la retraduction des Voyages de Gulliver de Furne et Fournier (1838)1

Transcription

la retraduction des Voyages de Gulliver de Furne et Fournier (1838)1
“Une frisure nouvelle donnée à une antique perruque”:
la retraduction des Voyages de Gulliver de Furne et
Fournier (1838)1
Benoit Léger
Université Concordia, Montréal, Canada.
Resume
Abstract
Cet article compare deux versions françaises des
Voyages de Gulliver : celle de l’abbé Desfontaines (Paris, 1727)
et la réécriture de ce même texte telle que publiée par Furne et
Fournier en 1838. La traduction très libre de Desfontaines est
restée la version dominante en français jusqu’à la fin du XIXe
siècle, même si une demi-douzaine de versions de retraductions
et de révisions sont publiées au cours du siècle. L’une des
mieux connues est celle de Furne et Fournier, ornée des célèbres
gravures de Grandville. La comparaison de la traduction de
Desfontaines et de la réécriture des passages comprenant des
descriptions de fonctions naturelles, l’analyse des ajouts et
omissions et de leur révision dans la version de son adaptateur
ultérieur et anonyme (en particulier dans le cas des passages
satiriques ridiculisant l’empereur de Lilliput), tente de montrer
quels sont les critères qui font une bonne traduction pour les
éditeurs de l’époque ainsi que la nature des attentes du lectorat.
This article compares two French versions of Gulliver’s
Travels: that of Abbot Desfontaines’ (Paris, 1727) and its
rewriting published by Furne & Fournier in 1838. Desfontaines’
very free translation remained the dominant version of the text
until the end of the 19th century, even though half a dozen
retranslations and/or revisions had been published already.
One of the most famous is the one published by Furne &
Fournier in 1838, will the well-known engravings by Grandville.
By comparing the translation and/or rewriting of passages
describing bodily functions, as well as by comparing the
deletions and additions of Desfontaines to that of his later
anonymous adaptation (especially that of satirical passages
mocking the emperor of Lilliput), as well as by analyzing the
voluminous paratext of 1838, we attempt to show what are the
translation criteria for the editors of the 1830s and what the
readership expects of a translation.
Mots-clé: Desfontaines, Voyages de Gulliver,
retraduction; paratexte
Keywords: Desfontaines; Gulliver ’s Travels;
retranslation; paratext.
Introduction
soixantaine de fois, entre 1813 et 1897, qu’il s’agisse de
simples rééditions sans commentaires, d’éditions
introduites par un avertissement, ou de versions revues
et corrigées de son texte. Ces rééditions annoncent, par
exemple, les « Aventures surprenantes de Gulliver, ou,
Les voyages de Gulliver réduits aux traits les plus
intéressants » (1823).
Parallèlement, on compte une demi-douzaine de
nouvelles versions qui prennent plus ou moins leurs
distances de celle de Desfontaines. On trouve ainsi des
traductions par divers littérateurs ; l’un d’eux, un certain
Rémond dont on ne sait en fait à peu près rien, publie sa
version du texte en 1857; il s’agit en fait d’une révision
de la traduction de Desfontaines. Des Tilleuls, auteur de
livres pour enfants, publie la sienne en 1876. Un
Au début de 1727 paraissent les deux premières
traductions françaises de Gulliver’s Travels, soit celle
d’un traducteur anonyme à La Haye, en janvier2, et celle
de l’abbé Pierre-François Guyot Desfontaines, en avril,
à Paris.3 Même si elle n’est pas la toute première, c’est
la traduction de Desfontaines qui connaîtra la circulation
la plus importante. Elle fera l’objet d’une importante
réception critique au XVIIIe siècle et sera rééditée, avec
ou sans révisions, jusqu’au début du XXe siècle, même
si des retraductions commencent à paraître à partir du
début du XIXe siècle.
La traduction de Desfontaines est ainsi reprise sous
diverses formes, avec ou sans mention de son nom, une
26
traducteur d’Alice au pays des merveilles et de Don
Quichotte, Bernard-Henri Gausseron, publie quant à lui
sa traduction en 1884, tandis qu’une autre, due à Alfred
Hannedouche, paraît en 1894. Ce dernier, « Inspecteur
de l’Enseignement primaire », est l’auteur d’un nombre
impressionnant d’ouvrages à caractère pédagogique et
de livres pour la jeunesse. Il publie également la même
année une traduction des Voyages du baron de
Munchausen.
Ces réviseurs, correcteurs et retraducteurs sont
tous confrontés à l’humour grinçant de ce « Rabelais
d’Angleterre » qu’est Swift, selon l’expression consacrée
de Voltaire. Qu’il s’agisse d’une version intégrale ou
« réduite aux traits les plus intéressants », qu’ils
s’adressent aux adultes ou aux enfants, tous ces
retraducteurs doivent prendre position face au contenu
philosophique, satirique, sexuel ou simplement
scatologique de Gulliver’s Travels. La plupart d’entre
eux tiennent compte d’une manière ou d’une autre des
traductions antérieures, et surtout de celle de
Desfontaines pour en souligner, qui le bon goût, qui
l’infidélité.
Sous la monarchie de Juillet, soit entre 1830 et
1848, au moins 14 des 18 éditions de Gulliver reprennent
le texte de Desfontaines, sous une forme ou une autre.
Mais elles sont concurrencées par une édition prestigieuse
publiée par Furne en 1838. Selon la page de titre, il s’agit
des Voyages de Gulliver dans des contrées lointaines
par Swift, « Édition illustrée par Grandville, Traduction
nouvelle. » À cause de ses gravures et parce qu’elle a
circulé jusqu’à nos jours, il s’agit sans doute de l’édition
la plus connue.
Antoine Berman l’a souligné, la retraduction est
une forme de la critique des traductions antérieures ; elle
ne sert pas uniquement à « attester que ces traductions
étaient soit déficientes, soit caduques », elle « révèle »,
au sens photographique du terme, leur nature profonde
en rapport avec l’époque, l’état de la littérature, de la
langue et de la culture dont elles sont le produit4.
Lorsqu’un texte aussi satirique et aussi sombre que
Gulliver’s Travels est retraduit au XIXe siècle après
avoir été encensé par Voltaire et les autres philosophes
des Lumières, on peut alors se demander comment une
époque si différente recevra ce texte. Et aussi selon quels
critères il sera retraduit. Cet article a ainsi pour but de
confronter la poétique traductionnelle de Desfontaines
dans sa traduction de 1727 avec celle de la
« retraduction » publiée par Furne et Fournier en 1838.
On se demandera donc comment le texte de
Desfontaines, conçu comme un texte de départ au même
titre que celui de Swift, est revu et corrigé par les éditeurs
de 1838 afin de produire une version acceptable, pour
ensuite tenter d’expliquer le rôle joué par ces
modifications du texte et de mieux comprendre de quelle
manière le travail d’un traducteur du siècle précédent est
perçu et, enfin, quelle est la conception de la tâche du
traducteur qui s’impose au XIXe siècle en France.
Nous avons retenu ici le cas du deuxième chapitre
du premier voyage de Gulliver chez les Lilliputiens. Ce
chapitre constitue un exemple idéal des problèmes de
traduction puisqu’il comporte bon nombre de zones
problématiques pour tout (re)traducteur, dont la
description ironique d’un monarque ridicule ou les
précisions sur la manière dont le narrateur s’alimente puis
se soulage. Ces passages sont bien sûr modifiés par
Desfontaines dès 1727, puis revus de différentes
manières au XIXe siècle. Avant d’analyser la traduction
du chapitre deux par Desfontaines et la manière dont
Furne reverra cette version, il convient d’évoquer
brièvement le contenu de ce chapitre.
