Darfour : un mode de vie perdu
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Darfour : un mode de vie perdu
RMF33 LE DÉPLACEMENT PROLONGÉ 27 Darfour : un mode de vie perdu Natalie Ondiak and Omer Ismail Les conséquences du déplacement sur les habitants du Darfour sont particulièrement sévères à cause de l’aspect génocidaire des conflits. Ce ne sont pas seulement les personnes actuellement déplacées qui subiront ces conséquences, mais aussi les futures générations de Darfouris. Ces modes de vie étaient adaptés à un climat peu humide et à la rareté des terres arables. Presque 85% des Darfouris étaient des pasteurs et des agriculteurs, et la majorité des familles possédaient du bétail. Témoignant de la vie dans les camps, un PDI se demande : « Comment puis-je enseigner à mes enfants l’élevage des animaux, maintenant que nous n’en avons plus ? Ou si nous en avions, comment pourrions nous les nourrir sans la liberté de nous déplacer à la recherche de pâturages ? Comment puis-je continuer d’être agriculteur si je n’ai plus aucune terre ? » Suite à la mort de centaines de milliers de Darfouris, les structures sociales ont été irréparablement endommagées. Les hommes âgés de neuf à quatre-vingt-dix ans ont été victimes d’attaques indiscriminées, alors que les femmes ont dû assumer les nouveaux rôles de chef de famille et de soutien de famille. Le déplacement prolongé a perpétué la présence de ces structures. Le déplacement et les conflits ont eu des conséquences différentes selon les générations. De bien des manières, ce sont les personnes âgées qui ont souffert le plus profondément du déplacement. Ils se souviennent du Darfour et de son mode de vie avant que cette région ne devienne le foyer de conflits violents et avant qu’ils ne soient eux-mêmes forcés de vivre dans un camp. Ils sont les « porte-drapeaux » qui représentent la culture perdue et ont aussi un rôle d’historiens du Darfour, à qui revient la tache de transmettre les histoires et leur mode de vie aux générations suivantes dans une culture basée sur la tradition orale. Avec le temps, les personnes âgées ne seront plus là pour transmettre le mode de vie qu’elles ont connu. Parmi la génération suivante, de nombreux hommes ont été tués ; ainsi, un grand nombre de femmes doivent-elles seules endosser le rôle des deux parents et prendre en charge et nourrir leur famille. Les rôles traditionnels dévolus aux deux sexes qui définissaient le mode de vie avant les conflits ont ainsi été modifiés. Un retour aux structures sociales traditionnelles ne sera plus possible. Parmi cette génération, de nombreux chefs de communauté, enseignants, docteurs, marchands et avocats ont été persécutés et assassinés, ce qui a fortement fragilisé la capacité de leadership de la société civile du Darfour. Les réseaux et les structures ont tant et si bien changé que la confiance dans le futur est faible et que la « mise à l’écart » (warehousing) – « la pratique de laisser les réfugiés dans des situations prolongées de mobilité réduite, d’oisiveté forcée et de dépendance, leur vie indéfiniment en suspens »4 - est devenu un mode de vie Pour les enfants, le déplacement est un mode de vie en soi. La plupart seront incapables de se remémorer l’époque avant qu’ils ne s’installent dans Des jeunes réfugiées du Darfour se rassemblent dans la cour d’école du camp les camps. Les histoires de Djambala, au Tchad, pour s’inscrire aux classes de l’année suivante. contées par leurs parents et grands-parents leur donne un sens du passé, d’un mode de normal pour ces Darfouris. Les responsables vie et de structures sociales qui n’existent politiques doivent d’abord travailler à la plus. Ces enfants du Darfour considèrent résolution des conflits au Darfour. Mettre les camps comme leur maison mais ils fin à un déplacement qui s’est prolongé n’ont pas la possibilité d’y poursuivre leur demandera ensuite des investissements à éducation, de réaliser leurs rêves et de vivre long terme de la part de la communauté une vie normale. Les jeunes personnes, internationale, afin de reconstruire motivées par les histoires d’un mode de un mode de vie qui a été anéanti. vie perdu, risquent de rejoindre les rebelles ou de devenir des enfants soldats.2 Les Natalie Ondiak (nondiak@americanprogress. catégories sociologiques telles que l’enfance, org) est chargée de recherche pour le la famille, la jeunesse et l’âge adulte sont Center for American Progress (www. modifiées par le déplacement et peuvent americanprogress.org). Omer Ismail revêtir des significations différentes selon ([email protected]) est originaire de les générations. Cela a d’importantes la région du Darfour au Soudan et travaille conséquences. En effet, les jeunes hommes en tant que conseiller pour le Projet Enough dans les camps à travers le Darfour ont (www.enoughproject.org). Ces organisations commencé à s’opposer aux structures sont toutes deux basées à Washington D.C. officielles de l’autorité de la société du 1. http://physiciansforhumanrights.org/library/ Darfour et compliquent les efforts de paix documents/reports/darfur-assault-on-survival.pdf p7 2. http://www.alertnet.org/thenews/newsdesk/IRIN/ avec leurs revendications intransigeantes.3 a95a529d2e11b6edad20c0d6c69d8aeb.htm De surcroît, le Darfour a lui-même changé, 3. http://www.nytimes.com/2008/12/21/world/ passant d’une région largement rurale africa/21darfur.html?_r=2&ref=africa à une région urbaine. Dans un contexte 4. Comité américain pour les réfugiés et les immigrants, World Refugee Survey 2004, Washington D.C., 2004, p38 post-conflit, la reconstruction des modes http://www.refugees.org/data/wrs/04/pdf/38-56.pdf de vies détruits sera critique, tout autant UNHCR/H Caux En comparaison à d’ autres situations de déplacement prolongées, la durée de la migration forcée au Darfour a été courte. Toutefois, comme les Darfouris résident dans des camps, ils ne peuvent continuer à avoir les modes de vie qui sont les leurs depuis des générations.1 que le développement de nouveaux modes de vies urbains pour ceux qui choisissent de ne pas retourner chez eux.