Nationalisme et panafricanisme

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Nationalisme et panafricanisme
Nationalisme et panafricanisme
par Amady Aly Dieng
Il est heureux qu’à l’occasion de la célébration du trentième anniversaire de la création
du CODESRIA les intellectuels africains puissent débattre des relations entre le nationalisme
africain et le panafricanisme et les problèmes qu’elles posent. N’oublions pas qu’on a célèbré
le centième anniversaire du panafricanisme en 2000, puisque la première Conférence
panafricaine s’est tenue à Londres en 1900. Beaucoup d’hommes politiques et d’intellectuels
africains ont eu à se prononcer sur l’idéal panafricain. Il est utile d’examiner de façon critique
leurs points de vue et d’étudier de la manière la plus objective possible la nature, les
possibilités de réalisation de l’idéal panafricain et ses limites. C’est pourquoi nous
examinerons les thèmes suivants.
les origines du panafricanisme et du nationalisme
les relations entre le panafricanisme et le nationalisme durant la période coloniale
les relations entre le panafricanisme et le nationalisme durant la période postcoloniale
Les origines du panfricanisme et du nationalisme
L’idée panafricaine a germé et a éclos aux Caraïbes et en Amérique du Nord (EtatsUnis et Canada) à la fin du XIXe siècle. Elle est née à la suite d’une longue et parfois violente
confrontation opposant les autorités et les propriétaires esclavagistes aux Nègres libres et aux
Nègres esclaves. A la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, les planteurs des
Caraïbes et des Etats-Unis entreprirent de se débarrasser des Nègres libres qui constituaient
selon eux un danger menaçant. Ce sont les Anglais qui sont les premiers à trouver une
solution. Le groupe de Clapham comprenant des abolitionnistes notoires comme William
Wilberforce, James Stephenson, Granville Sharp, chargea Henry Smeathman d’organiser la
déportation en 1787 au Sierra Leone de 400 Nègres libres « indigents » raflés à Londres.
La colonie du Sierra Leone servit de base à la marine britannique après la promulgation de la
loi du 25 mars 1807 en Angleterre qui interdisait la Traite négrière. La marine de guerre
anglaise entreprit des opérations d’arraisonnement contre des navires pratiquant la traite
illégale. A partir de 1808, le Sierra Leone, une colonie de la couronne - jusqu'à son
indépendance en 1961 - abrita deux types de populations : des Nègres créoles encore appelés
« liberated Africans » ou « recaptives », et des Africains « natives », indigènes appartenant
aux « nations » mendé et temné.
Aux Etats-Unis, des planteurs étaient hostiles à la présence des Nègres. Parmi eux,
Thomas Jefferson a laissé des réflexions consignées dans un ouvrage intitulé : Notes on
Virginia, publié à Paris en 1785, à Londres en 1787 et à Philadelphie en 1788. Il aurait voulu
se défaire des Nègres libres. De 1817 à 1890, des milliers de Nègres d’Amérique et des
Caraïbes (Barbade surtout) sont envoyés au Libéria par l’American Colonization créé en
1816.
A la fin du XIXe siècle, surtout autour de 1900, parmi les personnalités des Caraïbes qui
participèrent à la naissance du panafricanisme, quatre hommes se démarquent. Ils se
différencient nettement des autres penseurs de leur génération : Edward Wilmot Blyden,
Anténor Firmin, Henry Sylvester Williams et Bénito Sylvain.
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On a voulu voir en Blyden (1823-1912) le précurseur du « Back to Africa » mouvement cher à Marcus Garvey - de la négritude ou du « Black Nationalism ». Dans
l’intimité de sa correspondance, il se révèle un personnage très nuancé, chrétien, mais très
attiré par l’Islam ; habile à célébrer l’Afrique berceau de l’humanité (Egypte nègre )mais plus
circonspect envers les « natives » et quasiment haineux envers les « sang-mêlés ». Un
réexamen du dossier Blyden s’impose, malgré les études élogieuses de son biographe attitré
Hollis R. Lynch (Edward Wilmot Blyden, 1823-1912. Pan-Negro Patriot, Londres, Oxford
University Press, 1967), ou les notes sévères de son contempteur V.Y. Mudimbé (The
Invention of Africa, Bloomington, Indiana University Press, 1988).
