Supervision de cas : une dépression rebelle
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Supervision de cas : une dépression rebelle
Supervision de cas : une dépression rebelle Robin Shapiro Seattle, Washington, Etats-Unis Arne Hofmann Institut EMDR, Allemagne Earl Grey Université Walden, Pittsburgh, Pennsylvanie, Etats-Unis Supervision de cas est une nouvelle rubrique régulière du Journal of EMDR Practice and Research. Dans cet article, un clinicien EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) décrit brièvement le cas difficile d’un homme, Georges, qui avait été orienté en EMDR pour le traitement d’une dépression ayant débuté plus de deux ans auparavant. Après traitement de tous ses souvenirs traumatiques, il reste aujourd’hui gravement déprimé et son thérapeute demande comment avancer efficacement. Des réponses sont données par trois experts. Le premier, Robin Shapiro, décrit une liste complète d’étiologies possibles : attachement, traumas précoces, facteurs génétiques ou autres causes biologiques, avec les traitements appropriés (EMDR, états du moi ou médicaments). Le second expert, Arne Hofmann, passe en revue le traitement administré et propose d’autres cibles de traitement, suggérant au thérapeute d’aborder la croyance de son client que “rien ne changera” et d’essayer le protocole EMDR inversé. Le troisième expert, Earl Grey, recommande que le clinicien se concentre sur les traumas “t”, même si le client les trouve peu ou pas perturbants, et explique comment développer et mettre en œuvre un “plan de ciblage réparateur de l’ensemble du cours de la vie”. Mots-clés : EMDR ; dépression ; supervision ; traitement Demande du thérapeute Georges m’a été adressé pour de l’EMDR, en vue de traiter une dépression grave qui avait commencé plus de deux ans auparavant. J’ai fait environ dix séances d’EMDR (F. Shapiro, 2001) avec Georges. Les cibles comprenaient les événements perturbants qui s’étaient produits au cours d’une hospitalisation sous contrainte pour un trouble de l’humeur, et d’autres événements de vie perturbants qui avaient précédé cette hospitalisation. Il ne se plaint plus d’aucune détresse liée à l’hospitalisation ou à des événements antérieurs, n’a plus de souvenirs intrusifs à leur propos et a cessé ses ruminations a utour de ces événements. Sa cognition négative (CN) initiale était : “Je suis une mauvaise personne”. Elle s’est transformée en : “Je suis OK”, avec une validité élevée. Il n’a plus de symptômes traumatiques : ils semblent avoir tous été résolus par l’EMDR. Cependant, la résolution de ces problèmes n’apporte absolument aucune satisfaction à Georges, dans la mesure où il demeure gravement déprimé. Il est resté en invalidité, étant incapable de reprendre le travail. Il dit n’éprouver aucun plaisir dans ses activités quotidiennes et se sentir désespéré, car il n’attend aucune amélioration future. La moindre activité lui demande beaucoup d’effort, bien qu’il fasse quotidiennement des promenades avec son épouse qui le soutient de son mieux. Il prend des médicaments : antidépresseurs, antipsychotiques, stabilisateurs de l’humeur. Une fois le travail sur ses souvenirs traumatiques arrivé à son terme, nous avons concentré notre attention sur sa dépression, la prenant pour cible, This article originally appeared as Shapiro, R., Hofmann, A., & Grey, E. (2013). Case Consultation: Unremitting Depression. Journal of EMDR Practice and Research, 7(1), 39-44. Translated by François Mousnier-Lompré. E16 Journal of EMDR Practice and Research, Volume 8, Number 1, 2014 © 2014 EMDR International Association http://dx.doi.org/10.1891/1933-3196.8.1.E16 avec la nouvelle CN : “Je suis un raté”. Nous avons fait des ponts d’affect sur son émotion et sur sa CN actuelle (“Je suis un raté”), mais sans ramener aucun souvenir, et Georges insiste sur le fait que sa vie allait bien avant les événements précédant son hospitalisation – que nous avons déjà traités et qui ne lui posent plus de problème. Georges rapporte avoir eu une enfance ordinaire, sans incident perturbateur