Le texte de Swift
Lemuel Gulliver nous raconte dans le chapitre II
ses premières impressions de la capitale de Lilliput de
même que les mesures prises par les habitants de l’île
pour s’assurer qu’il ne représente pas une menace, ainsi
que l’annoncent les intertitres:
The Emperor of Lilliput, attended by several of
the Nobility, comes to see the Author in his
Confinement. The Emperor’s Person and Habit
describ’d. Learned Men appointed to teach the
Author their Language. He gains Favour by his
mild Disposition. His Pockets Are searched, and
his Sword and Pistols taken from him 5
(1726, 25).
Dès son arrivée, le voyageur reçoit la visite de
l’empereur et des membres de sa cour, ce qui lui permet
de nous donner des détails pittoresques sur le costume
des Lilliputiens. L’empereur ordonne à des savants de
lui enseigner la langue du pays, et les efforts ainsi que la
courtoisie de Lemuel lui valent bientôt (et provisoirement)
la faveur des Lilliputiens. Sur les ordres de l’empereur,
des « commissaires » dressent ensuite l’inventaire de ses
poches afin de s’assurer qu’elles ne cachent aucune arme
dangereuse pour la sécurité nationale, ce qui donne lieu
à la description comique de divers objets appartenant à
Gulliver et que les fonctionnaires ne connaissent ou ne
reconnaissent pas, tel qu’une montre, un rasoir ou un
briquet.
27
Ce que les intertitres ne disent pas
Il manque cependant au résumé fourni par les
intertitres un certain nombre d’éléments satiriques
contenus dans le chapitre. D’abord la manière dont sont
satisfaits certains besoins primaires de Lemuel. Les
intertitres ne préparent pas les lecteurs au deuxième
paragraphe du chapitre où, après une description
pastorale des environs de Mildendo qu’il contemple de
sa hauteur et tout juste avant de nous décrire l’empereur,
Lemuel passe directement à un problème physiologique
récurrent chez lui. Il explique ainsi que, depuis des heures,
il était pressé par un besoin naturel urgent et qu’il s’est
débarrassé de son fardeau à l’intérieur du temple où les
Lilliputiens l’ont logé. Afin de rassurer les lecteurs sur sa
propreté, il précise tout de même qu’il a ensuite pris
l’habitude de se soulager en plein air tous les matins devant
le temple et que deux domestiques, à l’aide de brouettes,
venaient enlever les choses qui auraient pu blesser la vue
et l’odorat des personnes qui venaient lui rendre visite.
Cette précision est suivie de sa propre explication : s’il
insiste sur un tel sujet, c’est pour se justifier aux yeux de
ceux qui l’ont accusé de manquer de propreté.
Les intertitres omettent également un détail de la
vie quotidienne après tout lié à ce qui précède, soit les
mesures prises par l’empereur pour nourrir ce géant
étranger:
He ordered his Cooks and Butlers, who were
already prepared, to give me Victuals and Drink,
which they pushed forward in a sort of Vehicle
upon Wheels till I could reach them. I took those
Vehicles, and soon emptied them all; twenty of
them were filled with Meat, and ten with Liquor;
each of the former afforded me two or three
good Mouthfuls, and I emptied the Liquor of ten
Vessels, which was contained in earthen Vials,
into one Vehicle, drinking it off at a Draught;
and so I did with the rest (1726, 28).
La description annoncée par les intertitres ne nous
prépare pas non plus à la charge satirique contenue dans
la présentation du monarque. Tout est fait ici pour insister
sur sa petitesse ridicule: il est le plus grand de la cour
puisqu’il dépasse tous les autres de la hauteur d’un ongle
de Gulliver, et il n’a pour trait de noblesse qu’un nez
busqué ainsi que la fameuse lèvre autrichienne des
Habsbourg. Mais ses traits sont néanmoins « strong and
masculine ». Avec beaucoup de courage, il garde à la
main son épée longue de trois pouces au cas où Gulliver
romprait ses chaînes.…6 Sa voix est si aiguë (« shrill »)
que celui-ci peut l’entendre même lorsqu’il est debout.7
Cette description de l’empereur de Lilliput est reconnue
par les critiques de Swift comme un portrait satirique du
28
roi George Ier, le plutôt disgracieux prince de Hanovre
régnant sur le Royaume-Uni au moment de la rédaction
de Gulliver’s Travels.8
Le chapitre deux comporte également des
passages qui remettent en question la douceur de
caractère de Lemuel (« mild Disposition ») et la bonté
des Lilliputiens. Lorsque la foule des curieux s’approche
un peu trop de lui, malgré la garde censée le protéger,
Lemuel s’empare de six Lilliputiens, en met cinq dans sa
poche et, tel le Cyclope, feint d’en dévorer un. Le peuple
est cependant touché de sa clémence lorsqu’il repose à
terre les six infortunés. Tandis que Lemuel s’amuse ainsi,
l’empereur et sa cour se demandent si le pays a les
ressources nécessaires pour nourrir un tel monstre ou
pour le maîtriser s’il décide un jour de s’enfuir ; on songe
donc à le faire mourir de faim ou à le cribler de flèches
empoisonnées. La crainte de provoquer des épidémies
par la puanteur d’un tel cadavre arrête toutefois les
ministres de l’empereur.
Ce chapitre fait donc appel à la scatologie et à la
satire des personnages en place, en détruisant la
description pittoresque de la capitale par l’insistance sur
les fonctions naturelles et en rappelant continuellement
que l’empereur, malgré ses attributs majestueux, est
minuscule et parle d’une voix criarde. Les allusions
politiques ne se limitent cependant pas à la satire des
grands personnages dans Gulliver, Lemuel vantant sans
cesse, dans les contrées qu’il visite, les usages plus sages
que ceux de l’Angleterre. Ici il précise que le budget
alloué à ses dépenses de bouche est tiré des ressources
mêmes de l’empereur puisque celui-ci ne prélève pas
d’impôts, sinon en temps de guerre.9
La traduction du chapitre II par Desfontaines :
rationalisation, ennoblissement, appauvrissement
quantitatif10
Présentation
Lorsque Desfontaines publie sa traduction des
Voyages de Gulliver en 1727, il annonce dans sa préface
avoir modifié les passages de mauvais goût ainsi que les
« endroits foibles & même très-mauvais » : il s’agit selon
lui « des allegories impénétrables […], des détails puerils,
des réfléxions triviales, des pensées basses, des rédites
ennuïeuses, des polliçonneries grossieres [ou] des
plaisanteries fades » qui auraient pu le rendre ridicule et
nuire à son auteur. Ce sont ainsi « des choses qui, renduës
litteralement en François, auroient paru indécentes,
pitoïables, impertinentes, auroient révolté le bon goût qui
régne en France, [l’]auroient même couvert de confusion,
& [lui] auroient infailliblement attiré de justes reproches »
(1727, xv-xvi). 11
Les intertitres de la traduction française suivent de
près ceux du texte anglais, en omettant cependant de
mentionner que Lemuel se verra retirer ses armes:
L’Empereur de Lilliput, accompagné de
plusieurs de ses Courtisans, vient pour voir
l’Auteur dans sa prison. Description de la
personne et de l’habit de Sa M. Gens sçavans
nommez pour apprendre la langue à l’auteur.
Il obtient des grâces par sa douceur: ses
poches sont visitées (1727, 21).
Mais, alors que chez Swift ils ne mentionnent pas
tout le contenu du texte, les intertitres constituent ici un
résumé fidèle puisque Desfontaines omet les passages
les plus satiriques et modifie de manière importante le
texte. Certaines expressions sont atténuées, des membres
de phrase disparaissent et, surtout, des paragraphes
entiers sont supprimés. Le chapitre qui comptait quelque
3650 mots en anglais perd ainsi 13% de son volume et
n’en compte plus que 3200 en français.
