DIAGNOSTIC ET PRISE EN CHARGE DE L`HTA EN 2015

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DIAGNOSTIC ET PRISE EN CHARGE DE L`HTA EN 2015
DIAGNOSTIC ET PRISE EN CHARGE DE L’HTA EN
2015
Professeur
Dominique
STEPHAN,
Service
des
Maladies
vasculaires
et
de
l’Hypertension, NOUVEL HOPITAL CIVIL
EPIDÉMIOLOGIE
L’hypertension artérielle (HTA) reste le premier facteur cardiovasculaire de
mortalité dans le monde
L’hypertension artérielle (HTA) reste le premier facteur cardiovasculaire de mortalité dans le
monde devant le tabagisme et l’hypercholestérolémie. L’HTA est responsable de 7 millions de
décès dans les zones développées et 4 millions de décès dans les zones en voie de
développement [Ezzati et al. Lancet 2002 : 360 : 1347-60]. L’HTA est la maladie chronique la
plus fréquente et on estime à environ 12 millions le nombre d’hypertendus en France. A partir
de 65 ans un sujet sur deux est hypertendu.
L’HTA : un échec du dépistage ?
Selon les données de l’INSERM, on admet qu’un patient hypertendu sur deux n’est pas
dépisté et parmi les patients dépistés, un patient sur deux n’est pas traité ou a cessé son
traitement. Les récentes enquêtes FLASH réalisées en France montrent qu’environ 30% des
patients soit un sur 3 est à l’objectif tensionnel d’une PA inférieure à 140/90 mmHg.
DIAGNOSTIC
Mesure clinique, automesures, mesure ambulatoire de la pression artérielle
(MAPA) : que choisir ?
L’effet blouse blanche est un facteur confondant de la mesure clinique
La mesure clinique de la pression artérielle (PA) au cabinet médical est sans doute la plus
mauvaise des méthodes pour diagnostiquer et suivre un hypertendu. En effet la mesure
clinique de la PA peut être sur évaluée du fait de l’effet blouse blanche. Cependant la part
d’augmentation de la PA ne peut être chiffrée précisément. Il s’agit du principal facteur
confondant dans la mesure clinique de la pression artérielle aussi soigneuse soit-elle. L’effet
blouse blanche concerne tous les patients et particulièrement les personnes âgées.
Contrairement à ce que pensent quelques patients n’y a pas « d’accoutumance » à la mesure
tensionnelle et l’effet blouse blanche se reproduit à chaque mesure au cabinet médical.
La place croissante des alternatives à la mesure clinique de la pression artérielle
Une place importante sinon essentielle doit dorénavant être faite aux techniques alternatives
de mesure tensionnelle : mesure ambulatoire de la PA (MAPA) ou automesures. Selon la
Société Française d’HTA, il est recommandé de pratiquer des mesures en dehors du cabinet
médical pour confirmer le diagnostic d’HTA. Il peut s’agir d’automesures ou de MAPA. Depuis
plusieurs années, la Société Française d’HTA et le Comité de Lutte contre l’HTA valorisent
l’utilisation de l’automesure. A ce propos et afin de limiter le nombre de diagnostic par excès,
la CNAM va équiper des médecins généralistes volontaires d’un appareil d’automesure dédié
au diagnostic de l’HTA chez leurs patients. Cette initiative a pour objectifs de dépister l’HTA de
la blouse blanche responsable de diagnostic par excès (un chiffre proche des 25%) et de
réduire le coût que représentent les traitements antihypertenseurs indument prescrits pour la
collectivité.
L’automesure est-elle le gold standard alternatif à la mesure clinique ?
Des enquêtes récentes ont révélé que les conditions de réalisation et conséquemment les
capacités d’exploitation de l’automesure tensionnelle sont loin d’être satisfaisantes. Si les
modalités techniques de l’automesure semblent à peu près maitrisées, le non-respect d’une
fréquence et d’un nombre nécessaires et suffisants de mesures et l’absence de retranscription
des chiffres ou de leur transmission enlèvent des atouts majeurs à la technique, la rendant au
final peu exploitable et de faible impact sur le contrôle tensionnel. La promotion d’une
automesure utile à la prise en charge des hypertendus doit ainsi passer par la formation des
médecins et l’information des patients.
Pour rappel, la Société Française d’HTA et le Comité de Lutte contre l’HTA recommandent
d’adopter le principe des 3 mesures matin et soir 3 jours de suite, de fournir au patient un
relevé à cet effet et de bien s’assurer de la compréhension du protocole par le patient (figure
1). Les normes de PA en automesure sont en moyenne inférieures à 135/85 mmHg. Une liste
des appareils validés est proposée sur le site de l’ANSM. Une priorité doit être donnée aux
appareils disposant d’un brassard par rapport aux appareils au poignet à l’origine d’erreurs de
mesure plus fréquente.
