L`arrivée et l`accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées

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L`arrivée et l`accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées
PHILIPPE BOUBA
L'arrivée et l'accueil des Pieds-Noirs dans les
Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et Perpignan
face à l'exil des Rapatriés d'Algérie1
PHILIPPE BOUBA
Université de Perpignan
« Ce n’est pas 1830
qui crée le Pieds-Noir mais 1962 (…)
Le rapatriement massif et tragique de l’été
devient l’élément fondateur
de la communauté en exil. »
Jean-Jacques Jordi
L’indépendance de l’Indochine, du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne
française a eu comme conséquence le rapatriement en métropole de la quasi-totalité
des Français vivant dans ces différentes colonies. Pendant la période 1954-1962, le
nombre de personnes quittant ces terres pour la métropole est chiffré respectivement
à 12 000 pour l’Indochine, 265 000 pour le Maroc et 190 000 en ce qui concerne la
Tunisie. L'indépendance de l'Algérie a été la plus problématique. En effet, le
territoire algérien était considéré une colonie de peuplement et composé de
départements français.
Quelques dates de l'histoire de l'Algérie coloniale :
- 14 juin 1830, débarquement des troupes françaises dans la rade de Sidi Ferruch,
- 22 décembre 1847, reddition de l'Émir Abd-El-Kader,
- 8 mai 1945, massacres de Sétif et de Guelma,
- 1er novembre 1954, Toussaint rouge, une quarante d'attentats commis.
- 18 mars 1962, signature des accords d'Évian et cessez-le-feu le lendemain,
- 5 juillet 1962, indépendance de l'Algérie.
Une des conséquences de l'indépendance de l'Algérie a été l’exode en Métropole
de la quasi-totalité de sa population « française » : un peu plus d'un million de
personnes. Ces personnes ont été appelées, qualifiées et définies comme des
Rapatriés. Mais ce terme n'est pas satisfaisant car ces personnes n'ont pas quitté une
terre étrangère pour rentrer dans leur pays mais ont effectué un transfert entre deux
départements français. Mais l'état français s'est retrouvé en difficulté car il ne
trouvait pas de terme juridique pour les nommer correctement.
De nos jours, nous pouvons diviser les rapatriés en deux catégories bien
distinctes :
1. Cet article s'inspire d'un travail de recherche réalisé précédemment par le même auteur :
Philippe Bouba, L'arrivée des Pieds-Noirs en Roussillon en 1962, Canet en Roussillon,
Editions Trabucaire, coll. « Història », 2009, 173 p.
L'arrivée et l'accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et
Perpignan face à l'exil des Rapatriés d'Algérie
- Les Pieds-Noirs (ou Européens d'Algérie – Français citoyens). Les Pieds-Noirs
sont des personnes qui sont nées en Algérie, d'origine européenne qui ont quitté
l'Algérie en 1962. Nous pouvons également y rajouter les Juifs séfarades (utilisation
du terme juif pied-noir) qui ont été naturalisés par le décret Crémieux en 1871.
Avant ce décret, les personnes de confession juive étaient considérées comme les
arabo-berbères, d'indigènes.
- Les Harkis. Personnes qui étaient des supplétifs de l'Armée française pendant la
période 1954-1962, membre d'une harka. Ces personnes et leurs familles ont été
classifier comme des réfugiés en 1962 pour la majorité.
En ce qui concerne la signification du mot « pied-noir », il existe plus d'une
dizaine d'origines, comme les godillots noirs des premiers soldats français ou les
bottes des colons alsaciens. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a aucune trace dans la
littérature « indigène » de l’époque, et le vocable « pied-noir » n’est traduit en arabe
dans aucun récit pendant les années de colonisation. Malgré la complexité de sa
définition et le manque de source sur l’origine du vocable, c’est bel et bien ce terme
qui définit les Français qui sont nés en Algérie pendant la période coloniale et qui
ont quitté cette terre à partir de 1962. Nous pouvons considérer que c’est le mot
« Pied-Noir » qui a construit la communauté des Français nés en Algérie en exil.
