Réflexion sur la place du sport dans l`éducation : l`exemple de l
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Réflexion sur la place du sport dans l`éducation : l`exemple de l
Réflexion sur la place du sport dans l'éducation : l'exemple de l’Agence Pour l’Education par Le Sport (APELS). « Le sport est sorti du sport pour devenir un état d'esprit, voire un mode de formation au lien social, au rapport avec soi ou autrui pour l'être compétitif que nous sommes tous enclin à devenir dans une société de compétition généralisée »1. Ces activités sportives sont-elles donc la clef de l'éducation de nos futurs citoyens ? A la veille d'un siècle entaché de deux des plus meurtrières guerres de tous les temps, P. De Coubertin fait figure de révolutionnaire. Il se lance dès les années 1888, au lendemain des campagnes hygiénistes de 1887, dans la création de ce qu'il appellera les Jeux Olympiques Modernes, véritable plaidoyer d'un sport qu'il veut éducatif, dans la ligné des modèles anglo-saxons. S'inspirant des très célèbres jeux antiques, il veut positionner les sports modernes, arrivés d'Angleterre, au centre de la vie de ses contemporains. Épaulé du Père Didon, il place cette nouvelle compétition sous le signe de la performance sans limite par cette célèbre élocution, « Citius, Altius, Fortius », littéralement, « plus vite, plus haut, plus fort ». Et dès 1896, cette phrase prend forme ; les champions s'affrontent dans une lutte sans merci pour la victoire, la gloire. Dans un souci d'équité, de respect, d'union ultranationale, le baron De Coubertin, définit « l'esprit de l'olympisme » où la violence non maîtrisée, où les discriminations raciales, religieuses, etc. sont à bannir, où le fair-play, l'altruisme, le fighting-spirit (inspiré des Sports Anglais) sont érigés en philosophie. Le terme d’Olympisme désigne l’idéal institutionnalisé du Mouvement olympique et fait souvent l’objet d’une utilisation erronée. Il est en effet fréquemment employé pour désigner, au choix, l’ensemble des acteurs du Mouvement olympique, le sens de leurs actions, une conception pédagogique, le système d’organisation sectoriel du sport, quand il n’est pas simplement l’objet d’une critique nihiliste. Le mot se retrouve par ailleurs trop souvent dans l’évocation des Jeux antiques d’Olympie. Or, l’Olympisme en tant que tel n’existait pas : l’évènement qui se tenait sur les rives de l’Altis n’était pas l’expression autonome d’un mouvement philosophique, mais celle, unifiée, des cultures hellènes. Cette notion d’Olympisme est en réalité une conceptualisation moderne découverte par Pierre de Coubertin et développée à sa suite, à l’appui notamment de l’héritage culturel de la Grèce antique. La Charte olympique définit l’Olympisme comme « une philosophie de la vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels » (Principe fondamental n°2) avec pour but « de mettre partout le sport au service du développement harmonieux de l’homme, en vue d’encourager l’établissement d’une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. » (Principe fondamental n°3). Les deux tenants de l’Olympisme officiel sont donc posés : le sport, et une vocation systémique à structurer l’individu pour une société humaniste2. A l'heure de l'homme bionique, des violences et du dopage peut on encore « croire » en cette philosophie idéaliste ? Le sujet de notre réflexion s'appuie sur le phénomène « sport » et sur ses supposés vertus éducatives. Même s’il est considéré comme fait social total3, certains auteurs le dénigrent depuis plusieurs décennies, n'y voyant aucuns intérêt socio-philosophique. André Comte-Sponville par exemple 4 affirme qu'il a pris une place déraisonnable dans notre société au vu de sa réelle portée 1 Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991. 2 http://franceolympique.com/cat/4-olympisme.html 3 M. Mauss, Les techniques du corps, Article originalement publié Journal de Psychologie, XXXII, 3-4, 15 mars - 15 avril 1936. Communication présentée à la Société de Psychologie le 17 mai 1934. 4 Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Sport, Le Pommier/INSEP, 2010 1/17 sur les gens. Il réaffirme la médiatisation à outrance de ce phénomène. Pour autant et malgré son impact (peut être) très faible sur nos vies et sur notre « humanisation », il n'en reste pas moins une représentation à petit échelle de notre société actuelle : organisé autour d'un code de règle, dictées par des institutions, et orienté vers la compétition, le sport reste un fait social, une représentation « miniature » de notre système libéralo-capitaliste 5. Critiqué à maintes reprises par G. Vigarello ou plus fameusement par J.M Brohm6, ce phénomène ne serait qu'un « moyen de dépolitiser les masses, un opium du peuple ». Dès lors, comment pourrait-il être objet d'enseignement ? Serait-il humanisant ? Pourrait-il être phénomène catharsis7 ? Plus généralement, nous allons tenter de savoir quel est le rôle que doit ou pourrait jouer le sport dans l'éducation ? En effet, et depuis la fin du XIX siècle, ce phénomène ne cesse de croître en suppléant peu à peu l'éducation physique. Est-ce justifié pour autant ? Est-ce un enjeu de placer le sport au cœur du système éducatif ? Peut-il assumer ce rôle ? Ce statut de moyen d'éduquer et non de fin en soi ? Doit-on éduquer par le sport ou pour le sport ? On associe l'éducation à un rôle d'humanisation, de socialisation, tentant de rendre « adulte réfléchi », cet « enfant sauvage ». Pour G. Mialaret8, le mot « éducation » à quatre sens principaux : L'éducation-institution : structures dont se dote un pays pour l'éducation de ses citoyens L'éducation-action : l'éducation exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter chez l'enfant un certain nombre d'états, physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui la société politique dans son ensemble et le milieu social auquel il est particulièrement destiné 9 L'éducation-contenu : corpus de connaissances à faire acquérir L'éducation-produit : résultat de l'action, censée « former un Homme contemporain sachant s'adapter rapidement à des situations nouvelles et capable de résoudre les problèmes, de plus en plus nombreux et de plus en plus différents qui vont se poser sur lui ». Ces quatre sens soulèvent bien la complexité du terme éducation, en lui accordant quatre dimensions. « Les uns y voient un objet de plaisir et une authentique expression de l'individu, les autres un rouage efficace du système »10. De même que « l'action éducative se trouve quelque part sur un axe dont les deux pôles seraient la réalisation de la personne et l'adaptation à la société »11, le sport peut-il légitimement prétendre être éducatif(s) ? Peut-il faciliter l'épanouissement de la personne, que ce soit d'un point de vue physique, culturel, intellectuel, humain ? Par son caractère social, le sport peut-il nous permettre, par sa pratique, d'appréhender la société dans laquelle nous vivons ? Il devient ainsi primordial pour répondre à cette dernière interrogation de définir notre support éducatif, ici le sport. Hier, il était dualisé entre « élite » et loisir, entre spectacle et masse ; aujourd'hui ses définitions sont protéiformes : des pratiques fédérées, codifiées, réglementées, intégrant des systèmes de classement, des hiérarchies, des valeurs, des attributions de titres. Aux André Comte-Sponville, Valeur et vérité (Etudes cyniques), PUF Collection : Perspectives critiques, 2010. P. Parlebas, Eléments de sociologie du sport, 1986. J.M Brohm. Sociologie politique du sport, Nancy, P.U.N., réédition 1992. N. Elias, E. Dunning, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1986, 1994. Jean-Michel Legas et Marc Clément (dir.), Sport et Société, Sport et Education, Sport et Insertion ; Volume 1 ; Ed. du CNFPT, 1998 . 9 Émile Durkheim, Éducation et sociologie. (1922). Paris: Les Presses universitaires de France, 1968. Première édition: 1922. Collection “Le sociologue”, Sociologie —ethnologie — Anthropologie sociale. 10 J. Defrance, Sociologie des Sports, 4° éd., Paris, éd. La Découverte, collection Repères, 2003. 11 J. Ardoino, Propos actuels sur l'Education - Cahier numéro 6 de la collection "Travaux et Documents" de l'Institut d'Administration des Entreprises de l'Université de Bordeaux, Bordeaux, 1963. Ces ouvrages réédités, en deuxième édition, revue et augmentée, sous le titre - Propos actuels sur l'Education , Collection Hommes et Organisations, Editions Gauthier Villars, Paris 1965, 6ème édition 1978 ("20 ème mille"). 