Anténor Firmin (1850-1911), avocat, ministre et candidat à la présidence de la
République de Haïti, est l’auteur d’un ouvrage intitulé : De l’égalité des races humaines
(anthropologie positive), publié à Paris en 1885. Il s’attaque aux théories du racisme pseudoscientifique, Gobineau particulièrement. Sa réflexion sur le métissage, sur l’Egypte n égre et
la civilisation africaine, et sur le préjugé racial le placent parmi les penseurs nègres les plus
critiques de sa génération.. Les auteurs traitant du panafricanisme n’ont jamais - ou si
rarement - fait mention de lui, de son action et de son livre. Le rapport de Bénito Sylvain
traitant de la Conférence de 1900 s’ouvre par une lettre de Firmin.
La conférence panaficaine organisée à Londres en 1900 est un événement capital, un
aboutissement logique de ce cheminement du XIXe siècle. Deux hommes s’investissent
complètement et portent une contribution décisive : le trinadien Henry Sylvester Williams
(1869-1911) et le haïtien Bénito Sylvain (1868-1916) Ce sont ces deux grandes figures qui
organisèrent avec l’aide de Firmin, la Pan-African Association de 1897 à 1900. Ils
prévoyaient de réunir la Conférence Panafricaine à Paris mais finalement, elle se tint à
Londres du 23 au 25 juillet 1900. Des représentants des Caraïbes, des Etats-Unis et de
l’Afrique élaborèrent les objectifs et les statuts d’une nouvelle Association Panafricaine sous
les auspices du Président Simon Sam d’Haïti, de l’empereur Ménélik d’Abyssinie et du
Président Joseph Coleman du Libéria. A cette occasion, une « Supplique aux Nations » fut
adressée aux puissances coloniales (Grande Gretagne, France, Allemagne, Etats-Unis), qui
débutait par la fameuse phrase attribuée à tort à W.E. B. Du Bois : « Le problème du XXe
siècle est celui de la question couleur...) ? En réalité cette phrase insérée dans un « appel », a
plusieurs auteurs si l’on lit attentivement le Rapport de la Conférence de 1900.
L’idée panafricaniste est un héritage conceptuel qui vient d’intellectuels ou d’hommes
politiques négro-américains ou carabéens. Cette idée ne pouvait naître que chez les négroaméricains ou carabéens bien scolarisés et engagés dans la lutte pour l’émancipation des
Noirs victimes de la traite des Nègres. Durant ce combat qui a duré du début du XIXe siècle
à la veille de la fin de la Deuxième guerre mondiale et hors d’Afrique, et surtout sur la
continent européen, les Africains étaient en train de se former dans les métropoles coloniales
ou en Amérique du Nord. Entre les deux guerres mondiales, très peu d’intellectuels africains
étaient impliqués dans les mouvements panafricains. On peut citer le cas de l’avocat
sénégalais Lamine Guéye qui a assisté à la conférence panafricaine organisée à Paris par Du
Bois en 1921, et l’avocat dahoméen Quenum Towalou qui a participé à la conférence
panafricaine organisée en 1928 à New York par le même Du Bois. Les hommes politiques et
les intellectuels africains ont pris le relais du combat mené en faveur du panafricanisme après
la Deuxième guerre mondiale. Le plus illustre d’entre eux est Kwamé Nkrumah qui a joué un
rôle important dans l’organisation de la cinquième conférence panafricaine de Manschester en
1945.
Comme le panafricanisme, le nationalisme est un concept importé en Afrique. Rares
sont les pays africains qui constituaient des Etats-Nations pouvant donner lieu à l’existence
d’un véritable nationalisme endogène. Le nationalisme est né en Afrique surtout à la suite
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d’une opposition au système colonial , à la domination étrangère. Il est défini par rapport à
l’extérieur. On peut dire qu’il y a eu un nationalisme sans nation.
