Lettre - Barreau du Québec

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Lettre - Barreau du Québec
Le 21 avril 2010
L'honorable Peter Milliken, député
Président de la Chambre des communes
Édifices du Parlement
Édifice du Centre
Pièce 328-N
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Objet :
Me Richard Warman
Notre dossier : 26450 D006, référence : 146176
Monsieur le Président,
Nous nous adressons à vous en votre qualité de Président de la Chambre des communes.
Le Barreau du Québec souhaite exprimer sa grande inquiétude suite à une déclaration faite par
le professeur Robert I. Martin de la University of Western Ontario le 18 juin 2009 devant le
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires
étrangères et du développement international (le « Sous-comité »).
(a) Les faits
Me Warman est avocat, membre du Barreau du Haut-Canada et militant des droits de la
personne.
Le Sous-comité discutait du rôle des institutions canadiennes des droits de la personne et, plus
particulièrement, de la Commission canadienne des droits de la personne. M. Russ Hiebert, un
membre du Sous-comité et député de South Surrey–White Rock–Cloverdale a demandé au
professeur Martin :
M. Hiebert – What would you do to improve the current system? [Que feriez-vous pour
améliorer le système actuel?]
L’honorable Peter Milliken, député
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Objet : Me Richard Warman
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M. Martin – I would have a public hanging of Richard Warman. [Je ferais pendre
Richard Warman haut et court.]1
Environ cinq minutes plus tard, le président du Sous-comité a encouragé le témoin à déclarer
que ces propos ne devaient pas être pris de manière littérale. Cependant, le commentaire
demeure. Il est disponible sur Internet, et à ce jour, il n’a pas été supprimé malgré des
demandes à cet effet, dont une demande vous étant adressée2 et une autre envoyée au
président du Sous-comité, Me Scott Reid, député.3 Par lettre datée du 28 juillet 2009, vous
avez indiqué à Me Warman que vous n’aviez pas l’autorité nécessaire afin de supprimer le
témoignage et fait suivre, pour attention, le dossier à Me Reid, président du Sous-comité. À ce
jour, aucune réponse n’a été reçue de Me Reid.
Me Warman a aussi fait parvenir des lettres de protestation à tous les députés qui siégeaient au
Sous-comité ainsi qu’à la University of Western Ontario. Le président de l’université a répondu
à l’avocat de Me Warman, dans une lettre datée du 9 juillet 2009, que le professeur Martin n’a
plus de relation d’emploi avec l’université.
(b) Le contexte
Me Warman est bien connu pour ses activités reliées aux droits de la personne, notamment
contre le mouvement néo-nazi. Il a déposé des plaintes en matière des droits de la personne
contre des sites web qui communiquent des messages haineux. Les plaintes visent surtout la
promotion de la violence et des crimes contre l’humanité à l’encontre des personnes de
couleur, des juifs, des gais et des lesbiennes.
Ce travail est controversé par des personnes qui croient que le militantisme de Me Warman
constitue une menace à la liberté d’expression.
L’activisme de Me Warman a entraîné des conséquences importantes sur sa vie privée. Il a été
l’objet de menaces qui ont résulté en poursuites judiciaires pour diffamation et/ou pour
atteinte à la vie privée. Les tribunaux lui ont donné gain de cause.4
Ce n’est nullement notre intention de commenter la controverse actuelle.
Toutefois, nous considérons inadmissible qu’une personne – qu’elle soit avocate, militante des
droits de la personne ou simple citoyenne - soit sujette à de telles déclarations dans le cadre
d’un comité de la Chambre des communes. Pour qu’un débat vigoureux au sujet de la loi et des
politiques publiques ait lieu, il est impératif que la sécurité humaine soit assurée, surtout celle
1
2
3
4
Source : Parquet Audio. L’extrait complet du témoignage se trouve à l’Annexe A. Une transcription entière de
la bande audio est disponible à :
http://parlvu.parl.gc.ca/ParlVu/ContentEntityDetailView.aspx?ContentEntityId=4910
(Consulté le 18 février 2010).
Lettre en date du 3 juillet 2009.
Lettre en date du 4 juillet 2009.
Voir Warman c. Fromm et al., [2007] O.J. No. 4754 (Ont. S.C.J.) et Warman c. Grosvenor (2008), 92 O.R. (3d)
663 (Ont. S.C.J). Ces deux causes contiennent des détails au sujet du climat d’intimidation et de violence.
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des défenseurs des droits de la personne et des avocats qui sont, en raison de leur profession,
les plus vulnérables aux attaques de ce genre.
(c) Le cadre juridique canadien
Immunité des témoins devant les comités parlementaires
Conformément à ce qui est prescrit dans la procédure et les usages de la Chambre des
communes, le professeur Martin, en tant que témoin devant le Sous-comité, ne peut faire
l’objet ni d’accusations ni de poursuites civiles5.
