Apollinaire, une poésie tournée vers l`avenir

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Apollinaire, une poésie tournée vers l`avenir
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Apollinaire, une poésie tournée vers l'avenir
09/10/13
Tout comme Robert Musil ou Stefan Zweig, Guillaume Apollinaire est entré dans le domaine public en 2013.
C'est pourquoi Flammarion enrichit le catalogue de son excellente collection de poche GF, héritière des
Classiques Garnier à couverture jaune nés à la fin du XIXe siècle, avec les deux recueils poétiques de l'auteur
des Mamelles de Tirésias, respectivement parus en 1913 et 1918, Alcools et Calligrammes. Chercheur
à l'Université de Liège, Gérald Purnelle, président de l'Association internationale des Amis de Guillaume
Apollinaire, en signe la présentation et le dossier.
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Wilhelm de Kostrowitzky, né en 1880 à Rome où
vit sa mère, Angelica de Kostrowcki (sic), descendante d'hobereaux polonais russifiés, ignore qui est son père.
Avec son frère Albert, de deux ans son cadet, il connaît une enfance chaotique entre l'Italie, Monaco et Nice,
où il échoue au baccalauréat tout en écrivant ses premiers poèmes sous le nom d'Apollinaire, le prénom de
son grand-père, lieutenant d'artillerie dans les armées du tsar. L'été 1899, les deux frères logent dans une
pension à Stavelot pendant que leur mère et son compagnon rencontré quelques années plus tôt, Jules Weil,
tentent leur chance au casino de Spa. Mais très vite, le couple regagne Paris, sans les adolescents qui ne le
rejoignent que début octobre, quittant l'hôtel à la cloche de bois, sans payer leur dû. Entretemps, Guillaume
s'est épris d'une jeune fille de la région, Maria Dubois, pour qui il écrit des poèmes.
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Si ce séjour fut bref, il n'est pas resté sans suite: c'est en effet à Stavelot qu'a été créée en 1953 l'Association
internationale des Amis de Guillaume Apollinaire par Armand Huysmans, architecte et peintre d'origine
bruxelloise venu habiter Stavelot après la deuxième guerre mondiale, et Camille Deleclos, écrivain et
journaliste originaire de cette ville. «Quelques poètes belges - Marcel Thiry, Robert Vivier - s'y étaient
intéressé, rappelle Gérald Purnelle, son actuel président. Mais c'est le Verviétois Christian Fettweis qui lui
a consacré un premier petit livre, Apollinaire et l'Ardenne. L'association a été fondée en collaboration avec
des universitaires parisiens qui étudiaient Apollinaire, notamment Michel Décaudin.» Sous le porche de l'Hôtel
du Mal Aimé a été apposée une plaque en souvenir des trois mois passés par le poète en herbe de 19
ans et l'Abbaye abrite un petit musée consacré au poète ; autrefois, dans un autre musée, était exposé le
lit dans lequel il aurait dormi. «Ce séjour a fortement marqué sa sensibilité. Et des éléments du paysage et
des coutumes reviendront tardivement dans sa poésie. Par exemple, dans un poème de Calligrammes, « La
petite auto », où il raconte le moment où il apprend que la guerre est déclarée, il évoque les pouhons et
Francorchamps.»
Deux ans après son retour en France, Apollinaire suit en Allemagne la veuve d'un vicomte français mère
d'une fillette de 8 ans dont il est le précepteur. Il tombe amoureux de la jeune gouvernante, Annie Playden,
et cet amour malheureux lui inspirera plusieurs poèmes dont, en 1905, La Chanson du Mal Aimé. Désirant
se consacrer entièrement à la littérature, il publie des contes dans des journaux et découvre deux courants
picturaux qui le fascinent, le fauvisme et le cubisme. Il se lie avec les artistes les plus novateurs du moment,
tombant amoureux d'une jeune femme peintre, Marie Laurencin, tout en tenant la chronique des romans dans
la revue néo-symboliste, La Phalange.