Le déracinement a largement contribué à l’éclosion d’une, conscience
commune. En ce sens, la guerre d’Algérie peut être considérée comme la
première étape de l’histoire des Pieds-Noirs2.
Après leur départ d'Algérie, majoritairement les Rapatriés se sont installés dans
tout le Grand Sud de la France et plus particulièrement autour de la Méditerranée
avec comme zones de prédilection la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et le
Languedoc-Roussillon. Selon l’historien Pierre Baillet, à la fin de 1962 on pouvait
dénombrer 29 840 Pieds-Noirs pour le seul Roussillon. Mais tous les Pieds-Noirs ne
se sont pas tous dirigés vers la France, certains ont choisi de recommencer leur vie à
l’étranger : Israël, Québec, Espagne, États-Unis, Australie, Argentine. Mais aussi des
territoires d'outre-mer telles les Antilles et la Nouvelle Calédonie.
Dans les Pyrénées-Orientales, les communes de Perpignan et de Port-Vendres ont
été les deux principales villes qui ont dû faire face à l’exode des Rapatriés d’Algérie.
Perpignan, Préfecture du département, a accueilli le plus grand nombre de PiedsNoirs. Port-Vendres est la municipalité qui, la première, a vu débarquer les Rapatriés
d’Algérie en Roussillon. Avec l’appui des registres de délibérations municipales,
nous avons pu étudier les conséquences de l'arrivée des Pieds-Noirs dans ces deux
communes pour l'année 1962
L'arrivée des bateaux à Port-Vendres
Les Pyrénées-Orientales et plus particulièrement le village de Port-Vendres ont
été à partir de mai 1962 confrontés à l’arrivée massive des Rapatriés d’Algérie. Pour
les autorités françaises, l’arrivée de ces personnes a commencé officiellement dans
2. Charles-Robert Ageron, L’Algérie des Français, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire »,
1993, p. 331.
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les P.O le 27 mai 1962 avec l’arrivée du El Mansour en provenance de Mers-elKébir.
Mais ce ne sont pas les premiers Pieds-Noirs à arriver en Roussillon, puisque
selon L’Indépendant,le département comptait déjà 1 000 Français originaires
d’Algérie3. Le El Mansour a droit à la première page du journal local. Sur une demie
page, on peut lire « 900 Pieds-Noirs ont été reçus fraternellement 4 ». Sur le port du
village se trouvaient les secours, les officiels mais aussi les habitants de PortVendres qui ont pu entendre « Le Chant des Africains » mais aussi la
« Marseillaise ». Selon le journaliste de L'Indépendant présent, il n’y a eu aucun
incident lors du débarquement entre les forces de l’ordre et les Pieds-Noirs. Dix-huit
personnes âgées sont arrivées inanimées et ont été descendues par des brancardiers.
Selon L’Indépendant, la France sera pour ces nouveaux arrivants : « une terre d’exil,
une terre de calme ou un pays de transition. » Voici la liste des différentes
organisations présentes sur le quai afin d’accueillir les Français rapatriés : des
représentants de la Communauté juive, d'Anciens Combattants ou des Victimes de
Guerre. Également les services administratifs des mairies de Perpignan et de PortVendres, les Pompiers (Perpignan, Port-Vendres), les services des PTT, de la
Chambre de Commerce de Perpignan et différentes banques (le Comptoir national
d’escompte, la Banque Populaire, la Société marseillaise de crédit, le Crédit
Lyonnais). Mais aussi des représentants politiques : Xavier Courrèges (Délégué
régional aux Rapatriés), Monsieur Dubois (Préfet des Pyrénées-Orientales), le
Député-Maire de Perpignan Paul Alduy, le Maire de Port-Vendres Henri Conte,
Monsieur Bernon (Commandant du Groupement de la Gendarmerie du
département). Monseigneur Rhodain (Fondateur du Secours Catholique) et le
Directeur départemental des Renseignements Généraux étaient également présents
ce jour-là.
Lors de cette journée, juste avant l’arrivée du El Mansour, un petit chalutier le
Manuel Campio est arrivé en provenance de Beni-Saf avec 30 Rapatriés dont 10
enfants. Pendant l’été 1962, la quasi totalité des pêcheurs du village portuaire de
Beni-Saf ont quitté l'Algérie grâce à leurs chalutiers, c’est-à-dire à bord de leur
propre bateau.
