Tendance pour le dollar canadien

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Tendance pour le dollar canadien
Point de vue économique
10 juillet 2013
www.desjardins.com/economie
10 juillet 2013
Tendance pour le dollar canadien
Des gains dans un premier temps, mais par la suite ce sera plus difficile
La progression du dollar canadien au cours des dix
dernières années a été sans équivoque. En quelques
années seulement, le huard est passé d’un creux de près
de 0,60 $ US à la parité avec le dollar américain, et il se
maintient autour de ce niveau depuis environ six ans
(graphique 1). Plusieurs facteurs ont permis cette
appréciation de la monnaie canadienne, dont la montée
en flèche des prix des matières premières, notamment
ceux du pétrole. On peut cependant se demander si le
contexte demeurera favorable à la devise canadienne,
ou si le repli des dernières semaines est le début d’une
longue tendance baissière. Ce Point de vue économique
montre que le huard pourrait encore s’apprécier d’ici 2015.
Par contre, ce sera plus difficile par la suite et sa valeur
pourrait mieux concorder avec celle associée à la théorie
de la parité des pouvoirs d’achat.
COMMENT LE HUARD EST-IL PARVENU À LA PARITÉ?
Dans un régime de taux de change flottant comme celui dans
lequel évolue le dollar canadien, c’est l’offre et la demande
sur le marché des changes qui déterminent la valeur de la
monnaie. Généralement, plus l’économie d’un pays va bien
en comparaison aux autres, plus la demande et la valeur de la
monnaie du pays seront élevées.
Graph iqu e 1 – L e do llar canadien fluctu e au tou r de la parité
depu is 2007
$ US/$ CA N
$ US/$ CA N
1,10
1,10
1,05
1,05
1,00
1,00
0,95
0,95
0,90
0,90
0,85
0,85
0,80
0,80
0,75
0,75
0,70
0,70
0,65
0,65
0,60
1995
0,60
1997
1999
2001
2003
2005
2007
2009
2011
2013
Sources : Datastream et Desjardins, Études économ iques
lution des cours des matières premières, et le taux de change
canadien y réagit fortement (graphique 2).
G raphiqu e 2 – U ne corrélatio n p osit ive entre le d ollar can adien
et les prix des m atières p rem ières
$ U S/$ C AN
1,15
Do nn ées depu is 2003
1,10
1,05
1,00
Plusieurs éléments ont influencé l’économie canadienne et la
demande pour le huard au cours des dix dernières années,
mais la hausse des cours des matières premières, et plus précisément ceux du pétrole, a été le facteur le plus déterminant.
Le secteur des ressources est un pan important de l’économie canadienne. La hausse des prix des matières premières
améliore les termes de l’échange et relève les revenus des
Canadiens. Les prix élevés stimulent également l’exploration
et les investissements dans ce secteur. La santé de l’économie canadienne est donc positivement influencée par l’évoFrançois Dupuis
Vice-président et économiste en chef
Hendrix Vachon
Économiste senior
0,95
0,90
0,85
0,80
0,75
0,70
0,65
0,60
300
400
500
600
700
800
900
In dice du prix des matières p remières
Sources : Datastream et Desjardins, Études économiques
Yves St-Maurice
Directeur principal et économiste en chef adjoint
514-281-2336 ou 1 866 866-7000, poste 2336
Courriel : [email protected]
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1
Point de vue économique
10 juillet 2013
Une économie en santé rime souvent avec une politique
monétaire moins accommodante. En comparaison avec les
États-Unis, l’Europe et le Japon, beaucoup moins d’assouplissements monétaires ont été requis au Canada à la suite
des épisodes de crise qui ont secoué la planète depuis 2008.
Les taux d’intérêt légèrement plus élevés au Canada ont aussi
accru la demande pour les titres canadiens et ils ont contribué à apprécier le huard. Cet effet a été particulièrement visible au cours des deux dernières années (graphique 3). Par
ailleurs, les politiques monétaires ne se différencient pas
uniquement par les taux d’intérêt, mais aussi par la quantité
de monnaie injectée dans l’économie par les banques centrales. La Réserve fédérale américaine (Fed) injecte beaucoup
de liquidités, ce qui exerce des pressions à la baisse sur le
dollar américain (graphique 4). Les anticipations d’inflation
sous-jacentes aux politiques monétaires peuvent également
influencer les taux de change.
