L`impact du vieillissement de la population sur les marchés

Transcription

L`impact du vieillissement de la population sur les marchés
L’impact du vieillissement de la population
sur les marchés immobiliers
Anne Laferrère
e vieillissement de la population française est
inéluctable et son impact sur les marchés
immobiliers ne sera pas négligeable. La demande
de logement va se modifier en s’éloignant de la
maison familiale pour aller vers des logis adaptés
au grand âge, plus souvent des appartements, en
location, en zones plus denses. Cette nouvelle
demande risque d’être multiforme. De tels changements auront des conséquences sur les prix relatifs
des différents biens immobiliers, d’autant plus
fortes qu’elles auront été moins bien anticipées.
L
Le vieillissement de la population, c’est-à-dire
l’augmentation de la proportion de personnes très
âgées dans la population ou encore la hausse de
l’âge du « Français moyen », est le résultat de trois
phénomènes qui se renforcent mutuellement.
D’abord, la baisse de la mortalité aux grands âges
se traduit par un allongement de la durée moyenne
de la vie : depuis 1950, on gagne un trimestre de
vie par an. Ensuite, les classes pleines des babyboomers arrivent à l’âge de la retraite : il est né, en
1946, 200 000 bébés de plus qu’en 1945, et l’écart
s’est maintenu jusqu’en 1973. Ce qui a d’abord
provoqué un rajeunissement de la population se
traduit logiquement, soixante ans plus tard, par un
vieillissement. En effet, et c’est le troisième facteur,
après cette longue parenthèse du baby-boom, le
nombre des naissances a diminué. Il est bien des
façons de présenter le choc du vieillissement.
L’une d’elles, facile à mémoriser, est d’observer
qu’entre 2000 et 2050, le nombre des « 60 ans et
plus » sera multiplié par deux, celui des « 75 ans et
plus » par trois, et celui des « 85 ans et plus » par
quatre, tandis que le nombre des « moins de 60 ans »
diminuera légèrement (Robert-Bobée, 2007). C’est
INSEE – Centre de recherche en économie et statistique.
donc bien la croissance du nombre des personnes
très âgées qui sera la plus spectaculaire. Le
graphique 1, p. 8 présente l’augmentation annuelle
du nombre des 85 ans et plus ; il permet de souligner
que, au-delà d’une moyenne de 70 000 personnes
par an sur les cinquante prochaines années, les
soubresauts de natalité, l’un après le creux de natalité de la Première Guerre mondiale, et le babyboom, après la Seconde Guerre, ont été importants. On pressent bien que, de même qu’il a fallu
construire des écoles, des collèges, et des universités, il faudra prévoir des logements adaptés.
D’un point de vue économique, être « vieux »,
c’est d’abord tirer ses revenus de transferts ou de
son épargne. D’autres « travaillent pour vous »
après qu’on a en général travaillé pour d’autres en
acquittant des cotisations sociales de retraite. La
mise en place, contemporaine au baby-boom, d’un
système général de retraites par répartition, facilitée
par ce baby-boom lui-même, permet d’assurer
aux retraités actuels de « bonnes » retraites (1). En
moyenne, on observe peu de baisse de revenu à la
retraite, et encore moins de baisse du patrimoine
(Boissinot et Friez, 2006). 73 % des retraités sont
propriétaires de leur résidence principale (2), la
majorité (56 %) de ceux qui sont locataires habitent
le secteur social et bénéficient donc d’une parfaite
sécurité de logement et de loyers subventionnés.
Les logements des retraités sont vastes. 21 % de ces
derniers sont propriétaires d’un autre logement que
leur résidence principale. La dispersion du revenu
des retraités est voisine de celle des autres classes
d’âge. De même, la propriété est largement répandue
à tous les niveaux de revenus : quel que soit le
décile de revenu par unité de consommation (3), plus
(1) La cotisation à un système de retraite par répartition n’est rien d’autre qu’un placement obligatoire dont le rendement est
égal au taux de croissance de la population active et de la productivité (Demange et Laroque, 2000).
(2) On pourrait y ajouter les 4 % qui sont logés gratuitement.
(3) Le revenu par unité de consommation est une mesure du niveau de vie qui permet de comparer la situation de ménages
de taille et composition différentes. Le nombre d’unités de consommation est calculé de la manière suivante : 1 pour le
premier adulte du ménage, plus 0,5 par personne supplémentaire âgée de plus de 14 ans, plus 0,3 par enfant âgé de moins
de 14 ans. Les ménages étant classés par ordre de revenu par unité de consommation croissant, le premier décile comprend
les 10 % de ménages aux plus bas revenus par unité de consommation, le deuxième décile, les 10 % de ménages suivants, etc.
Recherches et Prévisions
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n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
Graphique 1
Augmentation annuelle de la population des 85 ans et plus
200 000
150 000
70 000
100 000
50 000
2047
2043
2039
2035
2031
2027
2023
2019
2015
2011
2007
2003
1999
1995
1991
1987
1983
1979
1975
1971
1967
1963
1959
1951
1955
0
A nnées
– 50 000
Source : INSEE.
Lecture du graphique : on lit sur ce graphique le passage du front du baby-boom à l’âge de 85 ans, âge qui coïncide avec un mouvement
vers les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. L’augmentation des naissances qui a suivi la Première Guerre
mondiale est aussi très nette, son passage a eu lieu en 2006, d’où la tension actuelle sur les places en résidence.
de 62 % des retraités sont propriétaires de leur
résidence principale. Les différences sont plus
grandes pour la détention d’autres logements, de
10 % dans le premier décile, 15 % dans le
cinquième, 39 % dans le neuvième, à 53 % dans
le dixième. Un tiers de ces autres logements sont
des deuxièmes résidences, le reste étant des logements de rapport (Minodier et Rieg, 2007).
