Justice pour Nueva Linda

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Justice pour Nueva Linda
TOURNÉE EUROPÉENNE DES REPRÉSENTANTS DU GROUPE “JUSTICE POUR NUEVA LINDA”,
ACCOMPAGNÉ PAR CODECA (COMITÉ DE DÉVELOPPEMENT PAYSAN)
Le groupe “Justice pour Nueva Linda” tient à remercier les pays,
gouvernements et institutions d’Europe de recevoir ses représentants et
d’écouter les dénonciations que nous faisons des violations de nos
droits fondamentaux perpétrées par des hommes d’affaires et l’Etat
guatémaltèque lui-même, par le biais des appareils judiciaires et policiers
sous sa responsabilité.
Nous, parents, compagnons et amis d’Héctor Reyes, ancien administrateur de
la finca (exploitation agricole) Nueva Linda que son patron Carlos Vidal
Fernández, de nationalité espagnole, a, selon toute vraisemblance, fait
disparaître le 5 septembre 2003, nous luttons en permanence depuis cette
date pour qu’Héctor Reyes réapparaisse en vie, et que justice se fasse
sur sa disparition.
Nous nous battons pour que s’accélèrent les enquêtes qui permettront
l’arrestation, le jugement et la condamnation des responsables de ce crime
et de tous les autres abus commis depuis contre les paysans de Nueva
Linda.
Notre désespoir et nos espérances mêlés font que depuis la fin de l’année
2004, nous vivons dans des conditions infra humaines sur le bord de la
route, face à l’entrée de la finca Nueva Linda, où disparut Héctor Reyes.
Filles, petites-filles et amies d’Héctor Reyes (sur le portrait tenu par sa petite-fille)
1
Historique de notre lutte depuis la disparition forcée d’Héctor Reyes
Disparition forcée d’Héctor Reyes - Le 5 septembre 2003, à l’aube, des agents de sécurité
de la finca Nueva Linda, sur ordre du patron Carlos Vidal Fernández, ont enlevé et fait
disparaître Héctor Reyes. Le motif de cette disparition serait double : Héctor Reyes était ce
que l’on appelle un “bon leader paysan”, qui avait organisé les revendications des travailleurs
agricoles au sein du syndicat Mayas sin Tierra (Mayas sans terre). Il avait aussi mis en cause
certaines pratiques douteuses du propriétaire. La famille d’Héctor a dénoncé immédiatement
cette disparition à la Police nationale civile et au Ministère public. Pourtant, après bientôt cinq
ans, le système judiciaire guatémaltèque n’a en rien fait avancer l’enquête, et n’a pas lancé
d’ordres de capture contre la personne signalée comme l’auteur matériel, Víctor de Jesús
Chinchillan, ni contre le commanditaire présumé, Carlos Vidal Fernández. Aucune de ces deux
personnes pourtant signalées par la famille n’a été inculpée formellement par le Ministère
public.
Massacre du 31 août 2004 - Devant le déni de justice, nous, les compagnons, parents et
amis d’Héctor Reyes, nous sommes vus obligés de nous organiser et de prendre des mesures
de pression pour exiger justice. En 2004, avec l’appui de 800 familles, nous avons occupé
pacifiquement la finca Nueva Linda. Comme réponse à notre demande, le gouvernement a
ordonné que nous soyons réprimés par les forces de l’ordre de l’Etat et par tout l’appareil de
sécurité privé des propriétaires terriens de la région. Le 31 août, un massacre eut lieu, dans
lequel furent blessés de nombreux paysans, les journalistes présents agressés, et où furent
assassinés neuf paysans et trois policiers1. Nous avons porté plainte pour qu’une enquête
fasse toute la lumière sur ce qui s’est réellement passé ce jour-là.
Malgré des rapports du bureau du Procureur des droits de l’homme au Guatemala et de la
Commission des droits du Congrès de la République, qui tous deux pointèrent du doigt les
abus commis par la force publique, et la présence de groupes armés non identifiés
n’appartenant pas à la communauté, jusqu’à aujourd’hui, aucune enquête sur les victimes de
ce jour n’a été menée par les autorités judiciaires compétentes.
