Les signes des cambrioleurs - Atelier
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Les signes des cambrioleurs - Atelier
Les signes des cambrioleurs Apprendre à déchiffrer les signes laissés par les gens du voyage pourrait vous éviter de vous faire cambrioler. Info ou légende urbaine ? Observer les abords de votre propriété pour y déceler des marques de craie permettrait d'éviter de se faire cambrioler. Cette croyance est très répandue mais est-elle fondée ? Elle est en tout cas relayée, notamment par une association d'anciens membres des forces de l'ordre qui tente de faire parler d'elle dans la presse - et aussi sur HoaxBuster. Leur dernière initiative : diffuser sur le net une affichette présentant un code censé être utilisé par les gens du voyage pour commettre leurs délits, dans l'espoir "de sensibiliser les citoyens sur certains risques de cambriolage et de rester vigilants", d'après leur représentante, Agnès Tarraso. Quand les médias font rimer "Gitan" avec "délinquant" D'abord, et contrairement à ce que laisse sous-entendre le message, "gitan" ne rime pas obligatoirement avec "délinquant". D'après Claire Auzias, "le vol n'est pas une institution chez les Roms", même si "les Roms sont capables de voler comme tout le monde, mais pas davantage". D'après Marcel Courthiade, ce serait même moins : "Mme Mignon, conseillère de M. Sarkozy à l'Intérieur a déclaré à Médecins du Monde en 2003 que statistiquement la délinquance était PLUS BASSE chez les Roms roumains en France que dans la plupart des groupes de population qu'ils suivent." Le policier Philippe Pichon, dans son livre sur le sujet, prétend pourtant l'inverse, tout en reconnaissant que la condition des Roms est hélas souvent caractérisée par tous les facteurs qui favorisent la survenue de la délinquance (pauvreté, défaut d'instruction, défaut d'intégration, dégradation de la structure familiale), et qu'on ne peut donc la comparer, toutes proportions gardées, qu'à celle des "jeunes de banlieue". Une analyse dans laquelle Marcel Courthiade voit "un cliché du XIXe siècle (dans sa version paternaliste)". Tous deux s'accordent cependant à dire que la délinquance n'est qu'un accident chez les gens du voyage, comme chez n'importe quelle catégorie de la population. C'était d'ailleurs la conclusion à laquelle était parvenu le préfet Guy Merrheim dans un rapport de 2001 : "aucune communauté humaine n'étant parfaite, il y a nécessairement des noyaux de délinquance, petite ou grande, chez les gens du voyage, mais rien ne permet d'affirmer que celle-ci soit sensiblement différente en proportion de ce que représente en moyenne la délinquance sous ses diverses formes dans l'ensemble des composantes de la société". Les signes : technique imparable... ou obsolète ! Ensuite, les Roms n'emploient plus de signes depuis qu'ils ont d'autres moyens - plus modernes - pour signaler où ils sont à leur famille - et pas forcément pour accomplir des actes délictueux comme certains pourraient le penser. Claire Auzias explique que "jadis les gens du voyage itinérants utilisaient des signes végétaux sur les routes pour transmettre à leur famille et alliés par où ils étaient passés : on nomme cela en langue romani "Patrin" (les feuilles, les signes) ; cette pratique est abandonnée avec désormais les téléphones portables". De toute façon, il ne s'agissait pas de marques à la craie, mais de signes faits "avec des feuilles d'arbres et des bouts de bois". Marcel Courthiade confirme : "PATRN désigne la feuille en botanique (le R fait office de voyelle) et PATRAN est le "signe de piste", qui était utilisé seulement à la campagne, surtout pour indiquer les événements familiaux : naissances, maladies, etc. aux groupes qui suivaient, et aussi les dangers (les paysans n'étaient pas innocents dans la tsiganophobie !!!). Cela remonte au XIXe siècle et n'a aucun rapport avec la délinquance." Mais alors, d'où sort le code exhibé par l'association ? Comme le fait remarquer Claire Auzias, "il existe foultitude de livres ésotériques prêtant aux Gitans des vertus magiques etc." D'après elle, "ce sont souvent en principe des livres des années 1950 qu'on trouve encore chez les bouquinistes". Et effectivement Jean-Bruno Renard a trouvé au moins un livre de cette période qui attribue aux Tsiganes un code de signes qu'un journal de 1921 attribuait aux vagabonds... Les origines du marquage des habitations Historiquement, ces signes n'étaient pas attribués aux gens du voyage, comme l'a découvert Jean-Bruno Renard : "au XVe siècle, on parlait déjà de signes que les incendiaires marquaient sur les maisons de leurs futures victimes et le criminologue Hans Gross consacre plusieurs pages de son "Manuel pratique d'instruction judiciaire" (1889, trad. fr. 1899) aux signes utilisés par les malfaiteurs et les vagabonds. L'amalgame a été vite fait entre cambrioleurs, vagabonds (hobos) et bohémiens. Les différentes listes de signes qui circulent témoignent de contradictions (un même pictogramme a des significations très différentes). Il s'agit maintenant d'un "marronnier" pour la presse qui parle de ces signes au moment des vacances (habitations désertées). Les entreprises d'alarmes et de sécurité en font également état dans leurs prospectus." Evidemment, la presse est avide de sensationnel, et les entreprises de sécurité avides