisation auprès du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité,
• enfin la nomination du chef de la Mission
de décentralisation, Ousmane Sy (communiqué du conseil des ministres du
4 novembre 1992).
Au terme du travail juridique et législatif
de 1993, cette première étape accouche
d’une réforme des collectivités territoriales
décentralisées (loi 93/008 promulguée le
11 février 1993) qui supprime l’échelon
administratif de l’arrondissement et précise
les modalités du transfert de compétences
des niveaux centraux aux niveaux déconcentrés de l’administration (projet de Code
des collectivités décentralisées finalement
consacré par la loi 95/034 du 12 avril
19952).
Une seconde approche du développement envisage au contraire l’espace comme
l’enjeu de rapports de forces par nature
sociaux. Produits historiques, les cadres
territoriaux locaux démontrent alors les
stratégies de capture, de biaisage ou de
contournement que le politique impose au
droit. L’espace apparaît ici objet d’une
requalification permanente. Les redéploiements institutionnels en faveur de niveaux
de gestion déconcentrés doivent être analysés dans la perspective d’une économie
politique de l’État, de ses élites et bases
sociales. On y décèle autant d’arbitrages
que de simples gains de productivité. Les
qualités, stigmates ou vertus, attachés au
« sentiment d’appartenance territorial »
font alors sens comme moments historiques
dans les tensions d’une société, par-delà les
consensus formels que suggèrent le droit
positif et la règle administrative.
Cette lecture de l’espace socialisé, expression de pouvoirs concurrents, convient
mieux à ce que l’on pourrait appeler la
deuxième phase de la transition malienne. A
partir de 1995, les réformes de décentralisation se concrétisent en effet sous l’angle du
cadrage géographique, des acteurs sociaux
et économiques qui doivent donner corps
aux nouvelles collectivités territoriales. En
attendant les élections de 1998, il s’agit
notamment du travail de terrain puis du
débat politique qui concernent la configuration des 702 communes rurales et urbaines.
La politique « descend alors de la chaire des
grands débats de principe pour être ramenée sur le terrain des réalités prosaïques »3.
Discuté en session extraordinaire de
2. Dans la même veine juridique et réglementaire, on peut ensuite citer le projet de décret déterminant les
conditions et modalités de mise à disposition des services déconcentrés de l’État aux collectivités territoriales
(conseil des ministres du 14 février 1996), ainsi que le projet de statut particulier du district de Bamako.
Discuté en janvier 1996 à l’Assemblée nationale, ce dernier vise à conférer un statut institutionnel à la capitale en dérogeant au Code des collectivités territoriales au Mali (voir le chapitre 2 de cet ouvrage).
3. « L’avenir politique du Mali », L’Essor Hebdo, 10-11 août 1996.
Grafigéo 1999-8
17
Décentralisation malienne
l’Assemblée nationale, en parallèle avec le
délicat projet de code électoral qui doit organiser les triples élections (législatives, présidentielles et municipales) de l’année suivante, le projet de découpage territorial
constitue « une étape importante dans la
consolidation de la consolidation de la jeune
démocratie malienne » (introduction aux
débats de juillet-septembre 1996)4.
Par delà ces implications théoriques,
notre étude analyse le calendrier des
réformes, que l’on vient sommairement de
résumer en deux phases, les discours de
leurs promoteurs, et enfin la gestion urbaine
en pratique qui apparaît décentralisée de
facto avant de l’être de jure.
La décentralisation malienne s’applique
en effet à l’ensemble du territoire national.
En étudier plus précisément les relations
avec le monde urbain suppose de trancher
entre deux niveaux de lecture de l’urbanisation : s’agit-il de questionner la dimension
urbaine de la décentralisation ? Dans ce cas,
les transferts de pouvoirs décisionnels
conduiront-ils à mieux polariser le développement sur les villes, à en promouvoir un
type particulier – chefs-lieux régionaux ou
petits centres secondaires ? –, à corriger les
déséquilibres de la hiérarchie urbaine, à renforcer enfin les relations villes-campagnes
dans toutes les régions ? Ou bien envisage-ton le binôme villes/décentralisation centré
sur les premières ? C’est alors la nécessité
d’une gestion urbaine décentralisée qui est
au cœur de l’analyse. Dans un cas l’ensemble de l’armature urbaine est prise en
compte dans ses rapports avec le monde
rural ; dans l’autre l’espace cadré est plus fin
et met en jeu la gestion communale jusque
dans la maille plus fine des quartiers.
Capitale primatiale du Mali, comptant
environ un million d’habitants, Bamako ne
peut manquer de renvoyer à cette dimension
infra-urbaine. L’agglomération illustre
d’ailleurs bien le procès de requalification de
l’espace local en cours depuis le début des
années quatre-vingt-dix. Les six communes
et la soixantaine de quartiers qui la composent ont été souvent « déqualifiés » dans le
discours urbanistique et la pratique administrative antérieurs à la Transition démocratique de 1991. Assimilées aux initiatives
officieuses ou « spontanées », stigmatisées
dans le registre de « l’anarchie », de « l’illicite » et de « l’irrégularité », ces mailles
internes du district de Bamako, qui a rang
de région dans la hiérarchie administrative
malienne, ont été désignées comme entravant une action réglementaire cohérente et
comme antinomiques d’une gestion normée
du territoire urbain.
Ce discours cède ensuite la place à une
valorisation médiatique, politique et financière des « forces vives du local » que la
décentralisation propose de promouvoir.
Esprit d’entreprise relayant l’anomie et le
laisser-aller, transparence succédant aux
« magouilles » du régime précédent5,
concertation administrative et politique
mettant fin aux « luttes de tendances, de
clans et de personnes » qui prévalaient
autour du parti unique à la faveur de relations personnalisées : de nouvelles idéalités
sont donc censées émerger du bas de la
société citadine comme du fond des terroirs
ruraux. Un véritable enchaînement de slogans traduit l’inversion du discours en
faveur de vertus positives.
Moment provisoire d’un retour de
balancier, en attendant d’autres revirements, ou inflexion durable du « savoir
penser » l’espace ? La problématique de la
transition est bien au cœur du processus de
réforme.
4. Au terme de la session extraordinaire, le président de l’Assemblée qualifiera de « délicat, sensible
et révolutionnaire » la loi sur la création des communes. La session ordinaire d’octobre 1996 qui
suit qualifie encore de « grandissime et novateur » le projet sur le découpage territorial. Elle met
de nouveau en parallèle des débats en matière de décentralisation (propositions de rattachement
de villages et de quartiers aux communes de Bamako et de Ségou ou en vue de l’érection de Sévaré
en commune urbaine, amendements divers qui aboutiront à la loi 96-059 du 4 novembre 1996),
et la mise en place de 45 circonscriptions législatives totalisant 147 députés.
5. Celui-ci est né de la prise du pouvoir par les militaires du Comité militaire de libération nationale en 1968. A partir de 1979, la deuxième république malienne s’appuie sur le parti unique UDPM
(Union démocratique du peuple malien) et sur le pouvoir présidentiel et clientéliste de son secrétaire général. Le Général Moussa Traoré est finalement renversé en mars 1991.
Grafigéo 1999-8
18
Contexte d’émergence des réformes
Chapitre 1 • Le contexte d’émergence des
réformes : acteurs et débats
D’UNE CARTE ADMINISTRATIVE À
L’AUTRE : DES OBJECTIFS NEUFS ?
La refonte administrative n’est
pas totalement inédite
Le régime précédent de la deuxième
république malienne a déjà fait montre
de réformes administratives. Celles-ci ont
été menées sous la tutelle de la Commission nationale des réformes administratives (CNRA) mise en place entre 1969
et 1973. Elles se sont attachées d’abord à
redéfinir la carte régionale du Mali en
1978 et 1979 (sept régions administratives auxquelles s’ajoute, bénéficiant d’un
statut particulier, le district de Bamako),
puis à déconcentrer dans les chefs-lieux
régionaux certains services techniques
et administratifs de l’État.
Ces premières mesures donnent une
certaine importance à la question urbaine
en diffusant le principe de schémas
d’aménagement et d’urbanisme au cours
des années quatre-vingt. Le premier concerne Bamako en 1978. Le ministère des
Transports et des Travaux publics en
généralise ensuite la pratique aux
13 autres communes « de l’intérieur »1.
Élaborés pour les principales agglomérations du pays, ces schémas sont transmis
aux instances techniques régionales chargées désormais de veiller à l’exécution des
cadres réglementaires définis par les instances centrales. La liaison entre la planification urbaine, la décentralisation et la
mobilisation des ressources financières et
humaines locales est déjà établie2. La pratique administrative et budgétaire de la
fin des années 1980 permet alors de
conclure à un réel désengagement de
l’État en matière d’aménagement urbain,
tant les services déconcentrés (directions
techniques régionales, voire locales, de
l’Urbanisme et de la Construction, ou
encore des Domaines) sont pauvrement
1. Kayes, Kita et Nioro en première région, Koulikoro et Kati en deuxième région, Sikasso, Koutiala
et Bougouni – érigée en commune en 1983 – en troisième région, Ségou et San en quatrième
région, Mopti, Tombouctou et Gao respectivement en cinquième, sixième et septième régions.
2. « Chaque circonscription doit correspondre à un pouvoir local à la base. La décentralisation doit
favoriser la participation responsable des masses populaires au développement économique et
social de leurs milieux. Les collectivités déconcentrées ont un important rôle à jouer dans l’aménagement de leurs zones. » (SSAU de Bamako, rapport provisoire, 1979)
Grafigéo 1999-8
19
Décentralisation malienne
dotés et collaborent difficilement avec les
responsables communaux dans un climat
politique verrouillé. La politique de
décentralisation fonctionne comme une
coquille vide (Bertrand, 1990).
Il n’en reste pas moins que la CNRA a
surtout œuvré en direction des zones
rurales. Mais les structures de participation qu’elle a promues sont restées assez
formelles : les comités et les conseils de
développement mis en place en 1977 ont
accompagné la naissance du nouveau
parti unique. Érigées en slogan militant et
distinguées par les sections UDPM les plus
méritantes, les associations villageoises
(tons) incarnent alors, mais sans réel gain
de productivité économique, les vertus de
la « mobilisation locale » au service d’un
développement « auto-centré ».
Enfin, la crise touareg qui marque le
pays depuis la fin des années quatre-vingt
aboutit au remaniement territorial du
grand Nord malien. En 1989, la septième
région administrative de Gao est amputée
du cercle3 oriental de Kidal, lequel constitue désormais une huitième région
malienne, la région de Kidal. Cette nouvelle scission4 a surtout pour but d’isoler la
population tamacheq dans un cadre territorial de plus grande homogénéité ethnique.
La transition politique des années
1990 souligne la nécessité d’inno vations conséquentes
Malgré ces précédents, la perspective
de la décentralisation ne se reproduit pas
à l’identique d’une république à l’autre.
D’anciens mots (sensibiliser, responsabiliser, mobiliser, développer à la base) sont
actualisés à la faveur d’une véritable
refonte administrative. Il s’agit en effet de
simplifier la hiérarchie administrative et
d’associer à l’exécutif une série d’assemblées et de conseils élus à tous niveaux
territoriaux (régions et communes) (Sow,
1992 ; Sall, 1993). Le maillon terminal
de la commune permet alors d’organiser
une véritable dévolution juridique des
compétences et des ressources. Des changements significatifs concernent ainsi la
forme et le fond de la démarche.
Renforcer la société civile
Le mot d’ordre de la réforme a
d’abord évolué. Du slogan technique de
« rapprocher l’administration des administrés » qui caractérisait la seconde
république, on passe au cours des années
quatre-vingt-dix à une ambition réellement polysémique de la décentralisation,
qui autorise le citoyen à sanctionner par
un vote la gestion de son cadre de vie. Le
projet de modernisation s’insère dans un
crédit plus large donné par la démocratisation.
En témoigne l’effort de « communication » qui marque les préparatifs de réforme sur cinq ans, et qui confère aux
« acteurs de la décentralisation » un profil volontariste et ouvert. Trois niveaux
d’affichage public combinent chacun les
termes juridiques, financiers et idéologiques de la décentralisation.
1. Les conférences des cadres relèvent
d’abord d’une tradition professionnelle
sélective. Mais ils font bien vite participer
les représentants de la Mission de décentralisation et les bailleurs de fonds internationaux associés aux réformes. Défis
généraux et opportunités pratiques y sont
abondamment évoqués.
2. L’impératif de communication conduit
en parallèle à une inflation de séminaires
plus ouverts qui soulignent la nécessaire
mobilisation des médias et des ONG. La
participation de la Mission de décentralisation n’est pas moindre. Pool de journalistes, comités de jumelage, GIE, comités
de développement et associations diverses,
les uns comme les autres affichent les vertus de la coordination locale entre des
3. Le cercle est l’échelon administratif intermédiaire entre la région et l’arrondissement, l’équivalent
au Mali du département français.
4. Déjà en 1977 la région de Gao, alors sixième région, avait été scindée en deux pour donner naissance à celle de Tombouctou.
Grafigéo 1999-8
20
Contexte d’émergence des réformes
acteurs de nature variée. L’approche
démocratique est valorisée à l’encontre
d’une tradition de monopole de la gestion
territoriale.
3. Mais c’est au cœur du pays, loin des
cercles bamakois, que l’affichage de la
réforme est le plus novateur. Il rompt
alors avec le fonctionnement du parti
unique comme caisse de résonance des
motions d’en haut ou comme amortisseur
des remous d’en bas que celles-ci ont pu
susciter. A deux occasions notables, cette
pratique des « réalités du terrain » établit
un contact direct avec la « société civile ».
Dans un contexte politique tendu, les
« concertations régionales » d’août 1994
permettent à l’ensemble du Mali de
débattre d’une série de questions d’actualité, parmi lesquelles le gouvernement de
Ibrahim Boubacar Keïta, promoteur de ce
« dialogue avec le pays », place l’avis que
les populations ont sur la décentralisation.
Celles-ci sont représentées par les délégués de partis, les associations socio-professionnelles, les commandants de cercle,
les députés et chefs de services régionaux.
Sous la présidence des ministres du gouvernement qui se sont déplacés dans les
régions pour l’occasion, les forums ont
réuni pas moins de 140 participants à
Gao et jusqu’à 220 à Ségou. Dans la chronologie en deux phases que nous retenons
pour la réforme territoriale du quinquennat 1992-1997, l’événement pourrait
définir le moment du passage de l’une à
l’autre, d’un montage technique à son
appréciation politique. Et pourtant, la
réaction à chaud du pays s’attache encore
peu au thème de la décentralisation et se
consacre davantage aux questions scolaires et de sécurité dans le nord du pays.
Les discussions ne sont pas en effet à
hauteur des ambitions que cette régionalisation du débat politique esquisse trois
ans après la Conférence nationale de
1991. L’exposé des experts ressort souvent standardisé, les recommandations
des commissions tiennent peu compte des
spécificités territoriales à l’exception des
régions du Nord qui plaident pour leurs
doléances particulières en matière de
désenclavement5. Enfin, la question communale n’est réellement discutée que
dans la capitale. Les six communes du
district de Bamako se sont déjà engagées
dans une série de revendications budgétaires et domaniales qui font traîner la
relecture du statut particulier de l’agglomération.
La décentralisation est donc bel et
bien entrée dans un débat élargi. Mais les
délégués des populations s’expriment
surtout pour en demander une application progressive, ajustée aux particularités locales et tenant compte de la donne
foncière coutumière.
Une seconde occasion de « démocratie
directe » est donnée par le travail des
GREM et les tournées régionales
d’Ousmane Sy. Dès sa création, la
Mission de décentralisation met en place
des groupes d’études et de mobilisation
dont la tâche est de relayer le travail de la
cellule bamakoise dans l’intérieur du
pays. Lorsque s’impose la nécessité d’une
refonte territoriale à partir du niveau de
base des communes6, la délimitation des
nouvelles circonscriptions et la désignation de chefs-lieux potentiels incombe aux
GREM. Ceux-ci procèdent par contacts,
d’une part avec l’administration territo-
5. A Gao : entretien du réseau routier de la région, renforcement de l’axe Sévaré-Gao par la construction d’un pont sur le fleuve Niger afin de pallier les insuffisances des bacs existants, relance des
activités de l’usine de phosphates de Bourem, automatisation du téléphone et son extension à
Bourem et Ménaka, couverture de la région par la télévision. A Tombouctou : recommandations
pour l’équipement en moteur des bacs de Koriomé et de Rharous, pour l’implication des associations de parents d’élèves dans le maintien des cantines scolaires dans les cercles de Goundam,
Niafunké et Diré. Kidal demande enfin que soit appliqué le statut particulier des régions du Nord
et que la décentralisation passe par le respect des réalités locales.
6. En mars 1993, le document préparatoire du bureau d’études Dirasset table sur environ 570 communes rurales, chacune composée d’une vingtaine de villages sur la base moyenne de 10 500 habitants, avec un rayon moyen d’accès au chef-lieu estimé à 16 km dans le sud plus dense du pays.
Grafigéo 1999-8
21
Décentralisation malienne
riale et les services déconcentrés de l’État,
d’autre part avec les « notabilités locales » : héritiers des chefferies rurales, associations, ONG et partis politiques. « Supports de communication » de la Mission
de décentralisation dans chaque chef-lieu
de région, les GREM justifient donc « l’originalité de la démarche malienne »7 dans
la mise en chantier des structures communales.
Information et consultations les occuperont principalement d’avril 1995 au
milieu de l’année suivante, car il s’agit de
caler les nouvelles communes rurales
dans les limites des anciens arrondissements. Mais alors que la géographie
administrative en comptait plus de 270
dans les 46 cercles maliens, les communes
rurales à venir sont chiffrées à 632 (projet de loi portant création des communes,
adopté en conseil des ministres, juin
1996), puis à 675 (session parlementaire
de juillet-septembre 1996), et finalement
à 682 (loi 96-059 du 4 novembre 1996).
Le travail technique de terrain a bel et
bien modifié le niveau territorial des
arrondissements. Au cours des consultations, l’administration a cherché à limiter
le plus possible une remise en cause des
contours des cercles. Au contraire, les
GREM ont orchestré la pression des collectifs ruraux tendant à ajuster bon
nombre de frontières sur la base de vieux
conflits fonciers réactualisés.
L’implication personnelle du chef de la
Mission de décentralisation sur le terrain
est également bien démontrée lors de tournées dans les régions. Elles se multiplient
en 1996-1997 et témoignent des efforts à
faire pour concrétiser dans le pays un processus qui ne prend forme encore que sur
le papier. A Tombouctou par exemple, les
deux rencontres animées en novembre
1996 permettent au chef de la Mission de
rassurer sur des problèmes aussi importants que les transferts de ressources et de
compétences de l’État aux communes, la
gestion du domaine foncier, la formation
des futurs élus des conseils communaux,
l’implication des jeunes et des femmes
avant et après les élections à venir.
À cette étape de la transition administrative, les visites de terrain ancrent dans
les esprits le fait que la décentralisation a
désormais atteint une phase de non retour.
La fonctionnalité des futures communes
passe par « une plus grande implication de
tous » car il risque de se créer dans plusieurs zones du pays des communes factices qui n’auront aucune signification économique réelle. L’argumentaire de la
réforme reste fondé sur des principes communs à l’ensemble du territoire, mais l’information se particularise au gré des missions régionales, selon le nombre de
communes prévues et un morcellement
plus ou moins excessif des circonscriptions
rurales8, et selon les difficultés particulières
de la communication dans les régions9.
Dans tous les cas, une place importante est donnée à la « sensibilisation » dans
les langues nationales, en particulier
tamacheq et sonraï dans les régions du
Nord où les tensions ethniques se sont avivées depuis 1992. Comme si les vertus
magiques de la communication devaient
« naturellement » remiser les passifs de
plus mauvais dialogues. Proposée au
début de 1997, la création d’un Observatoire des communes vise enfin à pérenniser la tutelle « interactive » de la Mission
de décentralisation sur le terrain.
Assurément ces trois niveaux d’affichage des réformes renvoient au fantasme
répétitif de la « participation de toutes les
forces vives » du pays et d’une animation
conciliant « toutes les couches socioprofessionnelles de la nation ». Le fonc-
7. Entretiens à la Mission de décentralisation, août 1996. La démarche interactive avec le terrain est
en fait revendiquée par diverses expériences africaines de décentralisation.
8. 51 communes dans la région de Tombouctou, 106 dans celle de Koulikoro, 147 dans celle de
Sikasso.
9. Déficit d’information dû au retour des réfugiés touaregs et à un accès difficile aux régions du Nord.
La Mission de décentralisation y a d’ailleurs œuvré avec l’appui des équipes mobiles du
Commissariat du Nord.
Grafigéo 1999-8
22
Contexte d’émergence des réformes
tionnement pratique des concertations
met en scène, en réalité, un projet démocratique de type représentatif beaucoup
plus qu’une tentative de court-circuiter les
médiations institutionnelles et traditionnelles du pays. On peut se demander si
cette implication cadrée au niveau des collectivités territoriales de base garantit,
mieux que l’identification de la société
civile à l’espace national, un fonctionnement social réellement élargi. C’est donc
bien la catégorie politique « du local » qui
est en jeu.
« L’évolution récente du paysage socio-politique des villes africaines met en évidence les
limites de la démocratie “représentative”
quand elle ne s’assortit pas d’un processus permanent de participation de la “société civile” à
la gestion municipale. Est-il alors nécessaire,
pour mobiliser les énergies locales pour le
développement, de promouvoir un “sens d’appartenance” à la commune comparable au
sens national que cherchent à mobiliser les
États ? [...] Et quelle contrepartie, quelles
contributions, peut-on attendre d’une telle
participation ? » (Venard, 1995, p. 251)
Rappelons que la fin de la deuxième république et la suppression de l’impôt de capitation, décidée par les autorités de la Transition
politique, ont fortement ébranlé une fiscalité
régionale déjà médiocre. La restauration de
l’autorité de l’État, qui est au cœur du débat
politique de 1992-1994, impose donc un
redressement significatif des taux de recouvrement fiscal. En ce sens, « la décentralisation
rappelle à tous les devoirs civiques de chacun »
(tournée du président de la république,
Koulikoro, mai 1993).
• Augmenter la productivité des infrastructures régionales.
Dès la fin de l’année 1992, par exemple, la
gestion du port de pêche de Mopti est transférée du ministère du Budget au nouveau maire
de la commune. Une convention en bonne et
due forme satisfait ici une demande longtemps
formulée par la capitale de la cinquième
région. Les autorités communales y voient
l’occasion de nouvelles recettes permettant une
meilleure prise en charge de la valorisation de
la ville. Pour le ministre du Budget, « la cession
du domaine public s’inscrit dans le cadre de la
mise en œuvre de la nouvelle politique de
décentralisation dont l’objectif visé demeure la
prise en main par les collectivités de la gestion
effective de leurs affaires. »
Restaurer l’État de droit
Seconde innovation de la troisième
république, les réformes des années 1990
s’attachent à redéployer les missions de
l’État. Si la décentralisation redonne vie à
une chance étouffée lors de la décolonisation, elle doit en effet dépasser le stade de
la simple déconcentration et de ses saupoudrages et conduire à repenser l’État.
Car le thème apparaît dilué dans le questionnement plus général du développement, lequel est lui-même tiraillé entre
ses priorités économiques, sociales et
politiques, ses promoteurs publics et ses
acteurs privés. Le calendrier de la réforme déroule ainsi un véritable catalogue
des connexions que la décentralisation –
révélateur ou catalyseur – engage avec de
nombreuses missions de service public :
• plaider pour le développement local et
« lutter contre la grève des impôts ».
Grafigéo 1999-8
• Régionaliser les infrastructures du secteur eau et assainissement.
• Redéployer la gestion des équipements
scolaires du niveau des communes
(premier cycle) et des cercles (deuxième
cycle) au niveau régional (lycées) et
central (enseignement supérieur) ;
encadrer les initiatives privées et communautaires en matière de santé.
• Stimuler une relecture du Code domanial et foncier du Mali.
La rentrée judiciaire de la fin de l’année 1995
fait intervenir le ministre de la Justice au
moment où se multiplient des litiges fonciers
dans le pays : « il importe que l’État, au
moment où il va transférer certaines de ses
compétences aux collectivités décentralisées,
réaffirme sa prééminence sur le domaine
national ». Le président de la république infléchit quelque peu le ton : « le droit à la terre
constitue un gage de la réussite de la décentralisation, mais aussi un défi face à l’autogestion.
La révision de la législation sur le foncier ne
saurait tarder, de même la banque de l’habitat
verra le jour, Inchallah, en 1996. »
23
Décentralisation malienne
• Contribuer à la résorption de l’insécurité urbaine, appuyer la structuration des
quartiers pour lever les défis de la réhabilitation urbaine au bénéfice des
pauvres, tout en facilitant le décaissement rapide des fonds publics au bénéfice des entrepreneurs.
Promouvoir les compétences locales,
impliquer les femmes dans les structures
de décision, intégrer les jeunes diplômés,
susciter la création d’emplois, assurer la
mission de maintenance des équipements, équilibrer les investissements,
encourager l’implication d’acteurs non
publics, œuvrer pour un « développement urbain durable » sans exclure l’assistance aux campagnes et l’incitation à
une productivité rurale accrue, « jusqu’au
plus petit de nos hameaux »10, telles sont
bien les engagements publics multiformes
de la décentralisation.
Car il s’agit bien de faire valoir une
pensée pratique de l’État, que ses nouvelles relations « au local » redéfinissent
comme cadre fort, incitateur, arbitre et
coordinateur. Loin d’affaiblir le pouvoir
central, la décentralisation entend restaurer une légitimité que le régime précédent
et la transition qui y a mis fin ont ébranlée.
Diverses conférences de presse du chef de la
Mission de décentralisation évoquent ainsi la
nature du contrôle que pourrait avoir l’État
sur les collectivités décentralisées : « a priori, il
ne peut être que celui de la légalité et de la
transparence de la gestion des fonds publics ».
Il s’agit bien de prendre ses distances face aux
gestions territoriales du passé, comme le
montre enfin le commentaire du projet de
découpage communal présenté au gouvernement en 1996 : « Conformément à la logique
ancienne, certains pensaient qu’il fallait venir
taper à Bamako pour résoudre les problèmes
qui se passaient à Inadiatafane ou à Korienzé
ou à Youwarou11. Nous leur avons répondu non
chaque fois qu’ils venaient nous voir. Car si
notre intention était de décider en laboratoire,
nous aurions pris un ordinateur qui aurait procédé à un découpage. Les débats à la base
visent à résoudre les problèmes à la base. (...)
Cela ne ferme cependant pas les portes car la
situation est susceptible d’évoluer. Après
départ, beaucoup s’apercevront qu’ils ont fait
de mauvais choix et devront se rallier à
d’autres. Il est donc prévisible que ce début
d’organisation sera suivi de fusions de communes rurales lorsque les gens mesureront les
limites de leur choix. Dans ce contexte, il est
donc important de souligner la responsabilité
des gens. Il leur appartenait de hiérarchiser les
critères, peut-être ont-ils choisi de privilégier
par dessus tout les liens qui les unissaient entre
eux. En cas de problème ce sont donc eux qui
sont responsables et non l’État12.
Toutefois, ces multiples engagements
publics soulèvent plusieurs ambiguïtés et
trois types de questions.
Force est de constater d’abord que les
espaces mis en exergue par la réforme
sont pluriels. Ces perspectives de décentralisation semblent impliquer des
niveaux territoriaux divers, et ces ambitions pourraient paraître lourdes à gérer
pour un pays qui se situe au bas de la hiérarchie des PIB africains. Amélioration du
cadre de vie local des quartiers et des villages, productivité accrue des terroirs et
des marchés urbains, ventilation régionale des aides et financements extérieurs,
modernisation des juridictions nationales : l’éventail des échelons est bien large
et pose le problème de leur articulation.
Envisage-t-on le simple emboîtement de
ces différents cadres d’intervention ?
Dans ce cas l’ensemble du territoire est
régi par des principes législatifs, administratifs et techniques homogènes (par
exemple la primauté domaniale de
l’État), l’autonomie de chaque échelon se
joue dans les modalités d’application des
10. Cérémonie d’ouverture de l’assemblée générale annuelle du Fonds africain pour l’Habitat, présidée par le président de la république (mai 1996). Le discours est placé sous le signe des « indicateurs d’un nouveau départ, qui ont pour nom intégration, démocratie, décentralisation. »
11. Pour une illustration de ce clientélisme local subordonné au clientélisme national sous le régime
UDPM, voir Bertrand, 1994, chapitre 8.
12. « La foi contagieuse d’Ousmane Sy », L’Essor Hebdo, 18-19 mai 1996.
Grafigéo 1999-8
24
Contexte d’émergence des réformes
règles, non dans leur définition. Ou bien
les glissements d’échelles sont-ils réellement plus souples, la gestion des territoires ajustant alors ses principes au cas
par cas ? C’est là toute l’ambiguïté, qui
dépasse la seule expérience du Mali, des
termes d’« auto-promotion » et d’« autogestion » qui fondent en partie la rhétorique politique de la décentralisation13.
Comment les bailleurs de fonds se
partageront-ils de plus les interventions
locales, régionales et nationales ? En
termes de complémentarités ou de
concurrences sur les niveaux territoriaux
jugés les plus efficaces ou les moins
contre-productifs ?
Enfin, une interrogation de taille
concerne les modalités d’intervention de
l’État. Premier récepteur des crédits de
coopération internationale, l’État y est
souvent présenté souvent acteur ou
arbitre d’une intervention publique
directe. Il s’agit alors de rationaliser l’allocation territoriale et sociale des ressources humaines, des investissements ou
des subventions communales. Cela
conduit notamment la Mission de décentralisation à s’exprimer sur une politique
de saupoudrage de moyens.
A la question cruciale du transfert de ressources et de compétences de l’État aux « communes déficitaires », le chef de la Mission fait
remarquer en direction du Nord malien que
« vu le niveau de développement disparate des
régions, l’État a prévu dans le budget 1997
une ligne de crédit pour les communes
déficitaires. Les discussions sont également en
cours avec le ministre de la Fonction publique
pour mettre à disposition des communes
rurales des agents de l’État. »
D’autres discours et expériences valorisent au contraire le rôle indirect de
l’État. On est alors déjà très en retrait
d’une assistance immédiate. A supposer
qu’il y ait réellement eu engagement d’un
État-providence dans les années passées,
il s’agit désormais de créer les conditions
d’un désengagement budgétaire et juridique au profit de formes non publiques
et non fiscales de mobilisation des
épargnes locales et des financements
extérieurs : investissements privés, mise
en régie des services collectifs, relais des
ONG et de la coopération décentralisée.
Cette seconde perspective s’affiche aussi
bien pour le développement urbain que
pour le développement rural.
La réforme institutionnelle du ministère du
Développement rural et de l’Environnement,
au début de 1997, annonce en clair que l’État
se désengage de certaines missions (production, commercialisation, distribution de crédits
et d’intrants) au profit du secteur privé, et
qu’il se recentre sur les missions de conception,
d’orientation et d’application de la politique
nationale. Ce nouveau contexte créé autour de
la décentralisation impose de préparer les
populations à la prise en charge progressive de
leurs responsabilités en matière de développement socio-économique. « C’est dans ce cadre
qu’une mission d’appui-conseil aux populations fut confiée au début de 1997 à un premier contingent de volontaires déployés dans
la région de Gao. Fort d’une vingtaine de
jeunes diplômés, en majorité sortis de l’Institut
polytechnique rural de Katibougou, celui-ci a
été préparé aux missions de volontariat et a
suivi une formation au renforcement des techniques de production de plants de fixation des
dunes. » Mais pour lever la sempiternelle question de l’eau, « cette contrainte lourde qui se
retrouve partout où les volontaires interviennent, de gros moyens seront nécessaires dont
personne n’a ici la maîtrise. » (L’Essor Hebdo,
22-23 mars 1997)
L’alternative intervention / délégation
augure-t-elle finalement d’un traitement
différencié des régions et des communes
au travers de la décentralisation à venir ?
La géographie économique malienne, par
ses extrêmes, donne du crédit à cette dernière hypothèse : le Grand Nord pérenni-
13. « Le débat malien sur la décentralisation depuis 1992 illustre manifestement (...) ce type de tension entre la tentation administrative à promouvoir l’uniformité du dispositif et le souhait des
populations à faire reconnaître une organisation “à géométrie variable”. Nous sommes là au cœur
des problèmes d’indigénisation et les obstacles à dépasser restent formidables. C’est en effet toute
la philosophie spontanée de l’action réformatrice qui est en cause et qui interpelle l’idéologie
idéaliste des juristes occidentaux ou occidentalisés. » (Le Roy, 1996)
Grafigéo 1999-8
25
Décentralisation malienne
serait une logique d’assistance de l’État ;
le Sud cotonnier, seul réel garant de la
viabilité économique « du local », incarnerait « un pays qui a des ressources qu’il
suffit de mobiliser et de bien gérer, la
décentralisation (étant), pour y parvenir
un passage obligé »14. Mais la majeure
partie des terroirs et des villes secondaires
du Mali reste en demi-teinte dans ces
attentes réciproques du « bas » et du
« haut ». Si la nécessité de développer un
État de droit et une politique de développement durable suscite le ralliement de
tous à une décentralisation progressive, la
demande sociale locale se révèle moins
unanime à l’égard d’un État redéployé. Il
convient d’envisager comment cette
« société civile » est mise en scène par les
divers promoteurs de la réforme.
IMPULSIONS
EXTÉRIEURES, RESSORTS ENDOGÈNES
Assurément la décentralisation apparaît au Mali comme le dernier avatar
d’une rhétorique du développement,
comme le plus récent slogan de l’expertise internationale, les pays du Sud se trouvant une fois de plus dans le prolongement du Nord. Le mot d’ordre est-il alors
plaqué sans biais par les bailleurs de
fonds des coopérations multilatérales,
bilatérales ou décentralisées ? On rejoint
ici les réflexions plus générales sur la
« greffe » de l’État africain et sur l’« indigénisation » des perspectives de développement (Bayart, 1989, GEMDEV, 1996).
La décentralisation reprend également
d’anciennes perspectives d’intégration
des communautés locales aux espaces de
la mondialisation. Des « conditionnalités » internationales aux digestions
endogènes, elle prend rang dans la série
des modèles de modernisation technique,
de libéralisation économique et de démocratisation politique qui concourent à
l’élargissement du capitalisme.
Des conditionnalités fortes, des
bailleurs de fonds différenciés
« ... présentement, le Mali dispose auprès de
ses partenaires extérieurs de préjugés favorables, quant à la qualité de notre processus
démocratique, aux efforts que nous sommes en
train de déployer pour asseoir la décentralisation, à la rigueur de sa gestion économique et
à la cohérence de notre démarche politique. »15
Dès les années quatre-vingt, les « partenaires extérieurs » de l’Afrique ont
renouvelé la chaîne des arguments du
développement avec le thème d’une
nécessaire structuration des collectivités
locales. La tendance se concrétise au cours
des années quatre-vingt-dix en termes
budgétaires. En effet, les « acteurs du
développement » se sont multipliés et
entrent parfois en concurrence. Tant la
Mission de décentralisation que le troisième Projet urbain du Mali (ce dernier étant
intitulé « Décentralisation et infrastructures ») rassemblent les crédits de nombreux bailleurs de fonds : coopérations
française, allemande, canadienne, Banque
mondiale-IDA américaine surtout.
D’autre part, la critique des plans
d’ajustement structurel à la fin des
années quatre-vingt conduit la Banque
mondiale à admettre une série de régulations institutionnelles et sociales (dimension sociale de l’ajustement et composantes sociales des PAS) puis territoriales
(promotion de la décentralisation). Le
changement de conjoncture entraîne une
« reconceptualisation en terme de governance » (Campbell, 1996).
Ainsi banalisées, ces nécessités du
moment ne font cependant pas oublier
que la gestion des territoires est la plus
vieille affaire du politique, et que le sens
donné à ces termes de références communs diffère souvent d’une coopération à
l’autre. On se borne ici à montrer
14. « La foi contagieuse d’Ousmane Sy », L’Essor Hebdo, 18-19 mai 1996.
15. Discours à la nation du président de la république, 22 septembre 1995.
Grafigéo 1999-8
26
Contexte d’émergence des réformes
quelques inflexions des bailleurs nordaméricains et français.
« La bonne gouvernance telle qu’elle
s’expose »16
L’effet de contexte du début des
années quatre-vingt-dix est abondamment évoqué en matière de décentralisation. Comme en matière de politique économique, la Banque mondiale incarne la
tradition d’une position minimaliste et de
méfiance concernant l’intervention de
l’État.
« Par opposition au ton plutôt provocateur et
militant des donateurs bilatéraux qui cherchent à instaurer une conditionnalité politique
pour favoriser la “démocratisation”, notamment des systèmes multipartistes et la défense
des libertés civiles qui sont vues comme des
éléments indispensables au “bon gouvernement”, la position de la banque mondiale
concernant la governance est beaucoup plus
modeste et mesurée et évite le piège de préconiser telle ou telle forme de gouvernement
comme préalable à la good governance. [...] Ce
paradigme libéral-pluraliste (qui postule la
liberté du citoyen face à l’État) a (donc) très
peu de chose à dire sur la construction et la
reproduction des bases du pouvoir ou de
l’ordre politique.
« Par contraste avec la volonté de redéfinir le
rôle de l’État, la position de l’USAID en faveur
du démembrement des responsabilités et des
rôles des États en Afrique est beaucoup plus
tranchée et radicale. » Une telle position s’appuie sur : 1. le transfert de responsabilités aux
communautés locales, « devolution » qui inclut
l’éducation de base, la santé, les infrastructures (route, eau), et jusqu’aux pouvoirs policiers et judiciaires, la législation et la gestion de
la propriété locale ; 2. le transfert de responsabilités au secteur privé, ce qui nécessite privatisations, déréglementation et abolition des
contrôles ; 3. l’octroi de responsabilités à de
nouvelles unités politiques régionales multiÉtats pour des raisons d’économie d’échelle
[...]. Autant de projets de réformes politiques
qui « proposent avec précision une réorientation des interventions que devront assumer
l’USAID et les autres bailleurs de fonds en ce
qui concerne : le renforcement institutionnel,
le renforcement de la société civile, la décentralisation, le transfert de propriété, et leur rôle
pour éviter le renforcement de l’autorité centrale. » (Campbell, 1996, p. 22-26)
Réorientés au cours des années
quatre-vingt-dix sur la scène internationale, ces principes généraux sont transposés dans le cadre du Mali sans guère de
déformation. Les conditionnalités ne sont
pas infléchies en fonction des caractéristiques écologiques, politiques et surtout
économiques du pays, comme le montrent divers séminaires organisés sous
l’égide de la Banque mondiale ou de
l’USAID.
L’atelier « Communication et bonne gouvernance », organisé à Cotonou par le Centre
ouest-africain des médias et développement en
collaboration avec l’UNESCO, s’adresse aux
journalistes du Bénin, du Mali et du Togo en
mars 1997. L’étude de la Banque mondiale sur
les Perspectives à long terme de l’Afrique au
sud du Sahara, publiée en 1984, y est présentée comme le document qui annonce sur le
continent le concept de gouvernance, soit la
« composante éthique du développement » qui
manquait à la Banque. Mais il faudra attendre
les années 1990 pour voir certaines institutions
comme le PNUD pousser l’analyse au-delà du
seul souci de croissance économique en y
incluant la notion de responsabilité politique :
un gouvernement ne peut être efficace que s’il
jouit d’une certaine légitimité que seule peut
conférer une société qui se reconnaît et se
retrouve en lui. Ce serait « pécher contre le bon
sens » que de soutenir que la transparence
dans la gestion publique, l’instauration de
l’État de droit, la décentralisation ou l’élargissement de la participation des populations au
processus de prise de décision, la liberté de
presse et la bonne gestion de l’information ne
sont pas des exigences qui doivent s’appliquer
dans n’importe quel pays.
Plus concrètement, la crédibilité des institutions locales est le thème d’un séminaire bamakois organisé sous le triple parrainage de
l’Association des Maires du Mali (AMM), de
l’USAID et du ministère de l’Administration
territoriale (octobre 1995). Partenaires
maliens et américains y rappellent, en des
16. L’Essor Hebdo, 15-16 mars 1997.
Grafigéo 1999-8
27
Décentralisation malienne
termes souvent psychologiques, le bilan
médiocre de la « relation de confiance »
édiles/administration locale/populations, puis
les « bonnes résolutions » qui s’imposent. Le
directeur adjoint de l’USAID au Mali demande
alors aux maires de démontrer qu’ils méritent
la confiance des électeurs grâce auxquels ils
occupent leur poste. En particulier, les taxes
collectées localement doivent être utilisées
localement « sinon les populations peuvent être
amenées à se poser beaucoup de questions ».
Les termes de références (transparence et gouvernance) de la décentralisation
se généralisent enfin à d’autres coopérations bilatérales. Plus récentes sur le
« marché » malien, plus discrètes dans les
lignes budgétaires multilatérales du FED,
elles tentent de trouver leur place soit
autour d’opérations localisées et de
filières techniques ciblées (c’est le cas de
la coopération danoise), soit dans les
ambitions plus généralement institutionnelles. C’est le cas de la GTZ allemande.
fonds avouent d’ailleurs réserver leur aide
à la seule région jugée apte au développement au sud du Mali. Le cadre est en effet
prospère ; production cotonnière, échanges vivriers frontaliers avec la Côte
d’Ivoire, stimulant de la dévaluation de
janvier 1994, justifient tant les espoirs
que les mises en garde du développement
décentralisé autour de nouveaux investissements.