Survie au bord de la route - Depuis ce jour, nous nous sommes installés en face de l’entrée
de la finca pour continuer d’exiger la réapparition d’Héctor Reyes et la justice contre le crime
qui lui a sûrement coûté la vie, mais aussi pour une enquête et la justice concernant le
massacre réalisé par les forces de sécurité. Au bord de la route, nous vivons dans des
conditions de grande précarité –nous dormons dans des cahutes en bois et en plastique, ce
qui est très épuisant. Nous sommes cependant disposés à continuer jusqu’à ce que nos
demandes soient remplies, conscients que si nous partons du bord de la route, la lutte sera
terminée et jamais justice ne sera faite. Les autorités, au lieu de répondre à nos demandes en
tant que victimes, nous qualifient officiellement et ouvertement de criminels. De 2004 à
aujourd’hui, nous avons subi de nombreuses menaces et tentatives d’enlèvement de nos
membres, qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête non plus.
L’association du groupe Justice
développement paysan (CODECA)
pour
Nueva
Linda
et
le
Comité
de
Le groupe de Nueva Linda intègre environ 250 personnes organisées au sein de l’association
Groupe Justice pour Nueva Linda. Toutes ces personnes se relaient pour assurer des
permanences au bord de la route, afin d’accompagner les enfants d’Héctor Reyes qui sont la
base fondamentale de notre lutte pour la justice. Le groupe représente les revendications de la
famille d’Héctor et des compagnons victimes durant toutes ces années de lutte.
Nous avons reçu la solidarité et l’accompagnement de plusieurs entités nationales et
internationales qui à tout moment sont présentes pour nous appuyer à différents niveaux :
politiques, juridiques, économiques et d’observation de la situation des droits humains.
CODECA est une organisation de familles paysannes et indigènes née en 1992 pour répondre
aux demandes pour l’accès à la terre, lutter contre les injustices criantes au droit du travail et
la surexploitation des travailleurs agricoles dans les campagnes. Actuellement, ses axes de
1
Rapport du Procureur des droits de l’homme, rapport préliminaire : Expulsion finca Nueva Linda, Guatemala, 2 septembre 2004.
2
travail sont : l’accès à la terre, la défense d’un salaire juste, la participation plus active des
femmes et des plus jeunes, la formation de nouveaux dirigeants, le développement
communautaire, la défense et la promotion des droits de l’homme. Nous travaillons avec plus
de 350 communautés et environ 20 500 personnes. CODECA est membre de la Coordination
nationale des organisations paysannes (CNOC), du Centre mésoaméricain d’action durable
pour les droits de l’homme (CEMAS) et de la Coalition internationale pour l’accès à la terre
(ILC selon le sigle anglais) dont le siège est basée en Italie.
CODECA appuie le cas de Nueva Linda “parce que le groupe Nueva Linda est à la recherche de
la justice. Dans bien d’autres cas similaires, les personnes victimes restent sans rien dire ni
faire.” A partir du 31 août 2004, CODECA s’est solidarisé avec les familles et le groupe Nueva
Linda à la demande de ce dernier. CODECA apporte un accompagnement solidaire et juridique.
Du point de vue de la solidarité, l’organisation a coordonné la visite quotidienne de toutes les
communautés membres. Au niveau juridique, CODECA joue le rôle de conseil légal. Il a obtenu
le financement, pour un an, d’un avocat. Grâce à cela, une équipe juridique est désormais
capable de suivre les processus légaux ouverts devant le Ministère public pour les différentes
violations perpétrées contre le groupe, former et informer les victimes, les parties civiles et
autres personnes appelées à comparaître au cours de ces procédures. Ce rôle de conseil
juridique a aussi permis la légalisation de l’organisation Association Justice pour Nueva Linda
en 2007.