Desfontaines lui-même prévient le lecteur de ces
omissions en précisant que, lorsque les passages lui
semblent inacceptables, il a « crû devoir prendre le parti
de les supprimer entièrement » (1727, xvii). Les simples
omissions concernent ce qu’il appelle les « détails
puérils » (1727, xvi), soit ceux qui lui semblent peu
importants, mais il peut également s’agir de fautes
d’inattention de sa part, compte tenu de la vitesse à
laquelle la traduction a été produite.
Rationalisation
Les « rédites ennuïeuses » semblent désigner les
redondances en désaccord avec le goût français qui
n’exprime pas ce qui est évident ou implicite. C’est ainsi
que Desfontaines ne traduit pas littéralement le
comportement de l’empereur lorsque son cheval se cabre
puisque la phrase suivante indique que le monarque a
effectivement mis pied à terre: « … mais ce Prince, qui
est un Cavalier excellent se tint ferme sur ses étriers,
jusqu’à ce que sa suite accourut & prît la bride [while
his Majesty had time to dismount]. Sa Majesté, après
avoir mis pied à terre… » (1727, 21).
Nous nous attarderons cependant un peu plus,
d’abord, aux « réfléxions triviales », aux « polliçonneries
grossieres » et, ensuite, aux « allegories impénétrables »
qui, selon l’expression du traducteur, mènent aux
« interpretations les plus odieuses & les plus forcées »
(1727, xxxv) et que Furne fera traduire un siècle plus
tard.
Premières omissions
Le chapitre II, du début jusqu’aux tentatives de
Gulliver pour communiquer avec les Lilliputiens, comporte
ici trois omissions importantes ainsi que certaines
modifications du portrait de l’empereur. La première et
la plus évidente des omissions est bien sûr celle du
deuxième paragraphe, soit celui où Lemuel nous explique
dans le détail comment il s’est débarrassé de son
« uneasy load », de son fardeau. Dans l’ensemble,
Desfontaines tolère l’urine mais pas les matières fécales ;
la lecture de sa traduction montre qu’il a conservé environ
la moitié des allusions scatologiques du texte anglais12,
dont le célèbre passage où Lemuel explique comment il
a éteint l’incendie du palais de Mildendo, qui sera
d’ailleurs le plus souvent conservé, même dans les éditions
destinées à la jeunesse, et souvent illustré.13 Les
justifications de Lemuel, qui s’explique chaque fois qu’il
ressent le besoin de se soulager, sont également omises
par Desfontaines, ce qui est logique, mais leur absence
enlève à la fois de la crédibilité au personnage et du
mordant à la satire des récits de voyage et de l’humanité
en général.14
Si on comprend pourquoi Desfontaines a choisi
d’omettre la réflexion scatologique de Lemuel, la
disparition de la scène où Lemuel se nourrit laisse plus
songeur. Ce passage rabelaisien ne comporte pas de
difficulté de traduction et ne semble contenir aucune des
allusions satiriques qui inquiètent le traducteur. Nous
avons sans doute affaire ici à un passage que Desfontaines
rejette parce que cette explication incongrue se situe entre
l’arrivée de l’empereur et la description de sa cour.
D’autre part, il s’agit également d’une des « rédites
ennuïeuses » mentionnées dans la préface puisque nous
avions déjà assisté à un repas de Gulliver au premier
chapitre, alors qu’il était encore sur plage (1727, 13 14).
La dernière omission de taille dans le chapitre deux
est celle du paragraphe où Swift montre l’impossibilité
de la communication entre Lemuel et les dignitaires
lilliputiens:
There were several of his Priests and Lawyers
present (as I conjectured by their Habits) who
were commanded to address themselves to me,
and I spoke to them in as many Languages as I
had the least smattering of, which were High
and Low Dutch, Latin, French, Spanish, Italian,
and Lingua Franca; but all to no purpose
(1726, 30).
Encore une fois, cette omission est malaisée à
justifier, sinon par la mention des prêtres et des avocats
qui semble peut-être à Desfontaines inadaptée au texte.
En éliminant ce passage, il enlève cependant de l’ironie
au texte puisque Swift montre ici la naïveté et la
29
présomption des voyageurs qui croient deviner la fonction
des indigènes par leur simple costume et qui s’imaginent
pouvoir communiquer grâce aux langues occidentales.
Passages obscurs et « allégories impénétrables »: le
portrait de l’empereur
Le portrait que Lemuel nous donne de l’empereur
appartient aux « endroits qui […] ont du Sel » et que
Desfontaines tente d’adoucir pour éviter de choquer les
autorités, ainsi qu’il le fera tout au long de sa traduction.
Nous verrons en étudiant la traduction du même passage
dans l’édition Furne comment le premier traducteur avait
modifié le texte pour tempérer la satire.
La retraduction de 1838
Avant de publier la Comédie humaine à partir de
1841, Furne et son imprimeur Fournier se font connaître
en faisant paraître bon nombre de traductions, en
particulier celles des œuvres complètes du « plus éminent
des romanciers » (1838, I, ii) de l’époque, Walter Scott,
ainsi que celles de Fenimore Cooper, dans les deux cas
traduites par Defauconpret (1834). En dehors de ces
succès de librairie, Furne publie également le Tom Jones
de Fielding (1835, également traduit par Defauconpret)15
et les Œuvres de Byron (1836). Il publie aussi, dans les
œuvres complètes de Chateaubriand (1837), sa
traduction du Paradis perdu et ses « Remarques » sur
la traduction de Milton.
Importance du paratexte
Cette édition de Gulliver encadre le texte d’un
volumineux appareil paratextuel : avant même d’en arriver
à Lilliput, les lecteurs parcourent ainsi dans le premier
volume, une « Note des éditeurs » (1838, I, ii), une
« Notice sur Jonathan Swift » par Walter Scott (v xlv),
une autre « Note des éditeurs » (xlv-xlvi), l’avertissement
de Richard Sympson « L’éditeur au lecteur », (lix-lxi) et,
enfin, la « Lettre du capitaine Gulliver à son cousin Richard
Sympson » (lxiii-lxix). Ces deux derniers textes liminaires,
que nous devons à Swift, sont traduits pour la première
fois en français.
Dans leur première notice, les éditeurs justifient
cette « nouvelle traduction » grâce aux commentaires de
Walter Scott qui analyse longuement Gulliver et porte
un jugement somme toute assez tolérant sur la traduction
de Desfontaines, dont le portrait, gravé par Schmidt, est
même reproduit par Grandville (1838, I, xxxv).16 Dans
cette longue préface critique tirée des Mémoires
politiques et littéraires sur la vie et les ouvrages de
Jonathan Swift (1826)17, Scott décrit le succès
30
européen de Gulliver et commente la traduction de
Desfontaines dont la « curieuse » préface montre bien,
selon lui, « l’esprit et [les] opinions d’un homme de lettres
de cette époque en France » qui essaie d’adapter un
texte étranger:
Ce traducteur convient qu’il sent qu’il blesse
toutes les règles; et tout en demandant grâce
pour les fictions extravagantes qu’il a essayé
d’habiller à la française, il avoue qu’à certains
passages la plume lui tombait des mains d’horreur
et d’étonnement, en voyant toutes les
bienséances aussi audacieusement violées par
le satirique anglais (1838, I, xxxv).
