La recherche scientifique et l`innovation en Italie

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La recherche scientifique et l`innovation en Italie
La recherche scientifique et l’innovation en Italie
D’après un des derniers rapports1
de la Commission européenne en
matière de recherche, l’Italie figure en
queue de peloton sur de nombreux
aspects. Avec un investissement
pour la recherche et développement
représentant 1,03% de son PIB
en 2001 (1,93% en 2000 pour la
moyenne des 15 pays de l’Europe),
l’Italie a du mal à se restructurer et à
augmenter son potentiel de recherche. Même si l’activité recherche
en elle-même est bonne : la plupart
des indicateurs, pris relativement à la
population de recherche, prouve que
les chercheurs italiens sont parmi les
meilleurs au niveau européen, l’Italie
n’arrive pas à utiliser ses atouts et
souffre de la fuite de ses cerveaux.
Le retard de l’Italie
Lorsque l’on veut comparer rapidement les activités de recherche nationale, le chiffre le plus souvent cité
est celui du budget alloué à la recherche par rapport au PIB du pays.
L’Italie, avec 12 028 millions d’euros (M€) consacrés à la recherche en
2001, est en retard par rapport aux
autres pays européens (EU-15).
Parmi ceux de population équivalente, elle figure en très net retard, investissant quasiment moitié moins
que la France.
En analysant plus finement les chiffres, on se rend compte que l’Italie a
tout d’abord un nombre de chercheurs bas par rapport aux pays de
l’EU-15. En effet, le nombre total de
chercheurs est de 66 110 (2000) ce
qui représente 2,8 chercheurs pour
1 000 actifs (1999), la moyenne européenne se situant environ à 5,4
chercheurs. Ceci représente le plus
faible potentiel de l’EU-15. Entre
1995 et 1999, l’Italie est le seul pays
de l’EU-15 à avoir connu une baisse
du nombre de chercheurs (-0,6%).
Concernant le financement global
de la recherche, la part du secteur
public représente 51,3% de l’investissement total (prévision 2002).
L’Italie, comme les autres pays
d’Europe du sud, possède la parti1
cularité d’avoir un financement public majoritaire. La moyenne européenne d’investissement public représente moins d’un tiers de
l’investissement global et aux ÉtatsUnis moins d’un quart.
En troisième point, malgré une population étudiante similaire à celle
de France, l’Italie souffre du fort taux
d’abandon des étudiants (environ
20%), d’un parcours d’études jusqu’à 1999 peu attrayant : 11,6% de
la population des 30-34 ans en 2000
est diplômée de l’enseignement supérieur. Concernant plus particulièrement la recherche, peu d’étudiants
effectuent un doctorat (4 000 par an
en moyenne ces dernières années)
et, pour les meilleurs doctorants,
une carrière dans le pays reste très
incertaine. Ceci a porté l’âge moyen
des chercheurs italiens à 48 ans, et
a amené les meilleurs jeunes à effectuer un doctorat ou un post-doc
outre-Atlantique, en Allemagne ou
au Royaume-Uni.
Enfin, en ce qui concerne l’innovation, l’Italie, relativement aux pays
d’importance économique voisine,
possède peu d’entreprises high-tech.
Le monde universitaire, le secteur
public de recherche et les industriels
collaborent peu. Les compétences
scientifiques et technologiques sont
fragmentées au sein du territoire.
De ce fait, le transfert technologique
est difficile et de nombreuses recherches ne connaissent pas de
développement technologique.
Malgré ces points faibles et ces difficultés, la recherche italienne n’en
est pas moins une des meilleures
en terme de productivité.
Les points forts du
système de recherche
et d’innovation
Un des principaux atouts de l’Italie
est la qualité de ses chercheurs. En
effet, tant au nombre de publications, qu’en nombre de publications
citées, l’Italie se situe parmi les
meilleurs pays européens. Une comparaison du nombre de publications
Towards a European Research Area - Science, Technology and Innovation Key figures 2002.
2
scientifiques rapporté au nombre de
chercheurs montre que l’Italie est devant la France. De plus, le système
de recherche public est diffusé de
manière homogène au niveau
national au sein duquel pointent
des secteurs d’excellence reconnus
internationalement.
