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Annales de Toxicologie Analytique, vol. XIV, n° 1, 2002
Dépistage urinaire : les limites
de Timmunoanalyse
Urine screening, limitations of immunoanalysis
Bernard CAPOLAGHI*
Laboratoire d e Biochimie-Toxicologie, Hôpital Bel-Air, C H R Metz-Thionville - 5 7 1 0 0 T H I O N V I L L E
* A u t e u r à qui adresser la correspondance : Bernard C A P O L A G H I , Laboratoire d e Biochimie-Toxicologie,
Hôpital Bel-Air, C H R Metz-Thionville - B P 60327 - 5 7 1 2 6 T H I O N V I L L E C e d e x
Tel : 0 3 82 55 81 99 - Fax : 0 3 82 55 82 01 - e-mail : [email protected]
(Reçu le 10 février
2002 ; accepté
le 20 février
2002)
RÉSUMÉ
SUMMARY
Le dépistage de substances psychoactives est généralement
synonyme de méthodes immunologiques et de prélèvement
urinaire. Il s'agit d'une part de privilégier un prélèvement
biologique non traumatisant et ne nécessitant pas de compétences professionnelles au niveau du recueil et d'autre part
de disposer d'une technique facile à utiliser transposable
aisément et automatisable.
Cette adéquation théorique se heurte cependant à de nombreuses contraintes analytiques qui limitent le champ d'application du dépistage urinaire.
Les méthodes immunologiques utilisent toute la reconnaissance épitopique spécifique de la molécule à doser ou du chef
defile de la famille à rechercher. Par contre, la méthodologie
utilisée peut être très différente tant pour la nature des anticorps utilisés que pour le choix du mode de séparation et de
révélation du complexe Ag-Ac et du type de signal généré.
Cette hétérogénéité des techniques explique les similitudes et
les différences observées dans le dosage ou le dépistage de
substances psychoactives au sein d'une matrice biologique
comme le milieu urinaire. Cette matrice non protéique peutêtre considérée comme un milieu biologique de choix ;
cependant, la complexité physiologique dont elle est issue
induit de nombreux problèmes liés le plus souvent soit à une
dilution trop importante, soit à une concentration exagérée de
composés endogènes ou exogènes pouvant interférer sur les
réactions immunologiques. Ces différents aspects nécessitent
d'identifier clairement les incidences du choix d'une technique d'immunoanalyse en milieu urinaire sur le résultat.
Psychoactive drugs ' screening usually means immunological
methods and urine analysis. The goal is first to propose the
use of a non-invasive sample, easy to obtain even for nonprofessional people, and also to perform the analysis with an
automated convenient method. In fact, analytical problems
limit the validity of urinary screening.
Immunological methods are based on the reaction between a
specific epitope and a dedicated antibody. Of course, antibodies can vary in different methods (monoclonal antibodies,
polyclonal antibodies,...), as can also be different the ways
of detection and the separation principles. This heterogeneity can explain that there are similar or divergent results between all the available methods. If urine can be considered as
a first choice biological matrix, it has to be noticed that this
fluid can be too concentrated, too diluted, and can also accumulate exogenous or endogenous compounds, able to interfere with the immunological reaction. The consequences are
that a perfect knowledge of the analytical performances of
the immunological method used is necessary to correctly
interpretate the results of a urinary analysis.
MOTS-CLÉS
Dépistage urinaire, Immunoanalyse,
KEY-WORDS
Urinary screening, immunoassay,
Toxicomanie.
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Article available at http://www.ata-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/ata/2002034
addiction.
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Introduction
L'immunoanaly se
L a mise en évidence d ' u n e conduite addictive en milieu
professionnel nécessite u n e contribution biologique
pour la recherche et l'identification des substances psychoactives impliquées. L a preuve d e la réalité de
c o n s o m m a t i o n repose sur des techniques de confirmation après positività d e s m é t h o d e s d e d é p i s t a g e .
L ' a p p r o c h e d e première intention nécessite d ' u n e part
d e privilégier u n prélèvement biologique non traumatisant, si possible n e nécessitant pas de compétences professionnelles au niveau du recueil, et d'autre part de
disposer d ' u n e technique analytique facile à utiliser. L a
réponse à cette problématique s'est tout naturellement
orientée vers u n prélèvement urinaire associé à u n e
méthode immunologique.
L'évolution de l ' i m m u n o a n a l y se a permis de disposer
de techniques i m m u n o l o g i q u e s faciles à utiliser, transposables et automatisables, compatibles avec u n e utilisation en routine dans le cadre du dépistage urinaire.