Si les témoins comparaissant devant les comités parlementaires jouissent de la liberté
d’expression et des privilèges associés, il leur incombe également certaines responsabilités :
« Privilège parlementaire – Droits et responsabilités des témoins
Les témoins qui comparaissent devant un comité jouissent de la même liberté de
parole que les parlementaires et de la même protection contre l’arrestation et la
brutalité […]
Compte tenu de la protection accordée aux témoins par le Parlement, on s’attend à ce
que ceux-ci fassent preuve de jugement et de modération lorsqu’ils présentent leurs
opinions aux comités. Le témoignage de ceux qui persistent à faire des remarques
jugées inopportunes par un comité peut être supprimé du compte rendu6. »
Bien que le président du Sous-comité soit « maître de ses travaux », il n’a pas « le pouvoir de
censurer le désordre ni de se prononcer sur une question de privilège; seule la Chambre peut le
faire, sur réception d’un rapport du comité.7 »
Droit des individus de déposer des plaintes en matière des droits de la personne en vertu de la
Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi)
L’article 13 de la Loi définit comme discriminatoire tout acte qui encourage la haine ou le
mépris à l’égard des groupes identifiés selon les motifs énumérés dans la Loi.
5
6
7
O’Brien and Bosc (éds.), La procédure et les usages de la Chambre des communes (2e éd.), Chambre des
communes (Ottawa, 2009). Voir spécifiquement la section qui traite du Cadre procédural entourant les activités
des comités et le texte qui accompagne la note 618.
http://www.parl.gc.ca/information/about/process/house/WitnessesGuides/Part4-f.htm
« Le président d’un comité accorde la parole aux députés et aux témoins qui souhaitent intervenir et veille à faire
respecter les règles établies par le comité concernant la répartition du temps de parole. En outre, la présidence est
également responsable du respect de l’ordre dans les délibérations du comité. Elle n’a toutefois pas le pouvoir de
censurer le désordre ni de se prononcer sur une question de privilège; seule la Chambre peut le faire, sur réception
d’un rapport du comité », R. Marleau et C. Montpetit (éds.), La procédure et les usages de la Chambre des
communes, Chambre des communes (Ottawa, 2000), Chapitre 20 « Les comités ».
http://www2.parl.gc.ca/marleaumontpetit/DocumentViewer.aspx?Sec=Ch20&Seq=7&Lang=F
(Consulté le 18 février 2010).
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L’article 13 de la Loi a été dûment décrété par le Parlement et sa validité constitutionnelle a
été confirmée par la Cour suprême du Canada8. Me Warman a eu gain de cause dans la majorité
des plaintes qu’il a déposées au sujet de la propagande haineuse sur Internet en vertu de la Loi
canadienne sur les droits de la personne.9
L’article 40 de la Loi permet à d’autres individus que les victimes de déposer des plaintes.
(b) Normes internationales
o
Défenseurs des droits de l’homme
Le préambule de la Déclaration des défenseurs des droits de l’homme10, adopté par l’Assemblé
générale de l’ONU en 1999, reconnaît explicitement que les individus ont le droit et la
responsabilité de promouvoir la connaissance et le respect des droits humains et des libertés
fondamentales.
Le deuxième paragraphe de l’article 9 stipule que :
« 2. [...] Toute personne dont les droits ou libertés auraient été violés a le droit, en
personne ou par l’entremise d’un représentant autorisé par la loi, de porter plainte et
de faire examiner rapidement sa plainte en audience publique […] »
o
Le rôle des avocats
En outre, les Principes de base relatifs au rôle du barreau11, adoptés en 1990 par les Nations
Unies, stipulent que :
« [...] les associations professionnelles d'avocats ont un rôle crucial à jouer en ce qui
concerne […] la défense de leurs membres contre toute restriction ou ingérence
injustifiée […] »
et plus loin, à l’article 17, que :
« Lorsque la sécurité des avocats est menacée dans l'exercice de leurs fonctions, ils
doivent être protégés comme il convient par les autorités. »
8
9
10
11
Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892.
Voir p. ex., parmi les causes récentes, Warman c. Kulbashian et al, 2006 TDPC 11 (T.D.P.C.), Warman c.
Harrison 2006 TDPC 30 (T.D.P.C.).
Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et
protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, Nations Unies, A.G.
Rés. 53/144, 1999.
Principes de base relatifs au rôle du barreau, Adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la
prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7
septembre 1990.
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Conclusion
Me Warman n’est pas membre du Barreau du Québec, mais nous considérons que c’est notre
devoir d’intervenir, tout comme nous l’avons fait dans d’autres cas impliquant des avocats
œuvrant à l’étranger. Il s’agit d’exercer notre solidarité envers la profession juridique.
Les défenseurs des droits de la personne et membres du Barreau ont le droit de plaider pour
des causes ou des clients parfois impopulaires sans pour autant risquer leur sécurité
personnelle. Personne ne devrait être vilipendé parce qu’il ou elle a exercé ses droits, surtout –
comme dans le cas nous concernant – quand la victime n’a aucun recours devant les tribunaux.
Il est extrêmement préoccupant que le Parlement canadien, par le biais d’un sous-comité de la
Chambre des communes, ait fourni l’occasion à un individu d’encourager l’exécution d’un
militant des droits de la personne, et ce, sans aucun reproche conséquent ni censure formelle.
Nous vous demandons, conformément au rôle qui est le vôtre en votre qualité de président de
la Chambre des communes et de concert avec le président du Sous-comité, Me Reid, d’accorder
toute l’attention nécessaire à cette affaire afin de trouver une résolution rapide, pratique et
constructive.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments les plus
distingués.
Le bâtonnier du Québec,
Pierre Chagnon
PC/jd
Réf. : 0178
c.c. :
Me Scott Reid, président du Sous-comité des droits internationaux de la personne du
Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada

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