Dans un système par répartition, la baisse de la
natalité diminue l’espérance des retraites futures.
Le logement, qui est à la fois un bien de consommation et un placement, pourrait alors voir son
rôle modifié. Avec la retraite, tandis que certains
risques de revenu tel celui du chômage diminuent,
d’autres, tel le risque de veuvage, augmentent.
Vieillir c’est également connaître une augmentation du risque des problèmes de santé et d’invalidité.
Même si l’invalidité n’est pas une fatalité, et si ce
passage par la dépendance est plus tardif que dans
le passé (4), il implique d’aménager son cadre de
vie, et en particulier son logement. Le risque de
décès, quant à lui, intervient en deux temps : le
veuvage d’abord peut entraîner un ajustement de
la consommation de logement, puis le décès proprement dit qui aboutit à la transmission du patrimoine, en particulier du logement, à la génération
suivante.
L’évolution des revenus des actifs et des inactifs,
conditionnée par celle de la productivité des
actifs, détermine largement l’impact économique
du vieillissement de la population. Il n’en sera
cependant pas question ici. L’analyse porte sur
l’impact du vieillissement sur le marché du logement. Quelle est la demande actuelle de logement
des seniors et peut-on en inférer la demande des
nouvelles générations ? Y a-t-il un « risque » spécifique du placement logement ? Le vieillissement
des baby-boomers va-t-il faire s’effondrer les prix
des logements ? On s’intéressera d’abord à la
demande quantitative globale et à la manière dont
elle évolue avec l’âge. Puis, dans un deuxième
temps, les différents « risques » liés à la propriété
seront analysés.
Une demande de logements
potentiellement forte jusqu’en 2020
En 2007, quelques 185 000 individus supplémentaires ont atteint l’âge de 60 ans par rapport à 2006.
Le « taux de survie » de la cohorte, qui inclut le
solde migratoire, est donc de 93 % (5). Quant aux
ménages, ils se forment avec des individus d’âges
différents, mais en première approximation on peut
comparer ce flux d’individus à celui des ménages
(4) Le gain d’espérance de vie est de la vie en bonne santé (Robine et Mormiche, 1993).
(5) Un différentiel de 185 027 individus atteignant soixante ans en 2007 par rapport à 2006, rapporté à un différentiel de
198 005 naissances vivantes en 1946 par rapport à 1945.
Recherches et Prévisions
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n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
dont la personne de référence est âgée de 60 ans.
Ce nombre dépend de la taille des ménages, de la
façon dont les individus choisissent de partager
un logement. Entre 2006 et 2007, le nombre de
ces ménages augmente de 111 000.
L’augmentation du nombre de logements
est plus forte que celle de la population
En fait, selon Alain Jacquot, « sous le simple effet
de la croissance de la population et de la poursuite
de son vieillissement, il y aurait tous âges confondus
en moyenne 159 000 ménages supplémentaires
chaque année d’ici à 2030 » (6) (Jacquot, 2007 a).
À cet effet purement démographique, il faut ajouter
celui de l’évolution des modes de cohabitation.
La taille des ménages se réduit à âge donné. À
l’horizon 2030, le nombre de ménages pourrait
ainsi s’accroître de l’ordre d’un quart par rapport
à 2005. Globalement, la croissance prévue du
nombre de ménages, 0,8 % par an en moyenne,
est le double de celle de la population. Chez les
60 ans et plus, quand la population croîtra de
1,8 % par an, le nombre de ménages, donc de
résidences principales, progressera de 2 % par an,
toujours en moyenne entre 2005 et 2030. La
possession d’une seconde résidence n’étant pas
négligeable dans ces classes d’âge, la demande
potentielle globale de logement est forte. On peut
l’estimer au total de 350 000 à 400 000 logements
par an jusqu’en 2020.
La propension à la séparation et au divorce des
couples, la diminution de la corésidence avec
les parents âgés (Flipo et al., 1999 ; Christel, 2006)
constituent autant de tendances sociales coûteuses,
d’une part, en nombre de logements (il faut deux
logements au lieu d’un) et, d’autre part, en dépense
de logement, plus que proportionnellement en
raison des économies d’échelle très importantes de
ce type de consommation (Nelson, 1988). Pour en
donner une idée, on peut estimer la part du logement dans le budget d’un ménage. En 2002, selon
l’enquête Logement, pour un ménage de plus de
59 ans, la part du logement était de 26 % du revenu
pour une personne seule et de seulement 18 %
pour un couple. À âge, ancienneté d’occupation
du logement et taille d’unité urbaine égaux, la part
budgétaire moyenne d’un couple est inférieure de
6,6 points à celle d’une personne seule. Une partie
de l’augmentation observée de cette part au cours
des dernières années vient de cette tendance accrue
à vivre seul. La vie en solitaire a toujours concerné
les personnes âgées, par exemple au moment d’un
veuvage. Les nouvelles générations vieillissantes
ont davantage connu les divorces et les séparations
que les précédentes, et corésident moins avec leurs
enfants. En sens inverse, la hausse de l’espérance
de vie prolonge la vie en couple (voir, par exemple,
le graphique 9 de Laferrère, 2006, ou Delbès et
Gaymu, 2005). Globalement, la tendance à la
diminution de la taille des ménages, et donc à
celle des économies d’échelle, devrait cependant
l’emporter.