5 6 7 8 2/17 pratiques dites libres, hors du club, hors de toute institutions, organisations, ou structures. En passant par des pratiques commercialisées dans des gymnases clubs, ou clubs privés. Tout cela relève des différents « usages sociaux » fait du sport12. L'explosion des pratiques physiques et sportives qui s'amorce au cours des années 7013 va contribuer à un élargissement de la réflexion sur le sport, à une redéfinition de ses significations : « le sport, c'est aussi et surtout ce que les individus font eux mêmes des pratiques sportives, de nouvelles manières de vivre le sport qui s'inscrivent dans des modes de vie orientés aujourd'hui vers ce que certains ont appelé l'individualisme contemporain »14 : Sport bourgeois / Sport populaire ; Sport spectacle / sport pratique, sport de masse / sport élite, sport amateur / sport professionnel, sport de loisir / sport de performance, sport santé / sport altération de la santé, sport et cohésion sociale / sport désordre et violence, etc. Véritablement le dualisme de ces activités physiques s'est diversifié. Il semblerait que l'ancrage social de ces dernières fait qu'elles sont traversées par l'ensemble des problèmes que rencontre la société. Malgré la difficulté de cerner cette complexe profusion de termes, de valeurs, de codes, il est nécessaire d'en prendre conscience avant de se lancer dans une étude de ce phénomène sportif : penser l'impensable, c'est se prémunir de toute vision angélique ! Comme l'affirme Jacques Defrance, « définir c'est inclure et exclure » ; nous avons donc fait le choix de donner au sport la définition suivante : « le sport est une activité institutionnalisée, organisée par des règles (communes), amenant le pratiquant à incorporer une motricité spécifique dans le but de performer dans une compétition »15. Pour autant et c'est une question qui dicte véritablement le champ de la sociologie sportive, nous sommes en droit de nous demander s'il existe ou s'il existera une définition intergénérationnelle du sport ? La clef d'un sport éducatif réside peut être dans la recherche d'unification de sa définition ? Cette course à l'hégémonie des définitions est engagée par de nombreux socio-historiens du sport. Regroupés au sein de courants de pensés, allant des théories volontaristes, idéalistes, à celles critiques, certains s'engagent politiquement dans des associations pour porter leurs messages au sommet de la hiérarchie. Nous pensons ici, à l'Association Pour l’Éducation par Le Sport (APELS) qui depuis 1996 tente de soutenir le sport éducatif par de nombreuses actions. Pour autant cet engagement total peut les pousser à « sur-estimer » leur support éducatif. Un manque de définitions scientifiques, de débats à priori, de croisement des champs scientifiques ne fait-il pas perdre en partie, la légitimité de leurs actions ? C'est dans la volonté de répondre à cette question que nous nous proposons dans cette étude de croiser différents regards sur la question. Pour ce faire, nous avons fait le choix d'organiser notre réflexion autour de trois axes. Le premier axe sera l'occasion de présenter cette association d'un point de vue historique, mais aussi et surtout de présenter leur ligne de conduite et les éléments qui la forgent depuis 15 ans. Nous poursuivrons dans une seconde partie, sur l'analyse des différents courants de pensée sur la question de la place du sport dans nos sociétés et plus spécifiquement dans notre système éducatif. Nous croiserons ensuite ces points de vue pour rendre compte de la complexité et nécessité de rendre un discours plus scientifique sur ces questions d'éducations par le sport. Enfin dans notre dernier axe, nous proposerons des pistes de réflexions sur la question du sport éducatif à l'école qui paradoxalement ne semble pas être placé au cœur des priorités des actions portées par l'APELS. 1. L'APELS : l'utopie d'une éducation par le sport ? 12 13 14 15 Sous la direction de M. Attali et J. Saint-Martin, Dictionnaire culturel du sport, Armand Colin, 2010. Philippe Tétart, Histoire du sport en France, Paris, Vuibert, 2007. Jean-Michel Legas et Marc Clément, Sport et Société, Sport et Education, Sport et Insertion, Tome1, 1998. Pierre Parlebas, op.cit. 3/17 « En tant que pratique sociale, le sport est le reflet de ses paradoxes, de ses tensions et est marquée par son évolution. Rien dans celui-ci n'est naturel »16. Le sport ne serait donc que ce que nous voudrions qu'il soit ? « L'éducation par le sport vît actuellement un paradoxe. Alors que la société connait un délitement des valeurs sur lequel elle est fondée, comme le respect des règles ; le sport, qui est reconnu par tout le monde comme un outil éducatif efficace, connait une baisse des moyens qui lui sont alloués »17. Or l’APELS, qui milite pour un rôle social du sport, notamment sur le plan de la solidarité, tente de soutenir différents projets mettant en exergue ces valeurs du sport. Créée en 1996, ses membres ont toujours tenté de valoriser, soutenir, développer et faire reconnaitre l'utilité du sport dans ses fonctions éducatives, sociales et d'insertion. Pour ce faire, ils ont développé le projet « Fais nous rêver » en souhaitant favoriser le développement d'action d'éducation par le sport dans la ville. Ils ont aussi mis sur pied « Educasport », qui regroupe toutes les actions liées à la mutualisation, aux échanges, à la capitalisation des savoirs faire (évènements, publications). Enfin, et dans l'optique de rendre plus scientifiques leurs propos, ils ont structuré « Anovasport » ; laboratoire de recherche permettant de construire des savoirs à partir de recherche, expérimentation, étude et évaluation. C'est autour de quatre thématiques que cette agence organise et articule ces différents projets : Redonner un sens au sport par une vision partagée (ouverture de délégation nationale depuis 2008 pour rapprocher les actions et faciliter les discussions) : « il est important de rappeler que dans un projet d'éducation et d'insertion par le sport, les activités physiques et sportives ne représentent pas une finalité, mais un moyen pour atteindre un objectif »18. Organiser des formations pour l'éducation et la socialisation par le sport. Sensibiliser les acteurs sociaux et de l'éducation à ses valeurs du sport : proposition d'une charte de l'éducation par le sport. Tester des produits et des projets innovants. La dimension sociale et éducative doit davantage être prise en considération en tant que critère de financement des projets et des structures. Cette association attache au sport plusieurs valeurs clés, permettant de légitimer sa place au cœur de leur projet : Épanouissement : exprimer un projet et se donner les moyens de l'atteindre. Fraternité : société marquée par l'individualisme, le sport serait un réservoir de solidarité. Mixité : dans une société menacée par le repli sur son propre groupe d'appartenance, la mixité est une nécessité que le sport semble pouvoir apporter. Effort : Valoriser la culture de l'effort par l'apprentissage du dépassement de soi et cela dans l'optique de prendre goût à la construction d'un projet professionnel solide. Mais c'est surtout, au travers de ces quatre composantes, « l'apprentissage de la citoyenneté, définie comme une participation à la vie de la cité », qui est mis en valeur par cette association : « elle peut être acquise grâce à la pratique et l'investissement sportif dans un club. On suppose que, parce qu'il fait partie d'une association, le sportif apprend par imprégnation le fonctionnement de la vie démocratique, les règles d'un groupe social ou la démocratie participative. Selon William Gasparini, on suppose aussi que la règle acquise dans le club pourrait être transférée dans la vie sociale 16 Michaël Attali & Jean Saint-Martin, L'Education physique de 1945 à nos jours. Les étapes d'une démocratisation. Paris : Armand Colin, collection "Dynamiques", 2009 (Réed.). 17 Gilles Vieille Marchiset, De nouvelles solidarités par le sport : Enjeux et Perspectives, 2010. 18 Guide à l'usage des responsables de projets : développer un projet d'éducation ou d'insertion par le sport. Pôle ressources national Sport Éducation Insertion, Décembre 2007 4/17 ordinaire, à l'école, dans la famille19. Pour un autre auteur et acteur de l’APELS, il convient toutefois de relativiser. En effet, selon Gilles Vieille-Marchiset, il semble nécessaire de « maîtriser quelques règles éducatives » pour que le sport puisse « alors mener à des apprentissages techniques et à l'acquisition de compétences relationnelles, que les jeunes sportifs pourront éventuellement transférer dans d'autres sphères sociales »20. La pratique, seule, ne suffit donc pas ! Ces mêmes auteurs présentent aussi, « au même titre que la gastronomie ou la musique populaire », le sport comme détenteur d'un « potentiel d'interculturalité et de diversité parce qu'il a contribué historiquement au métissage des cultures (dont le fameux exemple controversé en France est la Génération Black/Blanc/Beur de la coupe du monde de 1998)21. Au delà des représentations, il s'agit ici de savoir si le sport est un véritable mouvement social au quotidien, porté par des « groupements intermédiaires » qui bousculent les réalités associatives et l'organisation sportive actuelle. Il pourrait être à l'origine de la construction d'une « nouvelle société plus solidaire à travers, autour et dans le sport ». (Gilles Vieille-Marchiset22). « Jamais le sport n'a autant eu d'importance dans sa mission éducative ». Il concerne en France, de manière officielle et non officielle, près de 30 millions de personnes (INSEE) et semble disposer d'un rôle primordial à jouer, car touchant les jeunes dans le cadre de leur passion. « A travers le sport et les valeurs qu'il véhicule, à l'instar du dépassement de soi, de l'acceptation de la défaite, du respect de soi, de l'autre, des règles, de la remise en question, bon nombre de jeunes peuvent se « structurer » et trouver des éléments citoyens dont ils ont besoin pour vivre dans une société républicaine ». (Frédéric Hamelin23). « D'un côté, le sport institué serait une école d'apprentissage du sens collectif, de la solidarité et des règles de vie. En bref, il socialiserait « naturellement » les jeunes, notamment les plus défavorisés ou ceux en situation d'échec solaire ; de l'autre, les sports auto-organisés, informels, ou sauvages seraient le lieu d'expression de la création juvénile et de la post-modernité sportive […], régulièrement présentés comme les idéaux types de la désaffiliation sportive et des nouveaux modes de socialisation juvénile »24. Ce tour d'horizon nous permet de prendre conscience de la force éducative qu'alloue l'APELS au sport. Notons tout de même que certains acteurs de cette dernière, modulent leurs propos. Pour Dominique Charier :« le sport doit être remis à sa juste place. C'est à dire qu'il n'est pas, à lui tout seul, en mesure de résoudre les problèmes de santé, de formation, d'emploi, de condition de vie, de pauvreté ou encore de sécurité qui concernent tant d'habitants, notamment des jeunes, dans les zones urbaines en difficultés »25. Mais la prise de conscience la plus importante semble être d'un point de vue des définitions de leur objet d'étude : « L'un des rôles de l'APELS dans les prochains mois sera de définir clairement le concept d'éducation par le sport, de délimiter avec exactitude son champ d'application et de le faire connaître au plus grand nombre « (Philippe Mathé26). C'est véritablement par cette voie là que leur projet pourra se renforcer, et peser sur l'échiquier du monde sportif, voire éducatif. On comprend que l'association défende la notion de sport éducatif qui ne peut l'être que si les activités physiques demeurent des moyens pour atteindre une finalité clairement exprimée. Il est donc nécessaire de former les professionnels du domaine sportif pour que leur message éducatif soit 19 Revue EPS 340 ; L'éducation par le sport : une utopie encore d'actualité. 20 Gilles Vieille-Marchiset, Aurélie Cometti, De nouvelles solidarités par le sport : enjeux et perspectives, APELS, , 2010. 21 Ibid. 22 Revue EPS 340 ; L'éducation par le sport : une utopie encore d'actualité. 23 APELS, Les jeunes, le sport et la citoyenneté. TOME 1, 2008. 24 Gilles Vieille-Marchiset, Aurélie Cometti, De nouvelles solidarités par le sport : enjeux et perspectives, APELS, 2010. p. 36. 25 Ibid., p. 20. 26 Ibid., p. 22. 5/17 unifié et légitimé. Malgré ça, il n'y aucune remise en question des valeurs intrinsèques que concède cette association au sport. Elle suit l'adage de Maurice Baquet (1942), « Le sport a des vertus, mais des vertus qui s’enseignent ». Mais elle oublie peut-être trop une autre citation de cet auteur : « le sport n’est pas éducatif en lui-même, il le devient ». Les projets soutenus par l'APELS ne sont-ils pas trop peu « travaillés » dans le sens éducatif ? Peut-on les légitimer ? Aucune étude n'a été menée dans ce sens là, alors comment peut-on encore poursuivre dans cette voie là ? Le sport peut-il être porté en fer de lance des projets éducatifs ? Ne serait-ce pas une erreur ? Comment peut-il devenir vertueux ? 2. Le sport éducatif : réalité ou utopie ? La partie précédente nous a permis de prendre connaissance des valeurs qu'accorde l'APELS au sport : l'éducation peut être soutenue par le sport car le sport est éducatif. Mais nous l'avons souligné, les preuves dans ce sens manquent, et la réalité des faits semble contredire ces affirmations : violences à l'intérieur et à l'extérieur des stades (Heysel, 1985), dopage 27, tricherie, mouvement nationaliste, etc.. Au cours de cette seconde partie, nous allons placer en parallèle différents postulats érigés en évidence par leurs auteurs. Cela nous permettra de prendre conscience de la complexité de la question, mais aussi de mettre en évidence certaines pistes de réflexions qui nous semblent intéressantes pour poser un discours solide et légitime dans le sens d'une éducation par le sport. Depuis la naissance des sports modernes, leur légitimité sur le plan éducatif est remise en question. Que ce soit les défendeurs des gymnastiques, ou encore de l'éducation physique – à l'instar de G. Hébert, qui s'était opposé violemment à ces pratiques « oisives », sans autre intérêt que celui de la domination de l'autre28 - , le XX siècle a vu croître le sport de manière irrésistible, se défaisant de toutes les critiques, servant parfois même des intérêts (politique) le dépassant, pour arriver aujourd'hui à cette marée de sportifs qui envahit chaque recoin de notre société : « le sport est un fait social total »29. Mais rien n'a changé, intrinsèquement... Le sport est-il véritablement éducatif ? Peut-on, doit-on accepter qu'il modèle notre vie, ou celle de nos futurs citoyens ? Des scientifiques sont encore et toujours appelés pour légitimer les politiques sportives d'intégration, de socialisation, d'éducation. Les nombreux colloques organisés à cet effet en sont la preuve : « Sport et intégration sociale » (Villeurbanne le 6 juillet 1991), « ville, sport et citoyenneté » (Brest le 26-28 novembre 1992), « Les enjeux de la pratique sportive dans la cité » (Lille le 19 novembre 1997), etc. Mais a-t-on véritablement trouvé la solution ? « La plupart des sociétés humaines proposent des mesures pour se protéger contre ces tensions qu'elles créent elles-mêmes »30. Elias et Dunning ont surement raison d'affirmer cela, dans une société où le mieux-être est à la base de nos actions 31 : nous créons pour détruire, nous formons pour déformer, nous subissons nos propres actions... Médicalement, judiciairement, politiquement, professionnellement, on se rend compte que cette course vers le mieux et donc l'infini, vers le tout de suite, vers cette ambivalence temporelle qui nous pousse à penser le présent comme la finalité, qui nous aliène dans l'instant sans penser à la conséquence de nos actes est la cause de nombre de nos maux : on construit pour déconstruire plus tard ! Et l'exemple le plus révélateur de cette 27 Michel Gandilhon (Interview de J M Brohm). Compétition : La vraie toxicomanie. Revue SWAPS Nº9 Octobre / Novembre 98 SWAPS nº 9 (Santé, Réduction des Risques, Usages de Drogues). 28 G. Hébert, le sport contre l’EP, Paris, Vuibert, 1925. 29 M. Mauss, op.cit. 30 N. Elias et E. Dunning, op. cit., 1986.. 31 I. Queval, Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Sport, Le Pommier/INSEP, 2010. 6/17 stupidité, c'est cette course à la destruction de notre planète... Or pour les co-auteurs de « Sport et Civilisation : la violence maîtrisée », le sport serait ce moyen de se protéger contre les tensions créées par notre société. La question est de savoir si l'utilisation du sport à ces fins n'est pas surestimée ? « Jamais l'humanité n'a disposé d'autant de potentialité matérielle, scientifique ou technique pour maîtriser sa destinée. Pourtant, la société doit affronter la montée de la violence sous toutes ses formes, l'exclusion sociale, la dislocation des modes de vie traditionnels, le fossé grandissant entre riches et pauvres, nord et sud, l'asservissement aux nouvelles technologies et l'exploitation sans précédent de la nature. La société, de facto, ruisselle de doutes devant la faible maîtrise de l'innovation technique et des forces des marchés monétaires, l’impasse des modèles de développement. Elle en vient à craindre pour sa survie et doute des solutions qu'on lui propose. Bousculé par ces changements rapides chacun se sent devenir otage. On se réfugie alors dans une sécurité illusoires d'idée pré-pensées, pré-conçues, « pré-mâchées »»32. Parler d'un sport éducatif, ne serait-ce pas allouer à ces pratiques des idées « pré-pensées, pré-conçues » ? On aimerait se dire que oui, et c'est ce que nous pensons : oui le sport peut nous aider à prendre conscience de notre inconscience, nous éduquer. Subjectivement nous pouvons l'expliquer par notre propre expérience. « Les activités de loisir pourvoient, pendant un bref laps de temps, à la vague de sentiment forts et agréables qui font souvent défaut dans le train-train de la vie quotidienne. Ces sentiments n'ont pas seulement pour fonction de libérer des tensions, comme on le croit souvent, mais bien de restaurer cette dose de tension qui est un élément fondamental de la santé mentale. Le caractère essentiel de leur effet cathartique est la restauration d'un « tonus » mental normal à travers une vague temporaire et momentanée d'excitation agréable »33. Mais ce n'est pas tout, « le rapport violence/droit – questionnée par nombre de philosophes de la politique, chez Hobbes, Rousseau et consorts – est mis en scène de façon parfaite dans le sport : il y a la violence déchaînée, il y a la règle acceptée et il y a l'arbitrage souverain ; c'est toute la scène du droit. Il y a donc à la fois la pédagogie de la gestion de la violence et la pédagogie juridique dans le sport. Quant au spectateur, dans le spectacle sportif, il est comme dans un amphithéâtre d'une faculté de droit : il apprend le droit sans texte. Il y a donc un processus à la fois de socialisation et d'humanisation dans le sport »34. En plus de ces propriétés cathartiques et socialisantes, « le sport donne la possibilité à tout le monde de s'inscrire et de pratiquer. L'idée démocratique est centrale et, à mesure que la pratique se développe, la démocratisation s'accélère »35. La mixité sociale36 est en marche dans le sens où, dans une zone géographique donnée, dans un endroit social donné, des personnes issues de catégories socio-professionnelles différentes (niveau de vie, cultures et/ou origines nationales) se côtoient, ou cohabitent. Pacificateur, socialisant, gage de mixité sociale, le sport peut aussi être solidarisant en faisant tomber les barrières de l'individualisme. En effet, « Si nos sociétés sont profondément individualisées, le sport fait exister un autre niveau de nostalgie, celui de la focalisation sur le collectif. Alors que les états ont relativement reculé dans l'imaginaire politique, le sport fait vivre quelque chose qui est de l'ordre de l'investissement collectif et de l'identité nationale »37. L'exemple 32 André Giordan, Apprendre ! , Débats Belin, 1998. 