Selon L’Indépendant, plus de 13 000 Français d’Algérie ont quitté leur terre
natale pour rejoindre Port-Vendres au cours du mois de juin. Selon l’étude des listes
nominatives des Français d’Algérie effectuées par les Renseignements Généraux,
seulement 5 200 personnes sont arrivées par la mer. Une telle différence s’explique
par le fait que la plupart des Rapatriés venus avec leur bateau personnel n’ont pas
tous été comptabilisés par les R.G, car ils débarquaient dans un endroit différent
dans le port de celui des paquebots, et parce que l’inscription aux services de
Rapatriés n’était pas obligatoire. Ainsi les listes de bateaux ne comportent pas les
lamparos ou les chalutiers de patrons pêcheurs, notamment ceux de Beni-Saf.
Ensuite toutes les personnes qui effectuent le trajet ne se déclarent pas comme des
Rapatriés, ainsi pour les RG ils ne font pas partie des listes « Rapatriés ». Enfin,
L’Indépendant relate un nombre important d’arrivants en les considérant comme des
Rapatriés alors que dans certains paquebots, il se trouvait par exemple des militaires
3. L’Indépendant, 03/04/1962.
4. Ibid., 28/05/1962.
L'arrivée et l'accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et
Perpignan face à l'exil des Rapatriés d'Algérie
ou des fonctionnaires. Voilà pourquoi, nous constatons une telle différence entre les
deux effectifs.
En comptabilisant les arrivées à partir des informations de L’Indépendant, ce sont
en juillet 8 500 Pieds-Noirs qui ont effectué le trajet entre l’Algérie et Port-Vendres.
Selon les listes nominatives des R.G, le nombre s’élève à 10 600. Cet écart vient
sûrement de la différence de traitement des informations de la part du média local et
des RG. Moins de présence des journalistes de L'Indépendant, moins de reportages,
donc moins d'articles. Mais la réalité est toute autre : à partir de la seconde semaine
de ce même mois, les départs d’Algérie et surtout d’Oran se sont accélérés. Même
constat pour le mois d’août. Selon L’Indépendant, un peu plus de 2 800 personnes se
sont exilées vers le Roussillon. Alors que selon les RG, ce sont 6 100 Français
d’Algérie qui sont arrivés à Port-Vendres. Durant le mois d’août, seulement quatre
articles ont été consacrés aux débarquements de bateaux en provenance d’Algérie. À
partir du mois de septembre, L’Indépendant ne donne presque plus d’informations
sur les arrivées de Pieds-Noirs à Port-Vendres alors que l’exode continue. Au cours
de ce même mois, la presse locale publie seulement un encart le 19 septembre sur
l’arrivée du Cargo Tolba. Or selon les Renseignements Généraux, 1 800 personnes
ont débarqué dans les Pyrénées-Orientales ce mois-là. Pour le mois d’octobre, selon
les R.G. toujours, 1 850 arrivées sont dénombrées mais en étudiant L’Indépendant,
on ne trouve la trace que de 500 personnes. Par contre le 18 octobre, la question des
Français d’Algérie réapparaît. Le quotidien local titre dans une page locale que « les
Rapatriés affluent toujours à Port-Vendres ». À bord du El Mansour, 283 Pieds-Noirs
« affluent » sur le quai du port roussillonnais. Quand les RG notent 1 000 Rapatriés
en novembre et 650 en décembre, L’Indépendant ne publie aucun article faisant état
de ces différentes arrivées. Ainsi l’étude de la seule presse quotidienne ne peut pas
rendre clairement compte de la réelle importance du rapatriement des Français
d’Algérie.
Nous pouvons nous interroger sur les raisons pour lesquelles les journalistes de
L’Indépendant n’ont pas couvert l’exode jusqu’à la fin de l’année 62. Manque de
journalistes ? Baisse de l’intérêt médiatique ?
