Pierre Boulle, La Planète des Singes, ch. XV, 1963. Ce texte figure
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Pierre Boulle, La Planète des Singes, ch. XV, 1963. Ce texte figure
2 Pierre Boulle, La Planète des Singes, ch. XV, 1963. Ce texte figure dans les "textes complémentaires" ; il ne peut donc servir de support à une question posée dans le cadre de la première partie de l'oral. En revanche, dans l'entretien, on peut vous demander en quoi ce texte est un apologue. Vous pourrez répondre : a) qu'il s'agit d'un récit (et d'un récit intéressant, puisqu'il joue sur une inversion des rapports entre des animaux et les hommes, et que l'auteur lui a donné une tonalité comique) ; b) et que ce récit est au service d'une idée, et plus précisément d'une critique, celle d'un certain type de savants. Pour développer cette idée, vous pourrez vous appuyer sur quelquesunes des remarques suivantes : Quel est l'intérêt du personnage de l'orang-outan ? I. L'orang-outan, un personnage symbolique. II. L'orang-outan, un personnage ridiculisé. III. L'orang-outan, un personnage au service d'une critique. Arrière-plan culturel : Pierre Boulle est un écrivain auteur de nouvelles et de romans. Deux d'entre eux, Le Pont de la rivière Kwaï et La Planète des Singes, ont été adaptés au cinéma. Le roman a été écrit en 1963 ; le président de la République française est alors le général de Gaulle, et cinq ans plus tard auront lieu "les événements de mai 1968" qui sont pour une part une remise en cause (on disait à l'époque une "contestation") de l'autorité, dans tous les domaines (les relations entre les parents et les enfants, la politique, les usines, le pouvoir des "grands patrons" dans le monde médical… I. L'orang-outan, un personnage symbolique. Il faut tout d'abord se demander quel type social représente l'orang-outan. Citations Commentaire Des désignations explicites "une haute autorité" "un vieux pontife, Toutes ces expressions vénérable et solennel" pourraient s'appliquer à un "savant chevronné" homme. Il s'agit d'une série de désignations explicites, toujours composées d'un nom et d'un adjectif (au moins) en apparence valorisant. Nous sommes en présence d'un personnage qui incarne le pouvoir intellectuel acquis par l'expérience, source de prestige. Conclusion 3 Le costume "une longue redingote noire, dont le revers s’ornait Le costume renvoie à notre d’une étoile rouge" XIXe s. , il donne au personnage une allure officielle, un peu théâtrale. Il affiche ainsi une respectabilité confirmée par l' "étoile rouge" dont la couleur fait songer à notre "légion d'honneur". Les relations entre les singes "savant chevronné et de son humble secrétaire." Une hiérarchie est "Zira témoignait au grand évidente : l'orang-outan est patron un respect évident. entouré du respect de tous les Les deux gorilles se portèrent autres singes, qui donnent des à sa rencontre dès qu’ils signes manifestes de leur l’aperçurent et le saluèrent subordination, de leur statut très bas." inférieur. "Les autres singes attendaient ses décisions dans un silence respectueux." Le personnage est un savant officiellement reconnu, qui a obtenu une position sociale importante, source d'autorité, de prestige et de respect. On songe aux "grands patrons" professeurs de médecine, chefs de service dans des hôpitaux prestigieux. Nous sommes devant un de ces savants qui ont fait carrière, qui sont arrivés à des postes de responsabilité menant au prestige et au pouvoir. II. L'orang-outan, un personnage ridiculisé. N. B. : Il ne suffit pas de relever des "procédés comiques" (comique de situation, comique de gestes…) ; il faut orienter toute la réflexion vers un certain type de comique : un personnage, détenteur d'une autorité officiellement reconnue, est ridiculisé par des personnages qui lui sont socialement inférieurs – mais qui l'emportent sur lui en intelligence, en astuce. Ce comique est fréquemment exploité par la farce – on songe à une scène célèbre des Fourberies de Scapin, durant laquelle le valet, Scapin, donne des coups de bâton à Géronte, le maître, enfermé dans un sac. La complicité du spectateur est tout acquise à Scapin : il est amusant de s'identifier à un homme qui met à mal l'autorité – et l'on en retire une satisfaction symbolique (en termes psychanalytiques, on parlerait d'une revanche sur les interdits). Citations Commentaire "un pantalon rayé blanc et La poussière est un noir, le tout assez signe de négligence ; ce poussiéreux." personnage, qui porte une redingote, n'est pas très propre en réalité ; par un détail du costume (comme au théâtre) un défaut est révélé. "assez voûté. Ses bras Nous sommes ici étaient relativement plus devant un procédé fréquent longs, de sorte qu’il marchait dans la caricature : le souvent en prenant appui sur personnage est animalisé, il ses mains, ce que les autres est rapproché des "singes" de singes ne faisaient que notre planète, rangés dans le rarement." monde animal. Conclusion Le lecteur s'amuse de voir une "autorité" ridiculisée ; une forme de complicité s'établit entre le narrateur et le lecteur : un masque a été arraché, la bêtise profonde a été révélée. 4 "Le cher vieillard avait tressauté au son de ma voix. Il se gratta longuement l’oreille, tandis que son œil soupçonneux inspectait la cage, comme s’il flairait une supercherie." "Cher orang-outan, dis-je, combien je suis heureux d’être enfin en présence d’une créature qui respire la sagesse et l’intelligence ! Je suis sûr que nous allons nous entendre, toi et moi." Le personnage ne comprend pas ce qui se passe – alors que pour le lecteur la situation est parfaitement claire. Il s'agit là encore d'un procédé de comédie (souvenons-nous de Bartholo, cherchant la lettre de Rosine, alors que le spectateur a vu le Comte s'en emparer). Toute l'ironie des paroles du narrateur n'est perceptible que par le lecteur – qui devient complice de la moquerie. III. L'orang-outan, un personnage au service d'une critique. 1. Une critique sur le plan moral : "Les deux gorilles se portèrent à sa rencontre dès qu’ils l’aperçurent et le saluèrent très bas. L’orang-outan leur fit un petit signe condescendant de la main." Le "grand patron" n'adresse même pas la parole à des subalternes ; il méprise le "petit personnel" – de simples "manuels" à ses yeux. 2. Les sociétés autoritaires engendrent l'hypocrisie : Les marques de respect qui sont prodiguées à l'orang-outan ne reflètent pas des sentiments véritables. Les subordonnés jouent une comédie, mais le lecteur est amené à voir ce qu'ils pensent vraiment : Les gorilles "se payaient la tête du patron" ; "Zira, elle-même, ne put garder son sérieux." "Quant à la secrétaire, elle fut obligée de plonger le museau dans sa serviette pour dissimuler son hilarité." 3. Une critique sur le plan scientifique : La fausse science et la vraie science. Zira, la "chercheuse" incarne les véritables intellectuels l'orang-outan représente les savants attachés à la tradition, jaloux de leurs privilèges, incapables de se remettre en question. On songe aussi à des combats anciens de la science : Galilée, Copernic et l'héliocentrisme, Harvey et la circulation du sang, Wegener et la dérive des continents… Conclusion : Le récit est au service d'une critique : on a reconnu un apologue ; ajoutons que l'auteur a recours au comique, ce qui confère à son texte une dimension satirique. Ouverture : Les critiques les plus efficaces sont peut-être celles qui font appel à l'humour – on songe à l'ironie voltairienne.