33 N. Elias et E. Dunning, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1986. 34 Michel Serres. Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Pommier/INSEP, 2010 35 G. Vigarello. Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Pommier/INSEP, 2010 36 Gérard Baudin, Les utopies de la ville, séminaire CREHU – article : La mixité sociale : une utopie urbanistique, 2001, pp. 13-23. 37 G. Vigarello. Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Sport, Le Sport, Le urbaine et Sport, Le 7/17 de la cordée (alpinisme) est représentatif : elle « est un modèle de société, un modèle de collectif ; être encordée, c'est être lié comme nous sommes liés en famille par le lien familial, dans la ville par le lien politique, dans la nation par le lien patriotique. Seulement le lien est ici matérialisé. C'est la réalisation [le ballon le permet aussi] d'un modèle réduit de société, un modèle vraiment prodigieux, mais qui est aussi religieux car « reliant » » 38. Prodigieux, aussi dans le sens où cette organisation hiérarchisée des Hommes, avec le premier de cordé, le second, etc., et cela en fonction des caractéristiques de chacun, pousse cette société miniature à se structurer logiquement. C'est, semble t-il, là encore un point révélateur de la capacité du sport à éduquer. Enfin et c'est une idée que l'on oublie trop souvent dans le discours en faveur du sport éducatif (dans le sens humanisant) : la transcendance. On admet que la modernité vise le progrès, conçu comme une avancée quasi infinie, alors que la post-modernité rend problématique le progrès et la transcendance. Dans le monde actuel, c'est d'avantage cette post-modernité qui prime, et les transcendances ne sont plus aussi fortes et marquées qu'auparavant : on n'a plus de lendemain qui chantent, on est dans des discours du présent. Or le sport maintient l'idée d'une amélioration constante de soi, d'où l'écho que rencontre le phénomène sportif. « Dans la société actuelle, au moins pour quelques groupes, le sport est devenu une activité quasi religieuse qui comble le vide laissé dans la vie sociale par le déclin de la religion »39. Sans cette religieuse transcendance, nous perdons peu à peu espoir, en nous laissant alors aller à l'acceptation d'idéologies, de politiques qui nous aliènent plus qu'elles nous soutiennent. Nous pensons cette transcendance comme un gage de citoyenneté ! Malheureusement les faits sont là pour nous rappeler à l'ordre ; nous rappeler que seule une étude systémique peut amener à légitimer des courants de pensée. Interrogeons donc l'envers du décor afin de mesurer les véritables enjeux d’une éducation méthodique par le sport Commençons par une réflexion de Michel Serres, véritable fer de lance de la défense d'une éducation par le sport. Professeur d'EPS, il engage maintenant son temps libre dans cette lutte contre les réfractaires au sport vertueux. Malgré un combat acharné, il se doit d'accepter une réalité qui dépasse le sport lui même : « Le suspense est toujours résumé aujourd'hui dans la question « qui va gagner ? ». Elle est en train de tout recouvrir. Qui va gagner aux élections municipales ou aux présidentielles ? Qui va gagner au football ? La société spectacle globale est intoxiquée : c'est nous qui sommes drogués, ce ne sont plus les joueurs, c'est nous que l'on drogue en nous mettant constamment la pression sur la question qui va gagner ? Quelque soit l'événement, la question est de savoir qui va gagner. Il faut se demander que va gagner celui qui impose aux autres cette question. Celui là c'est celui qui vend des billets au stade ou l'investisseur financier ; c'est lui qui gagne, ce ne sont pas les verts ou les bleus. C'est forcément le capitaliste... Dans le sport, la question « qui va gagner ? » recouvre tout : l'argent, la drogue, l'appartenance, le marché. Autant dire tous les vrais problèmes. En sommes, ce qui frappe le plus, c'est que le suspense du sport a envahi la société tout entière. Hier on disait que le sport était un modèle réduit de la société ; aujourd'hui, on constate que c'est la société qui est un modèle réduit du sport. La question « qui va gagner ? » est la drogue moderne »40. Sa réflexion est enrichissante et nous emmène à poursuivre dans le sens suivant : « En tant que pratique sociale, elle est le reflet de ses paradoxes, de ses tensions et est marquée par son évolution. Rien dans le sport n'est naturel »41. Oui le sport est l’œuvre de l'Homme, mais ce produit, par son autonomie partielle, impose aussi sa réalité. Plus que la question « qui va gagner ? », c'est Pommier/INSEP, 2010. 38 Michel Serres. Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Sport, Le Pommier/INSEP, 2010. 39 I. Queval, Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Sport, Le Pommier/INSEP, 2010. 40 Michel Serres. Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Sport, Le Pommier/INSEP, 2010. 41 M. Attali, 2004. 8/17 celle « comment va-t-il gagner ? » qui pèse aujourd'hui sur notre quotidien. La victoire de Bolt lors de la finale du 100m au JO de Londres de 2012 est symbolique, tout comme celles de Phelps en natation, on se pose la question de comment celui qui survole sa discipline va gagner, par quelles fantaisies, avec quelles facilités, de quelles manières, par quels moyens... grâce à quels produits ! C'est là que les choses se gâtent et que l'image du héros sportif se ternit 42. Véritablement cette course à la suprématie transcende l'Homme pour le transformer en mythe, mais elle le transforme aussi. Elle lui impose sa dureté, son intransigeance (les médias spécialisés ont souvent parlé d'une préparation en demi teinte de la part de Phelps pour ses olympiades), son adversité et ce cocktail de difficultés pousse l'athlète dans ses retranchements éthiques : « qu'ai je le droit de faire ? Comment puis-je flirter avec la règle ? Jusqu'où puis-je pousser mon corps ? ». Ces questions, chaque professionnel se les pose : les nageuses russes en natation synchronisée (lors de la préparation des JO de Londres 2012) ont affirmé avoir atteint le seuil de tolérance physique d'heures d'entrainement par jour (qui est de 8 h). Au delà de cette charge les risques peuvent être terribles. On ne parle déjà plus depuis longtemps de dérèglements hormonaux, de retard de croissance, de douleurs en tout genre, de trouble de la faim, du sommeil, de l'humeur, mais bien de mort. Ces funambules de l’extrême peuvent-ils être portés en exemple ? « Selon les experts, plus de 500 000 adolescents ont utilisé des produits dopants en s'inspirant du comportement des athlètes professionnels, leurs héros »43 . Nous arrivons ici à la réalité des faits. Duret et Augustini 44 relèvent par exemple une augmentation du non respect des règles et des joueurs (adversaires, partenaires) avec le nombre d'années de pratique chez les jeunes volleyeurs : « le laboratoire de l'INSEP a mené plusieurs enquêtes dans la perspectives d'évaluer l'efficacité du club sportif comme instance de socialisation. Les résultats, si on s'en tient au caractère formel du règlement, sont sans ambiguïté : les jeunes ne le respectent qu'à contre cœur et le transgressent dès qu'ils le peuvent »45. Et ce ne sont pas les seuls auteurs à avoir mis en lumière ce phénomène de désocialisation dû au sport : « Dans la pratique du football plus spécifiquement, Claudel46 note une fréquence d'apparition accrue des agressions instrumentales de la part de l'équipe menant au score, tandis que les agressions hostiles (émanant d'émotions non contrôlées) semblent être l'apanage des équipes menées. […] cela rejoint les explications données par d'autres chercheurs attribuant les fautes au stress lié aux enjeux de la victoire et à la fatigue »47. Cette logique « du tout ou rien » est mis en lumière par Shields et Bredemeier48 à travers leur théorie du raisonnement du jeu. Il s'inscrit dans une logique de victoire à tout prix49. Il se rapporte ainsi à tout ce qui peut être mis en œuvre sur le terrain afin d'être efficace : fautes volontaires, simulations de fautes, agressions physiques ou verbales, etc. tout cela allant, bien sûr, contre la logique sportive du fair-play, du respect de l'adversaire tout comme de ses partenaires. De Coubertin voulait voir des Chevaliers de la piste, des Grands Princes des piscines, des amoureux de l'Olympisme ; aujourd'hui il pourrait voir des stars de la pelouse, des « drogués de la route », des ignorants de sa philosophie, l’Olympisme. Un deuxième élément avançait par ces réfractaires, celui de la non réciprocité des valeurs entre vie sportive et vie sociale. Les résultats des études sur la psychologie morale du sportifs 42 43 44 45 46 Cf. L'affaire Lance Amstrong dépossédé de ses sept victoires au Tour de France, août 2012. James Sersen Brenner, président de la commission judiciaire. Le Monde, 26 octobre 2005. Duret et Augustini, Sports de rue et insertion sociale, Paris INSEP, 1993. Ibid, p. 76. Claudel, 1997, cité par Thierry Long dans L'éducation par le sport : imposture ou réalité ? Approche de la morale sportive. Connaissances et Savoirs, 2008. 