quelle information… dans 30 ans
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quelle information… dans 30 ans
30 IEIF RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES L’immobilier dans 30 ans QUELLE INFORMATION… DANS 30 ANS ? © Sandra Garbati par Jean-François Grazi Président, Business Immo P our répondre à la question « quelle information en 2046 ? », il faudra avoir répondu à celles-ci : « quel lecteur serai-je dans 30 ans ? » ; « et si le lecteur disparaissait au profit de l’émetteur ? » ; « les supports de lecture existeront-ils toujours ? ». qu’en disent ses fervents supporters, a définitivement perdu. De 1999 à 2015, la diffusion cumulée des trois premiers quotidiens nationaux français que sont Le Parisien/Aujourd’hui, Le Figaro et Le Monde a chuté de 26 %2. Les trois dernières décennies auront suffi à nous défaire des outils filaires au profit des outils nomades. Nous sommes passés progressivement de l’analogique au numérique et à la dématérialisation. Pour comprendre comment cela a été rendu possible, un rappel des faits et des dates paraît nécessaire. Le mardi 16 septembre 2014, le web dépassait le milliard de sites3, un quart de siècle après sa création. Les éditeurs de presse ont ainsi dû repenser leurs modèles économiques et investir massivement dans le web. Ceux qui ne l’ont pas encore fait sont voués à disparaître. DE L’ÉVOLUTION DES OUTILS ET DES SUPPORTS Le lundi 30 mai 2016 à 18h30 (heure française), Internet Live Stats recensait plus de 172 milliards de mails (2,5 millions de mails/seconde) envoyés dans le monde. Au milieu des années 1980, le traitement de texte introduit dans les ordinateurs PC remplace progressivement la machine à écrire dans les rédactions. L’arrivée, en 1984, du Macintosh développé par Apple puis le lancement de la suite bureautique Microsoft Office, en 1989, achèvent la petite machine au retour de chariot tintant avec sa feuille A4… L’imprimante est née. En 1990, il y avait près de 350 000 fax en service dans les entreprises françaises. En 2016, le numéro de fax disparaît progressivement des cartes de visites professionnelles. Ce média s’est évanoui. Pourtant, il a fait les beaux jours de certains éditeurs – notamment dans la presse immobilière BtoB – qui l’utilisaient pour informer instantanément leurs lecteurs. À la fin des années 1990, le téléphone portable fait une entrée en force dans les sociétés développées. Au 31 décembre 2015, la France comptait 72 millions d’abonnés1 mobiles pour 67 millions d’habitants. Supports papier et sites Internet se sont livrés une guerre sans merci durant vingt ans. Le papier, quoi 1. Chiffres ARCEP. 2. Source OJD. 3. Chiffres Internet Live stats. Ces statistiques révèlent le chaos dans lequel nous sommes entrés et qui semble nous aspirer, tel un vortex technologique, de plus en plus vite vers un futur à la fois effrayant et fascinant. Pourtant, nous n’en sommes qu’au début du voyage. LE RAPPORT DU LECTEUR À L’INFORMATEUR S’INVERSE Au début des années 2000, nous voilà donc, lecteurs et éditeurs, empêtrés dans la Toile. L’intrusion d’Internet dans notre quotidien a connu son essor au bureau. L’arrivée de l’ADSL, qui permet de recevoir des données numériques via une ligne téléphonique, fait son entrée dans les plateaux. Dès lors, plus rien n’entravera l’essor de ce nouveau média. Le cauchemar de l’éditeur de presse grand public (BtoC) mais aussi celui de la presse professionnelle (BtoB) ne fait que commencer. L’information diffusée via Internet met à mal les modèles écono- No 77. 