Durant l’ère coloniale et en pleine période de lutte pour l’indépendance, des
intellectuels comme Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor et Kwamé Nkrumah ont
élaboré des théories relatives à l’unification politique de l’Afrique. Par ailleurs, la Fédération
des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) a pris position sur le panafricanisme à en
1959 à la veille de l’indépendance des pays africains sous domination française.
Les relations entre le nationalisme et le panafricanisme durant la période coloniale
Si Kwamé Nkrumah est le premier intellectuel et homme politique qui s’est présenté
comme un nationaliste et un panafricaniste dans son ouvrage : Africa must unite en 1963,
Cheikh Anta Diop a esquissé, au terme de ses recherches sur les civilisations nègres et
notamment la civilisation nègre égyptienne, son projet d’unification de l’Afrique noire dans
un cadre fédéral.
Dans les colonies françaises, deux théories ont été élaborées pour asseoir l’idée d’une
unification politique de l’Afrique noire : la théorie de l’unité culturelle(Cheikh Anta Diop) et
la théorie de l’africanité (Léopold Sédar Senghor). Ces deux théories sont convergentes dans
certains domaines et divergentes dans d’autres. Ces théories feront l’objet d’un examen
critique. L’Afrique noire tout entière ne saurait être considérée comme une unité culturelle.
Elle est un continent où prédomine davantage la diversité culturelle. Senghor définit
l’Africanité comme la « symbiose complémentaire » des valeurs de l’Arabité et des valeurs de
la Négritude.
Cheikh Anta Diop , la question nationale et le panafricanisme
Dans Nations nègres et culture (Présence africaine, 1954), Cheikh Anta Diop parle
de l’existence de nations nègres et de l’unité culturelle de l’Afrique noire. Cela pose des
problèmes qu’il est nécessaire d’examiner de manière critique. Y a-t-il une relation nécessaire
entre la nation et la culture ? Si tel est le cas, quelle est la nature de cette relation ? Quelles
sont les différentes nations qui existent en Afrique noire ? Quelle est la définition de la nation
adoptée par Cheikh Anta Diop ? Quel type de relation établit-il entre le nationalisme et le
panafricanisme ?
S’agissant de l’unité politique de l’Afrique, Cheikh Anta Diop ne parle pas de
panafricanisme. Il propose le fédéralisme comme cadre d’unification de l’Afrique noire dans
son ouvrage: Les fondements culturels et industriels d’un futur Etat fédéral d’Afrique noire
(Présence africaine, 1960). En réalité, le panafricanisme de Cheikh Anta Diop n’a pas une
dimension continentale, puisqu’il exclut l’Afrique blanche constituée par le Magrheb (Maroc,
Algérie et Tunisie) et le Mashrecq (Lybie, Egypte). La Mauritanie doit être gérée sous forme
de condommium entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche, selon Cheikh Anta Diop.
Cheikh Anta Diop a abordé l’existence de nations en Afrique noire. Il a essayé
d’appliquer la définition stalienne de la nation qui est contenue dans Marxisme, question
coloniale et nationale. Il écrit : « On se demande parfois ce qu’on pourrait assimiler à des
Nations en Afrique. Il serait aisé d’appliquer la définition de Staline aux Ethiopiens,
Bambara, Walafs, Zoulous, Yorouba, etc... Au Soudan, Côte d’Ivoire, Togo, Sénégal, Guinée,
Niger, Kenya, Afrique du Sud, Soudan dit « Anglo-Egyptien », existent des noyaux de
nations qui se consolideront dans la lutte pour l’indépendance ». Si Cheikh Anta Diop est
assez prudent, il ne parle que de noyaux de nations, par contre il avance des thèses discutables
quant à la délimitation des nations existant en Afrique noire. Il délimite les nations suivant
deux critères : le pays (Ethiopie, Soudan, Guinée, Sénégal, Côte d’ivoire, Togo, Noger,
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Kehya, Afrique du Sud, Soudan dit Anglo-Egyptien) ou les ethnies (Bambara, Walafs,
Yoruba, Zoulou). Ce choix pose des problèmes très sérieux du point de vue méthodologique :
car au Sénégal, il existerait un noyau de nation walaf ; il en serait de même avec le Nigéria
qui abrite une bonne partie de Yorouba. Ce serait les cas du Soudan avec les Bambaras, de
l’Afrique du Sud avec les Zoulous.
