L`OBLIGATION D`ACCOMMODEMENT A-T
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L`OBLIGATION D`ACCOMMODEMENT A-T
[SPÉCIAL – ACCOMMODEMENT RAISONNABLE] PAR GENEVIÈVE DE LA DURANTAYE, CRIA ET DANIEL LEDUC, CRIA, AVOCATS, OGILVY RENAULT S.E.N.C.R.L., S.R.L./L.L.P. L’OBLIGATION D’ACCOMMODEMENT A-T-ELLE UNE LIMITE ? Bien que la question des accommodements raisonnables ait inondé l’actualité récemment et soit le sujet de l’heure depuis quelques mois au Québec, les employeurs connaissent bien le sens de cette expression et doivent composer avec ce concept depuis déjà plusieurs années. 46 EFFECTIF – AVRIL / MAI 2007 www.orhri.org/effectif effectif_vol10no2_160407_Q7.qxd:effectif_vol10no2.qxd n effet, cette notion est apparue à la suite de l’avènement des chartes des droits et libertés qui prévoient le droit à l’égalité et l’interdiction de discriminer en vertu de divers motifs dont les plus connus sont l’âge, le sexe, le handicap et la religion. L’obligation d’accommodement n’est pas prévue explicitement dans les chartes, mais a plutôt été créée par les tribunaux au fil des ans. Dans les milieux de travail, l’obligation d’accommodement est généralement invoquée en raison d’un handicap ou d’une religion. À titre d’exemple, un employeur pourrait devoir adapter les horaires de travail d’une personne atteinte d’une maladie nécessitant des traitements réguliers ou dont la religion exige certaines pauses ou l’accomplissement de certains rites pendant la journée. La Commission scolaire de Montréal a d’ailleurs fait les manchettes récemment à cet égard lorsque les médias ont révélé que les employés de croyance religieuse autre que catholique avaient droit à des congés payés supplémentaires au cours d’une année afin de célébrer leurs propres fêtes religieuses. La Commission scolaire étaitelle obligée de fournir ces congés en vertu de son obligation d’accommodement ou pouvait-elle offrir uniquement les congés fériés prévus à la Loi sur les normes du travail ? Quelles sont les limites à l’obligation d’accommodement ? Les tribunaux ont établi que les emplo yeurs devaient tenter par tous les moyens de satisfaire la demande d’un employé, à moins que cet accommodement ne cause une contrainte excessive. Ce concept de contrainte excessive élaboré par la jurisprudence constitue ainsi la limite à l’obligation d’accommodement de l’employeur. Les tribunaux ont eu maintes fois l’occasion de se prononcer sur cette notion et ont établi divers critères qui permettent de déterminer la présence ou non d’une contrainte excessive. Ainsi, on considérera le respect des droits des autres ILLUSTRATION : MARTIN GAGNON E www.orhri.org/effectif 16/04/07 15:20 Page 47 employés, le fonctionnement, la nature et les ressources de l’entreprise. Avant d’expliquer de façon plus dé taillée ces divers critères, il est important de mentionner qu’aucun d’entre eux n’est déterminant, puisque chaque cas doit être évalué selon les circonstances et les faits particuliers. Ajoutons également que la présence du mot « excessive » contenu dans l’expression signifie qu’une certaine contrainte devra être acceptée par l’employeur. Conséquemment, une entreprise ne pourrait se dégager de son obligation d’accommodement en invoquant de simples difficultés ou un obstacle mineur. À titre d’exemple, la crainte de créer un précédent, la préférence de la clientèle ou les détails administratifs ne seront pas jugés comme des contraintes excessives. En somme, l’employeur devra faire plus que des efforts anodins. Voyons maintenant de façon concrète de quelle façon les tribunaux ont interprété la notion de contrainte excessive et les critères permettant d’évaluer le degré de contrainte. LE RESPECT DES DROITS DES AUTRES EMPLOYÉS Les mesures d’accommodement envisagées affectent généralement les personnes qui font partie de l’entourage de l’employé, dont les collègues de travail. Les conséquences de l’accommodement sur leurs droits seront considérées par les tribunaux afin d’établir la présence d’une contrainte excessive. L’accommodement raisonnable appliqué à un employé peut avoir divers impacts sur son entourage. Parmi ceux-ci, mentionnons tout d’abord la sécurité des collègues ou