Une Agatha Christie à l`algérienne?
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Une Agatha Christie à l`algérienne?
L'ACTUALITE LITTERAIRE POLAR • Une Agatha Christie à l’algérienne? par Adel Gastel L’Algérie pourrait avoir son Agatha Christie, elle se fait appeler Yasmina Khadra. Paradoxalement, c’est à l’étranger qu’elle se fait connaître. D’abord en France. Mais elle séduit aussi les Autrichiens, notamment l'universitaire Beate Bechter-Burschter qui vient de décrocher son titre de doctorat à la Sorbonne. Cette consécration, elle la doit à la recherche élaborée qu’elle a menée autour du thème “Entre affirmation et critique, le développement du roman policier algérien d’expression française”, conduite dans le cadre d‘un accord de coopération entre l’université autrichienne d’Innsbrück et la Sorbonne. Si Le Meurtre de Roger Ackroyd, Les Dix petits nègres ou encore Le Crime de l’Orient-Express sont les chefs-d’oeuvre de la plus célèbre romancière anglaise, la nôtre a émergé de l’anonymat avec Le Dingue au bistouri (Alger, éditions Laphomic, 1990). Ensuite, elle a récidivé avec La foire des enfoirés, en 1993, chez le même éditeur algérois. Mais c’est avec Morituri, aux éditions parisiennes Baleine, que Yasmina Khadra s’est affirmée. Elle en a vendu 15 000 exemplaires. Désormais, rien ne saurait obstruer le débit littéraire de Yasmina Khadra qui nous a émerveillés avec Double blanc, L’automne des chimères, et qui marquera certainement la prochaine rentrée littéraire francophone par son roman qui a fait saliver les responsables des éditions Julliard. Il aurait pour titre Ghachi mat. Au cours de sa soutenance, Beate Bechter-Burstcher a étalé le fruit de cinq ans de labeur, mettant l’accent sur les différentes étapes qui ont marqué l’évolution du roman policier algérien. Elle n’a pas omis de souligner le caractère idéologique et militant des romans des années 70. SM 15 et Emir 17 étant les romans les plus en vue de cette période, selon la recherche en question. Les phases suivantes, dit Beate Bechter-Burstcher, ont vu émerger un certain attachement à la quotidienneté algérienne et à la critique 1 ALGERIE LITTERATURE / ACTION indirecte du système, notamment avec L'inspecteur Antar de Djamel Dib. Pour cette universitaire autrichienne, c’est Le commissaire Llob qui concrétise le mieux l’enracinement du héros dans la société algérienne et l’internationalisation du roman policier algérien. Beate a travaillé à partir d’un corpus de 22 romans, citant en profondeur les auteurs tels Youcef Khader, Larbi Abakri, Zahira Houfani Berfas, Djamel Dib, Salim Aïssa, Rabah Zeghouda, Mohamed Benayat et Yasmina Khadra. Elle a scruté la vie de leurs héros, ne négligeant ni leur personnalité, ni leur environnement familial, amical et professionnel. Les titres de chapitres : “Adel et Antar, deux inspecteurs et leurs collègues” ou “Le commissaire Llob, sa famille et ses collègues” en sont de beaux exemples. A la fin de la soutenance, un membre du jury a commenté : “Compte tenu du sujet, on doit vous être reconnaissant”. Son directeur de recherche, Guy Dugas, a salué la méticulosité et le fait d’avoir avoué ses dettes à l’égard de Redha Belhadjoudja, le pionnier de la recherche universitaire sur les romans policiers algériens, auteur d'une thèse soutenue en 1993 à l'Institut des Langues Étrangères de l'Université d'Alger : Traitement de la notion de suspense dans le roman policier algérien ou la naissance du polar en Algérie. A l’occasion de la soutenance de Beate Bechter-Burschter, le commissaire Llob a envoyé une lettre à Guy Dugas : “Je vous écris exclusivement au sujet de ma petite amie Beate. Je sais qu’elle passe son examen chez vous. Autant vous dire tout de suite que si elle ne décroche pas la mention, je chargerai mon pote Navarro de vous coller des contraventions jusqu’à la fin de vos jours”. Yasmina Khadra tient toujours à l’anonymat, ce qui couvre ses écrits d’une intrigue commercialement intéressante. Mais elle rate certainement d’autres opportunités qu’offre l’écriture à visage découvert comme les séances de dédicaces, les interviews audiovisuelles, pour ne citer que cela. Qui êtes-vous et pourquoi ce mystère autour de votre identité ? Je suis un écrivain qui s’acquitte pleinement de son devoir de mémoire. Quant au mystère, je ne l’ai pas voulu, puisqu’il me fait du tort. En s’attardant sur ma personne au détriment de mon message, on porte atteinte à ma crédibilité. Beaucoup s’en voudront, un jour, d’avoir cherché à profaner ma réserve, à percer mon hypothétique planche de salut. Avez-vous tenté de publier les aventures du commissaire Llob en Algérie? J’en ai publié deux, à partir de 1990. Le premier épisode a eu droit à une presse enthousiaste. D’ailleurs, il va paraître incessamment dans sa version allemande, en Autriche, en même temps que Morituri. 