Les autres critères retenus par Staline à savoir la communauté de culture, d’histoire et
de psychisme peuvent être appliqués aux nations nègres d’Afrique selon Cheikh Anta qui
écrit : « Tandis qu’on peut prévoir déjà, pour chacune de ces régions - avec peu de chance
d’erreur - quelles sont les langues qui s’imposeront, tandis que la communauté de culture,
d’histoire, de psychisme ne fait aucun doute, bien que le milieu géographique présente une
certaine unité, il serait vain de chercher à déterminer aujourd’hui quelles seront les frontières
exactes de ces Nations ». C. A Diop ne nous indique pas quelles sont les langues qui
s’imposeront dans ces régions et les raisons qui seront à l’origine de ce phénomène.
Ce point de vue peut être discuté : car la diversité géographique ( relief, cours d’eau,
végétations, faune, flore etc .) est une réalité. D’autre part, la communauté de culture,
d’histoire et de psychisme est plus affirmée que démontrée. Par ailleurs la question des
frontières qui est une question capitale dans la formation des nations est abordée sous l’angle
d’un optimisme que rien ne justifie quand C.A. Diop écrit : « Le problème (des frontières) se
réglera comme cela est en train de se faire pour l’Inde ; c’est-à-dire que les frontières
actuelles tracées pour la commodité de l’exploitation colonialiste - sinon au hasard - ne sont
pas forcément inviolables et nous devons éduquer notre conscience en vue la rendre apte à
accepter une future modification ». Dès la création de l’Organisation de l’Unité Africaine en
1963, l’intangibilité des frontières héritées de la période coloniale est déclarée comme
principe de base de l’organisation.
Dans un document publié par le Rassemblement national démocratique intitulé Le
combat politique de Cheikh Anta Diop du BMS au RND et publié à Dakar en juillet 1999, ses
auteurs exposent la conception qu’il se fait du panafricanisme. Ils écrivent : « Avec Cheikh
Anta Diop la question de la définition de l’objectif politique central du mouvement panafricain trouve une réponse élaborée, fondant la perspective de l’édification d’un Etat fédéral
d’Afrique noire ».(P 72). Autrement dit son panafricanisme repose sur le fédéralisme ou plus
précisément sur un Etat fédéral qui groupe uniquement les Etats d’Afrique noire située au sud
du Sahara.
Il est nécessaire d’examiner les fondements de ce fédéralisme qui exclut la partie
septentrionale de l’Afrique, c’est-à-dire l’Afrique blanche.
La grande faiblesse théorique de Cheikh Anta Diop est de n’avoir pas saisi la
contradiction flagrante qui existe entre une forme quelconque d’unité préalable et la
construction d’un fédéralisme par association d’Etats indépendants. Telle est la critique
fondamentalement de Marc-Louis Ripovia, maître assistant de géographie à l’université de
Libreville (Gabon).. Ce dernier s’appuie sur un argument avancé par Livingstone qui insiste
sur le fait que le « fédéralisme est essentiellement un phénomène de diversité sociale » (op
cité, pp 56-57). C’est dire qu’il est une solution politique pour la diversité culturelle et
régionale et que lorsqu’une quelconcoque forme d’unité se trouve au point de départ de sa
construction, cette forme d’organisation ne peut se réaliser parce qu’elle se trouve décapitée
de sa raison d’être fondamentale, à savoir les différences qui suscitent la complémentarité et
la solidarité entre les parties.
Ripovia formule six propositions pour mieux donner toute sa densité à problématique
du fédéralisme africain ou de l’intégration politique dans l’espace négro-africain.
