Rencontre « Une personne = une voix » ou l`économie
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Rencontre « Une personne = une voix » ou l`économie
de l’Économie Sociale et Solidaire Rencontre Chercheurs - Acteurs observatoire-ess-iledefrance.fr Les rencontres Chercheurs-acteurs : En partenariat avec des instituts de recherche franciliens, ces rencontres vous permettent d’échanger sur les derniers travaux de recherche sur l’économie sociale et solidaire et d’approfondir votre connaissance du secteur. Ces rencontres sont organisées dans le cadre de l’observatoire régional de l’économie sociale et solidaire en Île-de-France porté par l’Atelier et la CRESS IDF. #3 « Une personne = une voix » ou l’économie sociale et solidaire revue à travers la question du genre Dans le cadre des rencontres organisées par l’Atelier, les auteurs de l’ouvrage « Femmes, économie et développement » ont croisé leurs regards de chercheurs et d’acteurs œuvrant auprès des collectifs de femmes engagées dans une activité économique. Il existe partout dans le monde une multitude d’initiatives locales spécifiquement féminines combinant activités économiques (production, consommation, finance, etc.) et politiques (défense des droits) et pourtant celles-ci sont quasiment ignorées de l’opinion publique et du domaine académique. La mobilisation des femmes pour faire de l’économique autrement est-elle une résistance et un palliatif à la mondialisation libérale ? Ou assistet-on à la construction d’une alternative ? L’objectif de l’ouvrage : sortir des approches trop cloisonnées en la matière. Lors de cette rencontre, les auteurs ont confirmé la pertinence de l’approche « genre » pour comprendre les spécificités et les points communs de ces initiatives de femmes, au Nord et au Sud, mais plus largement par rapport à toute l’économie sociale et solidaire. Coopérative de commerce équitable en Bolivie, coopérative de beurre de karité au Burkina Faso, restauration collective dans les quartiers en France, cantines populaires au Pérou, groupement d’épargne et de crédit dans le contexte indien… Ces initiatives de femmes, au Nord comme au Sud, ont toutes en commun d’avoir un pied dans l’économique, et l’autre dans la politique. Un bras dans la sphère productive, et l’autre dans la sphère « reproductive ». Ces femmes assurent leur quotidien de mère et d’épouse, à travers les activités incompressibles de soin, santé, enfants, repas. Leurs activités collectives de production ou de consommation viennent donc s’ajouter à leurs tâches domestiques et ce avec une finalité politique récurrente : celle d’agir au sens large sur les conditions de vie et les modes de régulation. « Outre l’envie de sortir d’une vision trop cloisonnée, nous avons souhaité rendre visibles ces initiatives, qui pour la plupart restent dans l’ombre. Le livre a d’abord une approche descriptive pour donner à voir le fonctionnement au quotidien de ces initiatives de femmes ». Isabelle Guérin -1- LES AUTEURS : une rencontre de chercheurs et d’acteurs Isabelle Guérin est socio-économiste, chercheure à l’Institut de Recherche pour le Développement, responsable du programme « Travail, finances et dynamiques sociales » de l’Institut Français de Pondichéry. Madeleine Hersent est directrice de l’association ADEL (Association pour le développement économique local) et accompagne depuis 30 ans des collectifs de femmes engagées dans une activité économique. www.adel.asso.fr Laurent Fraisse est socio-économiste, chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique (LISE/ CNRS). Môm'artre / Crédit photos : © Séb! Godefroy N’EST NI UN CHOIX, NI UNE QUALITÉ NATURELLE ! Si ces initiatives partagent une dimension synonyme de compromis et non de contestation frontale, c’est bien parce qu’elles sont le fruit d’une construction sociale révélée à travers l’inégalité de genre : celle-ci se traduit par une inégalité d’accès aux ressources, à l’emploi, et a fortiori, aux rênes du pouvoir. La confrontation est trop risquée : « Par exemple, au Bangladesh ou aux Philippines, les initiatives syndicales de femmes préfèrent maintenir la discussion possible avec les de services pour répondre aux besoins quoti- diens des femmes concernées » illustre Isabelle Guérin. Certaines initiatives se positionnent davantage sur l’aspect économique et présente un potentiel assez limité en matière de transformation sociale. D’autres, au contraire, plaident pour