Au niveau industriel, l’Italie possède
une structure très flexible due en
partie au grand nombre de PME par
rapport aux grandes entreprises.
Cela entraîne une grande réactivité
face aux changements du marché.
L’industrie italienne, malgré un fort
contraste entre le nord et le sud,
présente des zones géographiques
concentrant un haut potentiel
technologique dans des secteurs
spécifiques (biotechnologies, robotique, microélectronique, mécanique,
etc.). Les investissements pour la
recherche et le développement sont
en hausse : + 8,7% (prévision 2001).
Enfin, son université, récemment réformée et restructurée, est un des
principaux atouts pour le futur scientifique, culturel et social du pays.
Les parcours d’études ont été remodelés sur le standard européen
(équivalent au licence / master / doctorat français) et il semble que l’intérêt pour les études soit plus grand.
L’enseignement supérieur poursuit
cette transformation en vue du futur
espace européen : plus de jeunes
hautement qualifiés, plus de jeunes
poursuivant une carrière de recherche (doctorat), plus de relations
avec le monde industriel (stages)
et plus de mobilité européenne et
internationale.
La coopération
internationale
La coopération internationale italienne se porte bien mais pourrait
se porter bien mieux. En effet, relativement aux autres pays, européens
notamment, le nombre de programmes de recherche auxquels
participe l’Italie est tout à fait notable. Pourtant, l’Italie ne profite pas
de sa position géographique, carre-
Source : Eurostat.
La revue trimestrielle du Réseau ECRIN - n°53 - Abstract
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La recherche scientifique et l’innovation en Italie
four du bassin méditerranéen entre
les Balkans, le Moyen-Orient, le
Maghreb et l’Europe Occidentale.
Cinq grands programmes définissent
la majeure partie des coopérations
que l’Italie entretient avec l’extérieur :
- les programmes de recherche
communautaire (PCRDT),
- les accords bilatéraux,
- les actions multilatérales,
- les actions COST,
- les initiatives EUREKA.
Concernant le premier point, sur
13 775 projets inscrits au 5e PCRDT,
1 417 sont coordonnés par l’Italie
(1 804 pour la France) et il y 4 764
projets auxquels participent au
moins une institution italienne (5 539
pour la France). L’Italie, malgré un
nombre de chercheurs nettement
inférieur au nombre de chercheurs
français participe et coordonne un
grand nombre de projets, sensiblement équivalent à la France.
Ensuite, les accords bilatéraux de
l’Italie sont, au niveau européen, surtout dirigés vers l’Allemagne, le
Royaume-Uni et la France avec lesquels l’Italie coopère au sein de programme de recherche finançant la
mobilité des chercheurs (type programmes d’actions intégrées). Le
Conseil National des Recherches
(CNR3) par exemple, a signé plusieurs accords bilatéraux avec des
organismes de recherche étrangers.
Au niveau mondial, c’est avec les
États-Unis que l’Italie coopère le
plus, notamment à travers leurs entreprises high-tech, prenant en
exemple ce pays, et les courtes mobilités de leurs chercheurs (environ
800 pour le CNR contre un peu plus
de 200 avec la France, en 2001). Des
accords bilatéraux sont en vigueur
entre, par exemple, le CNR et ses
homologues d’Australie, du Canada,
du Japon et de la Russie. Les ou3
4
En ce qui concerne l’activité multilatérale, de nombreux organismes
de recherche internationaux se trouvent en Italie : le Joint Research
Centre, l’ICTP4 etc. L’Italie participe
également au financement d’autres
centres de recherche européens ou
mondiaux comme le CERN5 et
l’EMBO6.
En troisième lieu, concernant les actions COST7, l’Italie contribue à environ 140 actions en cours dans 16
secteurs scientifiques sur les 17 du
programme. Les principaux secteurs
où l’Italie est présente sont l’agriculture et les biotechnologies, la chimie, les télécommunications et les
sciences de l’information, et enfin la
recherche médicale. Dans certains
secteurs de recherche, comme les
mathématiques, la robotique, les
langues et la littérature, la coopération scientifique entre groupes de
recherche italiens et chercheurs des
pays de l’Est européen est très forte.