notable et sans expérience antérieure au cours lesquels il aurait pu ressentir qu’il était “un raté”. Il insiste également sur le fait que plus aucun événement de sa vie ne lui cause aujourd’hui de perturbation émotionnelle, et qu’il a cessé ses ruminations autour de son passé ; ses seules ruminations, aujourd’hui, ne concernent que sa d épression et sa croyance que rien ne changera. Nous avons fait de l’EMDR sur son vécu dépressif actuel, avec deux cibles – l’image de lui-même se sentant désespéré et les pertes associées – mais cela semble, en fait, le déprimer davantage, car les associations ont tendance à être très négatives. Nous ne pouvons pas travailler sur les ressources parce que Georges ne peut rien imaginer de positif. Rien ne semble bouger avec le traitement et il demeure empêtré dans sa profonde dépression. Il semble que notre échec avec l’EMDR reflète son sentiment d’échec personnel, et j’hésite donc à continuer. Peut-on faire quelque chose ? Réponse de l’expert n°1, Robin Shapiro Selon van der Kolk et al. (2007), l’EMDR est un traitement efficace et rapide pour l’état de stress posttraumatique (ESPT) et les symptômes dépressifs qui en résultent. Sur les traumas qui se produisent à l’âge adulte, cela fonctionne rapidement. Les traumas d’enfance sont plus longs à traiter. Cependant, la dépression peut avoir d’autres causes et le traitement, pour être efficace, dépend de son étiologie. La dépression est de plus en plus conceptualisée comme un processus inflammatoire corporel. La maladie ou le trauma physique, le trauma émotionnel ou le deuil peuvent être à l’origine du processus, disent Hedaya (2009) ; Krishnadas et Cavanagh (2012) ; Raison et al. (2012) ; Wager-Smith et Markou (2011) ; Weil (2011) ; Zunsain, Hepgul et Pariante (2012) et beaucoup d’autres. Ils pensent que les personnes prédisposées à l’anxiété courent davantage de risques d’être stressées et déprimées. Souvenez-vous de la dernière fois où vous avez connu le processus inflammatoire courant que constitue une forte fièvre. Votre corps est passé en mode vagal dorsal (arrêt/extinction) pour vous amener à vous allonger pour guérir. Journal of EMDR Practice and Research, Volume 8, Number 1, 2014 Supervision de cas : une dépression rebelle Si vous n’aviez pas l’excuse de la fièvre, et que vous étiez pourtant fatigué, sans appétit, sans plaisir et en difficulté pour rester en contact avec les autres, nous pourrions diagnostiquer un état dépressif. D’après les tenants d’une connexion entre inflammation et dépression, le corps d’une personne souffrant de dépression passe dans un état similaire, pour tâcher de se guérir. Que faire, donc, avec Georges ? Il a été hospitalisé pour un trouble de l’humeur : vous devez donc vous intéresser aux facteurs génétiques, à l’attachement, et à son passé traumatique complet. Vous devez trouver les facteurs de stress ou les changements dans sa vie actuelle. Afin d’obtenir ces informations, vous pourriez faire un génogramme pour savoir si quelqu’un d’autre, dans la famille, a un passé de dépression, d’anxiété ou d’autres troubles de l’humeur ; explorer les expériences que Georges a faites personnellement avec son trouble de l’humeur ; s’il y avait des perturbations précoces de l’attachement ; s’il a connu des périodes traumatiques ou de stress chroniques dans sa vie; ou s’il y a eu des deuils importants et non résolus dans sa vie. Si vous trouvez des problèmes autour de l’attachement, de la perte, du stress ou du trauma, les procédures EMDR peuvent être suffisantes pour s’attaquer au problème. Si c’est un problème concernant l’attachement, il faut prévoir une thérapie plus longue, ciblant peut-être des scènes entre la mère et le bébé, puis entre la mère et le tout-petit, puis entre la mère et l’enfant plus grand, en utilisant le modèle développemental stratégique de Kitchur (2005) : “Imaginez que vous êtes un bébé dans les bras de votre mère. Vous levez les yeux vers son visage. Quelle émotion cela vous procure-t-il ? Quelle sensation ?” Et vous utilisez le protocole standard pour traiter