La demande est diversifiée et varie avec l’âge
Au-delà de cette demande quantitative globale,
comment la demande de logement évolue-t-elle
avec l’âge ? Dans sa forme la plus simple, le modèle
de cycle de vie prédit que les gens cherchent à
lisser leur consommation au cours de leur vie. Les
profils de consommation de logement montrent
une augmentation avec l’âge jusque vers 45 ans
et une diminution ensuite. Mais ces profils en
coupes transversales sont trompeurs. Jusqu’aux
générations nées en 1950, chaque génération a
consommé davantage que la précédente au même
âge. La baisse aux âges élevés observée sur une
coupe instantanée est donc en partie une hausse
avec la génération. Par ailleurs, la taille des
ménages diminue. Si on tient compte de ces effets
de générations et de taille des ménages, la baisse
de la consommation globale se produit plus tard,
après l’âge de 60 ans, et ne tombe pas au-dessous
du niveau atteint pendant les années d’activité
(Boissinot, 2007). La courbe en cloche observée
est beaucoup plus plate. Le profil est aussi plus
plat pour les biens durables comme le logement
que pour les biens non durables. Richard Green
et Patrick H. Hendershott (1996) concluent à la
constance de la consommation de logement avec
l’âge, une fois prises en compte les caractéristiques des ménages (7). Il semblerait donc que
les ménages lissent assez bien leur consommation.
Mais le logement est un bien hétérogène localisé.
Il peut être une maison ou un appartement ; un
marché locatif coexiste avec celui de la propriété
occupante, et l’accès au crédit est plus ou moins
développé. Toujours dans la vision dynamique du
cycle de vie, on est d’abord locataire d’un appartement en ville au départ du foyer parental, puis on
emprunte pour acheter un premier logement, que
parfois on revend pour une maison familiale en
zone moins dense mais proche du lieu de travail.
Cette maison est elle-même conservée ou échangée
au moment de la retraite pour une maison correspondant à une demande davantage centrée sur les
loisirs ou les vacances avec les petits-enfants. Enfin,
(6) Sous les hypothèses de fécondité, de mortalité et de migrations du scénario central de la projection de population
de l’INSEE (fécondité stable à 1,9 enfant par femme, évolution tendancielle de la mortalité, solde migratoire annuel de
100 000 personnes).
(7) Une courbe en cloche très aplatie était aussi trouvée par Anne Laferrère et David Le Blanc (2000).
Recherches et Prévisions
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n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
le grand âge venant, on abandonne la maison pour
un appartement, avant de passer le cas échéant à
un établissement d’hébergement adapté à la
dépendance. Empiriquement, on observe que les
ajustements se font en début de cycle de vie et
que le taux de mobilité résidentielle baisse avec
l’âge. Le rebond au moment du départ à la retraite
est très léger (Christel, 2006 ; Driant, 2007) et ce n’est
qu’au-delà de 80 ans que les départs en établissements d’hébergement peuvent être observés
(Christel, 2006 ; Angelini et Laferrère, 2008). En
outre, la mobilité résidentielle des ménages âgés
a même tendance à diminuer (Christel, 2006 ;
Laferrère, 2008). De fait, la baisse du taux de
propriétaire occupants avec l’âge est très légère
avant 80 ans (Arrondel, 2007). Certes, à partir
d’un certain âge, le souhait d’occuper des logements plus faciles à entretenir et plus confortables
est observé. Un appartement répond à ce souhait :
plus facile à entretenir qu’une maison, sa maintenance est également davantage mutualisée en
copropriété, voire externalisée si on est locataire.
Quand on déménage après 50 ans, la tendance à
la réduction du nombre de pièces, au passage
d’une maison à un appartement est nette, et de
plus en plus au fur et à mesure qu’on avance en
âge. Le passage de la propriété à la location, rare
avant 70 ans, s’accentue au-delà, et est observé
dans toute l’Europe (Angelini et Laferrère, 2008).
Ce passage est relativement plus fréquent chez
les veuves, dont on observe aussi qu’elles se
rapprochent des villes et des services qu’elles
offrent. On choisit aussi ce que l’on pourrait appeler
la « fausse » corésidence : vivre à proximité de
ses enfants sans vivre sous leur toit. Alors que la
corésidence entre générations aux âges élevés ne
cesse de diminuer d’une génération à l’autre, la
proximité géographique se maintient. Aux grands
âges, les déménagements rapprochent les membres
des familles (Bonnet et al., 2008). Mais le coût
psychologique d’un déménagement augmente
avec l’âge et le souhait majoritaire de « vieillir sur
place » correspond bien à la faible mobilité
résidentielle observée (Gilleard et al., 2007).
L’ajustement de la consommation de logement
avec l’âge ne se fait donc pas seulement par un
déménagement.
Des logements à aménager
Le besoin d’aménagement du logement existant
précède la mobilité résidentielle. Une question de
la dernière enquête SHARE portait sur le degré
d’adaptation des logements à une personne âgée
ou handicapée (8). Seuls 6 % des Français de 50 ans
et plus déclarent habiter un logement spécialement adapté (9). Même parmi les 20 % qui ont des
problèmes de mobilité physique (10), seuls 12 %
ont un logement doté d’équipements spéciaux. La
demande potentielle est donc forte. Ainsi, les chutes
de personnes âgées provoquent 40 % des entrées
en maisons de soins au Royaume-Uni (11). Indépendamment de tout besoin d’adaptation à la diminution des forces physiques, la retraite s’accompagne
souvent d’un recentrage sur le domicile, du fait
même qu’on ne sort plus pour aller travailler. Y
passant davantage de temps, et de plus en plus au
fil du temps, on risque d’exiger une qualité et un
confort plus grand. Les revenus actuels des ménages
âgés laissent prévoir que cette demande de
confort et d’aménagement est solvable. Celle des
générations futures dépendra de l’évolution de
leur revenu.
