Gestion d`affaires et société créée de fait, essai de convergence à
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Gestion d`affaires et société créée de fait, essai de convergence à
CLEMENT Nicolas Master 2 Contrat et Responsabilité Mémoire : Gestion d’affaires et société créée de fait, essai de convergence à propos d’un antagonisme Sous la direction de Monsieur Olivier GOUT Année Universitaire 2011/2012 2 Sommaire Titre premier : Un antagonisme réductible entre gestion d’affaires et société créée de fait……………………………………………………………..p.9 Chapitre premier : L’opposition formelle entre gestion d’affaires et société créée de fait………………………………………...p.9 Section 1 : La société créée de fait, une variété d’acte juridique……...p.10 Section 2 : La gestion d’affaires, un modèle de fait juridique…………p.25 Chapitre second : Une opposition à relativiser…………………………………p.42 Section 1 : La société créée de fait, un acte juridique imparfait………p.42 Section 2 : La gestion d’affaires, un fait juridique atypique…………..p.55 Titre second : La convergence entre gestion d’affaires et société créée de fait………p.67 Chapitre premier : L’analogie entre gestion d’affaires et société créée de fait………………………………………………...p.67 Section 1 : Une même vocation : tirer les conséquences patrimoniales d’une relation de fait passée………………...p.67 Section 2 : Une divergence de situation, impliquant une réaction diverse………………………………………….p.80 Chapitre second : L’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait…………………………………………………..p.90 Section 1 : Les incohérences engendrées par la distinction entre gestion d’affaires et société créée de fait…………………... p.90 Section 2 : La cohérence engendrée par l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait……………...p.105 3 Introduction « Les opinions, les théories, les systèmes, passent tour à tour sur la meule du temps, qui leur donne d’abord du tranchant et de l’éclat, et qui finit par les user. » Antoine de Rivarol1 1. - S’il est aujourd’hui une vérité absolue, c’est celle selon laquelle aucun ouvrage n’est intemporel. Or, il n’en va pas autrement des constructions humaines. Face à ce constat, le Droit semble marqué d’une étonnante pérennité. Cela peut sans doute s’expliquer par l’idée que « le droit occupe, dans le monde « occidental », une place de premier plan. Il est regardé comme le grand régulateur de la vie sociale.»2 2. - Néanmoins, de cela il ne faudrait pas déduire que le temps n’ait aucun impact sur le Droit : ainsi, il apaise les controverses doctrinales, tarit les contentieux, façonne les institutions prétoriennes au fil des arrêts, mais également érode les mécanismes législatifs, ou en voit accroître le nombre. Force est ainsi de constater que ces influences apparaissent diffuses. Mais, leur dénominateur commun semble pouvoir être trouvé dans le fait que le temps engendre la métamorphose du Droit sous l’influence de facteurs conjoncturels. Son emprise apparaît donc comme médiate. Au-delà, deux tendances paraissent se dessiner, trouvant à leur conjonction une médiane. 3. - La première consiste dans la disparition de certains mécanismes jugés inadaptés ou obsolètes. Elle semble actuellement se dessiner s’agissant de certains cas spéciaux de responsabilité prévus par le Code civil, et aujourd’hui désuets. On peut en citer un exemple à travers la responsabilité de l’artisan du fait de ses apprentis prévue par l’actuel article 1384 en ses alinéas six et sept, bâtie sur le modèle de la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur, et à présent anachronique, comme en témoigne l’absence de jurisprudence la concernant. Cette désaffection ouvre donc la voie de son abrogation, dont il est notoire qu’elle 1 A. de Rivarol, Maximes, pensées et paradoxes, suivis par De l’universalité de la langue française, Lettres à M. Necker, Esprit de Rivarol, Livre Club du Libraire, 1962, p. 49. 2 A. Tunc, Encyclopaedia Universalis, ed 2008, v° Droit – Généralités. A cela, l’auteur ajoute que la place du Droit pourra varier selon les sociétés : dans les civilisations asiatiques, le droit est beaucoup plus effacé note -t-il, alors que d’autre part, le marxisme prônait son « dépérissement. » 4 doive advenir3. A l’opposé, il y a l’idée de multiplication des institutions par la consécration de nouvelles espèces. On peut en citer un exemple à travers la société créée de fait. Par cette expression, on évoque traditionnellement la qualification appliquée au groupement formé par deux ou plusieurs personnes qui se comportent en fait comme des associés, sans avoir conscience de cet état. Historiquement, il semble que l’apparition de telles structures ait été liée à l’instauration de formalités propres à la constitution et l’immatriculation des sociétés4, à peine de nullité. En effet, il devenait dès lors impérieux de traiter du cas dans lequel de telles exigences n’avaient pas été respectées, la difficulté ayant trait au fait que la situation de société implique non seulement les parties à ce contrat spécifique, mais également les tiers. 4. - Ainsi, la jurisprudence a d’abord tempéré les excès de la rétroactivité consécutive à l’annulation par la création de la société de fait, désignant une société nulle mais dont l’existence est admise pour le passé, en vue d’en opérer la liquidation5. Or, c’est sur la base de cette structure spécifique que se développera ensuite la société créée de fait, en tant que qualification a posteriori de la relation passée de deux ou plusieurs individus. Son émancipation n’interviendra véritablement qu’à la suite de la réforme intervenue par la loi du 4 janvier 19786, consacrant cette dénomination spécifique et insérant au sein du Code civil, un article 1873 soumettant ce groupement particulier aux règles régissant la société en participation. En effet, ces deux formes sociales présentent un grand nombre de particularités communes, la différence entre elles étant liée au fait que dans le cadre de la seconde, les associés ont souhaité créer entre eux une société, même s’ils ne l’ont pas soumise aux formalités d’immatriculation. Ainsi, la société créée de fait prend la forme d’une structure qui avait pu exister dans la mouvance doctrinale7 et jurisprudentielle, jusqu’à véritablement acquérir une existence autonome en suite de sa consécration, ajoutant ainsi une nouvelle 3 En effet, les projets de réforme du droit des obligations se prononcent en ce sens : V. s’agissant de la responsabilité du fait d’autrui, les articles 1355 à 1360 de l’Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription rédigé sous l’égide de P. Catala en 2005 et les articles 13 à 18 du Projet de réforme du droit des obligations rédigé sous l’égide de F. Terré en 2009. 4 S. Vacrate, La société créée de fait, essai de théorisation, préf. H. Lécuyer, LGDJ 2003 n°13 et s. L’auteur fait remonter ce mouvement à l’Ordonnance sur le commerce de 1673. (V. n°23 et 24). 5 Les auteurs en font remonter le principe à l’arrêt Req. 2 juillet 1817, et la dénomination, à un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris, le 8 avril 1825. V. à ce propos, S. Vacrate, op. cit. n° 27 et s.; B. Dondéro, Répertoire Dalloz Sociétés, v° Société créée de fait, 2009 n°10. 6 Loi n°78-9 du 4 janvier 1978. 7 La première proposition de consécration était intervenue par l’intermédiaire de J. Hémard, Théorie et pratique des nullités et des sociétés de fait, 2e ed. 1906, p.193, cité par S. Vacrate, op. cit n°20. 