Bailleur de fonds parmi de nombreux autres de
la Mission de décentralisation, celle-ci organise
à Bamako un séminaire international sur la
décentralisation en Afrique francophone (juin
1996). Une quarantaine de participants venus
de huit pays africains y échangent leurs expériences sur l’état d’avancement des réformes
entreprises afin d’harmoniser l’appui allemand
à la décentralisation. Les thèmes sont on ne
peut plus « rodés » par la banalisation du discours : « mobilisation et gestion des ressources
des collectivités locales, perspectives de participation populaire, dépendance et complémentarité entre l’État et les collectivités décentralisées, psychologie de la réorganisation
territoriale ». Les recommandations ne sont
pas moins standardisées : « création d’un
réseau d’échanges permanents entre les différents pays membres, responsabilisation des
collectivités locales et respect plus rigoureux de
la législation financière, établissement des
contrats et conventions entre les communes et
les acteurs du développement, renforcement
des capacités de services pour le développement, stratégies pour mieux impliquer les
femmes dans les organes de décision ».
En janvier 1997, des travaux de bitumage
apparaissent ainsi financés, « pour la première
fois au Mali », à l’initiative de populations
« responsables » et sur cotisations et taxes
locales. Dès 1993 en réalité, la « spontanéité »
des Sikassois a été quelque peu inspirée par les
représentants de l’USAID et par l’ambassadeur
des États-Unis en visite sur place. Le « volet
eau » du développement local est également
promu lorsque la coopération du Danemark
inaugure en juillet 1996 le réseau d’adduction
de toute la ville, pour une population estimée à
100 000 habitants et pour un montant de
12 milliards de francs CFA. Suite à une convention signée en novembre 1993, la maîtrise de
l’eau au Mali, constitue un objectif privilégié de
la coopération danoise à travers trois accords
d’assistance technique et financière. Le projet
de Sikasso s’ajoute aux forages déjà réalisés
dans les cercles de Sikasso et Kadiolo et au projet de renforcement du réseau d’adduction
d’eau de Bamako-Ouest. Le représentant de la
coopération danoise exprime alors de manière
exemplaire comment des conditionnalités
générales se concrétisent sur le terrain : « que
soient évitées les mauvaises habitudes du
passé, tels que les branchements clandestins, le
non-paiement des factures, le manque d’entretien par le personnel de la station et son
réseau ! » Si l’exhortation renvoie bel et bien la
balle dans le camp des techniciens et des usagers, les contributions de l’État malien et des
populations bénéficiaires restent modestes dans
le bilan global de l’opération. La première se
résume en exonérations douanières et fiscales,
attribution de parcelles de terrain et mobilisation du personnel technique national (environ
350 millions de francs CFA) ; la seconde est
évaluée à 44 et 117 millions de francs CFA en
participations physiques et financières.
Ces conditionnalités s’affichent également en actes dans les choix de l’urbanisme opérationnel. A cet égard, le cas de
Sikasso est intéressant par les multiples
crédits qu’il attire. Plusieurs bailleurs de
Avec des enjeux financiers plus lourds,
le montage du troisième Projet Urbain du
Mali montre enfin le cadre dans lequel la
Banque mondiale situe son intervention.
Contrairement aux précédentes, la nou-
Grafigéo 1999-8
28
Contexte d’émergence des réformes
velle programmation des investissements
urbains ne s’appuie plus sur une cellule
administrative bamakoise. Dans la
logique du retrait de l’État, elle valorise au
contraire deux agences d’exécution, relais
plus légers et directement productifs :
l’Agetipe et l’Agence de cession immobilière.
« Pour ce troisième projet urbain associé au
projet Agetipe II, la BM va débloquer un prêt
de 40 milliards de francs CFA remboursable en
40 ans, avec un intérêt si faible qu’on pourrait
l’appeler frais de gestion. Si le taux d’intérêt
est tout à fait symbolique, les conditionnalités,
elles, sont bien réelles et rigoureuses. Les fonds
seront en effet débloqués sous réserve de rentabilité financière et économique. Pas question
de prendre en charge des volets improductifs.
En clair, la Banque réclame des garanties que
l’ouvrage, une fois réalisé, sera entretenu,
contrairement aux infrastructures de Agetipe I
et du deuxième Projet urbain où des
“défaillances” ont été constatées. Cette garantie est apportée par le volume de travaux d’entretien décidé chaque année par les municipalités et le district et la part de ressources qui
leur sera allouée. Le souci va en fait plus loin
car si la Banque s’interroge sur l’argent que les
communes et le district vont dépenser dans
l’entretien, elle s’inquiète aussi de leurs
recettes. Actuellement les communes recouvrent seulement 15 % de ce qu’elles devraient
percevoir sur les équipements marchands et le
district ne récolte que 30 millions de
francs CFA en impôts et taxes, alors qu’il
dépense chaque année 300 millions de
francs CFA dans le service du transport. “Le
service rendu doit être payé” rappelle opportunément le représentant de la Banque mondiale. L’institutionnalisation de procédures plus
rigoureuses passe alors par la formulation de
contrats-villes qui lieront les municipalités et
l’État. » (L’Essor Hebdo, 20-21 juillet 1996)
De ces impulsions extérieures, on
retient donc qu’elles ne formulent la
dimension territoriale du développement
qu’en termes institutionnels. La pédagogie de la rigueur financière, que les schémas d’aménagement et d’urbanisme de
la décennie précédente avaient promue
sur le papier, sous l’impulsion des cadres
techniques maliens, est désormais le fait
de promoteurs internationaux à l’appui
de financements effectifs.
Grafigéo 1999-8
L’expérience française des communes et
des quartiers : une pédagogie des missions locales d’animation publique
En matière de décentralisation, la
coopération française rejoint souvent l’aide nord-américaine. Mais elle en diffère
aussi sensiblement du fait des relations
particulières et évolutives que l’ancienne
métropole maintient avec le Mali. En
effet, la formule de la décentralisation fait
écho à une expérience française déjà
ancienne que les réformes administratives
et les politiques urbaines des années quatre-vingt ont actualisée. Plus que d’autres
domaines de coopération, la « promotion
du local » a contribué à renouveler les
procédures de décaissement et le discours
français sur le développement.
La mission de service public reste au
cœur du modèle français tel qu’il tente de
s’exporter dans plusieurs pays francophones d’Afrique noire. Ancien préfet de
région, le sénateur Jean Clauzel en tire
ainsi les principales recommandations à
destination du continent (Clauzel, 1992).
1. Les enjeux africains de la réforme sont
fondamentalement économiques. Les
politiques relèvent de pressions
conjoncturelles et non d’une lente
maturation politique comme dans le
cas français. Le processus s’inscrit
donc dans une marge de manoeuvre
limitée. Conçue comme levier pour le
développement local, la décentralisation offre « une possibilité de transférer sur les collectivités locales des
dépenses d’équipement que les budgets nationaux peinent à assumer ».
2. L’expérience française est exemplaire
par la place qu’elle a d’abord donnée,
avant une régionalisation plus conséquente, au niveau communal d’encadrement territorial. Elle consacre ainsi
une véritable « idéologie du local », le
mythe de la communauté consensuelle,
et les vertus du patrimoine géographique.
« On ne risque guère de se tromper en affirmant que la décentralisation a d’autant plus
29
Décentralisation malienne
de chance de réussir qu’elle s’applique d’abord
aux communautés les plus réelles, les plus
enracinées dans le sol et plus encore dans l’esprit des hommes et des femmes appelés à les
constituer, c’est-à-dire, de quelque terme
qu’on les désigne ici où là, les communes. La
carte de ces futures communes doit faire l’objet d’une étude particulièrement attentive et
complète, prenant en considération le passé, le
présent et l’avenir, conduite avec la préoccupation de concilier réalité de communauté
humaine et potentialité économique et fiscale.
Le mariage des deux données est aussi nécessaire que parfois malaisé, particulièrement en
zone d’habitat peu dense et dispersé. »
3. La décentralisation ne compromet pas
la crédibilité de l’État, elle en redéploie
les légitimités.
4. L’autonomie réelle des collectivités territoriales se juge à des critères de rigueur : transferts financiers, ressources
fiscales, capacité d’investissement.
5. Une véritable éthique de la responsabilité conduit à formuler de nouvelles
exigences pour les élus et les représentants de l’État : celles de la formation,
de la professionnalisation, voire d’une
véritable culture publique locale.
Mais l’expérience française valorise
surtout une pratique contractuelle de la
gestion locale. Dès la huitième Commission des Nations Unies pour les Établissements Humains (Kingston, avrilmai 1985), la coopération française
soulignait les mérites des contrats de
villes moyennes et de pays, ainsi que le
resserrement des relations villes-campagnes qu’ont suscités le Plan économique 1973-1979, la réforme de décentralisation de 1983 puis la préparation du
neuvième Plan de 1984-1988 (Bertrand,
1986). Dans le même temps, les grandes
agglomérations ont vu se multiplier les
« projets DSQ » (développement social des
quartiers) et les régies de quartier. Ils sont
relayés à la fin de la décennie, en relation
avec la Délégation interministérielle à la
Ville, par une « perspective DSU » (développement social urbain). Transposée en
Afrique francophone (Venard, 1993), la
réflexion des urbanistes porte sur l’alternative « gestion urbaine du problème
social » (crise économique, crise de l’école et de l’intégration citoyenne)/« gestion
sociale du problème urbain » (crise des
banlieues, crise d’identité et d’emplois
urbains).
Le thème du développement local est
donc fortement valorisé contre la généralisation des processus d’exclusion dans un
contexte de crise des disponibilités financières publiques. La formule contractuelle s’exporte au travers de multiples projets d’animation locale : soutien aux
petites entreprises d’insertion, aux services et équipements de proximité. Tout
en se situant en droite ligne de la tradition
incitatrice des politiques publiques, elle
s’en démarque en intégrant de nouveaux
acteurs associatifs dans la concertation, la
décision et l’exécution locales. Les termes
de ce recentrage local sont donc rodés au
seuil des années quatre-vingt-dix. Mais
l’expérience trouve surtout un terreau
favorable dans la multiplication des associations, jumelages-coopération, ONG et
GIE en milieu urbain africain17. La
logique française se démarque donc fortement des perspectives « macro » (restauration des grands équilibres budgétaires africains, objectifs de croissance
nationale et internationale) qui motivent
davantage les bailleurs de fonds américains.
Enfin, la coopération française diverge
des options plus franchement libérales en
n’écartant pas l’hypothèse d’un soutien
direct aux services et équipements impro-
17. Voir les Journées « Développement social urbain et coopération Nord-Sud » organisées par le Pro-
gramme Solidarité Habitat en octobre 1992. Rassemblant des spécialistes des dynamiques
urbaines en Afrique et des acteurs du DSU en France, elles sont organisées autour de thèmes que
l’on retrouve autant dans les décentralisations françaises et africaines : « l’échelle d’action pertinente et la notion de projet global », « l’insertion par l’économique », « le rôle de l’État, la participation et la citoyenneté ». Ils sont ensuite repris lors d’un séminaire analogue organisé à Dakar
en janvier 1993 (documents de synthèse multigraphiés, Paris, PSH, juin 1993).
Grafigéo 1999-8
30
Contexte d’émergence des réformes
ductifs, voire d’un engagement de fonds
publics dans la création d’emplois.
C’est le sens que donne la Mission française de
coopération et d’action culturelle de Bamako
au protocole d’accord qu’elle signe en juillet
1996 avec la Direction malienne de la
Coopération internationale pour la mise en
place d’un nouveau mécanisme financier, le
« Fonds social de développement ». Celui-ci
est destiné à financer en priorité des projets de
petites dimensions dans les secteurs sociaux et
les services collectifs, et à consolider « les
dynamiques micro-économiques créatrices de
revenus et d’emplois ». Les projets sont orientés de préférence en milieu urbain, au bénéfice
des populations pauvres, mais il n’est pas exclu
de prévoir des actions en milieu rural pour les
même objectifs. Des représentants de la société civile ou des collectivités locales pourront
désormais directement soumettre leur requête
à un comité de sélection regroupant des
membres de la coopération française, de l’État
malien et d’autres bailleurs de fonds. Le FSD
prend la suite du Fonds spécial de développement qui avait été mis en place après la dévaluation du franc CFA en janvier 1994. Trois
milliards de francs CFA ont été engagés entre
1994 et 1995 dont la presque totalité a été
consacrée à la construction de salles de classes
à Bamako et dans les villes secondaires, la
construction et la réhabilitation de 14 plateaux
de sport et de 26 centres de santé communautaire. Une partie des crédits a été aussi engagée
dans la formation, l’alphabétisation, la promotion des femmes et de jeunes diplômés. Un
fonds pour l’emploi a enfin été mis en place, et
une aide a été accordée à la création de microentreprises favorisant l’insertion des jeunes
dans la société. De même, le Fonds social de
développement (création d’emplois, amélioration des conditions de vie) doit démontrer
qu’un choix plus précis des interventions et des
« groupes-cibles » a des conséquences positives
dans le renforcement des compétences locales,
l’appui à la structuration des quartiers et au
processus de décentralisation. La mise en place
de cadres de concertation entre populations,
opérateurs et structures déconcentrées de
l’État en est la condition principale.
Cette évolution de la coopération française (décaissements plus rapides, changement d’échelle d’intervention) suscite
déjà des réactions maliennes. Celles-ci
donnent à penser qu’un ciblage plus fin
des collectifs territoriaux et sociaux
avive les concurrences locales, autant
qu’il stimule la responsabilité des
« groupes ressources ». Quelques expériences d’animation locale traduisent la
difficulté de concilier sur le terrain les
intérêts parfois contraires de partenaires
institutionnels et informels variés18. Derrière la participation escomptée, apparaissent de réelles tentatives d’accaparement des nouvelles lignes de crédit.
C’est en ce sens qu’intervient le maire
de Kayes19 lors de la Table ronde
« Développement local, municipalités et
décentralisation » qui clôt le séminaire
régional du Programme de développement municipal (PDM) tenu à Nouakchott en avril 1994 :
« Je voudrais faire part de l’expérience des
fonds spéciaux qui ont accompagné la dévaluation au Mali. Nous avons appris entre
temps qu’un fonds spécial a été mis à la disposition des communes pour aider les populations à faire face aux difficultés engendrées par
cette dévaluation. Les maires n’ont pas été
18. Dans le cadre d’un appui aux associations de quartiers mené entre 1992 et 1995, la Caisse française de développement soutient la participation des femmes et des jeunes diplômés ainsi qu’une
réflexion sur l’épargne populaire. L’objectif est de « créer une dynamique de coordination au
niveau local, et des passerelles contrariant l’émiettement politique et social des quartiers ». Trois
points sont dégagés : une aide aux associations intervenant dans le secteur de l’assainissement et
du ramassage des ordures, l’intégration d’artisans et d’entrepreneurs locaux dans un volet infrastructures, la mise en place de banques de quartier et de filières de crédit local. Le bilan est jugé
mitigé : une cellule initiée en relation avec le gouverneur du district de Bamako a d’abord butté
sur une mauvaise transmission des informations et sur l’insuffisante mobilisation des services
sectoriels. Le soutien apporté à quelques associations de jeunes diplômés a de plus suscité la protestation des maires qui estimaient ne pas avoir été associés aux opérations. Un projet d’installation et de gestion de latrines au marché de Hamdallaye s’est ainsi vu bloqué par le maire de la
commune IV. De son côté, la CFD a regretté ne pas être habilitée à prendre des engagements
financiers directement avec les communes, celles-ci devant recevoir les fonds de coopération par
l’intermédiaire du gouvernorat du district (entretien avec Watché Papazian, CFD, avril 1994).
19. Kayes est la capitale de la première région à l’ouest du Mali. Sa place dans la hiérarchie urbaine
ne cesse de se dégrader depuis l’indépendance du pays.
Grafigéo 1999-8
31
Décentralisation malienne
informés de manière formelle. Ensuite nous
avons appris que ce fonds sera géré par deux
institutions, à savoir : la Caisse française de
développement et la Mission française de
coopération qui est à l’ambassade de France à
Bamako. Sur le terrain il y a même eu un
accrochage entre les deux institutions ; finalement la Mission française de coopération a
cédé le terrain à la Caisse française. Nous
avons simplement été informés que ces fonds
seront utilisés pour les travaux d’assainissement dans les quartiers. Dans toutes les villes,
les GIE sont constitués et c’est à eux qu’il
revient de formuler, de remplir les fiches de
projet pour évaluer leurs besoins et leurs occupations, pour avoir le financement. Donc nulle
part les maires n’ont été concernés. » (PDM,
1995, p. 316)
Par delà ces nuances propres aux différents bailleurs de fonds, se pose donc la
question de l’appropriation du processus
de réforme administrative et territoriale.
A propos d’une reformulation du rôle de
l’État, Bonnie Campbell souligne « l’urgence du rapatriement des débats par les
pays concernés » (1996, p. 28). Une telle
« endogénéisation » concerne d’abord
tout le contexte africain, francophone en
particulier, et plus spécifiquement dans le
cadre malien. De nouvelles dimensions de
la réforme de décentralisation apparaissent alors. Elles sont plus sociologiques
que techniques mais conditionnent fortement la transposition des conditionnalités
au niveau de collectifs locaux. En effet, la
culture historique des terroirs a souvent
concentré les pouvoirs dans une logique
d’opposition des responsabilités sociales :
lignages aristocratiques/de basse condition,
aînés/cadets,
« autochtones »/« étrangers », genres
masculin / féminin. La densité et le brassage des milieux urbains ont certes lissé
une partie de ces héritages et en ont
brouillé les formes contemporaines. Mais
il n’est pas sûr que les missions de service
public soient toujours clairement délimitées des intérêts privés et particuliers.
Principes réformateurs et compromis du
passé définiront sans doute, au bas de
l’État comme au sommet de la construction nationale, une modernité hybride.
La géographie du nouveau découpage
Grafigéo 1999-8
communal est l’expression première de ce
type de compromis.
L’appropriation africaine du
slogan : le PDM
Le Programme de développement
municipal en Afrique sub-saharienne
(PDM) est lancé en mars 1992 à Cotonou.
Son Module Afrique de l’Ouest exerce
une réelle coordination des associations
des maires des pays francophones. Des
séminaires internationaux déclinent
aussi régulièrement les « trois grandes
familles d’objectifs » (Elong Mbassi,
1994) que suscitent les réformes nationales de décentralisation : « décentralisation et développement » (mobiliser les
populations en vue d’un développement
durable à la base), « décentralisation et
démocratie » (approfondir et enraciner
la démocratie au niveau local), « décentralisation et reconstruction de l’État »
(donner une nouvelle légitimité aux institutions publiques). Le programme
impressionne surtout par la rigueur de
ses « attentes » et par la lucidité à l’égard
des « risques » qu’elles suscitent, alternative que l’on retrouve dans les interventions du chef de la Mission de décentralisation du Mali. En aucun cas, la
décentralisation ne constitue un slogan
vite transplanté mais resté formel, dans
l’attente de subsides qui n’infléchiraient
pas les termes anciens du développement-coopération. La « crise de gouvernementalité » propre au continent africain, le « handicap de la construction
d’États sans base anthropologique », la
variété des niveaux de réflexion (de la
mondialisation à la culture de quartier),
tout cela témoigne d’une réelle largeur de
vue sur les institutions publiques africaines. En quelques années, le PDM est
devenu le partenaire reconnu de grandes
institutions internationales et des organisateurs de la Conférence Habitat II.
La nouvelle donne des années quatrevingt-dix conditionne l’appropriation
africaine du slogan de décentralisation :
1. A partir de 1988, les programmes
32
Contexte d’émergence des réformes
« dimension sociale de l’ajustement »
(DSA) relaient les « programmes d’ajustement structurel » (PAS) dont les
conséquences négatives ont été analysées par le PNUD, la Banque mondiale
et la BAD. De nombreuses enquêtes
attestent de la dégradation du niveau
de vie des ménages africains, ce qui
contrarie les perspectives d’un développement « soutenable ».
2. Les capacités d’investissement du secteur public sont dans le même temps
réduites, alors que les bailleurs de fonds
sont devenus plus exigeants. La rigueur
budgétaire, l’obligation de payer des
services sociaux autrefois publics et
gratuits, mais qui ne fonctionnaient
que sporadiquement ou en faillite chronique, conduisent à mettre le coût du
développement social en première ligne
des réformes. Cela revient concrètement à exiger des populations qu’elles
participent au financement du développement local. Libéralisation semble
mieux rimer avec démocratisation.
Le PDM intègre un schéma tripartite de
recommandations, à l’endroit des communes, des États et des bailleurs de fonds
internationaux. C’est donc un modèle de
décentralisation centré sur « le local » et
sur l’institution communale qui est durablement intériorisée. La « gouvernance »
doit faire l’objet d’une réflexion politique
tant locale que nationale en Afrique. Les
pratiques clientélistes sont stigmatisées et
occupent souvent les dessins humoristiques du bulletin L’Afrique municipale
(Cotonou, PDM)20.
La greffe malienne : un débat
plus intérieur qu’indigène
Au travers des encouragements à la
décentralisation, la société malienne est
désignée sous deux catégories : la « socié-
té civile » d’une part, terme largement
inspiré de transpositions internationales ;
« les populations » d’autre part, qui renvoient à un ensemble peu organisé.
L’emploi de ces mots dans leurs contextes
géographique et conjoncturel témoigne
de l’appropriation imparfaite du principe
de décentralisation.
Le joug des crises de début et de fin
de quinquennat
En amont et en aval des préparatifs
institutionnels, le contexte social des
années 1992-1997 met la réforme sous
tension. La donne politique du Mali
influe fortement sur le débat concernant
la décentralisation, soit pour le reléguer
en arrière-plan des priorités du moment,
en retarder les échéances techniques et
parlementaires, soit pour justifier au
contraire de l’urgence des réformes. Audelà d’une démocratisation reconnue
comme exemplaire, au-delà des encouragements des partenaires extérieurs qui
placent le pays dans un registre général
de confiance retrouvée, plusieurs crises
prennent en étau la refonte territoriale.
Engagées dès la fin de l’année 1992,
la « crise du Nord » et la « crise scolaire » culminent au cours de l’année 1994
et concernent à plusieurs titres la réforme
de décentralisation. L’aggravation de l’insécurité dans certaines régions du pays a
en effet conduit les autorités nationales à
nommer des gouverneurs militaires à la
tête des circonscriptions régionales, rappelant en cela une pratique du précédent
régime qui n’offrait guère de gage d’assouplissement de la vie administrative21.
Ces deux séries de difficultés motivent
principalement les concertations régionales d’août 1994, tout en s’insérant dans
un programme de discussion qui concer-
20. « Le développement du Mali ainsi que sa marche vers le progrès social et économique ne peuvent se
faire sans les collectivités et sans l’implication des populations. Il se fera avec les hommes, les femmes,
les enfants, les valides, les invalides sans exclusion aucune et sans clientélisme. » (président de
l’Association des Maires du Mali, séminaire sur « le rapprochement entre l’administration et l’administré », Bamako, USAID/AMM, octobre 1995) La remarque prend sont sens après que nombre d’édiles
municipaux aient été provisoirement emprisonnés pour cause de prévarication à la fin de la deuxième république malienne.
21. Le Lieutenant-colonel Karamoko Niaré, officier d’aviation, est ainsi nommé gouverneur du dis-
Grafigéo 1999-8
33
Décentralisation malienne
ne également la refonte communale. Mais
au moment où l’État tente de réaffirmer
ses missions d’encadrement et de développement, son autorité est mise en cause
sur les questions de l’intégrité territoriale
et du contrôle social des « cadets »
urbains. Au-delà des chronologies
propres de la rébellion touareg et du
mouvement Gandha Koye, au-delà des
grèves et des manifestations scolaires qui
entraînent l’instabilité gouvernementale
des premières années du quinquennat, ce
sont bien les bases régionales et sociales
du pays qui sont prises à défaut de fonctionner. L’impératif de mobilisation unitaire du Mali derrière les enjeux de la
décentralisation est mis à mal22.
Signé en avril 1992, le Pacte national
prévoit d’abord d’intégrer les combattants des mouvements de l’Azaouad dans
les forces de sécurité maliennes et de
rapatrier les personnes déplacées par la
rébellion. Le statut particulier concédé au
Nord (6e, 7e et 8e régions) inspire également un véritable tournant dans la politique malienne de décentralisation. En
effet, le Pacte stipule l’institution d’une
Assemblée inter-régionale et la cogestion
de chaque niveau territorial – régions,
cercles, arrondissements et communes –
par une assemblée élue et un pouvoir exécutif. Mais cette autonomie relative est
bien vite démentie par le retard pris dans
le transfert de ressources susceptibles de
donner corps aux responsabilités nouvelles. Le Fonds de développement et le
Fonds d’indemnisation qui sont mentionnés dans les dispositions générales du
Pacte n’ont pas été définis rapidement.
Le programme décennal de développement du Nord s’est trouvé vite bloqué par
la reprise des mouvements armés et du
banditisme.
Dans l’immédiat, les troubles de
1993-1994 ont donc occulté la réforme
des collectivités territoriales au profit
d’une gestion immédiate de l’insécurité.
Mais à plus long terme il s’est installé
dans le pays une inquiétude de fond des
populations maliennes à l’égard de la
décentralisation : comment promouvoir
une autonomie locale, comment assumer
des responsabilités sans budget ? Les
futures assemblées élues ne tournerontelles pas à vide ? Certes le Grand Nord est
bien perçu dans tout le pays comme la
zone par excellence dépourvue de bases
productives stables. Mais la notion de
« région déficitaire » a fait tâche d’huile et
a nourri l’argumentaire d’une méfiance
plus générale à l’égard de réformes trop
rapides.
Essentiellement urbaines, les difficultés scolaires ont également donné le sentiment au pays que son pouvoir était mal
assuré. Autre effet durable : le devoir
d’assistance publique est rappelé à l’occasion du débat sur l’attribution de bourses
d’études, au moment où la décentralisation est censée mettre à contribution
financière une part croissante des populations. Lors des consultations régionales de
1994, le « pays profond » prend conscience du fait que le transfert de responsabilité aux communes impliquera la gestion
des établissements du premier cycle scolaire. Les attentes populaires pourrontelles continuer de s’exprimer selon une
logique de sollicitation de l’État-providence ?
Ces deux crises parallèles ont leur
logique propre : insuffisance de l’État
d’un côté, trop grande fermeté de l’autre.
Mais face à de telles difficultés, la troisième république naissante courrait le risque
d’achopper sur les ambitions de la décentralisation. Les apaisements de 19951996 justifient a contrario l’avancée des
dossiers techniques et parlementaires de
la réforme, avant qu’une nouvelle crise
vienne contrarier l’accouchement politique des communes.
En aval du quinquennat, la crise
électorale de 1997 dépasse également de
trict de Bamako en juin 1994, après une vacance de plusieurs mois pour la succession de Mme Sy
Kadiatou Sow.
22. L’État est surtout mis en cause dans l’incapacité des forces de l’ordre à réagir aux attaques organisées contre l’administration et les particuliers.
Grafigéo 1999-8
34
Contexte d’émergence des réformes
beaucoup le calendrier et les enjeux de la
décentralisation. Mais comme les tensions
précédentes, elle influe sur la crédibilité
des concertations dans la suite de la troisième république malienne. Après toute
une série de reports et de crispations
autour des préparatifs électoraux, la
majorité Adema-Pasj est reconduite entre
avril et juillet 199723. Mais le climat politique reste tendu jusqu’à la fin de l’année : critique radicale des conditions de
vote, boycott et annulation des élections
exigées par l’opposition qui durcit le ton,
meetings et manifestations répétés d’un
collectif de partis opposé à la mouvance
gouvernementale, isolement croissant des
leaders politiques bamakois par rapport
au reste du pays.
C’est dans ce contexte sensible (méfiances, arrestations et violences), où les
accusations de mauvaise foi répondent à
celles de monopole, que se comprend
finalement l’inversion du calendrier électoral au détriment des communales. Le
cadre privilégié de la « démocratie locale » tarde à se mettre en place tout au long
de l’année. Une transition institutionnelle
s’impose donc avec la mise en place de
« délégations spéciales » qui rappellent,
sous des formes constitutionnelles nouvelles, la gestion autoritaire des communes sous le régime militaire des années
soixante-dix.
Tutelles ministérielles, chantier présidentiel
La tutelle de la Mission de décentralisation aurait pu donner à penser qu’une
nouvelle concurrence administrative
renouvelait celles de la deuxième république malienne, et concourrait par la
négative à endogénéiser le processus de
réforme.
La mise en place de la Mission en 1992 ouvrit
le débat. Le porte-parole du gouvernement dut
alors assurer les journalistes de l’intention du
gouvernement de « jouer franc-jeu pour réussir la décentralisation ». Risque que la nouvelle structure « doublonne » avec celles qui s’occupaient déjà du problème, et en particulier
avec le ministère des Réformes institutionnelles et de la Décentralisation24 ? Risque que
la décentralisation soit prise en otage par les
partis politiques ? Le ministre de la
Communication répondit en rappelant le bilan
peu satisfaisant de trente ans de travail sur la
décentralisation et justifia par là la nécessité de
promouvoir de nouvelles structures de réforme
dans un agencement institutionnel et politique
assaini. (Briefing du conseil des ministres,
28 octobre 1992)
Le changement de tutelle de la
Mission de décentralisation (de l’Administration territoriale aux services du
Premier Ministre) n’a pas suscité de nouvelles inquiétudes. Non pas qu’un tel
héritage de concurrences au sommet de
l’État se soit totalement dilué dans les
pratiques de la troisième république.
Mais les perspectives de la décentralisation ne semblent pas avoir stimulé d’enjeux de taille à ce niveau-là.
Le souci de cohérence administrative
est de plus une constante des interventions du président Alpha Oumar Konaré
dans ses tournées en régions, ses discours
de crise et ses messages bi-annuels à la
Nation. La décentralisation y apparaît
comme un « grand chantier » pour le
pays, impulsé par le chef de l’État en personne qui en incarne la philosophie
d’avenir plus que le suivi technique. Ses
principaux discours font alors ressortir les
pressions externes et internes qui conduisent le pays à s’approprier la réforme. A
l’instar des autres dossiers de politique
économique et sociale, la décentralisation
s’inscrit dans la tension de deux nécessités : donner des gages de rigueur aux
bailleurs de fonds, et assurer les popula-
23 Les élections de 1997 doivent renouveler le personnel politique du Mali à trois niveaux : communes, assemblée nationale, présidence de la République. L’ordre des élections de 1992 sera finalement inversé à l’issue des confrontations politiques de la fin du premier quinquennat. Le parti
majoritaire (Parti africain pour la solidarité et la justice) est né en mai 1991 de l’Association pour
la démocratie au Mali, elle-même créée en octobre 1990.
24. Celui-ci ne survivra pas au premier gouvernement de Y.A. Touré.
Grafigéo 1999-8
35
Décentralisation malienne
tions d’une « responsabilité nationale » à
leur égard.
« A la veille de la mise en place du Haut
Conseil des collectivités territoriales consacrant
la réussite de cet important projet, on peut
juger de la profondeur de la réforme entreprise à l’immense espoir qui habite les communautés de base, désormais maîtresses de leur
destin pour des domaines assez importants. Le
Mali nouveau se jugera au fonctionnement correct des communes, fonctionnement qui ambitionne de redonner confiance aux populations
en leur propre capacité de décision et de gestion, contre les thèses et les agissements de
l’État jacobin et centralisateur. » Répondant
ensuite aux voeux du corps diplomatique, le
chef de l’État réaffirme que « le projet de
décentralisation qui suit son cours visera [...]
la prise en compte des particularités et des
nuances locales propres aux populations
concernées. » (message présidentiel à la nation,
36e anniversaire de l’indépendance malienne)
Le discours d’investiture présidentielle, qui
inaugure en juin 1997 le second mandat
d’A.O. Konaré, ne manque pas de rappeler la
continuité du processus de réformes : « Mais
pour moi le meilleur passeport du Mali pour
son entrée dans le IIIe millénaire se trouve être
ce vaste chantier de la décentralisation qu’en
1992 j’ai inscrit au rang de priorité au même
titre que le règlement du conflit du Nord. Audelà du fait inédit de l’existence de plus de
700 communes, la décentralisation conduit à
une nouvelle mentalité administrative et libère
enfin l’énergie insoupçonnée du pays
profond. »
Enfin, le message à la nation du 22 septembre
1997 donne au président l’occasion de consacrer à la décentralisation ses plus longs développements et d’en décliner les deux dimensions rurales et urbaines. « Dans la mesure où
nous demeurons une nation essentiellement
rurale, je crois pouvoir dire que pour le Mali, la
dernière grande réforme de cette fin de siècle
est la décentralisation qui demeure la plus
grande justification politique de la démocratisation. En faisant de cet acte majeur l’une des
plus grandes priorités de la troisième république, nous avons accepté d’assumer notre
vocation agricole, d’où les grands progrès
accomplis avec le coton, l’élevage et, d’une
façon générale, avec l’exploitation des produits
du cru. Mais je l’ai dit et répété en de nombreuses circonstances, la décentralisation,
avant d’être une dynamique économique, est
avant tout un état d’esprit qui réhabilite le
Grafigéo 1999-8
monde rural au triple plan moral, administratif et politique. [...]
« Mes chers compatriotes, les signes certains de
la reprise économique sont également perceptibles dans les villes où une nouvelle race d’entrepreneurs monte à l’assaut des marchés du
pays et de la sous-région. Les initiatives se
multiplient dans des secteurs hier encore ignorés. Ce bouillonnement qui prépare notre pays
aux changements à venir est à mettre à l’actif
d’un nouvel esprit qui anime l’ensemble des
producteurs : la conviction que seules des associations et des corporations fortes sont aujourd’hui susceptibles de porter de grands
projets. »
Au-delà du ton mobilisateur, les ambiguïtés du chantier sont perceptibles : la
décentralisation doit promouvoir un
cadre juridique et administratif homogène ; elle doit aussi se fonder sur des
« nuances », sur le respect des différences
qui ont marqué l’histoire du pays, sur
l’assurance, demandée et donnée localement, que seront refusés des traitements
trop généraux. Diverses composantes de
la « société civile » ne manqueront pas
d’exploiter cette tension entre globalité
et particularités.
Introuvable société civile ?
Plus encore que d’autres slogans internationaux, la décentralisation conduit
experts, hommes de terrain et analystes
nationaux à une tentative de classement
des « forces vives » du « pays profond ».
On connaît certes les limites de la formule de A. Gramsci ; mais force est de
constater qu’elle inspire, à propos de
l’Afrique noire comme de l’Amérique
latine, une prise en compte du « politique
par le bas » (Bayart, 1989). Alliances et
compromis figurent ainsi au cœur de la
problématique du pouvoir d’État.
A l’occasion d’un séminaire du PDM,
Jean-Louis Venard définit notamment
trois grandes catégories susceptibles de
s’engager dans le développement communal (Venard, 1995) :
1. les « communautés traditionnelles »
puisent leur légitimité dans la culture
villageoise tout en continuant d’inscri36
Contexte d’émergence des réformes
re les liens familiaux et claniques au
cœur de l’histoire du peuplement
urbain. S’y rattachent les associations
de résidents issus d’une même région
et d’autres groupes nés de pratiques
religieuses ;
2. les « pouvoirs économiques locaux »
(grands commerçants, corporations de
la place, réseaux de clientèles et lobbies
en tout genre) animent la redistribution des avantages résultant de l’économie urbaine ;
3. enfin, des « collectifs citadins nés de la
crise de l’urbanisation » ont plus
récemment voix au chapitre du fait de
revendications concrètes exprimées
autour de l’inégal accès aux terrains ou
aux services de proximité. A cette dernière strate d’enjeux locaux, nés d’un
contexte de pénurie, participent également des ONG mobilisées à l’occasion
d’actions d’urgence, des associations
sportives ou divers groupes de jeunes.
La classification de ces « composantes
de la société civile » nous paraît intéressante à deux titres : d’une part parce
qu’elle démontre la capacité d’organisation du tissu social local qui ne se résout
ni à l’anomie, ni à la virginité politique
qu’on lui prête souvent, ni à une informalité persistante. A défaut d’incarner
une culture du terroir ou du territoire,
associations du moment, chefferies de
quartier et leaderships durables définissent le terreau fertile « du bas ». D’autre
part, ce niveau local révèle une citadinité
fragmentée qui contraste avec la rhétorique consensuelle du grand chantier25.
On reprendra donc les termes de JeanLouis Venard en y ajoutant d’emblée l’intervention des partis dans le débat sur la
décentralisation. La jeunesse de la plupart des partis maliens, l’absence de clivage durable dans la vie politique nationale, les chevauchements que ces
organisations encore faibles révèlent avec
d’autres sphères de la vie sociale, nous
incitent en effet à lire leurs propos sur la
réforme en termes de « société civile ».
Le débat politique malien est moins
stimulé par la décentralisation que par les
crises dans lesquelles elle s’insère. Les
interventions sont éparses et jugées politiciennes. On compte pourtant trois types
d’expression.
1. L’opposition s’exprime d’abord contre
la majorité gouvernementale et parlementaire. Accusations et méfiances
marquent le durcissement d’une vie
politique très centrée sur la capitale.
L’opposition met côte à côte des militants du Mouvement démocratique,
qui a mis à bas le régime de la deuxième république, et des héritiers de ce
dernier. C’est dire si ses arguments sont
de circonstance. Quant à la majorité,
elle s’appuie sur le poids parlementaire
de l’ADEMA-PASJ depuis les élections
législatives de 199226 et sur les gouvernements « d’ouverture démocratique »
qui ont associé quelques partis alliés.
Ce clivage majeur du premier quinquennat a nourri quelques arguments
pour ou contre la décentralisation, non
dans son principe mais dans sa réalisation.
Au plus fort de la critique portée contre l’État
dans la gestion des crises du Nord et scolaire,
l’USRDA27 conteste également la démarche des
décentralisateurs. « Le principe de la libre
administration des collectivités territoriales
25. « Un tel éparpillement des sociétés urbaines africaines entre une multitude de composantes entremêlées traduit le fait que ces sociétés sont entrées – sous l’impact de l’urbanisation, de la crise
économique et de l’ouverture culturelle au reste du monde – dans une crise d’intégration rongeant
peu à peu les mécanismes anciens d’insertion sociale qui rendaient les individus entièrement
dépendants du maillage et de leurs solidarités communautaires. » (Venard, 1995, p. 251)
26. 74 élus au deuxième tour sur les 116 députés du Mali. Le poids du parti se renforce lors des législatives de juillet 1997, qui donnent aux députés Adema-Pasj un total de 129 sièges sur les 147
de la seconde législature.
27. L’Union soudanaise du Rassemblement démocratique africain hérite du premier mouvement politique ayant structuré, à partir de 1946, l’opposition à la colonisation française.
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Décentralisation malienne
décidé par la Constitution de la 3e république
en son article 70 a pour but de rompre définitivement avec les méthodes de gestion administrative coloniale fortement centralisées.
Mais si son application devait échouer à cause
des imperfections de sa structure, cela sera dû
à la trop grande diligence avec laquelle les
autorités sont en train de travailler sur le
sujet. »28 Le secrétaire général de la section
USRDA de Ségou critique ainsi le projet de
code des collectivités territoriales qui, en érigeant des villages en communes rurales, aboutit à la suppression de l’arrondissement. Si l’on
respecte scrupuleusement la liberté des
citoyens à s’unir, le nouveau découpage
conduira à la naissance de communes rurales
plus grandes que certains unités administratives anciennes mais moins peuplées qu’une
commune urbaine, parce que « des villages
distants de plus de cent kilomètres seront tentés de se constituer en commune ».
Mais c’est surtout le mode d’élection des élus
territoriaux qui fait l’objet d’une acerbe critique : l’élection des conseillers communaux au
scrutin proportionnel, puis le choix des
conseillers de cercle au sein des conseils communaux et des conseillers de région au sein des
conseils de cercle (selon un scrutin indirect
donc), ne seraient que « la réédition du système de conseil de notables du temps colonial :
un système qui faisait des élus de simple
caisses de résonance du pouvoir tout en leur
laissant les coudées franches dans la gestion
des biens publics. Ce qui est inadmissible en
démocratie ». L’USRDA est donc prompte à
déceler dans le système prévu « la mise à
l’écart des populations de la gestion politique
et économique de leur vie quotidienne, faisant
d’elles de nouvelles victimes d’une décentralisation qui se fait pourtant à leur profit ». Le
parti préconise alors à tous les niveaux un
« scrutin universel permettant aux Maliens de
choisir leurs futurs dirigeants. ». Quant aux
autorités, elles sont accusées de vouloir faire la
politique de deux poids deux mesures en maintenant des dispositions particulières pour le
grand Nord, celles du Pacte national (séparation du législatif et de l’exécutif, prise en charge par l’État de la rémunération des conseillers
régionaux) qui ne concernent pas le reste du
pays. Tout transfert de pouvoir doit enfin s’accompagner de transfert de ressources et de
personnes. « Or le gouvernement rappelle sans
cesse ses problèmes financiers. Le pays à peine
sorti de la décade de sécheresse sera-t-il en
mesure de s’autofinancer suffisamment ?
L’idée de décentralisation ainsi conçue ressemble à un cadeau empoisonné, un
débarras » comme en témoigne la proposition
gouvernementale de faire prendre en charge le
1er cycle scolaire par niveau de la commune, le
2e cycle par celui du cercle, l’enseignement
secondaire par la région et le supérieur par
l’État. Le dispositif envisagé est défini comme
une « démission ».
2. D’autres préparatifs de la réforme font
au contraire ressortir des alliances
contre nature et des rapprochements
insolites. Les positions politiques s’individualisent alors en matière de
décentralisation. Les discussions sur le
projet de découpage territorial des
communes montrent comment un dossier jugé unanimement « sensible »
brouille finalement le clivage majorité/opposition29.