Une demande d’appartements
Si le vieillissement pèse bien sur la demande de
logement, la nouvelle demande qu’il induit est
essentiellement celle des jeunes adultes au départ
du foyer parental, et celle des gens très âgés
(graphique 2). Dans les soixante dernières années,
au fur et à mesure du passage des classes pleines
aux différents âges de la vie, la demande s’est
modifiée. Le locatif HLM a, par exemple, accueilli
les baby-boomers dans les années 1970 au moment
où ils constituaient leur ménage. Certains les ont
ensuite quittés pour des maisons. D’ici une dizaine
d’années, l’offre de grandes maisons augmentera
parallèlement à la demande d’appartements plus
petits. Il semble donc que les deux extrémités de
la vie adulte se rejoignent dans leur demande
d’appartements. Le graphique 3, p. 12 donne la
part des appartements dans les achats de logements selon l’âge : cette part est majoritaire avant
28 ans et après 64 ans. Elle croît beaucoup avec
(8) « Votre domicile présente-t-il des équipements ou des caractéristiques particulières destinés à aider des personnes ayant
des handicaps physiques ou des problèmes de santé ? [par exemple, des portes élargies, des rampes, des portes
automatiques, des translateurs pour escaliers, des systèmes d’alerte (boutons d’alerte), des aménagements particuliers de
la cuisine ou de la salle de bains) ». L’enquête SHARE a porté sur 30 000 ménages dans treize pays européens. Pour plus
de renseignements, on peut consulter le site http://www.share-project.org.
(9) Contre 16 % aux Pays-Bas qui détiennent le record d’Europe en la matière, devant les pays scandinaves.
(10) Parmi les 50 ans et plus, un individu sur cinq déclarait avoir des difficultés à accomplir une des activités suivantes :
marcher sur une distance de cent mètres ; rester assis pendant deux heures ; se lever d’une chaise après être resté
longtemps assis ; monter un ou plusieurs étages par les escaliers sans se reposer ; se pencher, s’agenouiller ou s’accroupir ;
lever ou étendre les bras au-dessus du niveau de l’épaule ; tirer ou pousser des objets volumineux comme un fauteuil ;
soulever ou porter des poids de plus de cinq kilos, comme un gros sac de provisions ; saisir une petite pièce de monnaie
posée sur une table.
(11) Selon Alan Walker (2008) qui souligne que, tout autant que le logement, le quartier doit être adapté aux personnes
âgées pour leur permettre l’activité physique nécessaire à leur santé.
Recherches et Prévisions
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n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
Graphique 2
Pyramides des âges des ménages comparées en 2005 et 2030
600 000
2030
2030
500 000
400 000
300 000
200 000
100 000
0
0
3
6
9
12
15
18
21 24 27 30 33 36 39 42 45 48 51 54 57 60 63 66 69 72 75 78 81 84 87 90 93 96 99
Âges
Source : Alain Jacquot, 2007, « Projections de ménages pour la France métropolitaine à l’horizon 2030 », INSEE Résultats, série Société,
n° 60. http://www.insee.fr/fr/ppp/ir/accueil.asp?page=projmen2030/dd/projmen2030.htm.
l’âge après la retraite. On peut supposer que,
de même que les maisons « de vie active » des
nouveaux retraités peuvent être vendues aux
jeunes actifs fondant une famille, les appartements
des jeunes décohabitants pourraient convenir aux
baby-boomers très âgés quand ces derniers
désireront abandonner la maison où ils ont passé
leurs années de retraite. Une chaîne de résidences
pourrait ainsi se mettre en place (12). En répondant
à la demande des jeunes, on anticiperait celle des
vieux. Il resterait bien sûr à analyser plus finement
la demande de qualité et de localisation de ces
logements adaptés à la fois aux grands âges et aux
jeunes adultes.
Quels établissements pour la fin de la vie ?
Finalement, le poids de la dépendance physique
des baby-boomers se fera sentir à partir de 2030.
Le déménagement vers un établissement d’hébergement pour personnes âgées n’obéit pas aux
mêmes règles que les déménagements effectués
entre logements ordinaires au moment de la
retraite ou du veuvage. Les données longitudinales de l’échantillon démographique permanent
de l’INSEE – même si elles ne fournissent pas
d’information directe sur l’état de santé ni le
revenu – permettent d’observer les mouvements
vers les collectivités entre 1990 et 1999. Ces
mouvements étaient commandés par le fait d’être
déjà inactif en 1990 ou d’être classé en inactif
n’ayant jamais travaillé, ce qui indique une santé
fragile ou un handicap. Le veuvage est aussi un
élément déclencheur, à âge, activité et catégorie
sociale égaux (Christel, 2006). Les données plus
complètes de l’enquête européenne SHARE – qui,
pour la première fois, suit les individus quittant un
logement ordinaire pour un établissement
d’hébergement – permettent d’affiner ce constat.
Ces données montrent que les mouvements sont
influencés par trois facteurs principaux : l’invalidité, le fait de n’avoir ni conjoint ni enfant, et un
faible revenu (Angelini et Laferrère, 2008). Chacun
de ces trois éléments risque de se modifier dans
l’avenir. Un meilleur état de santé, une vie plus
longue en couple mais des séparations plus nombreuses, les variations de fécondité, un niveau
relatif des retraites plus faible, les futures cohortes
de 80 ans et plus différeront des précédentes
selon toutes ces dimensions. Leur arrivée ne se
traduit pas forcément par autant de places de
maisons de retraite classiques à construire. Des
effets de génération modifieront subtilement les
effets d’âge. Par simple projection, on peut estimer
que la population vivant hors « ménages ordinaires » et âgée de 75 ans et plus passera de 448 000
en 2005 à 512 000 en 2018, soit une demande
de 64 000 places en treize ans (Jacquot, 2007 a).