3e TRIMESTRE 2016 L’immobilier dans 30 ans miques d’éditeurs de la presse immobilière, fondés au XXe siècle, qui tiraient leurs revenus grâce à des abonnements aux tarifs prohibitifs au regard des contenus proposés sous le seul prétexte de la confidentialité de l’information1. Le lecteur, pour sa part, va y trouver son compte. Il n’a même que l’embarras du choix. Les sources d’information semblent inépuisables. Et celui qui se rendait à son kiosque pour acheter son quotidien ou qui recevait ses lettres « confidentielles » une fois par semaine peut désormais, quand bon lui semble, se connecter au web pour rechercher et consulter les informations de son choix… sans se soucier de la source d’information. Le lecteur zappeur est né. Multiplication des sources et gratuité d’accès à l’information allaient faire basculer l’offre et la demande. Désormais, c’est au lecteur de dicter ses choix aux éditeurs. Bienvenue, enfin, dans le XXIe siècle ! ANTICIPATION Le futur des nouveaux outils et supports de l’information se pense aujourd’hui. Toutefois, les deux grands absents de ce scénario futuriste sont l’éditeur et le lecteur. Ils assistent, passifs, à l’émergence de nouvelles technologies et n’ont pas d’autre choix que de s’adapter. Au début des années 2000, la source d’information Internet a consacré l’écran d’ordinateur comme premier support de lecture. Une décennie plus tard, c’est un autre écran, plus petit, transportable, individuel, qui a pris le pouvoir : votre smartphone ! Selon l’étude de Reuters Digital News Report 2015, 46 % des habitants de 12 pays2 consultent au moins une fois par semaine leur smartphone pour s’informer. Dans certains pays comme l’Australie, le Danemark, la Finlande et l’Irlande, ce chiffre dépasse les 50 %. À noter que les 18-24 ans – qui auront donc 48-54 ans en 2046 – sont ceux qui parcourent le plus les sources en ligne contre les 55 ans et plus (qui auront 85 ans en 2046) qui consultent plutôt la télévision et le papier pour s’informer… Nous commençons à y voir plus clair. Un éditeur qui veut survivre aux trente prochaines années a donc tout intérêt à investir dans les nouvelles technologies. Voilà pour les supports. Mais quid du journaliste qui doit produire toujours plus et plus vite ? Son futur est 31 déjà en marche. Y a-t-il sa place ? Les géants tels que Google, Apple et Microsoft investissent des centaines de millions de dollars dans l’acquisition de start-up qui développent de la « matière grise numérique3 ». Entendez par là des algorithmes qui produiront de l’intelligence artificielle transmise à des robots journalistes. Et ce n’est pas de la science-fiction ! En mars 2014, le site Internet du Monde a utilisé les services d’un robot journaliste pour couvrir les résultats des départementales. Ce dernier a produit 36 000 brèves donnant les résultats électoraux de la soirée. Ailleurs, Forbes ou le Los Angeles Times avaient déjà fait appel, avec succès, à des robots rédacteurs. Pour autant, les robots journalistes sont-ils des journalistes ? En fait, « les robots journalistes ne sont ni des robots, ni des journalistes », analyse Éric Scherer, directeur de la prospective chez France Télévisons dans un article intitulé « Faut-il craindre les robots journalistes ? »4. Quittons le point de vue corporatiste cher à cette profession encartée – dont je fais partie – pour nous attarder au sous-jacent de cette réponse. L’avènement du robot journaliste n’est pas celui de la matérialisation d’une armée de robots clinquants qui envahiraient soudainement les salles de rédaction, mais l’introduction dans les systèmes d’informations de puissants algorithmes. Ces systèmes d’informations accueillant et enregistrant seconde après seconde des quantités gigantesques de données, autrement appelées big data. Qui alimente ces systèmes d’informations ? Les éditeurs qui ont mis en ligne leurs contenus. Vous, moi, nous tous qui interrogeons Google plusieurs fois par jour. Les adolescents, qui téléchargent des applications par dizaines. Ce trafic produit des quantités énormes de données. Les algorithmes sont chargés de résoudre le problème suivant : vous posez une question, vous devez obtenir une réponse… pertinente. Pas si simple ! Et tout l’enjeu du futur de l’information se situe à cet instant où l’algorithme intervient pour trouver dans les données – à notre place – ce que nous cherchons. Posons une première question à notre algorithme préféré (Google) : « combien sommes-nous à poser des questions chaque jour sur Internet ? ». Réponse : « un peu plus de 3 milliards », soit 42 % de la population mondiale… Pas besoin d’algorithme pour comprendre l’enjeu économique. 