une revalorisation des activités dites reproductives, et engagent à une véritable révision des modes d’organisation de la société. Il s’agit alors de montrer et d’accepter la plus-value sociale de ces activités qu’il faudrait rémunérer à leur juste valeur. DES INITIATIVES INTRINSÈQUEMENT FRAGILES Et c’est bien ce qui rend leur combat si difficile : ces femmes doivent poursuivre leurs activités incompressibles à côté de leur engagement économique et politique et risquent, à tout moment, de perdre leur emploi, si elles vont trop loin. « On constate combien ces initiatives sont également très précaires, avec un fonctionnement chaotique, fait d’apprentissages, d’avancées, dans une sorte de statu quo au point que les personnes engagées se découragent » rappelle Isabelle Guérin. « Et si au contraire, ces initiatives prennent une certaine envergure économique, elles sont rapidement récupérées ». Entre le trop et le pas assez, le point d’équilibre est fragile… Sans compter qu’au Nord, les législations en vigueur exigent de ces femmes qu'elles soient des professionnelles dans la gestion de leur entreprise avant même d’avoir réuni les fonds pour démarrer. « Quand j’accompagne des collectifs de femmes, souvent d’origine immigrée, dans des zones urbaines dites sensibles, relate Madeleine Hersent. On demande à ces personnes d’être en capacité de tout gérer au niveau légal, administratif, gestionnaire, hygiène, sécurité… En France, on demande à ces initiatives d’être hyper professionnelles ! Mais ce n’est pas la même chose selon moi de demander à des cadres ou à des personnes qui n’ont pas les pré-requis nécessaires pour cette création d’activité, de faire leurs preuves de manière identique ». Dernier point de fragilité relevé par les auteurs, la femme peut être elle-même… « une louve pour la femme », pour reprendre la célèbre formule de T. Hobbes. « Les collectifs féminins sont également traversés de hiérarchies et peuvent tout à fait reproduire des inégalités entre femmes, avec notamment une certaine monopolisation des décrit Isabelle Guérin. -2- « Initiatives », de quoi parle-t-on ? Madeleine Hersent, la « praticienne » du trio des auteurs, nous en offre une « Par initiative, j’entends des personnes qui se prennent en charge et qui veulent faire les choses par elles-mêmes, parce qu’à un moment, elles trouvent que les besoins sont peu ou mal couverts, décident d’y répondre et s’auto-organisent pour cela ». Laurent Fraisse souligne aussi le caractère informel et non statutaire des activités décrites dans l’ouvrage. « Le mot « initiative » désigne quelque chose d’indéterminé et d’hybride. On parle également d’initiatives pour ne pas rabattre celles-ci à la seule dimension entrepreneuriale, où l'unique débouché souhaité pour ces initiatives féminines serait l’activité marchande. Certaines initiatives ne se réduisent pas à cette trajectoire, et notamment, toutes les expériences de gestion collective, qu’on appellerait ici des services d’intérêts généraux (ou gestion de biens publics) qui, justement, ne relèvent pas d’une logique entrepreneuriale. A travers ce terme d’initiative, on fait appel à des registres de l’action hybrides et non fermés dans une case marchande et entrepreneuriale, avec une forme statuLe terme d’initiative renvoie donc à une manière de penser l’hybridation et de fuir les catégories très appréciées des programmes de développement et de L’ESS ET LA QUESTION DU GENRE : À LA RECHERCHE D’UNE RECONNAISSANCE EN TANT QU’ÊTRE HUMAIN Même si l’ouvrage « Femmes, économie et développement » ne porte pas directement sur l’économie sociale et solidaire, de nombreux points de convergence sont relevés par les auteurs. En premier lieu, toutes ces initiatives sont au croisement de l’économie et de la solidarité. Les deux relèvent souvent de ce que certains appellent « l’économie de la vie quotidienne » qui se caractérise par l’ancrage territorial des initiatives décrites. Tout comme les projets d’ESS, elles répondent moins à une opportunité de marché qu’à un besoin non assouvi sur un territoire donné. D’ailleurs, dans les deux approches, les outils classiques d’accompagnement du créateur d’entreprise (étude de marché, business plan, etc…) ne ff suffisent pas à comprendre et à rendre compte de l’utilité sociale de ces initiatives. C’est pourquoi, on s’intéresse aussi aux travaux sur les nouveaux indicateurs de richesse, explique Madeleine Hersent. On doit mettre