Au niveau politique, CODECA a coordonné la réalisation de deux marches dans la capitale,
auxquelles ont participé les membres de Nueva Linda et d’autres communautés membres de
CODECA, pour exiger la justice. Des manifestations devant la finca ont aussi été organisées
pour faire pression sur les autorités. En 2006, 120 familles membres de Nueva Linda et de
CODECA ont occupé la place centrale de la capitale, pour obliger le gouvernement à faire
avancer les procédures judiciaires.
Actions mises en œuvre par le groupe Justice pour Nueva Linda – 2004 à 2008
Actions depuis 2004
Période
Accompagnement de la famille d’Héctor Reyes
Depuis 2003
Occupation de la finca Nueva Linda
2003-2004
Commissions d’enquête du bureau du Procureur des droits de l’homme et de la
Commission des droits de l’homme du Congrès de la République sur le massacre
2004
Permanence au bord de la route face à l’entrée de la finca
Depuis 2004
Installation durant un mois sur la place centrale de la capitale Guatemala Ciudad
Juin 2006
Commémoration de la disparition forcée d’Héctor Reyes et des compagnons tués
durant l’expulsion forcée
Tous les ans
Mise en place de partenariats avec des organisations paysannes, de solidarité nationale
Depuis 2006
et internationale, et des organisations de veille sur la situation des droits humains
Plaintes et rapports nationaux et internationaux2
2006-2007
Processus d’inscription légale de notre organisation qui a aujourd’hui une personnalité
juridique et un nom “Association Justice pour Nueva Linda”
2007
Création du site Internet de l’association - www.justicianuevalinda.org
2008
Nous sommes conscients que la lutte pour la justice n’a jamais été chose facile dans notre
pays, mais nous avons compris que notre force réside dans notre capacité d’organisation, dans
nos alliances avec d’autres entités : cela rendra possible la création de nouvelles formes de
pression.
2
Rapport : Derechos en Acción Massacre à Nueva Linda, cas ouvert (2005), ACOGUATE (Coordination de l’accompagnement
international au Guatemala
Entre la Espada y la pared , AI (Amnesty International) : AU 319/04 Crainte pour la sécurité. GUATEMALA. Famille d’Héctor Reyes
Pérez
3
Nous maintenons toujours 4 plaintes devant le Ministère public - les procédures
pénales initiées restent ouvertes : en tant que parties civiles, il est dans notre obligation d’agir
pour que justice se fasse et d’éviter que l’impunité continue de se renforcer dans notre pays.
Nous savons que ce n’est pas facile parce que les commanditaires sont au pouvoir et font
traditionnellement pression pour empêcher que les pauvres obtiennent justice. Mais nous
restons malgré tout confiants dans la possibilité qu’un Etat de Droit se mette en place avec
l’apport de tous les secteurs dans la construction de la paix.
Dépôt de plainte
Enregistrement
de la plainte
Ce que nous souhaitons à travers ces affaires
Procédure enregistrée Notre objectif est d’arriver à situer la fosse dans laquelle nous supposons
Pour la disparition
sous le n° 132-2004- -d’après plusieurs sources- qu’est enterré le cadavre d’Héctor Reyes, afin
d’Héctor René Reyes
1830 auprès du tride procéder à une exhumation et ainsi prouver la responsabilité des
Pérez
bunal de Retalhuleu
auteurs du crime.
Pour les meurtres et
Procédure enregistrée Notre objectif est de réactiver la procédure, de définir en particulier si
blessures infligés aux
sous le n° 176-2004 CODECA peut se constituer partie civile en tant qu’organisation sociale,
paysans lors de
au Ministère public de
pour obtenir justice pour les victimes et lésions occasionnées aux
l’expulsion forcée du
Quetzaltenango.
hommes, femmes et enfants.