5 institution au dispositif légal existant, dans le «soucis de sauvetage de certains groupements promis à une nullité certaine. »8 5. - Mais, c’est en réalité la tendance intermédiaire qui semble la plus influente : celle de modification des mécanismes juridiques existants. La gestion d’affaires l’illustre. Cette situation interviendra consécutivement à l’«acte d’immixtion dans les affaires d’autrui accompli par une personne en dehors de tout pouvoir légal judiciaire ou conventionnel dans l’intérêt et à l’insu […] du maître de l’affaire, [obligeant ainsi ce dernier] lorsque l’initiative était utile, à remplir les engagements pris par le gérant et à lui rembourser ses dépenses. »9 En effet, cette institution apparaît comme étant beaucoup plus ancienne que la précédente, du fait qu’elle trouve sa genèse dans le droit romain. 6. - La physionomie du mécanisme en était alors très similaire à celle qu’il revêt actuellement. On parle à l’époque pour le désigner de negociorum gestio, reposant sur « un acte, ou une suite d’actes, effectués [par une personne qualifiée de gestor, le gérant], dans l’intérêt du dominus, [le maître de l’affaire], et sans son consentement. »10 Si ces conditions en étaient réunies, cette situation donnait lieu à un engagement réciproque des personnes en présence, l’institution étant sanctionnée par le biais d’actions de bonne foi. Ainsi, le prêteur pouvait-il être amené à délivrer au dominus une actio negociorum gestorum directa, destinée à obliger le gestor à mener avec soin et jusqu’à son terme, la gestion entreprise. D’autre part, ce dernier pouvait quant à lui bénéficier de l’actio negociorum gestorum contraria, lui permettant d’obtenir du dominus une indemnisation pour les frais engagés au titre de sa gestion, sous réserve de leur utilité. Sur ce fondement, il lui était également possible de contraindre ce dernier à prendre à sa charge les liens que le gestor avait pu nouer avec des tiers dans ce cadre. 7. - Or, à travers ce mécanisme, le gestor comme le dominus sont tenus quasi ex contractu d’après Gaïus, donc comme s’il y avait eu un contrat. Il s’agit ici de la naissance historique de la catégorie des quasi-contrats, dont participe la gestion d’affaires, alors appréhendée de manière négative : « il n’y a là aucun contrat, car le gérant d’affaires n’avait pas reçu de mandat ; il n’y a pas davantage un délit, car ce n’est pas un délit que de rendre service à 8 S. Vacrate, op. cit. n°34. Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant, sous la direction de G. Cornu, PUF, collection Quadrige Dicos Poche, 8e ed. 2009, v° Gestion d’affaires. 10 J-F. Brégi, Droit romain, les obligations, Ellipses 2006 p. 221. 9 6 autrui. Pour des raisons d’utilité dit Gaïus, (utilitatis causa), on a créé une obligation comme s’il y avait eu un contrat, c'est-à-dire, dans l’exemple, un mandat. »11 Par la suite, le mouvement de redécouverte du droit romain systématisa cette catégorie comme source autonome d’obligations, qui reçut ensuite une consécration légale par l’avènement du Code civil en 1804. Ainsi, avec la gestion d’affaires, nous sommes en présence d’une institution consacrée par le Code civil, mais dont la substance n’est pas restée statique au cours du temps. En effet, plus de deux siècles d’interprétation jurisprudentielle ont introduit certaines évolutions, et notamment un glissement progressif vers l’admission de plus en plus forte de la prise en compte des intérêts du gérant, là où le Code civil ne concevait qu’un service purement désintéressé rendu à autrui. 8. - Mais aujourd’hui, une remise en question plus profonde est sollicitée par la vieillissement du modèle du Code civil, ce qui s’incarne plus précisément dans le cadre de la matière spécifique du droit des obligations à laquelle nous bornerons cette étude, par le vent de réforme qui souffle en son sein12. De ce fait, si l’entité change, c’est l’image que l’on s’en fait qui mérite d’être reconsidérée. En d’autres termes, des mots mêmes de Rivarol, c’est le « système », que « la meule du temps » use. On entend traditionnellement ce terme comme désignant la « construction intellectuelle issue d’une théorie doctrinale ou d’une création prétorienne»13, ayant vocation à offrir du Droit une traduction ordonnée. 9. - De ce système, il ne faut pas avoir une conception figée : comme le Droit lui-même, il est toujours en mouvement en ce qu’il a vocation à le refléter, donc à s’y adapter. Ainsi, de l’avis de Philippe Rémy, « le « système » civiliste n’est donc jamais un système fermé. »14 Néanmoins, il est toujours en son sein une part immuable, constituée par la structure sur laquelle il est bâti. Or, c’est sur celle-ci que le temps a son emprise, qui rend toujours plus complexe la question de savoir si le système actuel peut encore s’adapter aux évolutions du Droit. En effet, l’action du temps peut engendrer ses effets néfastes à deux niveaux. 11 J-P. Lévy, A. Castaldo, Histoire du droit civil, précis Dalloz droit privé, 1ère ed 2002, n°544. Même si ce mouvement semble aujourd’hui s’être apaisé. Il a néanmoins donné lieu à certains projets de réforme : Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, sous l’égide de P. Catala de 2005 préc. ; Projet de réforme du droit des obligations sous la direction de F. Terré de 2009 préc. ; Projet de réforme du droit des contrats élaboré par le Ministère de la Justice, ayant donné lieu à deux versions dont la dernière de 2009. 13 Vocabulaire juridique, op. cit v°Système, deuxième sens. 14 Ph. Rémy, Les civilistes français vont-ils disparaître ? Jurisprudence Revue Critique 2010, Lextenso, p. 1. 12 7 10. - Le temps peut en premier lieu conduire à une déliquescence de la structure de base, la summa divisio qui gouverne toute la construction, et constitue le point de départ de toute qualification juridique. En droit des obligations, celle-ci est incarnée par la distinction entre l’acte juridique et le fait juridique. Par acte juridique, nous entendons l’« acte de volonté destiné (dans la pensée de son ou de ses auteurs), à produire un effet de droit. »15 A l’opposé, le fait juridique peut être évoqué comme un « fait quelconque (agissement intentionnel ou non de l’homme, évènement social, phénomène de la nature, fait matériel) auquel la loi attache une conséquence juridique (acquisition d’un droit, création d’une obligation, etc) qui n’a pas été nécessairement recherchée par l’auteur du fait. »16 Or, un tel mal dont souffrirait le système actuel, ne serait avéré que dès lors qu’il apparaitrait que certains mécanismes lui échappent, donc dans certaines hypothèses qui pourraient se réclamer à la fois de la qualification d’acte juridique, et de fait juridique, ou bien de ni l’une ni l’autre. Ce serait alors faire échec à la logique de la « division supérieure », nécessitant ainsi une remise en question profonde de la construction doctrinale. Or, celle-ci ne semble pas devoir s’imposer, du fait que l’hypothèse envisagée ne nous paraît pas avoir de traduction en droit français. La structure de base du droit des obligations, incarnée par la distinction entre l’acte juridique et le fait juridique est donc sauve, et mérite ainsi de notre point de vue de conserver sa place en droit français17. 