Enfin, au niveau du label européen
EUREKA, les projets coordonnés par
l’Italie sont nombreux : 107 projets
étaient en cours à la fin de l’année
2002 (171 pour la France) pour une
contribution totale de 298,61 M€
(345,45 M€ pour la France) auxquels
participent 80 PME, 42 centres de recherches et 24 universités (respectivement 143,39 et 21 pour la France).
Les moyens et les
mesures en vue de 2010
Le principal acteur de la politique de
recherche italienne est l’État notamment par l’intermédiaire du minis-
tère de l’éducation, de l’université
et de la recherche8 (MIUR). D’autres
ministères comme celui de la santé9,
des politiques agricoles et forestières10, des activités productives11,
de l’environnement et de la protection du territoire12 et quelques autres,
participent également à la politique
de recherche et à la formation des
étudiants italiens.
Au niveau de la politique de recherche, le MIUR est assisté par plusieurs organes consultatifs comme
les Conseils scientifiques nationaux,
représentatifs de la communauté
scientifique des organismes de recherche ou des universités, le
Comité d’experts pour la politique de
la recherche13, institué auprès du
MIUR, qui le conseille sur divers aspects de la politique et l’état de la recherche, le Comité d’orientation pour
l’évaluation de la recherche14 qui propose et promeut certaines actions
d’expérimentation, ainsi que d’autres
comités ou assemblées ayant des
rôles plus spécifiques et plus restreints comme la prise en charge de
programmes d’aide à la recherche.
En ce qui concerne la politique de la
recherche universitaire, 2 instances
participent activement à l’élaboration et à l’évaluation de la politique :
la Conférence des recteurs des universités italiennes15, représentant les
77 universités et ayant un rôle majeur
de consultation et d’appréciation
des actions menées par le gouvernement et par les universités ellesmêmes, mais également le Comité
national pour l’évaluation du système universitaire16.
En vue d’améliorer l’efficacité du système d’enseignement et de recherche, la ministre de l’éducation,
de l’université et de la recherche,
Letizia Moratti, a lancé une vaste
politique de réformes tant au niveau
du système d’éducation qu’au ni-
Consiglio Nazionale delle Ricerche.
8
Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca.
Ministero della Salute.
International Centre for Theoretical Physics.
9
5
European Organization for Nuclear Research.
10
Ministero delle Politiche Agricole e Forestali.
6
European Molecular Biology Organization.
11
Ministero delle Attività Produttive.
12
Ministero dell’Ambiente e della Protezione del Territorio.
7
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vertures vers le Japon, vers les pays
du sud du bassin méditerranéen et
de l’Amérique du Sud restent encore
à valoriser. Des ouvertures se réalisent également vers des pays émergeants comme la Chine et l’Inde.
European Cooperation in the field of Scientific and Technical Research
(cadre de coopération scientifique et technique européenne sur la
recherche fondamentale et pré compétitive).
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La recherche scientifique et l’innovation en Italie
veau des organismes de recherche
qui s’est traduite par l’adoption d’un
plan triennal pour la recherche (PNR)
le 19 avril 2002. Ce plan s’articule autour de 4 grandes lignes directrices :
- le soutien des activités de recherche fondamentale,
- le soutien de la recherche fondamentale orientée vers le développement de technologies clés à caractère multisectoriel,
- le renforcement des activités de
recherche industrielle et développement technologique, destinées à
augmenter la capacité du système
industriel italien à transformer les
connaissances et les technologies
en produits et processus à plus
haute valeur ajoutée,
- la promotion, en valorisant des synergies au niveau territorial, des
capacités d’innovation dans les
processus et dans les produits de
la part du système des PME.
Ces lignes sont mises en œuvre par
le soutien direct du MIUR notamment concernant les centres d’excellence (concentration géographique de pôles de très haute qualité
scientifique et technique), les doctorats de recherche (augmentation
du nombre de bourses qui passera
prochainement de 3 000 à 8 000
par année), les bourses post-doc
(augmentation des montants) et
les grands chantiers de recherche.