Dans la définition des 700 nouvelles communes rurales, le dossier des plaintes formulées par des villages, arrondissements ou
cercles doit être passé au peigne fin. Sur la prévision d’une quarantaine de communes
urbaines, la Mission de décentralisation n’en a
de plus délimité qu’une quinzaine, auxquelles
s’ajoutent des micro-communes de moins de
5 000 habitants. Héritant d’un dossier technique qui les a inégalement sollicités sur le terrain, les députés doivent donc contribuer à
atténuer les frictions, les problèmes fonciers,
les « querelles ancestrales nées ou réchauffées »
par un découpage qui, par exemple, ôte 4 villages à Kita au profit de Diéma, 2 fractions à
Gourma-Rharous au profit de Tombouctou,
une localité à Djenné au profit de Macina ou
10 villages à Banamba au profit de Niono. En
conduisant un travail de déblayage qui fait
ressortir des « cas litigieux » et des « communes à problèmes », les sous-commissions
parlementaires divisent l’Assemblée selon des
considérations géographiques au sein desquelles les groupes politiques se dissolvent.
Le renouvellement du mandat des élus est en
effet fortement lié au ralliement de « grands
électeurs », notables coutumiers en particulier,
et de leaders d’opinion dans les circonscriptions. Il s’agit donc bien de répercuter à
28. Message du bureau politique de l’USRDA, Bamako, 8 mai 1994.
29. Session parlementaire extraordinaire de juillet-août 1996, session ordinaire de janvier 1997 ;
« Dossier de la décentralisation à l’Assemblée nationale, attention fragile ! », L’Essor Hebdo, 67 juillet 1996.
Grafigéo 1999-8
38
Contexte d’émergence des réformes
Bamako les cautions ou les contestations
émises à propos des limites communales.
« Nombre d’équilibres locaux se sont en effet
forgés et renforcés après l’indépendance, risquant d’être dérangés par la refonte territoriale. Députés et présidents de commissions de
travail, chacun a en tête que les propositions
de délimitation et de choix des chefs-lieux de
commune venues de la base ne sont pas
exemptes de calculs, certains étant même
explicitement désignés comme rétrogrades.
Malgré les efforts de pondération déployés par
les spécialistes administratifs, les querelles
locales n’ont guère été épuisées ; rares ont été
les députés qui ne se sont pas vus approcher
par leurs électeurs pour dénouer un dossier
polémique, et qui ne s’exposeront pas, de la
sorte, à recevoir quelques mois plus tard le
bénéfice ou la sanction électoral octroyé à
l’aulne de la satisfaction apportée. Des cassetête en suspens donc, qui ont moins amené le
parlement malien à se transformer en foire
d’empoigne idéologique que suscité d’âpres
négociations particulières. » A la veille des
campagnes électorales, le cas des « villages
flottants » et des « villages oubliés » à la périphérie des communes urbaines donne ainsi
lieu à d’originaux rapprochements opposition/Adema.
3. Enfin, au sein même des partis, des
intérêts locaux s’expriment contre la
position des comités centraux. C’est le
cas par exemple au sein de l’ADEMAPASJ dont quelques élus communaux se
rallient difficilement à l’idée gouvernementale d’une démission de fin de
mandat qui faciliterait la mise en place
des délégations spéciales. Les divisions
ressortent davantage chez les partis
d’opposition dont la ligne de boycott
électoral embarrasse bien des militants
locaux en 1997.
L’USRDA vit ainsi une véritable fronde interne
en mai 1997, lorsque la décision de boycott est
annoncée par le Collectif de l’opposition dont
se réclament les dirigeants du parti. Si la position concernant les présidentielles est admise
comme moyen de pression sur le gouvernement, l’enjeu des législatives et surtout des
municipales est perçu différemment car ces
élections mettent directement en jeu des intérêts locaux. Des mouvements d’humeur sont
relevés ça et là, certains partis éclatent même
Grafigéo 1999-8
au rythme du durcissement de l’opposition. La
section USRDA de Bougouni fait savoir quant
à elle qu’elle passe outre les consignes de sa
direction. Une lettre du 27 mai informe ainsi le
secrétaire général du bureau national de
l’USRDA « de la ferme décision des militants
du cercle d’aller aux élections communales et
législatives et ce malgré le mot d’ordre de boycott lancé par le Collectif de l’opposition ».
Au total, les positions de partis et de
personnes à propos de la décentralisation
ne font que souligner un fonctionnement
politique du Mali déjà apparent sur les
grands thèmes institutionnels ou électoraux de la troisième république. Clivages
d’ensemble, frictions internes, rapprochements pragmatiques puisent leurs
fondements dans les « luttes de tendance » qui ont marqué les deux précédents
régimes. L’ensemble paraît n’intéresser
les populations que par l’attente d’une
redistribution, somme toute pauvre, des
faveurs particulières que suscite la réforme à l’encontre de ses promoteurs.
D’autres composantes de la « société
civile », plus morcelées dans l’espace
malien, sont réceptives à la question de
la refonte territoriale qu’implique la
décentralisation. Bien des expériences
témoignent à l’évidence d’un « local » de
culture politique peu égalitaire, héritant
de tensions et de compromis récurrents,
parfois prompt à court-circuiter l’une ou
l’autre expression de l’État pour développer une marge ponctuelle de manœuvre. Cela n’exclut pas toutefois, autre
constante de l’histoire nationale, le
maintien d’une logique d’assistance fortement ancrée dans les régions. Les
attentes à l’égard de l’État omnipotent
sont même reformulées dans la transition démocratique.
Les diverses composantes retenues ici
donnent réellement l’impression d’un terreau social fragmenté et souvent en décalage par rapport à l’idée de la mobilisation populaire30. L’examen de la demande
39
Décentralisation malienne
sociale révèle en fait des pratiques territoriales inégalement ancrées.
1. « Les populations » s’expriment
d’abord sur la décentralisation dans les
termes d’une réelle appréhension.
C’est ici la « composante communautaire » que Jean-Louis Venard classait
en premier dans la culture locale. Mais
ces voix paysannes apparaissent souvent représentées par leurs notables
régionaux, d’où le pluriel qui rappelle
l’encadrement des partis uniques successifs. Les comptes rendus de leurs
réactions dans la presse font ressortir
deux inquiétudes principales.
Au cours des concertations régionales
de 1994, des tournées régionales du
chef de la Mission de décentralisation
(1995-1996) et de la campagne présidentielle menée dans l’intérieur du pays
(1997), pointe d’abord la délicate question foncière. Le remaniement des
limites administratives de base risque
en effet de perturber les usages fonciers
« coutumiers » dont la gestion communautaire n’est inscrite dans aucun
registre cadastral. Il fait ressortir
d’âpres contestations de limites et
d’usufruits. Il donne surtout à penser
aux « gens du terroir » que la terre est
désormais monopole public et que la
délimitation des nouvelles collectivités
territoriales vaut menace de réquisition.
La crainte n’est pas tout à fait infondée
au vu des tensions domaniales qui sont
le lot des périphéries des communes
urbaines déjà existantes. La plupart des
maires ont été prompts à lotir de vieux
domaines de cultures, avec plus ou
moins de compensations à la clef, pour
renflouer leurs budgets locaux de misère (Bertrand, 1994). La décentralisation ne change en réalité pas les termes
de la loi sur le domaine éminent de
l’État, ne résout guère et complique
même le noeud gordien de la gestion
des terres. Les patrimoines « autochtones » seront-ils livrés aux appétits des
« étrangers » ? La décentralisation
actualisera-t-elle ce vieux conflit, latent
ou ouvert, des communautés locales ?
Le second point sensible régulièrement
soulevé concerne la viabilité économique des futures collectivités décentralisées.
En tournée dans le Cercle de Kati en janvier
1997, le Président A.O. Konaré entend l’argumentation implacable de « la base » : payer
mieux et plus d’impôts pour asseoir les
finances communales signifie concrètement
une productivité accrue du travail paysan, ce
qui renvoie au nécessaire financement par
l’État d’une politique agricole et sociale nationale. Or celle-ci implique autant de dépenses
improductives que d’engagements dans les
marchés économiques. Les populations formulent ainsi le voeu que l’État fournisse de plus
en plus de matériel agricole à des conditions
préférentielles et qu’il diminue le prix des
intrants agricoles. Favoriser le développement
des cultures de contre saison c’est aussi installer des barrages de retenue d’eau que ne pourront mettre en œuvre seules les populations. Il
est enfin déploré partout l’absence de dispensaires et de salles de classes en nombre suffisant, ainsi que le manque de personnel qualifié lorsque ces structures existent. Par un
paradoxe prévisible, l’exhortation présidentielle à une « prise en charge des populations par
elles-mêmes » fait ressortir l’attente prégnante
et renouvelée des mêmes populations à l’égard
du développement national.
2. Un second type de réactions implique
des animateurs jugés plus modernes,
des « personnes ressources » inhérentes
à la dynamique des villes, autant d’interlocuteurs cibles que la décentralisation ne ferait que coordonner. On
retrouve ici les deux dernières « composantes de la société civile » que JeanLouis Venard classait comme « intérêts
économiques locaux » et « collectifs
revendicatifs liés aux pénuries urbaines ». Leur capacité d’initiative
apparaît déjà rodée sous la catégorie
des acteurs décentralisés : jumelagescoopérations, ONG, GIE, associations
d’usagers, PME locales, associations,
opérateurs économiques, Maliens de
30. Le découpage communal adopté en 1996 est présenté par le président de l’Assemblée nationale
comme « l’aboutissement d’un immense travail d’étude, de prospection et de concertation de
toutes les couches socio-professionnelles, de l’ensemble des populations maliennes ».
Grafigéo 1999-8
40
Contexte d’émergence des réformes
l’extérieur, femmes, jeunes, etc. Un tel
foisonnement caractérise le tissu social
des villes maliennes autant que celui
d’autres cités africaines. Toutefois les
tensions et les concurrences qui le traversent démentent l’unanimité des collectivités territoriales. Aux invitations
répétées d’en haut à participer, quelques pratiques d’en bas répondent en
effet avec une marge d’action qui se
révèle finalement peu conforme au
modèle social souhaité.
« La Commune est vierge, elle attend beaucoup de vous. » C’est en ces termes que le
maire de la Commune I (nord-est de Bamako)
s’adresse en août 1994 aux « opérateurs économiques » de sa circonscription venus
répondre à l’appel lancé par les autorités
municipales. La réunion s’inscrit selon le
maire dans l’esprit de la décentralisation prônée par le pays. Elle est axée sur la fiscalité, le
sport, les finances, la sécurité et l’environnement, domaines reconnus fondamentaux pour
le développement de la jeune commune. Pour
les initiateurs de la rencontre, il s’agit bien
d’ancrer une culture de développement local et
de partenariat, qui suppose l’identification
d’interlocuteurs et la formalisation de leurs
rapports avec les autorités municipales. Le
maire saisit donc l’occasion pour porter à la
connaissance des administrés l’initiative des
riverains de la rue Sada Diallo concernant un
projet de réalisation de deux caniveaux bordiers. Une façon de mettre en exergue les
« bonnes pratiques » de la « bonne gouvernance » que reprendra, à l’échelle mondiale, la
Conférence Habitat II (Istanbul, 1996).
La pratique associative apparaît
cependant inégale et souvent tendue sur
le terrain. La multiplication des GIE de
collecte des ordures ménagères, pourtant
valorisée au plan international, annonce
en quelques années un bilan mitigé. Elle
ne montre encore guère de capacité à faire
sortir les jeunes diplômés du secteur économique informel31. De même, la distribution de travaux à haute intensité de maind’œuvre par l’AGETIPE est loin de résoudre
la question du chômage et laisse dubitatif
sur l’insertion urbaine durable de salariés
temporaires médiocrement rémunérés.
Mais ce sont surtout les associations d’usagers qui multiplient frustrations et contestations dans le concert tumultueux de la
« démocratie locale » naissante. Celle-ci
ressort en ville autant minée de contentieux anciens qu’inventive.
Bamako fait ainsi remonter toute une
série de critiques formulées au sein des
quartiers par une jeunesse qui « s’inquiète », « dénonce » et « revendique ». Le
slogan politique du kokajè (nettoyage
exigé contre les pratiques clientélistes du
passé) inspire ce nouveau rôle d’animation que prétendent incarner notamment
des jeunes diplômés sans emplois.
En juillet 1992, la presse se fait l’écho de la
révolte des jeunes de Ouolofobougou-Bolibana
contre l’association des femmes de leur quartier (AFOB) et l’association Guamina. Toutes
deux sont impliquées dans un projet d’assainissement local dont le maître d’œuvre est
l’ONG nord-américaine World Education.
L’AFOB hérite en effet d’un jeu de personnes et
d’intérêts que les sections locales de l’Union
nationale des femmes du Mali (UNFM, annexe
de l’ancien parti unique UDPM) ont concrétisé
sous le régime précédent dans la recherche de
financements extérieurs. L’année suivante, les
jeunes des périphéries de l’agglomération mettent également en cause plusieurs commissions
de quartier chargées d’organiser le « recasement » de populations déguerpies. A
31. Kaba, 1995 ; Ba, 1995. Regroupés au sein de la coordination CODIAM, les GIE ont dernièrement
organisé une table ronde (Bamako, décembre 1996) sur le thème « rôle, enjeux et perspectives
des GIE dans l’assainissement en milieu urbain au Mali », en y conviant les maires du Mali et les
responsables des services centraux. La participation financière de la Mission française de
Coopération est assurée, et la médiation du PDM n’est pas moins nécessaire pour calmer une
confrontation croissante entre les promoteurs de l’assainissement et les représentants des communes : « La table ronde a été le lieu d’évolutions importantes dans la compréhension de chacun
concernant la place des GIE du Mali dans l’assainissement. Deux basculements majeurs sont
notés au cours de la table ronde : une reprise de l’initiative et de leurs responsabilités par les
municipalités, et un recentrage technique et professionnels des GIE. Partis d’une situation de tensions liées aux logiques en présence, logique de l’emploi des jeunes d’un côté, logique de l’assainissement de la ville de l’autre, les débats ont évolué vers une meilleure compréhension de leurs
termes et des enjeux en présence. » (« Le PDM au quotidien », L’Afrique municipale, Cotonou,
PDM, n° 9, p. 21)
Grafigéo 1999-8
41
Décentralisation malienne
Djikoroni-Para, l’Association malienne pour le
bien-être de la jeunesse (AMBEJ) dénonce le
détournement de bon nombre de parcelles au
profit de populations nanties non prioritaires
ou de clients privilégiés des nouveaux responsables communaux (Bertrand, 1995).
Au-delà du cas de Bamako, des formes
associatives beaucoup plus diffuses
n’échappent pas aux difficultés de la
coordination locale.
Les jumelages-coopérations qui adhèrent au
consensus sur la décentralisation ne manquent
pas de révéler bon nombre de conflits de compétences, comme le montre l’expérience de
Mourdiah. L’action de l’Association pour le
développement de l’arrondissement de Mourdiah (ADM) s’étend aux 40 villages de la circonscription et s’inscrit dans le cadre de la
politique nationale de développement du pays.
Grâce à des actions concrètes, l’ADM a jeté les
bases de contacts internationaux dans le cadre
du jumelage-coopération Mourdiah-Hennebont (Morbihan). Néanmoins l’association
connaît des difficultés liées à ce qu’elle déplore
comme ingérences des autorités administratives. Celles-ci s’érigent souvent en premier
interlocuteur face aux « Amis de Hennebont »,
reléguant ainsi au second plan les activités du
comité local de jumelage-coopération de
Mourdiah et de l’ADM. Quelques ONG de la
place et même des fonctionnaires s’évertuent
également à négocier directement avec
Hennebont et à contourner l’ADM. De telles
rivalités dans le contrôle des perspectives
financières de la coopération décentralisée ne
sont pas rares au Mali.
Egalement valorisé au plan international,
l’exemple des Centres de santé communautaires (Cescom) va dans le même sens. Alors
que les années soixante-dix ont vu éclore des
formations sanitaires de premier niveau, appelées dispensaires et maternités rurales, en ville
les pionniers de ce type d’initiative locale
furent un groupe de notables du grand quartier populaire de Banconi (périphérie nord de
Bamako). Créé sans but lucratif, leur centre de
santé privé s’appuie sur le respect des normes
techniques préconisées par l’OMS et fonctionne
sous le contrôle de représentants de la commune I. L’idée était de montrer aux populations
qu’avec une approche responsabilisée et beaucoup de rigueur, il était possible de résoudre
des problèmes considérés comme insolubles :
rendre accessibles les services de santé de base
à la majorité de la population du quartier, aux
Grafigéo 1999-8
revenus modestes (le coût de la consultation est
de 500 francs CFA), offrir des soins de qualité
(l’accent est mis, contrairement à ce qui prévaut souvent dans les centres publics, sur la
qualité de l’accueil), et garantir la viabilité
technique et financière du centre à long terme.
Depuis son ouverture en mars 1989, le centre
de l’Association de santé communautaire de
Banconi n’a cessé d’attirer les habitants
d’autres quartiers et de susciter d’autres initiatives dans la capitale.
Au milieu de l’année 1994, le Mali comptait en
effet près de 120 associations de santé communautaires (ASACO). Mais leur réussite
implique de lourds préalables, esprit de responsabilité et dévouement désintéressé, qualités dont l’absence génère des situations conflictuelles. A Bamako, d’où est parti le
mouvement, l’exemple méridional de Sabalibougou constitue une mise en garde. Ce centre
est fermé du fait des « rivalités politiciennes »
qui ont suscité une tension à l’image des difficultés plus globales que vit le quartier en
matière de régularisation foncière. L’affaire,
poussée jusqu’en justice, n’a pu longtemps être
tranchée faute de textes réglementaires clairs.
Un autre exemple est à retenir parce qu’il
concerne la région de Sikasso. Du fait de sa
vitalité économique, celle-ci est censée mieux
répondre aux conditions de viabilité financière
et de mobilisation sociale. Le centre de
Sanzana est né de l’initiative de missionnaires
en collaboration avec une ONG italienne. Sa
transformation en Cescom strict semble poser
quelques problèmes au cours de l’année 1996
lorsque le « projet » qui gérait jusqu’alors le
centre prend fin. Les populations sont donc
appelées à prendre le relais, mais d’après les
promoteurs italiens, le comité de gestion aurait
« du mal à trouver des responsables, et honnêtes ». Pas facile en effet de trouver des personnes scolarisées à Sanzana. Or la rivalité
entre les villages parties prenantes du centre
interdit de recruter des membres dans une
seule localité. Quant au centre de santé de
Kignan (chef-lieu d’arrondissement dans la
même région méridionale), il s’épargne pour le
moment les tensions de ce dilemme : une partie du personnel est payée par l’État, et l’autre
sur la taxe de développement régional et local.
Le centre devra être prochainement transformé en Cescom. Les villageois sont intéressés et
devraient contribuer sans problèmes, mais
voudraient également faire venir un médecin
pour les interventions chirurgicales. Ce à quoi
s’oppose le médecin du cercle de Sikasso dont
dépend l’arrondissement. Refus de collabora42
Contexte d’émergence des réformes
tion et ambiances qualifiées de détestables
jusque dans la presse bamakoise, il n’est donc
pas rare que le courant ne passe pas avec l’administration ou avec de nouveaux médecins de
campagne, eux-mêmes gestionnaires de
centres privés.
Le paysage associatif malien, sur
lequel la décentralisation tente de greffer
ses ambitions, souligne donc le peu d’homogénéité d’une « société civile locale »
qui apparaît souvent plus idéalisée que
durablement ancrée dans les territoires.
Certains « groupes cibles » relèvent du
label et leurs contours socio-économiques sont flous (jeunes, femmes) ;
d’autres collectifs naissent de façon pragmatique autour d’objectifs ponctuels
mais se connectent sans médiation nationale sur un partenariat financier extérieur. L’Association de Baco Djikoroni
(ouest de Bamako) finançait ainsi en
1996, pour un coût total de 37 665 000
francs CFA, sa « maison de quartier » en
collaboration avec la Fondation Abbé
Pierre et diverses ONG. Or le saupoudrage des financements décentralisés ne fait
pas office de politique globale des collectivités territoriales. Des pans entiers de
l’espace et de la demande sociale restent
à l’écart de ces opportunités souvent difficilement reproductibles.
Dernière réserve apportée enfin à la
Grafigéo 1999-8
« culture territoriale » sur laquelle tentent
de s’appuyer les réformes pour impulser
une révolution des mentalités : les mobilités externes et internes aux villes s’accroissent. D’après une enquête à passages
répétés que nous avons menée entre 1992
et 1994 à Bamako, 40 % des 3 220 personnes que nous avons recensées dans
159 unités résidentielles (539 ménages)
ont connu une mobilité entrante ou sortante en une seule année d’intervalle. Ces
déménagements concernent surtout des
individus au sein des ménages propriétaires, et surtout des ménages entiers
parmi la population locataire. Les fluctuations de l’emploi et le développement
du marché locatif contribuent à redistribuer les collectifs familiaux en systèmes
résidentiels éclatés. La relation à l’espace
devient plus souple. L’ancrage aux lieux
et le statut « d’autochtone » se recomposent du fait de pratiques individualisées
de mobilité et du fait d’appartenances
territoriales diversifiées. Il convient alors
de mieux différencier les enjeux respectifs
de la décentralisation en ville (évolution
d’un système communal déjà existant) et
dans les campagnes (suppression des
arrondissements et introduction des nouvelles communes rurales).
43
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
Chapitre 2 • Décentralisation pour le Mali
rural ou gestion urbaine
décentralisée ?
C
OMME ON L’A VU, la réforme territoriale vise tant le développement
des campagnes que la promotion
des villes. L’alternative n’échappe pas à la
presse nationale dans la même semaine
de juillet 1996, à la veille du débat parlementaire sur le découpage communal.
L’Opinion s’inspire du Contrat social de
Rousseau pour rappeler que la démocratie se
pratique avec plus de simplicité et de naturel
dans les campagnes. Le point de vue est appliqué au travail préparatoire de la Mission de
décentralisation : la leçon est venue des campagnes où « le sens aigu de l’intérêt de la collectivité a permis un découpage territorial sans
le cataclysme annoncé ». « L’état de nature » a
donc permis aux habitants des campagnes de
transcender les mesquineries et les faux problèmes citadins et de faire valoir « les valeurs
inestimables sur lesquelles repose la société
traditionnelle ».
Le Soudanais prend le contre pied de ce point
de vue car le salut est au contraire dans les
villes. La preuve : tous les spécialistes estiment
qu’il n’y a pas assez de villes au Mali. Il en
manque au bas mot 50 pour que le développement s’accélère, que les équipements sociaux
se démocratisent, pour que l’État bénéficie de
plus de relais. Les villes joueront donc un rôle
essentiel dans la décentralisation qui s’amorce
avec la définition d’une nouvelle carte administrative, l’émergence d’une nouvelle mentalité, de nouveaux acteurs du développement
Grafigéo 1999-8
dotés d’un sens élevé de l’initiative. Difficile
donc d’échapper au romantisme dès qu’on
parle de décentralisation.
Pour Le Mali nouveau, justement, c’est dans ce
romantisme que réside le danger de l’entreprise. L’hebdomadaire traite lui aussi de la décentralisation. Le volontarisme romantique peut
s’assimiler en l’occurrence à des oeillères masquant irrémédiablement un paysage dans
lequel chaque élément est une mise en garde
contre la précipitation : une population pauvre
et illettrée, une élite boiteuse au plan de la gestion, une tradition très peu fondée sur des rapports égalitaires. Il semble que les pays africains, qui ont régulièrement échoué jusqu’ici,
utilisent la méthode Coué pour se convaincre
que « cette fois sera la bonne ».
L’INNOVATION
DES COMMUNES
RURALES ET SES INCERTITUDES
Remplacer l’arrondissement ?
Concevoir d’en haut, mettre en œuvre
en bas
Une fois mise en place la Mission de
décentralisation, l’année 1993 consacre
un choix technique de taille. A la question
faut-il décentraliser d’abord en amont ou
en aval de la structure administrative, la
Mission finira par trancher en faveur de
la base.
45
Décentralisation malienne
Les études prospectives de 1993 envisageaient pourtant de retailler le découpage territorial d’abord au niveau des
régions. Il s’agissait alors de refondre la
géographie administrative malienne par
le haut de nouvelles provinces, le niveau
communal de base épousant grossièrement la forme des cercles. L’étude financée par la coopération allemande
(Diraset, 1993) propose ainsi trois scénarios de découpage régional. Le premier
s’articulerait autour de 16 provinces
(plus Bamako), soit un nombre encore
petit qui maintiendrait un niveau administratif intermédiaire entre ceux de la
province et de la commune. Le deuxième
envisage 23 provinces et reçoit l’appui du
bureau d’étude Diraset. Ses avantages
résideraient dans une assiette démographique jugée plus viable, un rayon d’action maîtrisable autour des chefs-lieux
(accès en deux ou trois heures), des
chances égales données à la promotion
des petites et des moyennes villes. Enfin,
l’option d’un découpage en 30 provinces
impliquerait que les nouvelles provinces
se fondent presque dans les cercles
actuels, dans une géographie plus directe
mais confinant au fractionnement.
L’étude financée par le Fonds européen de développement (Dehousse,
Guemar, Mounkoro, 1994) s’appuie
quant à elle sur la nécessité de simplifier
le régime des taxes maliennes afin d’organiser un meilleur partage entre les collectivités territoriales. La création d’un
fonds de péréquation est d’ailleurs mentionnée dans la Loi-cadre 93-008 ; il
pourrait rendre crédible l’hypothèse d’un
nombre raisonnable de communes
urbaines. L’étude se fonde ainsi sur une
correspondance possible entre la maille
communale à définir et les chefs-lieux des
cercles actuels, soit une cinquantaine de
communes. S’y ajouteraient, de manière
1.
plus souple, les agglomérations de 8 à
12 000 habitants ainsi que celles dont la
viabilité économique est déjà prouvée.
A l’issue de ces premières expertises,
c’est finalement le choix de partir du
niveau communal et de couvrir l’intégralité du territoire national qui est retenu1.
Non pas que l’idée de restructurer cercles
et régions soit abandonnée, mais parce
que la perspective « remontante » de la
refonte est censée découler, dans un agenda administratif plus lointain, des nécessités et des problèmes de la base. Les
niveaux supérieurs sont toutefois affectés
par la décentralisation : l’exécutif administratif change parfois de nom (le commandant de cercle devient représentant
du gouvernement) ; il est surtout doublé
d’un conseil de décision élu parmi les
représentants des conseils inférieurs
(conseillers communaux pour le conseil
de cercle, conseillers du cercle pour le
conseil de région). On se démarque donc
du rôle consultatif et formel que les comités et conseils de développement ont pu
jouer sous le régime précédent.
Plus généralement, un réel décalage
entre les ambitions et la réalité du calendrier de travail ressort du bilan porté au
milieu du quinquennat par un expert du
FED auprès de la Mission de décentralisation2. Le travail sur les textes a connu
tâtonnements et lenteurs de programmation : la loi-cadre de février 1993 fixe les
grandes lignes des compétences, des ressources et de l’organisation administrative
des régions, cercles et communes ; une première mouture du Code des collectivités
territoriales modifie ensuite ce texte en
matière budgétaire et ne prévoit plus que
deux niveaux administratifs (régions et
communes). Sa discussion sera reprise
avant même l’accouchement d’un nouveau statut particulier du district, dont les
études techniques ont commencé en jan-
« L’édification de la pyramide de la décentralisation s’opérant à partir de la base, il s’agit par
l’adoption du présent projet de loi de réaliser la plate-forme communale en procédant à de nouveaux regroupements de villages, de fractions nomades et de quartiers pour former des communes
rurales et urbaines à la place des arrondissements actuels » (conseil des ministres du 18 juin
1996).
2. Entretien avec Olivier Donnet, Mission de décentralisation, mai 1994.
Grafigéo 1999-8
46
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
vier 1994, et dont l’adoption en session
parlementaire sera retardée jusqu’en
1996.
Aussi important que le travail juridique, le travail de consultations locales et
régionales soulève des questions de fond
non moins évolutives : nécessité de réviser
le code électoral afin de permettre des
listes locales ouvertes et des candidatures
n’émanant pas de partis ; nécessité d’associer les « opérateurs économiques »,
souvent inorganisés, à la programmation
du développement économique de base.
La stratégie de la Mission de décentralisation est alors envisagée selon le calendrier
suivant, qui subira de nombreuses remises
en cause :
1. création de 600 communes à l’horizon
1995, élections communales fixées
avant l’échéance du renouvellement
des conseils municipaux déjà en place,
réflexion pour savoir si les nouvelles
élections concerneront ou non les élus
de 1992 ;
2. audit mené à Bamako des services
techniques de l’État concernés par la
décentralisation (Santé, Éducation,
Équipement, Développement rural,
Finances et Fonction publique) :
chaque ministère est effectivement
consulté en 1994, mais beaucoup de
services se montrent choqués par l’initiative à l’exception du ministère du
Développement rural qui est le seul à
apporter des réponses structurelles ; les
préparatifs s’avèrent délicats dans ce
premier inventaire qui pourrait jouer
le rôle de détonateur pour les réformes
promues à la base ;
3. transfert progressif de compétences en
matière de santé, d’éducation de base
et de développement rural dans un
délai de six mois, transfert des ressources affectées mais à condition de
revoir la fiscalité locale. Les hypothèques les plus lourdes de la réforme
sont bien là.
Comparaisons africaines
Par sa perspective remontante, le processus malien suggère un parallèle évident
avec l’expérience sénégalaise. Rappelons
que celle-ci a institué beaucoup plus tôt
les communes et les communautés rurales3. Leur fonctionnement est désormais
rodé sous l’angle d’une politisation de la
gestion locale (Bredeloup, 1997). Pour
l’heure, la décentralisation sénégalaise
rejoint la vague institutionnelle africaine
des années 1990, puisque ce n’est qu’en
juin 1996 que la loi portant Code des collectivités locales a été votée par
l’Assemblée nationale du pays. L’échelon
de la région rejoint les deux précédents
dans le statut des collectivités locales ; les
élections de la fin de l’année concernent
pour la première fois des représentants
des régions.
Egalement frontalière avec le Mali, la
Mauritanie soulève de même le problème
de la viabilité économique de ses nouvelles communes. En témoigne le bilan
tenu devant le PDM par l’Association
française des volontaires du progrès
(séminaire de Nouakchott, avril 1994).
« Les communes sont aujourd’hui en place
dans le Guidimakha, en zone urbaine tout
aussi bien qu’en zone rurale. Une commune
rurale regroupe de l’ordre de 15 localités (villages et hameaux) et a une superficie moyenne
de 580 km² pour une population moyenne de
7 000 habitants. Les conseils municipaux et
maires présentent l’avantage d’être élus. Mais,
dans les débats électoraux, on s’intéresse
moins aux programmes socio-économiques
qu’aux éternelles luttes de pouvoir, d’ordre tribal. Apparaissant aujourd’hui comme un facteur de division plus que de rassemblement, la
commune ne peut donc pas servir de cadre
pour les concertations qu’il conviendrait de
provoquer sur le thème du développement. Sur
le plan financier, ces conflits ont pour résultat
qu’une bonne partie de la population refuse de
payer les taxes locales. Sachant que les mairies
n’ont quasiment aucun moyen de pression
(police...), le budget ne sera jamais recouvré et
3. Respectivement par les lois 66-64 du 30 juin 1966 et 72-25 du 25 avril 1972. A la suite de
quelques réajustements territoriaux (divisions régionales, nouvelles communes), le Sénégal compte aujourd’hui 10 régions, 317 communautés rurales et 48 communes urbaines
Grafigéo 1999-8
47
Décentralisation malienne
les capacités de développement sont infimes.
Finalement aucune commune de la région ne
dispose d’un budget d’investissement. Généralement elles parviennent à peine à couvrir leurs
frais de fonctionnement. L’essentiel de leurs
recettes est formé de taxes diverses, difficilement prélevées sur les commerces (boutiques,
tables, vente ambulante) et les habitations. [...]
Les enquêtes réalisées ont montré que les
niveaux d’organisation sont faibles dans le
Guidimakha. Il n’est pas du tout évident que les
villages ou les associations qui travaillent (au
montage de fonds d’investissements locaux)
soient capables de gérer dans les règles une
enveloppe financière. En outre, la population
est encore très attentiste et l’intention de pérenniser des outils financés par l’extérieur n’est pas
présente. » (AFVP, 1995, p. 121-123)
Un échange d’expérience avec le
Burkina Faso permet enfin de situer le
Mali comme inspirant lui-même un
modèle de démarche. En février 1997,
une rencontre des experts de l’urbanisme
des deux pays est organisée à Ségou sur le
thème « Gestion urbaine et décentralisation », dans la droite ligne des recommandations de la conférence internationale Habitat II (Istanbul, juin 1996). Les
deux pays sont engagés dans un processus de décentralisation qu’ils ne mènent
pas de la même façon. Les burkinabé se
sont lancés dans l’entreprise avant le Mali
à la faveur du changement de régime de
1983, mais ont opté ensuite pour une
avancée à pas prudents sous le régime de
B. Compaoré. La première bataille du
pays reste celle de la « persuasion des
populations qui demeurent fort peu
convaincues de l’utilité d’une si grande
réforme ». Le découpage régional malien
semble pourtant séduire le voisin qui
pourrait créer une dizaine de régions à la
place des 45 provinces actuelles.
Au total, les expériences voisines font
ressortir un bilan mitigé et un constant
balancement entre les vertus ou les potentiels attribués aux communes et une gestion locale déjà entachée d’habitus poli-
tiques ou de pénuries budgétaires. Les
contrastes de l’économie rurale malienne
renvoient à une même alternative.
Campagnes crédibles/campagnes
déficitaires
En théorie, la contrainte des ressources
financières et humaines est contournée
par trois types de disposition :
1. le fonds de péréquation annoncé dans
la Loi-cadre 93-08 (il devrait être alimenté par contribution des collectivités et par dotation du budget de
l’État) ;
2. la mise à la disposition des collectivités
territoriales des services déconcentrés
de l’État (conseil des ministres du
14 février 1996) ;
3. la ressource idéologique de la « mobilisation » et le pari qu’une autonomie de
gestion ne peut que stimuler la production, l’offre de travail et sa fiscalisation.
La mise en œuvre du découpage communal suscite cependant des réactions
contrastées sur le terrain. Sans présager
du futur fonctionnement des collectivités,
les deux extrêmes du pays (Sud cotonnier
versus Nord enclavé) laissent dans l’attentisme un vaste pays intermédiaire. La
viabilité financière des communes renvoie
logiquement aux bases économiques susceptibles d’impulser ou d’entretenir les
transferts de compétences.
Comme on l’a vu, le potentiel économique du Sud-Mali augmente les besoins
socio-économiques des populations et suscite une véritable demande sociale en
matière de décentralisation. De nombreux
bailleurs de fonds internationaux concentrent également leur aide sur la seule
région jugée rentable du pays. En
témoigne la reconduction des crédits français de développement dans le cadre de
l’accord de financement Mali-CCCE4. Pour
un montant de 850 millions de francs CFA,
ce financement complémentaire de Mali-
4. Septembre 1992. La Caisse centrale de coopération économique est en cours de transformation en
Caisse française de développement.
Grafigéo 1999-8
48
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
cation que l’on peut donner du phénomène des
micro-communes tout en gardant à l’esprit que
le plus important surviendra lorsque les gens
se rendront compte qu’une commune ce n’est
pas une mobilisation ponctuelle pour construire une école, une route, un centre de santé,
mais une mobilisation durable pour développer leur espace. »
Sud III vise « la définition d’une nouvelle
intervention en milieu rural, prévoit de se
pencher sur la problématique foncière, le
fonctionnement des institutions locales et
la gestion décentralisée des actions de
développement ». Ses liens avec le système
productif régional sont maintenus puisqu’il devrait permettre à la CMDT5 de
poursuivre ses actions de formation des
collectifs paysans.
La dévaluation du franc CFA a entraîné de plus dans la région de Sikasso une
recrudescence de la production et de
l’égrenage cotonniers, un regain d’intérêt
du commerce ivoirien pour la production
vivrière locale et de nouveaux flux commerciaux ouest-africains articulés au
transit guinéen. C’est dans ce contexte
économique « vertueux » que le découpage communal ressort particulièrement
morcelé au sud du Mali : 147 communes
sont délimitées en région de Sikasso
contre 106 dans la région voisine de
Koulikoro. C’est sur la question de ces
micro-communes que le chef de la
Mission de décentralisation apporte ses
premières explications au quotidien
national L’Essor (18-19 mai 1996).
Le territoire local ainsi défini par les
populations se calque donc ici sur les
espaces de l’organisation productive. Un
tel choix n’a pas toujours guidé le découpage malien, y compris dans d’autres cas
régionaux de micro-communes.
Les « gens du Nord » adhèrent à la
refonte communale bien en retrait des
« gens du Sud ».
La tournée de la Mission de décentralisation en sixième région, à la fin de l’année 1996, est de nouveau l’occasion de
rendre compte d’un clivage économique
que les populations se représentent, après
presqu’une décennie de troubles ethniques, comme étant celui du Nord
(zones sahélienne et pré-saharienne),
lâché par le pouvoir central, au profit du
Sud (zones soudanienne et pré-guinéenne).
« A Sikasso, le terrain a démenti l’étude prospective que nous avions faite. Nous n’avions
pas prévu autant de communes, c’est vrai,
mais a posteriori notre erreur est compréhensible et tient un peu à l’esprit d’indépendance
qui a prospéré dans cette région. Elle est composée d’entités où l’esprit de repli sur soi est un
facteur assez important pour expliquer que les
ensembles soient très petits. Les micro-communes peuvent aussi tirer leur origine de
toutes les expériences d’organisations paysannes qui ont vu jour dans la zone CMDT. Des
villages qui avaient connu un mode précédent
d’organisation n’ont, cette fois, pas pris
conscience que le mode d’organisation proposé n’avait pas la même dimension. Sikasso
étant une zone à potentiel, les gens ont pu
aussi penser que même sans être nombreux,
leur potentiel leur permettrait de faire face aux
exigences de la décentralisation. Voilà l’expli-
La région de Tombouctou comptera 51 communes dont deux urbaines, Tombouctou et
Diré. Mais ses représentants ont à cœur de
faire comprendre aux gens de Bamako que « le
vote d’une loi doit tenir compte des réalités du
terrain ». Car il risque de se créer dans cette
zone des communes factices qui n’auront
aucune signification économique réelle. De
sérieuses appréhensions habitent donc les
populations quant à l’émergence réelle des
nouvelles entités. Perceptible tout au long des
débats, l’inquiétude trouve son explication
dans la disparité économique constamment
évoquée entre « les régions du sud, relativement prospères », et « celles du nord, moins
favorisées ». Parmi les cinq critères retenus
pour constituer une commune, les considérations démographiques et de viabilité économique ne s’appliquent réellement qu’aux
seules régions du sud. Certes la décentralisa-
5. Compagnie malienne de développement textile. De capital mixte depuis le milieu des années
soixante-dix, la société a pris le relais de la CFDT française qui a impulsé la production cotonnière sous la colonisation. L’encadrement des producteurs locaux se diversifie depuis autour du secteur vivrier.
Grafigéo 1999-8
49
Décentralisation malienne
tion ne signifie nullement désengagement de
l’État, mais en dépit des assurances données
par Ousmane Sy, les populations de
Tombouctou sont sceptiques sur l’engagement
du pouvoir central à créer les conditions de la
viabilité des futures communes. Pour elles il
faut commencer nécessairement par une politique de désenclavement tambour battant de la
région. Si la décentralisation, qui n’est pas
appréhendée comme une panacée, doit constituer un espoir pour la zone, sa réussite passe
inéluctablement par un soutien particulier de
l’État.
L’économie rurale s’avère en réalité
plus complexe du fait du Mali médian, de
ces régions incertaines entre grand Nord
et extrême Sud. Dans l’environnement
géographique et culturel de Bamako
(deuxième région, nord de la troisième
région, est de la première région, ouest de
la quatrième région), le processus de
décentralisation est bel et bien perçu
comme irréversible. Mais les communes
qui se dessinent prennent conscience du
fait qu’elles ne pourront survivre et se
renforcer qu’en améliorant les potentialités agricoles existantes. Les populations
du cercle de Kati qui reçoivent la visite du
président de la république en 1997 l’ont
déjà bien manifesté en listant bon
nombre de contributions économiques et
sociales attendues directement de l’État.
Enfin et surtout la géographie des systèmes productifs se construit finement au
niveau local, à une échelle qui n’épouse
pas les contours des collectivités territoriales. Se pose donc le problème des fondements fonciers des futures communes.
L’épineuse question des bases
territoriales des nouvelles com munes
Proposée par le conseil des ministres
du 18 juin 1996, adoptée et amendée par
l’Assemblée nationale à la fin de 1996, la
refonte communale se présente en réalité
sans support cartographique.
Dans le détail, elle donne souvent
l’impression d’un véritable bourbier territorial.
Grafigéo 1999-8
Micro-communes et polarisation de l’espace local
Rappelons qu’au terme du travail préparatoire qu’elle a initié dans les régions
à partir d’avril 1995, la Mission de
décentralisation a défini quelques 632
communes sur l’ensemble du territoire
national. L’ébauche de 1996 modifie
donc un tiers des arrondissements, et
même plus dans les régions de Mopti
(56 %), Tombouctou (40 %), Koulikoro
(46 %) et Kidal (44 %). Les modifications les plus significatives portent généralement sur les arrondissements centraux, enjeux de polarisations croissantes
autour des équipements scolaires ou sanitaires déjà existants. L’une des plus
grandes difficultés rencontrées par la
mission a été le choix des chefs-lieux
parmi les localités concurrentes de la
même collectivité locale.
Par l’ampleur des remaniements
qu’elle suscite, la zone du delta intérieur
du Niger illustre l’acuité du problème du
cadrage territorial et les incertitudes économiques et sociales qui pèsent sur la
nouvelle greffe. Au cours des consultations des GREM, l’administration régionale et locale a certes tenté de canaliser la
consultation des populations rurales dans
le sens d’une faible remise en cause des
anciennes limites d’arrondissements et de
cercles. Mais nombre de vieux conflits ont
resurgi à propos du rattachement des
localités villageoises, hameaux de culture
et campements de pêche, à telle ou telle
commune, sur le choix du chef-lieu de
commune, et sur la future élection des
maires. En vertu d’un espace vécu à la
fois fragmenté et discontinu (Gallais,
1984), les populations ne se sont pas toujours exprimées dans une logique de
continuité ou de proximité spatiale.