tout ce qui fait surface. Vous pourriez créer des ressources en utilisant le travail de Steele (2007) sur “la construction d’un soi sécurisé” : “Imaginez-vous adulte, portant dans vos bras ce bébé que vous étiez”. Ou le travail de Knipe (2009) : “Posez votre regard aimant d’adulte sur l’enfant que vous étiez.” Vous attaquez le problème et vous regardez la personne émerger lentement du brouillard. S’il s’agit d’une traumatisation chronique ou d’un trauma ancien, la thérapie nécessitera, là aussi, plus de dix séances. Commencez avec les traumas les plus anciens et remontez jusqu’au présent. Plus vous traitez de traumas, et plus la dépression devrait céder. S’il s’agit de stress chronique, utilisez les trois volets afin de neutraliser les stresseurs passés et présents, puis utilisez le scénario futur pour programmer de nouvelles réponses aux facteurs de stress. E17 S’il s’agit d’une maladie bipolaire, vous informerez votre client sur la maladie, vous trouverez le meilleur psychiatre ou infirmier psychiatrique de la ville et vous travaillerez avec votre client sur la gestion et la prise des médicaments et des suppléments (oméga-3, aspirine, et autres anti-inflammatoires peuvent être utiles), sur l’adoption d’horaires réguliers, et sur la gestion de cette maladie chronique. Le troisième v olet de l’EMDR, le scénario futur, peut être utile pour s’entrainer intérieurement à prendre correctement soin de soi. Les volets 1 et 2 peuvent aider à dissiper la détresse suscitée par le diagnostic : les personnes anxieuses sont plus sujettes au stress et à la dépression. Si vous ne décelez aucune trace de trauma actuel ou ancien, de difficultés d’attachement, ou de trouble bipolaire, le moment est venu de vous concentrer sur d’autres étiologies physiques. Georges a-t-il pris des drogues stimulantes, de type cocaïne ou amphétamines ? Rappelez-vous, ce qui s’élève peut s’effondrer, plongeant les gens dans des états d’hypoactivation (état vagal dorsal). L’ecstasy et les amphétamines épuisent la sérotonine dans le cerveau, produisant une incapacité à se sentir bien. Ce sont les causes évidentes. Pour les causes physiques plus obscures, il faudra orienter votre client vers un médecin compétent, pour chercher la cause sous-jacente de cette dépression jusqu’ici impossible à traiter. De nombreux psychiatres passent à côté de ces problèmes physiques, et un renvoi vers un bon médecin peut faire des miracles. Voici ce que le médecin devrait rechercher : • Des problèmes hormonaux : hypothyroïdie, faible niveau de testostérone, autres insuffisances hormonales • Une infection sous-jacente à bas bruit • Un déséquilibre nutritionnel, en particulier une déficience en vitamine D • Une pression sanguine extrêmement basse • Une blessure ou une douleur chronique qui peuvent créer, soit une réaction inflammatoire à l’échelle de l’organisme tout entier, créant une dépression, soit une réaction opiacée endogène qui imite/crée la dépression • Tout signe de tumeur dans le cerveau, les glandes, ou tout endroit susceptible d’entraîner une réaction dépressive. • Toute maladie systémique inflammatoire non listée précédemment Si Georges est déprimé pour une de ces raisons, vous pouvez toujours utiliser l’EMDR pour atténuer la détresse résultant du fait d’être malade et pour soutenir votre client et l’aider à faire tout ce qu’il faut pour guérir et améliorer son humeur. Concentrez-vous sur E18 la détresse entourant le diagnostic (le cas échéant) ou installez son soulagement d’avoir une cause connue, curable, à ses difficultés. Utilisez des scénarios futurs pour le soutenir dans ce qu’il a à faire. Quelle que soit la cause de sa dépression, n’abandonnez pas le travail avec Georges. L’engagement social améliore l’humeur. L’abandon lui dit qu’il a raison de se sentir désespéré. Faites-lui savoir que vous êtes avec lui. Faites-lui savoir que vous savez à quel point il est perturbant d’être aussi déprimé. Tenez-vous à ses côtés, pendant cette recherche de ce qui s’est passé et des solutions possibles. Réponse de l’expert n°2, Arne Hofmann