Selon Scott, Desfontaines « tremble » que la cour
ne se sente visée par la satire swiftienne, ce qui explique
les modifications apportées au texte (omissions ou
adaptation des détails trop satiriques, trop techniques
ou trop crus); l’« affectation de goût et de délicatesse »
chez Desfontaines n’empêche cependant pas, selon le
critique, sa traduction d’être « passable » (1838, I, xxxvi;
« very tolerable »18 [Scott, 1824, 304]).
Les éditeurs de cette nouvelle traduction, quant à
eux, trouvent même de l’intérêt dans les modifications
que l’abbé avait apportées au texte. Bien sûr, ils insistent
sur le « devoir » de publier une traduction « nouvelle »
et « complète » d’un texte jusque-là « si étrangement
défiguré » ainsi que sur sa « fidélité scrupuleuse », mais
le travail de Desfontaines est encore une fois excusé par
la censure de l’Ancien Régime qui, effrayée des
« hardiesses philosophiques » de Swift, aurait exigé de
nombreuses suppressions de la part de Desfontaines et
même de Voltaire.
Pour les éditeurs, ces suppressions peuvent se
justifier, mais que Desfontaines, considéré comme un
« homme de savoir et de goût, et malgré les préjugés
dont il s’était fait le champion, digne d’apprécier et de
reproduire Gulliver », se soit permis d’« interpoler tantôt
des phrases, tantôt des pages entières, qui dénaturent
l’esprit et le ton de l’ouvrage », voilà qui leur semble
inacceptable (1838, I, 124). Certains de ces ajouts
présentent pourtant un intérêt tel qu’ils joignent au voyage
à Lilliput le plus important d’entre eux, soit le passage du
chapitre VI où Desfontaines décrit la pédagogie des
Lilliputiens (1838, I, 127-135), et justifient ce choix par
la capacité de Desfontaines à s’inspirer du texte de Swift:
Toutefois nous devons reconnaître que, dans ses
écarts, Desfontaines n’a pas toujours été
malheureux au même degré; et, pour nous
montrer justes envers lui, nous nous plaisons à
rapporter, sous la forme d’appendice et en ayant
soin de l’isoler du texte, un passage dans lequel
il nous paraît avoir assez habilement développé
et complété le chapitre VI, relatif aux mœurs
des habitants de Lilliput (1838, I, 124-125).
Les éditeurs n’attirent pas outre mesure l’attention
sur ce long passage de la fin du chapitre VI, complètement
omis par Desfontaines — à partir de « When the Girls
are twelve Years old » — qu’ils ont cependant traduit
entièrement, et qui comporte quatre parties distinctes:
Gulliver explique d’abord que les jeunes filles quittent le
pensionnat à l’âge de douze ans et comment les enfants
des paysans sont élevés (1726, 105-107); il revient
ensuite sur des détails concrets de son séjour à Lilliput:
manière dont il s’est fabriqué un mobilier, dont il s’est
vêtu (ce qui donne lieu à de longs calculs de la part des
couturières) et, encore une fois, comment on le nourrissait
(1726, 107-110); ce qui l’amène à raconter comment
l’empereur a un jour dîné en sa compagnie et que le
ministre Flimnap en a profité pour lui nuire (ce qui
entraînera le départ de Lemuel); le chapitre prend fin par
une autre justification de Lemuel qui réfute les accusations
portées contre lui par ses ennemis qui l’ont accusé
d’entretenir une liaison avec la femme de ce ministre
(1726, 110-114). Notons enfin que l’édition de 1838
reproduit au début de ce chapitre les intertitres de
Desfontaines, même si les omissions ont été corrigées
(« Les mœurs des Habitans de Lilliput; leur Litterature,
leurs Loix, leurs Coûtumes & leur maniere d’élever
les Enfans » [1727, 74]) et non ceux de Swift annonçant
le contenu du chapitre de manière explicite: « Of the
Inhabitants of Lilliput; their Learning, Laws, and
Customs, the Manner of educating their Children.
The Author’s Way of living in that Country. His
Vindication of a great Lady » (1726, 92).
Comme le montrent les exemples précédents, le
commentaire traductionnel des éditeurs porte beaucoup
plus sur la traduction de Desfontaines que sur celle qu’ils
proposent. L’abbé, grâce aux mentions et aux
commentaires dans les notes des éditeurs et dans la
critique de Scott, occupe en fait une place de choix dans
ce qui se veut pourtant une retraduction justifiée par les
omissions et les ajouts qui avaient « défiguré » le texte.
Ces diverses notes des éditeurs répondent d’abord à
une préoccupation commerciale: elles donnent des gages
de qualité en insistant sur l’intérêt de Gulliver, sur la
fidélité de la traduction et sur la critique de Scott. Leur
emplacement vient cependant réduire de beaucoup la
portée de ces commentaires: à l’exception de la première
qui apparaît avant la préface de Scott, les autres notes
sont insérées discrètement dans le texte, après un chapitre
ou une section.
La renommée de Walter Scott n’est pas le seul
facteur responsable du succès de cette édition de
Gulliver: la beauté et la richesse des centaines de
gravures de Grandville yont certainement contribué. Alors
que la traduction de Desfontaines ne comportait que
quatre gravures en 1727 (en plus des cartes et dessins
du texte original), presque chaque page comporte ici une
gravure, une vignette ou au moins une lettrine ou un cul
de lampe, y compris les pages des instances liminaires
ou des annexes. Au total, plus de 200 gravures ornent
cette édition, qui seront reprises jusqu’au XXe siècle.
Le travail de Grandville est mis en valeur, non seulement
en page de titre où il est nommé, mais également dans la
notice qui suit la description de l’invention de l’architecte
de l’Académie de Lagado « qui avait trouvé une nouvelle
manière de bâtir les maisons en commençant par le faîte
et en finissant par les fondations. » Le commentaire nous
explique que, cette fois, l’illustrateur a dû faire preuve
d’imagination:
Gulliver s’étant borné à indiquer, sans le décrire,
ce moyen très-ingénieux en effet, nous ne
pouvions en donner la représentation fidèle,
comme nous l’avons fait pour les autres travaux
de l’illustre académie. Force nous est donc de
recourir, pour la découverte de ce procédé, aux
hypothèses les plus vraisemblables, et de
supposer que les ballons étaient en usage dans
l’empire de Balnibarbi (1838, II, 141-142).
Le chapitre II revu et corrigé
Comme l’annoncent les commentaires de l’éditeur,
cette traduction offre aux lecteurs un texte français
effectivement complet: le nouveau « traducteur » corrige
la plupart des omissions et des ajouts de Desfontaines et
traduit les passages scatologiques absents jusque-là des
éditions françaises.
« Un cavalier excellent »
La description de l’empereur telle qu’elle se
présente en 1838 traduit une bonne part des hyperboles
destinées à opposer la grandeur de Lemuel à la petitesse
ridicule du monarque, comme le montre la première
réaction du cheval (nous soulignons):
L’Empereur à cheval s’avança un jour vers moi,
ce qui pensa lui coûter cher. À ma vûë, son
cheval étonné se cabra; mais ce Prince, qui
est un Cavalier excellent, se tint ferme sur ses
étriers, jusqu’à ce que sa suite accourut & prît
la bride (1727, 21).
… je vis venir à moi l’empereur suivi de toute sa
cour. Sa Majesté était à cheval ce qui pensa lui
coûter cher: car sa monture quoique
parfaitement dressée se cabra à cet aspect
nouveau pour elle, croyant voir une
montagne qui se mouvait devant ses yeux; mais
ce prince, qui est un cavalier excellent, se tint
31
ferme sur ses étriers jusqu’à ce que sa suite
accourût et prît la bride (1838, I, 25).19
La révision du portrait par le traducteur de Furne
n’est cependant pas toujours exhaustive: certaines
corrections de Desfontaines destinées à éliminer les
« redites ennuyeuses » sont ainsi respectées, telles que
« while his Majesty had time to dismount » qui suivait
« prît la bride ».