11. - C’est donc davantage au sein des sous-catégories formant chacune des composantes de la distinction cardinale décrite, que réside la difficulté : l’inflation de mécanismes à laquelle elles doivent faire face peut en effet susciter des difficultés de classification, nécessitant le rétablissement de l’ordre en leur sein, voire même la redéfinition de certaines d’entre elles. Le maître mot semble donc être celui de la cohérence devant être rétablie au sein des sources d’obligations, soucis qui nous animera tout au long de ce travail. C’est donc à une tâche de délimitation qu’il nous faut nous livrer ici. Pour ce faire, il nous paraît nécessaire de nous délier de l’approche traditionnelle, générale et abstraite. Il s’agirait donc non pas d’étudier le phénomène et les manières d’y remédier d’un regard extérieur, mais de se projeter à l’intérieur du système. En effet, d’après nous, à ce niveau d’étude en son sein, la logique d’ordonnancement ne saurait trouver sa base que dans le cas particulier, à partir duquel il 15 Vocabulaire juridique, op. cit. v° Acte juridique. Vocabulaire juridique, op. cit. v° Fait juridique. 17 A ce titre, il n’est qu’à constater que certains projets de réforme la maintiennent implicitement, en consacrant les sources d’obligations qui la composent : V. à ce sujet, l’article 1er du projet Terré qui néanmoins supprime la catégorie des quasi-contrats ; d’autres l’admettent explicitement : V. à ce sujet les articles 1er, 2 et 3 du projet Chancellerie, et les articles 1101, 1101-1 et 1101-2 de l’Avant-projet Catala. 16 8 sera envisageable de tirer des conclusions susceptibles d’engendrer par induction des principes au champ d’application plus étendu. C’est donc par le prisme de mécanismes spécifiques du droit des obligations que nous nous proposons d’opérer. 12. - Mais pour que cette démarche aboutisse, encore faut-il sélectionner des objets d’étude susceptibles de refléter les maux du système actuel, afin qu’ils soient à même d’ouvrir la voie des remèdes, par le passage du particulier au général. Ainsi, rien ne sert d’étudier certaines institutions dont la qualification ne fait aucun doute. Au contraire, nous faut-il opérer par le biais de mécanismes contestés, donc situés à la lisière d’une sous-catégorie, voire même d’une catégorie du système. Ainsi en va-t-il de la société créée de fait, qui souffre de virulentes critiques quant à son appartenance au modèle du contrat, certains auteurs estimant qu’elle doive davantage relever de la logique du fait juridique18. Or, son étude nous paraît à ce titre devoir s’imposer en ce qu’elle permettrait ainsi d’identifier la frontière externe de la souscatégorie contractuelle, donc la limite à partir de laquelle le basculement du déclassement doive être opéré. Au-delà, c’est plus largement la limite de l’acte juridique qu’il s’agirait ici de tracer, dont le contrat constitue la composante majeure. Sur un autre plan, l’étude de la gestion d’affaires nous semblerait à même d’enrichir l’analyse. En effet, cette institution appartient à la sous-catégorie des quasi-contrats, qui suscite depuis l’avènement du Code civil, la controverse doctrinale quant à l’opportunité de son maintien. L’étude spécifique de cette espèce permettrait donc de cerner les particularités de son genre, conduisant à l’ériger en classification autonome, ou en prôner l’aménagement. C’est donc cette fois à l’identification des frontières internes au fait juridique, à travers la place des quasi-contrats, qu’il serait question d’accéder. 13. - Au-delà, une étude commune fait encore davantage sens, en ce que ces mécanismes prennent alors les traits d’un exemple de fait juridique, la gestion d’affaires, et d’un cas d’acte juridique, la société créée de fait : ainsi, on ne saurait rester enfermé dans une source particulière alors que le rapprochement de ces deux institutions permettrait une mise en perspective, donc une vision toujours interne, mais globale du système. En effet, on peut concevoir ce terme comme l’«action de mettre en regard des idées ou des faits, pour en faire sentir la ressemblance ou la dissemblance. »19 Aux bénéfices précédents se trouverait donc ajouté l’évaluation de la distance séparant l’acte juridique du fait juridique, permettant ainsi 18 19 V. notamment F-X. Lucas, La société dite « créée de fait », Mél. Guyon, Dalloz 2003 p. 737. Dictionnaire Littré, v° Rapprocher, dixième sens. 9 de reconstituer le système au travers d’institutions particulières, en évaluant les principales séparations qui le traversent. Se trouve ainsi balisée la démarche à suivre, à travers la question de savoir s’il est possible, et jusqu’à quel degré, de rapprocher la gestion d’affaires de la société créée de fait. 14. - Or a minima, malgré l’antagonisme ainsi révélé entre deux institutions s’inscrivant chacune dans une catégorie différente du système, on peut néanmoins noter à titre de point de départ, le plus petit dénominateur commun entre elles, à travers l’idée que chacune trouve son empire dans les faits même, indépendamment de toutes formalités imposées par le Droit, et conduit à la création d’obligations auxquelles s’appliquera un régime identique. Il s’agit donc ici d’une première marque de ce que l’antagonisme ainsi mis en valeur entre la gestion d’affaires et la société créée de fait n’est qu’apparent, et peut donc sembler réductible (Titre premier). La confirmation par l’analyse de cette première impression nous permettra alors de pousser au bout le rapprochement entrepris par l’établissement d’une convergence entre ces deux mécanismes (Titre second). Titre premier : Un antagonisme réductible entre gestion d’affaires et société créée de fait 15. - De prime abord, la distinction entre gestion d’affaires, et société créée de fait semble nettement relayée sur un plan formel. En effet, on estime traditionnellement que la gestion d’affaires s’intègre dans la catégorie des faits juridiques, à l’inverse de la société créée de fait, qu’on rattache à celle des actes juridiques. Plus avant, cette distinction se mue en opposition, si on envisage cette catégorisation comme summa divisio, autour de laquelle s’articulent des sous-catégories ayant vocation à rationnaliser et systématiser l’ensemble du droit des obligations. (Chapitre premier). Ainsi, il pourrait paraître vain de tenter de rapprocher deux mécanismes s’inscrivant chacun dans un volet de la distinction, tant celle-ci est, dans l’esprit des juristes, vectrice de divergences. Néanmoins, nous monterons que cette opposition doit, en l’occurrence, être relativisée (Chapitre second.) Chapitre premier : L’opposition formelle entre gestion d’affaires et société créée de fait 16. - On enseigne traditionnellement, comme règle de base de toute classification, que celleci est gouvernée par une summa divisio, division fondamentale au sein de laquelle tout élément à qualifier doit avoir une place, et ne peut avoir qu’une place. Or, cette impossibilité d’ambivalence au sein des catégories destinées à structurer une matière marque bien le 10 rapport antagoniste que celles-ci sont censées entretenir. Il en va ainsi, en droit des obligations, de la distinction de l’acte juridique et du fait juridique. Ainsi, de la même manière que l’acte s’oppose au fait, la société créée de fait devrait s’opposer à la gestion d’affaires, puisqu’en effet, parmi les actes juridiques, le plus emblématique semble être le contrat, et c’est au sein du Titre IX du Livre III consacré au contrat de société, que le Code civil réglemente en l’article 1873, la société créée de fait, comme espèce de ce genre spécifique (Section première ). La gestion d’affaire, quant à elle, s’inscrit, en tant que quasicontrat, dans le volet opposé du fait juridique, traitée par le codificateur dans le Titre IV de ce même livre intitulé « Des engagements qui se forment sans convention. » (Section seconde). Section 1 : La société créée de fait, une variété d’acte juridique 17. - Comme nous l’avons évoqué, la société créée de fait s’insère dans la catégorie du contrat de société, variété d’acte juridique. Cette appartenance formelle, liée à l’insertion de la réglementation de la société créée de fait, au sein des dispositions relatives au contrat de société, est relayée par les conditions posées par la Cour de Cassation quant à la reconnaissance de l’existence de ce groupement. En effet, celle-ci a eu l’occasion d’affirmer que « l'existence d'une société créée de fait exige la réunion des éléments constitutifs de toute société »20. Ainsi, une société créée de fait ne peut accéder à cette qualité qu’à la condition de s’inscrire dans la matrice de la société en tant que genre, qui, d’après l’article 1832 du Code civil, « est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter », tout en s’engageant à contribuer aux pertes éventuelles. 