en place d’autres critères et se demander ce que cela produit au niveau de la cohésion sociale, du lien social, ou encore, comme on dit en Equateur, du « bien vivre ensemble » C’est aussi ce qu’on a essayé de faire dans cet ouvrage en travaillant sur les alliances avec la recherche, les mouvements sociaux (syndicats, Marche mondiale des femmes, mouvement altermondialiste…) ou encore les médias, même si avec eux, les choses sont plus compliquées ». Une autre passerelle entre l’économie sociale et solidaire et les initiatives de femmes réside dans la quête de visibilité : « Il y a une sorte d’homologie entre la quête de reconnaissance et de valorisation des initiatives d’ESS et des initiatives de femmes » résume Laurent Fraisse. publiques, l’ESS et la question des initiatives de femmes partageraient un même besoin de reconnaissance. « Aujourd’hui, on veut bien reconnaître l’utilité de telles initiatives de femmes, mais on ne met pas les moyens pour qu’elles s’organisent et fonctionnent différemment » regrette Madeleine Hersent. On peut se demander s’il faut des politiques publiques de genre pour avoir plus de reconnaissance, d’insertion et d’égalité des femmes dans l’économie, comme on peut se demander s’il est nécessaire d’avoir des politiques d’ESS pour permettre à des projets ou initiatives de femmes d’éclore ? « Est-ce que les politiques territoriales d’ESS aident vraiment les initiatives, quand elles devraient être les leviers qui permettent de décloisonner… les réseaux Comment sortir du traditionnel « 1 homme = 1 voix » ? C’est la question posée par le groupe « Femmes dans l’ESS » créé notamment par les auteurs après les États généraux de l’ESS. « Même dans ce secteur, la question du genre brille par son absence ! » martèle Madeleine Hersent. En effet, de nombreuses personnes s’interrogent sur le décalage persistant entre d’une part la participation effective des femmes au développement de l’ESS en tant que salariées, chefs d’entreprises, animatrices de réseaux, bénévoles, universitaires, chercheures, élues, et d’autre part la quasi inexistence des mandats exercés par des femmes dans les instances décisionnelles et représentatives du secteur. Le groupe a donc lancé une pétition publique sur le credo : « Cent femmes s’engagent, au nom d'une personne, une voix pour l’égalité maintenant dans l'Économie sociale et solidaire ! » http://www.lelabo-ess.org/?Socialeset-solidaires-les-FemmESS réponses et d’outils en fonction des types d’activités » répond Laurent Fraisse à une interpellation du public. Institutionnalisation des initiatives : Relais ou récupération par une politique publique ? Comment peser sur l’action publique sans se faire récupérer ? Encore une fois, la question est posée par un participant. La dernière partie de l’ouvrage traite précisément de l’institutionnalisation. … Isabelle Guérin répond : « À mon avis, ces initiatives n’ont de légitimité que si elles agissent localement tout en étant reliées à une cause plus globale ». Et de donner deux exemples présentés de façon plus détaillée dans le livre : • Dans le contexte québécois pourtant considéré comme un modèle en matière d’ESS, la considération pour la question du genre est catastrophique : plus le secteur s’est institutionnalisé, et plus les féministes et les revendications féministes s’en sont fait évincer, pour arriver à une • Le cas des cantines populaires implantées un peu partout en Amérique Latine montre combien cette institutionnalisation est aussi l’une des raisons d’être de ces initiatives. Mais, si elles ne sont pas relayées par une politique publique, on assiste seulement à une tentative de mutualisation, sans qu’il y ait vraiment de réponse globale. Les femmes travaillant dans ces cantines restent largement sous-valorisées et concrètement sous-payées. -3- « Si on ne pèse pas sur les politiques publiques un moment, on reste dans des trajectoires de précarité… » Isabelle Guérin et après ? Initiatives de femmes ou projets d’ESS, les deux ont en commun une portée politique qui, au minimum, pose une question de société : « Par exemple, pour la garde d’enfants, une initiative peut y répondre mais elle pose aussi une question de politique publique et de choix de société : qui garde et éduque les enfants dans la société, pour quel illustre Laurent Fraisse. Elles posent également la question de l’articulation entre le professionnalisme et la dimension militante : « On va pouvoir