Le portrait de l’empereur est également revu pour
tenir compte de certaines expressions satiriques du texte
anglais et ainsi atténuer l’ennoblissement proposé par
Desfontaines:
Il est plus grand d’environ la hauteur de mon
ongle qu’aucun de sa cour, ce qui lui donne un
aspect imposant (Desfontaines: « le fait
redouter par ceux qui le regardent »); les traits
de son visage sont grands et mâles; il a la lèvre
autrichienne, le nez aquilin, le teint olivâtre, le
port majestueux, les membres bien proportionnés,
de la grâce et de la dignité dans tous ses
mouvements. Il avait alors passé la fleur de la
jeunesse, étant âgé d’environ vingt-huit ans et
trois quarts; il en avait régné environ sept […].
Son habit était uni et simple, et taillé moitié à
l’asiatique et moitié à l’européenne; mais il avait
sur la tête un léger casque d’or, orné de pierreries
et surmonté d’un plumet (Desfontaines:
« plumet magnifique »). Il avait son épée nue
à la main, pour se défendre en cas que j’eusse
brisé mes chaînes: cette épée avait près de trois
pouces de long; la poignée et le fourreau étaient
en or et enrichis de diamants. Sa voix était aiguë
(Desfontaines: « aigre »), mais claire et
distincte, et je pouvais l’entendre aisément même
quand je me tenais debout (1838, I, 26-27).
Alors que chez Desfontaines l’empereur était
simplement plus grand que ses courtisans, ce qui le fait
redouter « par ceux qui le regardent », il les dépasse
maintenant de la hauteur d’un ongle, qui lui donne un
« aspect imposant » et un « port majestueux ». Son
couvre-chef, le plumet, n’est plus « magnifique », et sa
voix est aiguë et non plus simplement « aigre ».
« Ses poches sont visitées »
La longue liste des objets trouvés dans les poches
de Gulliver comportait une omission partielle chez
Desfontaines, celle du rasoir et du couteau, pourtant
aisément reconnaissable dans le texte et qu’il avait plutôt
reformulé sous la forme d’une paraphrase abrégée.20 Ce
passage qui pouvait sans difficulté être traduit est
carrément omis dans l’édition de Furne qui n’effectue
que des modifications d’ordre esthétique au texte de
1727 et élimine la traduction partielle de Desfontaines
(nous soulignons):
32
Dans la plus petite poche du côté droit, il y avoit
plusieurs pieces rondes & plattes, de métail rouge
& blanc, & d’une grosseur differente: quelquesunes des pieces blanches, qui nous ont parû être
d’argent, étoient si larges & si pesantes, que
mon Confrere & moi avons eu de la peine à les
lever. Item, deux sabres de poche dont la lame
s’emboitoit dans une renure du manche, &
qui avoient le fil fort trenchant: ils étoient
placez dans une grande boëte ou étuit. Il
restoit deux poches à visiter; celles-ci, il les
appelloit goussets. C’étoit deux ouvertures
coupées dans le haut de son couvre-milieu, mais
fort serrées par son ventre qui les pressoit (1727,
31-32).
Dans la plus petite poche du côté droit, il y avait
plusieurs pièces rondes et plates de métal rouge
et blanc, et de différents volumes; quelques-unes
des pièces blanches, qui nous ont paru être
d’argent, étaient si grosses et si pesantes, que
mon compagnon et moi nous avons eu de la peine
à les soulever. Il restait deux poches à visiter:
celles-ci il les appelait goussets. C’étaient deux
ouvertures coupées dans le haut de son couvremilieu, mais fort serrées par son ventre qui les
pressait (1838, I, 35).
Un « acte de malpropreté »
La révision des passages scatologiques ou à
caractère sexuel omis par Desfontaines refuse quant à
elle la crudité du texte de Swift. La défécation du début
du chapitre est bien sûr traduite en 1838, mais de manière
à rendre l’explication moins directe (nous soulignons):
The best Expedient I could think of, was to creep
into my House, which I accordingly did; and
shutting the Gate after me I went as far as the
length of my Chain would suffer, and discharged
my Body of that uneasy Load. But this was
the only time I was ever guilty of so uncleanly
an Action ; for which I cannot but hope the candid
Reader will give some Allowance, after he hath
maturely and impartially considered my Case,
and the Distress I was in. […] I would not have
dwelt so long upon a Circumstance, that perhaps
at first sight may appear not very momentous, if
I had not thought it necessary to justify my
Character in point of Cleanliness to the World;
which I am told some of my Maligners have been
pleased, upon this and other Occasions, to call in
question (1726, 26-27).
Le meilleur expédient que je pus trouver fut de
me glisser dans ma maison, de fermer la porte
après moi, et, m’avançant autant que la longueur
de ma chaîne le permettait vers le fond de la
pièce, je me résignai à commettre un acte de
malpropreté, auquel je ne fus obligé très-
heureusement que cette seule fois. J’espère que
le lecteur sera assez juste pour m’excuser, vu la
détresse dans laquelle j’étais, et l’impossibilité
d’en sortir par des moyens plus convenables.
[…] Je ne me serais pas arrêté sur un tel sujet,
qui peut paraître à la première vue très-peu
important, si je n’avais pas eu l’intention de me
justifier sous le rapport de la délicatesse; car il
m’est revenu que les médisants m’ont accusé
d’en manquer, et en cette occasion et en plusieurs
autres (1838, I, 24-25).
La version de Furne évite encore une fois les
redondances (« which I accordingly did ») et insiste sur
les circonstances atténuantes (« l’état de captivité dans
lequel j’étais resté »). La mention directe du corps
(« body ») est éliminée et les périphrases et euphémismes
(« délicatesse », « commettre un acte de malpropreté »)
réduisent la crudité de la description du geste auquel le
narrateur doit se « résigner », alors que le texte anglais,
sans périphrase aucune et sans concession, énonce ce
que Lemuel a fait, malgré sa propreté (« cleanliness »):
« I went as far as the length of my chain would suffer,
and discharged my body of that uneasy load. »21
Un texte revu et corrigé
Dans d’autres passages, le retraducteur a conservé
des ajouts de Desfontaines. Par exemple au chapitre IV,
lorsque Desfontaines ajoute un commentaire sur
l’absence de bons spectacles: « Il y avoit autrefois bon
Opera et bonne Comedie; mais faute d’Auteurs excités
par les liberalités du Prince, il n’y a plus rien qui vaille »
(1727, 52-53). Cet ajout est conservé intégralement par
le retraducteur de 1838.22 Plus loin, une citation en
lilliputien donnée dans cette langue dans le texte anglais
et omise par Desfontaines est par contre également
ignorée par l’édition de 1838 (1726, 36).23
Lorsque le sens de certaines expressions a changé,
elles sont remplacées par des termes plus modernes,
comme le montre ce passage (nous soulignons):
… une Commission Imperiale fût aussi-tôt
expediée, pour obliger tous les Villages, à quatre
cens cinquante toises aux environs de la Ville,
de livrer tous les matins six bœufs, quarante
moutons, & d’autres vivres pour ma nourriture,
avec une quantité proportionnée de pain & de
vin, & d’autres boissons. Pour le païement de
ces vivres, Sa Majesté donna des assignations
sur son trésor (1727, 26-27).