Entre juin et décembre 1962, un peu moins de 29 000 Pieds-Noirs sont arrivés
dans les Pyrénées-Orientales. Ceux qui ont décidé de rester dans le département se
sont installés majoritairement soit à Port-Vendres, soit à Perpignan.
Nombre de Pieds-Noirs arrivés en Roussillon selon la provenance et le mois de
l’année 19625 :
Régions
Port de
l’Algérois
Par l’Espagne
Port de
l’Oranie
Total
Juin
2.974
75
2.202
'5.251
Juillet
1.852
513
8.818
11.183
Août
2.314
106
3.822
6.242
1962
5. 104W 6, accueil des Rapatriés d’Afrique du Nord, Listes nominatives, divers, note des
Renseignements Généraux, 1962-1963.
PHILIPPE BOUBA
Septembre
794
105
1.080
1.979
Octobre
812
46
1.044
1.902
Novembre
228
88
764
1.080
Décembre
475
60
172
707
Total
9.449
993
17.902
28.344
Port-Vendres
- L'économie.
La commune de Port-Vendres s'est engagée à trouver des logements d'urgence
pour les pêcheurs rapatriés et leurs familles, qui ont voulu rester et travailler à PortVendres. La relance de l'économie et le logement ont été les deux thèmes abordés
dans les séances des différents conseils municipaux durant l'année 1962. La question
des Rapatriés est abordée lors du Conseil Municipal du 19 juin 1962. Le Maire
évoque les conséquences pour l’économie locale de l’arrivée de chalutiers de
Rapatriés :
L’arrivée de nombreux chalutiers en provenance d’Algérie (Beni-Saf, Nemours,
Arzew) permet d’espérer, par leur fixation à Port-Vendres, une évolution de la pêche
susceptible d’engager un nouvel essor économique de la ville, profitable
également au département et à la région6.
Le 21 août lors du Conseil, le Maire de Port-Vendres, Henri Conte, affirme :
[Nous devons] venir en aide à des familles qui ont dû sous la pression des
évènements, quitter précipitamment leur foyer algérien, pour se réfugier en France
dans des conditions souvent épouvantables7.
Puis il ajoute :
Les Rapatriés retenus à Port-Vendres [sont] un capital humain représentant des
familles de pêcheurs équipant les chalutiers qui se sont réfugiés dans le port.
L’essor donné à la pêche peut transformer totalement l’économie.
Dès 1962, le Maire de Port-Vendres voit dans l’installation des pêcheurs piedsnoirs une chance pour l’économie de son village. Le bilan économique grâce à
l’arrivée de 47 chalutiers et lamparos, lui donnera raison. A Port-Vendres, les
Rapatriés ont ainsi fait basculer la pêche du stade artisanal au stade industriel. Les
patrons pêcheurs d’origine pied-noire inciteront les marins catalans à se lancer dans
la pêche au thon, très rémunératrice. La reprise du dynamisme de Port-Vendres dans
les années soixante leur doit beaucoup.
6. Délibérations du Conseil municipal de Port-Vendres, 19/06/1962.
7. Ibid., 21/08/1962.
L'arrivée et l'accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et
Perpignan face à l'exil des Rapatriés d'Algérie
- Logement.
Outre la question économique, dès juin 1962, le problème du logement fait partie
des préoccupations de la municipalité de Port-Vendres. Le 19 juin, ce sujet est
abordé par le Conseil Municipal :
Le problème immédiat le plus grave qui se pose est celui du logement. Le Conseil
municipal a décidé pour assurer un logement (…) de la mise à la disposition des
familles de rapatriés de tentes et de bungalows acquis par la ville, à cet effet 8 .
Une mesure de première urgence puisque le Conseil considère que cette
« situation ne saurait s’admettre au-delà de l’automne et il importe de donner à ces
familles démunies, des locaux convenables pour passer l’hiver. » En conséquence,
sur le terrain municipal du « Val de Pines », on décide de construire une
cinquantaine de logements pour permettre à quelques familles de s’y loger pendant
la période hivernale.