18. - Pour autant, cette définition ne rend qu’imparfaitement compte d’une réalité juridique plus complexe. Elle fonde en effet la société sur le contrat, et il s’agit bien là de la conception traditionnelle de la notion, qui veut que celle-ci trouve avant tout sa source dans l’accord de volonté des futurs associés. Mais cette vision des choses a pu être critiquée, certains auteurs estimant qu’une telle conception apparaissait comme une description trop réductrice du phénomène social, qui se concevrait davantage comme une institution21. La situation de société engendre en effet l’application d’un corpus de règles exclusives de la volonté des 20 21 Cass. Com 3 novembre 1988, n° 87-11795 V. à ce propos, M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des Sociétés, Litec, 23e ed, 2010, n° 10. 11 parties, et dérogatoires aux principes mêmes qui sous-tendent la philosophie contractuelle. Entre ces deux positions extrêmes, un consensus semble s’être établi au sein de la doctrine. De l’avis d’un auteur, celle-ci « se détourne de cette discussion théorique [et] considère que la société naît d'un contrat par lequel les fondateurs concluent un acte de société et qu'elle devient ensuite une institution dont l'organisation et le fonctionnement sont régis par des règles auxquelles ses membres ne peuvent échapper. »22 19. - Mais cette discussion apparaît d’autant plus académique dans le cadre de la société créée de fait, que l’essentiel des dérogations évoquées, trouve application en matière de sociétés personnes morales. Or, le groupement qui nous intéresse ici en est dépourvu, et on constate ainsi que sa constitution comme son fonctionnement s’établissent globalement selon une logique contractuelle. Par conséquent, c’est donc dans la voie classique que nous nous inscrirons au sein de cette étude. 20. - Cette définition laisse alors apparaître une césure au sein des conditions d’existence de toute société. En effet, d’une part, trouvant sa source au sein d’un contrat, la société créée de fait ne saurait dès lors exister que moyennant le respect des exigences de droit commun présidant à la validité de toute convention, telles que recensées au sein de l’article 1108 du Code civil23. Mais, d’autre part, ce dénominateur commun ne permettrait pas de rendre compte de la spécificité inhérente à la situation envisagée, laissant ainsi transparaître la nécessité de réunir en sus d’autres conditions permettant d’en faire part. 21. - Au final, de l’ensemble de ces éléments, on s’accorde à considérer que cinq sont particuliers à la situation de société, soit qu’ils soient spécifiques à cette circonstance, soit qu’ils s’éclairent d’un jour nouveau dans le cadre de ce contrat, et devront être réunis cumulativement pour en permettre l’existence, que l’on peut regrouper en éléments matériels (§1), et intentionnels (§2). §1) Les éléments matériels du contrat de société 22. - Matériellement, la société se traduit par la poursuite par deux ou plusieurs personnes, d’une entreprise commune (A), nécessitant la mise à disposition de certains moyens pour atteindre cet objectif (B). 22 D. Gibirila, Société-Dispositions générales-Constitution de la société-Contrat de société, Fascicule Litec n° 10, 2006, n°4. 23 Lequel exige « Le consentement de la partie qui s'oblige ; Sa capacité de contracter ; Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ; Une cause licite dans l'obligation. » 12 A) L’exercice par une pluralité de personnes d’une entreprise commune 23. - Ce premier élément est en réalité double : nous avons ici choisi de fusionner deux des critères traditionnels du contrat de société – l’exigence d’une pluralité de personnes, ainsi que celle d’un objet social – tant ils nous paraissent indissociables. En effet, si deux ou plusieurs personnes se réunissent, ce sera toujours dans un but déterminé, et en l’occurrence, l’exercice d’une activité sociale donnée. 24. - Ainsi, la société est traditionnellement considérée comme un groupement. Il en résulterait alors que la première condition quant à sa reconnaissance, soit l’existence d’une pluralité de personnes. Si cette exigence perdure encore aujourd’hui, elle n’est plus absolue en ce sens que l’article 1832, en son alinéa 2 énonce que la société « peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne. » 25. - Or, bien que la loi ne prévoie une telle possibilité que de manière marginale, force est de constater que le législateur a multiplié les exceptions depuis la loi de 1985 introduisant en droit français l’Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL). Dans son sillage, ont ainsi été créés l’Entreprise Agricole à Responsabilité Limitée (EARL), la Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle (SASU), et la Société Européenne. Par ailleurs, les professionnels libéraux ont également accès à certaines de ces formes de sociétés, mais adaptées à la spécificité de leur situation, à travers la Société d’Exercice Libéral à Responsabilité Limitée (SELARL) Unipersonnelle, ou la Société d’Exercice Libéral par Actions Simplifiée (SELAS) Unipersonnelle. L’admission de ces nouveaux types de sociétés a conduit à fragiliser encore davantage la conception contractuelle telle que traditionnellement envisagée de cette institution, en ce que dans ces occurrences, la société ne saurait résulter que d’un acte unilatéral de l’unique associé à son origine. Il faut également souligner que de telles structures ont induit une relativisation de la théorie du patrimoine d’Aubry et Rau en ce que si dans la rigueur des principes, à chaque patrimoine correspond bien une personne, en réalité, cet associé aura ici purement et simplement réalisé un cloisonnement patrimonial24. C’est donc de révolution plus que d’évolutions qu’il faudrait parler en la matière, tant l’inscription dans le marbre de la loi de ces formes particulières a bouleversé des principes auparavant 24 Il semble aujourd’hui que ce mouvement de remise en cause du principe d’unité du patrimoine ait été mené à son terme à travers l’entrée remarquée en droit français de l’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée, (EIRL), qui permet à celui-ci, conformément aux dispositions de l’article L526-6 alinéa premier du Code de commerce, d’ « affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans la création d’une personne morale » 13 fermement ancrés en droit français, dont ceux évoqués ne présentent aucun caractère d’exhaustivité. 26. - Néanmoins, on remarquera qu’aucune exception législative n’étant consacrée quant à la société créée de fait, ni quant à la société en participation dont elle emprunte le régime conformément aux dispositions de l’article 1873 du Code civil, celle-ci demeure donc pluripersonnelle. 