Le traitement d’une dépression rebelle est un défi sérieux, et l’EMDR n’est pas une baguette magique pour toutes les situations. Cependant, elle peut être un outil de très grande valeur dans le traitement de ces patients qui, autrement, restent dans leur état, ou qu’on traite par thérapie électroconvulsive. Georges semble souffrir d’une dépression majeure qui ne cède pas en dépit d’une médication complexe et d’une psychothérapie bien planifiée. Si je voyais son thérapeute en supervision, j’essaierais de développer avec lui les étapes à venir du traitement dans les domaines suivants : 1. Dans la mesure où le traitement actuel n’a pas apporté de soulagement significatif à Georges, je repasserais en revue les facteurs somatiques contributifs. Il existe plusieurs médications et substances qui peuvent causer ou alimenter une dépression et auxquelles il faudrait mettre un terme ou trouver un substitut. Les antihypertenseurs (particulièrement les bêta-bloquants) ne réduisent pas seulement la pression sanguine, ils ont également parfois un effet dépressogène propre. De même, l’alcool et les benzodiazépines, en particulier dans une situation d’addiction manifeste ou latente, sont parmi les coupables les plus courants pour aggraver ou même déclencher un épisode dépressif. Le troisième facteur somatique contributif possible devrait être écarté : le caméléon de la médecine interne, c’est-à-dire un problème thyroïdien, et l’hypothyroïdie en particulier. Les problèmes thyroïdiens peuvent imiter plusieurs troubles, internes, psychosomatiques et psychiatriques – la dépression entre autres. C’est le cas en particulier si le stabilisateur de l’humeur que prend Georges est le lithium. Le lithium est connu pour affecter les fonctions de la thyroïde et les contrôles de l’hormone stimulant la thyroïde (TSH). Il est généralement recommandé de vérifier un mauvais fonctionnement éventuel de la boucle de feedback thyroïdienne. Journal of EMDR Practice and Research, Volume 8, Number 1, 2014 Shapiro et al. 2. Au cours du travail sur les événements passés liés à sa dépression, le séjour involontaire (“traumatique”) en milieu hospitalier n’est qu’un événement parmi ceux sur lesquels Georges doit travailler. Sa dépression (et ses tendances suicidaires ?) ont commencé plus tôt et, en général, il y a des événements en lien étroit avec le début d’un épisode dépressif. Beaucoup de ces événements déclencheurs d’épisode sont liés à des pertes et des humiliations et pourraient souvent être considérés comme des “traumas d’attachement”. Egalement, si Georges a déjà souffert d’épisodes dépressifs, les événements déclencheurs de ces épisodes antérieurs et les événements potentiellement traumatiques associés à ces derniers doivent aussi être traités (même si le score sur l’échelle d’unités de perturbation (SUD) n’est que de 3 ou 4 et que le souvenir n’est plus intrusif). Je suppose que cela a été fait par le thérapeute et je n’ajoute cela que pour des raisons d’exhaustivité. 3. L’une des voies les plus intéressantes, avec certains clients souffrant de dépression, est de travailler sur les systèmes de croyance. Le thérapeute a essayé de le faire, mais le floatback/pont d’affect, de même que la question d’événements qui seraient associés à l’expérience traduite par la croyance négative : “Je suis un raté” (ce que de Jongh nomme les “souvenirs- preuve”) n’ont pas fait remonter le moindre événement stressant. Toutefois, si l’état dépressif actuel peut être altéré (e.g., techniques d’activation des ressources), j’essayerais de revenir sur les systèmes de croyance plus tard. Parfois, l’état d’un patient déprimé ne permet pas de travailler davantage sur les souvenirs. Plus loin dans le processus thérapeutique, cependant, il peut devenir beaucoup plus facile d’avoir accès à ces mêmes systèmes de croyance et à ces souvenirs et de les travailler. 