Des habitants de Port-Vendres se font connaître et mettent des logements à la
disposition de la Mairie comme Monsieur N. qui propose un immeuble :
Cet immeuble qui est mis en vente actuellement par son propriétaire actuel,
comprend deux étages sur rez-de-chaussée, soit quatre logements. Monsieur N. ne
veut pas avoir à traiter avec les familles9.
Le propriétaire recevra 500 francs et la municipalité louera 600 francs à ces familles.
Le supplément servira pour les charges et les assurances. Ce qui finalement arrange
tout le monde. Tentes, bungalows, immeubles réquisitionnés, tout est mis en œuvre
pour résoudre ce problème crucial du logement.
La construction des cinquante logements sera le dossier le plus important de la
Mairie. Le 21 Août 1962, en Conseil Municipal, le Maire explique qu’il y aura
quatre blocs de 12 logements, soit au total 48 petits pavillons :
Ces 48 logements d’urgence ont une nécessité absolue pour les familles de pêcheurs
rapatriés d’Algérie. Il serait inhumain de laisser ces familles sous des tentes durant
la saison hivernale10.
Mais l’existence de ces 12 blocs ne sera effective qu’au printemps 1963. Appel
d’offres, obtention de crédits, autorisation de la Préfecture, le projet a pris du retard.
Ainsi, certaines familles de pêcheurs rapatriés ont dû passés cet hiver-là sous des
tentes ou dans des habitations sans confort.
8. Ibid., 19/08/1962.
9. Idem.
10. Idem.
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Perpignan.
- Les aides.
Le Conseil municipal de Perpignan aborde le « sujet » des Français d’Algérie
pour la première fois fin mai 1962, soit quelques jours avant l’arrivée massive dans
le département. Le Député-Maire de Perpignan, Paul Alduy souhaite que sa
commune s’engage financièrement :
L’ouverture d’un crédit de 5 000 francs destiné à couvrir certains dépannages qui
interviendront pour la réception des Rapatriés d’Algérie (…) Les arrivées de
Rapatriés ne vont pas manquer de devenir très importantes au cours des jours
prochains11.
Après un débat entre les élus, le Conseil Municipal vote à l’unanimité un crédit de
20.000 francs. Voici l’exposé final de Paul Alduy :
Mes chers collègues, désireux de témoigner notre solidarité agissante à l’égard de
nos compatriotes Rapatriés d’Afrique du Nord, la ville a pris diverses mesures afin
que ces derniers et notamment les vieillards et les enfants trouvent, dès leur
débarquement de Port-Vendres, le réconfort moral et matériel auquel ils ont droit.
Aussi, proposons nous de décider l’ouverture par autorisation spéciale en dépense
d’un premier crédit exceptionnel de 20 000 NF., au Chapitre 26, Article 13 :
« Rapatriés d’Afrique du Nord – Secours et dépenses diverses12.
En septembre pour la rentrée des classes, le Conseil Municipal décide de
l’attribution de bourses municipales d’études de 100 francs, à plusieurs enfants
pieds-noirs inscrits dans un établissement public ou privé des Enseignements
secondaire ou technique.
Certaines familles de Rapatriés d’Afrique du Nord disposant de ressources très
limitées, doivent faire face, à l’occasion de la rentrée des classes, à des dépenses
importantes résultant de l’achat des livres scolaires pour leurs enfants. Désireux de
venir en aide à ces familles nécessiteuses, nous vous proposons de décider
l’attribution de bourses municipales13.
Mais le Conseil Municipal de la commune n’est pas totalement souverain, en cette
matière ; il lui faut l’accord de la Préfecture des Pyrénées-Orientales pour mettre en
place ces bourses municipales. Le 25 octobre, le Préfet écrit à Paul Alduy :
« J’ai l’honneur de vous faire connaître que le principe de cette décision ne
soulève pas d’objection de ma part. Je vous demande, cependant, de me soumettre
la liste nominative des bénéficiaires avec, en regard, un exposé succinct de la
situation de leur famille résultant de l’enquête que vous aurez fait effectuer au
11. 1D4/24, Compte rendu.
12. 1D1/50, Délibérations du Conseil municipal, 25/05/1962.
13. 1D1/50, Délibérations du Conseil municipal, 28/09/1962.
