Le meneur de la profanation de Sarre-Union était « antifa

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Le meneur de la profanation de Sarre-Union était « antifa
Le meneur de la profanation de SarreUnion était « antifa » !!!
« si on évoquait le Front national, il se
mettait sur ses deux pattes arrière et se
mettait à grogner »,
raconte Gaëtan.
Pierre B. aime la musique metal, le look punk-gothique, les capuches, les
bracelets cloutés, les Doc Martens, les colifichets avec des têtes de mort.
C’est un grand gars blond aux yeux bleus rieurs, plutôt fluet, avec une bonne
bouille d’ado de son âge et de son temps.
Après le collège où il était un élève sans problème, il a choisi de préparer
un CAP d’agent de sécurité, sa passion. Sur Facebook, le 10 février, Pierre
postait ce message – sans fautes d’orthographe : « Bon les gens, je compte
organiser dans pas longtemps un petit groupe afin d’aller explorer quelques
endroits abandonnés (maisons, manoirs, château, gares, etc.). Qui serait
partant ? Faites aussi parvenir quelques-unes de vos idées, si vous en
avez. »
Pierre B. est le meneur de la bande des cinq jeunes Alsaciens interpellés
après la profanation du cimetière juif de Sarre-Union (Bas-Rhin). Mercredi
18 février, dans la soirée, tous les cinq ont été mis en examen et placés
sous contrôle judiciaire.
Le « mobile antisémite » de la profanation est apparu « clairement » au
procureur de Saverne Philippe Vannier au vu des éléments de l’enquête,
« malgré les dénégations des intéressés ». Quatre des adolescents ont été
soumis à une mesure de placement en centre éducatif, dont l’un dans un centre
fermé, tandis que le cinquième a été « confié à un tiers digne de
confiance ». Ils ont entre 15 et 17 ans.Le joli cimetière juif de Sarre-Union
a l’air posé sur le flanc de la colline. C’est un long rectangle de verdure
avec des tombes vieilles de deux siècles, en bas duquel coule la Sarre, dans
cette zone rurale et vallonnée qu’on appelle « l’Alsace bossue ». Il faut
prendre un chemin de campagne, à l’extrémité de la petite ville de Sarre-
Union, passer un petit pont, ouvrir le portail en fer forgé. Sauf que là, le
portail a été mis à terre. Plus bas, les pierres tombales avec leurs
inscriptions ont subi le même sort.
Le spectacle laisse sans voix. Sur les quelque 400 stèles du cimetière,
environ 250 sont brisées. Le monument aux victimes de la Shoah est détruit.
Dans la partie moderne, des dalles en granit poli ont été déplacées. « Jamais
un cimetière juif n’a été profané avec cet acharnement, jamais avec cette
intensité, jamais avec cette frénésie », s’est indigné François Hollande,
venu se recueillir sur les lieux.
Saluts nazis
Dans l’après-midi du jeudi 12 février, les cinq garçons se trouvent une
occupation pendant leurs vacances scolaires : aller au cimetière juif. Ils
commencent à jouer et là, selon le procureur de Saverne, « le jeu a dérapé ».
Un premier acte déclenche « une sorte de frénésie collective ». Les stèles
sont lourdes, mais anciennes et fragiles : ils les cassent une à une. Ils
font des saluts nazis. Ils crachent sur les symboles juifs. En guise
d’accompagnement sonore, ils crient ces mots : « Sales juifs », « Sale
race », « Heil Hitler », « Sieg Heil ».
Lundi, effrayé par l’écho médiatique donné à leur escapade, le plus jeune de
la bande se rend de lui-même à la gendarmerie. Les autres sont immédiatement
interpellés. Tous nient avoir agi par antisémitisme, mais ils reconnaissent
leur participation aux dégradations.
A Sarre-Union, 3 000 habitants, tout le monde se connaît. Et personne ne
comprend. Gaëtan Wilsius, élève de 1re L au lycée Georges-Imbert, a organisé
dans la ville une marche silencieuse « de solidarité et d’indignation » qui a
rassemblé dans la ville des centaines de lycéens, mardi. Sur les cinq
suspects, il en connaît quatre. Ils étaient tous ensemble au collège PierreClaude de Sarre-Union, deux d’entre eux sont comme lui au lycée situé juste à
côté. Il a beau chercher des signes distinctifs, il n’en trouve pas. Sauf
peut-être qu’ils étaient « fans de metal », et « se tenaient un peu à part à
cause de ce centre d’intérêt ». Pierre, précise Gaëtan, « c’était la personne
juste un tout petit peu bizarre parmi des gens normaux. Mais rien de
méchant ».
Les cinq mineurs n’ont aucun antécédent judiciaire. La justice ne leur
connaît pas « de convictions idéologiques qui pourraient expliquer leur
comportement », note le procureur. Ils sont issus de « familles bien », qui
« ne posent pas de problèmes particuliers et ne sont pas dans le besoin »,
affirme-t-on à la mairie de Sarre-Union. L’un est le fils d’une institutrice,
l’autre le petit-fils d’un proviseur. Tous sont « calmes, discrets, pas
bagarreurs, n’ont rien de spécial », disent leurs camarades. Quatre sur les
cinq habitent Sarre-Union, trois y sont scolarisés dans l’unique lycée. Les
élèves de catégorie socio-professionnelle (CSP) favorisée y sont légèrement
en dessous de la moyenne académique, les CSP défavorisés sont légèrement audessus, mais le taux de réussite au bac se situe entre 90 % et 100 %. « Un
établissement sans problème particulier », assure Jacques-Pierre Gougeon,
recteur de l’académie de Strasbourg.