Figure 1 : relevé d’automesure
LA MAPA méthode à privilégier ?
La MAPA apparaît plus sensible et spécifique pour diagnostiquer l’HTA qu’une stratégie basée
sur la convocation répétée du patient assortie de mesures multiples de la PA. Selon certaines
études anglaises, la mesure ambulatoire serait plus efficiente (coût/efficacité) que les
automesures à domicile dont l’intérêt diagnostique se situerait entre les mesures au cabinet
médical et la MAPA. Il y aurait cependant 5 à 10% de patients intolérants à la MAPA et chez
les patients porteurs d’une fibrillation atriale aucun système automatisé ne peut être
recommandé. Selon des études menées en Grande Bretagne, l’utilisation de la MAPA
aboutirait à un gain en terme de réduction du nombre des visites le médecin conduisant au
diagnostic de l’HTA et à un gain en terme de délai de mise en route du traitement qui pourrait
être réduit grâce à cette méthode. Rappelons qu’il y probablement jusqu’à 25% de diagnostic
par excès d’HTA et la MAPA permet ainsi de corriger le diagnostic. A l’instar de l’automseure,
les valeurs normales en MAPA sont plus basses que pour la PA clinique.
La consultation d’annonce
Spécificité des recommandations française pour la prise en charge de l’HTA, la consultation
d’annonce a pour objectif : « d’informer le patient sur sa maladie, ses conséquences, les
moyens médicamenteux, les objectifs du traitement, puis de recueillir son avis et d’évaluer sa
balance décisionnelle ». Cependant, l’HTA n’est pas le cancer et le concept de consultation
d’annonce doit être remis dans son contexte. L’HTA est définie sur les valeurs tensionnelles
pour lesquels un surcroît de complications cardiovasculaires devient significatif. Sa répartition
n’est ainsi pas bi modale, séparant d’un côté les normotendus et de l’autre les hypertendus ou
en d’autres termes un état « malade » d’un état « non malade » mais unimodale, dessinant
un continuum de la distribution de la PA vers des valeurs élevées et corrélativement d’un
risque majoré. Dans l’HTA sévère (PA > 180/110 mmHg) le risque est suffisamment élevé
pour que la décision de traiter soit prise rapidement et la consultation d’annonce est
certainement utile pour aider à l’observance thérapeutique. Ce ne sont néanmoins pas les
situations les plus nombreuses. Au contraire, dans l’HTA de grade I et II (PAS initiale est
entre 140 et 179 mmHg et/ou la PAD entre 90 et 109 mmHg) : 1) la variabilité de la pression
artérielle ne permet pas de présumer du statut tensionnel habituel du patient ; 2) le risque
individuel
n’est
pas
suffisamment
élevé
pour
justifier
l’introduction
immédiate
d’un
médicament anti-hypertenseur. Dans ces cas, la décision de prescrire ou non un traitement
médicamenteux n’est prise qu’au terme d’une période d’observation allant de 3 à 6 mois, et
comportant théoriquement au moins 3 consultations avec au moins 2 mesures par
consultation et l’institution de mesures non médicamenteuses pour abaisser la PA et agir sur
les cofacteurs de risque. Ainsi, la consultation d’annonce ne peut intervenir dès la constatation
de chiffres élevés compte tenu de la variabilité de la PA qui ne permet pas de présumer du
statut tensionnel habituel du patient. Elle peut intervenir une fois le diagnostic HTA
permanente posé, le cas échéant à l’aide d’une MAPA. Un frein à ce nouveau concept, la durée
d’une consultation de médecine générale en France étant en moyenne de 16 minutes, il
restera à valoriser la durée d’une consultation d’annonce nécessairement plus longue
qu’habituellement.
OBJECTIFS TENSIONNELS
Les recommandations nord-américaines du JNC-VIII ont ravivé le débat ancien qu’était la
définition précise des seuils tensionnels à partir desquels traiter et des cibles thérapeutiques à
atteindre objectifs qui en réalité se confondent. Ces recommandations se sont concentrées sur
trois questions : 1) quelles sont les valeurs de la PA à partir desquelles l’initiation d’un
traitement se traduit par une réduction des évènements cardiovasculaires ? 2) quels sont les
objectifs tensionnels à atteindre pour réduire ces évènements cardiovasculaires ? 3) quel est
le rapport bénéfice risque des différentes classes d’antihypertenseurs dans le traitement de
l’HTA ? Le constat à partir duquel les rédacteurs ont conçu le texte est le suivant : il y a une
méconnaissance du niveau tensionnel optimal cible du traitement antihypertenseur y compris
dans des sous-groupes de patients (diabétiques, insuffisants rénaux, noirs) ; la définition
d’objectifs tensionnels trop exigeants a conduit à un sur-traitement des hypertendus
favorisant la survenue d’effets indésirables ; il faut probablement redéfinir des objectifs
tensionnels plus hauts que ceux antérieurement fixés pour limiter l’escalade thérapeutique.