27. - Une deuxième exigence vient s’y ajouter. En effet, les associés de société doivent poursuivre à travers elle, une « entreprise commune », l’objet social, recouvrant l’ « activité économique exercée par la société »25. Or, la société créée de fait n’échappe pas à cette condition, quant bien même son caractère informel et l’absence de conscience des associés d’avoir cette qualité en rendraient sa détermination, et a fortiori sa preuve, plus difficile. 28. - Cette solution se justifie par le fait que toute société, quelle que soit sa forme, est orientée vers l’accomplissement d’une activité déterminée, la réalisation d’un but économique, dans le cadre duquel elle pourra seul agir. En effet, si le principe de spécialité est le corollaire de la personnalité morale, en ce qu’il a vocation à circonscrire la sphère au sein de laquelle la société peut valablement se mouvoir, et ainsi permet de fixer le domaine d’action des dirigeants sociaux orientant son activité, la doctrine s’accorde néanmoins pour admettre une résurgence de ce principe en matière de groupements dépourvus de cette personnalité, en tant que virtualité de la force obligatoire attachée au contrat de société : ainsi, « les parties sont engagées dans les termes de leur accord, et pas au-delà »26. L’activité érigée à titre d’objet social doit néanmoins présenter certaines qualités pour fonder une société valable. A ce propos, l’article 1833 nous enseigne que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés. » Ainsi, à peine de nullité de la société27, l’objet social doit apparaître conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Mais on ajoute traditionnellement qu’il doit également être déterminé et exprimé dans les statuts du groupement28, ainsi que possible. 29. - Mais, ici encore, la situation particulière de groupement de fait conduit à des dérogations s’agissant de la société créée de fait. En effet, en premier lieu, les associés n’ayant pas conscience de se trouver dans une telle situation, la reconnaissance de cette 25 Vocabulaire juridique, op. cit, v° Objet social. P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, Domat Montchrestien, 3e ed. 2009, n°247. 27 C. civ, Art 1844-10 28 C. civ, Art 1835 26 14 société ne saurait être subordonnée au respect des formalités présidant à son immatriculation, et ainsi à la rédaction par les associés de statuts, alors d’autre part qu’il n’est ni envisageable, ni envisagé29 qu’elle soit dotée de la personnalité morale. L’exigence de détermination ex ante par les associés de l’objet social doit donc être éludée. Sa détermination interviendra ainsi ex post et unilatéralement, à l’initiative du demandeur à l’action visant à établir son existence. Mais il ne faudrait pas en conclure qu’il se voie conférer toute latitude dans cette tâche. En effet, pèse sur lui la contrainte liée à la réalité factuelle, ainsi qu’à l’impératif de preuve auquel il est assujetti, ceci sous le contrôle du juge, qui vérifiera l’adéquation de cette proposition aux faits portés à sa connaissance, ainsi que la concordance avec les autres caractères requis de licéité et possibilité. Cela marque encore ici l’importance du juge dans le processus lié à la découverte d’une société créée de fait, conduisant certains auteurs à faire de l’intervention d’un tiers, juge ou arbitre, une des conditions d’existence de cette structure 30. On ne peut qu’approuver cette idée, tant il est vrai que la société créée de fait n’est susceptible d’accéder à la vie juridique que par l’intermédiaire d’un tel tiers. En revanche, il nous semble contestable d’en faire un « élément constitutif »31 de la société créée de fait, car cette exigence de saisine d’un juge ou arbitre n’est pas de nature à isoler les particularités intrinsèques de ce groupement, du fait qu’elle lui est totalement extérieure. 30. - L’évocation de cette notion dans le cadre de la société créée de fait permet également de mettre en valeur l’hétérogénéité de situations auxquelles elle fait référence. L’objet social est en effet traditionnellement considéré comme devant être formulé de la manière la plus large possible, afin d’atténuer la rigueur du principe de spécialité et d’offrir à la société ainsi créée les plus larges potentialités d’action, dans une optique de développement de celle-ci sur un plan économique. Néanmoins, même en adoptant une telle formulation, cet objet ne saurait englober toutes les possibilités. Ainsi, l’activité sociale ne doit en aucun cas aller à l’encontre de ce but tel que formalisé dans les statuts. On est alors conduit à considérer que la société à objet civil qui exercerait une activité essentiellement commerciale doive prendre fin en cette forme sur le fondement de l’article 1844-7 du Code civil, du fait de l’extinction de son objet, pour laisser place à une société créée de fait à objet commercial, l’inverse valant pareillement. Mais, par contraste, lorsqu’on envisage la société créée de fait en tant que logique autonome, établie indépendamment de l’existence antérieure d’un groupement, en ce qu’il s’agit de 29 L’article 1873 du Code Civil s’agissant de la société créée de fait, renvoyant à l’article 1871 s’agissant de la société en participation aux termes duquel « Elle n'est pas une personne morale et n'est pas soumise à publicité. » 30 B. Dondero, Repertoire. Sociétés v° Société créée de fait, Dalloz 2009, n°48. 31 B. Dondero, Répertoire Sociétés préc. n°34. 15 porter un regard sur une opération ou un ensemble d’opérations passées, l’objet social sera défini de manière très restrictive. Cela est lié à ce que sa vocation est uniquement d’englober lesdites opérations, indépendamment de toute volonté d’extension tant cette logique est étrangère à la société créée de fait qui n’a pas vocation à s’inscrire dans le futur32. 31. - Enfin, si l’enjeu premier de la détermination de l’objet social de la société a trait à la reconnaissance de celle-ci, un second transparait, relatif à la détermination des règles qui lui seront ensuite applicables. En effet, si l’article 1873 du Code civil renvoie, à titre de réglementation de la société créée de fait, aux règles régissant la société en participation, dans le chapitre relatif à cette dernière figure l’article 1871-1 selon lequel « A moins qu'une organisation différente n'ait été prévue, les rapports entre associés sont régis, en tant que de raison, soit par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil, soit, si elle a un caractère commercial, par celles applicables aux sociétés en nom collectif ». La nature de l’activité exercée commandera donc le choix des règles qui régiront les rapports entre associés, avec toutes les difficultés que peuvent engendrer ces analogies33. Mais, cette entreprise commune ne peut pas valablement être exercée sans la mise à disposition de moyens au bénéfice de la société, qui lui permettront d’atteindre l’objectif que les associés s’assignent, à travers la réalisation d’apports. B) La réalisation d’apports 32. - Il s’agit d’une exigence à laquelle est tenu chaque associé, par cela qu’elle déterminera les possibilités d’action de la société sur le plan matériel. Classiquement, les apports peuvent prendre trois formes : 33. - Il peut tout d’abord s’agir, et c’est le cas le plus fréquent, d’apports en numéraire, l’associé s’engageant à verser une somme d’argent à la société. Il est par ailleurs possible, pour l’associé prenant un tel engagement, de décider soit de libérer son apport dès la formation de la société, soit d’en prévoir un versement ultérieur. L’associé est alors tenu de s’exécuter à l’échéance prévue, l’article 1843-3 du Code civil prévoyant en son alinéa 5 des sanctions dans le cas contraire. Celui-ci énonce tout d’abord que « l'associé qui devait apporter une somme dans la société et qui ne l'a point fait devient de plein droit et sans 32 V. à ce propos, pour une société ayant comme objet social l’édification d’un pavillon : Cass. Civ 1ère, 11 février 1997, Bulletin 1997 I N° 46 p. 30, n°95-13029 ; Pour une société ayant comme objet social l’exploitation d’une auberge : Cass. Com, 8 juillet 2003, n°01-11442. 