de clients. Ce qui contribue à faire de cette histoire un de ces lieux communs qu'on ne remet jamais en question... Certainement à tort ! Elle court, elle court... la rumeur La rumeur se retrouve d'ailleurs dans de nombreux pays, où les forces de l'ordre (voire les cambrioleurs euxmêmes) la reconduisent ou la démentent tour à tour, suivant leur degré d'information. En France, en août 1982, une vague de cambriolage à Bordeaux a semblé s'accompagner de marques sur les maisons visitées, jusqu'à ce que la police découvre qu'il s'agissait en fait de repères mnémotechniques utilisés par des démarcheurs à domicile... Comme l'explique Jean-Bruno Renard, de telles marques sur le mur des maisons (cambriolées ou non) "peuvent avoir de multiples origines : blagues de gens qui ont vu le tract, signes de démarcheurs à domicile, et même, pourquoi pas, une utilisation de signes par quelques malfrats qui en ont eu l'idée après avoir eu connaissance d'un tract (mais aucune enquête de police ou de gendarmerie, et aucun aveu de cambrioleurs, n'a confirmé cette hypothèse) !" C'est sans doute la raison pour laquelle en 1983, la Direction Départementale des Polices Urbaines des Hautsde-Seine avait démenti être à l'origine d'un tract de ce type, et ajouté qu'elle ne disposait d'aucun élément permettant d'en confirmer la véracité. En revanche, la Gendarmerie Nationale évoque le sujet sur son site, sans reproduire aucun code particulier. Serait-elle mieux renseignée que la Police ? Pas selon Jean-Bruno Renard, qui a examiné leur dossier sur le sujet, et a "vite vu qu'il s'agissait ni plus ni moins d'une collecte des rumeurs et des tracts sur les signes des cambrioleurs !" Alors, pourquoi donc la Gendarmerie n'apporte-t-elle pas de démenti sur cette question ? Jean-Bruno Renard a une explication : "vraisemblablement parce qu'on ne peut pas apporter une preuve de l'absence (comme pour le monstre du loch Ness !) et aussi parce qu'il y a un intérêt social à entretenir le climat d'insécurité. Pour moi, la gendarmerie collecte ces données comme elle collecte les témoignages d'apparition de fantômes et de soucoupes volantes. Cela n'a rien à voir avec le fait qu'il y croient ou non !" D'ailleurs, leur site se garde bien de faire une généralité de cette pratique, en évoquant seulement "certains voleurs" qui l'utiliseraient... Une prudence qui va jusqu'à ne pas répondre à toute demande d'information sur le sujet. En Belgique, si l'on en croit le tabloïd la Dernière Heure, la Police Fédérale Belge consacrerait du temps à l'étude de ces signes, que tous les policiers connaîtraient. Leur porte-parole, Agnès Reis, a pourtant tenu à nuancer fortement pour ne pas dire démentir, ces affirmations péremptoires : "des signes sont parfois relevés sur les habitations cambriolées, mais il n'a jamais pu être prouvé qu'il y avait un lien entre ces signes et le cambriolage. Ca pourrait aussi être des dessins d'enfants. Au niveau de la Police Fédérale, nous ne tenons donc pas compte de ces signes. Une liste a été dressée et elle peut être transmise aux policiers qui le souhaitent, mais elle n'a pas de réelle valeur. On ne peut donc pas parler de codes ou d'alphabet mais de quelques signes répertoriés sans valeur. Pour votre info, un certain Peter Burger de l'Université de Leiden aux Pays-Bas a écrit une petite étude sur le sujet et arrive également à la conclusion qu'il s'agit plus d'affabulations." On est bien loin de la situation décrite par les journalistes belges. En Angleterre, en décembre 2009, l'inspectrice Elaine Burtenshaw de la police du Surrey (aujourd'hui à la retraite) a déclaré au DailyMail, au Telegraph et à la BBC avoir découvert l'existence d'un code utilisé par les cambrioleurs, facétieusement baptisé le "Da Pinchi Code" en référence au best-seller de Dan Brown. L'ennui, c'est qu'à peine la nouvelle annoncée, le gentleman-cambrioleur anglais Peter Scott a déclaré au quotidien australien The Age n'avoir jamais entendu parler d'un tel code, et douter fortement qu'une solidarité de ce type puisse exister entre voleurs. Par ailleurs, la remplaçante d'Elaine BurtenShaw, l'inspectrice Angie Austin, est beaucoup moins catégorique que sa collègue : "nous ne pouvons être sûrs à 100% que des suspects/délinquants utilisent des marques à la craie et je ne crois pas que nous ne pourrons jamais avoir cette certitude ; je ne suis au courant d'aucun rapport ou recherche à ce sujet". Une fois de plus, c'est la prudence qui prévaut chez les forces de l'ordre. Authentiques à l'époque ne signifie pas pour autant usités aujourd'hui La conclusion de tout ceci ? Pour Jean-Bruno Renard, comme d'ailleurs pour son collègue Peter Burger, elle est claire : "ces signes, qui ont été partiellement vrais à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, sont maintenant clairement une légende urbaine." Si l’on ne peut nier l’existence de ces signes, les attribuer à des cambrioleurs et/ou à des Gitans est un raccourci facile et dont la preuve n'a jusqu'à présent pas pu être produite. Et même s’il ne paraît pas très cohérent d'imaginer qu’il puisse y avoir une entraide entre voleurs, ces derniers étant plutôt en compétition, la rumeur continue de se propager. Ceci dit, effacer toutes les marques douteuses, comme le conseille la Gendarmerie française, ça ne coûte rien qu'un peu d'eau...