47 Carncarzyck, 1995 cité par Thierry Long dans L'éducation par le sport : imposture ou réalité ? Approche de la morale sportive. Connaissances et Savoirs, 2008. 48 Shields et Bredemeier, Théorie du raisonnement du jeu, 2001. 49 Arnold, 1997, cité par Thierry Long dans L'éducation par le sport : imposture ou réalité ? Approche de la morale sportive, Connaissances et Savoirs, 2008. 9/17 différencient la morale sportive de la morale quotidienne 50: il ne suffit pas d'avoir l'esprit de leadership dans son équipe de football, pour faire un manager compétent. « L'opium sportif n'est pas réductible à l'un de ses multiples aspects : le fanatisme, le chauvinisme, la xénophobie, le racisme, l'antisémitisme, le sexisme, la haine de l'adversaire, la violence des Hooligans, les beuglements des supporters, la massification émotionnelle, la régression intellectuelle, le spectacle de gladiateurs, le goût pour la mise à mort symbolique […] mais représente la totalité synthétique de ce que Théodor W. Adorno a appelé les « exhortations au bonheur , les pseudo satisfactions illusoires grâce auxquelles l'ordre odieux que nous connaissons peut encore survivre »51 et qui précisément parce qu'elles confrontent l'ordre établi en dissimulant l'exploitation, l'aliénation, l'oppression et la domination, ne sont jamais mises à jour par la sociologie positiviste adepte de l'harmonie sociale préétablie et des valeurs de la culture sportive »52. « La fausse conscience »53 sportive énonce ce qui n'est pas pour ne pas avoir à énoncer ce qui est. Prenons un exemple révélateur, en athlétisme, sport « intégrateur » par excellence, les choses ne sont pas très brillantes pour la vocation citoyenne. « Outre Marion Jones et Tim Montgomery, le recordman du 100m (9''78), se trouvent le noms de quatre athlètes ayant déjà été contrôlés positifs à la THG : le britannique Dwain Chambers (100m) et les américaines Regina Jacobs (1500m), Kevin Toth (poids) et John McEwen (marteau) »54. Ces champions de la diversité, sont autant de contres exemples au rôle socialisant que devrait jouer l'athlétisme. Aussi faut-il être « inconscient » pour continuer à affirmer avec David Douillet, champion olympique de Judo, que « les jeux, ce sont le seul rendez-vous planétaire capable de rassembler tous les peuples et de leur faire faire des choses ensemble. Pour moi, c'est la plus belle image de l'humanité […]. Une pièce de théâtre fantastique, avec 10 000 acteurs, qui apporte de l'émotion avec des règles, un respect […]. Essayons de conserver cet esprit olympique pour les générations futures. [...] Évidemment en combattant le dopage, en respectant cet équilibre entre tous les aspects extérieurs au sport pour faire en sorte que les Jeux ne deviennent jamais des Jeux du cirque avec des sports qui n'ont pas de légitimité, des athlètes qui sont des espèces de laboratoires d'expérience. C'est ma plus grande peur »55. Malheureusement pour Douillet, ces peurs sont réalités... En plus d'éduquer par le sport, il faut éduquer sur le sport pour éviter que cette naïveté se propage ou du moins perdure, que les jeunes se rendent compte de la réalité des faits. Et c'est seulement à la suite de cette connaissance des résultats que l'on peut envisager de modifier les causes. On ne peut pas changer quelque chose que l'on pense idéal... L'idéologie d'un sport vertueux – qui comme toute idéologie intégriste doit être prise au sérieux – représente un condensé de discours rétrogrades parce qu'elle véhicule préjugés réactionnaires, stéréotypes inégalitaires et attitudes belliqueuses : « un ramasse-mythes »56. Elle banalise et légitime la violence physique (le rugby, le karaté ou la boxe illustrent parfaitement ce fascisme corporel des brutes, costauds et cogneurs) ; elle institue le classement anthropométrique des individus selon leur capacités biologiques et leurs performances physiques, ce qui ne peut manquer de favoriser les idéologies eugénistes d'amélioration de la « race », de discrimination entre les « valides » et les « invalides », les « sains » et les « malsains ». Elle renforce surtout l'idéologie du consensus et de l'apolitisme (le sport prétend en effet ignorer les clivages politiques et les divisions entre les classes sociales) accentue la religiosité mystique, diffuse l'héroïsation des « surhommes », l'exaltation de l'évasion sociale dans les rêves sportifs, l'idolâtrie de certaines vedettes 50 Bredemeier et Shields, 1986 ; Bredemeier, 1995 ; Long, 2000, cité par Thierry Long dans L'éducation par le sport : imposture ou réalité ? Approche de la morale sportive, Connaissances et Savoirs, 2008. 51 Théodor W. Adorno, 1991 cité par J.M Brohm, La tyrannie Sportive : théorie critique d'un opium du peuple, Paris, Beauchesne, 2006. 52 J-M Brohm, La tyrannie Sportive : théorie critique d'un opium du peuple, Paris, Beauchesne, 2006. 53 Joseph Gabel, La fausse conscience. Essai sur la réification. Paris, les éditions minuit, 1962. 54 Le Monde, 28 avril 2004. 55 L'équipe, 9 août 2004. 56 J. Saint-Martin (chapitre I) in Sous la direction de M. Attali, Le sport et ses valeurs, Paris, La Dispute, 2004 10/17 dont la seule « exemplarité », est la capacité à échapper aux rigueurs du fisc, la tendance aux violences ou la détermination à « essuyer les semelles sur le visage de l'adversaire », l'adulation démagogique enfin des meutes enragées de supporters dont le seul « apport à la culture est la propension à la casse, l'alcoolisme et la xénophobie... »57. Mais attention... Pour Brohm ces maux du sport sont dûs en totalité à sa « liaison structurelle avec le système capitaliste » (1976). C'est d'avantage une critique de la société que du phénomène sport ! Et c'est peut être Eric Dugas qui détient une partie de la réponse à toutes nos problématiques : S'il est vrai que la compétition sportive peut engendrer la tricherie pour vaincre, s'il est vrai qu'elle peut amener les plus forts à rendre les plus faibles responsables de la défaite ou s'il est vrai aussi qu'elle peut exacerber l'inimitié envers les adversaires (etc.), néanmoins, doit-on pour autant s'indigner de la pratique sportive à l'école ? « Si nous regardons de plus prés les expérimentations de Luc Collard58 attestant que le sport rend plus combatif que pacifique, nous pouvons en déduire, tout comme l'auteur, que le sport peut aussi devenir un vecteur de réussite dans une société tournée de plus en plus vers la méritocratie. Apprendre raisonnablement à dominer, à obtenir un gain, à être combatif, compétitif ou à ne rien lâcher, c'est développer et maîtriser une agressivité motrice dans le cadre du sport, peut-être réinvestissable dans la vie quotidienne d'un futur citoyen » ! Le sport serait donc éducatif mais non vertueux ! Il nous permettrait de nous préparer à notre future vie de citoyen et donc à nous « éduquer ». Mais pas dans le sens où l'attend la majorité des pédagogues. Nous n'apprenons pas des concepts pieux, idéalisés, utopiques que nous pensons composer notre société! Nous acquérons les capacités physiques, morales, mentales nécessaires à la « survie » dans la vie professionnelle. Le sport est un moyen et non une fin... un moyen de découvrir les difficultés que nous serons tous enclins à rencontrer plus tard, mais dans un environnement « aseptisé » où la conséquence de nos actes est contrôlable. 3. Une éducation par le sport, oui mais dès le plus jeune âge ! Dans les parties précédentes, nous avons pu prendre conscience de la complexité du champ des activités physiques dans le domaine de l'éducation. Après une présentation de l'APELS, nous avons souligné le caractère « utopique » de l'engagement de ses membres en mettant en parallèle à leurs discours celui de J.M Brohm, Thierry Long, et d'autres. Nous avons aussi souligner que leur ligne de conduite n’était pas isolée du champ de recherche dans ce domaine, puisque les valeurs qu'ils attribuent au sport sont les mêmes que celles qu'attribuent N. Elias, E. Dunning, M. Serres, et autres. Il en est ressorti que malgré leur positionnement au près des théories volontaristes, il n'en reste pas moins qu'ils n'accordent aucun crédit aux autres et n'incorporent à aucun moment leurs points de vue. Enfin dans cette partie, nous allons développer un axe laissé en friche par cette association : l'éducation par le sport à l'école. Bien entendu nous ne disposons pas de toutes les clés pour affirmer qu'aucune étude n'a été menée, mais simplement nos lectures sur les différents rapports d'activité nous ont laissé entendre que ce champ n'était pas prioritaire. Pourquoi serait-il nécessaire de changer cela ? En quoi l'école peut-elle jouer un rôle fondamental dans l'éducation du futur citoyen ? Les programmes scolaires actuels sont-ils adaptés ? Voilà quelques questions auxquelles nous allons tenter de répondre. 