33 V. à ce propos, F. Deukewer-Défossez, Illusions et dangers du statut des sociétés créées de fait, D.1982, chron. p. 83 16 demande, débiteur des intérêts de cette somme à compter du jour où elle devait être payée et ce sans préjudice de plus amples dommages-intérêts, s'il y a lieu ». Il ajoute ensuite que lorsque le délai légal, fixé par type de société pour la libération de l’apport est dépassé, tout intéressé peut agir en référé devant le président du tribunal compétent en fonction du type de société en cause, afin que celui-ci enjoigne aux dirigeants de ladite structure de prendre les mesures nécessaires pour que cette obligation soit accomplie, ou désigne un mandataire afin d’y procéder. 34. - Peut également intervenir un apport dit « en nature », l’associé s’engageant à fournir à la société un bien, autre que de l’argent, peu important qu’il soit corporel ou incorporel. A ce titre, l’associé pourra conférer à la société un droit réel sur le bien en question, à travers le droit de propriété ou ses démembrements que sont l’usufruit et la nue-propriété. Mais il aura également la possibilité d’opter pour l’octroi d’un droit personnel, et son apport interviendra alors en jouissance, l’apporteur s’engageant à mettre à la disposition de la société un bien dont il conserve la propriété. Cette dernière disposera ainsi d’une créance sur l’associé quant à la mise à disposition du bien en question. Ce mécanisme nécessitera néanmoins des aménagements lorsqu’un tel apport en jouissance portera sur une chose de genre. En effet, d’après l’article 1843-3 alinéa 2 : « lorsque l'apport en jouissance porte sur des choses de genre ou sur tous autres biens normalement appelés à être renouvelés pendant la durée de la société, le contrat transfère à celle-ci la propriété des biens apportés, à charge d'en rendre une pareille quantité, qualité et valeur ». Ce type d’apport peut également s’entendre d’une pluralité de biens, y compris regroupés sous la forme d’une universalité de fait telle un fonds de commerce. A ce titre, la pratique est allée encore plus loin, au-delà même de la lettre de l’article 1832 du Code civil, à travers l’admission de la réalisation de l’apport d’un contrat, et notamment synallagmatique et à exécution successive, par l’exemple récurrent du contrat de bail commercial. Il en résulte ainsi que l’opération d’apport n’est pas exclusive d’éléments de passif, si tant est qu’ils ne surpassent pas la valeur des éléments d’actif qui y sont corrélés. 35. - Enfin, peut se présenter l’hypothèse, généralement marginale, de l’existence d’apports en industrie, dans le cadre desquels l’associé s’engage à apporter « son activité et ses capacités techniques (connaissances, travail, services) dans le domaine spécifié, qui rend l’apporteur comptable envers la société de tous les gains qu’il réalise par son activité, conformément à l’article 1843-3 alinéa 5. »34 Ce cas apparaît d’autant plus exceptionnel, que 34 Vocabulaire juridique, op. cit, v° Apport en industrie. 17 cette éventualité est exclue ou restreinte dans bon nombre de sociétés. L’apport en industrie est ainsi notamment par principe impossible au sein des sociétés par actions, du fait de l’article L225-3 alinéa 4 du Code de commerce selon lequel « Les actions ne peuvent représenter des apports en industrie ». C’est ici très globalement, à la distinction entre sociétés de personnes, et sociétés de capitaux qu’il convient de faire référence. En effet, dans les premières, la personne de l’associé prédomine. Il sera alors logique d’admettre la possibilité d’apports en industrie, en ce que par son savoir faire, un associé peut occuper une place prépondérante au sein de la société. L’admission de ce type d’apports s’inscrit alors dans le prolongement de l’engagement postulé des associés dans la vie sociale. En revanche, au sein des sociétés de capitaux, la tendance sera davantage réservée concernant l’éventualité d’apports en industrie, en ce que dans de telles structures, c’est la place d’un associé dans le capital social qui importe. Or, conformément à l’article 1843-2 alinéa 2, « Les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent lieu à l'attribution de parts ouvrant droit au partage des bénéfices et de l'actif net, à charge de contribuer aux pertes. » 36. - De la même manière que les précédentes, cette exigence d’apports s’impose à la société créée de fait, comme condition sine qua non de la reconnaissance de son existence, mais sa spécificité de groupement de fait commande quelques particularités. En effet, on peut tout d’abord noter que la perspective est en l’occurrence inversée : si dans la majorité des sociétés, on observe une prééminence des apports en numéraire, la société créée de fait repose souvent sur des apports en industrie, qui ne sont pas prohibés en l’espèce. Tel est notamment le cas dans le cadre des rapports entre époux séparés de biens, où l’un prétendra avoir participé informellement, parfois pendant des années, à l’activité économique exercée par l’autre, souvent propriétaire d’un fonds de commerce, et ce au-delà de la simple contribution aux charges du mariage. Celui-ci agira ainsi en justice pour faire reconnaitre l’existence entre eux d’une société créée de fait visant à l’exploitation de ce fonds de commerce, en arguant du fait que l’un aurait apporté ledit fonds, et l’autre son industrie35. 37. - D’autre part, il faut également garder à l’esprit que s’agissant d’une société non formalisée, elle n’est pas dotée de la personnalité morale. L’opération d’apports ne peut donc pas prendre un tour ostensible en se manifestant par le transfert d’un droit réel du patrimoine de l’associé vers le patrimoine de la société ou par l’existence d’une créance liée à la 35 V. par exemple, s’agissant de l’exploitation d’un garage : Cass.Com 22 octobre 1991, n°89-13522 ; Pour l’exploitation d’un hôtel : Cass. Civ 1ère 12 novembre 1998 n°97-21025. 18 jouissance du bien appartenant à un associé au sein de ce dernier car celui-ci est, par hypothèse, inexistant. Il en résulte une nécessaire adaptation du mécanisme d’apports à cette situation particulière. Celle-ci est réalisée par l’article 1872 du Code civil, qui pose en son premier alinéa le principe selon lequel : « A l’égard des tiers, chaque associé reste propriétaire des biens qu'il met à la disposition de la société. » Pour autant, ces apports peuvent être regroupés au sein d’une indivision, ou transférés à l’un des associés contraint de les utiliser dans l’intérêt de la société. Enfin, celui-ci ajoute en son deuxième alinéa que « Sont réputés indivis entre les associés les biens acquis par emploi ou remploi de deniers indivis pendant la durée de la société et ceux qui se trouvaient indivis avant d'être mis à la disposition de la société. » 38. - En correspondance des apports effectués, chaque associé se verra attribuer des droits au sein de la société, y compris s’il n’a apporté qu’en industrie. D’après l’article 1843-2 alinéa premier, « Les droits de chaque associé dans le capital social sont proportionnels à ses apports lors de la constitution de la société ou