En 1909, il publie son premier livre, un long texte en prose, L'Enchanteur pourrissant, illustré de gravures
sur bois d'André Derain, dont une version, écrite à Stavelot, avait déjà paru dans la revue qu'il avait fondée
quelques années plus tôt, Le Festin d'Esope, disparue depuis. L'année suivante, il réunit une dizaine de contes
dans L'Hérésiarque et Cie et, à la même époque, paraît sous grand format Le Bestiaire où ses courts poèmes
sont associés à des gravures de Raoul Dufy.
Guillaume Apollinaire a 33 ans lorsqu'il publie en 1913 son premier recueil poétique, Alcools, qui reprend
quinze ans de travail poétique sans organisation chronologique. Dans le dossier qui l'accompagne, outre
une chronologie, des déclarations du poète ou le récit de sa genèse, Gérald Purnelle revient sur l'accueil
critique du livre. Il rappelle par exemple que Georges Duhamel le compare à «une boutique de brocanteur».
«Apollinaire n'a pas cherché à faire un recueil cohérent dans sa thématique, son esthétique ou sa manière
de concevoir le poème, sourit-il. Il assume, sinon un bric-à-brac, tout au moins une grande diversité qui peut
effectivement faire problème. J'essaie de montrer qu'au milieu de cette variété, entre poèmes élégiaques,
symbolistes et visionnaires, existe une unité à un niveau beaucoup plus profond. A part Zone, le poème
liminaire, et Vendémiaire, qui ferme le recueil, dont on comprend la place qu'ils occupent, la construction de
l'ensemble reste une source d'interrogation perpétuelle. Calligrammes, qui est chronologique, est quant à lui
beaucoup plus clair. »
Dans sa présentation, l'universitaire liégeois aborde la question de la modernité d'Apollinaire tout en la
nuançant. «Il n'est pas un avant-gardiste qui fait table rase du passé, commente-t-il. Il fonde sa poésie sur la
connaissance de la tradition et sa prolongation partielle, tout en faisant appel à l'innovation et à l'invention. Il
n'est pas passéiste, il veut que la poésie évolue, qu'elle se renouvelle. C'est un homme tourné vers un avenir
dans lequel la poésie doit jouer un rôle. Ses poèmes inventent cet avenir de la poésie. En cela, il est moderne
sans être jamais coupé du passé ni du futur. Mais il n'est pas toujours facile de comprendre ce qu'il veut dire
quand il définit sa création. J'ai voulu mettre en avant ses idées, ses lignes de force, ses constances. Par
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contre, il n'est pas un chantre de la modernité extra-poétique. Les trains, les avions, les machines, s'il en
intègre des éléments dans des poèmes, n'en sont pas le sujet. Quand il parle de la modernité, c'est toujours
avec humour, distance, ironie.»
Le sujet de sa poésie, qui fonde son unité, c'est l'avenir, donc, mais aussi lui-même et la poésie
elle-même. Mais pas la modernité du monde moderne ni même sa place dans le monde moderne.
«C'est lui projeté dans l'avenir. Dans Alcools, mais c'est encore plus net dans Calligrammes, il parle
davantage de l'avenir que du présent. Tout en abordant le passé à travers des mythes, des légendes
ou son propre passé», précise son commentateur qui parle à son sujet d'un «lyrisme réinventé».
«C'est un lyrisme intégré dans la modernité. Mais les
surréalistes ont inventé la poésie du XXe siècle pour plusieurs décennies en grande part contre Apollinaire,
niant, avec leurs travaux sur l'inconscient, l'écriture automatique, etc., ce qu'il voulait créer.»
Passionné par la peinture moderne, critique d'art, Apollinaire a voulu allier poésie et peinture en regroupant
des «idéogrammes lyriques et coloriés» dans un livre qui aurait dû s'intituler Et moi aussi je suis peintre et
paraître en août 1914. La guerre en a décidé autrement. De cette ambition, il reste plusieurs poèmes-dessins
disséminés dans Calligrammes publié en avril 1919, sept mois avant sa mort. «Quand, en 1913, il invente les
«idéogrammes colorés» - «calligrammes», mot-valise combinant «calligraphie» et «idéogramme», et qu'il ne
trouvera qu'en 1917 -, il veut en effet faire un livre où il serait à la fois le poète et le peintre, confirme Gérald
Purnelle. Ces premiers calligrammes devaient être peints à l'aquarelle ou à la gouache. Il est très visionnaire.