L'arrivée et l'accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et
Perpignan face à l'exil des Rapatriés d'Algérie
préalable (profession des parents, ressources, établissement fréquenté, conditions
de logement, etc…)14. »
Paul Alduy répond une dizaine de jours plus tard pour « rassurer » le Préfet sur
l’enquête sur les familles mais aussi pour savoir pourquoi sa réponse a été si tardive.
En effet, la rentrée scolaire a eu lieu et aucune bourse n’a encore été attribuée :
« Je tiens à préciser que ces bourses municipales d’un montant modeste, ne
seront attribuées qu’après une enquête sérieuse effectuée par les services du
Bureau d’Aide Sociale de notre ville. Toutes garanties ont donc été prises pour que
ces bourses ne soient accordées qu’à des familles dignes d’intérêt (…) Je
comprends difficilement les raisons pour lesquelles cette délibération ne m’a pas
encore été retournée, revêtue de votre approbation (…) Dans ces conditions, je vous
prie de vouloir bien me renvoyer d’urgence, après approbation, la délibération du
28 septembre susvisée, afin de ne pas retarder plus longtemps l’octroi aux familles
intéressées du bénéfice des dispositions adoptées par le Conseil Municipal 15.
L’arrivée des Rapatriés d’Algérie en Roussillon et principalement à Perpignan a
provoqué une augmentation significative du nombre d’enfants scolarisés. Les écoles
de la ville de Perpignan n’ont pas pu accueillir convenablement ces nouveaux
inscrits car les infrastructures ne s’y prêtaient pas. En conséquence, la Mairie
demande à l'État de pouvoir acquérir des salles de classe en supplément. Le 19
octobre 1962, le Ministre de l'Éducation nationale accepte et attribue huit classes en
préfabriqué à la commune :
[Ces classes sont] destinées à assurer la scolarisation des enfants rapatriés. L'État
prend en compte la fourniture des classes, leur transport, leur montage et les
travaux d’adaptation au terrain16.
La municipalité de Perpignan a su gérer cet afflux de population. Durant l’année
1962, elle a consenti deux gros efforts financiers pour les Rapatriés d’Algérie. Ces
aides ont permis à la communauté pied-noire de se sentir bien accueillie. Si ces
différents soutiens sont significatifs de l’estime que portait le Député-Maire de
Perpignan aux Pieds-Noirs, c’est la réalisation de la Cité du Moulin-à-Vent.
- Le Moulin-à-Vent, « Cité-Rapatriée » ?
En 1960, Paul Alduy, élu depuis un an à la Mairie de Perpignan, lance son grand
projet : le Moulin-à-Vent. Ces appartements devaient, à l’origine, loger les enfants
du baby boom17. Paul Alduy n’a donc pas décidé de construire le Moulin à Vent
spécialement pour les Rapatriés de sa ville, puisque son idée de cité HLM datait de
1960. C’est l’arrivée des Pieds-Noirs qui a engendré la « fonction » de la cité du
14. 2D3/237, Courrier reçu, 15/05/1961-12/07/1963.
15. 2D3/235, Courrier départ, 20/09/1962-12/11/1962.
16. Ibid., 15/05/1961-12/07/1963.
17. Carine Corbi, Le Moulin-à-Vent, exemple d’une politique d’urbanisation, mémoire de
maîtrise, Université de Perpignan, 1996, p. 8.
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Moulin-à-Vent de « Cité de Rapatriés ». Dans l’imaginaire perpignanais, Paul Alduy
a demandé la construction de la cité du Moulin-à-Vent pour accueillir les PiedsNoirs. En d’autres termes, il a bâti ces logements spécialement pour les Repliés
d’Algérie. Même s’il est vrai que 21,5 % des appartements ont été habités par les
Pieds-Noirs18, nous ne pouvons pas dire que cette cité a été construite pour eux. Par
contre, la ville de Perpignan a logé en priorité au Moulin-à-Vent, les Pieds-Noirs
sollicitant un appartement.