4.Il existe certains cas de dépression (des cas de dépression chronique la plupart du temps) où, comme pour certains cas d’ESPT, le travail sur les souvenirs passés n’aide pas le patient à sortir de son “état” actuel, hautement symptomatique. Dans certains de ces cas, soit le passé est si complexe (et plein de lacunes) qu’il ne peut être traité en premier, soit le présent est toujours si stressant que chaque fois que vous vous concentrez sur le passé, le présent négatif fait intrusion dans le processus thérapeutique. Pour ces cas, nous avons développé un protocole EMDR inversé (Hofmann, 2009). Au lieu de nous concentrer d’abord sur le passé, puis sur le présent et enfin sur l’avenir (comme dans le protocole EMDR standard), nous nous centrons sur Journal of EMDR Practice and Research, Volume 8, Number 1, 2014 Supervision de cas : une dépression rebelle les problèmes potentiels des jours à venir (futur) et sur le présent avant de travailler sur le passé. Pour y réussir, l’activation de réseaux de ressources est nécessaire. Les ressources imaginaires (comme le lieu sûr) ne sont qu’une des nombreuses possibilités de développement des ressources que je ne peux qu’effleurer ici (Korn & Leeds (2002) pourraient expliquer ceci bien mieux). De mon point de vue, une ressource est un réseau (mnésique) activé relié à un sentiment positif que le patient peut ressentir dans son corps. L’imagination n’est pas nécessaire pour ce type de travail de ressource. Les petits changements dans les sensations corporelles peuvent être provoqués lors d’une séance de thérapie et peuvent faire une grande différence pour un patient. Cependant, ce type de travail sur les ressources peut demander plus que les 10 séances que Georges a déjà eues. Certains patients ont besoin de nombreux mois de travail pour sortir d’un état où ils n’ont plus aucune ressource. La plupart des ressources qu’ils développent concernent des figures d’attachement comme des personnes (y compris parfois le thérapeute) ou des animaux, de petits succès au cours de la thérapie, et ainsi de suite. Dans un de ces domaines, le thérapeute et moi-même pourrions peut-être trouver quelque chose qui nous aiderait à inventer une prochaine étape dans le traitement de Georges. Réponse de l’expert n°3, Earl Grey A partir des informations fournies, les étapes qui suivent peuvent contribuer à un résultat heureux du traitement. Je recommande que le thérapeute conceptualise clairement les difficultés à partir des principes tirés du modèle du traitement adaptatif de l’information (TAI) de Francine Shapiro (2001), avec ensuite le développement et le retraitement des événements de l’ensemble de la vie du client en utilisant un plan de ciblage restaurateur du cours de la vie (Grey & Morrow, 2011). Conceptualisation du cas par rapport au traitement adaptatif de l’information Georges a sollicité un traitement EMDR à cause d’une réaction traumatique à une hospitalisation. Il définit cette hospitalisation comme un traumatisme grand “T”. L’événement perturbateur a exacerbé sa dépression qui semble avoir été permanente à l’âge adulte. Georges ne fait état d’aucun autre trauma majeur au cours de sa vie. De par leur nature, les êtres humains font l’expérience de stress et de perturbations subcliniques (Stewart-Grey, 2008). C’est la perturbation subclinique, liée aux “traumas petit t”, qui alimente probablement en partie les symptômes dépressifs E19 de Georges. Dans la mesure où les événements qui alimentent cette dépression ne sont probablement pas traumatiques, Georges ne les identifie pas comme des facteurs contributifs. La longévité de ses symptômes dépressifs est également soutenue par le fait que ses CN tournent autour du thème de la valeur, décrit par F. Shapiro (2001) comme une défectuosité au niveau de la responsabilité (Grey, 2011; Stewart-Grey, 2008). Par ailleurs, il semble y avoir des facteurs chimiques génétiques, comme en témoigne la nécessité de médicaments psychotropes. La question de l’intervention chimique dépasse le propos de cette réponse. Enfin, Georges indique que son passé ne présente rien de remarquable, que son présent est rempli d’échecs et que le futur est sans espoir. Avec l’omniprésence de ces traumas “t”, les influences génétiques