57 J.M Brohm. La tyrannie sportive. Théorie critique d’un opium du peuple, Paris, Beauchesne, 2006. 58 Luc Collard, Sport & agressivité. Méolans-Revel : DésIris, 2004, p. 204. 11/17 « Les sports apparaissent davantage aujourd'hui comme des concessions faites aux élèves que comme le résultat de l'initiative de pédagogies spécialisées »59. Nous sommes davantage face à un consensus trouvé avec les « jeunes » que face à une véritable volonté de plonger le sport dans le système éducatif pour en tirer le maximum. En effet, sinon comment pourrait-on expliquer le peu de moyens mis en œuvre pour soutenir un projet éducatif par le sport ? « Aujourd'hui, l'EPS participe à l'acquisition et à la maîtrise du socle commun et permet de faire partager aux élèves les valeurs de la République : former un citoyen lucide, cultivé, autonome, physiquement et socialement éduqué »60. Hors où sont les moyens mis en œuvre dans cette vision là ? Deux ou trois heures pas-ci, par-là, des moyens financiers, humains et un aménagement du territoire disparate (datant pour la plupart des Loi-programmes de 1961 et des instructions officielles (IO) de 1962)... voilà ce que ce sont véritablement les armes de nos enseignants d'EPS pour éduquer nos futurs citoyens : 648 heures de formation par élève dans le premier degré (cycles 2 et 3 : de la grande section de maternelle au cours moyen 2ème année ; en cycle 1, on parle plutôt d'activité motrice). Rappelons que le premier degré (public et privé) compte 6 664 300 élèves dont 2 539 100 dans l'enseignement pré-élémentaire, 4 080 800 dans l'enseignement élémentaire et 44 300 dans l'enseignement adapté. Dans le second degré, ce sont 700 heures de formation par élève et, sur la base de plus de 30 000 professeurs d'éducation physique et sportive, environ 20 millions d'heures d'enseignement par an au bénéfice de 5 353 200 élèves des établissements publics et privés61. « Nous n'accordons pas autant d'importance à l'esprit des enfants qu'à leur pied ; ils ont en effet des chaussures de formes et de tailles diverses, à la mesure de leurs pieds ; quand aurons-nous une école sur mesure ? »62. C'est en effet surprenant de noter que l'APELS engage toutes ses forces dans des actions touchant des adolescents, voire adultes-jeunes, qui déjà sont sortis du système éducatif. Au lieu de traiter le problème à sa source, il semblerait que l'on préfère tenter de le résoudre lorsque celui-ci est déjà enraciné... Pourquoi aucun enseignant d'EPS n'a été lauréat de « Fais nous rêver » pour un projet de cycle d’EPS déposé auprès de l’APELS ? Peut-être faudrait-il organiser une interpénétration entre cette association et l'Education Nationale ? Tout d'abord éclairons quelques points de définition, avant de débuter un plaidoyer en faveur d'un rapprochement entre l'APELS et l'éducation nationale. Qu'est ce que apprendre ? Pour Famose 63 c'est l'«ensemble des processus cognitif qui permettent de s'adapter à un problème moteur et qui s'exprime au travers d'un changement relativement permanent du comportement ». Hors dans notre étude qui interroge les enjeux de l’ « l'éducation par le sport », nous tentons de justifier l'affirmation suivante : le sport nous apprend à être éduqué. Ce processus est dépendant de trois périodes distinctes correspondant à la croissance de l'enfant (attention à différencier la dénomination primaire, secondaire et tertiaire que nous utilisons avec l'utilisation faite de ces termes dans le système scolaire). La première d'entre elle est celle « primaire » : l'enfant évolue durant les premiers mois de son existence au sein du « cocon » familial. L'apprentissage est donc « bipolaire » voire « unipolaire » (deux parents expriment un point de vue unifié). Dans un second temps, l'enfant va subir une démultiplication de ces sources de connaissances lorsqu'il va entrer à l'école. C'est ce que nous appelons l'apprentissage secondaire. Durant cette phase l'apprenant va évoluer au fil des classes et des enseignants qu'il va rencontrer. Ce qui caractérise ces deux périodes, c'est la soumission des savoirs à la volonté d'un « être supérieur ». 59 B. During, Des jeux aux sports. Paris, Vigot, 1984. 60 http://media.education.gouv.fr/file/special_6/21/6/programme_EPS_general_33216.pdf 61 Rapport parlementaire établi par Robert Lecou député de l'Hérault. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000079/0000.pdf Février 2012. 62 Edouard Claparéde, Archives de psychologie, 1901. 63 Jean-Pierre Famose, L'apprentissage auto-régulé : qu'est-ce qu'apprendre en éducation physique et sportive ?, in revue Education physique et sport n°300, 2003 12/17 Le partage est unidirectionnel ! C'est seulement lorsque l'enfant va entrer dans la vie professionnelle, voire même dès la fin du lycée qu'il va pouvoir « choisir » ses sources d'apprentissage : on appelle cette période, le niveau tertiaire, où les relations sociales sont voulues (Associations sportives, entreprises, associations caritatives, indépendance vis à vis des parents, etc.). Cette dénomination des différents niveaux « d'apprentissage de l'éducation » souligne un point clef ! Le premier dénominateur commun sur lequel nous pouvons influencer le déroulement de l'apprentissage, c'est le secondaire et donc l'école. Pourquoi attendre ? C'est fondamental d'avoir une action sur cette période. Les études en ontogenèse, en psycho-sociologie, en psychologie, en développement moteur ont prouvé scientifiquement que cette période est la plus enclin aux changements des enfants, qu'ils soient physiques, mentaux, sociaux64656667! Si l’APPELS promeut les vertus éducatives du sport, pourquoi se résigner à attendre que ces périodes « charnières » soient passer pour tenter de jouer un rôle ? Maintenant reste à savoir si c'est une solution acceptable, de choisir le sport comme moyen d'éduquer dès le plus jeune âge. Mais aussi de savoir s'il existe plusieurs formes pratiques sportives et laquelle d'entre elles est la plus enclin à éduquer. On dénombre deux types de pratiques sportives : sociales et scolaires. Les premières, sur lesquelles repose l’enseignement de l’éducation physique et sportive, sont incarnées par les Activités Physiques Sportives, et Artistiques (APSA). Ce sont des pratiques culturellement reconnues, qui ont fait l’objet d’une évolution historique, et qui sont inscrites dans le champ social en ayant une existence et une signification en dehors de l’école. Dans tous les cas, la nature de ces activités est motrice, c’est à dire que la pertinence des actions se juge, au final, par une prestation mettant en jeu l’activité corporelle. Si la plupart de ces activités sont sportives, d’autres ne le sont pas, notamment certaines activités artistiques dépourvues d’enjeu compétitif (les arts du cirque et les activités d’entretien par exemple) qui permettent de « concevoir et réaliser des actions à visée artistique ou esthétique »68. Les pratiques scolaires, quant à elles, sont les pratiques qui sont enseignées au sein du système éducatif dans le cadre de l’EPS, discipline obligatoire. Leur enseignement est régi par un programme, lequel précise ce qu’il y a à apprendre au sein d’un cadre qui est avant tout un cadre éducatif. Au collège, la liste nationale d’APSA retient vingt-six activités réparties en huit groupes d’activités et correspondant à quatre compétences propres à l’EPS. Si ces pratiques se réfèrent aux pratiques sociales qui leur confèrent leur substance, elles s’en démarquent aussi car l’école est régie par des impératifs éducatifs. Nous entendons par impératifs éducatifs des exigences s’appliquant aux transformations de l’être humain en vue qu’il développe toutes ses potentialités, et en vue qu’il joue un rôle actif, éclairé, libre et responsable dans la société où il vit. L’éducation, c’est à la fois donner des racines (une culture), et des ailes (une émancipation). A la fois objets et moyens, les pratiques scolaires alimentent les apprentissages, c'est-à-dire les « modifications stables des comportements ou des activités psychologiques attribuables à l’expérience du sujet »69, modifications qui débouchent sur la construction de compétences propres à l’EPS, et de compétences méthodologiques et sociales. Elles alimentent les apprentissages, car il n’est pas possible d’apprendre sans faire une expérience, et ce sont ces pratiques qui pré-orientent la 64 Ajuriaguerra J. De, Auzias M., Coumes F., Denner A., Lavondes V., Perron R., Stambak M. - L'Écriture de l'enfant, Delachaux et Niestlé, Paris et Neuchâtel. Vol. 1 : L'Évolution de l’écriture et ses difficultés, 286 p. ill. Vol. 2 : La Rééducation de l'écriture, 350 p. ill. (4ème edition : 1990). 65 M. Wittling. L'année psychologique, Volume 68. Numéro 68-1, 1968, pp. 185-208. 