100% Arabica de Mohamed Zemmouri

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100% Arabica de Mohamed Zemmouri
L'ACTUALITE LITTERAIRE
CINEMA
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100% Arabica
de Mohamed Zemmouri
par
Denise Brahimi
transporté d’emblée dans une
banlieue qui chante et danse (même
si elle vole et “deale” également.)
Avec ces deux chanteurs et cette
excellente idée, le film disposait
d’atouts dont l’efficacité ne se
dément pas. La question se pose de
savoir pourquoi il déçoit cependant, alors même que le public est
convaincu et ne demande qu’à
adhérer.
Une réponse générale consiste à
dire que le comique populaire est
probablement, en matière de spectacle, ce qu’il y a de plus difficile à
manier, et qu’on a beaucoup de mal
à prévoir quels seront les gags qui
passeront et ceux qui ne passeront
pas auprès du public. Pour que la
farce soit bonne, il faut qu’elle soit
de Molière : on voit la difficulté.
S’agissant du film de Zemmouri, on
se pose quelques questions plus
précises, qui ne retirent rien à la
sympathie que le film inspire, mais
qui relèvent à la fois d’une réflexion
sur le comique et sur le cinéma
algéro-français.
Le Zemmouri nouveau est
arrivé! Après le succès
mouvementé de De
Hollywood à Tamanrasset et
le demi-échec de L'honneur
de la tribu, on attendait avec
impatience 100% Arabica,
pour rire un peu dans trop
de drames. Résultat mitigé,
semble-t-il, mais
sympathique.
Qui ne “craquerait” lorsque
Khaled sourit à belles dents, qui ne
se réjouirait que Cheb Mami entre si
bien dans le rôle du ténor joli
garçon? Sans parler d’une langue
savoureuse (il n’est pas inutile
d’avoir un peu de vocabulaire au
départ) et de l’idée même sur
laquelle s’appuie le film de
Zemmouri : la meilleure réponse
aux intégristes pisse-froid et faux
jetons est dans la joie irrésistible du
raï et du rap, que le spectateur
partage lui aussi, se trouvant
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ALGERIE LITTERATURE / ACTION
Pour commencer par celui-ci, il
est certain qu’il est loin d’avoir
épuisé les ressources du raï et
qu’une bonne partie du public (ceux
qui n’étaient pas encore initiés) sort
du spectacle en se disant
enthousiasmé par cette musique —
ce qui est déjà un beau résultat!
Reste l’intégration au film des
parties chantées et dansées, c’est-àdire l’invention d’une comédie
musicale franco-algérienne. Affaire
de rythme sans doute (dans le récit
filmique — celui de la musique
n’est pas en question!) : le genre
donne l’impression de ne pas être
au point. C’est l’inverse de ce qui se
passe dans Le Destin de Youcef
Chahine, qui met brillamment
toutes les ressources de la comédie
musicale égyptienne au service d’un
combat contre l’intégrisme. Mais
cela doit faire une bonne
quarantaine d’années que Youcef
Chahine pratique ce genre qu’il
affectionne et qu’il a adossé aux
principes
de
la
comédie
hollywoodienne.
Pour ce qui est des gags comiques
du film de Zemmouri, ils relèvent
plutôt de la citation de clichés, qu’il
s’agisse de la famille africaine où
tout le monde s’appelle Diop et
utilise la même carte d’identité, ou
de la fuite honteuse du chef
intégriste dans un camion marqué
“viande de porc”. Ce gag, le dernier
du film, est d’ailleurs préparé si
lourdement que personne ne songe à
rire lorsqu’il aboutit.
En fait, le problème n’est pas
qu’un gag soit prévisible et connu
— il l’est généralement — mais
qu’il soit traité avec soin et
sérieusement, c'est-à-dire pris au
sérieux par le réalisateur. Ce n’est
pas le cas dans 100% Arabica, qui
se contente le plus souvent de faire
référence à ce qu’on connaît déjà.
On ne saurait dire du film qu’il
raconte une histoire, puisqu’on voit
d’emblée que la mosquée se vide au
profit des concerts de raï et
puisqu’il n’y a aucun doute sur le
fait que Cheb Mami rejoindra
Khaled pour le concert final.
Aucune intrigue, pas même une
amourette : celle du producteur de
raï avec la soeur de l’intégriste n’est
guère que signalée. Le film a-t-il été
fait trop vite? Sans doute, mais ce
serait dommage d’en rester là car il
aborde un genre riche de
possibilités, et les suppôts de
mosquée pourraient être à notre
époque ce que les médecins de
Molière étaient à la sienne — pour
ne pas parler de Tartuffe — , mais il
s’agirait alors d’un autre genre.
Sans doute faudra-t-il choisir plus
clairement : ou bien les traiter en
pures marionnettes, ou bien nous en
dire plus sur ces intégristes à
voitures décapotables et à djellaba :
défendre la vertu des soeurs et
toucher l’argent de la mairie paraît
un peu court comme motivation.
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