Roman OPALKA - Artotheque de Caen

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Roman OPALKA - Artotheque de Caen
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Roman OPALKA
Autoportraits photographiques
Exposition proposée dans le cadre du Réseau d’Espace Art-Actuel
Artothèque de Caen - Hôtel d’Escoville - Place Saint-Pierre - 14000 Caen
Tel : 02 31 85 69 73 - [email protected]
http://www.artotheque-caen.net
Roman Opalka
Autoportraits photographiques
«... ce que je nomme mon autoportrait, est composé de milliers de jours de travail. Chacun
d’eux correspond au nombre et au moment précis où je me suis arrêté de peindre après
une séance de travail.»
Roman Opalka
Né en 1931, Roman Opalka est l’une des figures majeures de la scène artistique de la
seconde moitié du XXe siècle. À partir de 1965, il décide de couvrir chacune des toiles qu’il
réalise d’une suite de nombres se poursuivant d’oeuvre en oeuvre (chaque toile devenant
un Détail, simple élément d’un projet infini et dont la conclusion ne peut être que la mort
de l’artiste).
Initialement inscrit en blanc sur fond noir, le fond commence à s’éclaircir en 1972 pour
lentement tendre vers le blanc. Ce flux, cette temporalité, cette façon d’inscrire l’écoulement
du temps vécu s’accompagne d’un protocole immuable. Chaque séance donne lieu à la
récitation des nombres en polonais (sa langue natale) et la réalisation d’un autoportrait
photographique en noir et blanc. Chaque portrait, cadré sur son visage, se veut le plus
neutre possible, le plus objectif.
L’exposition est composée d’un ensemble d’autoportraits réalisés entre 1972 et 2008 qui
donnent à voir, dans leur succession, le temps à l’œuvre.
Programme
OPALKA 1965/1 - ∞
Ma proposition fondamentale, programme de toute ma vie, se traduit dans un processus
de travail enregistrant une progression qui est à la fois un document sur le temps et sa
définition. Une seule date, 1965, celle à laquelle j’ai entrepris mon premier Détail.
Chaque Détail appartient à une totalité désignée par cette date, qui ouvre le signe de
l’infini, et par le premier et le dernier nombre portés sur la toile. J’inscris la progression
numérique élémentaire de 1 à l’infini sur des toiles de même dimensions, 196 sur 135
centimètres (hormis les «cartes de voyage»), à la main, au pinceau, en blanc, sur un fond
recevant depuis 1972 chaque fois environ 1 % de blanc supplémentaire. Arrivera donc le
moment où je peindrai en blanc sur blanc.
Depuis 2008, je peins en blanc sur fond blanc, c’est ce que j’appelle le «blanc mérité».
Après chaque séance de travail dans mon atelier, je prends la photographie de mon
visage devant le Détail en cours.
Chaque Détail s’accompagne d’un enregistrement sur bande magnétique de ma voix
prononçant les nombres pendant que je les inscris.
Dossier pédagogique - Exposition Opalka
Biographie
1931 Naît en France de parents polonais
1935 Retour de la famille en Pologne
1940 Déportation de la famille en Allemagne
1945 Libération de la famille par les troupes américaines et départ pour la France
1946 Retour en Pologne
1946-48 Suit une formation de lithographe è l’école de graphisme de Walbrzych Nowa Ruda
1949 Étudie à l’Ecole des Arts Appliqués de Lodz, Pologne
1950 Rencontre avec sa première femme, Alina Piekarczyk
1950-56 Étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, Pologne
1957 Premier voyage à Paris, France
1959-63 Série de peintures monochromes en blanc
1963 Peinture sur la couleur Blanc
1965 Début de l’œuvre OPALKA 1965/1 – ∞
Prix de l’exposition des jeunes peintres polonais à Sopot, Pologne
1968 Elargissement du concept à l’enregistrement vocal
Grand prix de la 1e Biennale Internationale d’Arts Graphiques de Bradford, Grande-Bretagne
1969 10e Biennale d’Arts Graphiques de São Paulo, Brésil
Médaille d’or du graphisme à l’exposition «Gold Bunch of Grapes» à Zielona Gora, Pologne
1970 Concentration exclusive sur l’œuvre OPALKA 1965/1 – ∞
«The Critique’s Reward of Name K.C. Norwid» pour la meilleure exposition individuelle de
peinture à Varsovie, Pologne
Prix de la 3e Biennale Internationale d’Arts Graphiques de Cracovie, Pologne
Prix de la 2e Biennale Internationale d’Arts Graphiques de Bradford, Grand-Bretagne
Prix de la 7e Biennale Internationale d’Arts Graphiques de Tokyo, Japon
Prix du Art Museum Ohara, Tokyo, Japon
1971 Premier prix du Ministère de la culture et des arts de Pologne
1972 Premier voyage aux USA
1976 Rencontre avec Marie-Madeleine Gazeau
1976-77 Bourse du DAAD à Berlin, Allemagne
1977 S’établit définitivement en France
Prix de la 14 e Biennale d’Arts Graphiques de São Paulo, Brésil
1985/90 Professeur invité à l’Académie d’été de Salzbourg, Autriche
1991 Prix National de la Peinture, Paris, France
1993 Kaiserring, prix de l’art de la ville Goslar, Allemagne
1996 Prix spécial du Ministère des affaires étrangères, Varsovie, Pologne
2009 Commandeur dans l’ordre des Arts et Lettres, Paris, France
Médaille d’or du Mérite Culturel « Gloria Artis », Varsovie, Pologne
2011 6 août, décès á Chieti, Italie. Il aura réalisé 231 tableaux «Détails» et le dernier nombre
qu’il aura inscrit est 5.607.249.