(12) Le phénomène, qui existe vraisemblablement depuis longtemps, est peu suivi statistiquement. La nouvelle offre de
maisons libérées par les seniors risque de nécessiter une adaptation aux nouvelles contraintes climatiques et
environnementales pour convenir à la demande des jeunes familles, en particulier en termes de services de transport publics.
Recherches et Prévisions
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n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
Graphique 3
Part des appartements dans les achats de logement selon l’âge des acheteurs
0,9
0,8
0,7
0,6
0,5
20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70 72 74 76 78 80 82 84 86 88 90 92 94
Âges
0,4
0,3
0,2
Source : calcul de l’auteur d’après Jacques Friggit, 2005, Dévalorisation et paupérisation des appartements par rapport aux maisons, 1994-2002,
Études Foncières, n° 116:13-15 et les bases notariales (années 2000, 2002, 2004, 2006).
D’après Joëlle Gaymu et al. (2007), entre 2000 et
2020, selon le scénario d’évolution de l’état de
santé envisagé, la population des hommes dépendants de cette même tranche d’âge vivant en
institution s’accroîtra entre 16 000 et 35 000 personnes, et celle des femmes entre 13 000 et
25 000. Au total, le flux serait compris entre
29 000 et 60 000 personnes. L’ordre de grandeur
serait un peu plus faible que l’évaluation précédente si l’état de santé s’améliore, et du même
ordre si l’état de santé reste le même. Au-delà de
l’incertitude de ces estimations globales, il faut
noter l’importance de cette demande nouvelle
des générations pleines. Par ailleurs, la clientèle
de ces établissements et, par conséquent, la
demande, seront très diversifiées. On peut opposer
la relative uniformité de la demande en crèches à
la demande plus diverse de personnes âgées
ayant chacune une histoire, une culture et un
cercle de relations. Par rapport au passé, ces établissements logeront de plus en plus d’hommes
en raison des séparations de couples plus
fréquentes (graphique 4).
En résumé, une taille des ménages plus faible
oblige à envisager une hausse de la part des
dépenses de logement, y compris pour les ménages
âgés. La demande d’aménagement des logements
existants est forte et précède celle de construction
de nouveaux logements. La demande nouvelle se
portera plutôt sur des appartements en zone dense,
proche des services requis par les personnes
âgées, et vers des types d’établissements d’hébergement diversifiés.
Recherches et Prévisions
12
Les risques de la propriété
La propriété du logement et, plus généralement, le
placement en logement, sont encouragés. On peut
emprunter pour un logement plus facilement que
pour un autre placement. Des aides publiques, tel
le prêt à taux zéro, sont apportées aux ménages
modestes. La fiscalité de la consommation de logement est avantageuse : il n’y a plus d’imposition du
loyer fictif des propriétaires. Certaines générations
d’acheteurs ont pu déduire les intérêts d’emprunt
de leur revenu imposable. Tel a été le cas, sous des
formes variées, du début des années 1970 à 1997
pour les baby-boomers et, depuis 2007, pour les
nouveaux accédants à la propriété. La fiscalité du
placement logement est aussi comparativement
douce : pas d’impôt sur les plus-values d’une
résidence principale, valorisation à l’impôt sur la
fortune réduite pour un logement occupé.
Des coûts de mobilité résidentielle élevés
Faut-il vraiment encourager l’accession à la
propriété ? Parmi les critiques de l’encouragement
fiscal de la propriété occupante, la première
souligne son aspect antiredistributif et y voit une
immobilisation de capital non productif (Rosen,
1985). L’encouragement fiscal peut augmenter artificiellement la demande et aboutir à un surinvestissement en logement. Par ailleurs, une telle aide se
traduit largement par une hausse des prix qui en
diminue la portée réelle pour les ménages (Berger
et al., 2000). Une autre critique voit dans la propriété
un frein à la nécessaire mobilité résidentielle (Oswald,
n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
1996). Le risque est qu’un propriétaire âgé adapte
moins facilement qu’un locataire sa consommation de logement aux modifications de son
revenu ou de la taille de son ménage par exemple.
De fait, la mobilité résidentielle est plus faible
pour les propriétaires que pour les locataires,
toutes choses égales par ailleurs. Il faut toutefois
remarquer que, comme le logement en propriété
est sans doute plus adapté à son occupant qui a pu
l’aménager à sa guise et anticiper les besoins de
ses vieux jours, la causalité peut être inversée : ce
n’est pas parce qu’on est propriétaire qu’on bouge
moins, mais parce qu’on anticipe de ne pas bouger
qu’on est propriétaire. La propriété permet alors de
« vieillir sur place ». Le cas emblématique de la
veuve occupant seule un grand logement au-dessus
de ses moyens est statistiquement peu fréquent
(Laferrère, 2006). Les coûts financiers de mobilité
sont élevés ; les plus aisés déménagent donc plus
facilement (Laferrère, 2008). Abaisser les droits de
mutation serait un moyen de permettre aux
propriétaires de bouger pour ajuster leur consommation (13). Aux coûts financiers s’ajoutent des
coûts psychologiques de mobilité pour les personnes
âgées qui ont accumulé localement des réseaux
d’amis et des habitudes difficiles à modifier. En la
matière, locataires et propriétaires sont logés à la
même enseigne. On peut penser que c’est une
demande locale qui pourrait se manifester (14),
réduisant ainsi les ruptures de cadre de vie si
préjudiciables au bien-être et à la santé des
personnes âgées (Gilleard et al., 2007).