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maintenant se poser : est-ce que tous ces éléments demeureront en place encore longtemps?
LES PERSPECTIVES SONT PLUTÔT BONNES
À COURT TERME
L’amélioration prévue de l’économie mondiale devrait soutenir les prix des matières premières et, par ricochet, le dollar
canadien. Les investissements dans le secteur de l’énergie
au Canada devraient demeurer importants, d’autant plus que
le projet Keystone XL devrait se réaliser. La construction de
ce nouveau pipeline devrait permettre au Canada d’exporter
davantage de pétrole et de profiter des prix plus élevés sur
les marchés internationaux (graphique 5). Ce projet enlèvera
beaucoup d’incertitude pour les investisseurs.
Graph iqu e 5 – L e m an qu e d’infrastructures de transpo rt exp liqu e
en p artie le p lus faible prix d u pétrole de l’O uest can ad ien
$ US/baril
$ US/b ari l
Prix du pétrole
130
Graph iqu e 3 – L es écarts de tau x d’intérêt on t eu un p lu s gran d
ef fet sur le t au x de ch an ge d epuis 2011
$ US/$ CA N
130
120
120
110
110
En p oints d e base
100
100
125
90
90
80
80
70
70
60
60
50
50
1,10
1,05
100
1,00
75
0,95
50
0,90
40
40
2011
25
0,85
2012
WT I*
Bre nt
2013
We stern C anad a S elect
T au x d e ch an g e canad ie n (gau che )
0
0,80
É cart en tre le s tau x o blig ataires de d e ux an s
d u C anad a e t d es États-U n is (d roite)
0,75
* Wes t Tex as Intermediate.
Sources : Bloomberg, Datas tr eam et Desjar di ns, É tudes économiques
(25)
2009
2010
2011
2012
2013
Sources : Datastream et Desjardins, Études économiques
Graphiqu e 4 – La Réserve fédérale am éricaine in jecte
de la m on naie d ans l e systèm e fin an cier en achetant des actifs
En G$ US
En G$ US
Acti fs d étenus par la Réserve féd érale américaine
4 000
4 000
3 500
3 500
3 000
3 000
2 500
2 500
2 000
2 000
1 500
1 500
1 000
1 000
500
500
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Sources : Datastream et Desjardins, Études économiques
Enfin, la solidité du système financier canadien, les déficits
publics moins importants, le maintien d’une cote AAA sur la
dette souveraine sont d’autres éléments qui ont soutenu la
demande pour le dollar canadien. La question qu’on peut
2
D’autres composantes de l’économie canadienne risquent
toutefois de croître moins rapidement pour quelque temps.
La poursuite de la tendance baissière du marché immobilier
résidentiel demeure l’hypothèse la plus probable malgré certains signes divergents. Les ménages se montrent également
davantage prudents envers l’endettement, ce qui freine certaines dépenses de consommation, et la lutte aux déficits
budgétaires entrave les dépenses gouvernementales.
Malgré tout, l’économie canadienne devrait croître plus vite
que son potentiel à partir de l’automne, soutenue par les
exportations et l’investissement des entreprises. Les capacités de production excédentaires devraient par conséquent
diminuer graduellement, ce qui commandera un resserrement
monétaire vers l’automne 2014 (graphique 6 à la page 3). La
Banque du Canada sera l’une des rares banques centrales
parmi celles des pays industrialisés à relever ses taux d’intérêt aussi tôt. La Fed devrait patienter encore plusieurs autres
trimestres avant de retirer des liquidités du système financier
et de relever ses taux directeurs. Cet écart entre les politiques
monétaires canadienne et américaine devrait avantager le
dollar canadien.
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G rap hique 6 – L’éco no m ie canadien ne d evrait reto urner
à son plein pot en tiel vers l a fin de 2015
En % du PIB po tentiel
2
Écart en tre
la p ro duction et so n p lein poten tiel
1
0
(1)
(2)
Graph iq ue 7 – L a pro duction no n-O PEP* s’ann on ce
so utenu e d’ ici 2018
En % du PIB p otentiel
Prévisi ons
de De sjardins
2
1
0
(1)
(2)
Million s d e barils/jo ur
Millio ns de b arils/jou r
C ro issance an nu ell e
3,5
3,5
P révisions de l’AIE**
3,0
3,0
2,5
2,5
2,0
2,0
1,5
1,5
1,0
1,0
0,5
0,5
0,0
0,0
( 0,5)
(0,5)
(3)
(3)
( 1,0)
(1,0)
2000
(4)
(4)
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018
Sources : Banque du Canada, S tatistique Canada et Des jardins, Études économ iques
Le huard continuera également de profiter de la solidité du
système financier canadien, de la meilleure situation budgétaire au pays et de la cote AAA sur la dette souveraine. Ainsi,
la récente faiblesse du dollar canadien devrait n’être que temporaire étant donné tous les éléments favorables. Un retour
au-dessus de la parité semble être le scénario le plus probable sur un horizon de 12 mois.