Ainsi, les recommandations US indiquent que chez les patients âgés de plus de 60 ans,
l’objectif tensionnel est dorénavant de moins de 150/90 mmHg. L’objectif chez les patients de
moins de 60 ans reste une PA < 140/90 mmHg. Chez les patients diabétiques ou insuffisants
rénaux chroniques, l’objectif n’est plus une PA inférieure à 130/80 mmHG mais une PA <
140/90 mmHg. Très critiquées, ces recommandations ont cependant permis d’établir quelques
projections. Aux Etats-Unis, la redéfinition des objectifs tensionnels permettrait de réduire de
5,8 millions de sujets nécessitant un traitement anti-hypertenseur. La proportion des
hypertendus à l’objectif tensionnel, passerait de 40,6% (selon les cibles fixées par le JNC-7) à
56,5% selon les valeurs nouvellement définies.
Pour les recommandations françaises, la PA cible recommandée reste <140/90mmHg,
<150mmHg pour les plus de 80 ans, <130(139/90 mmHg chez les diabétiques et insuffisants
rénaux, des objectifs plus ambitieux peuvent être proposés chez certains patients, après avis
spécialisé.
Pour les recommandations européennes de l’ESH (European Society of Hypertension), il faut
distinguer un niveau de PA dit : « normal haut » puis envisager trois grades de l’HTA. La
décision de traiter se fait en référence à un tableau à double entrée indiquant d’une part le
niveau tensionnel et d’autre part le nombre des facteurs de risque présents ou l’atteinte
d’organes cibles, d’insuffisance rénale chronique ou de diabète ou le statu du patient
(prévention secondaire par exemple). Les différentes couleurs indiquent le niveau de risque
cardiovasculaire global, du plus faible en vert au plus élevé en rouge. Ce tableau peut paraitre
compliqué et peu utilisable en pratique. Il souligne cependant l’intérêt d’inclure dans la
décision de traiter le niveau spécifique du facteur de risque considéré, en l’occurrence le
niveau de PA, et l’estimation du risque cardiovasculaire global. Ce constat repose sur les
résultats d’essais cliniques réalisés chez des patients dits « à haut risque cardiovasculaire »
chez lesquels il a été montré que la prescription d’une statine, ou d’un bloqueur du système
rénine angiotensine réduisait significativement la survenue de complications cardiovasculaires.
Ainsi la catégorisation d’un patient dans la gamme des sujets à haut risque cardiovasculaire :
par exemple un diabétique avec réduction du débit de filtration glomérulaire doit logiquement
déboucher sur la prescription des médicaments ayant fait la preuve de leur capacité à réduire
le risque cardiovasculaire globale en dehors de la présence ou non d’une HTA, en l’occurrence
un bloqueur du système rénine angiotensine.
TRAITEMENT
Selon les recommandations françaises (tableau III), cinq classes d’anti-hypertenseurs restent
indiqués en première intention chez l’hypertendu : diurétiques, bêta-bloquants, inhibiteurs
calciques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC), antagonistes des
récepteurs AT1 de l’angiotensine II (sartans). En cas de non obtention de l’objectif tensionnel,
il est recommandé d’associer deux principes actifs préférentiellement en un seul comprimé
(bithérapie fixe). Le schéma des associations recommandé n’est plus indiqué. Le « bateau »
des recommandations HAS 2005, ses médicaments de la soute et ceux du pont, ne figure plus
dans le document, laissant a priori le praticien libre d’associer n’importe quels des
médicaments entre eux. Il est cependant indiqué qu’il ne faut pas associer 2 bloqueurs du
SRA et que l’association bêta-bloquant-diurétique augmente le risque de diabète. Cependant,
dans les recommandations de la SFHTA, en cas d’HTA non contrôlée à 6 mois, il est
recommandé de vérifier la prescription d’une trithérapie antihypertensive à posologie optimale
comprenant un bloqueur du SRA, un diurétique thiazidique et un antagoniste calcique. Ces
trois classes d’antihypertenseurs sont celles que la plupart des recommandations prônent
d’associer entre-elles en troisième intention.