Comment, en effet, passer de la communauté sociale, souvent enchâssée dans
des réseaux de mobilité, à la collectivité
territoriale ? Comment caler un nouveau
découpage sans négliger, comme l’ont
souvent fait des strates antérieures d’encadrement administratif (la maille de
50
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
l’arrondissement, par exemple), les territorialités propres de systèmes productifs
divers et imbriqués dans un espace mouvant (Gallais, 1984) ? La céréaliculture
saisonnière, les cultures de contre-saison,
l’élevage transhumant et la pèche mettent en jeu des déplacements proches ou
lointains, et vivent les rythmes de la crue
selon des pratiques finement inscrites
dans les zones d’inondation. Dans la
marqueterie humaine du « delta », les
questions ethniques n’ont pas manqué de
rebondir et de faire écho à celles des
formes sociales et des espaces du travail,
surtout ceux organisés en réseaux de
mobilités.
L’émiettement communal dans lequel
les populations semblent s’engager pourrait alors contribuer à de nouveaux
risques de cloisonnement économique
local au détriment d’une meilleure articulation des systèmes productifs entre eux
et de leur ouverture sur l’extérieur. Les
villageois confirmeraient le confinement
et l’enclavement qu’elles déplorent par
ailleurs. Mais n’est-ce pas donner a priori trop d’importance aux cadres administratifs dans la dynamique du développement social et économique ? En réalité,
bien des conflits revigorés par les choix de
rattachement, de délimitation et de chefslieux communaux ont des fondements
plus sociaux que spatiaux : allégeances
lignagères, prérogatives ethniques,
concurrences des plus anciens occupants
et de « nouveaux venus » dans une histoire ancienne, légitimités de chefferies
consacrées ou démolies par la colonisation, nouvelles initiatives d’émigrés de
retour après avoir « fait » la Côte d’Ivoire
ou l’Afrique centrale, etc. Les arguments
s’enchevêtrent et rendent inopérantes
bien des grilles de composition territoriale par trop univoques autour des critères
de taille ou d’accessibilité. Difficile encore de dire si les divergences locales s’appuient sur des conceptions différentes en
matière de développement économique,
ou bien si elles les fondent. Les études
localisées manquent encore dans le Mali
rural pour tester à une échelle fine la
question récurrente des rapports entre les
bases économiques et les cadres institutionnels du développement.
Le chef de la Mission de décentralisation lui-même ne manque pas de faire ressortir les « communes à problèmes », les
arbitrages sensibles et les choix conflictuels qui engagent avant tout des logiques
sociales. Prégnantes dans toute réforme
institutionnelle, souvent héritées mais
aussi inscrites dans les enjeux de la modernité, celles-ci figurent en bonne place dans
les débats régionaux. Au-delà du cas
sénoufo, où les micro-communes semblent
justifiées par le bassin cotonnier de Sikasso, d’autres régions témoignent d’un
défaut structurel d’entente sur le choix des
chefs-lieux communaux. A la frontière
avec la Mauritanie, au cœur du pays malinké, dans l’aire d’influence de Bamako,
également dans la région de Mopti, des villages concurrents s’appuient sur les usages
coutumiers de la terre pour contrarier les
ébauches de regroupement. Ils imposent
alors deux communes là où l’on n’en
aurait tracé qu’une en vertu de normes
comptables de viabilité économique.
Ces tensions des localités et des
groupes « maîtres du sol » stimulent de
nouvelles hésitations chez les habitants
des hameaux de cultures dépendant. Bien
des collectifs paysans apparaissent
tiraillés entre deux tutelles foncières. Ne
risquera-t-on pas de perdre des champs si
l’on opte pour le village « d’en face » ?
Comment plaider sa cause lorsque la
Mission de décentralisation, confrontée
aux conflits de légitimité foncière à rebondissement, s’en est remise à l’avis des
« vieux » des conseils de village, appliquant l’adage, pour simplifier sa tâche, du
« entendez-vous d’abord entre vous »6 ?
Nous sommes en démocratie : responsabilisons
les gens. Les gens se réunissent, discutent,
6. Plus généralement, la palabre des anciens suscite autant l’enthousiasme de ceux qui y voient une
preuve de démocratie locale que la critique des détracteurs de la gérontocratie villageoise.
Grafigéo 1999-8
51
Décentralisation malienne
négocient, trouvent des solutions en ce qui
concerne la démocratie. Il en sera exactement
ainsi de la décentralisation. Les incompréhensions ne nous ont donc pas surpris. Ce territoire est, en effet, bâti sur des réalités, les hommes
ont un passé caractérisé aussi par des conflits,
des villages ne se sont jamais entendus,
d’autres sont prêts à s’affronter, des familles
sont brouillées. Nous savions tout cela et nous
nous sommes attachés à créer un cadre pour
que les gens parlent de leurs problèmes [...] car
la décentralisation a, ne l’oublions pas un
aspect politique. Enjeu de pouvoir, elle est destinée à mettre en place des pouvoirs locaux.
Des intérêts sont forcément en jeu. Nous avons
donc refusé d’être des interlocuteurs sur des
problèmes que nous ne connaissions pas alors
que des gens sont même venus nous proposer
de l’argent pour que leur village soit érigé en
chef-lieu de commune. Nous leur avons dit que
ce n’était pas nous qui décidions : les résultats
des débats nous viennent ici confirmés et nous
n’avons aucun pouvoir de les changer. [...]
La souplesse dans l’interprétation des critères
va de pair avec la hiérarchisation des critères.
Un exemple : dans le cercle de Bougouni, il y a
eu un débat. La commission qui a travaillé sur
ce cercle a fixé le seuil de viabilité à 8 000
âmes par commune. Lors des débats, des villages regroupant 7 500 habitants ont demandé
à être érigés en commune s’attirant de la commission la réponse qu’il y avait incompatibilité avec les premiers critères, et qu’il fallait
reprendre les discussions et essayer d’atteindre
le seuil fixé. Les populations ayant maintenu
leurs propositions, la commission a cédé en
leur signifiant qu’il en allait de leur responsabilité si elles s’engageaient à devenir commune
rurale, l’administration ne pouvant plus être
mise en cause. [...]
Quand nous avons été saisis par la région de
Mopti du cas de Douentza, nous y avons dépêché deux de nos collègues. Les conclusions qui
nous ont été ramenées montrent que l’administration n’a pas bien fait son travail. Les
hommes politiques en ont profité pour faire
une mainmise sur l’opération. Une de nos missions s’est alors rendue sur place trouver avec
les populations la solution adéquate à leurs
problèmes. Des problèmes politiques existent
entre différents groupes à Douentza, auxquels
est venu se greffer un litige relatif aux anciens
cantons7. Le débat instauré a permis de les
révéler et les discussions engagées avec les responsables politiques du cercle de constater
combien les gens demeurent sous l’influence de
leurs entités passées. [...] Le cas de Douentza,
comme celui de Goundam offrent l’occasion de
rappeler que cette réorganisation territoriale a
pour philosophie de laisser les populations
débattre entre elles dans les limites de la loi qui
interdit de créer des communes sur une base
raciale. Là où les gens ne sont pas parvenus à
s’entendre, l’État décidera à leur place. Nous
avons réduit au minimum les cas d’arbitrage en
installant à tous les niveaux des commissions de
conciliation. Si toutes ces commissions d’arrondissement, de cercle, de région et nationale
n’ont pas tranché, le gouvernement avant de
déposer le projet à l’Assemblée nationale tranchera et l’Assemblée nationale appréciera. »8
Le nœud gordien du contrôle foncier
On comprend dans ces conditions que
la Mission de décentralisation ait achoppé
sur l’élaboration du support cartographique de la réforme communale. L’opération a bien été envisagée, et l’outil informatique a même suscité des espoirs au fur
et à mesure que le terrain démentait la
simplicité de la démarche cartographique.
Mais comment passer des limites administratives de l’arrondissement à une cartographie plus fine sans disposer de marqueurs des terroirs villageois et sans
cadastre des patrimoines communautaires
ruraux ? Comment définir le territoire
d’une collectivité locale quand l’accès à la
terre est délégué en chaînes, quand de
multiples droits d’usage sont gérés par
voie orale au gré des alliances matrimoniales et de positions statutaires. Places
des anciens esclaves, des gens de caste, des
aristocraties résistantes ou déclassées, des
aînés, eux-mêmes crispés ou ouverts à
l’égard de leurs cadets : les unes comme les
autres apparaissent finalement mouvantes
sur la longue durée. La « raison graphique » de la carte s’accommode mal de
ce droit coutumier plus ou moins contaminé par des logiques de marché. Les rela-
7. Unités administratives sous la colonisation. Leur mise en place s’est inspirée des rapports de forces
entre chefferies locales au moment de la conquête française.
8. « La foi contagieuse d’Ousmane Sy », L’Essor Hebdo, 18-19 mai 1996.
Grafigéo 1999-8
52
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
tions de pouvoir nouées autour de la terre
fondent un rapport réticulaire à l’espace.
Bien des réseaux sociaux locaux forgent
leur représentation des lieux autant dans
la distance et la discontinuité qu’en vertu
de proximités et de continués géographiques.
Et jusque dans les villes, les « cartes
mentales » des prérogatives et usages fonciers ont inspiré les tractations de la refonte communale. En Commune V de Bamako, qui compte de nombreux ruraux
d’origine, les participants aux concertations régionales d’août 1994 se sont prononcés « en faveur de la décentralisation,
mais à condition qu’elle soit progressive et
qu’elle tienne compte des droits coutumiers par rapport au code domanial ».
Mêmes échos lors de la tournée présidentielle d’avril 1996 « à l’écoute du Mopti
profond » : à Diondiori (cinquième
région), les principaux problèmes évoqués
sont les conflits fonciers, l’enclavement, la
faiblesse du taux de scolarisation et la persistance du choléra. A Ténenkou, où un
découpage de la circonscription en dix
communes n’a pu être que crayonné, le
commandant de cercle souligne la nécessité d’élaborer des textes plus adaptés aux
réalités actuelles de la gestion foncière.
Consciente du problème, la Mission de
décentralisation s’en remet finalement à la
« refonte du code domanial » qui relève
d’autres compétences ministérielles :
incantation bien récurrente, en ville
comme en campagne, depuis près de deux
décennies. Mais le casse-tête est lourd
d’implications depuis la colonisation, et
aucun juriste ni homme politique malien
n’apparaît réellement prêt à s’y confronter
de font en comble (Bertrand, 1990). La
définition de bases territoriales claires pour
les communes est donc remise à plus tard.
Ou bien ce défaut cartographique hypothèque en profondeur le fonctionnement à
venir des communes ; ou bien il est le gage
de la souplesse nécessaire aux communautés rurales. La perspective de futurs compromis pourrait alors inciter les nouvelles
collectivités, en quête d’une meilleure assise économique, à quelques fusions.
Grafigéo 1999-8
Par delà ces incertitudes graphiques et
juridiques, le critère de la polarisation de
l’espace a souligné les particularités des
milieux ruraux et urbains, ainsi que l’opposition des régions septentrionales et
méridionales.
« Nous constatons en définitive que nous
aurons affaire à quatre types d’établissements
humains :
- le cas unique de Bamako qui est une agglomération urbaine avec six communes urbaines
- les anciennes communes types comme
Sikasso, Ségou, Mopti, etc.,
- des villes chefs-lieux de communes rurales,
c’est-à-dire des villes qui n’ont pas accepté
d’être communes urbaines mais qui ont
demandé à rester avec des villages environnants, lesquels sont en moyenne situés entre 10
et 20 km du chef-lieu de la commune rurale
(cas de Fana)
- et les communes rurales entières qui sont
composées de villages ou de fractions.
L’aménagement du territoire devra donc être
abordé différemment avec notamment un
débat d’approche de développement. » (« La
foi contagieuse d’Ousmane Sy », op. cit.)
La deuxième phase du quinquennat
va dans le même sens en approfondissant
les enjeux spécifiques des villes en matière de décentralisation.
LE
BINÔME « VILLES ET DÉCENTRALISATION » RENFORCÉ EN 1996
Dimension sociale de l’ajustement
et lutte contre la pauvreté :
enjeux d’une gestion urbaine
décentralisée
Au moment où se concrétise l’innovation des communes rurales, la fin du
quinquennat oriente également la décentralisation dans le sens d’une gestion
urbaine plus performante. Deux éléments
renforcent ces connections déjà bien établies dans les discours internationaux au
début de la décennie : d’une part la préparation et le déroulement du second
Sommet mondial des villes ; d’autre part
l’achèvement du deuxième Projet urbain
du Mali et les perspectives ouvertes par la
Banque mondiale en faveur d’un troisiè53
Décentralisation malienne
me Projet urbain.
Soutenir l’économie urbaine
On sait en effet que l’évolution des programmes d’ajustement structurel au
début des années quatre-vingt-dix est
concomitante d’un certain revirement de
la Banque mondiale à l’égard du monde
urbain dans les pays en développement.
L’analyse de l’urban bias, qui a longtemps
conduit les bailleurs de fonds internationaux à négliger les « villes-parasites »,
laisse place à une prise en compte des
agglomérations comme riches de leurs
migrants, de leurs savoir-faire et capitaux,
entretenant de bénéfiques relations de
croissance avec les campagnes.
« Malgré la dégradation des conditions de vie,
de plus en plus de gens vivent dans les villes.
Pendant longtemps on a cru que, pour freiner
l’exode rural, il fallait limiter les investissements dans les villes. Cependant la croissance
démographique urbaine de l’Afrique subsaharienne (5,5 % par an au cours des dernières décennies), la plus élevée du monde, a
tendance à montrer le contraire. » (DuranyJacob, 1995, p. 107)
Le Programme de gestion urbaine
vise ainsi à concrétiser les initiatives de
divers organismes internationaux travaillant en relation avec la Commission
des Nations Unies pour les Établissements
Humains (Habitat). Il s’agit de renforcer
la contribution que la ville peut apporter
au développement économique et social.
Après sa création en 1985, à l’appui de la
Banque mondiale et du PNUD, le premier
PGU se déroule de 1986 et 1990 autour
du thème du renforcement des ressources
urbaines (gestion des terrains, gestion des
finances municipales, équipement urbain). La deuxième phase du PGU ajoute
à ces composantes celles de l’environnement urbain et de l’atténuation de la pauvreté urbaine, en relation avec les conférences internationales organisées sur les
mêmes thèmes par les Nations Unies. Les
bailleurs de fonds annoncent enfin la
phase III du PGU pour la période 19971999 : le programme s’attache désormais
Grafigéo 1999-8
au renforcement des institutions régionales de promotion d’un réel entrepreneuriat municipal.
Dans le contexte africain, le Programme de Développement municipal relaye
fortement ce renversement d’analyse en
particulier à propos des plus grandes des
agglomérations urbaines. A la faveur de
la décentralisation, les villes devraient
revendiquer plus d’autonomie, notamment financière, et affirmer leur rôle de
moteur économique dans la compétition
internationale. Au poids du secteur
urbain dans la mondialisation font donc
écho les questions de budget local. Si
d’un pays africain à l’autre, d’un héritage
colonial à l’autre, l’origine et le contenu
institutionnel des pouvoirs locaux diffèrent beaucoup, la mise en perspective des
villes sur plusieurs aires culturelles et
zones d’intégration économique s’impose
tout de même de manière croissante.
« Au niveau de la zone UEMOA, 22 % de la
population est administrée au niveau local par
un exécutif élu : les capitales représentent
45 % de cette populations et les villes de plus
de cent mille habitants 60 %. Les recettes de
fonctionnement des capitales représentent plus
de 72 % des recettes de fonctionnement de
l’ensemble des collectivités locales de premier
niveau ; leur capacité d’investissement 57 %
de la capacité d’investissement totale et leurs
recettes de fiscalité locale 92 % de celles de
l’ensemble des collectivités étudiées. Ce constat
montre que si les politiques de décentralisation
doivent garder une approche homogène, une
attention toute particulière doit être portée à la
gestion financière et comptable des grandes
agglomérations. » (Schmitt, 1997, p. 4)
La gestion urbaine fait donc dérouler,
coopération par coopération, le même
arsenal de la « participation populaire »,
de la « responsabilisation de la société
civile » que celui qui a marqué quelques
années plus tôt les villes d’Amérique latine et le développement « auto-centré » des
campagne africaines. La culture, la solidarité et la mobilisation territoriales sont
censées ressortir d’un nouvel habillage
institutionnel, celui de la contractualisation et du partenariat.
54
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
« C’est pourquoi l’appui aux collectivités économiques urbaines et à la décentralisation de
la gestion des villes devrait incontestablement
constituer les deux axes stratégiques majeurs
de la coopération urbaine de la France.
Sectoriellement, l’attention devrait porter sur
quatre priorités :
- l’articulation entre la politique urbaine et
l’aménagement économique du territoire pour
faciliter l’intégration interne des économies
nationales et leur ouverture sur les échanges
extérieurs ;
- l’organisation de partenariats entre les autorités communales, les organisations de la société civile et les entreprises pour définir et mettre
en œuvre les projets locaux d’équipements, de
gestion des services et d’animation urbaine ;
- le renforcement des capacités à programmer
l’organisation de l’espace urbain et à gérer
l’occupation du sol en partenariat avec les initiatives privées ;
- l’augmentation des ressources locales adossées sur la mobilisation de financements extérieurs.
Mais pour répondre à l’ampleur du mouvement d’urbanisation du Sud, la coopération de
la France devrait aussi passer d’une logique
d’offre à une logique de réponse à la demande.
Ainsi, au-delà de ses appuis techniques sectoriels classiques, publics, privés et multiformes,
conviendrait-il que son assistance s’attache, en
amont de l’intervention sectorielle, à promouvoir une culture urbaine qui permettrait à ses
partenaires de faire le lien entre la gestion
technique, l’animation sociale et culturelle de
la ville, la promotion des activités économiques
urbaines et le développement national. »
(Prévot, 1997, p. 2)
Enfin les urbanistes maliens répercutent en bout de chaîne l’équation du
développement urbain durable et de la
décentralisation. Dans cet avenir jalonné
de slogans internationaux et de fléchages
budgétaires, les différentes administrations impliquées dans la gestion urbaine
définissent un document-cadre pour le
développement des communes déjà existantes et de celles qui naîtront avec la
décentralisation.
« Trois thèmes relatifs à l’organisation institutionnelle, aux ressources et outils financiers
locaux, et aux opérateurs locaux ont servi de
socle aux discussions et aux propositions faites
à partir des différents exposés de situations, de
projections sur l’avenir, des expériences
actuelles et des orientations tentées dans
d’autres pays d’Afrique et en France. Les propositions émises concernent entre autres l’utilisation des études d’état de lieux pour organiser un transfert cohérent de compétences de
l’État aux collectivités et un appui aux municipalités pour gérer efficacement les nouvelles
compétences. »9
L’effet Habitat II
Le second Sommet mondial des villes
(Istanbul, juin 1996) permet également
de fixer chez les urbanistes maliens bon
nombre de termes de référence de la gestion décentralisée.
En 1996, trois « journées ministérielles de
Bamako » (mai 1996) ont également confronté les plans d’action nationaux que les des pays
africains francophones présenteront en vue de
la Conférence des Nations Unies. D’après le
chargé d’affaires de l’ambassade de France,
qui a pris en charge financièrement la rencontre, « au lieu d’être un aboutissement, le
sommet mondial doit constituer une étape
dans la démarche volontaire du développement
urbain, en pensant notamment le rôle fondamental des collectivités locales dans la gestion
et l’organisation des villes sans pour autant
exclure l’État dans ses responsabilités de
contrôle, de coordination et d’orientation. »
Ouvrant les travaux, le Premier ministre
malien confirme : « Nos populations font en
effet montre d’une ferme volonté d’être impliquées et effectivement responsabilisées dans la
gestion des affaires les engageant ou les concernant. La tendance à plus d’implication et plus
de responsabilisation se renforce avec l’amorce
de décentralisation dans les pays africains. »
Le paquet financier de la coopé ration multilatérale à l’intention
des villes
L’orientation privilégiée de la décentralisation en direction des villes ressort
surtout, à partir de 1995, du montage
budgétaire du troisième Projet Urbain du
Mali (PUM) qui concrétise les discours de
9. Atelier « Décentralisation et développement urbain », ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat,
janvier 1996.
Grafigéo 1999-8
55
Décentralisation malienne
la coopération internationale.
Rappelons l’enjeu financier de ces projets : le premier avait apporté au budget
de la capitale plus de 5 milliards de francs
maliens en 197810 ; le second s’évaluait en
1985, pour 5 ans, à près de 13 milliards
de francs CFA11. A son achèvement, en
1993, se pose la question de la reconduction, en l’état ou remaniée, d’un troisième
Projet urbain. Mais la Banque mondiale
déplore le coût de fonctionnement du
bureau du PUM et de son personnel permanent qu’elle juge bureaucratiques.
Alléger la structure
L’impulsion est désormais donnée sur
le terrain par deux agences d’exécution
qui garantissent un appui institutionnel
léger. Le futur projet sera supervisé par
un groupe interministériel de coordination qui doit veiller à ce que les concurrences ministérielles du précédent régime
(Transports et Travaux publics, Intérieur
et Collectivités territoriales) ne se reproduisent pas autour du contrôle financier
et technique12. Si l’AGETIPE13 et l’Agence
de cession immobilière sont déjà en place
depuis 1992, et jugées efficaces, il est
prévu d’ajouter à ce noyau dur de la gestion urbaine une « structure d’appui aux
collectivités locales ». L’impératif de la
récupération des coûts est en effet
maintes fois répété dans le deuxième PUM
et au cours des séminaires qui l’ont
accompagné (DPU, 1984) : accroître la
rente fiscale, rationaliser la gestion du
patrimoine foncier, tels sont bien le credo
du projet qui se concrétise difficilement
dans la donne institutionnelle du Mali
(Bertrand, 1990). On comprend pourquoi le troisième PUM en préparation met
plus que jamais en exergue le thème des
investissements générateurs de ressources.
Au cours des négociations du dossier, le
document préparatoire du troisième PUM
annonce en 1996 un coût de base de près
de 67 milliards de francs CFA, et des coûts
globaux hors taxe de plus de 86 milliards
selon que le projet s’étale sur 4 ou 5 ans
(République du Mali, Banque mondiale,
1996). Le rapport définitif du Groupe
Huit est achevé au cours de l’année 1997,
et partage le budget global du troisième
Projet, intitulé « Décentralisation et infrastructures », en prêts et subventions.
L’inflation des montants accordés par la
coopération urbaine est donc spectaculaire
bien que biaisée par la dévaluation du
franc CFA de 1994. Les conditions de crédits restent conformes à ceux des précédents PUM : intérêts annuels de 0,75 %,
remboursement échelonné sur 25 à 50 ans
avec une période de grâce de 10 ans. Rien
à voir avec les conditions des banques
nationales (intérêts annuels dépassant souvent les 17 %, banques de dépôts disposant de liquidités importantes mais n’accordant guère de crédits de moyen et long
termes).
Plusieurs innovations notables
Outre l’allégement de la gestion du
Projet et son resserrement autour
10. Avant le retour au franc CFA en 1984, 200 francs maliens valaient, depuis 1962, 100 francs CFA.
11. Élaboré par le Groupe Huit de concert avec deux autres bureaux d’études, le deuxième PUM
fonde son financement sur une participation de 5 % du Mali et sur des crédits internationaux
répartis entre la Banque mondiale pour l’essentiel et le FAC français.
12. « Le troisième Projet urbain, en cours de préparation, aura pour vocation d’apporter un appui à
la mise en oeuvre de la décentralisation. Il couvrira Bamako et les huit capitales régionales. Il est
piloté par un comité de coordination chargé d’assurer la supervision et la coordination de l’exécution de l’ensemble des sous-projets et de mettre en cohérence l’action des collectivités bénéficiaires du Projet. Présidé par le ministre chargé de l’Urbanisme et composé de départements et
services concernés par l’objet du projet, le comité de coordination est doté d’une cellule légère qui
constitue son organe d’exécution. » (conseil des ministres, 3 avril 1996)
13. Agence d’exécution des travaux d’intérêt public pour l’emploi : à l’instar de ses homologues
ouest-africaines, elle garantit des conditions de décaissement financier rapide.
Grafigéo 1999-8
56
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
d’agences impulsées clef en main par la
Banque mondiale, le dossier évolue par
rapport aux deux précédents.
Les co-financements nécessaires à la
réalisation du projet apparaissent d’abord
nettement diversifiés. Le montage des
derniers Projets urbains africains de la
Banque mondiale rallie en effet plus de
coopérations bilatérales que les précédentes opérations. Le contexte des années
1990 explique qu’aux côtés de l’État et
des municipalités maliennes, mis à contribution dans des proportions symboliques,
relayant les crédits de l’IDA (Banque mondiale14), apparaissent les financements de
la CFD et du FAC français, de l’ACDI canadienne, et de nouvelles coopérations européennes (FED, KFW et GTZ)15.
Au montage global du budget s’incorporent
par exemple des conventions bilatérales de
subvention comme celle de 5,8 milliards de
francs CFA que la Caisse française de développement met à la disposition du Mali au milieu
de 1997 dans le cadre du troisième Projet
urbain. La contribution est consacrée à des
interventions directes de réhabilitation et de
création d’infrastructures urbaines génératrices de revenus dans toutes les capitales
régionales. L’ensemble vise « non seulement
une amélioration du cadre de vie des communes maliennes, mais aussi l’implication de
ces dernières dans la gestion urbaine dans le
contexte de la décentralisation ».
Dans le même temps, le Fonds d’aide et de
coopération formule son nouveau projet
« décentralisation et développement urbain au
Mali ». Étalé sur quatre ans, il fixe comme
objectif la maîtrise du développement local
urbain à travers le renforcement des capacités
administratives, financières et techniques du
district et des six communes de Bamako, ainsi
que de quatre capitales régionales (Kayes,
Ségou, Sikasso et Mopti). L’appui du FAC
porte plus précisément sur l’amélioration de la
gestion des finances locales et sur la réorgani-
sation des services techniques communaux.
Sont prévus des actions de formation des élus
et des personnels communaux, un soutien aux
initiatives de quartier et l’équipement des
administrations de tutelle. Ce projet doit
« s’articuler avec les interventions d’autres
bailleurs de fonds, notamment la Banque
mondiale qui soutient le troisième Projet
urbain du Mali et la Caisse française de développement. Il impliquera fortement la coopération décentralisée. »16
Mais c’est surtout l’intérêt porté aux
villes secondaires qui donne ses arguments à la vocation décentralisatrice du
troisième PUM. Par l’analyse de « l’organisation de l’espace et du réseau de villes
au Mali », qui figure dans la présentation
du contexte national, par l’annonce de
« contrats de villes » qui apparaît dans les
recommandations institutionnelles, le
rapport définitif du Groupe Huit concrétise le renversement de perspective de la
fin de la décennie.
Les deux précédents PUM n’avaient
accordé qu’une maigre attention à l’urbanisation des régions. Le projet de 1978
prévoyait quelques aménagements ponctuels dans les capitales régionales de
Kayes, Gao et Mopti, (adduction d’eau et
assainissement), mais pour moins de 4 %
du coût total des 22 projets techniques
retenus dans le pays. Bamako capturait
donc la quasi-totalité du montage financier. Les opérations menées dans les
autres chefs-lieux se révélèrent d’ailleurs
peu concluantes : le projet de Gao fut
abandonné, celui de Kayes ne concerna
qu’un seul quartier alors qu’il aurait fallu
reprendre la totalité du réseau urbain, les
emprunts de Mopti furent difficilement
remboursés. Le second PUM tira donc les
leçons de ces expériences laborieuses en
ne dégageant plus aucun financement
opérationnel pour les villes secondaires.
14. D’un montant de 40 milliards de francs CFA, l’accord de crédit Mali-IDA est adopté en janvier
1997 par l’Assemblée nationale sans amendement et à la majorité des 66 députés présents.
15. Pour une enveloppe financière de 36 540 milliards de francs CFA, « la coopération néerlandaise
s’engage pour les années 1997-1998 dans les secteurs prioritaires de la réforme économique, le
développement rural, l’environnement, la santé, la promotion des femmes, les infrastructures,
l’appui au processus de décentralisation et les micro-réalisations » (conseil des ministres,
1er octobre 1997).
16. « Nouvelles de la coopération », Villes en développement, Paris, ISTED, 1997, n° 97, p. 8.
Grafigéo 1999-8
57
Décentralisation malienne
Celles-ci ne trouvèrent de place que dans
le volet « études et formation » de 1986.
Mais alors que le consultant local de la
Banque mondiale comptait orienter le
choix d’une « étude de préfactibilité »
vers quelques centres méridionaux du
Mali, la direction malienne du PUM se
décida au contraire en faveur de localités
sahéliennes pour des raisons politiques de
« soutien au Nord ». Les idées pilotes censées ressortir des prospectives (renforcement des réseaux locaux, articulation des
petites villes à leurs campagnes) ressortaient appauvries de ce changement de
contexte. Les experts avaient surtout retiré aux villes « de l’intérieur » toute opportunité de drainer de l’extérieur des crédits
lourds. Un déficit que les quelques jumelages-coopérations ne purent combler
durant les années quatre-vingt.
Prenant acte du travail de la Mission de
décentralisation, le troisième PUM affiche
au contraire d’emblée « l’enjeu
territorial » de la question urbaine. A cet
égard, il prévoit d’intervenir dans les huit
capitales régionales, selon leur taille et
leurs priorités, ainsi qu’un programme
« sites et cités historiques » (promotion
touristique) en direction des localités de
Tombouctou, Djenné et du pays dogon.
Cette dernière composante du projet
reçoit d’ailleurs 9 % des coûts de base
évalués dans le rapport final de 1996.
Certes Bamako continuera de recevoir le
plus gros des financements eu égard à son
poids dans l’urbanisation malienne. Mais
l’adressage urbain concerne désormais les
quatre principales villes du pays ; la cartographie détaillée et l’élaboration des
plans d’urbanisme de référence couvrent
en principe toutes les communes urbaines.
Chacune des trois premières composantes
du projet17 envisage ainsi divers sous-projets en direction des capitales régionales.
Leur prise en compte conduit à « responsabiliser les élus » à tous les niveaux.
Moti-Sévaré partage avec Bamako,
par exemple, le volet « eau potable » des
infrastructures de base, et décroche dans
la même composante une ligne budgétaire pour la réalisation de son plan directeur d’assainissement. Mais c’est surtout
la construction et la réhabilitation des
marchés et des gares routières qui
concentrent les actions en faveur des
capitales régionales. Ce type d’opération
confirme la spécialisation des financements de la Caisse française de développement autour d’opportunités locales :
d’une part la promotion des projets de
quartier au sein de l’agglomération
bamakoise, d’autre part le soutien apporté aux villes secondaires dans leurs terroirs.
Cette réorientation budgétaire validet-elle pour autant l’existence d’un
« réseau de villes au Mali » ? L’armature
urbaine s’avère en effet mince autour de
69 agglomérations de plus de 5 000 habitants : outre la « métropole » centrale
(Bamako-Kati-Koulikoro), le pays ne
compte que six « grandes villes » de 50 à
90 000 habitants et neuf « villes intermédiaires » de 17 à 35 000 habitants. Les
villes de 10 à 20 000 habitants ne
concentrent que 6,8 % de la population
citadine. L’esquisse de régionalisation
qu’improvise le Projet urbain s’appuie
sur les contextes économiques plus larges,
souvent peu prospères, plus que sur un
véritable réseau de relations entre les
villes elles-mêmes et entre les villes et
leurs régions. Le troisième PUM ajoute
alors à l’objectif de « maîtriser le développement de la capitale nationale » ceux
de l’urbanisation provinciale : « renforcer
la région centrale », « conforter le NordEst » en relançant l’activité commerciale
de Gao, « accompagner la croissance du
Sud » en s’appuyant sur le dynamisme
cotonnier et frontalier de Sikasso, « soutenir » le développement de l’Ouest » en
réservant enfin quelques subsides à
Kayes, l’éternelle mal lotie du développe-
17. Gestion urbaine et appui institutionnel : 6,4 % des coûts de base ; infrastructures urbaines :
62,2 % ; aménagements de terrains : 22,4 %.
Grafigéo 1999-8
58
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
ment régional.
La spécificité bamakoise au
regard des communes urbaines
« d e l ’ i n t é r i e u r » 18
La donne démographique et budgétaire
La spécificité de l’agglomération capitale n’est pas seulement juridique depuis
1979 (ordonnance 78-32 fixant le statut
particulier du district de Bamako). Le
poids humain de Bamako est bien
connu : avec aujourd’hui un million d’habitants, l’agglomération concentre environ 40 % des citadins maliens et ne bénéficie guère de contrepoids dans le pays.
L’écart avec la deuxième ville n’a cessé de
s’accroître jusqu’au dernier recensement
de 1987 qui donnait à Ségou huit fois
moins d’habitants qu’à Bamako. Sans
démentir le dynamisme démographique
de certaines villes secondaires, ce poids
hiérarchise fortement les prévisions budgétaires des communes maliennes les
mieux dotées, comme en témoigne l’approbation des recettes et dépenses de
1993 par le conseil des ministres19 :
Certes le poids budgétaire des villes
Tableau 1 - Budgets prévisionnels, 1993
Localités
Bamako
Koutiala
Ségou
Sikasso
Kati
Koulikoro
Budget total, francs CFA
2 027 345 000
231 537 000
203 769 000
169 290 000
86 736 215
82 604 000
secondaires apparaît peu en rapport avec
leur poids démographique. Les prévisions
de Koutiala (chef-lieu de cercle et capitale du coton dans le Sud-Est malien :
48 700 habitants en 1987) dépassent
celles de deux capitales régionales plus
peuplées (Ségou : 88 100 ; Sikasso :
73 900). Kati et Koulikoro (34 300 et
20 800 habitants en 1987) sont également moins peuplées que les capitales
régionales de Mopti (74 800), Kayes
(51 000), Gao (55 300), mais elles disposent de budgets prévisionnels supérieurs à
75 millions de francs CFA. C’est ce qui
rend nécessaire l’approbation ministérielle de leur budget, alors que les prévisions
inférieures à ce seuil ne sont adoptées que
par la seule instance communale.
Les ratios budgétaires par habitant
suivent encore moins la hiérarchie
urbaine. Par personne, les Bamakois disposent ainsi, en théorie, d’un peu plus de
2 000 francs CFA en 1993, alors que les
Koutialais plafonnent à environ 3 500
francs CFA la même année. Notre étude
des communes méridionales au cours des
années quatre-vingt montrait d’ailleurs
déjà que le ratio koutialais dépassait celui
de la capitale régionale de Sikasso tant
dans les prévisions que dans les comptes
exécutés20.
Cependant, l’écart entre le budget de
Bamako et celui de la plupart des autres
communes urbaines reste très marqué :
de 1 à 9 avec Koutiala. C’est là l’hypothèque majeure de la décentralisation
urbaine, tant les structures démographiques et économiques ont déséquilibré
le pays en faveur de Bamako. Cette
concentration financière n’est que peu
infléchie dans l’activité des agences
18. Aux 13 communes urbaines héritées de la deuxième république s’ajoutent depuis 1992 les cinq
communes de Banamba, Bandiagara, Dioila, Djenné et Niono. Mais le quinquennat ne leur a
donné aucune consistance (maire, budget) dans l’attente de la décentralisation généralisée.
19. L’année 1993 permet de comparer les budgets avant la dévaluation de janvier 1994. Pour une
analyse des capacités financières des communes, voir République du Mali, Banque mondiale,
1996, vol. I.
20. Les budgets prévisionnels de 1987 étaient de 192 172 000 francs CFA à Sikasso et de
165 291 045 francs CFA à Koutiala. Il est donc intéressant de noter que les prévisions de 1993
ont conduit Koutiala à doubler sa capitale régionale en volume global. En 1987, l’effort fiscal par
habitant était de 3 500 et 1 500 francs CFA (budgets prévisionnel et exécuté) à Koutiala, de
2 600 et de 1 500 francs CFA à Sikasso.
Grafigéo 1999-8
59
Décentralisation malienne
d’exécution du PUM à partir de 1992.
L’AGETIPE n’élargit qu’en 1994 ses interventions en direction de quelques villes de
province, et dans des proportions limitées
par le défaut d’entrepreneuriat local.
L’Agence de cession immobilière formule
également quelques projets en direction
du reste du pays, mais ceux-ci n’ont pas
encore débouché. Hors de Bamako,
Kayes est censée attirer les investissements immobiliers d’une clientèle fortement solvable, celle des Maliens émigrés
en France. Après deux ans de fonctionnement de l’Agence de cession immobilière,
une seule « mission de prospective » est
menée en France par un représentant de
l’agence. Puis un autre de ses agents, originaire de la première région, est délégué
auprès du gouvernorat de Kayes. Mais du
fait du projet immobilier concurrent de la
Société d’équipement du Mali21, la tentative semble couper court. Sans doute
l’agence est elle-même déçue par l’attraction que son offre bamakoise de parcelles
à bâtir exerce sur les Maliens émigrés à
l’étranger, et qui se révèle d’abord en
retrait de la participation escomptée
après la dévaluation de 1994.
D’autres relations sont plus récemment engagées avec la commune de
Ségou, à l’initiative de cette dernière. Ici,
l’agence freine la diversification de ses
opérations en constatant que les responsables de la deuxième agglomération du
pays ne sont pas capables d’évaluer sa
superficie et ses disponibilités domaniales. Cette absence de ressources communales pour mener à bien des études
préliminaires, élaborer des prospectives et
fonder un dossier d’aménagement, renvoie aux enjeux institutionnels de la
décentralisation.
Le poids de la capitale vaut cependant
aux six communes qui la composent
d’être placées sous la tutelle administrative forte du gouvernorat du district de
Bamako. C’est lui qui décide du budget
de l’agglomération et qui l’exécute. Le
statut particulier du district – qui a rang
de région dans l’organigramme malien
depuis 1978 – a donc privé les équipes
communales d’une marge de manoeuvre
que les autres communes urbaines ont
pris plus tôt, souvent par anticipation sur
le droit, au cours des années quatre-vingt.
Leurs maires ont notamment usé du
patrimoine domanial de leurs circonscriptions en s’improvisant agents lotisseurs dans des proportions plus importantes que leurs homologues de Bamako.
Dans la capitale, l’instance communale
fut souvent court-circuitée par le jeu politique du parti unique. En s’appuyant sur
les quartiers, les sections de l’UDPM ont
oeuvré directement auprès des représentants du Bureau exécutif central du parti
unique, plus que sous le couvert des élus
communaux. L’acceptation des quartiers
irréguliers donna de fréquentes occasions
à cette gestion politique des problèmes
locaux de se manifester22.
Dans les villes secondaires au contraire, les services techniques de l’urbanisme
ont été déconcentrés sans réels moyens, et
les gouverneurs se sont impliqués en priorité dans les affaires rurales. Cela a laissé
aux responsables communaux des coudées plus franches pour contourner, biaiser ou négliger les textes administratifs et
réglementaires de l’urbanisme. Ne pouvait que les inciter à cela une vie budgé-
21. Ancienne société d’État, devenue mixte sous la troisième république.
22. La révision de la limite entre les Communes III et IV de Bamako donne à deux reprises un bon
exemple de tels courts-circuits sous le régime UDPM. A la naissance du parti en 1981, le secrétaire général de la section de la Commune III est alors secrétaire administratif du BEC, alors que
la Commune IV ne bénéficie pas de représentation en haut lieu. La limite est alors modifiée au
détriment de la Commune IV puisque le cimetière de Hamdallaye est détaché de son quartier et
rattaché à la Commune III. D’autres prétentions s’affichent également autour du vaste terrain de
l’ancienne zone aéroportuaire de Bamako, seule réserve foncière que la commune centrale peut
convoiter. Mais au cours du dernier mandat UDPM, le secrétaire général de la section de la
Commune IV est devenu membre du BEC, ce qui lui donne l’occasion de revenir sur la frontière
fixée par écrit.
Grafigéo 1999-8
60
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
taire pauvre, certes, mais peu embarrassée des tutelles régionales (Bertrand,
1990).
Six communes sous la tutelle du district
Les attentes des communes de
Bamako en faveur d’une révision du statut particulier de l’agglomération sont
fortes depuis 1992. Durant le premier
quinquennat de la troisième république,
elle s’expriment surtout autour des questions budgétaires, foncières et électorales.
Au début de 1996, le projet de statut du
district de Bamako est finalement voté par
l’Assemblée nationale mais le texte apparaît en retrait des ambitions les plus décentralisatrices. Les responsables locaux
s’estiment alors conduits à une série d’anticipations sur les réformes.
L’aspiration des communes bamakoises à une plus grande autonomie est
en réalité ancienne. Sous la troisième
république, elle se fait sentir dès la prise
d’activité du conseil du district dont le
fonctionnement se trouvera de ce fait bloqué en quelques mois. A peine annoncée
la décentralisation entraîne en effet un
surcroît de doléances. Les collectivités
territoriales se comportent à l’image de
quelques
grandes
corporations
professionnelles maliennes dans les premières années du nouveau régime. Cela
conduit les promoteurs des réformes à
modérer les ardeurs et à calmer les appétits, à en appeler à toujours plus de circonspection.