PLUS DIFFICILE À LONG TERME
La donne changera lorsque la Fed amorcera son resserrement monétaire, soit par un retrait des liquidités précédemment injectées, soit par la hausse de ses taux d’intérêt directeurs1. Cela devrait se produire vers la seconde moitié de 2015,
mais les effets sur les taux de change pourraient se faire sentir un peu plus tôt en raison d’ajustements sur le plan des
anticipations. Qui plus est, le resserrement monétaire devrait
être plus prononcé aux États-Unis qu’au Canada. La Fed devra mettre les bouchées doubles pour normaliser sa politique
monétaire étant donné l’ampleur des mesures qu’elle a prise
depuis cinq ans.
Un soutien accru provenant des matières premières pourrait
aider le huard devant le resserrement monétaire américain.
Or, le potentiel s’annonce limité de ce côté à plus long terme.
Même si la demande devrait rester soutenue, l’expansion de
l’offre risque de freiner les hausses futures de prix. Par exemple,
pour le pétrole, l’Agence internationale de l’énergie prévoit
que l’augmentation de la demande mondiale sera presque
entièrement comblée par la hausse des capacités de
production en dehors des pays de l’Organisation des pays
exportateurs de pétrole (graphique 7). Dans ce contexte, les
1
À noter que la réduction des achats de titres par la Fed prévue à partir de
l’automne 2013, et qui s’échelonnera sur plusieurs mois, ne pourra pas être
considérée comme le début d’un resserrement monétaire. La taille du bilan
de la Fed et la quantité de liquidités injectée dans le système financier
continueront d’augmenter, quoiqu’à un rythme de plus en plus modéré.
2002
2004
2006
D e man de mon diale d e p étrole
2008
2010
2012
2014
2016
2018
Prod ucti on de s p ays n on -me mb res de l’O PEP*
* Or ganis ation des pay s ex portateurs de pétrole; ** Agenc e internationale de l’énergie.
Sources : A gence inter nationale de l’énergie et Desjardins, Études économiques
prix du pétrole auront de la difficulté à s’éloigner au-dessus
des 100 $ US/baril.
L’économie canadienne profitera tout de même des retombées des investissements dans le secteur des ressources et
de l’augmentation des volumes exportés. Par ailleurs, la lutte
au déficit public devrait être moins marquée d’ici quelques
années, de même que les ajustements dans le secteur de l’immobilier résidentiel. Les perspectives pour l’économie canadienne demeurent bonnes, mais cela ne sera pas suffisant
pour empêcher la dépréciation du huard. Sur une base relative, les autres principales économies se porteront également
bien, ce qui annulera l’avantage pour la devise canadienne.
Le déficit du compte courant pourrait aussi ajouter des pressions baissières sur le huard (graphique 8). À court terme, le
rebond prévu de l’économie mondiale et le développement
du secteur des ressources naturelles aideront à relever les
exportations canadiennes. Par la suite, une dépréciation du
dollar canadien pourrait devenir nécessaire pour soutenir la
croissance des exportations et pour résorber le déficit courant. D’autres facteurs peuvent toutefois influencer favorablement le solde courant comme la diminution des déficits
Graphiqu e 8 – Un huard plus faib le p ou rrait aider à réduire
le d éficit d u co m pte co uran t d u Canad a
En % du PIB
Ind ice
3
125
2
120
1
115
110
0
105
(1)
100
(2)
95
(3)
90
(4)
85
(5)
80
1981
1984
1987
1990
1993
1996
1999
2002
2005
So ld e du co mp te co urant (gau che )
T au x d e chan ge can adien e n vigu e ur (d roite)
Sources : Datastream et Desjardins, Études économiques
3
2008
2011
Point de vue économique
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publics. Enfin, le déficit courant est moins problématique lorsqu’il sert à financer l’investissement des entreprises, car ces
investissements permettent d’accroître la croissance économique à long terme.