Un placement risqué
Si le logement est un placement, au-delà de la
garantie de consommation de logement qu’il
procure, il faut que sa valeur se maintienne. Les
mouvements de prix des logements sont importants, tant en cas de bulle immobilière (15) que
parce que tel marché local connaît un boom ou
un déclin. Par exemple, entre 1984 et 1999, dans
33 unités urbaines en province sur 104 de plus de
50 000 habitants, le prix réel moyen d’un appartement a baissé (Laferrère et Dubujet, 2003). En
2008, l’éclatement de la bulle immobilière atteint
la France. Les mouvements de prix sont bien plus
forts que ceux des loyers (16).
Graphique 4
Projection de la population en établissements d’hébergement, par sexe
400 000
Ho mme
Femme
350 000
300 000
250 000
200 000
150 000
100 000
50 000
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 2024 2025 2026 2027 2028 2029 2030
Source : Alain Jacquot, 2007, « Projections de ménages pour la France métropolitaine à l’horizon 2030 », INSEE Résultats, série Société,
n° 60. http://www.insee.fr/fr/ppp/ir/accueil.asp?page=projmen2030/dd/projmen2030.htm
Population hors ménages ordinaires âgée de 75 ans et plus.
(13) La vente de logements est une occasion de taxation lucrative pour les collectivités locales qui rendra une telle décision
difficile.
(14) Selon Alain Jacquot (2007 b), 61 % des logements HLM occupés par des ménages âgés de 65 ans et plus sont en souspeuplement. Un système de bourse d’échange garantissant, par exemple, le maintien dans le quartier d’origine où l’on a ses
habitudes et son réseau social pourrait être mis en place. Mais compte tenu des caractéristiques assez uniformes des
constructions HLM et de leur organisation en offices indépendants, il est peu probable que beaucoup de logements soient
débloqués de cette façon.
(15) Comme sur les marchés financiers, des bulles spéculatives peuvent se former dans l’immobilier, en cas d’anticipation de
hausse des prix par des acheteurs exagérément optimistes au comportement moutonnier.
(16) L’aide publique apportée à la construction de logements neufs accentue le risque de décote à la revente dans la mesure
où elle a été capitalisée dans le prix du logement et l’a fait monter artificiellement (Gobillon et Le Blanc, 2005).
Recherches et Prévisions
13
n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
Le fait que le logement soit un bien de consommation et un placement peu liquide introduit des
distorsions dans la composition du portefeuille. Il
n’est pas assuré que la consommation optimale
de logement corresponde au placement optimal
en logement. La non-divisibilité de la consommation de logement, le fait par exemple qu’on ne
puisse louer une partie de son logement et en
acheter une autre, conduisent à un portefeuille
souvent peu diversifié et non optimal (17). Le rendement du logement est faiblement négativement
corrélé avec celui des actifs risqués, il constitue
donc une bonne façon de diversifier son portefeuille, à condition de ne pas posséder que du
logement (Le Blanc et Lagarenne, 2004). 42 %
des 65 ans et plus déclarent ne posséder que de
l’immobilier. En outre, les marchés du logement
sont par essence très locaux. Le risque logement
n’est donc pas négligeable pour la classe
moyenne qui possède peu d’autres actifs. Pour
qui a considéré son logement comme un placement, au-delà de la consommation qu’il garantit,
les mouvements de prix à la baisse amputeront
l’épargne. Par exemple, on retirera moins qu’espéré
de la vente de son logement en viager. Si on
compte sur la mobilisation de l’actif résidentiel
des personnes âgées pour financer les dépenses
dues au grand âge, il est important d’évaluer ce
risque de baisse des prix.
La propriété : une assurance de sécurité
et de stabilité
Face à ces critiques de la propriété, nombreux sont
ceux qui mettent en avant ses aspects positifs. La
propriété protège contre les risques de variation du
loyer, élément important si les retraites ne sont pas
indexées (Sinai et Souleles, 2003). Elle apporte la
sécurité et la stabilité, si précieuses au fur et à
mesure qu’on avance en âge et que, moins mobile
physiquement, on recentre sa vie sur la sphère
domestique. Les propriétaires occupants s’impliquent
aussi davantage dans la vie de leur quartier. En
entretenant leur bien, ils améliorent leur cadre de
vie et augmentent leur patrimoine. Ils exercent ainsi
une « externalité positive » sur la société (Di Pasquale
et Glaeser, 1999). Que fait le Français propriétaire
au fur et à mesure qu’il avance en âge ? Son patrimoine en résidences secondaires et logements de
rapport diminue avec l’âge, tandis que son patrimoine financier augmente continûment avec
l’âge et que son patrimoine en logement principal
diminue peu, sauf en toute fin de vie. Cependant,
pour ceux qui sont mobiles, on l’a déjà souligné, le
choix se porte plus souvent vers la location que
vers la propriété puisque, avec l’âge, les coûts de
mobilité associés à la propriété sont amortis sur
une durée moins longue. Le logement semble donc
bien servir, dans ce cas, d’épargne de cycle de vie
ou de précaution.
Un placement qui manque de liquidité
Le manque de liquidité du placement dans un
logement le rend difficile à vendre par morceaux
en cas de besoin. Une nuance peut toutefois être
apportée. La vente en viager est un moyen d’extraire
du revenu d’un logement. Pour éviter de mettre en
rapport directement un vendeur et un acheteur qui
parie sur l’espérance de vie du précédent, des
produits financiers viagers nouveaux ont été
créées, comme le prêt viager hypothécaire (Taffin,
2007). On peut également « consommer » son patrimoine logement en l’entretenant moins. Le sousentretien semble avéré chez les propriétaires âgés
(Davidoff, 2004). Une autre façon d’en extraire du
revenu est de diviser son logement ou le partager.