66 Jean Piaget et Bärbel Inhelder, La psychologie de l'enfant, Quadrige, PUF, 2004. Cet ouvrage n'est qu'un parmi tant d'autre, tous plus enclins à préciser notre affirmation. 67 Tran-Thong. Stades et concept de stade développement de l'enfant dans la psychologie contemporaine. Collection : Etudes de psychologie et de philosophie, 1992. 68 Programme EPS de la classe de seconde générale et technologique, 2000. 69 J.-F.Le Ny, Encyclopaedia Universalis, 1990. 13/17 nature des expériences que vivent les enfants et les adolescents en éducation physique. En quoi ne suffit-il pas de pratiquer une APSA pour en faire un acte éducatif ? Comment enseigner des pratiques scolaires aux élèves pour « contribuer à leur éducation » 70. En d’autres termes, comment rendre une APSA éducative, et passer d’une pratique sociale à une pratique scolaire ? Comment solliciter chez l’élève une véritable activité d’apprentissage dirigée vers la construction de compétences ? Quelle transposition opérer en vue d’extraire les ferments éducatifs des APSA ? En quoi l’idéal est-il finalement de revenir aux pratiques sociales ? Guy Debord a montré de manière décisive que « le renouvellement technologique incessant du capitalisme mondialisé et la fusion entre l'économie de marché et les appareils étatiques avaient fait de la société spectaculaire intégrée une société du secret généralisé qui dissimule ce qu'il faut montrer et montre ce qu'il faudrait dissimuler, une société où le faux devient vrai sans réplique possible en achevant de faire disparaître l'opinion publique au profit des sondages d'opinion, de l'audimat, des vidéo-clips, des reality-shows et d'autres manipulations virtuelles par spots publicitaires, une société enfin où le présent perpétuel, l'évanescent, l'éphémère, l'effervescence « postmoderne » dissimulent mal le vide abyssal que cherchent à remplir tant bien que mal les managers de l'information in-essentielle, les directeurs des ressources ludiques et autres ingénieurs de l'âme et du corps. C'est très exactement dans ce contexte perpétuellement faux, d'un secret jamais révélé que s'inscrit le spectacle sportif »71. Hors le sport n'est pas que spectacle ! Il est avant tout pratique ; pratique d'une activité que Brohm juge lui même « représentative du système capitaliste dans son ensemble » ! L'enfant, lorsqu'il fait du foot, vie le rôle de futur citoyen qu'il sera enclin à devenir. Il interagit avec ses partenaires pour fonder un projet collectif, il tente de briller par ses qualités pour qu'on puisse le reconnaître, il joue avec les règles qu'il tente de dépasser, parfois, pour vaincre à tout prix en sachant pertinemment que s'il se fait prendre, il devra en payer les conséquences, il cherche à asseoir son hégémonie sur ses adversaires pour qu'on l'estime encore d'avantage, etc. Et tout ça dans l'optique de gagner... des félicitations, un tee-shirt, une médaille, une coupe, un sponsor, de l'argent ! Mais il apprend avant toute chose son futur « métier de citoyen » ! il en apprend les valeurs, les normes. En somme, il se socialise : « classiquement il s'agit du processus qui conduit chaque individu à incorporer les manières de sentir, de penser et d'agir qui règnent dans son environnement culturel. Être socialisé, c'est être en conformité avec les codes sociaux en usage, c'est adopter des comportements verbaux et corporels qui correspondent aux attentes de l'entourage : règles de politesse, conventions de conversation, attitudes convenues de la vie familiale, professionnelle, de loisir. »72. La vie sociale et les épisodes éducatifs suscitent donc des « techniques du corps » et engendrent des « habitus » selon les propos de M. Mauss, qui sont des « séries d'actes montés » dont l'influence va persister et se prolonger dans les expériences sociales ultérieures : du monde sportif - au monde social (car ces deux sont réciproquement liés). Hors « les Techniques du corps dépassent le corps. Il s'agit de conduites motrices qui sollicitent les sphères affectives, cognitives et représentatives, c'est à dire l'ensemble de la personnalité du pratiquant. Les dispositions acquises au cours des activités physiques et sportives répétées codifient alors l'usage du corps, laissent des traces, fournissent des comportements de réponse pré-élaborés, donnent du sens aux expériences sociales à venir »73. Le sport se trouve, in fine, être une société capitaliste physiquement palpable, capable de modeler l'apprenant ! Il semble donc nécessaire, utile, de confronter l'apprenant, non pas simplement à des pratiques scolaires, trop souvent aseptisées, mais bien de les mettre face à des 70 Missions du professeur, 1997 http://eduscol.education.fr/cid48005/mission-du-professeur-exercant-en-college-enlycee-d-enseignement-general-et-technologique-ou-en-lycee-professionnel.html 71 J.M Brohm. La tyrannie sportive. Théorie critique d’un opium du peuple, Paris, Beauchesne, 2006. 72 Pierre Parlebas, Jeux, Sports et Sociétés, Lexique de praxéologie motrice. Paris : INSEP Publications. Collection recherche, 1999, p. 344. 73 Eric Dugas, Jeu, sport et éducation physique : les différentes formes sociales de pratiques physiques. AFRAPS, 2008. 14/17 pratiques sociales. Soulignons ici un point fondamental : éduquer par le sport semble loin d'être une action neutre. L'enseignant marque de son empreinte chaque élève qu'il va éduquer, il est donc nécessaire de former ces professionnels et de rendre compte d'une unité dans les méthodes d'enseignement si l'on espère former un citoyen conforme à la norme de notre société. Le deuxième argument en faveur d'un sport à l'école plus représenté est celui « d'un corps pour soi ». En effet, ce qui est souvent regrettable, c'est de noter qu'on n'accorde à l'enveloppe charnelle que peu d'importance face à celui de l'intellect. De la bouche de certaines personnes, on a l'impression qu'il ne mérite pas notre attention, qu'il est basique... Raisonnement peu réfléchi quand on voit qu'aujourd'hui nos ordinateurs sont capables de stocker des centaines de milliards d'informations, de parler, de représenter, et parfois même de ressentir ; alors que nos robots se trouvent toujours être de vulgaires boîtes de conserve incapables de reproduire le mouvement humain... Le corps doit être placé à côté de l'intellect. Comme le dit la célèbre allocution : « un corps sain, dans un esprit sain », l'un sans l'autre ne valent rien. Or « l'éducation par le sport, c'est bien sûr donner des règles aux jeunes, qui n'en ont pas (encore ?), mais c'est aussi plaider pour le sport santé tout au long de la vie et peut être aussi pour un sport outil du bien être et du bien vieillir »74. Le sport à l'école donne le goût de le pratiquer plus tard ! Dans le système scolaire, il y a un épanouissement « par le savoir, par la réussite et les possibilités professionnelle. Même si certaines jeunesses la rejettent, elle reste un fil directeur. Parallèlement à cela, on voit apparaître un épanouissement et une volonté de reconnaissance par différentes types de loisir : des loisirs sportifs, des loisirs culturels, avec une place importante de la musique. Dans ces différents domaines, chacun essaie, tant bien que mal, de trouver une place » 75. Les pratiques sportives, par le « simple dispositif d'inégalité font que ceux qui occupent une position « dominée » ont tendance à investir le jeu pour essayer de s'affranchir de la domination et apparaître comme plus affirmés que le dispositif social ne semble le montrer »76. Le jeu devient alors comme une mise en scène d'un déplacement social par l'appropriation de son corps et l'utilisation de ce dernier. Cette voie de l'éducation du corps par le sport peut aussi remplir des missions bien plus importantes concernant le rejet du système éducatif par certaines tranches de la population. En effet, certains élèves se trouvent être plus tactiles, plus physiques que d'autres et vous pouvoir trouver dans ces activités sportives un moyen de s'épanouir autrement que par l'intellect, peut être pourrontils devenir des citoyens tout aussi honnêtes et « droits » que ceux passés par une prédominance d'apprentissage « abstrait » ? Le corps serait donc un moyen d'apprendre à être citoyen. En plus de cela, souvent en réussite dans ces domaines moins scolaires, ces apprenants sont conduits à valoriser l'activité qu'ils réussissent. Plus sûrs d'eux, ils pensent exercer un contrôle plus grand sur les activités qu'ils rencontrent ou sur la poursuite du projet. Le phénomène est entretenu par un ressenti agréable : le plaisir qui renforce la motivation. Dans le même temps, la motivation conduit l'apprenant à donner du sens à ce qu'il apprend. A son tour, celui-ci augmente la motivation77. 74 75 76 77 Aujourd'hui, l'EPS dispose de trois objectifs généraux, définis par l'Inspection Générale : « Développer les qualités organiques, foncières et motrices ». Permettre l'accès à la culture en assurant l'appropriation de pratiques corporelles et notamment de pratiques sportives et d'expression qui constituent des faits de civilisation Offrir à chacun, outre les connaissances permettant une meilleure pénétration du tissu social APELS, Rapports d'activité 2007. Frédéric Hamelin, Les jeunes, le sport et la citoyenneté. APELS, tome 1. 