2 L'ACTUALITE LITTERAIRE Les Français adorent leurs soldats, les Américains les vénèrent, beaucoup de grandes nations sont fières de leur Armée. Pourquoi voulez-vous que je ne le sois pas de celle de mon pays. Surtout à partir de ce que je vois tous les jours. Quant à ceux qui s’expriment à l’étranger, ils sont libres de le faire comme bon leur semble. Je n’ai pas de leçon de patriotisme à leur donner. Toutefois, j’ai remarqué que de nombreux intervenant algériens, notamment en Europe, ne sont pas forcément représentatifs de la société algérienne. Ils font preuve d’un opportunisme évident qui, conjugué à une méconnaissance flagrante de la réalité algérienne, induit en erreur l’opinion internationale. De mon côté, je tiens à signaler que je ne quitte pas des yeux les convulsions dramatiques de mon pays depuis le déclenchement des hostilités. J’ai donc appris à faire la part des choses, à séparer le bon grain de l’ivraie. Si je dédie mon livre aux militaires et aux policiers, c’est parce qu’ils le méritent. Qu’en est-il de l’information publiée par Jeune Afrique selon laquelle Morituri aurait gêné d’anciens responsables algériens? Lorsque j’ai décidé d'écrire, j’ai pris mes responsabilités en connaissance de tous les risques. Il faut savoir être digne dans la vie. Pensez-vous que Llob, en tant que profil, existe en Algérie? Dieu merci, l’Algérie recense plus de braves que de lâches. Il lui suffit de serrer les coudes, de ne pas sombrer dans le renoncement et l’égotisme. Notre pays souffre d’une crise de citoyenneté aiguë. Certains l’ont compris et sauront y remédier. Alors seulement, nos milliers de morts pourront reposer en paix. Comment avez-vous accueilli la chronique du Newsweek disant que le commissaire Llob était le “dernier homme de son pays capable de donner un sens à la violence algérienne”? Avec beaucoup de soulagement. Ça prouve que, malgré la subversion qu’entretiennent certains, j’arrive à bénéficier du soutien et de la confiance d’autorités médiatiques influentes et crédibles. Pourquoi avoir mis un terme aux aventures de Llob? Pour protester contre les rumeurs qui entourent mon identité au risque de porter atteinte à ma vie. Vous dédiez, sans complexe, votre dernier roman “au soldat et au flic de mon pays”, alors que beaucoup d’intellectuels algériens qui s’expriment à l’étranger évitent scrupuleusement de se frotter publiquement aux institutions algériennes. D’où détenez-vous cette assurance? Dans quelles circonstances s’est faite votre collaboration avec les éditions Baleine? Morituri a été soumis à trois grands éditeurs parisiens, début 95. 3 ALGERIE LITTERATURE / ACTION Deux ont tout de suite accepté de publier le roman. Les attentats de l’été 95 s’en sont mêlés. Il devenait difficile de publier un livre aussi virulent dont l’auteur reste indéfinissable dans une conjoncture particulièrement obscure. Après 17 mois de délibérations, ils ont décidé de ne pas prendre de risque. Baleine a eu le courage intellectuel de me faire confiance. Quelle est votre philosophie dans le choix des titres de vos romans? Je suis fortement imprégnée par l’oralité. A une autre époque, j’aurais été griot, je crois. Pensez-vous réellement que le terrorisme en Algérie soit, partiellement, l’oeuvre de la mafia politico-financière? Peut-être... Et vous? Quel jugement portez-vous sur l’énorme littérature relative à l’Algérie qui remplit les librairies françaises? Je ne suis pas au courant de cette littérature. En Algérie, les étals des librairies sont aussi pauvres qu’un discours de député. Donc, je n’ai pas de jugement à porter là-dessus. Existe-t-il des auteurs algériens que vous privilégiez particulièrement? Je les aime tous, sans exception. Écrire, dans un système viscéralement obscurantiste, à l’heure où d’autres excellent en matière de gain facile et d’abus de confiance, est une initiative qui force le respect. Votre style donne l’impression que certains noms de personnes, de rues, d’institutions sont codés. Qu’en est-il réellement? Je ne vise personne en particulier, et tout le monde en général. Mes romans ont le mérite d’aider chacun de nous à s’y reconnaître. Je n’ai rien inventé, mais je pense avoir été fidèle dans ma transcription de la société. Avez-vous d’autres projets d’écriture? J’aimerais beaucoup écrire pour les enfants. Propos recueillis par Adel Gastel • 4