au cours de l'existence de celle-ci. ». A l’opération d’apports proprement dite s’ajoute donc un second flux entre les patrimoines, mais en sens inverse, partant cette fois de celui de la société vers celui de l’associé, déterminant ainsi le poids du second au sein de la première. De la même manière, cette logique ne saurait avoir cours en matière de société créée de fait, qui ne dispose pas de patrimoine, comme nous l’avons souligné. C’est donc directement entre les associés que naitront ces créances, alors par ailleurs que l’octroi de tels droits sociaux ne paraît pas en l’espèce indispensable en ce sens que c’est essentiellement au cours de la vie de la société que leur détermination prend son sens. Or, la société créée de fait n’ayant vocation à être reconnue que pour être liquidée, les règles propres à la liquidation pallieront cette carence. Mais ces éléments matériels ne sauraient être envisagés de manière autonome, en ce qu’ils ont vocation à constituer la traduction factuelle d’un état d’esprit. §2) Les éléments intentionnels du contrat de société 39. - Si les conditions précédentes n’étaient, pour certaines, que l’adaptation des exigences de droit commun à la particularité de la situation de société, les éléments intentionnels s’inscrivent comme spécifiques à cette occurrence, en ce qu’ils ont vocation à refléter le particularisme de la situation d’associé. En effet, chaque personne se réclamant de cette qualification doit non seulement manifester son intention de partager le résultat né de l’exploitation (A), mais également être animé de l’affectio societatis (B). 19 A) L’intention de l’exploitation partager le résultat issu de 40. - Une fois l’activité déployée, elle génèrera un résultat. Outre le cas peu courant dans lequel il sera fait état d’un bilan à l’équilibre, ce résultat pourra prendre trois formes, telles qu’évoquées par le législateur à l’article 1832 du Code civil. 41. - Il pourra d’abord s’agir d’un bénéfice et la Cour de Cassation a défini cette notion dans un arrêt rendu toutes chambres réunies le 11 mars 1914. Elle a à cette occasion affirmé que « l'expression "bénéfices" […] s'entend d'un gain pécuniaire ou d'un gain matériel qui ajouterait à la fortune des associés. » Le bénéfice se traduit donc par l’augmentation en valeur du patrimoine du groupement ou de ses membres dès lors que, comme dans le cas de la société créée de fait, le premier n’a pas la personnalité juridique. Mais le résultat pourra également prendre la forme d’économies, c'est-à-dire d’une réduction des coûts ou des dépenses. Enfin, des difficultés peuvent apparaitre lors de l’exercice de l’activité, se matérialisant sous la forme d’une perte, donc d’une exploitation déficitaire. 42. - Quel que soit le type de résultat dégagé, on ne peut pas concevoir de société sans l’intention des associés d’en opérer la répartition entre eux. Celle des économies ne soulève pas de difficultés, en ce sens que chacun en profitera sans nécessiter ni accord, ni intervention des autres, mais par le simple exercice de son activité au sein de la société. Mais il n’en va pas de même du partage des bénéfices ou de la contribution aux pertes qui doivent faire l’objet d’un accord entre associés afin que chacun prenne une part de ce résultat positif ou négatif. 43. - Cette nécessité est relayée par la règle posée par l’article 1844-1 du Code civil, qui, dans son alinéa second, répute non écrites les clauses léonines, « attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes ». Pareille stipulation aurait en effet pour conséquence d’annihiler l’aléa consécutif à toute gestion de société, et ceci dans un sens qui pourra être favorable à certains associés, au détriment d’autres, et en cela, apparaît contraire à l’esprit même de l’institution, censé s’incarner au plan individuel. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que cette répartition doive toujours être aménagée de manière égalitaire entre les associés. En effet, si chacun doit obtenir une part des bénéfices, et supporter une partie des pertes, selon les hypothèses de gestion plus ou moins heureuse, la loi n’en fixe la proportion qu’à titre supplétif, laissant aux associés toute latitude pour y déroger dans le cadre des statuts de leur groupement. Ce n’est qu’à défaut d’accord 20 entre eux, que ce même article, fixe en son alinéa premier la part de chaque associé par référence à sa part dans le capital social, tout en réservant à l’apporteur en industrie, la même part que l’associé ayant le moins apporté dans la société. 44. - Une spécificité s’esquisse encore ici, s’agissant de la société créée de fait. En effet, le partage du résultat constitue le plus souvent l’objet du litige, l’enjeu de la reconnaissance de ce groupement résidant selon les situations soit dans le partage du bénéfice issu d’une activité exercée en commun, soit dans la répartition des pertes qui ont pu y être liées. A cette dualité de situations, correspondra très généralement une dualité de demandeurs à l’action. 45. - Dans le premier cas, où deux ou plusieurs personnes auront exercé une activité commune ayant profité à l’une d’elles, la première agira en justice à l’encontre de la seconde afin de faire reconnaitre l’existence entre eux d’une société créée de fait pour l’exercice de cette entreprise commune, en vue d’en obtenir le partage du bénéfice dégagé. C’est donc entre prétendus associés que se déroulera le contentieux, la preuve de l’ensemble des éléments constitutifs de toute société devant alors être rapportée (V. infra n°58). 46. - Dans la seconde hypothèse, ladite activité s’étant soldée par une perte, c’est souvent le créancier de celle-ci qui prendra l’initiative de l’action36. En effet, lorsque l’exercice d’une entreprise commune met en cause les tiers, le principe est, en l’absence de société, celui selon lequel est seul engagé à l’égard des tiers celui qui a traité avec eux. Néanmoins, cela pourra être problématique pour le créancier dans le cas où les capacités financières de son débiteur apparaitront douteuses. 47. - Le recours à la société créée de fait pourra alors lui être bénéfique dès lors qu’il a connaissance de ce qu’une ou plusieurs autres personnes se sont également impliquées dans cette activité. Pour autant, ce seul constat ne pourra lui assurer de remède à cette situation que dès lors qu’il établira, outre l’existence de la société, soit que les participants ont agi à son égard « en qualité d’associés, au vu et au su des tiers »37, soit qu’un associé lui a, « par son immixtion », laissée croire « qu’il entendait s’engager à son égard, ou dont il est prouvé que l’engagement a tourné à son profit »38. 36 Mais cette situation n’est pas exclusive : on peut imaginer qu’un prétendu associé souhaite agir à l’encontre de l’autre pour répartir entre eux le poids de la perte. 37 C. Civ, Art. 1872-1 alinéa 2. 38 C. Civ, Art. 1872-1 alinéa 3. 21 48. - Si le créancier parvient à rapporter cette double preuve, étant entendu que la première, concernant l’existence de la société est facilitée à son égard par la possibilité qui lui est offerte par la jurisprudence de se prévaloir uniquement de l’apparence d’une société créée de fait (V. infra n°58), il pourra alors invoquer la règle énoncée à l’article 1872-1 alinéa 2 selon laquelle chacun des coassociés sera tenu à son égard « des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l’un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. » Ainsi, outre l’adjonction d’autant de patrimoines qu’il parviendra d’établir d’associés engagés à son égard, décuplant ainsi les potentialités du droit de gage général qui lui est offert par les articles 2284 et 2285 du Code civil, le créancier pourra également bénéficier d’une solidarité entre eux si l’objet de la société qu’ils ont constitué pourra être considéré comme commercial, lui offrant alors la possibilité d’actionner chacun d’eux pour la totalité de la dette. 