La tempérance est particulièrement de mise
pour le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat
qui est aussi l’ancien gouverneur du district de
Bamako : « Avec le statut des communes qui
va changer dans le cadre de la décentralisation, elles auront à gérer leur foncier. Mais
encore faudrait-il qu’elles aient quelque chose
à gérer demain. L’appel que je leur lance, c’est
donc de préserver ce qui reste des réserves foncières. » (L’Essor, octobre 1996)
En réalité, la gestion politique du
district conduit à un véritable rapport
d’opposition qui se durcit du premier
gouverneur de la troisième république à
son successeur à partir de 1994 : les
maires cherchent à anticiper sur une promesse vague d’élargissement de leurs prérogatives domaniales et de leurs moyens
budgétaires ; le représentant de l’État se
crispe sur « l’état actuel des textes » ; la
tension est finalement interprétée comme
la mainmise du parti majoritaire (ADEMAPASJ) sur l’appareil d’État et sur la capitale au détriment de l’opposition politique.
La couleur politique des élus municipaux interfère en effet avec le débat sur la
décentralisation dès l’issue des scrutins
successifs de 1992. Alors que les élections
législatives ont donné la majorité à
l’ADEMA-PASJ dans le district de
Bamako23, alors que l’Adema-Pasj bénéficie également de la majorité dans les
communes urbaines « de l’intérieur », la
capitale ne compte qu’un maire ADEMAPASJ (Commune IV) à la tête des six
équipes municipales pluralistes. Les
autres maires sont donc prompts à faire
apparaître Bamako comme un bastion de
l’opposition au sein d’un paysage fortement dominé par le parti majoritaire. Or
les rapports des communes et du gouvernorat du district ne sont pas indifférents
à cette contradiction politique entre les
autorités nationales et cinq magistrats
municipaux de la capitale. S’il est vrai
que les élections présidentielles et législatives de 1997 semblent augurer d’une
recomposition politique de Bamako en
rapport avec la suprématie nationale de
l’ADEMA-PASJ, les tensions internes aux
communes ont déjà submergé le débat
institutionnel au sein du district de
Bamako.
Trois types d’accrochages sont successivement évoqués à l’occasion d’une
« interview exclusive » donnée au quotidien national L’Essor par le nouveau gouverneur du district en septembre 1994.
23. Celle-ci est renouvelée en juillet 1997 lorsque les députés ADEMA-PASJ concentrent 13 sièges à
Bamako et n’en laissent qu’un seul à un député allié du PARENA.
Grafigéo 1999-8
61
Décentralisation malienne
La nomination de militaires à tête des
régions ne manque pas d’être alors interprétée comme une preuve de l’absolutisme du parti au pouvoir.
Les relations ne sont pas toujours faciles entre
les maires élus et le gouverneur nommé par
l’autorité centrale. Les premiers se plaignent
notamment de ne pas avoir les moyens de leurs
ambitions et ils accusent l’ordonnance n°7979/CMLN déterminant les impôts et taxes de
les livrer pieds et poings liés aux bon vouloir
du gouverneur.
« L’ordonnance n°79-79/CMLN déterminant
les impôts et taxes du district fut adoptée pour
apporter des solutions précises à un besoin du
moment. On peut comprendre que les maires,
dans le contexte actuel qui est différent de celui
de 1979, s’en plaignent, mais pour le moment
c’est cette ordonnance qui est en vigueur.
Cependant le district fait des efforts pour
prendre en compte cette préoccupation des
maires avant la révision des textes. Par
exemple le district ne gère dans la ville de
Bamako que trois marchés (le Grand marché,
le marché de Médine et l’autogare de
Sogoninko) et a abandonné au niveau de ces
marchés une partie des taxes au profit de certaines communes. En outre, dans la mesure de
ses possibilités, le district alloue des subventions aux maires. (...) Force est de reconnaître
que la faiblesse de nos ressources par rapport à
nos ambitions et objectifs constitue un véritable handicap. Depuis 1987 par exemple, le
contribuable paie difficilement l’IAS.
L’incivisme généralisé qui s’est installé après
les événements de mars 1991 explique en
grande partie l’amenuisement des ressources. »
Les maires se plaignent aussi d’une trop grande ingérence du district dans les problèmes
fonciers. Les projets de réhabilitation des
quartiers périphériques ont allumé de véritables bombes à retardement et vous-même
avez été nommé au moment où l’imbroglio de
Sabalibougou (quartier méridional) se compliquait. Comment le district compte-t-il agir
pour désamorcer ces tensions ?
« Il est vrai que dans un passé récent les problèmes domaniaux, principalement l’attribution des parcelles, relevaient exclusivement du
domaine du gouvernorat du district. (...). Le
gouvernorat se désengagera progressivement
face à ce problème, mais il ne faut pas perdre
de vue qu’à l’heure actuelle il n’existe aucun
texte dans ce sens. Peut-être que la question
sera examinée dans l’avenir. Toutefois les pro-
blèmes sociaux qui accompagnent le foncier
retombent toujours sur le gouvernorat qui est
tenu en même temps que les maires de s’investir en vue de leur trouver des solutions. C’est
pourquoi nous devons toujours agir conformément aux aspirations de la grande majorité,
n’en déplaise aux pêcheurs en eau trouble.
Avec la décentralisation qui s’amorce, Bamako
risque d’avoir le même statut que d’autres
capitales, c’est-à-dire dirigée par un maire élu.
« L’État centralisateur que nous avons connu
jusqu’à présent semble avoir montré ses
limites. Il va donc de soi que nous ayons une
autre vision de la gestion de notre société : la
décentralisation. Mais à mon avis, cette décentralisation doit se faire de façon progressive et
non précipitée. En ce qui me concerne, je vous
dirai que je ne suis nullement préoccupé par
les prérogatives ou les pouvoirs que le gouverneur pourrait perdre dans cette perspective. »
Il n’en reste pas moins qu’en vertu
d’habitus politiques anciens, les conflits
au sein du conseil de district sont rapportés aux personnalités respectives des deux
gouverneurs de la troisième république,
plutôt qu’aux schémas institutionnels. En
1993, le conseil suspend ses activités
après quelques mois d’un fonctionnement jugé partisan par l’opposition. Mais
« le second gouverneur ne s’entend pas
mieux avec les maires, pour des raisons
nouvelles : plus qu’un autochtone, c’est
un militaire, et il fait cavalier seul. C’est
ainsi qu’il est venu avec son équipe à lui
et qu’il a remplacé tous les adjoints et le
secrétaire général du gouvernorat. Son
attitude à l’égard des maires se voit le
mieux quand il désavoue publiquement,
à la télévision ou dans la presse, l’action
de l’un ou de l’autre dans les conflits qui
les opposent avec des commerçants ou
avec les populations. Il n’y a pas de collaboration entre nous, et pourtant nous ne
sommes qu’élus, c’est l’administratif qui
a la haute main sur les services techniques déconcentrés et donc sur les cordons de la bourse. »24
La question du partage des recettes
entre le budget du district et ceux des
24. Entretien avec le maire de la Commune III, août 1996.
Grafigéo 1999-8
62
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
communes attise en effet le plus de tensions. Les maires jugent notamment dérisoire la dotation financière que le conseil
du district leur a finalement accordée en
1994.
« Depuis trois ans c’est la même somme de
5 millions de francs CFA quels que soient les
effectifs d’administrés. En 1996 nous avons
englouti ce fonds dans le recensement administratif. Les maires ont demandé des majorations, mais le district a refusé à cause d’un blocage par le gouverneur et par les opérateurs
économiques qui siègent au conseil. Or nous
les communes nous sommes à même de recouvrir les impôts mieux que ne le fait le district.
Le gouvernorat n’arrive même pas à des taux
de recouvrement de 50 % sur certaines taxes
pour lesquelles il n’a pas de compétences. Le
district nous répond que son budget est trop
faible et que les recettes sont pompées par le
remboursement de la dette du Projet urbain.
En réalité l’argent dort dans les caisses : plus
de deux milliards sont déjà déposés sur le
compte du district à la Banque de développement du Mali, au titre des versements domaniaux et des frais de viabilisation des parcelles
attribuées. Or cet argent ne travaille pas et le
district n’en retire aucun intérêt. »25
Le premier budget du district (1993)
accordait à chaque commune une subvention de quelques millions de
francs CFA que « les maires avaient arrachée ». Mais elle ne fut pas attribuée
durant l’année, de telle sorte que les communes continuèrent à ne fonctionner que
sur les taxes municipales et les taxes de
marché. Cette dotation financière était de
plus jugée insignifiante : la Commune III
devait par exemple débourser dans le
même temps deux millions de francs CFA
de salaires mensuels. Lors du vote du
budget suivant (1994), les maires protestèrent donc du fait que le district ne tenait
pas ses engagements financiers auprès des
communes. « Mais les autres conseillers
municipaux, qui siègent également au
conseil du district, ont saboté notre protestation » (allusion du maire aux élus du
parti majoritaire).
Les mêmes arguments se répètent
donc invariablement d’une année à
l’autre : d’après le premier adjoint du
gouverneur, en charge du budget, « l’argent ne rentre pas dans les caisses ce qui
compromet toute redistribution aux communes ». A cela répond le maire de la
Commune III. Centrale dans l’agglomération, sa circonscription ne dispose pas de
réserves foncières sur lesquelles fonder
des ressources domaniales ; elle abrite par
contre les principales zones commerciales
de la capitale dont les ressources fiscales
échappent en partie à la municipalité :
« Quand le district cède aux communes
des zones de taxation, celles-ci réussissent
à faire recettes. Pourquoi pas alors le district ? On ne pourra faire admettre indéfiniment l’argument de l’incivisme des
populations. C’est ainsi que la taxation du
Grand Marché de Bamako revient au
budget du district qui empiète chaque
année sur les rues voisines relevant de la
perception communale. D’après le gérant
du Grand marché, la rue qui passe devant
la Chambre de Commerce de Bamako ne
rapporte pas plus de 5 000 francs par
jour au district, alors que la commune est
capable de prélever 12 000 francs. »
C’est donc la mauvaise gestion du district qui est incriminée. « Par exemple, le
gouvernorat prévoit 30 millions de francs
pour les fournitures de bureau, alors que
l’on pourrait tout à fait économiser sur ce
poste budgétaire pour honorer la subvention financière des communes. L’inertie
prévaut dans les relations financières
entre district et communes, et le budget
est voté en moins d’une journée. »26 Le
débat sur la décentralisation conduit
alors les maires à lister une série de revendications auprès de leur ministère de
tutelle, l’Administration territoriale. Les
changements demandés portent sur :
1. l’attribution de véhicules de fonction aux
maires. Certains maires se rendent dans
les réunions du conseil de district dans la
seule voiture personnelle du maire de la
Commune III ou en mobylette, ce qui les
prive d’un minimum de crédibilité ;
25. Entretien avec le maire de la Commune III, août 1996.
26. Entretien avec le maire de la Commune III, avril 1994.
Grafigéo 1999-8
63
Décentralisation malienne
2. l’absence de régie d’avance au niveau
des communes, ce qui les rend tributaires de relations difficiles avec le
Trésor. On rejoint ici le reproche souvent
adressé aux institutions publiques de
l’Afrique francophone à propos du principe de l’unicité de caisse. Comment
dans ces conditions s’acquitter rapidement de dépenses contractées auprès
d’entreprises privées, à l’instar de
l’AGETIPE ?
3. l’absence de téléphone aux domiciles
des maires « qui tient à l’obstruction
que font certains conseillers municipaux
de ces propositions par les maires » ;
4. l’absence de logement de fonction pour
les maires. Et de citer le maire d’une
commune méridionale qui réside en
location partagée dans une cour collective. Or dans les cas de « révoltes des
populations » (troubles scolaires en
Commune IV, résistances au déguerpissement dans le quartier de Sabalibougou, par exemple), les domiciles des
maires sont les premiers désignés par la
vindicte populaire ; « leurs familles et
leurs biens ne bénéficient d’aucune
sécurité » ;
5. les coupures intempestives d’électricité
et de téléphone décidées par les gestionnaires Énergie du Mali et Société
des Télécommunications du Mali au
nom des arriérés de la gestion UDPM.
Mais l’urgence porte bien structurellement sur le soutien au budget d’investissement des communes. Par exemple, les prévisions ordinaires de la Commune III sont
de 62 millions de francs CFA en 1994 pour
environ 82 000 administrés (moins de 760
francs CFA par tête), et ce budget courant
sera réalisé à 82 %. Mais le budget extraordinaire de la même année est nul. Les
prévisions budgétaires de 1993 et de 1994
de la Commune V sont de même estimées
à environ 60 millions et ne comportent pas
non plus de section d’investissement. La
population étant plus nombreuse en périphérie méridionale de l’agglomération
(108 800 habitants au recensement administratif de 1991), le ratio par administré
n’y est que d’environ 550 francs CFA.
L’analyse des prévisions et des comptes
administratifs de la Commune IV (périphérie occidentale) montre une réalité sensiblement différente pour l’année 199227
(tableau 2). Ce premier budget communal
de la troisième république n’est pas rigoureusement équilibré en recettes et dépenses. Rapportées à une population de plus
de 140 000 personnes, les prévisions fondent un effort fiscal de moins de
500 francs CFA.
Les deux principaux postes de salaires
capturent donc plus de 26 % des dépenses
courantes. Mais du budget ordinaire au
budget d’investissement, les taux de
recouvrement et d’émission varient sensiblement. Les dépenses sont bien sûr mieux
honorées que les recettes, et les recettes
courantes ne sont recouvrées qu’à 60 %.
Mais contrairement aux autres communes, c’est ici la section II qui équilibre le
budget total. En contribuant à 48 % des
recettes exécutées, les recettes domaniales
(ventes de terrains) ont été recouvrées à
300 %, bien au-delà du budget extraordinaire escompté.
Si l’exemple caractérise la pratique
budgétaire de la Commune IV, en vertu
d’offensives foncières sur lesquelles il
conviendra de revenir, il montre aussi plus
généralement les limites structurelles des
finances communales et le flou de la gestion locale. Comme dans d’autres villes
secondaires du Mali, les transferts financiers se font de la section II à la section I,
alors que c’est normalement le surplus
courant qui doit alimenter une part du
budget d’investissement (Bertrand, 1990).
Or la manne financière des recettes foncières n’est guère reproductible d’une
année sur l’autre, et sa capacité à couvrir le
déficit des recettes ordinaires se montrera
politiquement incertaine.
Malgré un total équilibré, à défaut
d’être conforme à l’orthodoxie financière
27. En avril 1994, les comptes du budget exécuté de 1993 n’étaient pas encore disponibles. On se
reporte alors sur la comparaison prévisions / exécution du budget 1992.
Grafigéo 1999-8
64
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
Tableau 2 - Budget de la Commune IV, 1992
Principaux postes
budgétaires
Section I (budget courant)
Recettes
Taxes municipales
Taxes marchés et places
Location de magasins,
emplacements de stockage
Dépenses
Frais de personnel
Section II (investissement)
Recettes
Aliénation de biens domaniaux
Transferts de recettes
Dépenses
Prévisions
1994
56 169 000
Total budget
66 169 000
Prévisions
1992
Compte administratif 1992
Taux
d’exécution
54 546 974
10 000 000
17 000 000
32 675 290
3 024 000
15 013 200
60 %
30 %
88 %
12 000 000
5 286 500
44 %
54 146 974
14 141 000
49 396 317
12 970 178
91 %
92 %
10 564 974
10 000 000
564 974
10 964 974
65 111 948
64 621 768
30 000 000
30 000 000
10 317 321
62 675 290
59 713 638
284 %
300 %
0%
94,1
96 %
92 %
10 000 000
et à la réglementation domaniale, le gestionnaire de la Commune IV déplore
d’importantes lacunes financières. Ainsi
la taxe de développement local et régional28, que perçoit le receveur de la circonscription, échappe-t-elle aux municipalités
pour être gérée par le seul district. Aucune
clef de redistribution de ces recettes n’est
déterminée pour l’agglomération bamakoise. Les subventions hors budget, qui
figurent dans les comptes additifs des
communes, constituent également un
grand mystère pour les praticiens les plus
locaux : on compte deux versements de 1
et 1,25 millions de francs CFA en 1992,
deux versements de 1 et 1,25 millions en
1993, et aucun engagement financier du
district au milieu de l’année 1994. La
dotation est donc irrégulière sans que l’on
sache très bien si toutes les communes
sont ou non logées à la même enseigne.
Enfin les difficultés du recouvrement fiscal ne sont pas moindre pour la commune que pour l’ensemble du district : « Les
chefs de famille ne viennent s’acquitter de
la taxe municipale que lorsqu’ils réclament à la mairie des prestations administratives (actes de naissance, demande de
parcelles à usage d’habitation, etc.) qui
exigent que le paiement de la taxe soit
d’abord régularisé, et souvent sur plusieurs années. »
La situation ne diffère guère enfin en
Commune I. Aux contraintes financières
générales tentent de pallier quelques bricolages dans le budget d’investissement29.
Les prévisions de 1994 ne comportent
pas de section d’investissement et se résument à un budget de fonctionnement de
74 642 000 francs CFA (ratio de
475 francs pour une population évaluée à
plus de 157 000 personnes). Les comptes
administratifs de 1993 n’étant pas encore disponibles, on s’appuie de nouveau
sur les données de 1992. Alors que
recettes et dépenses étaient prévues pour
46 776 000 francs la première année du
mandat municipal, les recettes ont été
recouvrées à 86 % et les dépenses ont été
engagées à 77 %.
Non moins banales sont les contraintes
financières dans lesquelles la commune
situe ses difficultés : le budget ne bénéficie
d’aucune dotation de l’État, et ne reçoit
qu’une subvention négociée du district.
Celle-ci n’a d’ailleurs pas de fondement
28. La TDLR fut instaurée sous la seconde République pour contribuer au « développement à la
base » au même titre que les conseils et comités locaux de développement. Le manque de retombées concrètes de cet impôt territorial, qui s’est ajouté à l’impôt de capitation (aujourd’hui supprimé) et à l’impôt sur le revenu, a nourri l’un des principaux reproches adressés au régime
UDPM.
29. Entretien avec le secrétaire général de la Commune I, avril 1994.
Grafigéo 1999-8
65
Décentralisation malienne
institutionnel et n’est que « conduite
année par année selon les possibilités
financières du gouvernorat. Les communes n’ont pas vu d’améliorations
financières sous la troisième république et
se sont toujours débrouillées seules. Le
problème a été évoqué par les maires en
conseil de district et cela a suscité de multiples réticences : les textes législatifs
n’ayant pas encore été modifiés, le gouvernorat se dit lié par les statuts juridiques
et financiers du district. Des textes sont
pourtant à l’étude pour apporter aux
communes une dotation générale de fonctionnement sur le modèle français. Mais
on est loin d’être fixé sur les modalités
d’affectation de cette DGF, sur son taux, et
si elle nous parviendra depuis l’État ou
depuis les gouvernorats des régions. »
Le fonctionnement de la taxe de développement local et régional (TDLR) est de
plus défaillant alors qu’il devrait contribuer au budget d’investissement. « Dans
les régions, la taxe est recouvrée par les
communes et les cercles avec une clef de
répartition financière entre la base, le
niveau des cercles et communes, celui des
régions30. Dans le cas du district de
Bamako, depuis 1979, les communes ne
bénéficient pas d’une telle grille alors que
c’est le régisseur des recettes de la commune qui la perçoit et qui la transmet au gouvernorat. Mais au lieu de profiter au
niveau régional (associations des parents
d’élèves, salaires payés par la Direction
régionale de la Coopération pour le fonctionnement des comités d’action coopérative), la taxe pourrait profiter aux mêmes
associations qui sont représentées au
niveau communal. »
Enfin, les communes ne maîtrisent pas
les conditions d’accès aux prêts bancaires
ni les modalités selon lesquelles elles
devront honorer leurs engagements. On
comprend pourquoi le budget de 1992 de
la Commune I reste ici comme ailleurs un
budget de fonctionnement. Les salaires
concentrent 41 % des prévisions et 45 %
des dépenses engagées ; seuls les revenus
des marchés dépassent les prévisions et
assurent jusqu’à 37 % des recettes effectives. Mais « à Bamako, les recettes des
patentes et licences et des vignettes sont
pompées par le budget du gouvernorat de
Bamako, alors que les communes de l’intérieur en bénéficient pleinement ».
Du fait d’une telle insuffisance, le
conseil municipal envisage donc d’ajouter
aux budget de 1994 une taxe sur l’aliénation des biens du domaine. L’imputation
n’apparaissait pas en 1992 car aucun
lotissement à usage d’habitation n’était
programmé. Les prévisions de 1994 affichent au contraire 11 millions de recettes
extraordinaires qui contribuent à la hausse générale du budget.
Il s’agit en effet de faire profiter le budget local des opérations domaniales.
« Cette disposition particulière n’est pas
prise à l’insu des autorités du district ;
mais si les terrains que l’on est en train de
mobiliser pour reloger les déguerpis des
quartiers irréguliers de Bamako sont
affectés aux communes, ils doivent être
normalement pourvoyeurs de ressources.
La preuve en est que la nomenclature
Tableau 3 - Budget de la Commune I, 1992
Principaux postes budgétaires, 1992
Dépenses de personnel
Dépenses de matériel
Recettes taxes municipales
Taxes fiscales non fonctionnelles
Taxes sur prestations administratives
Taxes sur services économiques*
Prévisions
Réalisations Taux de réalisation
+ 19 000 000
16 315 303
86 %
Même ordre de grandeur
17 900 000
10 591 500
59 %
22 800 000
11 880 000
52 %
6 000 000
5 500 000
92 %
11 250 000
14 737 000
131 %
* marchés et foires
30. Vue des régions, la réalité est plus confuse contrairement à ce qu’en dit le secrétaire général de
la Commune I.
Grafigéo 1999-8
66
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
budgétaire des communes prévoit une
imputation pour cela dans le budget d’investissement. Le montant que l’on prélèvera dépendra des terrains. Pour l’instant,
le conseil municipal n’a attribué de parcelles que pour le quartier de
Djoumanzana. On prévoit ici de demander 50 000 francs aux déguerpis de l’ancien tissu irrégulier, pour le compte de la
commune. Quant aux frais d’aménagement des nouveaux terrains, ils reviendront au district ou aux organisations de
population si ce sont elles qui prennent en
charge les travaux. Mais si les populations
le peuvent, elles s’organiseront pour réduire les coûts. Des cas se sont déjà produits
dans ce sens, mais de telles initiatives doivent s’inscrire dans les normes de la réhabilitation et de la légalité. » De la mobilisation des dépenses et des recettes
extraordinaires dépend donc en grande
partie la crédibilité de l’institution communale à l’égard de sa tutelle régionale et
de sa base sociale. Comme on le verra
dans la dernière partie du rapport, la gestion foncière de l’agglomération constitue
l’enjeu central de cette redistribution des
ressources urbaines.
Du front des communes à l’émiettement
des positions politiques : le risque
d’une perte de cohérence
Le statut particulier adopté en janvier
1996 pour Bamako est en retrait des
attentes budgétaires et domaniales des
maires. Malgré le dépôt d’une quinzaine
d’amendements dont un seul est refusé, le
projet que défend le ministre de l’Administration territoriale est accepté par
93 voix, sans refus ni abstention. Il s’agit
de résoudre les problèmes institutionnels
du district en lui conférant un « statut par
dérogation à la loi qui régit le code des
collectivités territoriales au Mali » (loi
95/034 du 12 avril 1995). Le poste de
gouverneur du district disparaît ainsi que
son rôle de président du conseil du district. Selon l’article 3 du nouveau texte
« le district sera administré par un conseil
de district qui élit en son sein un organe
exécutif composé d’un président et de
deux vice-présidents ». Ce sont donc les
conseillers municipaux – chaque commune occupant une place au prorata de sa
population – qui formeront un collège
devant élire en son sein les trois membres
du conseil exécutif.
Les six communes de Bamako sont
finalement mieux représentées dans la
collectivité décentralisée, mais elles ne
disposent toujours pas, à l’instar des
autres communes urbaines, de domaine
foncier propre ni du droit de lever impôts
et taxes. Elles ne peuvent notamment pas
procéder à des affectations ou à des
retraits de terrains à bâtir. « Des textes
d’accompagnement sont en cours d’élaboration afin de combler les lacunes »
assure le ministre qui soulève ainsi plus de
problèmes qu’il n’en résout.
Le défaut de solidarité politique entre
les communes et à l’intérieur des équipes
municipales explique pour beaucoup que
leurs revendications budgétaires et domaniales n’aient pas abouti. Certes le statut du nouveau maire de Bamako répond
mieux que celui du gouverneur de district
aux pressions municipales. Le texte finalement voté augure d’ailleurs de prochaines rivalités électorales et personnelles31.
Mais d’importants points d’achoppement
ne sont pas levés, et l’Association des
maires du Mali a estimé ne pas être suffi-
31. Les maires se sont opposés à l’hypothèse de non éligibilité des maires de communes à la tête de
Bamako. La loi de 1996 rend finalement possible leur candidature à condition que le nouvel élu
démissionne ensuite de ses fonctions locales. Mais le nouveau statut de Bamako introduit une
hypothèque sérieuse sur les pouvoirs des « maires de second rang ». Assisté d’un commissaire au
gouvernement, un fonctionnaire nommé pour représenter l’État, le maire en chef de l’agglomération ne sera-t-il pas tenté de transformer les élus communaux en simples exécutants de sa politique ? Celle-ci ne risquera-t-elle pas de se trouver dénuée de contrepoids ? De nouvelles concurrences pourraient également pointer entre l’instance élue et la tutelle administrative du
commissaire au gouvernement. L’utilisation des services déconcentrés de l’État conduit notamment à envisager de possibles conflits de compétences.
Grafigéo 1999-8
67
Décentralisation malienne
samment consultée dans le travail de
décentralisation32.
Bamako se fragmente en réalité
depuis le régime précédent à tous les
niveaux des quartiers et des communes.
Le pluralisme politique de la troisième
république n’a ni gommé le passif de
concurrences internes aux municipalités,
ni effacé les divisions propres à toute
grande agglomération. Plus encore que
d’autres collectivités, Bamako conduit à
formuler de multiples réserves sur la personnalité géographique, plus encore la
« culture territoriale », qu’engendrerait
sans contradiction le rapport des électeurs à un espace de résidence, à supposer qu’il soit sédentaire et unique.
1. Les structures démographiques de
Bamako font apparaître un dynamisme inégal : le centre d’origine colonial
est particulièrement dense, saturé,
chargé en ménages de vieux propriétaires et de jeunes locataires. Mais sa
population commence à stagner et se
redistribue vers les périphéries de l’agglomération. Celles-ci croissent encore
vite, souvent sans équipements, sous
l’impact de mouvements centrifuges
depuis le centre de l’agglomération et
de flux centripètes depuis l’intérieur du
pays.
2. Les réserves foncières de l’agglomération apparaissent donc inégalement
disponibles d’une commune à l’autre.
L’urbanisation de la rive septentrionale butte sur l’imposante corniche qui
marque la retombée du plateau mandingue sur la vallée du Niger. Celle-ci
n’offre d’ouverture qu’en amont et en
aval de l’agglomération (Communes I
et IV), souvent au sortir des limites
administratives du district. Le centre
(commune III) se plaint quant à lui de
l’absence de réserves foncières et donc
du manque de perspectives financières
corrélatives.
L’urbanisation méridionale est au
contraire plus récente. Elle croît fortement depuis les années soixante-dix du
fait d’une topographie peu contraignante
(Communes V et VI). Mais des extensions
irrégulières très amples (Sabalibougou,
Niamakoro) y témoignent de concurrences tendues dans les années 1980. Le
domaine aéroportuaire de Sénou, le
détournement de domaines agricoles au
profit d’une élite citadine (Magnambougou) et l’implantation de lotissements
haut de gamme (Faladiè, Baco Djikoroni,
Kalaban Coura Sud) contribuent à faire
barrage au front des citadins « indésirables ». La question foncière débouche
donc sur celle des initiatives politiques et
des marges de manoeuvre, plus ou moins
durables, que se donnent les maires et
leurs clientèles sous la troisième république.
3. Enfin, la vie politique elle-même
apparaît inégalement tendue d’une
commune à l’autre. Les collectivités
locales sont diversement soutenues par
leur tutelle administrative, et diversement stimulées par le renouveau de la
compétition électorale dans la donne
pluraliste. Les enjeux de la décentralisation sont donc différemment perçus
dans l’agglomération. De l’avis du
maire de la Commune V, c’est bien la
« politisation des relations entre les
communes et le gouvernorat (qui)
bloque les perspectives d’un transfert
de responsabilités au niveau local ».
Le district est conduit à freiner le rythme des réformes et à en limiter l’ampleur.
« Les premiers mandats de 1992 ont fait peur
au pouvoir : en allant trop vite et trop loin dans
la décentralisation, on courrait le risque que
32. A propos de la création de plus de 600 communes rurales, le président de l’Association des maires
du Mali déplore que dépourvues de ressources, celles-ci ne déboucheront que sur « une forme
nouvelle de taxation des populations. C’est l’échec assuré si l’État ne leur donne pas de dotation
financière. Pourquoi une telle réforme alors que les communes qui existent déjà n’ont ellesmêmes pas de ressources ? Il aurait mieux fallu se concentrer sur les villes secondaires. Les cinq
dernières communes érigées en 1992 ne sont d’ailleurs toujours pas opérationnelles. » (entretien
avec le maire de la Commune III, août 1996)
Grafigéo 1999-8
68
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
soit élu un maire CNID33, en tout cas non
Adema, à la tête de la capitale. En engageant
ensuite l’opération “Sauvons notre quartier”,
le gouvernorat a fait encaisser aux maires le
risque politique des casses (irréguliers déguerpis). Il s’est déchargé sur nous des problèmes
de terrains. Dans le même temps, on ne nous
donnait pas de prérogatives foncières, ni le
droit de recouvrer la TDRL. Avec une dotation
financière infime, de moins de 5 millions en
Commune V, on avait bien la volonté de travailler mais pas de moyens pour cela.
Maintenant tout le monde est exaspéré devant
la lenteur du programme du gouvernorat. Les
attentes se font de plus en plus pressantes jusqu’aux domiciles des maires. Les médias manquent aussi de partialité : j’ai demandé un
débat à la télévision pour que les maires de
Bamako s’expriment sur le bilan de ces deux
années et sur les questions de décentralisation.
Mais l’Office de la radio-télévision du Mali n’a
pas voulu donner suite. Par contre l’émission
“Devoir d’informer” a donné la parole aux
représentants du quartier Sabalibougou sans
faire entendre correctement, d’abord, la position de la mairie. »34
Conflits externes et internes aux communes, l’ensemble hypothèque la crédibilité des communes à l’égard de leur
tutelle administrative.
Les concertations régionales d’août
1994 donnent l’occasion de mesurer la
fragmentation de l’expression citadine.
Parmi trois types d’interventions, une
part médiocre des discussions s’attache à
la réforme administrative.
La décentralisation et les statuts particuliers du district sont traités en termes
souvent stéréotypés, alors que des points
de friction concrets s’annoncent déjà
entre les pouvoirs locaux et leur tutelle
territoriale.
Dans les débats de la Commune I, on estime
que « la décentralisation imposera de nouvelles
contraintes aux communes urbaines notamment celles de Bamako ». Pour ce qui est du
paiement des taxes et des impôts, la motivation des populations s’impose, ici comme
ailleurs. Les participants aux assises demandent surtout « que l’État assume pleinement
son rôle tout en laissant un jeu franc en vue de
répondre aux aspirations des peuples. »
« En ce qui concerne la décentralisation, la
commission de la Commune IV recommande
la relecture du statut particulier du district
pour mieux séparer les attributions du président du conseil de celles du représentant de
l’État, ainsi que la redistribution des ressources budgétaires entre le district et les communes, le renforcement des pouvoirs des
maires, notamment en matière domaniale. Le
maire met l’accent sur la modicité de son budget communal, modicité « aggravée par l’incivisme notoire des contribuables depuis mars
1991 qui ne facilite par le recouvrement des
taxes et impôts, principales ressources de la
municipalité ».
La Commune III rappelle également qu’elle
fonctionne sur ses fonds propres avec quelques
subventions provenant de l’État. Cette contribution étant insuffisante, le complément aurait
dû provenir des taxes municipales. « Mais leur
recouvrement auprès des contribuables constitue l’un des problèmes majeurs en raison du
manquement des citoyens à leurs devoirs visà-vis de l’État. La quasi absence d’une
conscience nationale et professionnelle hypothèque la mise en œuvre de la politique de
développement communal. La persistance
d’une fixation sur l’État-providence se concrétise par une fuite généralisée de responsabilité ».
D’autres problèmes apparaissent bien
communs à nombre de communes, mais
les représentants municipaux restent sur
leur quant-à-soi. La réhabilitation des
quartiers irréguliers, le défaut d’infrastructures scolaires et l’insécurité urbaine
occupent les plus longs développements.
La commune I se présente ainsi comme l’une
des plus vastes du district. « Elle comprend
quatorze quartiers dont trois seulement sont
lotis. Fortement enclavées, ces populations
sont victimes du chômage et de la paupérisation endémiques ». Egalement périphérique, la
Commune V annonce l’urgence de la réhabilitation. « Avec une population de 126 000
habitants dont près de la moitié vit dans des
33. Mouvement associé à l’Adema contre le régime UDPM et pour la transition démocratique. Le
CNID donne ensuite naissance à un parti qui se trouve bien vite en concurrence et en opposition
avec l’Adema-Pasj dans le premier quinquennat de la troisième république. Le boycott électoral
auquel il souscrit en 1997 lui vaut d’être marginalisé sur la scène politique nationale et locale.
34. Entretien avec le maire de la Commune V, mai 1994.
Grafigéo 1999-8
69
Décentralisation malienne
zones d’occupation spontanée, de grands défis
attendent les autorités, notamment la réhabilitation des quartiers irréguliers, l’aménagement
des centres commerciaux dans la plupart des
quartiers lotis, l’assainissement et l’aménagement des rues. » La Commune IV n’est pas en
rade pour agiter ses « victimes ». « Sur le plan
social, il faut souligner le caractère très cosmopolite de cette population qui a favorisé l’éclosion de plusieurs quartiers spontanés avec son
cortège de faibles revenus de la grande majorité de la population, de chômage des jeunes, de
masse croissante des travailleurs saisonniers,
d’absence d’éclairage public, d’insuffisance
des effectifs et postes de police, et du développement du banditisme et de la délinquance. »
En Commune VI enfin, « trois quartiers seulement sont entièrement lotis ; les autres, constituées généralement d’anciens villages, présentent un réel besoin de viabilisation ».
Sur le plan scolaire, la Commune I se montre
« confrontée à plusieurs obstacles liés aux
infrastructures, aux effectifs pléthoriques. Ces
difficultés sont accentuées par l’insuffisance du
personnel enseignant, de matériel didactique et
des équipements pédagogiques. » Outre la
vétusté des classes, il est déploré en Commune III « la pléthore des effectifs qui constitue le lot commun de tous les établissements de
la circonscription ». Le maire de la Commune IV fait remarquer que sa municipalité
est « l’une de celles qui a le plus souffert des
“casses” qui ont accompagné la crise scolaire.
Débrayages et grèves, en passant par le boycottage des cours, ont émaillé l’année scolaire.
Et le maire de citer les cas de violence commis
dans sa circonscription en 1993 : mairie incendiée, coopérative Jamana et subdivision de
l’EDM détruites, tribunal ainsi que bien
d’autres patrimoines publics et privés saccagés. Le 15 février dernier, la violence avait
atteint le domicile du maire, une clinique, les
centres secondaires de Lafiabougou et
Djicoroni. »
« Côté insécurité, le banditisme frappe de plein
fouet la Commune I, comme en témoignent les
agressions et pillages ainsi que des homicides
qui y sont perpétrés continuellement malgré
l’existence d’un commissariat de police. »
Détaillant les dangers de l’insécurité, le maire
de la Commune IV recense 614 vols déclarés et
commis de janvier 1992 à juin 1994 ; ont été
enregistrés également 7 cas de viols, 21 cas
d’assassinats, d’infanticides et d’abandons
d’enfants, et 22 cas de saisie de drogue.
S’agissant de l’insécurité, la Commune II n’est
plus en rade : « il serait souhaitable que le
commissariat de police du 3ème arrondissement qui comprend un agent pour plus de 270
habitants soit équipé de trois véhicules et renforcé en personnel. »
Les questions les plus spécifiques ne
sont enfin abordées que de manière ponctuelle.
La Commune II signale « l’inexistence de
locaux pour la mairie qui occupe un bâtiment
appartenant à la Régie des chemins de fer. Ses
archives et documents ont été saccagés lors des
événements de mars 1991 et février 1994 ».
La Commune III « déplore l’inexistence de
maternité dans cette circonscription. » Quant à
la Commune IV, elle demande une fois de plus
la révision de ses limites avec la Commune III,
« en tenant compte de la frontière naturelle
que constitue la rivière Farako, et de la nécessité d’intégrer certains villages périphériques ».35
Des divergences bien concrètes apparaissent pourtant tout au long du premier
quinquennat dans les conflits que des
maires engagent en propre avec le gouvernorat sans toujours bénéficier de la
solidarité de leurs homologues. Les deux
exemples suivants impliquent la gestion
des recettes fiscales.
Le premier concerne le règlement des
dépenses courantes de consommation
électrique en Commune II.
Au milieu de l’année 1993, les délestages se
multiplient dans l’éclairage public et l’on
reparle après bien des précédents de la « quadrature financière du cercle District-Energie
du Mali ». Le conflit prend toutefois une tournure inédite quand la mairie de la
Commune II, qui pâtit le plus de la situation,
se déclare prête à payer elle-même son éclairage public. Quitte sans soute à se rattraper sur
les fonds de la TDRL qu’elle se doit de reverser
au gouvernorat, et dont elle définirait ellemême mieux la gestion.
Les « éclairages divergent » en réalité entre le
district et la Commune II, à propos de multiples impayés d’électricité. La proposition
35. Entretien avec le maire de la Commune V, mai 1994.
Grafigéo 1999-8
70
Décentralisation pour le Mali rural ou gestion urbaine décentralisée ?
faite par les élus locaux déplaît aux autorités
du district : pas question de gérer des fonds
propres alors que la décentralisation n’est pas
encore effective. La commune ne parvient
même pas à payer le salaire de ses employés.
Mais le maire persiste et signe, estimant que sa
circonscription a les moyens de supporter les
factures de l’éclairage public sans passer par le
gouvernorat, comme elle l’a déjà fait pour
d’autres réalisations : en une année de mandat,
son équipe a assuré l’électrification de la
rue 44 au Carré des martyrs (Niaréla), installé des bornes-fontaines dans le quartier
Hippodrome, obtenu un moratoire de la
Société des Télécommunications du Mali pour
le règlement des arriérés municipaux de téléphone (1,7 million), et payé son personnel
pendant 8 mois (10,6 millions par mois).
Or le district n’est pas non plus capable d’indiquer le montant exact de la consommation en
électricité des différentes communes. En réglant
ses propres factures, la mairie pourrait ainsi
« gérer un territoire foncier et non plus un territoire administratif soumis à la gestion du district ». Pour le maire, nul doute : la loi n°93/008
du 11 février 1993 consacre bien la décentralisation de Bamako et « donne le droit aux collectivités territoriales de gérer leur domaine
privé. La loi exprime l’autonomie des communes qui cesseront de ne subsister que sur les
taxes indirectes alors que les taxes directes tombent dans les caisses du Trésor public. Mieux, la
mairie pourrait vendre des terrains sur son territoire et réunir une somme convenable qui,
ajoutée aux éventuels prêts qui seront contractés auprès des banques, permettrait de régler les
arriérés dus à l’Énergie du Mali, voire de financer d’autres projets du district. »
Une fois de plus le secrétaire général du district
répond que si la promulgation de la loi sur la
libre administration des collectivités territoriales est une réalité, les dispositions particulières concernant le district n’ont pas encore
été adoptées. Les mairies n’ont donc pas encore le droit de gérer les problèmes fonciers de
leur circonscription et ne peuvent compter
absolument sur des subventions en provenance du district. Les maires doivent attendre que
les anciens textes municipaux soient abrogés
avant d’opérer librement dans tous les
domaines sur leur territoire. L’administrateur se
montre surtout sceptique quant à la capacité de
la Commune II de régler ses factures d’électricité. En 1992 et 1993, la tutelle administrative a
versé des subventions à la mairie pour lui permettre de payer ses employés ; les budgets communaux ne sont donc pas encore opérationnels.
Enfin les factures d’électricité du district sont
globales et non fractionnées par quartier,
comme le réclame d’ailleurs le gouvernorat.
La rationalisation de la taxation des
marchés met ensuite aux prises le maire
de la Commune III et le gouverneur.
En août 1996, la rénovation du marché Dibida
suscite un véritable bras de fer entre la
Commune III et l’Association des commerçants
détaillants des marchés du Dibida (ADD).
Celle-ci s’oppose à l’évacuation totale des
lieux. Le problème n’est local qu’en apparence, car un financement de la Banque mondiale
est engagé dans l’affaire et le gouverneur
conteste en public la démarche du maire.
Depuis 1992, prétextant un aménagement
insuffisant du marché, les commerçants sont
réticents à s’acquitter des taxes qui incombent
désormais au budget communal. Leur déguerpissement manu militari a lieu finalement
dans la nuit du samedi 24 août 1996. Le maire
est en effet pressé d’achever les travaux que
bloque « le comportement négatif de certains », sous peine de perdre le financement
extérieur de la rénovation et les ressources en
jeu dans la gestion d’une importante zone
commerciale. Son argument est constant à l’intention des autres municipalités : « la Commune III est centrale dans l’agglomération ;
moi je n’ai pas de terrains à vendre donc pas
de recettes foncières, contrairement aux collègues qui s’empressent d’attribuer leurs
réserves ». L’affaire du marché fait écho à la
façon dont commune par commune sont encadrés les petits vendeurs. Un autre rapport de
force vient par exemple de s’engager entre le
gouvernorat et le maire de la Commune II. Au
nom d’une « politique locale de promotion de
l’emploi », celui-ci a laissé s’implanter de nouveaux commerces informels sur la voie
publique36. Jouant au contraire la carte de la
normalisation, le maire de la Commune III
36. La presse souligne à cette occasion un « net distinguo entre les motivations du responsable de la
régulation de la circulation de Bamako et celles du maire de la Commune II. Le premier a des
impératifs de service public tandis que l’élu cherche à renflouer ses caisses. Le terrain semble lui
donner raison car la mairie a installé des petits commerçants un peu n’importe comment sur des
places publiques et maintenant le long des rails. Ni la gêne occasionnée, ni la sécurité et encore
moins la salubrité ne semblent être prises en compte. Mais le plus surprenant c’est que la mairie
s’étonne lorsque ses “contribuables” se font expulser de ces emplacements où ils n’ont rien à
faire. Mais pour lesquels, il est vrai, ils ont payé. » (L’Aurore, août 1996).