1°) Le panafricanisme d’origine négro-amérticaine n’a pas, à proprement parler , suscité de
prise de conscience en faveur de l’unité de l’Afrique noire ; la dynamique politique interne
paraît, de ce point de vue, plus déterminante.
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2°) L’Afrique noire toute entière ne saurait être considérée comme une unité culturelle.
3°) Le fédéralisme par association d’Etats indépendants ne peut naître sur la base d’une unité
culturelle préétablie.
4°) Une conception de l’unification de l’Afrique noire basée sur l’unité culturelle débouche
sur l’Etat unitaire continental, mais n’engendre pas l’Etat fédéral continental.
5°) l’Afrique noire doit être considérée comme un continent où prédomine davantage la
diversité culturelle.
6°) La diversité culturelle de l’Afrique noire est en même temps une diversité régionale qui
crée le fédéralisme sous la forme d’une plurarité d’Etats fédéraux régionaux.
Les auteurs du documents du RND apporte des précisions sur la position de Cheikh
Anta Diop relative au panafricanisme. Ils s’appuient sur Les Fondements économiques et
culturels d’un Etat Fédéral d’Afrique Noire (Présence africaine, 1960, 1974) qu’ils
considèrent comme « l’ouvrage politique majeur de Cheikh Anta Diop » où ce dernier non
seulement pose de manière rigoureuse les bases constitutionnelles, linguistiques, économiques
et sociales de l’Etat fédéral africain, mais en plus montre toute la fragilité des pays africains et
leur indépendance néo-coloniale en dehors d’un système fédéral continental.
Il y a lieu d’apporter certaines précisions. Il y a eu deux éditions de ce livre. Leurs titres ne
sont pas les mêmes. La première édition porte le titre suivant : Les Fondements culturels,
techniques et industriels d’un futur Etat d’Afrique Noire (1960), la seconde édition est
intitulée : Les Fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique Noire
(Edition revue et corrigée en 1979). Dans la deuxième édition on ne retrouve plus les
fondements techniques et industriels. Désormais les fondements sont économiques et
culturels. Les auteurs ne nous expliquent pas ce changement. Au départ, les positions
anticolonialistes de Cheikh Anta Diop l’ont amené à lutter contre le pacte colonial qui
interdisait l’industrialisation des colonies. Il avait très bien compris qu’un pays ne peut se
développer sans industrialisation. Il était fasciné par les succès de l’URSS dans le domaine de
l’industrialisation. Il plaide en faveur de l’industrialisation de l’Afrique noire. Il traite de la
localisation des différentes industries dans une perpective d’unification de l’Afrique noire. Il
néglige les problèmes agricoles et ne traite pas de relations qui doivent être établies entre
l’industrie et l’agriculture pour la réalisation d’un véritable développement de l’Afrique noire.
En réalité Cheikh Anta Diop est un anti-colbertien dans la mesure où il lutte contre le pacte
colonial défendu par Colbert et colbertien dans la mesure où il désire réaliser
l’industrialisation, comme Colbert a poussé son pays à s’industrialiser.
Cheikh Anta Diop avait aussi compris l’importance de la technique et de l’industrie
pour dominer et maîtriser la nature en Afrique noire. En cela, on peut le nommer le Descartes
noir.