… une commission impériale fut aussitôt
expédiée pour obliger tous les villages, à quatre
cent cinquante toises de la capitale, de livrer
tous les matins six bœufs, quarante moutons, et
d’autres vivres pour ma nourriture, avec une
quantité proportionnée de pain et de vin, et
d’autres boissons. Pour le paiement de ces
subsistances, Sa Majesté donna des mandats
sur son trésor… (1838, I, 30)24
Le terme d’« assignation »25 ayant changé de sens,
le texte de 1838 le remplace par « mandats », mais
conserve la phrase de Desfontaines. On note dans ce
même passage la correction d’une redondance, le
contexte indiquant clairement que les « quatre cent
cinquante toises » désignent la périphérie de la ville. Pour
éviter la répétition de « vivres », le terme de
« subsistances » le remplace. De même, par souci
d’euphonie (répétition du v de « ville » et de « village »),
le texte de 1838 traduit « city » par « capitale ». Notons
enfin que la modification d’« assignations » en
« mandats » peut être également motivée par le souci
d’hypercorrection qui mène traducteurs et réviseurs à
choisir systématiquement une tournure éloignée de la
forme de l’expression dans le texte de départ.
Conclusion
Le texte de Swift était paru à Londres le 28 octobre
1726 et la traduction paraît en avril de l’année suivante,
soit quelque cinq mois plus tard ; on doit donc garder à
l’esprit la rapidité à laquelle Desfontaines avait traduit le
Gulliver. La traduction du chapitre II est cependant
paradigmatique de son travail par l’omission de détails
considérés comme puérils, l’atténuation d’allusions
politiques et l’élimination de répétitions et de
redondances. Qu’il craigne les censeurs de l’Ancien
Régime ou qu’il traduise selon sa conception du bon goût,
Desfontaines produit une version incomplète de
Gulliver’s Travels qu’il n’a pas craint d’amputer de
certains passages problématiques ou d’amplifier à l’aide
de ses propres idées. En éliminant les détails redondants
ou satiriques, le traducteur est fidèle au projet de
traduction26 clairement énoncé dans sa préface, soit
transposer la satire ponctuelle en allégorie universelle.27
La prose lourde du texte est tout ce qui empêche de le
considérer comme une belle infidèle.
En tant qu’édition moderne et assez complète d’un
texte français de l’Ancien Régime, le Gulliver de 1838
offre de plus une orthographe et une syntaxe modernisées.
Le « retraducteur » corrige également des anglicismes,
des contresens ainsi que des tournures qui lui semblent,
à tort ou à raison, trop directement calquées sur l’anglais.
Cette révision modernise enfin la ponctuation et, dans la
plupart des cas, remplace ainsi les points-virgules de
Desfontaines par des deux-points. Le travail du
« traducteur » de Furne et Fournier en est donc
33
essentiellement un de révision bilingue. Il ne s’agit pas de
la « traduction nouvelle » annoncée par les éditeurs mais
bien d’une édition revue et corrigée du texte de
Desfontaines. On retraduit bien sûr le plus souvent en
tenant compte des versions antérieures, comme le
souligne déjà Chateaubriand dans les « Remarques » sur
sa traduction de Milton, où il indique qu’il a « lu toutes
les traductions françaises, italiennes et latines [qu’il a]
pu trouver »28, mais, dans le cas qui nous intéresse, c’est
le texte de Desfontaines qui est complété et simplement
révisé. Les passages volontairement omis par celui-ci sont
traduits mais restent souvent dans les limites du bon goût.
Le projet de cette retraduction qui, critiquant le
travail de Desfontaines, entendait offrir au lectorat français
une première version intégrale du texte de Swift, n’est
pas respecté. En tant que forme de la critique, cette
version semblerait remplir les conditions énoncées par
Berman, mais elle reste à ce niveau la critique d’une
traduction antérieure dont elle n’offre qu’une version
revue et à propos de laquelle on parlerait aujourd’hui
d’édition critique, si les éditeurs avaient fait appel à une
édition fiable. La vérification de passages modifiés dans
le texte anglais de l’édition Faulkner de 1735,
généralement considérée comme la version définitive,
montre en effet que les éditeurs reproduisent souvent le
texte de la première édition (1726), celle qu’a traduite
Desfontaines, et non les tournures et le vocabulaire de
1735. Et ce, même s’ils publient les instances liminaires
absentes de l’édition anglaise de 1726.
L’absence de rigueur traductionnelle chez Furne
et Fournier n’a rien d’exceptionnel, et elle s’inscrit dans
une culture de la secondarité de la traduction et du mépris
de l’Autre dont la première moitié du XIXe siècle n’a
pas le monopole. Le recyclage d’une traduction antérieure
se pratique couramment; la traduction de Desfontaines
est, nous l’avons mentionné, reprise continuellement
jusqu’à la fin du siècle, telle quelle ou en condensé dans
les versions pour les enfants. L’éditeur Hiard, par
exemple, reproduit intégralement la traduction de
Desfontaines en 1832, mais élimine les notes et la préface
du traducteur, tout en les paraphrasant amplement dans
sa « Notice » sur Swift. Dans la continuité d’une
esthétique de la traduction héritée de l’Ancien Régime,
Hiard approuve d’ailleurs la traduction telle que pratiquée
par Desfontaines, soulignant dans une note que celui-ci
a « beaucoup amélioré » le texte de Swift.29
À la même époque, dans une traduction publiée
en 1836, soit deux ans avant la réédition de Gulliver
chez Furne, Chateaubriand tente à la fois de repousser
les limites de la langue française et de produire un calque
que l’on pourrait lire comme une vitre laissant apparaître
34
le texte anglais de Milton : « c’est une traduction littérale
dans toute la force du terme que j’ai entreprise, une
traduction qu’un enfant et un poète pourront suivre sur
le texte, ligne à ligne, mot à mot, comme un dictionnaire
ouvert sous leurs yeux. »30
La poétique traductionnelle de Chateaubriand, en
pleine réaction contre les Belles infidèles et la traduction
de Dupré de Saint-Maur (1729) est celle du Romantisme.
La comparaison de sa traduction avec la réédition publiée
par Furne montre que deux conceptions de la traduction
cohabitent et que, selon le degré de reconnaissance
accordé au texte original et au (re)traducteur, certaines
stratégies seront privilégiées. Gulliver’s Travels et
Paradise Lost ont ainsi connu dans chaque cas une
première traduction introduction puis une série de
retraductions qui les ont consacrés dans la culture
française. Le texte de Swift est par contre, au début du
XIXe siècle, entré dans le domaine de la littérature pour
la jeunesse ; l’édition luxueuse de Furne montre d’ailleurs
ce processus d’infantilisation à l’œuvre puisque tant les
enfants que les adultes seront séduits par sa richesse
iconographique. Le poème épico-religieux de Milton
trouve quant à lui, pour son bonheur, un traducteur
prestigieux en la personne de Chateaubriand, qui peut
se permettre d’avancer des positions novatrices en
matières de traduction, proposant des néologismes, des
archaïsmes, etc. Mais Swift est ce que Milton ne sera
jamais en France : un succès d’édition.
Alors que Furne et Fournier font encore montre
d’indulgence, la critique de la traduction de Desfontaines
se fera plus sévère au cours de la seconde moitié du
siècle. Dans une nouvelle traduction en 1884, Gausseron,
après avoir violemment critiqué la traduction de
Desfontaines au nom de la fidélité, dénoncera ainsi la
supercherie de Furne et Fournier.31 Mais la retraduction,
le Gulliver proposé par Furne et Fournier et lu par des
générations de lecteurs, n’est encore que le texte de
Desfontaines partiellement complété à la lumière du texte
anglais. L’absence de mention explicite du nouveau
traducteur, toujours évoqué indirectement, était dès le
début un indice du type de travail proposé par les éditeurs.