31 août 2004
Pour les blessures
Notre objectif est de définir la bonne procédure juridique, afin d’analyser
Procédure enregistrée
occasionnées aux
et de déterminer les vices de procédure au cours de ces événements. Par
sous le n° 179-06
paysans membres du
exemple, sur les accusations du Ministère public contre les victimes
auprès du Ministère
groupe Justice pour
paysannes : contrairement aux dires de celui-ci, ceux qui ont tiré contre
public de Retalhuleu
Nueva Linda
les paysans étaient les agents de sécurité privés de la finca.
La manière dont les autorités judiciaires conduisent ces processus prouve le déni de justice
auquel nous faisons face et l’utilisation du système judiciaire pour affaiblir notre mouvement :
l’appareil judiciaire, en plus d’être complice par omission, est utilisé pour
criminaliser notre lutte pour défendre nos droits fondamentaux.
Stratégies pour 2008
1. Continuer à résister au bord de la route
2. Poursuivre les plaintes aux niveaux national et international
3. Porter plainte pour la disparition d’Héctor Reyes auprès de la Commission interaméricaine
des droits de l’homme (CIDH), en arguant le déni de justice
4. Mener une campagne internationale afin de rechercher des appuis politiques. Deux tournées
sont prévues : l’une au Canada, l’autre en Europe.
L’affaire Nueva Linda : un cas emblématique de la situation au Guatemala
Malheureusement, le cas de Nueva Linda est seulement l’un des nombreux cas de disparition
forcée au Guatemala. Durant le conflit armé (de 1960 à 1996), la disparition forcée était une
stratégie utilisée par les forces de sécurité de l’Etat, la sécurité privée des grands propriétaires
terriens et les escadrons de la mort, pour affaiblir le mouvement social et protéger les intérêts
des secteurs de pouvoir traditionnels. Le nombre de personnes victimes de disparition forcée
est estimé par l’ONU à plus de 45 000 pendant le conflit3. Depuis le retour de la paix, l’Unité
de protection des défenseurs des droits humains au Guatemala a recensé 5 cas de disparition
forcée de défenseurs des droits humains (parmi lesquels figure Héctor Reyes).
La disparition forcée est considérée comme un crime contre l’Humanité - En 1996 ont
été signés les Accords de paix : pourtant, seulement dans un nombre infime de cas, justice a
été rendue pour ces disparus et les familles. Dans la très grande majorité des cas, on n’a
jamais pu retrouver les corps.
L’accès à la justice ne sera pas facile dans cette affaire mais ce cas doit servir d’espoir à
toutes les familles de victimes pour que nous recouvrions la dignité et la paix.
Nous pensons que ce cas peut constituer un précédent pour que les responsables de ces
crimes comprennent qu’il n’est plus possible de se tenir au dessus de la loi, condition
fondamentale à la construction d’un Etat de Droit au Guatemala.
3
Rapport CEH – Commission d’éclaircissement historique– Nations Unies (1998)
4
Nous sollicitons votre aide pour :
1. Maintenir une communication constante avec les différents
organismes de l’Etat guatémaltèque en ce qui concerne les résultats
de l’investigation pénale en vue de la capture des responsables de la
disparition d’Héctor Reyes ainsi que de leur jugement et de leur
condamnation.
2. Maintenir une communication constante avec le Ministère public
guatémaltèque en ce qui concerne l’investigation pénale pour les
événements du 31 août 2004 ainsi que les autres affaires énumérées
dans le présent document, et les procès correspondants.
3. Demander au gouvernement du Guatemala qu’il établisse les mécanismes de protection nécessaires afin que cessent immédiatement
les intimidations et/ou menaces dont sont victimes les membres de
Nueva Linda depuis 2004.
En conclusion, nous voudrions vous exprimer à nouveau et très sincèrement
notre gratitude pour votre soutien. Nous cherchons toujours de nouveaux
partenariats et appuis pour atteindre notre objectif : qu’enfin la disparition
forcée, crime de lèse-humanité, n’ait plus cours au Guatemala et que
les victimes recouvrent la dignité qu’elles méritent.
----Groupe Justice pour Nueva Linda
Avril 2008
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