Il pense que l’émergence du panafricanisme est liée à la « volonté politique » des
dirigeants africains. Mais la seule volonté ne suffit pas pour unifier l’Afrique noire. Il trouver
en Afrique des forces sociales qui ont intérêt à la réalisation de ce projet qu’elles pourraient
porter. Autrement la dimension sociale du panafricanisme est négligée ; ainsi ce projet est une
simple vision , certes généreuse, qui s’apparente à une véritable utopie, surtout si l’on tient
des obstacles dressés par les micronationalismes des pays africains sur la voie de l’unité
Les Sud-Sahariens comme Cheikh Anta Diop (cf. Vers une idéologie politique africaine
(1952) et Les fondements culturels et industriels d’un futur Etat fédéral d’Afrique noire
(1960) reprochent aux Maghrébins de ne pas se sentir assez africains. La conception unitariste
des cultures négro-africaines ouvre la voie aux réflexes d’identification qui se traduit par une
dichotomie opposant sur le même continent unité culturelle de l’Afrique noire et unité
culturelle arabo-berbère
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Cheikh Anta Diop n’est pas le seul à fonder l’unification du continent sur l’unité culturelle, Il
y a aussi Léopold Sédar Senghor qui défend la théorie de l’africanité
Léopold Sédar Senghor, l’Eurafrique , la francophonie et l’unité africaine
La rencontre des intellectuels « francophones » d’Arrique noire avec ceux de la
diaspora au cours des années trente a transformé l’idéologie politique panafricaine en un
mouvement essentiellement littéraire : la négritude, en une expression littéraire du
panafricanisme ou en un panafricanisme culturel. Paris est devenu un foyer de défense du
panafricanisme. Si L.S. Senghor et Ch. A. Diop ont des points de vue convergents en matière
culturelle, ils ont des points de vue divergents dans les finalités politiques que chacun assigne
à l’outil culturel.
Senghor, défenseur du métissage culturel et biologique, est partisan d’une unité
politique et d’une intégration continentale, mais assorties de relations privilégiées avec
l’Europe. Il est partisan de l’Eurafrique où l’Afrique pays de l’émotion est le complément de
l’Europe, siège de la raison discursive. Il défend la thèse de l’unité par cercles concentriques.
Il considère que la fondation de l’unité africaine sur la base de l’anticolonialisme est fragile.
Car le passé colonial ne peut caractériser les Africains ; Il se retrouve chez les Asiatiques et
les Américains. Par ailleurs, l’anticolonialisme sera du moins demain, du passé.
Il définit l’Africanité comme la « symbiose complémentaire des valeurs de l’Arabité et des
valeurs de la négritude.
On voit que Senghor intégre les Arabo-berbères dans le processus d’unification de
l’Afrique, alors que Cheikh Anta Diop exclut de son unification politique l’Afrique blanche.
Kwamé Nkrumah et l’unité africaine
Kwamé Nkrumah a eu l’avantage d’avoir fait ses études aux Etats-Unis où il a eu à
cotôyer les Nègres de la diaspora. Il a participé en 1945 à la conférence panafricaine de
Manchester organisée par Du Bois pour rentrer quelque temps après au pays avec des
convictions nationalistes.
Nkrumah est en faveur de l’unité pour assurer la libération totale de l’Afrique. Il
écrit : « Nous avons donc besoin d’un fondement politique commun pour l’unification de nos
politiques de planification économique, de défense et des relations diplomatiques avec
l’étranger. Il n’y a pas de raisons pour que cette base d’action politique empiète sur la
souveraineté fondamentale des divers pays d’Afrique ». (L’Afrique doit s’unir, Présence
africaine, 1974, p 251)
La conception panafricaniste de Nkrumah présente des faiblesses réelles. Comme
l’intelligentsia « anglophone », le dirigeant ghanéen a été fasciné par les « pères fondateurs »
négro-américains du panafricanisme au point de négliger ou d’ignorer la contribution du
nationalisme africain et de rendre dérisoires les tentatives d’intégration, sous la forme de
grands empires du XVIe siècle.
La pratique politique de Nkrumah relative à l’unité de l’Afrique révèle les contradictions qui
contiendraient les germes d’un blocage au niveau de son analyse théorique.
En réalité, bien que lié d’amitié avec Georges Padmore, adversaire de Marcus Garvey
et admirateur W.E. Dubois, Nkrumah était plus proche des thèses panafricanistes du Moïse
noir. Paradoxalement ses méthodes dans l’exercise du pouvoir le rapprochent du style
extravagants et mégalomane de Garvey.