En outre, des fonds spécifiques sont
disponibles : fonds de soutien à la
recherche de base (FIRB17), aux programmes de recherche d’intérêt
national (PRIN18), à l’innovation technologique (FIT19), à la recherche
industrielle (FAR20), etc. Ces différents fonds permettent par exemple
de promouvoir et soutenir les collaborations entre les secteurs publics
et privés. Le PNR prévoit que le financement public pour la recherche
de 6 750 M€ en 2002, soit progressivement porté (tablant sur aug-
mentation annuelle du PIB de 2,5%),
à 12 150 M€ en 2006. Si le secteur
privé maintient sa part de financement à 43% du financement total, le
budget de recherche italien en 2006,
atteindrait alors environ 2% du PIB.
Au niveau des thèmes de recherche
en revanche, l’optique reste inchangée : des secteurs prioritaires sont
choisis selon la base de paramètres
scientifiques et économiques et l’on
distingue parmi les priorités italiennes : les systèmes de production, l’informatique et les télécommunications, l’agroalimentaire, la
santé, les biens culturels, l’énergie,
l’environnement et les transports.
Ces priorités permettent d’axer les
financements, les restructurations
des organismes de recherche et
les créations de pôles d’excellence.
Enfin, concernant la réforme des organismes de recherche, Madame la
ministre Moratti propose d’alléger,
de rationaliser et de rendre plus efficace le système. Par exemple, le
CNR - l’institut le plus important devrait être réorganisé en départements et absorber un certain nombre
d’autres instituts. Étant donné le
manque de ressources, le travail des
instituts serait centré sur des objectifs précis, en misant sur un réseau
d’excellence, un lien renforcé avec
les autres pays européens, mais
aussi sur une implication active des
régions.
Ce projet a suscité de très vives
protestations, celles-ci émanant
de l’ensemble du monde de la
recherche qui a déploré l’absence
de concertation, la réduction des
budgets et exprimé la crainte d’une
mise sous tutelle de la politique de
recherche.
et plus attrayant est clairement affiché, mais le coût des réformes est
élevé et celles-ci peinent à trouver
leur pleine efficacité. Le PNR prévoit une augmentation très importante des financements publics
mais, déjà, comme le note
l’Association italienne pour la
recherche industrielle (AIRI) dans
une allocution au Sénat en février
2003, « la Loi de Finances a réduit
les sommes allouées, mettant en
crise, par exemple, le soutien public
à la recherche industrielle dans le
Centre-Nord, avec le risque de
mettre à l’état de survie quelques
uns des grands centres de recherche
industrielle et de ralentir le processus
d’innovation technologique des PME
dans cette région. »
Ces difficultés sont sans doute
dues, comme on le voit dans de
nombreux pays européens, à la crise
économique, mais les changements
que doit effectuer l’Italie pour
retrouver une place de choix dans
la communauté scientifique, à
l’heure où elle se trouve au centre de
la politique de l’Union européenne,
sont aussi culturels et sociaux. Les
plus jeunes doivent se sentir impliqués dans l’avenir de leur pays,
notamment en choisissant une
formation puis une carrière scientifique. Ce changement est profond
et nécessitera certainement plus
de temps qu’un plan de réformes,
aussi novateur soit-il.
Laurent Augier
Chargé de mission
[email protected]
Conclusion
L’engagement pris par l’État de
rendre le système de recherche et
d’innovation italien plus performant
Robert Carles
Conseiller scientifique
[email protected]
Ambassade de France en Italie
13
Comitato di Esperti per la Politica della Ricerca.
17
Fondo per gli Investimenti in Ricerca di Base.
14
Comitato di Indirizzo per la Valutazione della Ricerca.
18
Programmi di Ricerca di Interesse Nazionale.
15
Conferenza dei Rettori delle Università Italiane.
19
Fondo per l’Innovazione Tecnologica.
16
Comitato Nazionale per la Valutazione del Sistema Universitario.
20
Fondo Agevolazione Ricerca.
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