Grafigéo 1999-8
71
Décentralisation malienne
poursuit : « Mon budget ne fait même pas
100 millions de francs alors que nous avons
l’occasion de faire sur le marché Dibida un
investissement de 200 millions. Mais pour cela
les bailleurs de fonds ont des exigences, nous
devons travailler dans les délais avec un financement mobilisé par l’AGETIPE. »
Une commission de réaménagement du site et
de recasement des déguerpis est donc mise en
place par les commune. Mais le recensement des
commerçants concernés suscite des débats houleux jusqu’au conseil du district : la campagne
électorale s’annonce pour l’année suivante, des
accusations mutuelles et de fortes oppositions
de personnes pointent. On découvre que les
commerçants ne parlent pas d’une voix, mais
qu’en réalité deux associations se font concurrence pour représenter les demandeurs de
kiosques provisoires. L’une est l’interlocutrice
privilégiée de la mairie ; l’autre cherche un nouvel interlocuteur jusqu’au niveau de la présidence et des services du Premier Ministre, accusant la commune « d’attaquer les pauvres pour
satisfaire les riches ». Selon le gouverneur du
district, « le réaménagement du Dibida n’aurait
pas soulevé autant de problèmes si le maire
avait mieux véhiculé l’information à destination
des occupants des lieux ».
Les divergences internes aux équipes
municipales ressortent enfin des conseils
du district et des communes qui rassemblent les élus de différents partis. Après
avoir évoqué de difficiles relations politiques entre communes et district, le
maire de la Commune V enchaîne sur les
facteurs de blocage au sein de sa propre
municipalité.
« L’opposition communale Adema met des
bâtons dans les roues des maires qui sont de
l’opposition nationale en refusant de voter certaines résolutions du conseil municipal. De
plus les associations de quartier héritent des
clans UDPM. Les tendances de l’ancien parti
unique continuent de vivre à travers les prises
de position virulentes de leurs anciens représentants. Ce sont les maires qui n’avaient pas
de passé politique sous le régime UDPM, qui
n’étaient pas liés par d’anciennes rivalités de
personnes ou de clans, qui sont montés les premiers sur le créneau des déguerpissements,
comme en Communes I et V. Mais aujourd’hui
ces maires sont empêchés par leur propre équipe de retirer un quelconque bénéfice politique
de leur gestion, alors qu’ils ne touchent que
15 000 francs CFA d’indemnités mensuelles et
qu’ils sont submergés à domicile de doléances
personnelles. On craint surtout des mesures
trop tardives de décentralisation. Elle ne laisseront pas le temps aux responsables du premier mandat communal de mettre en œuvre
leurs ambitions. »37
Au total, le contexte politique et social
de sensibilisation à la décentralisation
montre des problèmes différenciés en
milieu urbain et en milieu rural. Le premier vit déjà les faiblesses juridiques,
domaniales et budgétaires des structures
communales ; le second perçoit le découpage territorial comme une innovation
importante mais incertaine. Autant que le
clivage géographique entre le Nord « déficitaire » et le Sud « volontaire », l’opposition des ruraux et des citadins ressort fortement des préparatifs de la réforme : les
campagnes affichent leurs inquiétudes et
leur souci d’une évolution mesurée et
progressive ; les villes semblent au
contraire vouloir forcer le cours des
choses et anticiper sur des textes qui tardent à être promulgués. Mais dans les
deux cas, la question foncière, rurale et
urbaine, est bien au cœur de la refonte
communale. Soit parce que l’accès au sol
conditionne la mobilisation productive
des collectifs paysans ; soit parce que le
marché des terrains à bâtir constitue un
enjeu majeur de redistribution fiscale.
Les collectivités décentralisées en gestation manquent encore de bases territoriales, et la gestion du sol apparaît finalement comme le meilleur analyseur de la
transition qui se joue au cours des années
quatre-vingt-dix.
37. Entretien avec le maire de la Commune V, mai 1994.
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Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
Chapitre 3 • Anticiper sur les réformes : la
gestion communale à l’épreuve
du marché foncier bamakois
C
’EST EN EFFET le contrôle des terrains à bâtir qui donne la meilleure mesure des difficultés du transfert de responsabilités et de ressources à
l’échelon communal. Dès mai 1992, le
conseil des ministres adopte un projet
d’ordonnance portant modification du
Code domanial et foncier de 1986. « Ce
projet s’inscrit dans le cadre des actions
initiées sous la Transition pour améliorer
la qualité des prestations rendues aux
usagers. Il s’agit de décharger le conseil
des ministres des nombreux dossiers
domaniaux au profit des chefs de circonscriptions administratives, à l’exception du gouverneur du district qui gère le
domaine privé de sa collectivité. Cette
approche favorisera le développement de
l’immobilier et la mise en valeur des
terres à travers tout le pays. »
Mais d’autres dispositions administratives entrent en contradiction avec la
rétention des prérogatives domaniales au
niveau du district. Dès l’année 1993,
celui-ci cesse de centraliser les demandes
de parcelles à usage d’habitation et en
reporte l’enregistrement au niveau des
communes. Celles-ci se voient transmettre non seulement les demandes non
encore satisfaites, jusque-là stockées par
les services domaniaux du gouvernorat1,
mais aussi les nouvelles demandes que le
contexte de libéralisation politique a multipliées. Un an après ce transfert, la
Commune III estime en avoir reçu 2 800
accompagnées d’un réel malentendu : la
nouvelle circule parmi les Bamakois que
le district a mis des parcelles à disposition
des communes.
Les communes en profitent donc pour
instaurer chacune leur propre taxation
du dépôt d’une demande. La Commune IV prélève ainsi 400 francs CFA sur
les nouveaux formulaires que la mairie
établit pour la circonstance ; elle exige
également que soit versée la taxe municipale (500 francs annuels, un impôt local
particulièrement mal recouvré) pour les
trois dernières années, ainsi que la TDLR
de l’année en cours (3 000 francs). Il
s’agit bien de compenser le fait que les
communes bamakoises ne sont pas habilitées à recevoir des bénéficiaires des lotissements administratifs la taxe d’édilité de
1. Le Centre des domaines du district qui gère les lotissements administratifs estime à plus de 25 000
les demandes en attente depuis la seconde république.
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73
Décentralisation malienne
101 000 francs CFA qui leur est exigée au
moment des attributions domaniales.
Celle-ci revient intégralement au gouvernorat du district et échappe une fois de
plus aux budgets locaux. La mairie de la
Commune IV est pourtant allée jusqu’à
envisager, à l’encontre de la législation
nationale, d’improviser pour son propre
compte une taxe municipale de 2 500 à
5 000 francs CFA sur les parcelles dont
elle désignerait les attributaires.
Dans ce contexte, les maires ne manquent pas de soulever une importante
contradiction de leur tutelle : le district
continue d’attribuer des terrains tout en
arguant auprès des communes que les
réserves de l’agglomération sont épuisées,
ce qui ne permet pas de leur en laisser la
libre disposition. « L’équipe nationale de
football vient de se voir attribuer gratuitement des lots pour avoir été qualifiée
pour la coupe d’Afrique des nations de
1994. D’où viennent ces parcelles alors
que les communes demandent à en distribuer à leurs administrés sans en
recevoir ? »2 Les communes de Bamako
connaissent sur ce point un fonctionnement bien différent de leurs homologues
des villes secondaires du Mali (Bertrand,
1994).
Mais une opération d’urbanisme
d’envergure justifie, à partir de 1993,
l’implication croissante des communes
dans les affaires domaniales : mandat
est alors donné aux maires, par le premier
gouverneur de la troisième république et
par le conseil des ministres, de contrôler
sur le terrain la réhabilitation des quartiers irréguliers. L’intervention des élus
concernera même les zones de recasement qui devront accueillir les victimes
des démolitions opérées pour désenclaver
et régulariser les zones non loties. Nommé
« Sauvons notre quartier », ce programme spécial fait l’objet d’importantes
négociations gouvernementales car il
s’agit bien de court-circuiter la procédure
classique d’approbation des lotissements
au niveau des ministères techniques et
financiers. Aux communes revient la
charge de désigner parmi leurs administrés ceux qui ont subi des « casses » et qui
ont droit aux parcelles de recasement.
L’opération se transforme bientôt en une
véritable course de vitesse, car le « redressement » d’anciens quartiers spontanés
donne aux maires l’occasion d’imposer
leurs revendications sur la scène urbaine.
Alors que la maîtrise d’ouvrage de l’opération reste au district (le gouvernorat et
la Direction régionale de l’Urbanisme et
de la Construction), bien des communes
tentent de se substituer à leur tutelle
administrative pour aménager les quartiers irréguliers et viabiliser les zones de
recasement : comment contacter « d’en
bas » d’éventuels bailleurs de fonds ?
Puisque le recouvrement des coûts des
parcelles sécurisées ou nouvellement
attribuées dans la procédure de recasement incombe toujours au Centre des
domaines du district, les communes cherchent à retirer le crédit politique de l’opération et à prendre ainsi de court les lenteurs juridiques de la décentralisation.
Ce véritable banc d’essai de la gestion
décentralisée augure cependant mal
d’une cohésion d’ensemble tant il légitime une marqueterie d’initiatives infracommunales. « Sauvons notre quartier »
inaugure de plus une série de pratiques
d’attribution foncière plus ou moins officialisées par les communes. Bamako
rejoint alors la gestion de fait que les
autres communes urbaines du Mali mettent en œuvre depuis plus longtemps. Ce
dernier paradoxe institutionnel et surtout
politique n’est pas des moindres : les
communes constituent l’argument principal de l’expérience malienne de décentralisation ; mais leurs ambitions en matière
de gestion urbaine entrent en concurrence avec les prérogatives monopolistes de
l’Agence de cession immobilière (ACI).
Car celle-ci est l’une des deux agences
d’exécution du troisième Projet urbain du
2. Entretien avec le maire de la Commune III, avril 1994.
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Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
Mali qui aligne ses crédits aussi sur l’impératif de décentralisation. Alors que les
communes relèvent de la tutelle du
ministère de l’Administration territoriale,
l’ACI, promue par les conditionnalités
financières de la Banque mondiale,
s’adosse au ministère des Finances dont
la Direction des Impôts a en charge la
révision de la législation foncière.
CONCURRENCES
ET FRICTIONS
DOMANIALES AU SEIN DU DISTRICT
DE BAMAKO
L’ancien domaine aéroportuaire de
Bamako-Hamdallaye : réserve
convoitée, espace disputé
Avec le déplacement de l’aéroport de
Bamako au sud de l’agglomération
(Sénou), la « zone ASECNA » constitue
depuis les années soixante-dix une
importante réserve foncière de plus de
556 hectares. Elle présente surtout
l’avantage d’être située à cheval sur les
Communes III et IV dans le prolongement direct du centre-ville. Depuis 1993,
elle est également desservie par les échangeurs du deuxième pont de Bamako.
La réserve stimule en réalité des appétits anciens, bien que gelés par le monopole domanial de l’État sous la seconde
république. Une fois libérée par l’aviation
nationale, son devenir se dessine mal du
fait de fortes concurrences administratives en haut lieu. Quelques morcellements au compte-gouttes témoignent
alors de pratiques foncières clientélistes
menées au sommet de l’État.
Le domaine aéroportuaire figure dans les registres de gestion des titres fonciers définitifs sous
les numéros 1 071 et 1 339. Il est immatriculé
au nom de la France en 1946, puis il apparaît
amputé, depuis 1973, d’une série de lots de 3 à
plus de 12 hectares chacun. Ces affectations
domaniales se justifient par les besoins immobiliers de certains ministères, mais servant surtout les intérêts privés de commerçants, d’entrepreneurs ou de cadres de l’État.
La donne institutionnelle de 1992
renouvelle la concurrence autour de l’appropriation de la zone avec l’entrée en
scène de l’ACI. A l’initiative du district de
Bamako, celle-ci commercialise en un
temps record deux importants lotissements à usage d’habitation en périphérie
de la Commune V (Baco Djikoroni et une
partie de Kalaban Coura Sud). Or ces
ventes diffèrent sensiblement des anciennes attributions administratives : elles
sont d’abord menées aux enchères ce qui
conduit à des prix qui doublent, triplent
ou plus les montants versés au gouvernorat de Bamako dans le cadre des lotissements publics classiques. Les ventes sont
de plus assorties de la délivrance d’un titre
foncier définitif. Elles ne se confondent
donc pas avec la simple lettre d’attribution qui est censée évoluer en permis d’habiter dans le régime de la concession
domaniale précaire.
Une fois ces premières interventions
rodées, l’ACI s’appuie sur sa tutelle ministérielle pour faire admettre au niveau
central qu’elle est seule habilitée à morceler, viabiliser et commercialiser le vaste
titre foncier occidental dans une nouvelle
opération qu’elle baptise « ACI 2 000 » dès
1995. Au nom de la « transparence du
marché » et de la « réplicabilité » financière qu’elle a vocation à assurer à l’encontre des pratiques clientélistes du
passé, l’agence du Projet urbain se porte
garante d’une récupération rapide des
coûts fonciers auprès de la clientèle hautement solvable qu’elle a su mobiliser
dans l’agglomération. Ce faisant, elle
oriente la valorisation de cette réserve
convoitée dans un sens sélectif et d’initiative internationale qui choque les urbanistes maliens.
Après une offensive bureaucratique au
début des années quatre-vingt3, ceux-ci
apparaissent marginalisés dans la mise
en œuvre concrète de la planification
urbaine. Faute de moyens adéquats, les
objectifs d’une politique nationale d’habitat pour le plus grand nombre sont
3. Loi 82-122 portant viabilisation préalable des zones de lotissement.
Grafigéo 1999-8
75
Décentralisation malienne
apparus souvent bafoués. Mais les initiatives de l’ACI concurrencent les dossiers
techniques et financiers soumis en
quelques mois au ministère des Travaux
Publics pour examen en conseil des
ministres : alors que la cellule technique
du district de Bamako a déjà produit un
premier schéma d’aménagement de l’ancienne zone aéroportuaire, les techniciens
de la Direction nationale de l’urbanisme
et de la Construction en élaborent un
second en 1993 qu’ils adressent à la
Direction nationale des Impôts pour
relecture et transmission au niveau gouvernemental. Le dossier est finalement
court-circuité par un troisième schéma
qu’un bureau d’études marocain a réalisé
succinctement pour le compte de l’ACI.
Les trois ministères de l’Administration
territoriale, de l’Équipement et de
l’Urbanisme, et des Finances sont donc
sollicités dans ce jeu de pressions qui ne
déroge pas aux habitudes prises sous le
régime UDPM. Le troisième étant par
ailleurs le mieux représenté dans les
« clans politiques » de l’ADEMA-PASJ4, la
gestion du domaine revient définitivement à l’ACI à la fin de 19945. Les ventes
commencent en octobre 1995 avec une
première tranche de plus de 1 100 parcelles. Or l’aménagement des terrains
(électrification, adduction d’eau, voirie)
n’est pas encore achevé. En juillet 1996,
700 parcelles sont déjà vendues et battent
tous les records de prix.
L’affaire en serait restée à ces convoitises en haut lieu de l’État si l’annonce de
la décentralisation, les élections municipales de 1992 et l’opération « Sauvons
notre quartier » n’avaient pas entraîné la
Commune IV et ses populations dans le
jeu des pressions sociales et administratives6. La circonscription dispose en
effet de la plus vaste ouverture sur l’ancien domaine aéroportuaire, et assiste
depuis plusieurs décennies à son grignotage au profit de ceux qu’elle qualifie de
nantis. Or l’ouest de Bamako se compose
en partie de quartiers irréguliers ; le
manque de solvabilité des habitants et le
manque de parcelles offertes en attributions administratives les ont conduits à
s’installer dans les espaces non lotis de la
vallée du Niger. Djikoroni compte ainsi
cinq secteurs irréguliers. Pendant plus de
quatre ans, la Commune IV incarne alors
deux stéréotypes contraires attachés aux
collectivités locales maliennes : d’une part
4. Les directeurs successifs de l’ACI sont représentés dans le « clan CMDT » qui se montre influent au
niveau central de l’État. On explique également le fait que le titre foncier de la zone ASECNA a été
diligemment affecté à la gestion de l’agence parce que son premier directeur est devenu ministre
des Finances sous la troisième république.
5. Décret 94-233 du 12 juillet 1994. Le plan de morcellement prévoit de diviser les 543 hectares du
terrain en six zones : habitat, cité administrative, équipements, espaces verts, commerces et « péricentre ». Les premières parcelles vendues, classsées en « habitat économique », ont les mises à prix
les moins élevées : 2,4 millions, c’était le prix final, après enchères, des parcelles vendues par l’ACI
deux ans plus tôt dans les meilleurs emplacements de Baco Djikoroni ! On envisage ensuite des
mises à prix de 5 à 7 millions pour les vastes parcelles de « l’habitat résidentiel ». Dans le même
temps, les derniers lots attribués par le gouvernorat de Bamako au sud de l’agglomération ne
dépassent pas 351 000 francs CFA. Pour les justifications de cette inflation des coûts d’accès au
sol, voir Bertrand, 1997.
6. Le maire de la Commune III exprime à propos de l’ACI un avis généralement partagé par les élus :
« On aurait pu tout aussi bien placer l’aménagement de l’ancienne zone aéroportuaire sous la responsabilité des techniciens maliens. Pourquoi payer des bureaux d’études étrangers plus chers ?
L’ACI ressemble à un État dans l’État de par le soutien que lui donne le ministère des Finances.
Mais elle ne résoudra pas le problème du logement des sans abris. Il reviendra bien aux communes
de sélectionner leurs propres demandeurs à l’issue des déguerpissements. Sur quels critères ? La
commune ne peut que proposer mais doit soumettre ses listes au district qui les valide à la condition que les personnes proposées ne soient pas déjà détentrices d’une autre concession à Bamako.
Nous avons alors demandé que la liste des personnes disposant déjà d’un terrain nous soit d’abord
envoyée. Depuis six mois que la demande a été faite au gouvernorat, rien ne nous est parvenu. Il
y a une autre contradiction : nous devons sélectionner nos administrés en fonction d’une règle de
non cumul, mais l’ACI elle-même encourage les cumuls de titres fonciers qu’elle vend à des coûts
très élevés. » (avril 1994). A l’ancienne critique du monopole domanial de l’État succède donc celle
du « deux poids, deux mesures ».
Grafigéo 1999-8
76
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
la résistance à la « cannibalisation foncière » dont les promoteurs exclurait d’en
haut les citadins de base ; d’autre part le
clientélisme et les irrégularités dont les
maires seraient les initiateurs privilégiés à
l’encontre des règles du marché et de l’urbanisme. « Bras de fer », « guerre des
piquets et des pierres », les titres de la
presse scandent les relations difficiles
entre les quartiers, la municipalité, l’ACI et
le district de Bamako.
Dès la Transition démocratique, de
nouvelles affectations foncières sont
menées directement par les autorités
nationales sur le terrain, et donnent le
sentiment qu’une distribution est en train
de s’amorcer qui ne dit pas son nom. La
coordination des partis politiques du
quartier de Djikoroni Para tente alors de
prendre les devants de l’aménagement du
site en numérotant le bâti irrégulier à casser ou à préserver sur le tracé de futures
voies élargies, et en bornant de piquets les
parcelles de recasement prélevées sur le
titre foncier de l’ancien aérodrome. La
« base » semble alors déterminée à oeuvrer pour une régularisation foncière que
les élus locaux du régime UDPM avaient
bloquée dans un climat de factions électorales.
Les initiatives de la coordination
démocratique sont donc bien entamées
lorsque se met en place la nouvelle équipe municipale et que s’annonce le
Programme spécial de réhabilitation qui
concerne tous les quartiers irréguliers de
la capitale. Le travail de terrain s’interrompt par deux fois à Djikoroni-Para et
Djikoroni-Djénékabougou en 1993 : des
associations de jeunes et de déguerpis
contestent en série le recensement des
ayants droits au recasement, car il ne
déroge pas, semble-t-il, aux « tares de la
coloration familiale, politique et
clanique ». Une pléthore de représentants
locaux, qui incarneraient la « participation de la société civile » dans bien des
discours internationaux, dénoncent les
« copinages et la corruption » qui entachent l’idée d’une mobilisation décentralisée. Le gouvernorat est même sollicité
Grafigéo 1999-8
pour arrêter les travaux de construction
que des commissions de quartier ont
autorisés après avoir attribué des parcelles de recasement. On a en effet sélectionné quelques clients particulièrement
solvables à défaut d’être puisés dans les
listes de déguerpis. A Djénékabougou,
par exemple, trois commissions de suivi
se succèdent de la deuxième à la troisième république, chacune s’opposant au
travail de la précédente sur fond de
détournements financiers puis d’oppositions municipales. Avant même que le
programme d’envergure de « Sauvons
notre quartier » ne soit officiellement
lancé, le manque de confiance locale est
patent dans ces opérations de sécurisation foncière.
La « bagarre » est ensuite relayée par
l’intervention du maire dès qu’est pressentie celle de l’ACI en 1994. Le premier
convoque une série de réunions au gouvernorat pour faire entendre les besoins de
sa commune : il s’agit d’abord de
reprendre et d’étendre les recasements
dans la perspective du programme de
réhabilitation généralisé, mais aussi de
tenir de nouvelles promesses d’attributions aux administrés locaux. La municipalité exige donc une rapidité et une simplicité d’exécution sur « la réserve de la
circonscription » : affectation immédiate
de 70 hectares prélevés sur le titre foncier
au titre de la commune, aménagement du
terrain réduit au piquetage des lots.
Quant à l’ACI, elle se dispense d’entendre
les revendications municipales et manœuvre en coulisse pour obtenir la gestion
intégrale du domaine au profit des « clientèles de tout le district ». A l’argument de
la territorialité communale répond donc
celui d’une viabilisation de haut niveau
dont seule l’agence à les moyens. Le maire
menace de « faire sortir les jeunes de sa
circonscription pour casser les aménagements de l’ACI », mais son propre domicile est agressé dans la même période par
des élèves en grève. S’il plaide pour
« régler les problèmes sociaux de la base »,
son homologue de la Commune I, luimême en charge de nombreux quartiers
77
Décentralisation malienne
irréguliers, est conduit à collaborer avec
l’ACI dans ses propres zones de recasement. Le gouvernorat ne manque pas de
relever ces contradictions en chaîne :
comment promouvoir la décentralisation
si les ambitions locales riment avec
pagaille ?
En effet, la tutelle administrative ne se
prononce pas clairement sur la légitimité
des prétentions foncières de la Commune IV. Certes le maître d’ouvrage du
programme « Sauvons notre quartier » est
tenté de les justifier car la réhabilitation
des quartiers irréguliers ne peut aboutir
sans les terrains de recasement qu’il faut
bien mobiliser ça et là pour le compte des
communes. Mais c’est encore le gouvernorat qui négocie pour le compte d’une autre
commune un véritable accord de gestion
foncière avec l’ACI. Ces relations tripartites entre les communes, le district et l’ACI
apparaissent dans un cas mauvaises et
dans l’autre arrangeantes.
La porte est alors ouverte à l’interprétation politique du contentieux entre le
maire de la Commune IV, seul élu AdemaPasj parmi les maires de Bamako, et la
direction de l’ACI : le premier incarnerait
une tendance populiste du parti majoritaire, tandis que la seconde en représenterait
les intérêts libéraux et élitistes. En réalité,
les difficultés rencontrées avec les communes viennent du fait qu’elles pensent
que le sol de leurs circonscriptions est de
leur ressort, idée que la décentralisation
en cours est loin de concrétiser dans le district de Bamako. L’ancien aérodrome est
en réalité à cheval sur les Communes III
et IV. Celle-ci n’a pas attendu la procédure juridique de désaffectation du titre foncier au nom de l’État, puis de sa réaffectation au nom de la collectivité territoriale
de tutelle. Cafouillages techniques et anticipations politiques jettent le discrédit sur
les perspectives de décentralisation.
L’ACI s’est pourtant retrouvée le bouc
émissaire des populations victimes de
casses auxquelles l’opération « Sauvons
notre quartier » promettait des parcelles
de recasement. Le rapport technique du
lotissement ACI 2 000 n’affectait en effet à
Grafigéo 1999-8
cette finalité qu’une vingtaine d’hectares à
la Commune IV. Celle-ci resta sur ses
positions en en exigeant jusqu’à 70. 17
hectares ayant déjà été attribués en 1996,
le ministère des Finances demanda donc à
l’ACI qu’elle cède les trois hectares restants. Mais la mairie procéda à de nouveaux morcellements avec sa propre équipe de topographes, initiant alors un
véritable jeu de cache-cache : alors que
l’équipe locale continuait de nuit à piqueter, l’ACI enlevait les bornes le jour et
effectuait ses ventes en priorité dans la
zone méridionale d’ACI 2 000 pour encercler le terrain convoité par la municipalité.
La fin de l’année 1996 conduit à un
dernier avatar de l’affaire. Une intervention directe du gouverneur, après qu’il
n’ait guère affiché de solidarité avec la
commune relevant de sa juridiction,
complique encore l’imbroglio foncier de
l’ancien aéroport. Par décision du 18
mars 1996, les responsables du district
avaient en effet procédé à l’attribution de
près de 1 800 parcelles sur le site de
l’ACI. La contradiction était sérieuse car
le gouvernorat, deuxième actionnaire de
l’agence, ne devrait pas ignorer qu’elle
était directement mandatée par l’État
pour diriger le plan d’urbanisme sectoriel de l’ancien aéroport. Ces attributions
domaniales ont de plus continué jusqu’en janvier 1997, alors que le ministre
de l’Administration territoriale avait déjà
invité tout gouverneur, maire, commandant de cercle et chef d’arrondissement à
« surseoir aux attributions de terrain jusqu’à nouvel ordre ». Conduit à intercéder
entre l’ACI et la Commune IV, le gouverneur ordonna enfin la destruction des
chantiers amorcés par des « recasés » de
Djikoroni-Para au-delà de la zone de 20
hectares concédée à la municipalité. Il
dépêcha ses bulldozers sur le terrain
contre ceux qu’il qualifiait de pirates, et
l’intervention tourna en nouvel affrontement. Ce revirement de l’autorité de
tutelle à l’égard des initiatives locales n’a
d’ailleurs pas empêché l’ACI de déposer
une plainte contre les propres empiéte78
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
ments du gouvernorat.
De multiples enjeux s’expriment donc
au fil de ces jeux d’influences souvent
confus. Les intérêts financiers de telles
offensives communales ne sont pas
négligeables, comme l’ont démontré
d’autres initiatives de la Commune IV dès
les premiers temps de la Transition
démocratique. La gestion des marchés de
la circonscription avait alors fait l’objet
de réelles convoitises que finit par contester l’administration de tutelle.
Ici s’explique le bénéfice des comptes
budgétaires communaux de 1992 et l’exception que représente alors l’ouest de
l’agglomération. Rappelons que des aliénations domaniales à hauteur de 30 millions de francs CFA ont permis de réaliser
les recettes extraordinaires de la
Commune IV bien au-delà des prévisions
(dix millions) et de compenser largement
le déficit du médiocre budget de fonctionnement courant. Il s’agit bien d’une
gestion foncière, ce dont la commune n’a
pas, en principe, la compétence. Les marchés des quartiers Lafiabougou et
Hamdallaye se sont en effet couverts de
solides constructions à usage commercial
dès les premiers mois de 1992. Les nouveaux responsables locaux ont assumé le
bénéfice de la vente de parcelles en
arguant du fait que la taxation des marchés incombe aux communes depuis les
statuts du district de 1979. On confond
donc à bon compte la perception de
recettes fiscales et l’aliénation du domaine affecté à l’activité commerciale. En
réalité, la Commune IV a commencé à
vendre des terrains aux commerçants
depuis 1988, selon une formule de bail
avec promesse de vente. Prévaut alors un
climat de gestion financière et de sélection clientéliste peu clair7.
Après le changement politique de
1991, le nouveau budget local programma de recouvrir les arriérés des commerçants ce qui fit tripler les recettes extraor-
dinaires. Les intéressés voyaient dans le
nouveau contexte la perspective d’un
investissement public significatif dans les
zones de marchés, qui libérait du coup
leurs propres investissements privés. Mais
la nouvelle équipe municipale de 1992
dut revenir sur la décision de vendre les
domaines commerciaux de façon à en
conserver la gestion au sein de sa circonscription. Une nouvelle formule d’exploitation fut introduite dans les budgets suivants. Au terme d’un délai de cinquante
ans, qui laissait aux commerçants le
temps d’amortir leurs investissements
immobiliers, les terrains devront retourner en location dans le patrimoine communal. La formule du bail rencontre de
plus l’assentiment des autres maires.
Quoi qu’il en soit, la pratique communale des années quatre-vingt-dix ne s’improvise pas sans lien avec les gestions
héritées du passé.
« Sauvons notre quartier » : les
maires sur le front des casses et
des attentes populaires
La responsabilité des communes en
matière de régularisation foncière n’a pas
fait émerger de lobbying municipal au
profit des clientèles citadines. Certaines
interventions sont durement menées et
entament la crédibilité des instances
locales. Les initiatives communales apparaissent ainsi prises en tenailles entre la
tutelle administrative du gouvernorat et le
jugement politique de la « société civile ».
Poids de la ville irrégulière, héritages de
la gestion UDPM
Comme la plupart des villes africaines,
Bamako s’est fortement développée en
marge du circuit administratif des lotissements officiels. Certes la puissance
publique détient au Mali un véritable
monopole domanial depuis la colonisa-
7. Selon le maire de la Commune III, le gouvernorat lui-même avait initié un modèle de contrat-vente
dans lequel on prévoyait la possibilité pour le commerçant acheteur d’acquérir le titre foncier de
son lot en trois mois. Cela aurait mis définitivement fin à la perspective de recettes locatives communales.
Grafigéo 1999-8
79
Décentralisation malienne
tion française. Mais alors que l’administration a loti près de 70 % des nouveaux
terrains d’habitation de 1960 à 1976, sa
contribution tombe à 30 % des trames
constituées entre 1976 et 1983 (Direction
du Projet Urbain, 1984). Les années de
sécheresse qui marquent cette période
gonflent de nombreux « sinistrés » l’exode rural national vers la capitale. Les
transactions officieuses concernent alors
60 % des terrains conquis à l’urbanisation ; le développement qualifié de spontané est estimé à 34 % puis à 45 % des
logements de la capitale (DPU, 1984 ;
Programme « Sauvons notre quartier »,
gouvernorat du District de Bamako,
1993). A ces conditions illicites d’accès
au sol s’ajoutent l’enclavement et le
défaut notoire d’équipements dans une
part importante de la ville.
Des réhabilitations sont pourtant prévues dès l’élaboration du schéma directeur d’urbanisme de Bamako et sa révision de 1990. Mais elles buttent sur un
traitement ambivalent du problème par le
régime UDPM, par le biais de ses comités
de quartiers, sections communales et
Bureau exécutif central. Pour la plupart,
les zones prévues pour le recasement des
futurs « déguerpis » sont dotées d’un titre
foncier que l’État affecte au nom du district de Bamako par décret de 1990. Les
conditions juridiques du transfert de
population sont donc préparées dès avant
le changement de régime politique. Dans
la pratique cependant, les autorités de la
deuxième république ont fait alterner,
pendant plus d’une décennie, d’une part
des casses ponctuelles et des mesures d’intimidation à l’encontre des « irréguliers »,
d’autre part des reconnaissances tacites,
l’acceptation politique du front d’urbanisation spontanée, voire même quelques
cas de « redressement » foncier.
Or les luttes de tendances et de per-
sonnes qui ont animé la vie du parti
unique dans la capitale ont court-circuité
le fonctionnement communal. Elles ont
souvent eu pour terreau la négociation de
reconnaissances, la minimisation des
« opérations bulldozer », et la régularisation de quelques embryons irréguliers
(Bertrand, 1995). Des mobilisations paraadministratives menés officieusement en
leur faveur valent ainsi aux quartiers de
Fadjiguila-Djoumanzana (Commune I) et
de Daoudabougou (Commune V)8 de voir
leur réhabilitation reprise après le changement de régime, avec la nécessité de
démêler des situations locales fort
embrouillées. De nombreux « omis » des
précédents recasements clament leur
droits à être « rattrapés » dans les prochaines opérations et à ne pas rester « sans
abris ».
Le bilan de la deuxième république
reste donc mince quant aux nombre de
quartiers concernés et quant aux transformations apportées au cadre de vie des
populations. Dianéguéla (Commune VI),
par exemple, est « redressé » à la fin des
années quatre-vingt dans le prolongement d’une intervention du Projet Urbain
du Mali dans le secteur voisin de
Magnambougou. Mais rien ne justifie,
aux yeux des populations régularisées, le
versement requis d’une taxe d’édilité de
plus de 100 000 francs CFA et de frais de
bornage, car leur quartier reste enclavé,
privé d’eau et d’électricité. L’expérience
augure des futures difficultés que les nouvelles équipes communales rencontreront
pour assurer le sacro-saint « recouvrement des coûts » dans un marché foncier
assaini.
Enfin, le legs de l’UDPM apparaît chargé de médiations et de contentieux en
tous genres. Il est surtout compliqué en
quelques mois de Transition démocratique par l’occupation irrégulière des
8. Après plusieurs casses menées dans ce quartier à la fin des années soixante-dix, des enquêtes
furent menées pour recenser, sans fond de plan, les occupants des cours à maintenir et ceux à
déguerpir dans la perspective du désenclavement de la zone. Jusqu’à plus de six ménages, propriétaires ou locataires, se déclarèrent alors responsables de certaines constructions. D’autres blocages apparurent lorsque les premières parcelles de recasement furent attribuées à des clients politiques non nécessiteux. La reprise du recensement s’imposa donc en 1994.
Grafigéo 1999-8
80
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
zones de recasement qui ont commencé à
être définies9. Du fait d’importants
retards d’aménagement, de nouvelles
vagues d’occupants illicites viennent
contrarier la mise en œuvre des projets de
recasement, mettre en attente les anciens
déguerpis, et démentir la crédibilité des
autorités bamakoises. Des immigrés
d’origine rurale et des citadins paupérisés
sont désignés comme les responsables de
cette « anarchie foncière » que la nouvelle expression politique a stimulée en
1991-1992.
A l’annonce d’une reprise en main des
dossiers par le district, chaque quartier
hérite donc d’initiatives hétéroclites, de
recensements menés tantôt par la
Direction nationale de l’Urbanisme et de
la Construction (Sabalibougou, 1987),
tantôt par des collectifs locaux sous la
houlette de l’UDPM, tantôt encore par des
coordinations démocratiques de quartiers. Certains plans d’aménagement ont
été élaborés sommairement par des
entrepreneurs privés (Sébéninkoro,
Missabougou) ; d’autres ont été rédigés
de manière normative mais irréaliste, aux
regards des moyens financiers des populations, par les urbanistes de la fonction
publique malienne.
25 opérations pour une coordination
communale
Annoncé en avril 1993 par le gouverneur du district de Bamako, le
« Programme spécial de réhabilitation »
tente de rompre avec l’urbanisation du
fait accompli et son cortège de compromis. Il s’agit pour cela de traiter globalement le problème tout en court-circuitant des circuits d’approbation
administrative traditionnellement centralisés. En cela l’opération interfère
avec la décentralisation car on fait réellement l’économie de lents aller et retours
entre les ministères techniques et le
conseil des ministres. Un calendrier resserré s’impose en effet pour éviter que de
nouveaux espaces de recasement soient
occupés par des strates plus récentes d’irréguliers. Pour cela, un décret du conseil
des ministres a mis à disposition du district de Bamako les zones censées
accueillir les victimes des casses. Mais il
s’agit surtout de confier aux communes la
surveillance concrète du terrain. Le programme retient 25 secteurs irréguliers sur
les 33 que les équipes municipales ont
énumérés. Les priorités d’intervention
sont établies en conseil du district, bien
que certains maires aient pris l’initiative
de casses locales dès leur installation
(Sabalibougou en Commune V, Banconi
en Commune I). Quant aux techniciens
régionaux, ils partagent le montage
financier des opérations entre une exigence de participation populaire et une nouvelle quête de bailleurs de fonds internationaux. Le district n’a pas d’autres
moyens à apporter que ses employés et
quelques engins.
Dans le calendrier qui s’impose à partir de 1993, « Sauvons notre quartier »
donne donc aux communes l’occasion
d’affirmer leur capacité d’arbitrage entre
les commissions locales de recensement et
de suivi, au niveau des quartiers, et l’instance du district. Conçu pour répondre à
une situation d’exception, le programme
conduit les maires à intervenir de manière ferme pour tracer des voies de passage
dans les vieux tissus irréguliers et libérer
les zones de recasement qui ont été investies irrégulièrement. C’est le cas jusqu’à
la fin de 1996 à Niamakoro et Sénou
(Commune VI). Le premier magistrat est
en effet désigné comme le responsable
des opérations de terrain. Son rôle de
coordination l’oblige à concilier des
objectifs politiques (embellir la capitale
sans négliger l’insertion des pauvres),
financiers (faire payer le coût de l’aménagement) et techniques (normer l’em-
9. C’est le cas à Fadjiguila, Sikoro, Banconi-Sourakabougou en Commune I, à Sabalibougou en
Commune V, à Faladiè-Solala en Commune VI.
Grafigéo 1999-8
81
Décentralisation malienne
prise des voies, aligner les parcelles, dégager des places pour de futurs équipements). Ainsi doit-il « sensibiliser les
populations » (mission qui incombait au
parti sous le précédent régime), calmer
les associations qui plaident les intérêts
des anciens et des nouveaux venus en
ville, dégager des fonds pour la viabilisation des terrains, assister, voire relayer les
techniciens du gouvernorat. Peu à peu
s’impose une procédure de participation
dans les deux commissions que compte
chaque quartier concerné : l’une supervise les opérations techniques et associe le
maire aux représentants du district ;
l’autre est chargée du suivi sur le terrain
(recensement des ménages candidats au
recasement, marquage du bâti existant,
bornage des nouvelles parcelles, perception de cotisations financières) et assure
un contact essentiel avec « la base ».
La tâche n’est pas simple. Les commissions municipales se révèlent souvent
prises en tenailles entre des prescriptions
techniques normatives, des financements
incertains auprès d’ONG nationales ou
internationales, les associations qui fleurissent dans les quartiers autour d’intérêts
divers, et les notables de la place. Ceux-ci,
chefs de quartiers ou anciens responsables
des comités UDPM, ont en effet souvent
construit leur audience locale sur la désignation d’emplacements irréguliers et sur
leur pérennisation. Trois points principaux mettent en difficulté la capacité des
maires à asseoir leur crédibilité sur des
tâches de gestion urbaine.
Au plan technique, le traitement standardisé des dossiers de réhabilitation dissimule mal une négociation diffuse en
faveur d’aménagements au rabais et de
solutions locales de débrouillardise. Pour
diminuer le coût des opérations, les
options minimalistes qui sont à l’étude ou
mises en pratique devraient démentir les
espoirs d’embellissement durable et
conséquent de Bamako. Le pari de
modernisation urbaine s’effrite pour une
part majeure de la capitale.
La Commune III est ainsi conduite à
Grafigéo 1999-8
inverser ses propres étapes du calendrier
de réhabilitation et à demander la révision des plans de désenclavement des
quartiers irréguliers de Samé, du Point G
et de Niomirambougou.
Le « redressement » de Samé est en réalité programmé depuis le début des années quatrevingt. Un premier schéma technique est alors
établi par les techniciens du district sans
consultation de la commune ni des populations. Or il s’agit de mener une grande opération de casses qui devrait concerner presque
toute la population, ce que le maire de la troisième république refuse ensuite. Il propose au
contraire de ramener à 25 mètres une servitude prévue de 50 mètres entre la voie de chemin
de fer qui traverse le quartier et les premières
habitations. « Mais c’est difficile à avaler pour
des techniciens qui ne font que copier des
règles européennes inadaptées. D’une manière
générale, on a prévu des voies trop larges. Ce
n’est pas nécessaire car Samé est bâtie sur une
zone accidentée. Au mieux on pourrait créer
des voies piétonnes avec des escaliers. Mais les
voies de 20 mètres sont inutiles, sauf pour un
triangle de circulation qui peut être également
ajusté. La population de Samé s’est finalement
calmée et a accepté d’être sensibilisée après
que la municipalité ait fait la demande de révision du schéma. »
L’ordre d’instruction des dossiers techniques
est fixé par le district. Le dossier de Samé étant
plus avancé que celui du quartier du Point G,
cela a obligé la commune à stopper son intervention dans le second au profit du premier.
C’est pourtant au Point G que la Commune III
avait eu l’initiative de « la première casse de
Bamako » en mai 1992. « La zone de recasement faisait l’objet de reventes inacceptables,
souvent à l’initiative d’anciens patients de l’hôpital du Point G qui s’installaient dans le secteur après leurs soins. Le chef de quartier avait
déclaré qu’il n’était pas informé de cela, mais
cette occupation de la zone de recasement compromettait l’aménagement de l’ancien noyau
villageois. » La casse communale a cependant
épargné les maisons déjà habitées et s’est attachée principalement aux constructions en
cours. « Parmi ces derniers déguerpis, on trouve surtout des commerçants qui ont les moyens
et qui sont déjà logés ailleurs à Bamako. Ce
sont les mêmes qui vont occuper d’autres zones
de recasement ailleurs et qui ont été poussés à
s’installer de manière illicite quand le redressement des quartiers spontanés a été annoncé. Le
résultat est que l’intervention municipale a été
bloquée au Point G, à cause dossier prioritaire
82
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
de Samé, et que la population n’a plus eu
confiance en la mairie. »
A Samé, la zone de recasement désignée par les
techniciens de l’urbanisme n’était pas occupée.