Les éléments de la symbolique garveyienne dans la pratique politique de Nkrumah
sont les suivants :
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1°) L’étoile noire (Black Star). A la fois emblème national, nom de l’équipe de football et de
la compagnie maritime rappelle l’ancien emblème de la flotte dee Garvey qui devait
contribuer au rapatriement des Noirs d’Amérique vers l’Afrique
2°) Le culte de la personnalité fut un des aspects de la carrière politique de Garvey qui
arborait les titres de sa « grandeur », le « potentat ». Nkrumah se faisait appeler « Le
rédempteur » (l’Osagyfo)
3°) Enfin le pouvoir charismatique et l’illusion de l’unité de l’Afrique se retrouvent dans la
conception panafricaniste des deux hommes. Garvey s’était pompeusement proclamer
« président provisoire de l’Afrique ». Dans le même esprit, Nkrumah voulait voir Afrique
entière placée sous l’autorité d’un gouvernement continental. Cette vision unitariste et
charismatique du pouvoir est la plus grande marque de son héritage panafricaniste négroaméricain.
Par ailleurs, Nkrumah néglige la dimension sociale du projet panafricaniste. Il ne nous
indique pas clairement les forces sociales qui sont favorables à la réalisation de l’unité
politique africaine et qui sont susceptibles de le porter.
La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France et la question de l’unité africaine
Les mouvements d’étudiants africains ou d’anciens étudiants ne sont pas en reste pour
fonder la nécessité d’une unification de l’Afrique sur des bases politiques.
La FEANF a nettement précisé sa position sur la question de l’unité africaine au
moment où les autorités coloniales françaises avaient décidé d’octroyer une autonomie interne
aux 14 territoires d’Afrique noire et de liquider les deux fédérations d’AOF et D’AEF.pour
affaiblir le mouvement national dans les colonies. C’était une opération contre feu entamé par
le gouvernement français qui venait de subir des défaites retentissantes en Indochine et en
Afrique du Nord. A la suite de la balkanisation de l’Afrique que dénonçait L.S. Senghor et de
la sud-américation de l’Afrique selon Cheikh Anta Diop, les étudiants ont été amenés à
discuter du problème de savoir s’il faut aller à l’indépendance des Etats groupés au sein des
deux fédérations d’AOF et d’AEF (thèse soutenue par Senghor et le Mouvement de
Libération Nationale (MLN) créé en 1958 et dirigé par l’historien voltaïque Joseph Ki Zerbo)
ou en ordre dispersé (thèse soutenue par Félix Houphouët Boigny)
Pour préciser la position de la FEANF, le Comité exécutif a demandé à quatre de ses
membres de lire le livre de Georges Padmore : Panafricanism or Communism ? (1955) qui
n’était pas encore traduit en français par Présence africaine. Son objectif était de donner le
point de vue des étudiants africains sur la question de l’unité qui était âprement discuté au
sein de la FEANF et qui opposé les militants du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) et du
Mouvement de Libération Nationale (MLN). Les controverses tournaient autour de la
question de savoir si les pays africains devaient aller à l’indépendance dans le cadre des
fédérations primaires d’AOF et D’AEF avant l’indépendance (thèse des militants du MLN)
ou dans le cadre des anciens territoires coloniaux quitte à reconstituer les anciennes
fédérations (thèse des militants du PAI).
Pour assumer l’épanouissement de la personnalité africaine, le Mouvement de
Libération Nationale dirigé par joseph Ki Zerbo se prononce en faveur de la constitution
d’une vaste fédération Ouest-Africaine du Ghana ou du Mali regroupant l’AOF et L’AEF, le
Togo, le Ghana, le Nigéria, le Congo et les autres Etats de l’Ouest, étape vers les Etats-Unis
d’Afrique. Ce mouvement se déclare hostile à tout « socialisme d’importation » et partisan
d’un socialisme africain. Il se démarque du socialisme scientifique préconisé par le Parti
Africain de l’Indépendance (PAI)
La FEANF a produit un document intitulé : Les étudiants africains et l’unité africaine
publié en français et en anglais Par l’Union internationale des étudiants (UIE) à Prague.
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La FEANF rejette le contenu racial de l’idéologie panafricaniste qu’elle a fondé sur la
base de la lutte antiimpérialiste Mais cette position n’échappe à deux critiques : celle de
Senghor qui considère la base antiimpérialiste de la constitution de l’unité africaine comme
fragile.
