C`est avec consternation que j`apprends le décès de mon ami

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C`est avec consternation que j`apprends le décès de mon ami
 C'est avec consternation que j'apprends le décès de mon ami Michel Bataille, survenu le 15 décembre 2012. Peut-­‐être n'est-­‐il pas très connu de tous, en particulier des plus jeunes. Il était né à Toulouse, en 1945. C'était un personnage important dans les Sciences de l’Éducation en France, et pas seulement en termes institutionnels : il fut membre du CNU pendant de longues années, et même Vice-­‐Président. Élément majeur des Sciences de l'éducation à Toulouse 2 -­‐Le Mirail ; depuis 1987, directeur (fondateur) de l'équipe "REPERE" (Représentations et Engagements Professionnels, leurs Évolutions : Recherches, Expertises), important laboratoire de recherche. Mais ce qui m'intéresse le plus, en tant qu'ethnographe institutionnaliste, c'est son apport et son originalité dans la mouvance critique se situant à proximité de l'Analyse Institutionnelle. A proximité seulement, car il n'est pas entré dans le tumulte qui a alimenté, depuis quarante ans, l'histoire de Paris 8. Il s'est spécialisé dans la psychologie sociale, qu'il a, plus que tout autre, installé dans le champ éducatif. La psychologie sociale, rappelons-­‐le, est une discipline qui, en tant que branche commune à la psychologie et à la sociologie (une psychologie pour sociologues en même temps qu'une sociologie pour psychologues) s'intéresse d'une part à l'influence des processus sociaux sur les relations entre les individus (relations interpersonnelles), et d'autre part à la façon dont ces deux dimensions en interagissant entre elles produisent tantôt du social, tantôt du psychologique. Schématiquement, elle étudie les interactions des individus en groupe, en société et dans les organisations, dans leur double dimension d'agents psychologiques et sociaux. Dans le cadre de l'Analyse Institutionnelle, on a surtout parlé de « psychosociologie ». Ardoino, Lapassade, Lourau et même Lobrot ont insisté sur la dimension d'élargissement aux dimensions groupales des phénomènes psychologiques. La psychosociologie est pour les uns la forme de psychologie sociale qui part de la psychologie de l'individu dans la société. Pour d'autres elle se distingue de la psychologie sociale en ce sens qu'il s'agit d'un mode de traitement de l'individu essentiellement pratique. Mais la psychologie sociale élaborée par Michel Bataille résout le clivage en donnant une place majeure à l'implication. Et c'est en cela qu'il est très proche de l'Analyse Institutionnelle. Il a participé à l'élaboration du concept d'implication, en particulier avec Ardoino, développant une dialectique de l'implication et de l'explication. Il avait d'ailleurs signé un important article dans la revue Pour, dirigée par Ardoino, en 1983, dont je retiens les éléments suivants : « L'implication connote l'engagement dans la complexité, avec le risque de s'engluer dans un enchevêtrement que l'on ne peut démêler, précisément parce qu'on y est pris ». Je signale aussi, et ce n'est pas anecdotique quant aux relations entre Michel Bataille et l'ethnographie telle que nous l'entendons, qu'il fut, sur ma demande, le Président du jury de thèse de Doctorat de Rose-­‐Marie Bouvet (2000). Lors de la soutenance, Guy Berger faisant également partie du jury, eut lieu un débat d'un grand intérêt épistémologique. Michel Bataille proposa, par-­‐delà le couple implication-­‐explication, la notion d'explicitation. Le président et la candidate discutèrent alors sur le point de savoir si le chercheur doit se demander comment parler de l'implication et/ou comment lever les implicites de la relation. On peut déplorer qu'il ne se soit pas trouvé, par la suite, d'occasion institutionnelle de prolonger la discussion. Je suggérerais volontiers, en hommage à la pensée de Michel Bataille, de reprendre la discussion, sous une forme qui reste à définir. La spécificité de la psychologie sociale permet de comprendre une autre dimension très actuelle. Il a été amené à ne pas se limiter au domaine scolaire, mais à investir, en y incluant la dimension éducative, le champ de l'entreprise, ce qui lui a permis de réfléchir de manière spécifique à ce qu'il appelle l'implication professionnelle. Fort logiquement, cette réflexion sur l'implication s'articule sur deux thématiques qui intéressent de près les ethnographes aujourd'hui : la méthodologie comme support de structure logique, et la recherche-­‐action comme modalité d'intervention du sujet dans la réalité sociale. D'où des rapprochements également avec René Barbier. Mon premier contact avec Michel Bataille eut lieu à l'occasion d'un article qu'il avait fait paraître en 1981 sur un thème très peu abordé, même chez les institutionnalistes : celui de la dimension collective de la recherche. Cet article s'intitulait « Le concept de chercheur collectif dans la Recherche-­‐action », in Les Sciences de l’Éducation pour l'ère nouvelle, la revue de l'université de Caen, alors dirigée par Mialaret. Dans la dernière décennie, Michel Bataille s'est notamment intéressé à l'insertion, qui est devenue aujourd'hui une question sociale majeure, et pas seulement en France. On pourra trouver des articles sur les emplois-­‐jeunes, sur la professionnalisation, sur le bilan de compétences, sur le journal d'entreprise. Je signale en particulier « Autobiographie, réflexivité et professionnalisation », in Organisation Scolaire et professionnelle (2005) où il interroge les concepts et les pratiques d’autobiographie et de réflexivité en formation, ainsi que leur place dans le processus de professionnalisation. Avec sa disparition je perds un ami, mais c'est avant tout un protagoniste essentiel de la recherche dans les sciences anthropo-­‐sociales qui va beaucoup manquer. Patrick Boumard