REVIENDRA-T-ON À LA PARITÉ DES POUVOIRS
D’ACHAT?
L’affaiblissement prévu du dollar canadien à partir de 2015
pourrait progressivement rapprocher le taux de change de la
valeur d’équilibre suggérée par la théorie de la parité des
pouvoirs d’achat (PPA). Selon cette théorie, un panier de
biens et de services devrait coûter le même prix, peu importe
le pays où il est acheté, et le taux de change devrait s’ajuster
pour maintenir cette égalité.
Les indices de prix à la consommation (IPC) sont couramment utilisés pour estimer la PPA. Selon nos estimations, le
taux de change canadien évoluerait depuis plusieurs années
au-dessus de cette marque (graphique 9). La valeur du huard
pourrait ainsi converger vers 0,90 $ US dans un horizon de
long terme. Cette valeur d’équilibre pourrait croître légèrement si les prix au Canada augmentaient un peu moins vite
qu’aux États-Unis.
G raph iq ue 9 – L a PPA* com m ande une dépréciatio n
du do ll ar can ad ien
$ US/$ CA N
$ US/ $ CA N
1,10
1,10
1,05
1,05
1,00
1,00
0,95
0,95
0,90
0,90
0,85
0,85
0,80
0,80
0,75
0,75
0,70
0,70
0,65
0,65
0,60
0,60
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
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Les indices de prix à la production (IPP) sont parfois utilisés
pour contourner certaines lacunes des IPC. Cependant, la
composition des paniers diffère tout de même entre les
États-Unis et le Canada. De plus, étant donné que les prix de
vente de certaines entreprises canadiennes sont établis en
dollar américain, cela fausse la relation de causalité entre le
taux de change et le ratio des IPP.
UN SCÉNARIO EMPREINT DE RISQUES
En résumé, le dollar canadien pourrait dans un premier temps
revenir au-dessus de la parité, mais une tendance baissière
durable devrait s’amorcer vers 2015. Cette tendance devrait
rapprocher la devise canadienne de la PPA aux alentours de
0,90 $ US. À ce niveau, le huard restera fort d’un point de
vue historique, mais cela offrira tout de même un répit pour
les exportateurs.
Plusieurs éléments de risque pourraient cependant modifier
ce scénario. Les trois principaux enjeux seront la santé de
l’économie canadienne, la demande pour les matières premières et l’évolution des politiques monétaires. La dépréciation
du huard pourrait survenir plus tôt et être plus prononcée si
l’économie canadienne progressait moins que prévu, si la
demande des pays émergents pour les matières premières
n’était pas au rendez-vous et si la Fed devançait son resserrement monétaire. Les risques d’un retour du huard dans une
fourchette de 0,80 $ US à 0,90 $ US sont non négligeables. À
l’opposé, on ne peut pas écarter complètement la possibilité
que le huard demeure plus longtemps au-dessus de 1,00 $ US.
L’économie canadienne pourrait surprendre à la hausse, de
même que la demande des pays émergents pour les matières
premières. La Fed pourrait aussi devoir retarder son resserrement monétaire ou le lisser sur une plus longue période. Prévoir les taux de change demeure un exercice difficile, bien
souvent entouré d’une grande marge d’erreur.
T au x d e chan ge can adien
PPA* se lo n le s ind ice s d es prix à la co nso mmat io n
* P ar ité des pouvoirs d’ac hat.
Sources : Datastream et Desjardins, Études économiques
La PPA n’est cependant pas une mesure fiable. Même si le
taux de change tend à fluctuer autour de cette valeur, il y
demeure rarement longtemps, plusieurs autres éléments influencent les mouvements de change. De plus, l’utilisation
des IPC amène certains biais de mesures. D’abord, le panier
de l’IPC canadien diffère de celui de l’IPC américain : on ne
compare donc pas les mêmes biens et services. Par la suite, il
faudrait exclure l’effet des taxes à la consommation qui ajoutent des divergences dans les IPC. Enfin, les biens et les
services ne peuvent pas tous être exportés ou importés, ce
qui signifie qu’il peut subsister des différences de prix d’un
pays à l’autre.
4
Hendrix Vachon
Économiste senior