2008. Sous la direction de Benjamin Pichéry et François L'Yvonnet. Regards sur le Sport, Le Pommier/INSEP, 2010. Philippe Sarrazin, Climat motivationnel instauré par l'enseignant et implication des élèves en classe : l'état des recherches, Revue française de pédagogie 2006/4 (n° 157), p117-1147 15/17 et culturel, celles concernant l'entretien de ses potentialités et l'organisation de sa vie physique aux différents âges de son existence. Santé, sécurité, solidarité, constituent des « préoccupations éducatives » transversales, « toujours présentes ». (référence au programme d’EPS) (à mettre en note de bas de page et préciser si tu fais référence aux programmes collèges, que tu as déjà cités, ou aux programmes lycées. Nous sommes donc bien dans l'optique présentée plus haut. En outre, elle ne dispose que de quelques heures allouées, d'une image ternie face aux autres matières et d'un manque cruelle de reconnaissance78 ! Peut-être faudrait il croiser les différents champs de compétences entre l'EPS et les autres matières dites abstraites ? Nous pensons, que l'enseignant doit accepter de ne plus se penser comme le spécialiste d'un contenu (d'une matière d'enseignement). Il est d'abord un professionnel de l'interaction éducative. Il doit être capable de se servir des outils qu'on lui propose : que ce soit du sport ou des matières plus scolaires pour amener ses élèves à « apprendre »79. Luc Chatelsemble donc suivre notre logique lorsqu'il affirme que « le sport peut beaucoup pour l'école et l'école peut beaucoup pour le sport : ils possèdent la même dimension sociale et les mêmes fondements éthiques ; ils aspirent au même idéal, celui de l'accomplissement harmonieux de la personne au sein du collectif. S'il apporte de la sérénité et apaise le climat scolaire, le sport possède surtout une dimension éducative incontestable : il met en exergue, le goût de l'effort et du dépassement de soi, la volonté de progresser et de s'accomplir le respect des règles et de l'autre... il permet aussi à de nombreux élèves de révéler des potentialités trop souvent insoupçonnées »80 . Mais encore faudrait-il engager des moyens à la hauteur des espérances ! Parler d'un sport éducatif sans parler d'un sport à l'école, n'a donc aucun sens. Il est fondamental de se pencher sur la place de ces activités sportives dans les programmes scolaires pour en dégager les « bonnes pratiques » (APELS), et les meilleurs moyens de leur mise en situation. Ces pratiques permettent de se confronter au modèle de société dans laquelle nous vivons et d'en appréhender les codes, les normes et les valeurs. Elles éduquent donc « l'enfant sauvage » pour qu'il devienne citoyen ! Mais elles éduquent aussi et surtout le corps de cet enfant. Par l'acquisition de techniques du corps, il s'humanise, se socialise, en même temps qu'il s'approprie son corps qui lui permet de s'épanouir. Le sport se présente aussi comme un moyen de soutenir les élèves en difficulté qui ne voient en l'école que l'antinomie de leurs valeurs. Des actions sont à mettre en œuvre dans cette optique dès le cycle scolaire primaire, en montrant à ces jeunes que le corps peut aussi être un moyen de « grandir » et de s'éduquer. Malgré tout ça, il semblerait que les politiques ne veuillent engager plus de moyens dans cette « matière à part entière » ! C'est regrettable... Mais il ne suffit pas de le remarquer pour changer les choses, il faut proposer. Et c'est le rôle d'association comme l'APELS ! Par des soutiens financiers pour des projets au sein de l'école, par des conférences, par des écrits, par des colloques, tout doit être mis en œuvre pour changer les choses. Car c'est vraiment durant ces âges là que le citoyen de demain se forge ! En conclusion ! Au cours de cette étude, nous avons souligné le rôle nécessaire que devrait jouer l'APELS au cœur du sport à l'école. Défendre la place d'un sport éducatif dans le niveau secondaire d'apprentissage, là où le citoyen se construit est fondamental ! Définir les bonnes pratiques, la quantité d'heures nécessaire à l'apprentissage, la quantité de moyen humain, technique, etc. l'articulation avec les autres matières, et bien d'autres points, voilà le rôle que devrait jouer l'APELS avant de s'engager dans le soutien d'actions sportives hors champs scolaires. C'est en commençant 78 Cf. enquête du MEN en 2007 : images du sport scolaire et des pratiques d’enseignement. 79 André Giordan, Apprendre ! , Débats Belin, 1998. 80 Luc Chatel, Actions du sport : le magazine du réseau sportif, n°132, 2011. 16/17 par tenter de renouer le contact avec le milieu scolaire, afin de rééquilibrer quelque peu les missions que se donnent ses dirigeants, que l'ont espère voir apparaître des projets et innovations scolaires qui ont toutes leur place et leur nécessité, notamment pour ce qui concerne le sport à l'école : l’USEP, l’UNSS et la FFSU. « Ni l'éducation physique, ni le sport n'ont de valeur socialisante en soi, c'est par le biais d'une pédagogie active centrée sur le groupe que le sport pourra accéder au statut d'activité socialisante ». Cette citation de Jean Le Boulch 81 nous invite à refuser une conception trop simpliste, voire « magique », de l’impact éducatif des pratiques sociales. Nous avons ainsi étudié que si certains sports peuvent être éducatifs, ils doivent pour cela faire l’objet d’un enseignement particulier, enseignement conduit en fonction d’impératifs éducatifs que nous pouvons circonscrire autour de la culture, de l’autonomie, et de la lucidité. Les pratiques sociales sont donc aménagées par le filtre de l’enseignement, lequel va grossir ou minorer certaines caractéristiques pour les rendre assimilables par les élèves, et surtout pour le rendre éducatives. Finalement, une pratique scolaire, c’est une pratique sociale qui est devenue éducative et adaptée aux enfants et aux adolescents : « l'EPS est bien une discipline scolaire en ce sens qu'elle transforme, façonne, utilise à des fins d'éducation les pratiques sociales auxquelles elle prépare » 82. Pour autant, ce traitement didactique dont il a souvent été question veillera aussi à ne pas dénaturer les activités sociales de référence. C’est pourquoi nous retenons le principe de concilier impératifs éducatifs et respect de la logique interne des APSA, c’est à dire « la carte d’identité de la pratique considérée, qui regroupe ses caractéristiques pertinentes les plus saillantes » 83. Le passage « du savoir savant au savoir enseigné »84 est effectivement un impératif, mais celui de respecter les représentations sociales des élèves aussi, lesquelles conditionnent fortement l’attractivité des activités enseignées. Ce respect des caractéristiques des sports proposés permet aussi à l'enseignant de confronter, par les maux qui composent ces pratiques sociales, l'apprenant à la réalité sociale qui l'attend en tant que futur citoyen capitaliste. Mais aussi, et peut-être surtout, cela peut lui permettre de s'approprier son corps en vue de s'épanouir. Pour une majorité de la population occidentale, le temps libre est devenu plus important que le temps de travail. Ce renversement historique est souvent minoré ou ignoré. Le loisir, l'élément privilégié du temps libre, dont la valorisation est devenue une caractéristique des sociétés post-industrialisées, prend une place croissante 85. C'est dans ce contexte social qu'est née l'idée sportive autorisant de nouvelles manières de devenir soi, fondées sur le plaisir, la performance et le dépassement de soi86 ; en somme de s'éduquer. La pratique sportive dans la manière inédite de proposer une occupation réglée par des procédés et des objectifs correspond à un souci croissant d'un corps pour soi dans les sociétés contemporaines 87. L’APELS se doit d'en faire une notion centrale de son projet de développement. Il s’agit donc de ne pas « dévitaliser » les pratiques sociales de leur substance culturelle. Après les pratiques scolaires obligatoires, l’enjeu ultime est finalement de revenir librement aux pratiques sociales. Une pratique libre et autonome, mais une pratique éclairée et protégée, une pratique faite de nouveaux pouvoirs d’action « en vue de poursuivre une pratique physique régulière hors de l’école et tout au long de la vie »88. « Le sport est moteur et effet de la vie sociale. Il prépare une forme tempérée, socialisée de la lutte pour la vie »89. 81 Jean Le Boulch, Face au sport, ESF, Paris, 1977. 82 L'éducation physique et sportive à l'école, in Education physique scolaire. Personne et société, Actes du colloque, Paris, 1997. 83 Pierre Parlebas, Didactique et logique interne des APS, in Revue EPS n° 228, 1991, p.9-14 84 Y. Chevallard, La transposition didactique, La pensée sauvage, Grenoble, 1985. 85 J. Dumazedier, Révolution culturelle du temps libre,1968-1988, Méridiens Klingstieck, Paris, 1988. 86 I. Queval. « Sport, dépassement de soi et idée de nature », Esprit, juillet 2001, n° 276, pp. 201-204. 87 A. Rauch (1983), P. Duret et al (2005) cités par Thierry Long dans L'éducation par le sport : imposture ou réalité ? Approche de la morale sportive, Connaissances et Savoirs, 2008. 88 http://www.education.gouv.fr/pid20484/special-n-6-du-28-aout-2008.html 89 Jacques Ulmann. La nature et l'éducation : L'idée de nature dans l'éducation physique et morale, Paris, 1987. 17/17