La construction de cette cité a débuté le 12 juin 1962 en présence du député
maire de Perpignan, du Préfet des Pyrénées-Orientales et des autorités du
département. Le 28 juin 1963, les premiers appartements sont prêts, et ce n’est qu’à
l’automne 1964 que prend fin l’édifice du Moulin-à-Vent. Lors d’une allocution de
Paul Alduy au sujet du Moulin-à-Vent et de ses habitants, il remercie les Pieds-Noirs
d’avoir choisi sa cité pour leur nouveau départ en France :
Je voudrais que les Rapatriés retrouvent ici la petite patrie qu’ils ont perdue làbas, qu’ils sachent que la terre catalane est très accueillante et que le Moulin-àVent essayera de l’être plus encore. C’est un privilège que vous ayez été les
premiers à nous faire confiance19.
En Roussillon, d’autres municipalités sont intervenues pour aider les Rapatriés.
À Céret à l’initiative du Maire, un Comité d’aide aux Pieds-Noirs a été créé. Il était
chargé de coordonner la solidarité cérétane : «de grouper les efforts en vue de leur
apporter l’aide matérielle et le soutien moral 20 ». Les membres en sont le Maire du
village, Henri Guitard et des représentants de l'Église, des Forces de l’Ordre, de la
Mairie, de la Préfecture et de l'Éducation Nationale. Une vingtaine de jours plus
tard, c’est au tour de la commune de Thuir de décider la création d’un Comité d’aide
aux Rapatriés d’Algérie dont « le but est apporter une aide sur plan matériel et
psychologique mais aussi de faciliter l’hébergement 21. » Ce Comité est formé du
Sénateur-Maire, Léon Grégory et des membres d’associations d’Anciens
Combattants, de différents corps de fonctionnaires, de centrales syndicales (CGT,
CGT-FO, CFTC, FEN), d’organisations agricoles, du Culte Catholique et
d’établissements hospitaliers et d’œuvres de bienfaisance. Il définit son action
comme « un devoir de solidarité au-dessus de toute préoccupation politique ».
L’accueil et le reclassement des Rapatriés ont été avant tout le travail de l'État.
Les délégations régionales aux Rapatriés et les préfets se sont occupés de presque
tout. Malgré cela, en étudiant les différents conseils municipaux de Perpignan et de
Port-Vendres, nous pouvons comprendre l’impact qu’a eu l’installation de PiedsNoirs dans ces deux communes. Le logement a été le dossier le plus important. Ces
deux villes ont décidé de mettre à disposition de leurs nouveaux résidents, un habitat
afin de leur permettre de reconstruire leur vie en Roussillon. La Mairie de Port18. Ibid., p.26.
19. Ibid., p.8.
20. L’Indépendant, 06/06/1962.
21. Ibid., 26/06/1962.
L'arrivée et l'accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et
Perpignan face à l'exil des Rapatriés d'Algérie
Vendres a décidé de mettre à la disposition des familles sans toit, dès leur arrivée,
des logements en préfabriqué ou de simples tentes puis des logements décents.
Mais, derrière l’important problème du logement de ces familles de pêcheurs se
cache une volonté de la part du village d’utiliser cet apport de travailleurs comme
une source de relance économique. Quant à Perpignan, c’est principalement en
logeant prioritairement les Pieds-Noirs dans la toute nouvelle Cité du Moulin-àVent, que Paul Alduy a aidé principalement cette population.
Malgré le caractère massif et soudain de l‘exode de l’été 1962, tous les Rapatriés
d’Algérie n’ont pas quitté le sol algérien pendant cette période. En 1963, en 1964 et
en 1965, respectivement 80 000, 30 000 et 15 000 Pieds-Noirs ont débarqué en
France. Une petite partie est même restée en Algérie pour prendre la nationalité
algérienne, ces personnes ont été appelées les Pieds-Verts 22. En ce qui concerne les
Pyrénées-Orientales, 1 778 Rapatriés sont arrivées en 1963 par bateau à PortVendres ou en passant par l’Espagne23.
22. Vert étant la couleur de l’Islam et une des deux couleurs du drapeau algérien.
23. 104W 6, accueil des Rapatriés d’Afrique du Nord, Listes nominatives, divers, note des
Renseignements Généraux, 1962-1963.