retrouver cette question sur la façon d’accéder et de peser sur le débat public, et comment on le met en scène : soit de façon frontale et revendicative, soit de manière plus négociée. Il y a un champ en tension qui peut être créatif mais aussi paralysant. En cela, l’approche genre questionne l’ESS. » conclut Laurent Fraisse. sur « Les organisations féminines au Burkina Faso » qui a participé à l’ouvrage, confondre le genre en tant qu’analyse des rapports de pouvoir entre hommes et femmes, et en même temps, objectif d’égalité entre hommes et femmes. « Cette confusion entre la cause et la solution fait, qu’aujourd’hui, on a des politiques publiques qui ne vont plus parler de genre mais d’égalité hommes-femmes, et font ainsi en sorte qu’on ne parle plus des rapports de domination… C’est une autre manière de gommer l’enjeu et le cœur de la question. » Et contre les raccourcis plus faciles qui préfère rappeler le processus qui pousse les femmes à être plus présentes en ESS : « Le genre ne se « rajoute » pas à l’ESS, il est au cœur de l’ESS. Il faut toujours rappeler que le genre façonne le rapport entre les hommes et les femmes, ce qui amène les femmes à être dans des espaces où l’ESS pourra davantage se déployer, et donc, les femmes vont développer des compétences et des savoir- faire dans ces espaces, qu’il faut valoriser, et qui peuvent être alternatifs. Il faut toujours rappeler ce cheminement. Les femmes ne sont pas naturellement plus aptes dans ces sphères-là ! Le genre et l’ESS partagent un même message qu’il faut toujours rappeler aux politiques : il ne faut pas enfermer un homme ou une femme dans une activité, dans une sphère, c’est bien la capacité à sortir d’une catégorie déterminée : que chacun puisse accéder à une redistribution, et à une reconnaissance dans son statut en tant qu’être humain. » En accueillant et en orientant quotidiennement les porteurs de projets de l’ESS, femmes et hommes, l’Atelier contribue à leur donner de la visibilité et une certaine reconnaissance, voire à générer des relais, pour toutes ces initiatives porteuses d’un message sociétal fort sur le « bien vivre ensemble ». ressources RÉFÉRENCES DE L’OUVRAGE • Femmes, économie et développement, de la résistance à la justice sociale, sous la direction de Isabelle Guérin, Madeleine Hersent, Laurent Fraisse, Collection « Sociologie économique », dirigée par Jean-Louis Laville, Editions Erès, 384 pages - ACC.2/013* DES MÊMES AUTEURS • Les politiques publiques d’économie solidaire : un enjeu d’avenir pour les initiatives locales, Elisabetta Bucolo / Bérénice Dondeyne / Laurent Fraisse – RTES – 2007 - ACC.1.2/002 * POUR ALLER PLUS LOIN : • La croissance dépend aussi des femmes... Womenomics, Avivah Wittenberg-Cox et Alison Maitland - Eyrolles, 2008 – ACC.2/002 * • L'économie des inégalités, Thomas Piketty - La Découverte, 2008 – GEN.1/007 * • Les femmes entrepreneurs en France, Bertrand Duchéneaut et Muriel Orhan - Seli Arslan (Paris), 2000 – ACC.2/001 * • Le Pacte. Pour en finir avec les discriminations : Sexisme, homophobie, handicap, âge, origine, Louis-Georges Tin Autrement, 2012 – GEN.6.6/017 * • Chronique de la discrimination ordinaire, Vincent Eldin et Saïd Hammouche - Gallimard, 2012 GEN.6.6/016 • Manifeste féministe, Laure Adler - Autrement, 2011. *Ces références vous permettent de retrouver facilement les ouvrages et articles dans le fonds documentaire de l'Atelier. notre espace ressources Accédez à des guides pratiques, ouvrages, de la presse spécialisée ou encore une veille média… le tout dans un lieu convivial à deux pas de la Gare de l’Est. La consultation de l’espace ressources de l’Atelier est en accès libre : Le mardi et mercredi, de 14h à 18h et le jeudi, de 17h à 20h 8-10, impasse Boutron - 75010 Paris - Tél. 01 40 38 40 38 - www.atelier-idf.org L'Observatoire régional de l'ESS en Île-de-France, porté conjointement par l'Atelier – Centre de ressources régional de l'économie sociale et solidaire et la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire en Île-de-France (CRESS IDF), poursuit les finalités suivantes : fournir aux acteurs de l'ESS et aux collectivités territoriales des données scientifiques quantitatives et qualitatives fiables, permettant de mieux comprendre l'ESS aujourd'hui et d'accompagner son développement futur. observatoire-ess-iledefrance.fr Synthèse réalisée par Estelle Hédouin Graphisme : A’Kâ Clémence Callebaut – 06 70 57 80 55