« On ne parlait pas politique mais si on évoquait le Front national, il se
mettait sur ses deux pattes arrière et se mettait à grogner, raconte
Gaëtan. Il prétendait se battre contre le fascisme et était très remonté
contre la police. Il traitait les policiers et les militaires de
fascistes, avec une hargne qui me mettait mal à l’aise. »
Pierre B. avait étrangement un ennemi déclaré : « le fascisme ». Il portait
des slogans antifascistes sur ses vêtements. « On ne parlait pas politique
mais si on évoquait le Front national, il se mettait sur ses deux pattes
arrière et se mettait à grogner, raconte Gaëtan. Il prétendait se battre
contre le fascisme et était très remonté contre la police. Il traitait les
policiers et les militaires de fascistes, avec une hargne qui me mettait mal
à l’aise. » Pierre était parti au lycée de Sarrebourg (Moselle) mais il
passait voir ses copains à Sarre-Union. La mort récente de son père l’avait
rendu un peu plus distant.
La sixième profanation
L’Alsace, région limitrophe de l’Allemagne et ballottée par l’Histoire, est
« l’une des régions où le travail sur le passé et la mémoire est le plus
important », souligne M. Gougeon. Cours de religion, conférences de témoins
de la Shoah, parfois voyages à Auschwitz… « Pierre et les autres ont été
éduqués comme nous, note Gaëtan. Les voir faire ça, c’est d’autant plus
dégoûtant. » Cette caractéristique alsacienne ajoute à l’incompréhension
générale. Comment ont-ils pu prétendre, comme ils l’ont fait, ne pas savoir
ce qu’ils faisaient ? Pourquoi eux ?
Le profil des cinq jeunes n’est pas la seule énigme. Le petit cimetière de
Sarre-Union, joli et discret, en est à sa sixième profanation depuis la
Libération. Les précédents les plus marquants ont eu lieu en 1988 et 2001. Le
sociologue Freddy Raphaël relève que « les trois quarts des cimetières juifs
de la campagne alsacienne ont été profanés à un moment ou à un autre ». Il
constate presque à chaque fois les mêmes stratégies de défense : réduire la
profanation au rang du vandalisme. Les cinq mineurs de Sarre-Union ont usé du
même argument : « On croyait que c’était abandonné », « on ne savait pas que
c’était un cimetière juif… »
Dans les villages d’Alsace, les cimetières juifs présentent il est vrai un
avantage pour les profanateurs : ils sont toujours situés un peu à l’écart du
village. Un double effet de l’existence d’un « judaïsme rural », spécifique
en France à l’Alsace, et de la Révolution française, qui donna aux juifs le
statut de citoyens français et leur permit enfin de bénéficier d’un cimetière
de proximité. A une condition toutefois : que celui-ci se situe à la marge du
bourg, et à un endroit que personne n’aurait envie de leurs disputer : là où
l’équarrisseur enterrait ses bêtes crevées, ou sur ce terrain en pente près
d’une rivière, donc humide et difficilement constructible, comme à SarreUnion.
Il reste trois juifs à Sarre-Union
Si l’on est vandale et antisémite, il y a ici un autre avantage : les
cimetières juifs ruraux d’Alsace sont peu fréquentés. La Shoah et, pour les
survivants, l’exode vers les villes, ont fait disparaître des villages la
population juive. Il reste trois juifs à Sarre-Union, dont le « représentant
de la communauté juive de Sarre-Union », Jacques Wolff. Ils étaient
400 familles au XVIIIe siècle.
Les cimetières juifs ont toujours l’air vieux. Il n’y a plus de descendants
pour entretenir les tombes et contrairement aux cimetières chrétiens, les
concessions sont perpétuelles. Les morts ne s’en vont pas. « Cela joue dans
l’inconscient collectif », souligne Claude Heymann, adjoint au grand rabbin
de Strasbourg. Le cimetière se dit en hébreu « la maison des vivants » (Beth
Ha’Haym). C’est l’image du juif qui est toujours là, qui aurait dû
disparaître et qui revient. Encore de l’eau au moulin des antisémites : « Le
juif est toujours celui qui s’en sort. »
Pour le rabbin Heymann, la profanation du cimetière de Sarre-Union va au-delà
de l’antisémitisme. « Cet acte est représentatif de l’incapacité pour les
jeunes d’entrevoir un avant eux-mêmes. Ils vivent dans un monde virtuel et
autocentré. Il n’y a qu’eux, le présent, leurs parents, leurs grands-parents
s’ils les voient. En cela, c’est emblématique d’une époque. » Les cinq
mineurs encourent jusqu’à sept ans de prison.
© Marion Van Renterghem (Sarre-Union, envoyée spéciale)
Journaliste au Monde
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