du public. À titre d’illustration, prenons l’exemple d’une préposée aux bénéficiaires porteuse de limitations fonctionnelles et qui ne peut plus effectuer toutes les tâches requises par son poste. Afin de lui permettre de continuer d’occuper son emploi, l’employeur décide d’envisager d’alléger ses fonctions. La seule façon d’atteindre cet objectif est de transférer les tâches plus lourdes à son collègue de travail et de retirer à ce dernier les tâches légères. Dans un cas comme celui-ci, l’employeur pourrait refuser d’accorder un accommodement à la travailleuse en invoquant que la santé et la sécurité de son collègue ainsi que des usagers risquent d’être compromises, puisque le collègue accomplirait uniquement des tâches lourdes. Par ailleurs, si les tâches lourdes transférées constituaient un faible pourcentage du travail, l’employeur ne pourrait invoquer la santé de l’employé à titre de contrainte excessive, vu que l’impact serait minime. Le moral des employés sera également un critère considéré dans l’évaluation de la contrainte excessive. Dans l’exemple ci-dessus, le moral de l’employé subissant un alourdissement de ses tâches serait considéré. Évidemment, plus l’impact de l’accommodement sera important sur les autres employés, plus ce critère sera déterminant. Qu’en est-il des droits prévus dans une convention collective ? Est-ce l’obligation d’accommodement ou ces droits qui doivent primer ? Imaginons le cas où l’employé qui demande un accommodement ne peut occuper que le poste d’un employé ayant plus d’ancienneté que lui. L’employeur devra-t-il outrepasser les droits d’ancienneté et déplacer le travailleur plus ancien ? À l’instar de tous les autres critères, le non-respect des règles prévues dans une convention collective sera un critère considéré parmi les autres et ne sera pas déterminant en soi. L’employeur et le syndicat ne pourront se dégager de façon automatique de leur obligation d’accommodement en invoquant le non-respect de la convention collective. En effet, les chartes des droits et libertés contenant des droits fondamentaux ont généralement préséance sur les droits négociés par les parties dans une convention collective. De façon pratique, les tribunaux portent toutefois une attention particulière aux droits prévus dans la convention EFFECTIF – AVRIL / MAI 2007 47 effectif_vol10no2_160407_Q7.qxd:effectif_vol10no2.qxd 16/04/07 15:20 Page 48 [SPÉCIAL] Les tribunaux ont établi que les employeurs devaient tenter par tous les moyens de satisfaire la demande d’un employé, à moins que cet accommodement ne cause une contrainte excessive. collective, d’autant plus lorsque des règles jugées importantes, tels les droits d’ancienneté, sont brimées. En somme, l’atteinte aux droits prévus dans une convention collective est habituellement la dernière solution à envisager. LE FONCTIONNEMENT DE L’ENTREPRISE Le fonctionnement de l’entreprise est généralement affecté lorsqu’un accommodement doit être mis en place. Il est souvent nécessaire de réorganiser les horaires de travail ou de modifier les descriptions de tâches afin de permettre à un travailleur d’occuper un emploi au sein de l’organisation. Dans l’appréciation de la contrainte occasionnée par l’accommodement, les tribunaux évalueront la possibilité d’interchanger les tâches des employés ou de remplacer la personne qui doit s’absenter régulièrement. À titre d’exemple, une entreprise pourrait devoir accorder un accommodement à un employé apte au travail seulement trois jours par semaine s’il est démontré que le poste est divisible et qu’une autre personne peut effectuer ses tâches durant les deux autres journées de la semaine. À l’inverse, l’employeur pourrait invoquer la contrainte excessive dans le cas d’un poste dont les tâches requièrent un suivi personnel de la part du travailleur et où un remplacement ponctuel est impossible ou très difficile. 