Il serait intéressant que l’un des traducteurs les plus
prolifiques de l’époque, Defauconpret, soit l’auteur de
cette révision du texte. En 1835, il avait en effet publié,
chez Furne, une « traduction nouvelle » d’un roman déjà
traduit par La Place au XVIIIe siècle : le Tom Jones de
Henry Fielding, elle aussi « précédée d’une notice
biographique et littéraire sur Fielding, par Walter
Scott ».32 Mais, pour l’instant, le seul traducteur vraiment
présent dans le Gulliver de 1838 est l’abbé, non
seulement parce que c’est sa version du texte qui est
revue, mais aussi parce que le paratexte le mentionne
continuellement : Walter Scott trouve « curieux » le travail
de Desfontaines ; les éditeurs excusent quant à eux les
omissions mais trouvent inacceptables les ajouts, en
conservent certains et mettent même en valeur le traité
sur la pédagogie écrit par Desfontaines en le publiant
sous forme d’appendice (1838, I, 127-135). Grandville
lui-même reproduit, dans la préface de Scott, le portrait
de Desfontaines. L’expression utilisée par les éditeurs
lorsqu’il s’agit de publier le traité sur la pédagogie,
en « ayant soin de l’isoler du texte » (1838, I, 125),
montre bien que Desfontaines parasite encore cette
retraduction.
Références
Chateaubriand, François René de (1836): « Remarques
», Le paradis perdu de Milton [Document électronique],
Œuvres complètes de Chateaubriand, 11 (Acamédia, 1997,
reprod. de l’éd. de Paris, 1861).
Genette, Gérard, Seuils, Paris: Seuil, 1987.
Swift, Jonathan. Voyages de Gulliver, Paris: Jacques
Guérin, traduction de Pierre-François Guyot Desfontaines,
1727.
Swift, Jonathan. Aventures surprenantes de Gulliver,
ou, Les voyages de Gulliver réduits aux traits les plus
intéressans. Paris: A. J. Sanson, 1823.
Swift, Jonathan. Voyages de Gulliver, par Swift,
traduction de l’abbé Desfontaines revue par Rémond,
Paris: Delarue, 1857.
Swift, Jonathan. Le Gulliver de la jeunesse. Voyages
de Gulliver dans l’île de Lilliput, à Brobdingnac [sic], pays
des géants, à Laputa, etc. Édition nouvelle, revue et
arrangée par A. Des Tilleuls, Paris: Bernardin-Béchet,
1876.
Swift, Jonathan. Voyages de Gulliver, traduction nouvelle
pour la jeunesse par B.-H. Gausseron, Paris: A. Quantin,
1884.
Swift, Jonathan. Voyages de Gulliver, traduction nouvelle
par A. Hannedouche, Inspecteur de l’Enseignement
primaire, Paris: C. Delagrave, 1894.
Swift, Jonathan. Œuvres, édition présentée, établie et
annotée par Émile Pons avec la collaboration de Jacques
et Maurice Pons et de Bénédicte Lilamand, Paris:
Gallimard, 1965.
Swift, Jonathan. Gulliver’s Travels. complete,
authoritative text with biographical and historical contexts,
critical history, and essays from five contemporary critical
perspectives. Christopher Fox (éd.), Case Studies,
Contemporary Criticism. Boston: Bedford Books of St.
Martin’s Press, 1995.
Nota
L’auteur aimerait remercier ses assistantes de recherche,
Anne Marie Taravella et Joanne Gosselin. Les recherches
qui ont mené à la rédaction de cet article ont été rendues
possibles grâce à une subvention du fonds FCAR.
2
Voyages du Capitaine Lemuel Gulliver en divers pays
éloignez, P. Guzze et J. Neaulme, La Haye, 1727. Lady
Bolingbroke, dans une lettre du 1er février 1727, annonce
à Swift que « M. Gulliver [...] vient d’être traduit en
François » (cité par Sybil Goulding, Swift en France, Paris,
Champion, 1924, p. 58). Selon certains, l’auteur en serait
le critique et traducteur néerlandais Justus Van Effen.
3
Vraisemblablement pendant la seconde ou la troisième
semaine d’avril (Ibid., p. 60).
4
Antoine Berman, Pour une critique des traductions :
John Donne, Paris, Gallimard, 1995, p. 40.
5
Les citations du texte anglais sont tirées de la
reproduction en fac-similé de la première édition (Jonathan
Swift, Gulliver’s Travels, 1726, « Scholars’ Facsimiles
& Reprints », introd. de C. McKelvie, New York, Delmar,
1976).
6
« He is taller by almost the breadth of my Nail than any
of his Court, which alone is enough to strike an Awe into
the Beholders. His Features are strong and masculine,
with an Austrian Lip and arched Nose, his Complexion
olive, his Countenance erect, his Body and Limbs well
proportioned, all his Motions graceful, and his Deportment
majestick. He was then past his Prime, being twenty-eight
Years and three Quarters old, of which he had reigned
about seven, in great Felicity, and generally victorious »
(Ibid., p. 29).
7
« His Voice was shrill, but very clear and articulate, and
I could distinctly hear it when I stood up » (Ibid., p. 30).
8
Le nom de l’empereur nous est donné au chapitre trois:
« Golbasto Momaren Evlame Gurdilo Shefin Mully Ully
Gue »; même s’il n’est pas traduit dans le texte, Clarke
arrive à décoder le nom: « Go sillily in shit or dirt, ever as
some are in vast odor! » ; ou encore « Die sillily shittin’
or dirty, evil as some more in fast anger! » (Paul Odell
Clark, A Gulliver Dictionary, New York: Haskell House
Publishers, 1972 [1953], p. 15).
9
« For this Prince lives chiefly upon his own Demesnes,
seldom, except upon great Occasions, raising any Subsidies
upon his Subjects, who are bound to attend him in his
Wars at their own Expence » (Gulliver’s Travels, 1726,
p. 35).
10
Nous reprenons ici certaines des « tendances
déformantes » de la traduction telles que décrites par
Antoine Berman (La traduction et la lettre ou l’auberge
du lointain, Paris, Seuil, 1999).
11
Desfontaines, apprenant que Swift prévoit se rendre
en France, atténuera le ton de sa préface dans la deuxième
édition en 1727: « …des endroits foibles & négligés, des
détails un peu ennuïeux, & des fictions mediocrement
1
35
ingénieuses » (Jonathan Swift, Voyages de Gulliver, Paris,
Jacques Guérin, 1727, p. xv-xvi).
12
60% si on ne tient pas compte de ce paragraphe.
13
Gayot de Pitaval, dans son virulent Faux Aristarque
reconnu, dénoncera les « polissonneries » que le
traducteur aurait dû retrancher: « Qu’étoit-il nécessaire
de faire pisser Gulliver [pour éteindre l’incendie du
palais de Lilliput]? ne pouvoit-il pas avec un petit
vaisseau faire la même chose » (François Gayot de
Pitaval, Le Faux Aristarque reconnu, Amsterdam,
G. Le Sincère, 1733, p. 79-80).
14
Dans le monde francophone, l’œuvre de Swift sera
tout de même rapidement associée à ce type de « détails
choquants », au point que paraîtra, en 1729, la traduction
d’un « traité » sur les latrines publiques (The Grand
Mystery, or Art of Meditating over an House of Office,
Restor’d and Unveil’d; After the Manner of the
Ingenious Dr S—ft) dont Desfontaines serait également
le traducteur (Le Grand mistere ou l’Art de méditer sur
la garderobe, Renouvellé et dévoilé, Par l’Ingenieux
Docteur Swift...[suivi de: Pensées hazardées sur les
études, la grammaire, la rhétorique et la poétique, par
G.L. Le Sage,La Haye, J. Van Duren, 1730). Ce traité ne
sera jamais attribué à Swift en Grande-Bretagne.