Dossier pédagogique - Exposition Opalka
Autoportraits
« J’engage mon corps, pour la durée de mon existence, dans la poursuite
de cette aventure extrême »
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détails
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PISTES PÉDAGOGIQUES
MOTS CLEFS :
TEMPS
Le temps dans sa durée et dans sa création et le temps dans notre effacement, être à la fois
vivant et toujours devant la mort, c’est cela le vrai «suspense» de tout être vivant, présence d’une
conscience, d’un raccourci, d’être déjà là en traçant cette seule réalité. Cette perception est un
prolongement, une ouverture qui s’élargit sur le monde sans écarter la jouissance, mais toujours
avec l’idée omniprésente de la nature propre à la vie, à son écoulement, à son émiettement comme
et avec chacun, afin que les questions sur le vécu puissent donner une concordance lisible de la
même réalité, de sorte que la pensée ne soit pas seulement mienne et que l’on puisse se rencontrer
dans notre unus mundus. Roman Opalka
VANITÉ
Je voulais manifester le temps, son changement dans la durée, celui que montre la nature, mais
d’une manière propre à l’homme, sujet conscient de sa présence définie par la mort : émotion de
la vie dans la durée irréversible.Roman Opalka
AUTOPORTRAIT
Placé devant un de ses tableaux en cours de réalisation, Roman Opalka fait face à l’objectif, son
regard fixant l’appareil chargé d’un film noir et blanc. Le visage d’Opalka s’inscrit dans la logique
temporelle que dessine le mouvement de son œuvre peint, l’espace-temps de la peinture servant de
toile de fond à l’espace-temps de la photographie. La marche irréversible du temps est perceptible
dans le blanchissement des cheveux, le creusement progressif des rides, l’évolution à peine sensible
du regard.
ENGAGEMENT
ll y a trente et un ans, debout devant une toile que j’avais entièrement recouverte de noir, je refermai
la main gauche sur un gobelet de peinture blanche prête à recevoir le pinceau tenu entre les doigts
de la main droite, le geste encore suspendu, mais l’esprit entièrement engagé dans les motivations
de ma décision. Cependant, être certain pour aujourd’hui ou pour un temps non défini est encore
du domaine du réversible et n’implique pas le même poids moral qu’une décision fondée sur toute
une vie, de la part d’un homme encore jeune, qui décide de choisir et de suivre une seule voie.
Frémissant de tension devant la folie d’une telle entreprise, je trempais mon pinceau dans le gobelet
et, relevant doucement le bras, la main tremblante, je posais le premier signe 1 -il y a déjà le tout-,
en haut à gauche, à l’extrême bord de la toile afin de ne laisser aucun espace qui ne participe pas
de la seule structure logique.
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RAPPROCHEMENTS ICONOGRAPHIQUES
On Kawara
Date paintings
Rembrandt
Autoportrait 1629
Autoportrait 1669
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CITATIONS
Le temps arbitraire des calendriers, des horloges, qui ne sont que des instruments de
mesure du temps réversible, ne m’intéresse pas. Il s’efface de lui-même par la répétition
qui le définit, fractions qui annulent le passé sans laisser la trace de leur durée,
focalisation seule du présent.
Je reste attentif à la hauteur de l’écriture en maîtrisant l’écoulement de la peinture de
telle sorte qu’elle ne déborde pas du pinceau par des touches trop appuyées, risquant
de provoquer des épaisseurs exagérées du trait du chiffre par rapport aux proportions
graphiques des signes qui perdraient alors leur lisibilité.
J’arrive à conserver le cap juste, nombre après nombre, rang après rang, sans trop
me préoccuper de leur horizontalité, me sentant libre comme un pilote de planeur qui
n’oublie pas son atterrissage, jusqu’au bas de la toile, m’arrêtant exactement avec un
nombre complet sur l’angle extrême du Détail.
Après avoir trempé le pinceau dans le gobelet, les chiffres sont d’un blanc bien présent,
mais au fur et à mesure que la peinture se raréfie sur le pinceau, ils deviennent de
plus en plus transparents sur le fond, pour apparaître à nouveau clairs et bien visibles
lorsque je reprends de la peinture qui ne reste jamais la même dans sa consistance; de
temps en temps j’ajoute quelques gouttes d’eau dans le gobelet si elle me paraît trop
épaisse pour bien l’étaler, ou au contraire, quelques doses de peinture si elle me semble
trop liquide.
Je ne suis pas devant le chevalet comme un artiste qui se demande ce qu’il va
entreprendre, comment sera son prochain tableau, comment le terminer, quelles
différences formelles, conceptuelles lui donner, se posant sans cesse des questions sur
la pertinence de la nouveauté et la qualité de ses recherches. Je me suis éloigné de
cet aspect de la création, je me suis défini par rapport à ce monde dont je suis sorti,
pour ne retenir qu’une seule qualité, la qualité de l’Homme, la qualité de l’inutile; je
suis devenu un artiste à la manière d’un philosophe mais qui préfère être artiste tout
en demeurant philosophe.
On peut comparer ma vie à une performance semblable à toutes les vies actives, à tous
les défis possibles, ceux d’un océanographe ou d’un alpiniste ou encore à la manière
d’un artiste donnant, au cours d’une soirée, un happening de quelques heures, avec la
différence qu’ici il s’agit de la durée d’une vie.
Citations extraites de «Rencontre par la séparation», 1987
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