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Voyant se développer les nouvelles techniques - le cinéma, la photographie, les affiches -, il envisage une
nouvelle forme de poésie dépassant le simple texte imprimé pour devenir un œuvre totale.»
Dans le dossier qui accompagne cette réédition,
le chercheur approfondit la figure du calligramme, bien sûr, tout en reproduisant la conférence donnée par
son créateur en 1917 intitulée «L'Esprit nouveau et les poètes» ou en se penchant sur les poètes de la
Grande Guerre. Ce conflit meurtrier donne en effet une certaine cohérence thématique à un recueil par ailleurs
dépourvu de toute unité formelle, partagé entre des poèmes parfaitement ciselés en octosyllabes bien rimés et
des calligrammes les plus novateurs, dont certains se lisent assez difficilement. «Il est important de remarquer,
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insiste-t-il, que chaque poème ou presque possède sa propre poétique, réinvente sa poésie: la manière de
concevoir la place du sujet dans le poème, de s'adresser au lecteur, de définir la fonction du poème et son
objectif. Souvent, dans ses poèmes, on a un locuteur qui est Apollinaire lui-même mais en même temps la
figure du poète mythifiée, idéalisée. Dans les poèmes de guerre, par exemple, quand il dit « je », ce n'est pas
tant pour rapporter ce qui lui arrivé ou ce qu'il a vu ; son propos est davantage en relation avec l'avenir, la
construction de la beauté, une réflexivité du poète sur lui-même. C'est à la fois Apollinaire soldat et Apollinaire
qui se pense poète.»
Le reproche qui lui a été régulièrement fait de vanter les «beautés» de la guerre, de ne pas insister sur ses
atrocités est, pour Purnelle, un faux procès. «Il refuse de se situer dans le camp des patriotes ou dans celui
des pacifistes. Il est ailleurs. Il a choisi de s'engager, il a fait la guerre mais il a le bon goût de ne pas la
chanter comme les autres - l'héroïsme des soldats, la justification de la guerre, la haine de l'ennemi… Il fonde
sa poésie uniquement sur son expérience. Il ne reproduit pas la réalité mais invente une réalité nouvelle. Les
beautés visuelles qu'il décrit vont vers une beauté morale. Il veut la victoire car il croit qu'elle sera suivie d'une
ère nouvelle.»
Quid de la forme poétique dans ces deux recueils? «Dans Alcools, analyse son exégète, il emploie plutôt le
vers libre pour les poèmes prophétiques et le vers régulier pour les élégiaques. Dans Calligrammes, quand il
s'agit d'exprimer l'ordre, la discipline, la beauté, il recourt le plus souvent au vers régulier. Et quand il s'adresse
au monde, prophétise l'avenir ce serait plutôt le vers libre. Même s'il y a une interdépendance des formes.»
Vu sa diversité poétique, pas mal de poètes peuvent se revendiquer de Guillaume Apollinaire. Gérald Purnelle
observe que, malgré tout, certains surréalistes sont très apollinariens, tels Aragon ou Desnos. Et que la
musique élégiaque, le vers harmonieux, la poésie simple, intimiste et en même temps ouverte sur l'autre et
sur le monde, a pu influencer les poètes de l'école de Rochefort dans les années 40-50 comme René-Guy
Cadou. «Je définis son unité dans la figure du poète et l'insertion du sujet dans ses poèmes. Ce que la poésie
du XXe siècle présente de plus lyrique procède de lui», estime-t-il.
Guillaume Apollinaire, Alcools et Calligrammes, GF Flammarion, 233 and 315 pages.
Introduction, notes and presentation of the text by Gérald Purnelle.
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