La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) a, en partie, fondé
son panafricanisme sur la base de la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme.
Mais la fondation de l’unité africaine sur la base unique de l’anticolonialisme est fragile. Le
passé colonial ne peut pas caractériser les Africains. Il se retrouve chez les Asiatiques et les
Américains. Par ailleurs, l’anticolonialisme sera avec l’indépendance du passé, objecte L.S.
Senghor.
La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) a, en partie, fondé
son panafricanisme sur la base de la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme.
Mais la fondation de l’unité africaine sur la base unique de l’anticolonialisme est
fragile. Le passé colonial ne peut pas caractériser les Africains. Il se retrouve chez les
Asiatiques et les Américains. Par ailleurs, l’anticolonialisme sera avec l’indépendance du
passé, objecte L.S. Senghor.
La critique de Senghor n’est pas dénuée de pertinence. L’autre critique émane d’un
géographe gabonais Marc-Louis Ripovia auteur d’un livre : La géopolitique de l’intégration
en Afrique noire (L’Harmattan, 1994) Pour lui, la position de la FEANF n’est guère radicale.
Elle est demeurée malgré tout , en accord avec la stratégie panafricaniste dans sa forme et cela
dans la mesure où elle n’a pu se démarquer de la thèse continentaliste du gouvernement ou de
l’Etat chère à Nkrumah et Cheikh Anta DIOP. En effet, la FEANF, en prônant une « unité
africaine sur une grande échelle » adhérait implicitement à une vision falsifiée de l’unité
culturelle de l’Afrique noire, qui devait automatiquement engendrer son unification politique.
Or, cette vision est aujourd’hui l’un des frein à toute intégration politique de l’Afrique noire
qui prendrait les allures d’un monisme institutionnel.
Les relations entre le nationalisme et le panafricanisme pendant la période postcoloniale
La constitution de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) en 1963 a été l’occasion de
reprendre entre africains le débat autour du panfricanisme. Kwamé Nkrumah publie son
ouvrage : Africa must unite (L’Afrique doit s’unir) qui a été distribué durant la conférence
constitutive de l’OUA à Addis Abeba en 1963.
Cette organisation fera l’objet de nombreuses critiques qui méritent d’être examinées
Quelles sont les chances de réalisation de l’idéal panafricain ? C’est une question à laquelle
les intellectuels de ce continent doivent répondre à la lueur des différentes expériences
d’unification déjà tentées en Afrique.
Le panafricanisme n’est pas à l’abri de certaines critiques. Dans son ouvrage :
Panafricanism : evolution progress and prospects. (New York St Martin’ Press, 1973),
Adekunte Ajala rappelle les quatre arguments utilisés par les anti-africanistes. Premièrement
le panafricanisme est un mouvement des élites africaines développé à l’écart des masses.
Deuxièment les idéaux panafricains ne peuvent aboutir du fait que la colonisation a légué à
l’Afrique noire plusieurs systèmes parlementaires, juridiques et culturels. Troisièment les
Etats africains concentrent leurs efforts sur la construction nationale plutôt que sur celle de
l’unité africaine. Quatrièment la pauvreté des économies africaines ne peut entraîner une
intercoopération. Le panafricanisme pourrait ainsi conduire au suicide.
Ces arguments méritent d’être discutés et pris en considération par les défenseurs du
panafricanisme. Ils sont sérieux et constituent de réels obstacles à la réalisation de l’unité
continentale de l’Afrique
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La grande question posée est de savoir si la naissance des micronationalismes au
niveau des pays africains devenus indépendants est compatible avec le panafricanisme
Conclusion générale
En conclusion, le projet panafricaniste repose essentiellement sur un certain
volontarisme. Ses partisans expriment leurs désirs surtout sans analyser de manière objective
les chances de sa réalisation. Ils avancent différents fondements de manière très unilatérale en
ignorant que le projet comporte de nombreuses dimensions qui sont politique, économique,
sociale, culturelle, linguistique et religieuse
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