potentielles et les difficultés liées à l’absence du moindre souvenir de traumatisme majeur sur les trois volets, passé, présent et avenir, Georges ne serait pas un bon candidat pour les protocoles EMDR standards. Afin de le traiter de façon efficace, il est recommandé que le clinicien inclue un protocole restaurateur synthétisé au sein des huit phases classiques du traitement EMDR. Il n’y a pas de doute sur la volonté de Georges d’aller mieux, comme en témoignent son attachement à son épouse “qui le soutient de son mieux” et sa participation aux stimulations bilatérales (les promenades quotidiennes). Les stimulations bilatérales activent le lobe frontal en général (Hammond, 2008 ; Squire et al., 2008). La volonté de Georges de participer à sa relation conjugale et à ses promenades fonde la pertinence d’une approche restauratrice du traitement EMDR. Plan de ciblage développemental Discuter avec Georges des étapes développementales de la vie aidera à identifier chez lui les traumas “t” qui sont apparemment inaccessibles. Le but de ce processus est d’identifier les tâches développementales qui ont fait probablement appel à l’aide extérieure d’une figure de soutien, parce que ce sont des points, dans la vie de la personne, où elle n’a pas forcément pu développer un lieu de contrôle intérieur et un attachement plein de sens à elle-même. Le résultat classique des traumas “t” survenus lors de tâches développementales est un soi interne inadapté, avec un lieu de contrôle externe extrême, se traduisant en une dépression et des croyances négatives destructrices sur soi-même (Davies, 2004; Lewis & Elman, 2008). En EMDR, un tissage cognitif communément employé aborde ce problème en développant une interaction imaginaire entre le soi enfant et le soi adulte du client. F. Shapiro (2001) déclare qu’un E20 tissage cognitif utilisant un soi adulte et un soi enfant peut aider le client à “reconnaître qu’il n’est plus un enfant fragile et vulnérable” (p. 257). Cette procédure est un élément central du plan de ciblage développemental dans lequel on traite chaque cible en mettant l’accent sur la restauration de la relation entre deux perspectives sur soi. La perspective dichotomique la plus commune est un grand soi et un petit soi. Lorsque nous avons à faire à une personne qui est un parent, la rencontre du soi parent et du soi individuel peut également être efficace. L’objectif est d’avoir deux éléments du soi : l’un qui possède les compétences nécessaires pour soutenir, faire des apports et protéger, et l’autre qui est capable d’accepter ce soutien, ces apports et cette protection. Le processus est fondé sur le développement normal de la personnalité d’un enfant, et c’est un élémentclé dans le développement de nos perceptions en tant qu’adultes (Davies, 2004 ; Grey, 2010 ; Grey & Morrow, 2011 ; Nico & Daprati, 2009). Pour choisir les événements cibles, le patient et le clinicien ne sélectionneront que les expériences qui favoriseront un lieu de contrôle interne fort en utilisant les deux concepts du soi (c’est-à-dire le grand et le petit). Les événements développementaux communs conduisant à la dépendance d’un enfant à un lieu de contrôle externe sont : (a) “faisceau de lumière”, le premier regard, après la naissance, entre la mère et l’enfant ; (b) apprendre à se tenir debout tout seul ; (c) apprendre à parler ; (d) apprendre à marcher ; (e) faire qu’un élément du soi protège l’autre, ce qui accroît la sécurité intérieure ; (f) des activités ludiques réussies ; et (g) des événements de vie spécifiques que le client identifie comme déterminants dans sa vie. Ce ne sont que des suggestions basées sur le développement humain courant. Le client peut identifier ces événements de vie comme neutres ou positifs. Les événements de vie développementaux doivent être négociés entre le thérapeute et le client. La liste fournie est une suggestion en rapport avec les tâches développementales humaines. Une fois que nous aurons identifié les événements du ciblage développemental, nous utiliserons le protocole EMDR