Ces méthodes a p p a r e m m e n t simples sont en fait très
complexes. Elles associent plusieurs étapes pour permettre l'identification du produit (2). Ainsi, après u n e
reconnaissance épitopique spécifique d e la molécule ou
du chef de file de la famille à rechercher, la m é t h o d e
utilisée peut être très différente tant p o u r la nature des
anticorps utilisés que pour le choix du m o d e de séparation et de révélation du c o m p l e x e A g - A c et du type d e
signal généré.
L'urine est en effet considérée c o m m e le milieu biologique de choix, tant par sa facilité de recueil que par ses
caractéristiques physiologiques. Il s'agit en effet d ' u n e
humeur biologique contenant sous formes libres et
conjuguées les molécules psychoactives et leurs metabolites pendant u n e durée généralement assez longue, liée
à la métabolisation du produit (tableau I) à une concentration dépendante des fonctions rénales et hépatiques du
sujet ainsi que d e sa corpulence et de son état d'hydratation. L e recueil sera effectué dans un flacon à usage
unique sans antiseptique, ni conservateur et conservé à
4° C. Il convient d'assurer ce recueil dans des conditions
strictes d'identification et d'authenticité physiologique
afin de respecter l'approche qualité de la phase pré-analytique et de n e pas induire un biais dans le résultat.
P a r a l l è l e m e n t aux m é t h o d e s d ' i m m u n o a n a l y s e en
milieu liquide par compétition réalisées en p h a s e
h o m o g è n e ou h é t é r o g è n e ( E M I T , F P I A , C E D I A ,
K I M S , RIA..), de nouveaux tests i m m u n o l o g i q u e s unitaires sur support solide (immunochromatographie)
sont apparus sur le m a r c h é et complètent l'offre dédiée
au dépistage urinaire. A u niveau européen, le projet
«Rosita» s'est fixé c o m m e objectif l'inventaire et l'évaluation de ces tests de dépistage (3).
D ' a u t r e part, il est important de se prémunir contre u n e
dilution ou u n e adultération d e l'urine par le patient (1)
en appliquant des règles strictes au m o m e n t du recueil
et en vérifiant, Te cas échéant, l'intégrité du prélèvem e n t par la m e s u r e de la créatininurie, du p H et de la
température. D e la qualité du prélèvement dépend en
effet le résultat.
L'hétérogénéité des techniques existantes sur le m a r c h é
explique les similitudes et les différences observées
dans le dosage ou le dépistage de substances psychoactives au sein d ' u n e matrice biologique c o m m e le milieu
urinaire. Cette matrice non protéique peut être considérée c o m m e u n milieu biologique de choix ; cependant,
la complexité physiologique dont elle est issue induit
de n o m b r e u x problèmes liés le plus souvent soit à u n e
dilution trop importante, soit à u n e concentration exagérée de c o m p o s é s endogènes ou exogènes pouvant
interférer sur les réactions i m m u n o l o g i q u e s .
Tableau I : Elimination urinaire des stupéfiants.
Seuil de positività
Temps d'élimination
(Estimation
Cocaïne
300 ug/1
Benzoyl
Opiacés
moyenne)
2 jours
Ecgonine
300 ug/1
2 jours
Morphine
Amphétamines
1 000 ug/1
3 jours
d-Amphétamine
Cannabis
50 ug/1
THC - COOH
2-4 jours (fumeur non régulier)
Plusieurs semaines (fumeur
régulier)
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Limites de l'immunoanalyse
L e s partenaires d e la réaction i m m u n o l o g i q u e , l'antigèn e traceur et l'anticorps j o u e n t un rôle essentiel q u ' i l
faut bien connaître p o u r interpréter correctement le
résultat d ' u n e i m m u n o a n a l y s e . L a nature de l'antigène
ainsi que la concentration retenue p o u r établir u n seuil
de positivité ont u n rôle clé puisque chaque résultat
sera interprété en c o m p a r a n t la réponse de cette m o l é cule à ce seuil. L a diversité des réponses des différentes
molécules d ' u n e m ê m e classe vis-à-vis d ' u n anticorps
doit inciter à la p r u d e n c e dans l'interprétation d ' u n test
immunologique.
L a connaissance des limites du dépistage urinaire par
i m m u n o a n a l y s e est donc indispensable à son utilisation
optimale. L e s performances du test utilisé en termes de
sensibilité, spécificité et réactions croisées doivent être
parfaitement maîtrisées en vue d ' u n e interprétation
correcte du résultat. Ces indications sont données par le
fournisseur et doivent être connues par le prescripteur,
en particulier la nature des principales substances interférentes. L a recherche urinaire des opiacés et des
a m p h é t a m i n e s est sur ce point très significative des
erreurs d'interprétation q u ' i l faut absolument éviter.
