Darfour : un mode de vie perdu

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Darfour : un mode de vie perdu
RMF33
LE DÉPLACEMENT PROLONGÉ
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Darfour : un mode de vie perdu
Natalie Ondiak and Omer Ismail
Les conséquences du déplacement sur les habitants du Darfour
sont particulièrement sévères à cause de l’aspect génocidaire des
conflits. Ce ne sont pas seulement les personnes actuellement
déplacées qui subiront ces conséquences, mais aussi les futures
générations de Darfouris.
Ces modes de vie étaient adaptés à un
climat peu humide et à la rareté des
terres arables. Presque 85% des Darfouris
étaient des pasteurs et des agriculteurs,
et la majorité des familles possédaient
du bétail. Témoignant de la vie dans les
camps, un PDI se demande : « Comment
puis-je enseigner à mes enfants l’élevage
des animaux, maintenant que nous n’en
avons plus ? Ou si nous en avions, comment
pourrions nous les nourrir sans la liberté de
nous déplacer à la recherche de pâturages ?
Comment puis-je continuer d’être
agriculteur si je n’ai plus aucune terre ? »
Suite à la mort de centaines de milliers
de Darfouris, les structures sociales ont
été irréparablement endommagées. Les
hommes âgés de neuf à quatre-vingt-dix ans
ont été victimes d’attaques indiscriminées,
alors que les femmes ont dû assumer les
nouveaux rôles de chef de famille et de
soutien de famille. Le déplacement prolongé
a perpétué la présence de ces structures.
Le déplacement et les conflits ont eu
des conséquences différentes selon les
générations. De bien des manières, ce sont
les personnes âgées qui ont souffert le
plus profondément du déplacement. Ils se
souviennent du Darfour et de son mode
de vie avant que cette région ne devienne
le foyer de conflits violents et avant qu’ils
ne soient eux-mêmes forcés de vivre dans
un camp. Ils sont les « porte-drapeaux »
qui représentent la culture perdue et ont
aussi un rôle d’historiens du Darfour, à
qui revient la tache de transmettre les
histoires et leur mode de vie aux générations
suivantes dans une culture basée sur la
tradition orale. Avec le temps, les personnes
âgées ne seront plus là pour transmettre
le mode de vie qu’elles ont connu.
Parmi la génération suivante, de nombreux
hommes ont été tués ; ainsi, un grand
nombre de femmes doivent-elles seules
endosser le rôle des deux parents et prendre
en charge et nourrir leur famille. Les rôles
traditionnels dévolus aux deux sexes qui
définissaient le mode de vie avant les
conflits ont ainsi été modifiés. Un retour
aux structures sociales
traditionnelles ne sera
plus possible. Parmi cette
génération, de nombreux
chefs de communauté,
enseignants, docteurs,
marchands et avocats
ont été persécutés et
assassinés, ce qui a
fortement fragilisé la
capacité de leadership de
la société civile du Darfour.
Les réseaux et les structures ont tant et
si bien changé que la confiance dans le
futur est faible et que la « mise à l’écart »
(warehousing) – « la pratique de laisser les
réfugiés dans des situations prolongées
de mobilité réduite, d’oisiveté forcée et
de dépendance, leur vie indéfiniment en
suspens »4 - est devenu un mode de vie
Pour les enfants, le
déplacement est un mode
de vie en soi. La plupart
seront incapables de se
remémorer l’époque avant
qu’ils ne s’installent dans
Des jeunes réfugiées du Darfour se rassemblent dans la cour d’école du camp
les camps. Les histoires
de Djambala, au Tchad, pour s’inscrire aux classes de l’année suivante.
contées par leurs parents
et grands-parents leur
donne un sens du passé, d’un mode de
normal pour ces Darfouris. Les responsables
vie et de structures sociales qui n’existent
politiques doivent d’abord travailler à la
plus. Ces enfants du Darfour considèrent
résolution des conflits au Darfour. Mettre
les camps comme leur maison mais ils
fin à un déplacement qui s’est prolongé
n’ont pas la possibilité d’y poursuivre leur
demandera ensuite des investissements à
éducation, de réaliser leurs rêves et de vivre
long terme de la part de la communauté
une vie normale. Les jeunes personnes,
internationale, afin de reconstruire
motivées par les histoires d’un mode de
un mode de vie qui a été anéanti.
vie perdu, risquent de rejoindre les rebelles
ou de devenir des enfants soldats.2 Les
Natalie Ondiak (nondiak@americanprogress.
catégories sociologiques telles que l’enfance,
org) est chargée de recherche pour le
la famille, la jeunesse et l’âge adulte sont
Center for American Progress (www.
modifiées par le déplacement et peuvent
americanprogress.org). Omer Ismail
revêtir des significations différentes selon
([email protected]) est originaire de
les générations. Cela a d’importantes
la région du Darfour au Soudan et travaille
conséquences. En effet, les jeunes hommes
en tant que conseiller pour le Projet Enough
dans les camps à travers le Darfour ont
(www.enoughproject.org). Ces organisations
commencé à s’opposer aux structures
sont toutes deux basées à Washington D.C.
officielles de l’autorité de la société du
1. http://physiciansforhumanrights.org/library/
Darfour et compliquent les efforts de paix
documents/reports/darfur-assault-on-survival.pdf p7
2. http://www.alertnet.org/thenews/newsdesk/IRIN/
avec leurs revendications intransigeantes.3
a95a529d2e11b6edad20c0d6c69d8aeb.htm
De surcroît, le Darfour a lui-même changé,
3. http://www.nytimes.com/2008/12/21/world/
passant d’une région largement rurale
africa/21darfur.html?_r=2&ref=africa
à une région urbaine. Dans un contexte
4. Comité américain pour les réfugiés et les immigrants,
World Refugee Survey 2004, Washington D.C., 2004, p38
post-conflit, la reconstruction des modes
http://www.refugees.org/data/wrs/04/pdf/38-56.pdf
de vies détruits sera critique, tout autant
UNHCR/H Caux
En comparaison à d’ autres situations
de déplacement prolongées, la durée
de la migration forcée au Darfour a été
courte. Toutefois, comme les Darfouris
résident dans des camps, ils ne peuvent
continuer à avoir les modes de vie qui
sont les leurs depuis des générations.1
que le développement de nouveaux
modes de vies urbains pour ceux qui
choisissent de ne pas retourner chez eux.

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