48 EFFECTIF – AVRIL / MAI 2007 Les tribunaux jugent généralement que l’obligation d’adapter un poste en fonction des limitations d’un travailleur ne va pas jusqu’à la nécessité de créer un poste au sein de l’entreprise ou de dénaturer le poste occupé par l’employé. L’impact sur la productivité de l’entreprise est également considéré par les tribunaux. L’adaptation du poste doit permettre d’assurer un niveau de productivité acceptable pour l’entreprise. Par exemple, un employeur pourrait refuser d’attitrer un employé à une chaîne de montage si ce dernier est dans l’impossibilité de suivre la cadence et ralentit la production des autres travailleurs et de l’entreprise. Enfin, les tribunaux évaluent la possibilité d’adapter les lieux et les équipements de travail. Ce critère est généralement considéré important lorsque la modification du poste de travail génère des coûts excessifs ou lorsqu’elle entraîne une réorganisation majeure de la production et des équipes de travail. LA NATURE ET LES RESSOURCES DE L’ENTREPRISE La nature et la taille de l’entreprise sont des critères très importants dans l’évaluation de la contrainte excessive. En effet, une multinationale ou un organisme public important ont généralement plus de latitude et de ressources. www.orhri.org/effectif effectif_vol10no2_160407_Q7.qxd:effectif_vol10no2.qxd Traitons tout d’abord du coût lié l’accommodement. Un tribunal considérera les ressources financières d’une entreprise afin d’établir l’existence d’une contrainte excessive. De façon évidente, les coûts engendrés par l’adaptation d’un poste, le remplacement ou les heures supplémentaires occasionnées par l’accommodement auront un impact de différente ampleur selon qu’il s’agit d’une PME ou d’une grande entreprise. De la même façon, il sera généralement plus aisé de remplacer une personne ou de modifier ses tâches dans une entreprise comptant de nombreux employés et dont les postes sont non spécialisés. À titre d’exemple, les tribunaux ont déjà jugé que l’impossibilité pour une policière de travailler plus de huit à dix heures consécutives par jour constituait une contrainte excessive. Dans cette affaire, la travailleuse ne pouvait respecter l’horaire habituel des autres policiers, ce qui obligeait l’employeur à payer des heures supplémentaires à d’autres employés et à diminuer les services aux citoyens. Le tribunal considéra la taille de la ville qui employait la policière ainsi que la période d’accommodement d’une durée indéterminée et jugea qu’il y avait contrainte excessive. Par conséquent, le même accommodement pourrait constituer une contrainte excessive pour une entreprise de petite taille et non pour une grande entreprise. En terminant, rappelons que l’obligation d’accommodement n’incombe pas uniquement à l’employeur. Le syndicat ainsi que l’employé concerné se doivent de participer activement à l’élaboration d’une mesure d’accommodement et à la recherche de solutions. Tout comme www.orhri.org/effectif 16/04/07 15:21 Page 49 l’employeur, ils auront également à accepter une certaine contrainte et à faire des compromis. Conséquemment, l’employé pourra voir son salaire diminué ou ses conditions de travail modifiées de façon raisonnable. CONCLUSION À la lecture des critères invoqués ci-dessus, la Commission scolaire de Montréal devaitelle payer un congé aux employés de croyances religieuses autres que catholique ? Bien qu’il ait été soulevé récemment dans les médias, un litige semblable a été porté devant la Cour suprême il y a déjà plusieurs années. Le plus haut tribunal du pays avait alors jugé qu’une commission scolaire devait payer un jour de congé aux employés de religion juive afin qu’ils puissent célébrer le Yom Kippour. La cour avait entre autres considéré que le paiement de cette journée n’entraînait pas un fardeau financier déraisonnable pour la commission scolaire. Il est intéressant de noter que, selon la cour, la décision aurait été différente si le travailleur avait réclamé un congé tous les vendredis de l’année. En somme, l’employeur doit tenter de trouver un accommodement, et ce, en collaboration avec le syndicat et l’employé, en réaménageant les horaires de travail, en permettant un retour progressif au travail ou en restructurant les tâches pour ne donner que quelques exemples. L’obligation d’accommodement est toutefois limitée par la démonstration d’une contrainte excessive qui varie d’un cas à l’autre et qui est évaluée selon différents critères. EFFECTIF – AVRIL / MAI 2007 49