Une maison familiale de deux niveaux ou un grand
appartement peuvent être transformés en deux logements indépendants. Sans forcément déménager, la
personne âgée en occupe un, louant l’autre pour en
tirer un revenu complémentaire, voire pour y loger
une garde en cas de dépendance. Ce comportement reste marginal en France ; il est davantage
répandu en Allemagne où, selon l’enquête SHARE
de 2006, 11 % des propriétaires âgés de 50 ans ou
plus louent une partie de leur logement.
Vieillissement de la population
et prix de l’immobilier
Le vieillissement individuel modifie la demande de
logement. Globalement, celle-ci diminue légèrement après 70 ans et, dans le détail des types de
logement, la demande de maisons diminue tandis
qu’augmente celle d’appartements confortables,
puis celle des résidences adaptées. Ensuite, au
moment de la disparition du conjoint survivant, le
logement est ou finit d’être transmis à la génération
suivante. Conjointement à la modification de la
taille des générations successives et au vieillissement macroéconomique, ceci ne peut pas être
sans influence sur la demande, et donc sur les prix
des logements.
Une fonte prévue du prix des actifs…
Dans un article publié en 1989, Greg Mankiw et
David Weil prévoyaient que le vieillissement des
baby-boomers et l’arrivée de générations creuses
induiraient une baisse de la demande qui, face à
une offre rigide, provoquerait une baisse des prix
(17) On peut consulter Laurent Gobillon et Anne Laferrère (2006) pour une explication de cet effet, mis en lumière par Vernon
Henderson et Yannis Ioannides (1983).
Recherches et Prévisions
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n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
des logements aux USA de 47 % entre 1980 et
2007. Les auteurs se basaient sur des projections de
profil de consommation de logement par âge qui
montraient une baisse de la consommation après
l’âge de 40 ans. Or les effets de générations ont été
forts au cours du XXe siècle : la baisse avec l’âge
observée en coupe conduit à une erreur d’interprétation et ne correspond pas à une baisse réelle
aussi prononcée. La baisse de la demande de logement ordinaire, par passage en maison de retraite,
ne commence que très tard, bien après 80 ans, et
ce n’est vraiment qu’au décès que s’effectue la
transmission des logements. La prévision serait
donc à décaler de quarante ou cinquante ans
(Blanchet et Laferrère, 2007). Plus généralement, le
passage de générations pleines à l’âge où on
diminue son épargne peut avoir des conséquences
sur les prix de tous les actifs, et pas seulement sur
celui des logements. Certains évoquent une Asset
Meltdown Hypothesis, c’est-à-dire la fonte du prix
des actifs. Avec le vieillissement, le prix du travail,
plus rare, montera relativement à celui du capital
(Abel, 2001 et 2003).
… différenciée selon la localisation et le type
de logement…
Les caractéristiques du logement font que cette
vision globale se traduira par des modalités locales
et temporelles variées. C’est dans les zones où
vivaient les actifs que la demande baissera tout
d’abord, tandis que, dans les zones attirant les
retraités, la demande sera au contraire très forte (18).
Comment le marché réagira-t-il ? Les entreprises
s’installeront-elles dans les zones du Nord et de
l’Est ? Qui achètera les maisons libérées ? Serontelles une occasion d’insertion pour les jeunes, les
immigrants et leurs familles ? Les promoteurs
construiront-ils pour une demande plus dense dans
les zones attirantes pour les baby-boomers âgés,
comme la Basse-Normandie, la Bretagne ou la
Bourgogne ? Dans ces trois régions, en effet, l’impact
des migrations sur l’augmentation de la part des
60 ans ou plus entre 2000 et 2030 devrait être le
plus fort (Omalek, 2007, tableau 1). Il est difficile
de prévoir les comportements des futurs retraités.
Ainsi, entre 1990 et 1999, les ex-Franciliens représentaient 43 % des migrants de retraites. Mais les
futurs retraités franciliens seront bien plus que par
le passé natifs d’Île-de-France, propriétaires de
leur logement, et ne vivant pas en couple ; autant
d’éléments qui pourraient faire baisser leur mobilité
de retraite. A contrario, ils seront sensibles aux
mouvements des prix et pourraient vouloir réaliser
les plus-values potentielles accumulées. Philippe
Louchart (2007) résume bien le dilemme : moins
les générations du baby-boom partiront en province
à l’heure de la retraite et plus il faudra construire
de logements en Île-de-France pour répondre à la
demande qui émanera… de leurs enfants. Le
« front » du passage des baby-boomers sera donc
d’importance différente selon les régions, à la fois
parce que les actifs sont inégalement répartis sur
le territoire et parce que les migrations interrégionales seront plus ou moins fortes selon les
régions d’origine. Les risques de déséquilibres
locaux de la demande des jeunes adultes sont
donc importants (19).
… atténuée par les anticipations
Ces changements de prix seront atténués dans la
mesure où ils peuvent être anticipés. De même
que la construction s’est fortement développée au
moment où les baby-boomers sont arrivés sur le
marché, limitant la pression sur les prix des logements existants, de même les flux de construction
ralentis freineront la baisse des prix dans les zones
à excès d’offre. En outre, le baby-boom s’est étalé
sur vingt ans et chacun vieillit à son rythme : tous les
baby-boomers ne se comporteront pas de la même
façon au même moment. Par ailleurs, l’évolution
ralentie des prix limitera en retour les ventes de
certains baby-boomers qui renonceront à déménager… ce qui atténuera la baisse des prix.
Le marché de la location risque aussi d’être modifié.