traditionnel. Le clinicien vérifiera chaque cible en utilisant les procédures EMDR standards pour la définition des cibles (F. Shapiro, 2001). Si une CN ou une perturbation existent, alors le clinicien se préparera à utiliser le tissage suggéré précédemment en l’intégrant au protocole de retraitement du passé du client. Dans le cas de Georges, nous pourrions également utiliser l’EMDR afin de traiter les promenades quotidiennes avec son épouse comme une ressource. Utiliser ses marches quotidiennes en y ajoutant une partie du Journal of EMDR Practice and Research, Volume 8, Number 1, 2014 Shapiro et al. soi (le petit Georges ou le Grand Georges), pour aider à la construction d’une relation d’attachement au soi interne de Georges, pourrait être une façon utile de commencer. La relation de soutien établie précédemment, ajoutée à la nature primitive de la marche et au développement de la marche, peuvent aider à soutenir la progression vers une résolution réparatrice. Le plan de ciblage développemental est destiné à renforcer un attachement adapté au soi interne de la personne. Ce processus est indiqué lorsqu’un client se présente avec des déficiences apparentes dans son lieu de contrôle interne, et sans événements-cibles traumatiques ou perturbants repérables. Références Davies, D. (2004). Child development: A practitioner’s guide (2e éd.). New York, NY: Guilford Press. Grey, E. (2010). Use your brain: A neurologically driven application of REBT with children. Journal of Creativity in Mental Health, 5(1), 54–64. Grey, E. (2011). A pilot study of concentrated EMDR: A brief report. Journal of EMDR Practice and Research, 5(1), 14–24. Grey, E. & Morrow, R. (2011, September). Human neuroecology: Attachment, survival, and reflexes in couples. Présentation au congrès annuel de l’American Association of Marriage and Family Therapists, Fort Worth, Texas, Etats-Unis. Hammond, C. (2008). Cellular and molecular neurophysiology (3e éd.). 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Les experts Robin Shapiro (Seattle, Washington), travailleuse sociale clinique indépendante, est clinicienne et superviseuse approuvée de l’Association Internationale d’EMDR (EMDRIA). Elle a édité et contribué à EMDR Solutions: Pathways to Healing (2005) et EMDR Solutions II: Depression, Eating Disorders, Performance and More (2009) et elle a écrit Trauma Treatment Handbook: Protocols Across E21 the Spectrum (2010). Elle est un ancien membre du conseil d’administration du programme EMDR d’assistance humanitaire (HAP). Dr Arne Hofmann, médecin, PhD, est spécialiste de médecine interne et psychosomatique, directeur de l’Institut EMDR Allemagne et formateur approuvé d’EMDR Europe. Il a écrit et édité trois livres sur l’EMDR, le diagnostic et le traitement des troubles dissociatifs. Il est un membre de la commission allemande des directives de traitement de l’ESPT et cofondateur de la société germanophone pour l’étude du stress post-traumatique (DeGPT). Il est enseignant et chercheur international et est actuellement l’investigateur principal d’une étude randomisée multicentrée européenne qui explore les effets de l’EMDR dans les dépressions récurrentes et chroniques. E22 Dr Earl Grey, PhD, est conseiller professionnel diplômé, superviseur approuvé EMDRIA et facilitateur EMDR pour l’Institut EMDR/HAP, de Pittsburgh, en Pennsylvanie. Il enseigne à plein temps à la faculté CORE de l’Université Walden, école de sciences sociales et comportementales, département du counseling. Il est l’auteur du livre Unify your mind sur la neuroscience du traitement de l’information. Il a conduit et publié une étude de cas sur l’utilisation de l’EMDR dans la dépression. Merci d’adresser toute correspondance concernant cet article à Robin Shapiro, 6869 Woodlane Avenue NE, 204 A, Seattle, WA 98115, Etats-Unis. Courriel : emdrsolutions@ gmail.com ; Dr Arne Hofmann, EMDR Institute Germany, Dolmanstrasse 86b, 51427 Bergisch Gladbach, Allemagne. Courriel : [email protected] Journal of EMDR Practice and Research, Volume 8, Number 1, 2014 Shapiro et al.