Le maire jugea donc qu’il n’était pas nécessaire de soumettre au gouvernorat un nouveau
recensement des populations à recaser, et l’on
se borna à demander des révisions techniques.
Une délégation municipale s’adressa d’abord
au deuxième adjoint du gouverneur, en charge
des questions domaniales, mais essuya un net
refus de négocier. Le maire protesta alors en
personne : « le lotissement de Samé ne se fait
pas à partir d’un bureau ! Une délégation
technique du district a dû se rendre sur le terrain, et le gouvernorat a été mis devant le fait
accompli d’un assouplissement nécessaire. »
Reste à concrétiser cette révision. Cela revient
pour la commune à chercher des fonds pour
effectuer elle-même le travail, car le district
accumule les retards et ne dispose pas des
moyens nécessaires. Deux ans plus tard, les
attributions de parcelles dans la zone de recasement de Samé montrent le bricolage retenu :
c’est bien une commission extraordinaire de la
commune qui a géré les choix d’attribution, au
profit des déguerpis mais aussi au profit de
nouveaux candidats à l’appropriation. Sur un
total de 208 parcelles, 60 ont été morcelées en
additif de la zone de recasement. La minimisation des casses dans l’ancien tissu irrégulier
a d’ailleurs permis de limiter le nombre de
candidats au recasement ; les propriétaires de
champs réquisitionnés sur le nouveau lotissement ont reçu un nombre équivalent de lots au
titre de « compensations agricoles » ; les
maraîchers déguerpis d’un autre secteur de la
commune (abords du fleuve) ont enfin bénéficié de quelques parcelles. Le reste a donc permis de satisfaire des demandes nouvelles et
d’en prélever des recettes. Finalement, les travaux de réhabilitation ont consisté en un
simple élargissement de voies ; des caniveaux
ont été creusés par l’ONG malienne Alphalog
en collaboration avec l’Association de développement de Samé10.
En Commune IV également, les extensions irrégulières les plus modestes,
comme les plus nanties, conduisent les
autorités locales à minimiser les casses.
« Dans le vaste quartier populaire de
Djikoroni-Para, le chef de quartier n’était pas
d’accord pour que l’on trace des voies d’emprise de 20 à 30 mètres, car 6 à 8 mètres suffisent. Les techniciens sont obligés d’écouter.
Une autre voie prévue risquait de détruire
beaucoup de concessions. Pour limiter les
dégâts, on a proposé une déviation aux techniciens. (...) A Djénékabougou, le tracé d’une
place publique devait casser six concessions
déjà bâties ; la doléance des populations a été
transmise au niveau communal qui l’a répercutée au niveau des techniciens »
En périphérie du quartier de Lafiabougou,
Bougoudani est au contraire marqué par la
présence de jeunes cadres supérieurs. Ceux-ci
ont été découragés par des demandes de lots
insatisfaites auprès de l’administration et se
sont installés irrégulièrement en toute connaissance de cause. Le quartier compte 275 villas
d’une valeur de 6 à 10 millions chacune. La
mairie a donc refusé de casser de tels investissements. L’extension concernait également des
propriétaires de champs, pour lesquels une
concertation fut engagée avec la commune.
Les relevés topographiques et le piquetage des
parcelles s’engagèrent sous la houlette d’une
commission locale de quartier qui préleva une
cotisation de 15 000 francs CFA par ménage.
« Le travail devrait être normalement financé
sur un fonds de développement que l’État
devrait allouer au gouvernorat pour les communes ; mais il n’est pas alimenté. Pour respecter le calendrier des opérations, il est préférable que les gens se cotisent pour acheter la
chaux du marquage des concessions, les pinceaux et la nourriture des agents techniciens. »
Mais ici on est réticent pour faire appel aux
services d’entreprises privées, en particulier de
géomètres. Le précédent financier du quartier
voisin de Sèbèninkoro (détournement par l’entreprise Topo Azawad de fonds collectés à la
base au début des années 1990) sert de leçon
pour le reste de la commune.11
Après des casses spectaculaires en
1992-1993, à l’initiative des équipes
municipales, les réhabilitations ne se
déroulent pas moins sur fond d’ajustements techniques et financiers en
Communes I et V.
D’ouest en est de la Commune I, l’emprise
10. Entretien avec le maire de la Commune III, avril 1994.
11. Entretien avec le maire de la Commune IV, avril 1994.
Grafigéo 1999-8
83
Décentralisation malienne
d’une voie de chemin de fer prévue dans le
plan des urbanistes apparaît ambitieuse à
tous : il s’agit à terme de détourner la voie ferroviaire du centre-ville vers les quartiers septentrionaux. Or la zone est fortement occupée
et les populations menacées de casse demandent la réduction du projet de servitude.
L’étude technique du district a également
prévu une contribution financière de 200 000
francs CFA par ménage, pour un aménagement du quartier comprenant l’électrification,
le creusement de caniveaux à ciel ouvert, l’adduction d’eau et la réfection de la voirie de
terre. Des discussions s’amorcent alors pour
abaisser le coût des travaux à 100 000 francs,
voire 70 000 dans le secteur de Zèguènèkorobougou (Banconi). Les propriétaires s’organisent dans le bâti ancien, et tiennent une série
d’assemblées générales houleuses. Zèguènèkorobougou prend les devants en faisant appel à
des topographes privés, directement payés par
les habitants, pour amorcer un bornage diligent. « On a fait appel à un technicien privé
selon un marché de gré à gré négocié en 1993.
La commune ne s’y est pas opposée car il
s’agissait d’une opération test qui pourra inspirer des opérations ultérieures dans la commune. Sur la base du plan du district, les propriétaires se groupent par îlots et versent
chacun 7 000 francs. Après le marquage des
cours, la phase de bornage doit suivre dans le
tissu spontané. Elle est normalement à la charge du gouvernorat, mais les populations sont
impatientes et se demandent s’il n’y a pas de
possibilité de commencer plus vite les travaux.
Or ni les communes ni les services techniques
du gouvernorat n’en ont les moyens. Face à ce
risque de la durée, les populations prennent
leurs propres responsabilités. »12 Dès 1992, une
autre initiative de Korofina-Sud avait déjà
court-circuité le montage financier du district
en faisant appel au bureau d’étude privé
Express Topo.
Au plan social, ces ajustements initiés
ou récupérés par les communes n’ont pas
empêché de plus dures confrontations
avec les populations et leurs associations.
Ici encore les perspectives de la décentralisation sont malmenées, « le local » apparaît porteur d’une certaine ingénuité.
Les casses précoces de 1992, la résistance physique et judiciaire de certaines
populations en 1993-1994, la reprise des
évacuations par la force en 1995 et 1996
(Commune VI), tout cela suscite régulièrement un appel au calme national : la
presse critique, de hauts notables tentent
d’apporter leur médiation, « l’espace
d’interpellation démocratique » (forum
politique annuel) rappelle le gouvernement à l’ordre de ses engagements de respect de la démocratie et de l’autorité de
l’État. Cet arrière-plan politique conduit
les maires à déplorer en public le manque
de soutien de leur tutelle administrative.
Mise à l’épreuve des faits, la décentralisation continue de nourrir les polémiques.
La Commune V apparaît ainsi sur le
devant de la scène dès l’entrée en fonction
de son maire. Celui-ci s’attache, avant
même le programme du gouvernorat, à
endiguer les quartiers non lotis de la circonscription.
Des contestations radicales concernent particulièrement les zones de recasement du front
irrégulier de Sabalibougou et la réserve foncière méridionale de la Commune V entre 1992 et
1995. Déguerpis pour laisser le champ libre
aux ventes de l’ACI puis à d’anciens candidats
au recasement, les occupants de ces zones sont
tour à tour accusateurs auprès des autorités
nationales, puis accusés et de nouveau accusateurs au Tribunal correctionnel de Bamako. Ils
se défendent d’abord de s’être installés après
1987, date à laquelle le recensement de
Sabalibougou a clos la liste de ceux qui sont
promis au recasement. La vindicte est vivement menée par l’Association de défense des
intérêts des personnes installées en vertu des
règles coutumières (ADIPIRC), que vient de
créer un diplômé de l’École nationale d’administration. Forte de sympathisants dans plusieurs quartiers de Bamako, elle demande
« sanction contre le gouverneur pour « crimes
commis » contre les victimes des casses sur la
zone de recasement. Tant la démarche judiciaire que le propos consacrent sous la
Transition démocratique la remise en cause des
encadrements politiques classiques. Mais c’est
bien la commune qui conteste sur le terrain
l’installation que le chef de village de
Sabalibougou a permise à cette dernière strate
d’irréguliers. Chacun stigmatise alors les « pratiques malsaines du passé », les uns pour
dénoncer la spéculation foncière populaire, les
12. Entretien avec le secrétaire général de la Commune I, avril 1994.
Grafigéo 1999-8
84
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
autres pour plaider pour une légitimité « coutumière » d’en bas contre les monopoles domaniaux d’en haut.
Pour préparer l’évacuation des zones de recasement de Sabalibougou en vertu d’un plan de
réhabilitation qui a trop tardé, le bras de force
est désormais engagé entre les forces de l’ordre,
déléguées sur place par la commune, et les
populations qui les reçoivent à coups de
pierres. La mairie est jugée digne des anciens
jeux clientélistes de « ceux qui promettent puis
se rétractent ensuite en revendant à des nantis
les terrains qui devraient revenir aux
démunis ». Occupation du secteur par les bulldozers, interpellation des « irréductibles », le
ton est donné pour d’autres casses dans l’agglomération. L’ADIPIRC n’est d’ailleurs pas
moins virulente en Commune I où son leader y
est arrêté pour avoir « incité à la résistance sur
les ondes d’une radio libre ». Les irréguliers
illégitimes sont alors accusés de « refus de soumission à l’ordre public avec circonstances
aggravantes d’usage de la violence ». Les
meneurs ne sont plus des intellectuels mais
pour la plupart des « Bamakois d’origine rurale », pour les « actes de guerre » desquels sont
demandées des peines exemplaires d’amendes
et d’emprisonnement.
Le dernier acte suscite autant de commentaires
dans les médias : aux plaidoyers des squatters,
« oubliés du développement national », répond
un maire acculé : « les maisons cassées en
décembre 1992 ont été nuitamment reconstruites par les récalcitrants ; la vraie discrimination s’exerce en fait contre de plus anciens
déguerpis. Depuis des années, ils sont de plein
droit pressés de s’installer sur leurs lots de
recasement. » Des négociateurs nationaux
s’expriment après que les associations locales
se soient scindées en leaderships rivaux sur le
terreau d’anciennes luttes de clans UDPM et de
nouvelles concurrences politiques : accusations
à l’endroit des élus, trahison reprochée au chef
de quartier : le jeu social du quartier et de la
commune n’est pas régulé plus sereinement
que le marché foncier de l’ensemble de l’agglomération. La zone orientale de Sabalibougou
est ainsi dénommée « zone du Golfe » pour
exprimer le climat de tension qui s’est installé
parmi plus de 1 300 familles. Déjà rasée trois
fois sans décourager de nouveaux occupants
irréguliers, elle illustre la difficulté d’instaurer
une confiance municipale pour liquider de
vieux conflits. Deux nouvelles associations de
défense des habitants contre-attaquent en
déposant d’abord une plainte, avec l’aide
d’avocats de renom, contre la commission
locale chargée de la régularisation de
Grafigéo 1999-8
Sabalibougou. Celle-ci aurait détourné des lots
de recasement pour le compte de personnes
non concernées par l’affaire. Les soupçons et
les rumeurs font échos à ceux que la
Commune IV a rendu publics l’année précédente. L’association Djigui sigui ton joue quant
à elle la carte du manque de rigueur du plan
d’assainissement de Sabalibougou, qui prévoyait en 1987 de régulariser 4 200 ménages
alors que le quartier en compte désormais plus
de 8 000. Conçu à la suite d’une première
casse en 1983, ce document met en cause l’incapacité des pouvoirs publics à exécuter euxmêmes une gestion foncière adaptée aux réalités citadines. Mais au-delà de la donne
démographique, difficile à contrôler, c’est bien
la récupération politique de l’opération qui
envenime les relations commune/associations/gouvernorat : ici des leaders en quête de
reconnaissance municipale tentent de retarder
le travail ; là des maires contestent aux assemblées générales de quartier le monopole de
l’action de terrain.
Au plan politique en effet, les municipalités sont sérieusement critiquées à propos du détournement d’une partie des
zones de recasement au profit de populations non nécessiteuses. Des terrains
mobilisés dans le cadre de « Sauvons
notre quartier » sont attribués au profit
de candidats à l’appropriation qui ne sont
pas issus des quartiers irréguliers ou n’ont
pas subi de casses. De solides constructions, qui apparaissent sur les zones de
recasement débarrassées de leurs occupants illicites, le prouvent en quelques
mois. Mais ces investisseurs sélectionnés
par les municipalités s’empressent d’établir leur propre légitimité : « nous avons
attendus trop longtemps d’hypothétiques
attributions dans les lotissements du gouvernorat ; or ici nous payons nos parcelles
bien plus vite que les déguerpis. Nous
contribuons nous aussi à résoudre les
problèmes de trésorerie des communes ».
Des pratiques de sélection jugées malsaines à la fin de la deuxième république
et sous la Transition démocratique finissent donc par s’imposer aux maires de la
troisième république. Mais les plus riches
de ces nouveaux clients de la donne politique pluraliste rappellent les pratiques
spéculatives du précédent régime : cumul
de lots dans plusieurs zones de recase85
Décentralisation malienne
ment, reventes en sous-main de parcelles
non bâties à des prix bien supérieurs à
ceux requis par le programme de réhabilitation et dépassant le million de
francs CFA. De nouvelles associations
naissent à l’occasion du travail de recensement et de prélèvement des cotisations
dans les commissions locales de réhabilitation. Estimant qu’elles sont mal représentées auprès des municipalités, certaines sont promptes à semer le doute sur
la transparence du recasement et à suspecter les responsables locaux de caser
leurs clients dans quelques places laissées
vacantes13.
Un réseau d’intermédiaires s’improvise également depuis les services techniques du district, et risque de semer la
confusion dans ces attributions municipales qui ne disent pas leur nom. Les
techniciens régionaux sont en effet très
présents dans les commissions de suivi
des réhabilitations. Véritables connaisseurs du terrain, ils jouent un rôle important dans la circulation des informations
domaniales en dehors des populations
concernées. Plusieurs sont sollicités par
leurs collègues du gouvernorat pour
réserver quelques parcelles non pourvues,
orienter le morcellement de places prévues ou d’improbables zones d’activité
dans le sens d’intérêts personnels, et
veiller à quelques échanges opportuns de
parcelles à l’échelle de l’agglomération
tout entière. Ainsi le programme spécial
« Sauvons notre quartier » continue-t-il
d’alimenter des relations de service personnalisé autour du marché foncier
urbain, comme l’ont fait de plus classiques lotissements sous la gestion centra-
lisée de la deuxième république.
Mais c’est surtout dans leurs relations
avec l’ACI que se joue la capacité des
communes à tirer parti des zones de recasement au profit d’attributions plus sélectives. Alors que la Commune IV s’est
engagée dans un véritable rapport de
forces avec le gouvernorat et l’ACI autour
de la réserve foncière de l’ancien aérodrome, la commune I joue au contraire la
carte de la péréquation sociale : une partie de ses terrains de recasement est
consacrée à une commercialisation de
haut niveau technique et financier ; les
recettes dégagées de ces ventes neuves
sont censées financer la préparation des
terrains pour les déguerpis locaux qui ne
peuvent s’acquitter de lourds frais d’aménagement.
Pour mener à bien la réhabilitation de
Banconi, le district a en effet acquis sur
ses fonds14 un ancien titre foncier immatriculé au nom de l’État et dont il destine
huit hectares à la zone de recasement. Par
accord tripartite rédigé entre le gouvernorat, la commune et l’ACI, il est prévu que
63 des 185 parcelles seront vendues par
l’agence pour le compte du district avec
l’eau et l’électricité assurées pour chaque
parcelle. On vise ici une clientèle très solvable et sélectionnée par enchères dans
toute l’agglomération. Avec le bénéfice de
ce quota, l’ACI devra prendre en charge
l’aménagement sommaire (routes en latérite et caniveaux en terre) des lots de recasement destinés aux déguerpis plus
modestes de Banconi. Ceux-ci n’auront à
s’acquitter que de 120 ou 130 000
francs CFA (soit les frais de bornage ajou-
13. « A Banconi, par exemple, les associations ne manquent pas : Association pour le suivi de l’aménagement à Banconi (son président est membre du parti majoritaire), Association pour le développement économique et social de Banconi (qui rassemble des sensibilités politiques plus
diverses), et surtout des associations plus locales encore constituées en appui à l’aménagement
des secteurs de Djenguènèbougou, du Plateau, de Djènèsokala, etc. Elles ont voulu être mêlées
aux opérations mais l’administration du district ne les a pas reconnues par crainte qu’elles se
substituent à sa propre action. Par contre elles sont représentées dans les négociations à la mairie, mais pas toujours au profit d’une action unitaire. C’est comme cela que les deux associations
d’appui à l’aménagement de Djoumanzana maintiennent la vieille opposition entre les notables
de Fadjiguila et ceux de Djoumanzana. » (entretien avec le premier adjoint au maire de la
Commune I, avril 1994)
14. Plus de 490 000 francs CFA versés en 1993.
Grafigéo 1999-8
86
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
tés à la taxe d’édilité), quand les clients
directs de l’ACI paieront leurs parcelles
jusqu’à plus de deux millions.
Mais une telle initiative ne peut se
comprendre sans le rappel des précédents
qui ont déjà conduit le régime UDPM à
négocier pour la commune l’intervention
d’un solide bailleur de fonds. Banconi
apparaît presque comme un laboratoire
d’opérations tests dont peu ont abouti
jusqu’à présent. Déjà le premier Projet
Urbain du Mali envisageait de financer sa
viabilisation sommaire sur les crédits de
la Banque mondiale (ouverture de
quelques artères principales, bitumage
d’une route et creusement de petits caniveaux sur environ trois km). L’opération
fut menée avec retard à la fin des années
quatre-vingt, mais les populations n’eurent pas à se cotiser. Quelques bornesfontaines apparurent également et l’on
s’arrêta à la définition d’une petite zone
de recasement. Mais une fois les crédits
épuisés, celle-ci fit l’objet de nouvelles
occupations illicites auxquelles l’équipe
municipale élue en 1992 dut mettre fin.
De leur côté, les techniciens régionaux
avaient conçu un nouveau plan de réhabilitation pour Banconi sans tenir compte des travaux réalisés par le Projet
urbain. L’Agence Coopération et Aménagement (ACA française) avait été aussi
de la partie en initiant une dizaine de
maisons expérimentales en banco stabilisé. Le projet resta lettre morte, les techniciens maliens ignorant l’impact de ces
constructions.
On en revint finalement aux prévisions
de la Banque mondiale pour la zone de
recasement : l’aménagement prévu du
titre foncier faisait apparaître un coût
total de 63 millions. Ne mettre à contribution que les seuls ménages recasés
revenait à exiger d’eux des montants de
310 à 370 000 francs CFA, c’est-à-dire à
faire capoter toute perspective de recouvrement des coûts auprès d’une population peu solvable. La commune préconi-
sa donc une solution au rabais : puisque
la taxe d’édilité était incompressible, on
ne pouvait exiger des ménages qu’un
maximum de 130 000 francs. Restaient
cependant quelques 63 parcelles que
l’ACI inséra dans ses ventes aux enchères.
C’est d’ailleurs elle qui centralisa tous les
fonds pour la mise en œuvre de cet aménagement à deux vitesses.
Dans ce contrat tripartite, la commune est bien partie prenante dès l’achat du
titre par le district. Ce type de péréquation relève pourtant de circonstances
ponctuelles. Plus que jamais le manque
de solidarité politique des communes
entre elles et le défaut d’une ligne action
commune ressort ici. La réhabilitation
urbaine augure d’une fragmentation que
d’autres interventions domaniales souligneront dans la suite du quinquennat.
LES
BANCS D’ESSAI DE LA GESTION LOCALE : PRATIQUES D’ATTRIBUTION FONCIÈRE ET CLIENTÈLES
COMMUNALES
Mobilisations peu reproductibles :
vers un « développement urbain
durable » ?
En parallèle avec la gestion de rattrapage urbain, l’attribution de parcelles
neuves occupe également les responsables des communes bamakoises alors
même qu’ils déplorent l’absence de prérogatives décentralisées en la matière.
Quelques techniques de mobilisation foncière rappellent dans la seconde moitié du
quinquennat les pratiques officieuses que
bien des maires des villes secondaires ont
déjà expérimentées à la fin du régime
précédent15. Ces attributions « par la petite porte » étaient alors rythmées par les
élections qui renouvelaient les comités,
les sections et les équipes municipales de
l’UDPM. Tantôt admises tantôt contestées
par les cadres administratifs régionaux,
15. Bertrand, 1990 : retrait de parcelles non mises en valeur dans les anciens lotissements et réattributions arbitraires, bandes de lots « raccordés » dans les périphéries des villes sans viabilisation ni
même parfois plan de morcellement, places publiques démembrées au profit de clients municipaux.
Grafigéo 1999-8
87
Décentralisation malienne
elles avaient fini par définir un ersatz de
gestion locale.
De telles initiatives tentent surtout de
court-circuiter les prescriptions normatives des techniciens de l’urbanisme et ont
également des précédents dans la capitale malienne. Mais ici elles ont été le fait
des instances politiques et du gouvernorat plus que des communes elles-mêmes.
Sous la troisième république, les municipalités bamakoises mènent désormais en
propre une série d’attributions qui mêlent
des initiatives officielles et d’autres officieuses. L’ensemble fait-il office de transition foncière ? Moment provisoire à
dépasser, dans l’attente de véritables
refontes juridiques et institutionnelles ?
Ou gestation de pratiques durables pour
la suite du régime ?
1 800 parcelles en quotas municipaux
au sud de l’agglomération
Le dernier grand lotissement administratif promu par le gouvernorat du district
suscite une revendication tumultueuse des
maires au sein du conseil du district dès la
fin de l’année 1992. L’opération de
Kalaban Coura Sud frappe en effet par
son ampleur : plus de 9 000 parcelles sont
concernées, dont environ un tiers est commercialisé par l’ACI. Il revient normalement au gouvernorat de sélectionner les
candidats à l’appropriation pour les deux
tiers restants, de percevoir la taxe d’édilité
de 101 000 francs et les frais de viabilisation de 250 000 francs que doit payer
chaque attributaire. En réalité l’opération
est programmée dès le régime UDPM sur
les crédits du deuxième Projet Urbain du
Mali. Mais ce sont les autorités de la
Transition démocratique puis celles de la
troisième république qui désigneront les
bénéficiaires des lots.
En 1993, plus de la moitié des 6 000
parcelles sont déjà distribuées sur décisions du gouverneur tant les demandes de
parcelles se comptent par milliers au gouvernorat16. A ce rythme les communes
réclament leur « part du gâteau » : le
lotissement concerne les demandeurs de
toutes les parties de l’agglomération, qui
ne trouvent pas sur place d’opérations
susceptibles de répondre à leurs candidatures répétées. Or celles-ci sont bien enregistrées depuis 1993 au niveau des mairies. Les pressions se multiplient donc
auprès du gouverneur qui tente de glisser
sur le terrain juridique : les communes
n’ont aucune prérogative domaniale et
n’ont pas contribué aux frais d’aménagement de la zone. Mais les maires refusent
de s’engager sur une position de principe
et se voient finalement accorder des
« quotas politiques » par le conseil du district : chaque municipalité pourra attribuer à « ses » administrés un paquet de
200 parcelles prélevées à Kalaban Coura
Sud, à l’exception de la Commune V qui
est dotée d’un quota de 800 lots. Le lotissement méridional prend place en effet
dans sa circonscription, et, aux dires du
maire, il doit contribuer à absorber les
refoulés de nombreux quartiers irréguliers
voisins. Mais il reste entendu que ces
« attributaires municipaux » continueront
de s’acquitter de leurs frais au niveau du
district.
Les intérêts communs des six municipalités volent ensuite en éclat lorsqu’il
s’agit de répartir les quelques centaines
de parcelles au sein des circonscriptions
respectives. Que pèsent ces quotas face
aux demandes qui sont transmises par
milliers aux municipalités ? Commune
par commune, les élus décident donc de
grilles de répartition interne qui suscitent
de vifs débats politiques. De même que
les autorités nationales viennent de promettre des quotas de parcelles pour les
corporations professionnelles les plus
mobilisées par leurs syndicats dans les
premières années du quinquennat, de
même on s’attache localement à trier les
16. La correspondance domaniale du gouvernorat du district de Bamako permet de compter environ
1 500 demandes de parcelles enregistrées par an entre 1987 et 1992. Or seulement 860 lots sont
attribués en moyenne par an entre 1985 et 1994. Il s’agit bien d’un marché de pénurie.
Grafigéo 1999-8
88
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
candidats à satisfaire en priorité.
La Commune IV formule ses choix en termes
politiques : les différents partis représentés au
conseil municipal se partagent « à la proportionnelle, et entre leurs militants respectifs »
une partie des 200 parcelles ; chaque service
public représenté au niveau local (enseignement, police, santé, justice, impôts, perception) est également doté de deux à trois lots ;
tous les conseillers communaux vivant en location, les employés municipaux chefs de famille
et locataires reçoivent une parcelle ; enfin, plus
de la moitié du quota est attribuée pour satisfaire des cas sociaux dont la solvabilité n’est
pas garantie auprès du district. Le paquet est
donc épuisé en quelques mois d’arbitrages.
Les attributions de Kalaban Coura Sud ont
mis les responsables de la Commune I mal à
l’aise et plus longtemps dans l’expectative : il
ne s’agit que d’un « reliquat infime qui de
toute façon ne débouchera pas sur des recettes
municipales ; on a voulu en fait opposer les
maires à leurs populations. Comment de plus
inciter les nombreux déguerpis de la circonscription à déménager à l’autre bout de l’agglomération ? »
Les décisions sont contestées de l’intérieur en
Commune III : alors que le maire a fait la proposition à ses conseillers d’un tirage au sort
parmi les milliers de candidatures, l’opposition
politique fait barrage et impose une répartition
des parcelles par quartiers (8 lots à distribuer
dans chaque subdivision de la commune) et
par conseillers municipaux (des attributions
très fléchées sur les militants). Le principe est
repris en Commune V où les conseillers municipaux ont chacun proposé « leurs bénéficiaires » selon le poids des quartiers qu’ils
représentaient : Quartier Mali reçoit un minimum de 25 parcelles, tandis que le maximum
de 200 lots revient au noyau villageois de
Kalaban Coura. Le reste du quota est ventilé
en sous-quotas : de deux lots pour le service de
la perception ou quatre pour la police à 20 lots
pour l’administration communale. Un lot pour
les conseillers municipaux locataires, une centaine de parcelles pour répondre aux
demandes individuelles par tirage au sort au
milieu de l’année 1994 : ici comme ailleurs la
gestion foncière prend l’allure d’une loterie de
compromis, teintée de clientélisme.
munes ont improvisé un prélèvement
financier à l’occasion de ces attributions
ponctuelles17, l’épuisement des quotas a
laissé les collectivités locales toujours
aussi démunies. Seul le crédit politique de
leurs élus a pu augmenter, mais en laissant sur la marge des frustrés plus nombreux que les satisfaits.
« Résidus » prélevés sur les zones
de recasement
Les nécessités du rattrapage urbain
offrent une deuxième occasion aux municipalités d’attribuer des lots au comptegouttes. L’ambiguïté vient du fait que les
réserves foncières immatriculées au nom
du district nourrissent des revendications
territoriales chez certains élus : « c’est
chez moi, donc c’est pour moi ».
La réhabilitation de Bamako a suscité
en ce sens des démarches officielles de
détournement domanial, comme l’accord
tripartite qui conduit la Commune I à
mobiliser l’une des zones de recasement
de Banconi sous les bons auspices de l’ACI
et du district. D’autres pratiques municipales moins avouables, qui associent
quelques « nantis » aux recasés démunis,
peuvent même être officialisées du fait de
la signature apportée par le gouverneur
du district aux décisions d’attribution. Ici
comme ailleurs, les lettres d’attribution
continuent d’être émises par la tutelle
administrative et les bénéficiaires des parcelles vont régler leur dû au Centre des
domaines du district. En 1995 et au début
de 1996, les registres du service permettent d’estimer que plus de 230 parcelles
ont été vendues hors recasement par la
Commune I sur la zone de Djoumanzana.
63 parcelles sont également prélevées sur
la zone de recasement de Djicoroni Para
par la Commune IV. Quelques morcellements supplémentaires se greffent encore
sur la réhabilitation de Daoudabougou
(Commune V) et sur l’opération de
Sokorodji (Commune VI).
Quand bien même certaines com17. « 10 000 francs de traitement des dossiers » en Commune V.
Grafigéo 1999-8
89
Décentralisation malienne
« Raccords » de fonds de lotissements
Des extensions rajoutées après l’approbation des plans d’urbanisme alignent
également les initiatives bamakoises sur
celles dont d’autres communes urbaines
sont coutumières à une échelle moindre.
Ces attributions municipales se greffent
sur des lotissements précédemment programmés et contribuent à une réelle surenchère de l’activité domaniale dans la
deuxième partie du quinquennat : alors
que 1 633 lettres d’attribution ont été délivrées par le Centre des domaines du district en 1994, l’année suivante et les six
premiers mois de 1996 permettent d’en
compter 2 593 et déjà 2 249. Une telle
inflation par rapport à la décennie 19851994 ne tient pas seulement à la liquidation des derniers emplacements disponibles dans les lotissements méridionaux.
S’esquisse également un retournement des
choix d’attribution au profit des communes à partir de 1995. Par exemple un
nouveau « raccord » est mené à la fin de
l’année dans le prolongement de Sogoninko-Complémentaire en Commune VI ;
44 parcelles sont attribuées en quelques
mois à 351 000 francs CFA (frais viabilisation compris) et cinq autres le sont à
101 000 francs (soit la seule taxe d’édilité). 94 parcelles à 301 000 francs et 130
parcelles à 200 000 francs sont également
vendues en 1996 en annexe de Baco
Djikoroni Extension et de Kalaban Coura
Complémentaire. C’est la Commune V qui
prend ici le relais de l’ACI et du gouvernorat sur des terrains déjà aménagés.
Ces deux raccords méridionaux rapportent au budget du district des sommes
trois fois supérieures (plus de 54 millions)
à celles que rapporte dans le même temps
le recasement des déguerpis de Djoumanzana (Commune I) sur 170 parcelles
attribuées à 101 000 francs. On comprend pourquoi le paiement efficace de
ces nouvelles clientèles conduit le gouvernorat à entériner les choix communaux.
Au milieu de 1996, le raccord de Kalaban
Coura Complémentaire en était d’ailleurs
à sa quatrième tranche d’extension. Les
frais d’aménagement des lots étaient versés non plus sur un compte du district,
comme dans le gros du lotissement administratif, mais sur un compte ouvert par
la Commune V. La nouveauté provient
surtout du fait que les communes vont
jusqu’à fixer elles-mêmes les frais d’aménagement des terrains sous l’argument
qu’elles seront maîtres d’œuvre des travaux en réquisitionnant pour cela les
engins du district. Dans ces conditions, la
viabilisation des bandes nouvellement
morcelées ne peut plus être, contrairement à la loi, préalable à l’attribution des
parcelles et à la construction des premières maisons. Elle restera d’ailleurs
négociées dans l’urgence et dans la pénurie de moyens techniques, en retrait des
objectifs généraux. Les sommes versées
pourraient donc irriguer d’autres opérations locales, mais elles resteront gérées
en dehors des budgets communaux.
« Stratégie des poches »18
Une dernière technique de mobilisation para-administrative apparaît depuis
1995. On approche en effet des élections
de 1997 et il convient de ne pas négliger
l’aspiration de la masse des citadins à
l’appropriation d’un terrain à bâtir. A la
multiplication des lettres d’attribution
contribue également, en effet, une gestion
officieuse des places publiques et autres
emplacements libres dans les anciens
lotissements. Elle permet à certains
maires de « libérer » ça et là quelques
dizaines de lots en marge de toute procédure réglementaire. 153 parcelles sont
découpées et attribuées sur des places
démembrées en 1995. Déjà 503 autres
bénéficiaires de cette même filière font
leur apparition dans le registre du Centre
des domaines du district au milieu de
l’année 1996. Cette mobilisation des
18. L’expression est du maire de la Commune III (entretien, août 1996).
Grafigéo 1999-8
90
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
« poches » urbaines au profit d’intérêts
particuliers concerne surtout Hippodrome et Bakaribougou en Commune II.
En Commune III, une autre place
réservée aux espaces verts est démembrée
dans le même temps par l’équipe du gouverneur et fournit une vingtaine de lots.
Alors qu’il a lui-même laissé réquisitionner une « poche » de sa circonscription, le
maire menace sa tutelle de casser « des
constructions qui n’ont rien rapporté au
budget municipal ». Cela n’améliore pas
les relations administratives entre le district et la commune. Cela prouve surtout
que la confusion foncière n’épargne plus
guère de collectivités territoriales.
La technique des « poches » souligne
finalement la vocation des communes à
satisfaire tantôt les intérêts citadins les
plus modestes, mais au prix d’aménagements sommaires, tantôt une clientèle
pressée de prendre rang moyennant
finances dans les concurrences à l’attribution du moindre terrain, fut-il comme en
certains cas vendu à plusieurs personnes
à la fois. Les prix des lots dépassent alors
aisément le million de francs CFA. Mais
l’aménagement des terrains ne suit pas
cette inflation des prix. Le relais foncier
est bel et bien engagé par les pouvoirs
locaux du fait des pressions politiques
exercées en conseil de district et des pressions sociales plus diffuses dans l’espace
urbain. L’ensemble définit plus que
jamais une offre kaléidoscopique de terrains à bâtir. Il contribue à l’hétérogénéité des parcellaires de quartier.
Les frais de toutes les parcelles attribuées par les communes en zones de
recasement (hors contingents de déguerpis), en raccords périphériques et en
démembrements des places publiques, se
montent aux totaux suivants pour le seul
premier semestre de 1996 (tableau 4).
Cette économie parallèle aux prévisions budgétaires locales est donc loin
d’être négligeable. Elle représente l’équivalent des budgets prévisionnels de deux
communes bamakoises. Le tableau fait
ressortir une opposition forte entre la
Commune III, centrale et ne disposant pas
de réserve foncière, et les périphéries méridionales dont les lotissements n’ont pas
encore atteint les limites du district.
Bloquées par une forte contrainte topographique, les communes du Nord ont pratiqué des morcellements internes à leurs
quartiers déjà constitués plutôt que de
petites extensions en raccord. La prise en
charge des aménagements fonciers apparaît également très variable d’une commune à l’autre, et au sein d’une commune
d’un secteur à l’autre : les communes septentrionales ne viabilisent guère ou perçoivent directement quelques montants de
l’aménagement sommaire qu’elles prennent en charge elles-mêmes ; du fait
d’opérations plus récentes et plus exigeantes, les communes du Sud recourent
davantage aux services techniques du district et lui font reverser les frais afférents.
Mais alors que l’aménagement d’une parcelle vendue par la Commune V nécessite
en moyenne plus de 108 000 francs, les
coûts unitaires montent à 120 000 francs,
en moyenne, dans les opérations de la
Commune VI.
Il n’en reste pas moins que le plus gros
Tableau 4 - Recettes domaniales du district de Bamako, premier semestre 1996
Janvier-juillet
1996
Commune I
Commune II
Commune III
Commune IV
Commune V
Commune VI
Total
Grafigéo 1999-8
Nombre de
parcelles
231
102
4
73
321
89
820
Sommes totales
23 331 000
10 302 000
404 000
7 371 000
67 256 500
19 545 175
128 209 675
Taxe
d’édilité
23 331 000
10 302 000
404 000
7 371 000
32 421 000
8 989 000
82 818 000
Frais de
viabilisation
34 835 500
10 556 175
45 391 675
91
Décentralisation malienne
des lettres d’attribution délivrées dans les
années 1994-1996 concerne des lots de
recasement ou des parcelles régularisées
dans les zones de réhabilitation. C’est bien
le programme spécial « Sauvons notre
quartier » qui offre aux communes l’occasion d’expérimenter de réelles pratiques
foncières, mais pour une clientèle citadine
qui est déjà essentiellement en place.
Cette surenchère de gestions bricolées
conduit finalement les autorités du Mali à
une décision autoritaire à la fin de l’année
1996. La perspective des élections prochaines rend l’enjeu foncier trop sensible
pour donner libre court aux initiatives
décentralisées. D’autres conjonctures de
la vie politique nationale l’ont déjà montré sous les première et deuxième républiques (Bertrand, 1990). « Halte aux
attributions de parcelles ! » exige l’État.
Dans une circulaire du 21 novembre 1996
adressée à tous les gouverneurs, commandants de cercle, chefs d’arrondissement et
maires, le ministre de l’Administration
territoriale et de la Sécurité suspend ainsi
« jusqu’à nouvel ordre toute attribution de
parcelles à usage d’habitation, commercial ou de concession rurale dans leurs
régions, districts, communes et localités
respectives ». La démarche fait suite à une
décision du conseil des ministres du 19
novembre 1996 qui vise à mettre un
« holà à des pratiques souvent douteuses
développées par des équipes en fin de
mandat ou par des administrateurs désireux de prendre la décentralisation de
vitesse ».
La décision suscite une vive protestation des maires du district de Bamako et
des populations concernées par l’opération « Sauvons notre quartier » : le programme de recasement a été décidé par
les mêmes ministres qui en interdisent
aujourd’hui le déroulement pratique ; les
maires ont été déjà pénalisés par les lenteurs de programmation technique du
district ; la décision de blocage foncier
intervient alors que les casses sont pratiquement terminées à Daoudabougou et
Djikoroni et que les populations déguerpies attendent en masse d’être recasées.
Grafigéo 1999-8
Or dans le même temps l’ACI se voit
octroyer l’aménagement de 243 ha en
Communes V et VI, dans la perspective
du troisième Projet urbain. Les pauvres
se verront-ils refuser la sécurisation de
leur habitat alors que les riches continueront d’accéder en toute quiétude au marché des enchères et à la possibilité d’y
cumuler des parcelles ?
Les élus regrettent surtout de ne pas
avoir de vision claire des différentes opérations concernées par la mesure.
L’administration du district elle-même est
mise en cause puisqu’elle continue jusqu’après janvier 1997 de délivrer des
lettres d’attribution. Une fois de plus, les
décisions du moment mettent en question
l’orientation durable de l’agglomération
vers une gestion décentralisée.
Fragmentation de la gestion
urbaine
Au terme de trois années d’un programme d’envergure et de pratiques plus
souvent admises que réglementaires, les
initiatives municipales apparaissent différenciées. Le renouvellement des élus
locaux est maintenant prévu pour l’année 1998. Le second quinquennat confirmera ou non si cette configuration municipale s’inscrit de manière durable dans
la réalité bamakoise, ou si elle n’est que la
forme circonstancielle de relations fortement personnalisées. La place de l’ACI
dans la mobilisation foncière du district
devrait croître au détriment d’une marge
de manoeuvre locale, puisque le troisième
Projet Urbain du Mali affecte à l’agence
la responsabilité commerciale des derniers secteurs à urbaniser au Nord-Est,
au Sud-Est et au Sud-Ouest. A terme,
environ 15 000 nouveaux lots, découpés
sur près de 750 hectares, compléteront
une trame urbaine déjà constituée de plus
de 57 000 parcelles bâties en 1987.
Pour l’heure subsiste une réelle
contradiction entre décentralisation et
cohésion de la gestion de Bamako ; l’élection à venir d’un « grand maire » laisse
tout un chacun dubitatif sur l’atténuation
92
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
du risque de fragmentation urbaine.
Scissions politiques, divisions électorales
et intérêts particuliers en tous genres ont
déjà montré le manque de volonté fédératrice dans la capitale. Comment ainsi
organiser le transfert des déguerpis d’une
commune qui ne dispose pas de réserve
domaniale vers les zones de recasement
d’une commune voisine ?
La question se pose concrètement à Niomirambougou où s’affrontent par maires interposés
un « bon droit » du sol et un « bon droit » de
l’investissement. Situé au nord-ouest de l’agglomération, cette petite extension irrégulière
prolonge les lotissements de Badialan. Les
habitants revendiquent le contrôle coutumier
d’anciens domaines agricoles que la délimitation des Commune III et IV a isolés administrativement du reste du quartier. Alors que le
vieux noyau villageois est implanté au nord du
marigot frontalier, en Commune III, les terres
revendiquées se trouvent rattachées au territoire de la Commune IV. Si le contentieux des
limites administratives dépasse fort les habitants du petit quartier, plus sensibles sont pour
eux les enjeux de l’école « que le quartier a
construite » et du recasement des populations à
déguerpir dans le cadre de « Sauvons notre
quartier ». L’établissement scolaire est désormais rattaché à la Commune IV et Niomirambougou s’estime amputé de l’investissement
pour lequel les parents d’élèves ont cotisé.
Faute de place pour aménager une zone de
recasement à proximité du secteur irrégulier, les
services techniques de l’urbanisme envisagent
également de confier les futurs déguerpis de
Niomirambougou aux autorités de la Commune IV. La mesure arrangerait les responsables de la Commune III qui ne disposent
d’aucun terrain pour recaser qui que se soit.