L e m é t a b o l i s m e des opiacés conduit à l'élimination
urinaire d e la m o r p h i n e libre ou conjuguée. L'anticorps
généralement utilisé reconnaît le noyau morphinane.
Les urines contenant des molécules à usage thérapeutique : codéine, codéthyline, pholcodine ou des molécules d ' u s a g e illicite, 6-monoacetyl-morphine (metabolite de l'héroïne) seront indifféremment reconnues
dès q u e leur concentration sera supérieure au seuil de
positivité du test.
A l'inverse, aucun des m o r p h i n o m i m é t i q u e s (buprénorphine, methadone, dextropropoxyphène, tramadol)
dont la structure chimique correspond à u n noyau morphinane modifié n ' e n t r a î n e r a de positivité. Il y a donc
lieu d'introduire la notion de présomption et non de
certitude d e positivité. L a recherche d ' u n e meilleure
spécificité, c'est-à-dire u n e diminution du n o m b r e de
faux positifs, peut parfois être obtenue au détriment de
la sensibilité en a u g m e n t a n t la valeur du seuil de positivité («cutoff»). C e fut le cas r é c e m m e n t aux Etatsunis où la Substance A b u s e and Mental Health Services
Administration a relevé d e 300 à 2 0 0 0 Lig/1 le seuil d e
positivité des opiacés en milieu professionnel pour
réduire les faux positifs liés à la c o n s o m m a t i o n alimentaire des graines d e pavot (4).
L'utilisation des trousses «amphétamines» (anticorps
m o n o ou polyclonaux) d e m a n d e la m ê m e prudence
d'interprétation (5) car les amines s y m p a t h o m i m é tiques, les analogues structuraux à u s a g e thérapeutique
courant c o m m e les décongestionants de voies nasales
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(éphédrine, pseudo-éphédrine, phenylpropanolamine)
ou c o m m e les anorexigènes (clobenzorex, fenfluramine
peuvent interférer d e façon variable. P a r ailleurs,
l ' é m e r g e n c e d ' a n a l o g u e s chimiques d e l ' a m p h é t a m i n e
et de la m é t h a m p h é t a m i n e (designer's drugs) c o m plique également le p r o b l è m e et nécessite lors du
dépistage l ' e m p l o i d e tests plus spécifiques (6).
Conclusion
L'utilisation de l ' i m m u n o a n a l y s e en dépistage urinaire
est a m p l e m e n t justifiée dans la mise en évidence d e
conduites addictives en milieu professionnel.
Cependant, elle nécessite u n e parfaite connaissance d e
ces limites pour u n e utilisation optimale. L ' i m p o r t a n c e
des réactions croisées illustre la n é c e s s i t é d ' u n e
d é m a r c h e de confirmation d ' u n résultat positif obtenu
par u n e technique i m m u n o l o g i q u e . Il convient d'opter
pour u n e technique basée sur u n principe différent de la
reconnaissance épitopique et présentant u n e meilleure
spécificité pour u n e sensibilité au m o i n s équivalente.
L e s méthodes chromatographiques sont d o n c toutes
indiquées et r e c o m m a n d é e s pour cette a p p r o c h e analytique complémentaire.
Références
1. Dumestre-Toulet V , Verstraete A. Les adultérants des
tests urinaires. Toxicorama. 1999 ; 3 : 155-66.
2. Masseyeff R. F. Principles of Immunoassays :
Classification
of methods. In : Methods
of
Immunological Analysis. VCH, Weinheim : 1993 ; 11533.
3. Samyn N., Areschka V , Verstraete A. Evaluation de tests
de dépistage des drogues sur le terrain. Ann. Toxicol.
Anal., 2000 ; 2 : 105-15.
4. Lee RR, Shahala D.E. Changes to the cutoff levels for
opiates for Federal Workplace Drug Testing Programs.
Substance Abuse and Mental Health Services
Administration. Fed Register. 1995 ; 60 : 575-85.
5. Vertraete A., Van Haute I. Spécificité des immunoessais
pour la détection des amphétamines. Toxicorama. 1997 ;
2 : 65-71.
6. Lekskulchai V., Mokkhavesa X. Evaluation of Roche
Abusreen Online Amphetamine Immunoassay for
Screening of New Amphetamine Analogues. J. Anal.
Toxicol. 2001 ; 25 : 471-5.