1. Voir précédent article du même auteur dans Réflexions Immobilières, n° 67, 1er trimestre 2014, « Information immobilière, petite histoire d’une grande mutation ». 2. Les 12 pays concernés par l’étude de Reuters Institute for the Study of Journalism : Allemagne, Brésil, Australie, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Irlande, Italie, Japon, Royaume-Uni. 3. Natacha Tatu, « Et maintenant, des robots journalistes ! », Nouvelobs.com, 20 août 2014. 4. Éric Scherer, directeur de la prospective, « Faut-il craindre les robots journalistes ? », meta-media.fr, France Télévisons, 10 février 2016. Le futur des nouveaux outils et supports de l’information se pense aujourd’hui 32 IEIF RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES L’immobilier dans 30 ans Allez, une deuxième question : « les 5 sites les plus visités dans le monde ? ». Réponse : « Google, Facebook, YouTube, Yahoo ! et Baidu »… Pas besoin d’algorithme pour constater que les éditeurs de presse ne sont plus les premiers fournisseurs d’informations. ÉDITEUR ET LECTEUR, DEUX ESPÈCES EN VOIE DE DISPARITION Nous voilà en 2046. L’information est un ensemble de réponses diffusées – et mises à jour – en permanence vers nos objets connectés : réfrigérateur, voiture autonome, fauteuil réservé dans le train hyperloop…, jusqu’à la puce sous-cutanée. Je n’ai plus besoin de poser la question pour avoir la réponse. Là où je me trouve, avec qui, pourquoi, suffisent à générer la question. Comment vais-je vérifier la source et la qualité de l’information ? Pourrai-je toujours choisir où et auprès de qui m’informer ? La réponse est oui… et non. Bien évidemment, chacun conservera son libre arbitre en matière de choix quant aux sources d’informations. Elles seront simplement, en apparence, moins nombreuses. Seuls un ou deux collecteurs d’informations – qui auront remplacé Google – seront disponibles. L’un et l’autre ayant aspiré toutes les données. À ce stade, faisons une pause. En 2046, la lecture des articles parus dans Réflexions Immobilières ne se fera plus sur le papier. L’IEIF aura abandonné depuis longtemps le métier d’éditeur qui, de toute façon, n’existera plus, pour devenir un diffuseur d’intelligence économique grâce au stockage des métadonnées et ses développeurs d’algorithmes instantanés. Le lecteur n’en sera plus un, au sens où il n’ira plus vers l’information. C’est l’information qui viendra à lui. Risquant de vous perdre alors qu’il est temps de conclure, je vous propose le scénario suivant : nous voilà réunis, le samedi 30 juin 2046, pour les 60 ans de l’IEIF. Nous sommes 10 000 invités. Discours, présentations holographiques des données, badges émis par transfert à l’approche de l’autre, discussions, échanges… La soirée se termine, vous n’avez pris aucune note ni ramené la liste des personnes présentes et pourtant votre algorithme personnel qui avait consulté votre agenda vous restituera l’ensemble des données recueillies et produites pendant cette soirée mémorable. L’information ne sera donc plus émise – disparition de l’éditeur –, mais générée par les déplacements, les rencontres, le collaboratif ou l’interpellation des algorithmes – disparition du lecteur. Réveillez-vous ! Nous sommes le 30 juin 2016, vous lisez cet article sur papier dans Réflexions Immobilières. Joyeux anniversaire et longue vie à l’IEIF !y