Dans les limites administratives de la Commune IV par contre, une petite zone de deux
hectares située au flanc de la corniche septentrionale offre une disponibilité de plus d’une
centaine de parcelles. C’est précisément le
domaine que les habitants de Niomirambougou
persistent à envisager comme étant de leur
autorité coutumière. A ce « bon droit » oral
répond le maire de la Commune IV en s’appuyant sur une domanialité moderne : les parcelles de sa circonscription seront destinées en
priorité aux recasés de la commune ; les gros
effectifs de déguerpis de Djikoroni, au sud de la
circonscription, ne trouveront sans doute pas
tous leur place à proximité de leur quartier
d’origine, et la zone septentrionale de
Niomirambougou devra être mobilisée pour
répondre à leurs besoins. Au total, les populations pourraient donc être prises en tenailles
entre deux légitimités communales, ellesmêmes mal soutenues par leur tutelle administrative, si les contentieux environnants ne sont
pas résolus.
On comprend dès lors pourquoi l’aspiration des communes à plus de pouvoir
n’apparaît pas sans risques. A chaque
commune ses alliances personnelles, ses
rapports de force avec d’autres acteurs
institutionnels et ses tensions internes.
Une typologie permet ainsi de dégager
quelques profils municipaux.
La perspective d’un « entrepreneuriat
municipal »
Les autorités des Communes I et III
illustrent un premier type de gestion
volontariste. Deux maires issus de partis
d’opposition se disent appartenir à une
« génération sans passé politique », c’està-dire qui échappe aux compromissions
de l’ancien régime UDPM et des relations
personnelles qui perdurent par-delà le
changement de république. Le premier
campe la modernité de sa fonction dans
les relations qu’il tente d’établir avec les
« opérateurs économiques », et dans le
partenariat également engagé avec les
deux agences phares des bailleurs de
fonds internationaux : avec l’ACI, comme
on l’a vu, la Commune I recase une partie des déguerpis de Banconi sur une zone
partagée à cet effet avec les crédits du
Projet Urbain du Mali ; avant cela, les
locaux de la mairie ont été financés dans
le cadre des appels d’offre gérés par
l’Agetipe. « Ici contrairement à ailleurs on
fait peu de tapages car on a privilégié
l’implication maximum de la population
sans nier le pilotage du gouvernorat. La
Commune I comporte un nombre important de quartiers irréguliers par rapport
19. Entretien avec le secrétaire général de la Commune I, avril 1994.
Grafigéo 1999-8
93
Décentralisation malienne
au reste de Bamako. Mais elle est aussi en
avance sur les réhabilitations. »19
Quant au maire de la Commune III,
élu comme troisième homme en 1992
dans la concurrence de deux leaders plus
en vue, il affiche son esprit d’entreprise
sur un double terrain. L’impératif de
réhabilitation urbaine implique d’abord
que la commune mobilise et gère sans
retard d’importants crédits en dehors de
son budget en faveur de populations
cibles : financements du Projet urbain, via
l’Agetipe, pour la réhabilitation des marchés centraux, recherche d’un partenariat
avec les ONG20. « Ces collaborations ont
permis à la commune de mener à bien les
travaux d’aménagement des trois quartiers concernés par “Sauvons notre quartier” en court-circuitant les techniciens du
district et en évitant de courtiser le gouverneur »21. Sur un autre plan, le maire est
celui qui valorise le plus l’impératif de
publicité et d’organisation des communes
en réseaux national et mondial. Président
de l’Association des Maires du Mali, il
représente ses homologues au sein du
module Afrique de l’Ouest du PDM.
« L’association est née sous le régime
UDPM, mais elle a connu un nouvel essor
sous la troisième république. Ses statuts
et règlements intérieurs ont été entièrement repris, un nouveau bureau a été élu
par 17 des 19 maires maliens, les cinq
communes constituées en mai 1992 restant alors fictives faute d’élections municipales et surtout de budget. L’association
est surtout relancée par le soutien qu’elle
reçoit du PDM et par les échanges avec les
autres associations africaines du même
type. L’impulsion manque encore de
vigueur au Mali du fait du petit nombre
de communes urbaines impliquées ; le
versement par les communes des cotisa-
tions mensuelles de 10 000 francs CFA est
encore incertain. On peut cependant
compter maintenant sur un siège à
Bamako, un petit local de trois pièces
doté d’une secrétaire et d’un ordinateur. »
Partie prenante de plusieurs séminaires et
débats sur la décentralisation, l’AMM fait
entendre ses principales revendications
concernant l’absence de régie des maires
et l’unicité de caisse à laquelle leurs budgets sont soumis. « D’après le modèle
français, le Trésor peut faire des avances
aux collectivités décentralisées. Mais dans
les faits le Trésor monopolise et bloque le
crédit municipal, quand il existe, pour les
besoins financiers de l’État. Ainsi, un
maire peut difficilement effectuer un
mandat faute de liquidités. Comment
demander à un agent municipal d’augmenter son rendement alors qu’il attend
son salaire pendant plusieurs mois ? »
Épreuves de force
Deux communes se distinguent ensuite par les mauvaises relations auxquels
elles ont été soumises tant avec la tutelle
du district qu’avec « la base ». Le maire
de la Commune IV a été à de nombreuses
reprises classé comme « le seul maire
Adema » de Bamako, ce qui n’a guère
empêché de difficiles relations avec la
commune voisine (III), le gouvernorat et
l’ACI. Comme on l’a vu, convoiter la vaste
réserve foncière conduit à concrétiser
deux sensibilités politiques au sein du
parti majoritaire : les « populistes » mettent en avant la « nécessité de loger avant
tout les sans abris » ; les « libéraux » prônent « la transparence du marché et la
cohérence de la gestion urbaine ». Ce bras
de fer local de la gestion bamakoise
annonce à bien des égards des confronta-
20. Dans le quartier irrégulier de Samé une première tranche de travaux était achevée en 1996 à
l’initiative de la Commune. Après quelques casses au bulldozer pour élargir des voies, l’ONG
malienne Alphalog procéda au creusement de caniveaux sommaires en collaboration avec
l’Association de développement de Samé (contribution en main-d’œuvre et cotisations). Notons
que d’une manière générale les communes et les associations de quartiers de Bamako misent peu
sur une contribution directe du jumelage avec la ville d’Angers, les relations avec la collectivité
française paraissant accaparées par le district.
21. Entretien avec le maire de la Commune III, août 1996.
Grafigéo 1999-8
94
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
tions grandissantes dans le futur de la
décentralisation.
Pendant plus de trois années également, le maire de la Commune V est
apparu sur le front des résistances que la
« société civile » de Sabalibougou, relayant celle de Daoudabougou dans les
années 1980, imposait à sa gestion. « Un
maire au charbon » titre souvent la presse, un maire qui n’hésite pas à intervenir
sur les ondes et à la télévision, autant de
canaux d’expression démocratique qui
animent la décentralisation tout en la
biaisant souvent. Deux zones de recasement et une réserve domaniale ne simplifient pas la tâche, loin s’en faut, dans ce
vaste front méridional tant les strates
d’occupants illicites, les associations, les
clientèles politiques, les collectifs d’usagers d’hier et d’aujourd’hui sont intriqués
dans des intérêts contradictoires. « Assainir la situation face aux tergiversations
antérieures, éviter les violences, les délégations intempestives et toutes les formes
de récupération des manifestations populaires », tels sont les objectifs de ce que le
maire, qui situe son mandat dans un
« quinquennat sacrifié », qualifie de
bourbier.
Leaderships locaux sous l’angle de
« magouilles » et de blocages
Un héritage clientéliste lourd profile
enfin un troisième type de fonctionnement des équipes municipales.
Au titre des prévarications, le maire de
la Commune II, qui est par ailleurs candidat à la députation en avril 1997, fait
l’objet d’une mise en accusation importante à la fin de son mandat. Son premier
adjoint est également concerné. Une fois
de plus, la gestion foncière est en cause, et
particulièrement les initiatives prises par
la municipalité sous couvert de l’opération « Sauvons notre quartier ». La réhabilitation du quartier irrégulier de
Bougouba aurait ainsi permis d’engager
une vaste opération de spéculation à
laquelle s’attache une enquête en cours.
Alors que le plan de lotissement du secGrafigéo 1999-8
teur n’était pas encore adopté par les
techniciens du district, dont on connaît
les lenteurs, près de 4 000 décisions d’attribution auraient été vendues au niveau
de la commune, dont plus de 3 000 à des
personnes extérieures à la zone. Environ
650 bénéficiaires seulement seraient des
familles concernées à juste titre puisqu’elles habitaient auparavant le secteur
le plus enclavé de Bougouba.
Si ces attributions d’initiative locale ne
sont pas toutes irrégulières, certaines
listes (quatre ou cinq comportant chacune plusieurs centaines de noms) intriguent bien les enquêteurs. L’une d’elle
aurait été falsifiée pour gonfler une série
de bénéficiaires de plus de 500 à près de
900 personnes, avec des noms revenant
plusieurs fois. D’autres noms apparaîtraient sans adresse, sans doute l’indice
de cumuls déguisés ou de promesses de
reventes en sous-main. Les spéculateurs
auraient été aidés par une procédure
domaniale pleine de trous qui leur aurait
permis d’obtenir des convocations vierges
qu’ils remplissaient à leur convenance,
puis de rectifier la liste initiale en changeant un nombre élevé de noms.
Additions et manipulations diverses
auraient permis au maire d’avoir à sa disposition un volant important de terrains
sur lesquels aurait spéculé un réseau
chargé de la vente des convocations.
Comme dans une affaire du même genre
dévoilée dix ans plus tôt dans la commune de Koutiala (Bertrand, 1994) une
large gamme de prix pratiqués aurait
permis de hiérarchiser les vendeurs et les
clientèles : alors que des parcelles ont été
vendues sans considération technique de
500 à 600 000 francs CFA, d’autres plus
proches du fleuve ont été cotées de 3 à
4 millions. Les rectifications de noms sur
les listes auraient été facturées à 100 000
francs CFA sans reçu.
Avec la reprise en main du dossier par
la tutelle administrative, les détenteurs de
promesses d’attribution pour Bougouba
risqueront donc de se retrouver Gros Jean,
avec dans le meilleur des cas le remboursement des frais d’édilité (100 000
95
Décentralisation malienne
francs CFA) en guise de consolation. C’est
sans doute considérer le clientélisme
municipal du seul point de vue de l’offre
de parcelles, et oublier à bon compte la
pression prégnante de la demande.
Personne n’a identifié « son » terrain, pour
la bonne raison que le morcellement du
secteur ne s’est pas fait. Certains ne disposent pour tout justificatif de l’argent qu’ils
ont versé que d’un reçu manuscrit établi
sur une feuille volante. En réalité, l’ampleur de l’opération témoigne de l’audace
de spéculateurs masqués sous la bannière
d’une liberté d’action locale, mais aussi,
structurellement, d’un marché foncier de
pénurie, segmenté et hiérarchisé, dans
lequel des citadins avertis peuvent à tout
moment manquer de prudence.
Quant à la Commune VI, ses initiatives
apparaissent les plus médiocres au sein du
district. Le cas s’explique par une situation de blocage politique pérennisé sur les
bases d’un clivage municipal hérité des
« tendances » et des concurrences personnelles au sein de l’ancien parti unique. Le
maire appartient à l’opposition gouvernementale (il est membre du Parti pour la
Démocratie et le Progrès) mais il aurait
été contesté dès son élection ; une première pétition fut signée par la majorité des
49 conseillers municipaux et adressée au
ministère de l’Administration territoriale
et de la Sécurité pour réclamer sa destitution, au motif de « vente illicite de parcelles et détournement de plusieurs millions sur le budget municipal ». Le
gouvernorat aurait maintenu le statu quo,
le maire rétorquant qu’il « ne coulerait pas
seul dans l’affaire ». Une seconde pétition
fut signée par un collectif plus restreint de
conseillers municipaux.
« Au cours des consultations régionales de
1994, la commune méridionale se fait remarquer par la concentration de “querelleurs”
qu’elle offre aux téléspectateurs. Sur les bancs
du théâtre Bazoumana Sissoko (lieu des
débats), les participants avaient une occupation spatiale éloquente. Ils avaient en effet
formé des groupuscules selon leurs appartenances politiques ou associatives en prenant
soin de matérialiser par des chaises vides les
limites de leur zone. » Des intervenants aux
débats mettent l’accent sur le « manque d’initiative des autorités municipales dans l’exécution de certains travaux, même quand ceux-ci
sont financés comme le complexe sportif »22.
Le scénario rappelle en effet la vie
mouvementée des clans UDPM locaux.
Que les accusations soient fondées ou
non, l’atmosphère de soupçon réactive un
« vieux problème politique ». Le maire de
la troisième république est en réalité l’ancien secrétaire général du comité UDPM de
Faladiè-Village. A ce titre il représentait
une tendance du parti unique auquel
s’opposait, jusqu’au sein du Bureau exécutif central, les représentants d’une tendance rivale. Au dire d’autres maires, « ça
continue de bagarrer au sud de Bamako
avec les mêmes clans D. contre M. ». Le
blocage va jusqu’à contaminer le débat
du conseil du district : « le gouverneur
nous avait fait la proposition de déconcentrer au profit des communes certains
prélèvements fiscaux comme une partie
des patentes et des licences qui nous
reviendrait à 30 %. Nous avons alors discuté pour porter la déconcentration à
60 % compte tenu du fait que les communes doivent assumer des tâches d’assainissement et d’aménagement. Malheureusement, les communes ne font pas
bloc au sein du district à cause des
conseillers municipaux qui ne suivent pas
leurs maires. Les divisions se sont manifestées surtout en Commune VI. »23
Clientèles foncières, division
sociale de l’espace urbain
Pour caractériser les clientèles foncières des communes qui anticipent sur la
décentralisation, on peut d’abord les
comparer aux clientèles que le gouvernorat du district de Bamako a sélectionnées
de manière centralisée. Les attributions
22. « Concertations régionales dans le district », L’Essor Hebdo, 27-28 août 1994.
23. Entretien avec le maire de la Commune III, août 1996.
Grafigéo 1999-8
96
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
de parcelles, créées ou sécurisées après
une occupation antérieure, peuvent être
également comparées à la demande de
terrains à usage d’habitation. Elles peuvent être enfin comparées à l’offre des
parcelles vendues aux enchères par l’ACI
à partir de 1992. Nous disposons pour
cela de quatre séries de données24
(tableau 5).
1. la demande totale de 3 023 personnes
ayant déposé leur candidature pour
l’obtention d’un lot au cours des deux
années 1997 (régime UDPM) et 1992
(troisième république, dernière année
de l’enregistrement des demandes
auprès du gouvernorat) ;
2. un sondage au 1/10 de 862 bénéficiaires de lettres d’attribution délivrées
de 1985 à 1994 par le gouvernorat. Il
s’agit d’une clientèle que les communes n’ont pas contribué à sélection-
ner, tant sur des parcelles neuves
(lotissements diversement viabilisés)
que sur des parcelles régularisées (gestion de rattrapage) ;
3. le relevé exhaustif des 1 356 bénéficiaires de la gestion de rattrapage
(régularisations et recasements25) entre
1994 et juillet 1996, soit 22 % des
attributaires de la période. Les communes sont désormais responsables de
leur sélection, même si, comme on l’a
vu, le gouverneur continue de signer les
lettres d’attribution et de faire encaisser
au moins la taxe d’édilité des parcelles.
Les municipalités désignent même jusqu’à un client sur quatre du district si
l’on ajoute à cette gestion de rattrapage
les attributaires que les « poches » et les
raccords de lotissements ont également
satisfaits.
4. Enfin, la clientèle de l’ACI ressort de la
Tableau 5 - Distribution socio-économique de la demande et
des segments de l’offre administrée, communale, ACI
Activités (%) / Segments
fonciers
PRINCIPAUX GROUPES
Actifs indépendants
Total salariés
Salariat privé
Salariat fonction publique
Divers autres
SOUS-GROUPES
Ménagères
Commerçants
Artisans
Chauffeurs
Actifs agricoles
Ouvriers
Corps enseignant
Tous ingénieurs
Tous comptables
Tous inspecteurs
Services économiques et
financiers de l’État
CMDT-HUICOMA *
Total identifié
Demandes
1987-1992
Attributions 1985- Attributions 1994- ACI 19921994 (district)
1996 (communes)
1994
31,1
64,5
12,4
50,3
4,4
55,9
40,0
9,6
26,6
4,1
63,9
32,3
14,9
13,8
3,8
30,8
64,2
24,0
34,9
5,0
11,7
7,8
3,7
2,6
1,4
7,6
2,2
3,2
1,0
2,0
12,8
10,4
10,4
5,6
7,4
1,5
4,1
1,9
2,1
1,8
1,8
18,9
13,3
11,2
3,3
8,0
1,2
2,0
1,9
1,8
1,4
1,3
6,1
10,1
3,1
1,8
6,5
4,7
9,2
4,7
3,7
3,7
100,0
100,0
100,0
7,4
100,0
* Compagnie malienne de développement textile, Huileries cotonnières du Mali.
24. Relevés personnels : section domaniale du gouvernorat (avril 1993), Direction nationale des
Impôt (avril 1994), Centre des domaines du district (mai 1994 et août 1996).
25. Durant ces 18 mois, les trois quarts des lettres d’attribution délivrées par cette gestion de rattrapage sont le fruit de recasement. Les déguerpis sont en effet dans l’obligation de s’acquitter des
frais domaniaux pour se voir désigner leurs emplacements. Au contraire, les « régularisés sur
place » sont peu prompts à s’acquitter des montants requis puisque toute menace de casse est
désormais suspendue.
Grafigéo 1999-8
97
Décentralisation malienne
propriété immatriculée entre 1992 et
1994 avec un sondage au tiers de
2 182 acheteurs dans les lotissements
méridionaux de Baco Djikoroni et de
Kalaban Coura Sud.
Attributions administratives, 1985-1994 :
renforcement des sélections ?
Les demandes de parcelles à usage
d’habitation montrent d’abord une évolution sensible de 1997 à 1992. Non seulement le changement de régime a multiplié les candidatures de manière
inflationniste, mais il a entraîné la recrudescence des voeux des salariés bamakois. Ces pressions salariales s’exercent
notamment dans le dépôt de demandes
groupées qui tentent de peser sur la nouvelle autorité politique pour compenser
les frustrations que la gestion UDPM a
précédemment accumulées. Travailleurs
en proie aux retard de salaires de plusieurs mois, au pouvoir d’achat profondément dégradé depuis 1984, insuffisamment dotés en terrains au profit d’une
bourgeoisie commerçante, ils plaident
pour un rattrapage social sous les bons
auspices du régime pluraliste.
Dans les premières années du quinquennat, en effet, c’est directement auprès
de l’État que de multiples revendications
catégorielles et marchandages corporatistes exigent la transparence des attributions selon le critère de la nécessité.
Avocats et enseignants donnent le ton dès
mai 1992 : en contrepartie d’une révision
à la baisse de leurs doléances salariales, ils
obtiennent une distribution particulière de
parcelles prélevées dans le lotissement
administratif de Kalaban Coura Sud au
sud de l’agglomération. Ce type d’accès
privilégié aux nouveaux lots (une centaine
pour les premiers, 500 pour les seconds)
reproduit la formule pragmatique, jusque-là réservée aux situations plus
confuses, d’un paiement en nature des
obligations publiques. Le niveau décisionnel du district est bien court-circuité, ce
qui s’est déjà vu dans l’histoire de Bamako
Grafigéo 1999-8
comme des autres régions. Par contre ce
nouveau corporatisme qui affecte les
clientèles foncières de l’État s’inscrit dans
des négociations désormais ouvertes et
trouve des échos médiatiques inédits.
Les pressions syndicales directes sont
bien vite accompagnées de demandes en
séries par branches professionnelles, par
unités techniques de travail ou encore par
services déconcentrés dans l’agglomération. A un niveau professionnel de plus en
plus fin, s’accumulent les demandes
groupées du ministère de l’Administration territoriale (des plantons jusqu’aux cadres), de l’Office national des
Transports, de la Direction des Travaux
publics, du service sanitaire Onchocercose, de la Société des Télécommunications
du Mali, des professeurs de l’ENA, du personnel malien du PNUD, des travailleurs
de l’ASECNA, de diverses banques, de
l’Office de la radio-télévision du Mali...
jusqu’aux « 144 éléments de la fanfare
nationale ». L’effet de masse et la tentative de percée politique du salariat se fragmente désormais. Les employés des services techniques du district et les
personnels des communes contribuent
particulièrement à ces « solidarités de
bureaux » : secrétaires, agents des recettes
et des perceptions, employés de mairies
représentent 30 % des demandeurs de la
fonction publique en 1992. L’emploi
salarié est certes moteur dans l’expression
d’une citoyenneté exigeante à l’égard des
autorités du pays, mais la formulation de
ses besoins résidentiels n’échappe pas à
un réel émiettement (Bertrand, 1995). Le
pouvoir politique national s’empresse
désormais de renvoyer les doléances particulières au ressort administratif du gouvernorat de Bamako.
Le changement de régime influence
donc les caractères socio-économiques de
la demande. L’année 1987 sur-représente
les actifs non salariés, souvent de revenus
incertains et médiocres, et les femmes
non actives ; ces ménagères demandent
généralement des parcelles pour le compte de Bamakois déjà propriétaires d’un
lot. L’année 1992 sur-représente au
98
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
contraire les salariés employés par le district et ses communes, et par conséquent
les femmes actives (secrétaires et comptables notamment). Les salariés ont
développé un réel crédit politique à la
faveur de la transition démocratique, et
tenté de compenser le faible crédit financier de leurs requêtes domaniales sous le
régime précédent. Mais alors que le salariat public et privé concentre près des
deux tiers des demandes de parcelles, il
ne pèse plus que pour 40 % dans les attributions menées par le gouvernorat entre
1985 et 1992. Le premier niveau de
déconcentration des responsabilités
domaniales serait-il peu sensible à cette
clientèle ?
La comparaison des demandes et de
l’offre foncière décennale montre en effet,
en amont des interventions communales,
l’effet sélectif du marché bamakois.
L’insuffisance des terrains a joué à deux
niveaux : sur les critères financiers d’une
part, car les candidats à l’appropriation
doivent être de plus en plus solvables
pour répondre aux exigences de viabilisation des lotissements administratifs qui
font monter les prix des parcelles26 ; des
tris politiques ressortent d’autre part de
cas fréquents de cumuls de parcelles ou
encore du rôle de prête-noms que jouent
bien des ménagères dépourvues de ressources propres. Ces sélections ont joué
principalement au détriment du salariat
de la fonction publique qui reçoit moins
du quart des lettres d’attribution alors
qu’il pèse pour la moitié de la demande.
Le bénéfice revient au contraire aux actifs
indépendants (moins du tiers de la
demande, plus de la moitié des attributions), principalement aux commerçants,
aux artisans et aux chauffeurs qui réalisent les plus grosses progressions relatives
de la demande à l’offre administrative.
Particulièrement discriminée, la catégorie
des enseignants pèse dans les choix d’attribution du gouvernorat pour moitié
moins que dans la demande. On comprend pourquoi la nécessité d’un rattrapage est formulée en termes politiques
directement au niveau central de l’État
après la Transition démocratique.
Gentrification dans l’offre ACI/ régulations communales
D’autres segments du marché foncier
spécialisent davantage les clientèles par
rapport au tri administratif central du
gouvernorat du district. Les initiatives
des communes augmentant en même
temps que la percée commerciale de
l’ACI, il convient de comparer les offres
respectives des unes et de l’autre.
Incontestablement, l’effet sélectif des
ventes aux enchères se lit dans les profils
socio-économiques des acquéreurs de
titres fonciers définitifs auprès de l’ACI.
Pendant les deux premières années de
son activité, les parcelles vendues à
Kalaban Coura Sud et à Baco Djikoroni
ont des superficies moyennes de 380 et
350 m2, soit des tailles comparables aux
lots classiques. Mais les prix moyens de
vente sont montés à 692 000 et
1 189 380 francs après enchères. L’inflation progresse encore plus vite dans la
dernière opération ACI 2 000 où les premiers lots vendus affichent des prix de
plusieurs millions en 1996.
L’écart avec l’offre du district (de
simples concessions domaniales) est donc
frappant. Il justifie la concentration des
acheteurs sur un salariat fortement majoritaire, mais désormais trié parmi les
cadres et les techniciens d’entreprises dynamiques : les ingénieurs et les inspecteurs
réalisent de fortes progressions depuis la
26. Votée en 1983, la Loi 82-122 induit de nouveaux coûts d’aménagement foncier. A la taxe d’édilité de 100 000 francs s’ajoutent les frais de nivellement des voies, de creusement de caniveaux à
ciel ouvert, éventuellement d’adduction d’eau et d’électrification. Dans les principales opérations
programmées à la fin des années 1980 dans les périphéries méridionales de Bamako, les prix montent à 301 000 francs CFA (Faladiè-Village), 325 000 francs (Faladiè-IJA), 351 000 francs
(Kalaban Coura Sud) et 363 000 francs (Magnambougou Extension-Sokorodji).
Grafigéo 1999-8
99
Décentralisation malienne
haute administration financière de l’État
et les deux entreprises cotonnières du
pays. La percée des ouvriers d’usine correspond non pas à un salariat modeste,
mais plutôt à l’investissement des Maliens
de France, clientèle solvable s’il en faut,
que l’ACI s’évertue à attirer surtout après
la dévaluation du franc CFA.
Les actifs indépendants reculent donc
nettement dans l’offre ACI par rapport
aux attributions administratives, à l’exception des commerçants qui pèsent d’un
même poids dans les deux segments.
C’est d’ailleurs le groupe professionnel le
mieux représenté dans les ventes aux
enchères, et le plus impliqué dans les
cumuls de parcelles.
Ce segment commercial est donc très
vite perçu comme élitiste par les maires et
par les citadins ordinaires. Cela permet
de comprendre a contrario les choix
sociaux des communes et la fonction de
régulation que les équipes municipales
exercent à la faveur des réhabilitations
urbaines.
Entre 1994 et 1996, en effet, la gestion de rattrapage inverse de nouveau le
rapport entre salariés et actifs indépendants. Les sélections du district en faveur
des seconds s’accentuent ; les clientèles
des municipalités se spécialisent encore
davantage autour des activités informelles. Prompts à s’installer dans les
quartiers irréguliers, aux prix de stratégies parfois spéculatives, les commerçants
sont les premiers à bénéficier de la sécurisation foncière dans les anciens tissus ou
sur les trames neuves du recasement.
Leur présence est ici record, mais elle
concerne des marchands et des vendeurs
moins nantis que leurs collègues investisseurs du marché ACI. Fortement représentés dans le quartier Hippodrome, ils
révèlent également les attributions en
sous-main auxquelles conduisent le partage des zones de recasement entre
déguerpis et non nécessiteux, et le
démembrement des « poches » publiques.
La modestie économique générale des
clientèles de rattrapage se lit surtout à
travers le poids record des retraités, des
actifs agricoles et des ménagères. Cellesci viennent en tête des attributions avec
près d’une parcelle sur cinq. Mais on
compte ici plus de veuves chargées de
famille, installées dans les quartiers irréguliers faute de ressources, que de prêtenoms de plus riches chefs de ménage. A
l’inverse, les cadres moyens et supérieurs
de l’État sont à leur plus bas niveau de
représentation ici, tant ils ont négligé les
stratégies d’appropriation irrégulière au
profit du secteur locatif et dans l’attente
des attributions administratives.
A travers l’opération d’envergure de
« Sauvons notre quartier »27, la clientèle
communale présente donc un record de
polarisation socio-économique : les seuls
groupes des ménagères, commerçants,
artisans, actifs agricoles et employés de
commerce concentrent près de 61 % des
lettres d’attribution délivrées. Les attributions profitent pour un quart aux activités
marchandes : commerçants et employés
de commerce, auxquels s’ajoutent des
bouchers, des boulangers, des restaurateurs et surtout une masse de vendeursétalagistes aux revenus modestes.
Dans la pratique enfin, le segment du
rattrapage débouche sur les prix de cession foncière les moins élevés du marché
bamakois. Rares sont les frais d’aménagement versés effectivement dans les caisses
du gouvernorat en plus de la taxe d’édilité incompressible. Seule la viabilisation de
Daoudabougou justifie un record de
172 000 francs CFA perçus en moyenne
par parcelle, mais qui reste bien inférieur
aux montants mentionnés plus haut pour
les lotissements administrés par le gouvernorat. Le transfert de responsabilité
aux communes a donc forgé sur le terrain
un segment peu coûteux, dont les objectifs d’aménagement sont réalisés au
rabais ou remis à plus tard. Plus qu’une
27. Rappelons que les 18 mois étudiés entre 1994 et 1996 concernent surtout les quartiers irréguliers de Djoumanzana et de Boulkassoumbougou-Bobobougou en Commune I.
Grafigéo 1999-8
100
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
réhabilitation proprement dite, « Sauvons
notre quartier » est une opération de
sécurisation foncière qui recouvre encore
insuffisamment ses coûts.
Nouveaux tris communaux : des poches
spéculatives
La logique de la sélection financière
n’est cependant pas absente de ces premières expériences communales, tant il
est vrai que la décentralisation implique
un transfert de ressources au niveau
local. Faire payer ceux qui sont solvables
pour aménager sommairement quelques
terrains à destination des pauvres, telle
est la devise qui s’impose au travers de
quelques places urbaines morcelées ça et
là en terrains d’habitation. La
Grafigéo 1999-8
Commune II (Bougouba) l’a déjà montré
en vendant plusieurs centaines de parcelles à des prix qui ont varié en fonction
des clientèles retenues plus qu’au regard
des niveaux d’aménagement foncier.
Plus discret, un petit morcellement de
52 parcelles est mené dans le même
temps derrière l’École supérieure de la
Santé (Commune III). Les lots sont vendus à 1 500 000 francs, mais ces montants élevés n’apparaîtront pas dans le
registre domanial du district. Beaucoup
de commerçants de la circonscription se
sont d’ailleurs portés candidats à l’achat,
un seul se proposant même de prendre
10 parcelles au comptant ! Mais le maire
préféra retenir, contre l’avis de ses
conseillers, une sélection de fonctionnaires car les employés des deux hôpitaux
101
Conclusion
Conclusion
A
U TOTAL, plus de 2 000 lettres d’at-
tribution sont donc délivrées par
an en moyenne entre 1994 et
1996, toutes parcelles confondues (gestions neuves et de rattrapage). On dépasse de beaucoup le rythme des attributions
de la période décennale précédente
(moins de 900 lettres délivrées annuellement entre 1985 et 1994). Par rapport
au monopole domanial du gouvernorat,
la transition communale qui se dessine
est bien loin de freiner la tendance à la
dilapidation foncière que l’on observait
déjà de la deuxième république à la
Transition démocratique. Un nouveau
schéma de clientélisation se développe,
au niveau local, autour d’une proportion
non négligeable de terrains à usage d’habitation. La gestion municipale occupe
en effet un double créneau dans le marché bamakois : d’une part la réhabilitation urbaine que les mesures d’exception
des autorités de tutelle ont généralisée
(environ 1/3 des espaces urbanisés) ;
d’autre part les ersatz plus diffus des
« poches » et des « raccords », qui complètent l’offre administrée classique sur
un mode négocié, parfois officieux.
En réponse à cette décentralisation de
facto, la consigne ministérielle interdisant
Grafigéo 1999-8
aux responsables locaux de désigner de
nouvelles parcelles sera-t-elle durable ?
Insufflera-t-elle une refonte d’envergure
de la législation domaniale ? Un retour en
arrière sur les pratiques administratives
et politiques des première et deuxième
républiques montre que de tels scénarios
en dents de scie se sont déjà produits à
plusieurs reprises : attributions bricolées
ou tolérées, bridées ensuite par des délégations spéciales (suites du coup d’État
de 1968) et par des suspensions imposées
en haut lieu sous les réprimandes présidentielles, puis de nouveau initiatives
« de la base » sous la pression des clientèles locales (Bertrand, 1994). Mais la
troisième république a bien pour défi de
conjuguer des héritages prégnants (pénuries budgétaires, habitus clientélistes) et
les contraintes ou les opportunités de gestions neuves (conditionnalités internationales, pluralisme politique, dynamiques
associatives).
Au milieu des années quatre-vingtdix, le tournant conjoncturel du marché
bamakois est donc bien amorcé en relation avec la problématique de la décentralisation. La gestion foncière nourrit les
voeux de transfert de prérogatives, mais
elle anticipe également fort sur les décrets
103
Décentralisation malienne
réglementaires, la pratique administrative, les implications juridiques et électorales de la réforme.
Durables ou non, l’ensemble de ces
profils municipaux augurent de modes
locaux de légitimation politique qui
sont appelés à se pérenniser dans
l’avenir de la décentralisation. En cela
la gestion territoriale implique autant le
bas de la « société civile » que le haut de
l’État. En cela l’expérience bamakoise et
son cortège de bricolages technico-financiers justifient, par-delà les échéances
électorales de 1998, d’intéressantes comparaisons avec les communes urbaines
plus petites de l’intérieur. En cela enfin
l’économie politique du rapport des producteurs et des usagers à la terre fonde de
nouvelles comparaisons entre la gestion
des villes et le découpage des communes
rurales. Au-delà d’une lecture strictement
institutionnelle de la décentralisation, les
bases sociales « du local » sont en jeu.
Dans le cas de la capitale, le risque
d’une « ville puzzle » n’est pas à négliger,
tant les initiatives associatives, les biais
politiciens et les courts-circuits techniques fragmentent la mise en œuvre de
la politique urbaine. Le résultat apparaît
Grafigéo 1999-8
souvent contraire à la programmation
d’ensemble que tentent de mettre en
place le Projet Urbain du Mali et les autorités gouvernementales sous la pression
de certaines nécessités sociales. Des
contresens apparaissent sur le caractère
« naturellement » démocratique des pratiques locales et sur la légitimité infaillible
des initiatives décentralisées. Des intérêts
divergents, des contre-offensives en série
vont même jusqu’à anesthésier certains
élans de participation populaire et de
réelles bonnes volontés politiques. Réveil
de logiques lignagères et néo-coutumières
dans les périphéries lointaines, divisions
municipales au centre : l’ensemble ne
manque certes pas de précédents !
Il n’en reste pas moins que cette gestion foncière déconcentrée s’avère aussi
novatrice. Les communes l’ont montré en
contribuant à sécuriser d’anciens administrés et à insérer quelques locataires sur
des trames neuves. Ancrer en ville ces
citadins aux pratiques spatiales incertaines, leur consacrer des investissements
locaux, élargir l’argument du territoire
à des populations encore instables, tels
sont bien les défis géographiques de la
décentralisation.
104
Anticiper sur les réformes : gestion communale et marché foncier
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d’Afrique noire. Décentralisations en
questions. Paris, Karthala, p. 19-33.
VENARD J.-L., 1995. Communes et
société civile. In Programme de développement municipal, Communes et
développement local dans les pays du
Sahel, Cotonou, PDM/CEDA, p. 249253.
106
Liste des cartes et des tableaux
LISTE DES CARTES
Carte 1 :
Carte 2 :
Carte 3 :
Carte 4 :
Régions du Mali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cercles du Mali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Arrondissements du Mali avant
la refonte communale de 1996 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les quartiers de Bamako . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11
11
12
13
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 :
Tableau 2 :
Tableau 3 :
Tableau 4 :
Budgets prévisionnels, 1993 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Budget de la commune IV, 1992 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Budget de la commune I, 1992 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Recettes domaniales du district de Bamako
premier semestre 1996 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Tableau 5 : Distribution socio-économique de la demande
et des segments de l’offre administrée, communale, ACI . . . . . . . . .
Grafigéo 1999-8
59
65
66
91
97
107
Résumés
Résumés
• Français
Le Mali n'échappe pas à la vague des
décentralisations africaines dans la dernière
décennie : de nouvelles attributions sont
reconnues aux 19 communes urbaines déjà
existantes, avec des moyens incertains ; le
niveau exécutif de l'arrondissement est supprimé au profit d'environ 700 communes
rurales constituées sur l'intégralité du territoire malien. Par delà ses débats techniques, cette refonte offre aux chercheurs,
géographes au premier plan, l'occasion
d'interroger les arguments du territoire, la
légitimité et la crédibilité d'identités locales,
l'économie politique des pouvoirs municipaux.
Dans une conjoncture internationale
plus large qui met « le local » en exergue, la
réforme territoriale est en effet proposée au
pays dès la mise en place des nouvelles institutions de la troisième République en
1992. Si elle ne manque pas de précédents
sous les régimes antérieurs, elle s'appuie sur
une expression politique qui a ses parts
d'héritages et de nouveautés. La décentralisation inspire d'emblée des ambitions multiples dans lesquelles se lisent les « conditionnalités » ambiantes et les opportunités
particulières des bailleurs de fonds. La participation de la société civile est comme partout abondamment requise de l'extérieur,
mais inégalement traduite à l'intérieur. S'y
ajoutent la nécessité de budgets assainis et
de multiples déclinaisons de la « bonne
gouvernance ».
La transition démocratique et l'ajustement économique du Mali sont en effet
jugés exemplaires à l'extérieur, arguments
que ne manque pas de retenir le débat poliGrafigéo 1999-8
tique interne. Le pays n'échappe pas cependant à de fortes tensions au cours du premier quinquennat pluraliste (1992-1997).
Outre des crises sectorielles, scolaires par
exemple, l'ont montré d'une part la crise
régionale du Nord, d'autre part le raidissement du « Collectif de l'opposition » sur le
triple processus électoral de 1997-1998.
Capitale primatiale du Mali, Bamako ne
manque pas d'interroger la dimension
urbaine de la décentralisation. L'agglomération illustre en effet le procès de requalification des espaces locaux (communes et
quartiers) en cours depuis le début de la
décennie. Après avoir été assimilées aux initiatives spontanées, stigmatisées dans le
registre de l'anarchie, désignées comme
antinomiques d'une gestion normée du territoire urbain, ces mailles internes de la ville
voient leurs vertus inversées dans un sens
positif. Le discours cède la place à une valorisation médiatique, politique et financière
des « forces vives du local » dont l'étude
analyse la pertinence sur le terrain. Esprit
d'initiative relayant l'anomie et le laisseraller, « transparence » succédant aux
« magouilles » et aux « luttes de tendances »
du parti unique : de nouvelles « idéalités »
sont donc censées remonter du « bas » de la
société citadine comme du fond des terroirs
ruraux.
Des pressions internationales aux gestions locales à l'œuvre dans la capitale, en
passant par les implications régionales du
développement, la décentralisation malienne est abordée à travers un glissement
d'échelles géographiques.
La première partie envisage le contexte
d'émergence et les jalons des réformes. Elle
montre à la fois l'originalité et la banalité de
109
Décentralisation malienne
l'entreprise malienne de « communalisation » du territoire national. Sont mis en
évidence les promoteurs et les animateurs
du changement institutionnel, les effets de
contexte, d'influence à l'égard des conceptions nord-américaines et françaises des
missions de service public. Le message se
veut ferme : « mieux d'État » ; mais l'allocation des investissements et des subventions est incertaine. Si l'appropriation du
slogan de la décentralisation est bien réelle,
les débats n'apparaissent pas toujours
« indigénisés » et l'on est conduit à s'interroger sur le terme de société civile.
Au milieu de la décennie, les perspectives
pratiques du « remembrement » communal
font ensuite ressortir les « catégories » du
territoire malien. Les développements respectifs de la campagne « anémiée » et de la
ville « animée », du Grand Nord « déficitaire » et du Sud « crédible », des terroirs et de
leurs chefs-lieux, nourrissent différents
registres de la participation : attentisme versus activisme. En attendant les élections
municipales, l'accouchement des nouvelles
collectivités polarise une série d'alternatives : valorisation traditionaliste du consensus à la base, ou sélection d'un entrepreneuriat innovant dans les logiques de la
mondialisation. La société malienne est pensée au travers d'étiquetages et de cadrages
spatiaux qui sont supposés étanches, et qui
dispensent surtout d'interroger l'effet des
mobilités géographiques sur les dynamiques
locales. La « culture territoriale de la démocratie » est présentée à la fois comme un
objectif et comme un pré-requis de la refonte administrative, ambiguïté dont attestent
particulièrement les contours et les moyens
des futures communes.
S'attachant enfin à la capitale malienne,
la troisième partie envisage la gestion
décentralisée à l'épreuve du marché urbain.
Le cas de Bamako prend un relief particu-
lier du fait de son statut institutionnel (six
communes sous la tutelle d'un district, un
« maire central » bientôt élu), et du fait du
poids électoral de l'opposition lors du mandat 1992-1997. Les pratiques communales
y sont donc tendues du fait d'anticipations
et de blocages que les populations, les associations et les élus imposent au processus de
la décentralisation. Les opérations foncières
offrent ainsi un bon cadre d'analyse des
concurrences à l'œuvre dans l'affirmation
des légitimités locales. A l'aune d'une gestion de rattrapage et de marchés saturés, le
clientélisme foncier qui prévalait sous la
deuxième république ne semble pas disparaître. Il paraît davantage bourgeonner
autour des municipalités, mais en laissant
des marges de manoeuvre inégales et encore non fixées. Une typologie des pratiques et
des clientèles communales en suggère, in
fine, les conséquences à terme, et notamment la fragmentation de la gestion urbaine
en dépit d'objectifs de coordination.
• Anglais
Seen from abroad, Mali is considered as
a good example of decentralisation, where
the local model holds a central position in
the reforms for the promotion of the democracy and economic change. These have
opened up many new perspectives which
allow us to examine the particular « conditions » which the financial institutions
expect when offering development capital.
The report examines the challenges created
by the geographical situation of new communes (local councils), such as the definition of « participation » in the different areas
of the country, or by the management of the
municipalities in the capital, Bamako.
Finally, land questions appear to be the
most relevant way of testing the evolution of
local power structures during the 90s.
Dépôt légal : novembre 1999
Grafigéo 1999-8
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