15
Henry Fielding (1749), Tom Jones, histoire d’un enfant
trouvé, traduction nouvelle, par Defauconpret, précédée
d’une notice biographique et littéraire sur Fielding, par
Walter Scott, Paris, Furne, 1835.
16
Le graveur Georg-Friedrich Schmidt aurait exposé au
Salon ce portrait destiné à être mis à la tête de la traduction
des Œuvres de Virgile de Desfontaines (Les Œuvres de
Virgile Traduites en François, Avec des Remarques,
par M. l’Abbé D., Paris, Quillau, 1743). On ne connaît la
toile de Tocqué que par cette gravure.
17
Walter Scott, Mémoires politiques et littéraires sur
la vie et les ouvrages de Jonathan Swift... par Sir
Walter Scott, traduits de l’anglais sur la seconde
édition,Paris, G. Gosselin, 1826.
18
Walter Scott, The Works of Jonathan Swift...
containing additional letters, tracts, and poems, not
hitherto published: with notes, and a life of the author,
Édimbourg, A. Constable and Co, 1824.
19
« The Emperor was already descended from the Tower,
and advancing on Horse-back towards me, which had
like to have cost him dear; for the Beast, though very
well trained, yet wholly unused to such a Sight, which
appeared as if a Mountain moved before him, reared up
on his hinder Feet: but that Prince, who is an excellent
Horse-Man, kept his Seat, till his Attendants ran in, and
held the Bridle, while his Majesty had time to dismount »
(Gulliver’s Travels, 1726, p. 27-28).
20
« In the smaller Pocket on the right side, were several
round flat Pieces of white and red Metal, of different bulk;
some of the white, which seemed to be Silver, were so
large and heavy, that my Comrade and I could hardly lift
36
them. In the left Pocket were two black Pillars irregularly
shaped: we could not, without difficulty, reach the top of
them as we stood at the bottom of his Pocket. One of
them was covered, and seemed all of a piece: But at the
upper End of the other, there appeared a white round
Substance, about twice the bigness of our Heads. Within
each of these was inclosed a prodigious Plate of Steel;
which, by our Orders, we obliged him to show us, because
we apprehended they might be dangerous Engines. He
took them out of their Cases, and told us, that in his own
Country his Practice was to shave his Beard with one of
these, and to cut his Meat with the other. There were two
Pockets which we could not enter: These he called his
Fobs; they were two large Slits cut into the top of his
middle Cover, but squeezed close by the pressure of his
Belly » (Ibid., p. 40-41).
21
Pons retraduira ce passage de manière plus directe:
« J’allai aussi loin que me le permettait la longueur de ma
chaîne et me libérai les entrailles de cette charge
incommode » (Jonathan Swift, Œuvres, édition présentée,
établie et annotée par Émile Pons avec la collaboration
de Jacques et Maurice Pons et de Bénédicte Lilamand,
Paris, Gallimard, 1965, p. 51).
22
« Il y avait autrefois bon opéra et bonne comédie, mais,
faute d’auteurs encouragés par les libéralités du prince, il
n’y a plus rien qui vaille en ce genre » (1838, Voyages de
Gulliver dans des contrées lointaines par Swift, édition
illustrée par Grandville, traduction nouvelle, Furne et
Cie et H. Fournier Aîné. Reproduction en fac-similé de la
première édition française intégrale de 1838 », publiée par
le Club des Libraires de France en 1955, I, p. 56).
23
« Sa réponse, comme je le craignais, fut qu’il fallait
attendre; que c’était une question sur laquelle il ne pouvait
se déterminer sans l’avis de son conseil, et que
premièrement il fallait que je promisse par serment
l’observation d’une paix inviolable avec lui et avec ses
sujets; qu’en attendant je serais traité avec tous les égards
possibles » (Ibid., I, p. 32). « His Answer, as I could
apprehend it, was, that this must be a Work of Time, not
to be thought on without the Advice of Council [sic;
correction manuscrite de Swift: « His »], and that first
I must Lumos kelmin pesso desmar lon Emposo; that is,
swear a Peace with him and his Kingdom. However, that
I should be used with all Kindness… » (Gulliver’s Travels,
1726, p. 36).
24
« … an Imperial Commission was issued out, obliging
all the Villages nine hundred Yards round the City, to deliver
in every Morning six Beeves, forty sheep, and other
Victuals for my Sustenance; together with a proportionable
Quantity of Bread, and Wine, and other Liquors: for the
due Payment of which his Majesty gave Assignments upon
his Treasury » (Ibid., p. 34-35).
25
« Action d’affecter un fonds au payement d’une dette,
d’une rente, etc. L’assignation du douaire de cette femme
a été faite sur tel immeuble. Il se dit aussi d’un mandat,
d’un ordre délivré à quelqu’un, pour recevoir une somme
assignée sur un certain fonds. Ce sens était fort usité dans
l’ancienne Administration des finances » (Dictionnaire
de l’Académie française, 6e édition, 1832-1835,
« assignation »).
26
Selon Antoine Berman, le projet de traduction « définit
la manière dont, d’une part, le traducteur va accomplir la
translation littéraire, d’autre part, assumer la traduction
même, choisir un ‘’mode’’ de traduction, une ‘’manière
de traduire’’. » Le critique doit donc « lire la traduction à
partir de son projet, mais la vérité de ce projet ne nous est
finalement accessible qu’à partir de la traduction ellemême et du type de translation littéraire qu’elle
accomplit » (1995, p. 76, p. 77).
27
Voir Benoit Léger, « Les notes du traducteur des
Voyages de Gulliver: détonation et détonement », Lumen
(Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle), XXI,
2002, p. 179-198.
28
Cité par Antoine Berman, La traduction et la lettre
ou l’auberge du lointain, Paris, Seuil, 1999 (1985),
p. 103.
29
Jonathan Swift, Voyages de Gulliver […] traduits par
l’abbé Desfontaines, Hiard, Paris, 1832, « Notice », p. 10.
Sur cette édition, voir Benoit Léger, « Nouvelles aventures
de Gulliver à Blefuscu: traductions, retraductions et
rééditions des Voyages de Gulliver sous la monarchie de
Juillet », Meta, 49, 3, p. 526-543.
30
Cité par Antoine Berman, La traduction et la lettre
ou l’auberge du lointain, p. 103.
31
« L’exemple le plus frappant de ce sans-gêne, que je
qualifierais volontiers d’impertinence, se trouve au
chapitre VI du Voyage à Lilliput. L’abbé retranche tout
ce que l’auteur raconte de la façon dont on l’habille, de
sa manière de vivre, de son repas en présence de
l’empereur et des bruits qui courent sur ses relations avec
une grande dame; le traducteur remplace tout cela par un
traité de son cru sur la meilleure manière d’instruire la
jeunesse. Le morceau vaudrait qu’on le citât; mais la place
me manque. C’est cependant cette traduction qui s’est
perpétuée jusqu’à nous et à travers laquelle le public
français connaît l’œuvre de Swift. Quelques éditeurs ont
prétendu en donner une traduction nouvelle et complète.
Certains passages ont été restitués, il est vrai; on a, par
places, rajeuni le style de Desfontaines; mais c’est une
frisure nouvelle donnée à une antique perruque, et rien de
plus » (Jonathan Swift, Voyages de Gulliver, traduction
nouvelle pour la jeunesse par B.-H. Gausseron, Paris,
A. Quantin, 1884, p. x).
32
Tom Jones, histoire d’un enfant trouvé, traduction
nouvelle, par Defauconpret, précédée d’une notice
biographique et littéraire sur Fielding, par Walter Scott,
Paris, Furne, 1835.
37

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