Le logement de rapport est celui dont on se défait
en premier en vieillissant, avec la résidence
secondaire. Mais alors que cette dernière peut se
transformer en résidence principale, le logement
de rapport est souvent vendu. Compte tenu de la
baisse de la demande de logements de rapport (les
générations suivantes à l’âge de l’investissement
sont moins nombreuses), il se pourrait donc que
le marché locatif se réduise au moment où la
demande des jeunes et celle des très âgés augmente.
Dans le secteur HLM, le vieillissement – particulièrement marqué – aura également des conséquences
importantes. Un investissement de la part des
organismes logeant des personnes âgées dans des
logements depuis longtemps amortis serait sans
doute à souhaiter. Il pourrait s’agir d’une offre de
logements de petite taille répondant à la demande
à la fois des jeunes et des personnes très âgées. On
peut noter qu’une bonne partie des logements
foyers pour personnes âgées appartiennent au secteur
social.
Ce n’est pas tant le vieillissement des nouvelles
générations qui fera baisser uniformément tous les
prix que le passage des baby-boomers à la phase
(18) En 2030, l’Île-de-France devrait être la seule région dont la moyenne d’âge sera inférieure à 40 ans (Omalek, 2007).
(19) Dowell Myers et SungHo Ryu (2008) étudient cela pour les États-Unis.
Recherches et Prévisions
15
n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
de downsizing (diminution de la taille du logement).
Cela devrait conduire à diminuer le prix relatif des
maisons familiales par rapport à celui des appartements adaptés, dont la demande est forte. Sauf
évolution importante des revenus des retraités qui
les obligerait à puiser dans leur épargne, ce n’est
qu’à la disparition des baby-boomers à partir de
2030 – donc au-delà de la plupart des projections
actuelles – que les prix des logements, et des
autres actifs, pourraient globalement baisser. Mais
là encore, il n’y aura pas de mouvement brutal des
prix dû à la seule démographie si la variation de
demande est anticipée (Poterba, 2001 et 2004).
établissement de soins. De façon plus macroéconomique, la baisse des prix liée au vieillissement du baby-boom sera diffuse, comme l’a été la
hausse due à leur passage (20). Par ailleurs, il
s’agira plutôt d’une modification des prix relatifs
des différents logements que d’une baisse globale.
La baisse des prix de certains logements pourrait
alors être bénéfique pour les nouvelles générations d’accédants.
Effet du vieillissement : positif avant
de devenir négatif
Les conséquences intergénérationnelles
Quelles seront les conséquences intergénérationnelles de ces mouvements ? Compte tenu du
très fort taux de propriété des seniors actuels,
beaucoup laisseront un héritage conséquent. Ces
héritages aideront les jeunes héritiers et leurs
enfants à se loger, sans résoudre le problème de la
difficile accession à la propriété des non-héritiers,
ou celle des nouvellement immigrés. Ces héritages
pourront également alimenter le marché locatif.
L’inégalité entre héritiers et non-héritiers sera
atténuée par le fait que les premières générations
à disparaître (les parents des baby-boomers)
ayant eu beaucoup d’enfants, leurs successions
seront donc divisées en davantage d’héritiers.
Mais ceci ne sera plus vrai pour les baby-boomers
eux-mêmes. L’atténuation des inégalités ne pourra
donc venir que de la baisse des prix des logements
qui, dévaluant le patrimoine des héritiers, pourrait
favoriser l’accession à la propriété des nouvelles
générations…
En résumé, le logement est une épargne de
précaution et non de pur cycle de vie. L’efficacité
de la précaution est liée en partie à l’évolution des
prix. Une baisse des prix est sans conséquence
vitale pour un jeune retraité qui chercherait à
acheter un logement dont le prix aura aussi
baissé, même si les mouvements locaux peuvent
obérer l’efficacité de la précaution. Le risque est plus
fort pour un individu du quatrième âge qui doit
vendre rapidement son logement pour financer un
Le vieillissement de la population aura un impact
multiforme sur les marchés immobiliers. La demande
va se modifier en s’éloignant de la maison
familiale avec jardin pour des logis adaptés au
grand âge. Elle se tournera plus souvent vers des
appartements, plus souvent en location, plus
souvent en zones denses (21) et à proximité des
services de soins. Mais cette évolution sera
contrastée. Tout d’abord dans le temps puisque
les nouveaux seniors, parents des baby-boomers,
ne sont pas semblables à leurs aînés : ils sont plus
riches, plus propriétaires, plus souvent parents et
de familles plus nombreuses. En meilleure santé,
ils conservent leur logement le plus longtemps
possible et réalisent leur souhait de vieillir « sur
place », exerçant pour le moment une pression
positive sur la demande de logement, y compris la
demande de travaux d’aménagements. Mais leurs
enfants ne leur ressembleront pas : leurs retraites
seront plus faibles, leur taux de propriété aura
cessé de monter, ils auront connu davantage de
séparations et seront parents de moins d’enfants. Il
faut donc une analyse fine des comportements
matrimoniaux, de fécondité, mais aussi, ce qui est
plus difficile, des revenus qui gouvernent les choix
de logements des différentes cohortes. In fine, le
vieillissement exercera bien une pression négative
sur la demande, même si cela ne se produira
pas avant 2030. Ces changements auront des
conséquences sur les prix relatifs des différents
biens immobiliers, mais elles ne seront pas forcément brutales si elles ont été bien anticipées.
(20) Même si un ajustement à la hausse est sans doute plus facile qu’un ajustement à la baisse.
(21) Tendance qui sera renforcée par la hausse du prix du pétrole.
Recherches et Prévisions
16
n° 94 - décembre 2008
Politiques du logement : questions sociales
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