Tableau III : Recommandations pour le traitement de l’HTA
1les
bêta-bloquants
apparaissent moins efficaces que les autres classes pour la prévention des AVC ; ² Textes de recommandations spécifiques
dans ces indications ; SRA : système rénine angiotensine ; INCA : inhibiteurs calciques de type dihydropyridine à durée d’action
prolongée ; βB : bêta-bloquants
S’agissant du traitement, les recommandations anglaises (figure) paraissent plus linéaires
dans la mesure où elles recommandent en première intention les IEC ou les sartans
(traitement A) avant 55 ans. Les calcium bloqueurs (traitement C) après l’âge de 55 ans ou
chez les patients noirs sauf si œdèmes ou risque d’insuffisance cardiaque où les diurétiques
restent recommandés. A l’étape 2, les recommandations anglaises recommandent de
combiner les bloqueurs du SRA avec un inhibiteur calcique. A l’étape 3, il faut combiner
diurétiques thiazidiques (traitement D) avec A et C. Dans le débat concernant le choix du
diurétique, les données semblent plus solides avec la chlorthalidone 12,5 ou 25 mg
(médicament retiré du marché en France) et l’indapamide 1,25 et 2,5 mg qu’avec
l’hydochlorothiazide, probablement pour une raison de sous-dosage de ce médicament dans
les essais cliniques. Les recommandations nord-américaines assez proches des anglaises
prônent dans la population des patients non noirs y compris les patients diabétiques, les
thiazides, les calcium-bloqueurs, les IEC et les sartans. Dans la population des patients noirs
y compris diabétiques, les thiazides et les inhibiteurs calciques. Selon le JNC-8, les patients de
plus de 18 ans porteurs d’une insuffisance rénale doivent bénéficier d’un bloqueur du SRA.
Figure : recommandations anglaises
Et les bêta-bloquants ?
Un débat persiste quant à la prescription d’un bêta-bloquant en première intention dans l’HTA.
Les bêta-bloquants peuvent être utilisés en première intention selon les recommandations
françaises et l’ESH. La Société Française d’HTA assortie cependant sa recommandation de la
mention : les bêta-bloquants apparaissent moins efficaces que les autres classes pour la
prévention des AVC. Les bêta-bloquants (BB) ne sont pas recommandés en première intention
dans le NICE (GB) et le JNC-8 (US). Selon le JNC-8 cette recommandation est basée sur
l’étude Life à laquelle on peut associer Ascot qui montrent un surcroît d’événements
cardiovasculaire, notamment d’AVC dans le groupe bêta-bloquant versus sartan. Selon les
recommandations NICE, les BB peuvent être utilisés à la quatrième étape de l’adaptation
thérapeutique. Selon le JNC-8 la mention des propriétés additionnelles des BB : activité alphabloquante ou vasodilatatrice, est non relevante pour le traitement de l’HTA.
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
http://www.sfhta.eu/recommandations...
http://www.esh2013.org/wordpress/wp...
http://guidance.nice.org.uk/CG127. Ces recommandations ont été éditées en 2011 et revues
en 2013 sans modification.
Evidence-based guideline for the management of high blood pressure in adults. Report from
the panel members appointed to the eighth Joint National Comitee (JNC 8). Jama 2014 ;
311:507-520.
NAvar-Boggan AM, Pencina MJ, Williams K, Sniderman AD, Peterson ED. Proportion of US
adults potentially affected by the 2014 hypertension guideline. JAMA 2014 ;311:1424-1429.
The Heart Outcomes Prevention Evaluation Study Investigators. Effects of an angiotensinconversting-enzyme inhibitor, ramipril, on cardiovascular events in high-risk patients. N Engl J
Med 2000 ;342:145-153.
HAS recommandations pour le traitement de l’hypertension artérielle de l’adulte. 2005
Cardiovascular morbidity and mortality in the Losartan Intervention For Endpoint reduction in
hypertension study (LIFE) : a randomised trial against atenolol. LIFE study group. Lancet
2002 ;359:995-1003. Dans l’essai LIFE, le losartan a permis une réduction du nombre des
AVC de 30% par rapport à l’aténolol chez des hypertendus au stade de l’hypertrophie
ventriculaire gauche électrique
Prevention of cardiovascular events with an antihypertensive regimen of amlodipine adding
perindopril as required versus atenolol adding bendroflumethiazide as required, in the AngloScandinavian Cardiac Outcomes Trial-Blood Pressure Lowering Arm (ASCOT-BPLA) : a
multicentre
randomised
controlled
trial.
ASCOT
investigators.
Lancet
2005 ;366:895-
906. Dans ASCOT-BPLA (Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial-Blood Pressure Lowering
Arm)
l’amlodipine
combinée
au
périndopril
réduisait
significativement
la
mortalité
cardiovasculaire (-24%) et les AVC (-23%) comparativement à l’association aténolol-thiazide.