49. - L’avantage en est donc pour lui appréciable, étant entendu que l’obstacle à sa survenance est probatoire, et essentiellement lié à la démonstration du caractère ostensible de la qualité d’associé. Mais, encore faut-il garder à l’esprit que dans le cadre de la société créée de fait, les associés n’auront pas conscience de se trouver dans une telle situation. Ainsi, l’un d’entre eux ne pourra se présenter en cette qualité à l’égard du créancier, ce qui réduit les potentialités de voir l’action perdurer. Or, si cette ultime preuve n’est pas rapportée, la reconnaissance de la société créée de fait n’apportera aucun avantage au créancier, le principe formulé à l’article 1872-1 alinéa premier étant identique à celui qui a cours en droit commun : « chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l’égard des tiers. » 50. - Le partage du résultat entre associés semble bien alors s’ériger en enjeu de la reconnaissance d’une société créée de fait, que celle-ci intervienne de la volonté d’un associé, ou d’un tiers, mettant ainsi en lumière la difficulté liée à la démonstration d’une volonté quant à un acte qui, par hypothèse, n’a pas eu lieu. Cette difficulté est encore renforcée par le fait que cette volonté est inconsciente pour les intéressés eux même, ceux-ci n’ayant pas conscience de se trouver en société. Il pourrait alors paraître incongru d’exiger d’eux une intention de participer aux résultats de l’exploitation. Néanmoins, comme pour les autres éléments, le demandeur devra l’établir eu égard au comportement des parties, ou à tout le moins prouver que ce comportement montrait une absence de volonté de ne pas partager le bénéfice comme les pertes éventuelles, même si la réalité pouvait être tout autre (V. infra n°121 et s.). Ce partage serait alors retardé jusqu’au moment de la dissolution de la société. 22 51. - Pour autant, il ne s’agit ici que d’une des facettes de l’état d’esprit participant de la qualité d’associé, les autres virtualités étant englobées par la notion d’affectio societatis. B) L’affectio societatis 52. - Il nous faut ici mettre au préalable l’accent sur le fait qu’en tant que contrat spécial, la société se doit de faire référence à une situation spécifique, qui justifie l’instauration de règles idoines, et, ce faisant, les dérogations au droit commun qu’elles induisent. A ce titre, il faut garder à l’esprit qu’en l’occurrence, loin de l’opposition d’intérêts entre les parties, qui caractérise le plus souvent la matière contractuelle, la société vise à la convergence de l’action des associés autour de l’« entreprise commune », dont la réalisation profitera à tous39. Or, par cela, force est de constater que la position d’associé présente un certain nombre de particularités sur le plan humain, qui en font la spécificité, constat qui doit recevoir une traduction sur le plan des éléments constitutifs de toute société. C’est cet aspect qu’a vocation à traduire la notion d’affectio societatis, en tant qu’ultime exigence quant à la validité de la société. 53. - On entend ainsi traditionnellement l’affectio societatis comme une manifestation d’ordre psychologique, définie comme « la volonté des associés de collaborer ensemble, sur un pied d’égalité, au succès de l’entreprise commune »40. Il s’agit à ce titre d’une notion centrale dans la démarche de caractérisation d’une société, qui, en son absence, ne pourrait constituer qu’une apparence, une société dite « fictive », encourant la nullité41. Par ailleurs, ce caractère devra non seulement exister au moment sa création, mais également se poursuivre tout au long de la vie sociale. Ce faisant, ce critère permet également de distinguer la société d’autres situations voisines42. Pour autant, derrière cette notion apparemment unitaire, se profile une grande variété de situations, presque aussi variable que la notion de société ellemême. En effet, cet état d’esprit variera selon le type de société envisagé, et l’engagement corrélatif des associés dans la vie sociale qu’il induit. On peut ici suivre très schématiquement, car c’est au cas par cas que se juge cette exigence, la distinction cardinale entre les sociétés de personnes, et les sociétés de capitaux. 39 Caractéristique qui conduit certains auteurs à réfuter à la société la qualification de contrat, V. supra n°17 et s. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec 23e ed 2010, n°136. 41 Cass. Com 16 juin 1992, n° 90-17237. 42 V. infra n°115. 40 23 54. - Dans le cadre des premières, la personne de l’associé, prévaut sur sa part dans le capital social, ce qui engendre un investissement important de celui-ci dans la vie sociale, encore accru par les risques qu’il supporte dans ces types de structures où l’associé peut être tenu du passif social au-delà de son apport, donc sur son patrimoine personnel. C’est ici son état d’esprit, au-delà de tout autre caractère, qui fera l’associé, et à travers lui, la notion d’affectio societatis prendra tout son poids. 55. - Il en va autrement dans les sociétés de capitaux, où la perspective est inversée : c’est l’importance de ses apports, sa place dans le capital social, qui fait revêtir cette qualité à l’associé. La notion d’affectio societatis pourra alors être réduite à sa plus simple expression. En effet, il est notoire que certains associés de sociétés importantes n’ont en vue, avec l’acquisition de leurs parts sociales, que la réalisation d’un placement financier, et non une quelconque volonté de gestion ou de collaboration43. Cela montre par ailleurs qu’un autre facteur entre également en jeu, qui est celui de la taille de la société en question. L’affectio societatis sera vraisemblablement davantage présent au sein d’une petite société familiale, que d’une autre structure sans commune mesure avec la première, et faisant appel public à l’épargne. 56. - Entre la prééminence et l’inexistence, où classer le cas de l’associé de société créée de fait ? Le caractère de société à risque illimité, et souvent de taille restreinte, laisse présager, au regard des constats effectués précédemment, de l’importance que ce critère est de nature à revêtir en l’occurrence. Celle-ci apparaît bien réelle, et l’absence de formalisme, essence de la société créée de fait, conjugué au défaut de conscience des associés de se trouver en une telle situation, en renforcent la portée. Une telle affirmation pourrait, de prime abord, apparaître contradictoire. En effet, comment exiger une volonté de collaborer à une « entreprise commune », de la part de personnes qui n’ont pas a minima la conscience de se trouver dans une position d’associé ? Néanmoins, la contradiction ne serait qu’apparente, car ici, comme en toute matière, l’office du juge ne pourrait résider que dans l’analyse du comportement des intéressés : à partir de celui-ci, et dès lors qu’il observera que dans les faits, deux ou plusieurs personnes « ont collaboré ensemble, sur un pied d’égalité, au succès d’une entreprise commune », il en déduira que leur volonté était en ce sens, quant bien même les protagonistes 43 Ceux-ci étant alors qualifiés de « bailleurs de fonds », par opposition aux « contrôlaires », qui, au sein de la même société, s’impliquent dans la gestion V. à ce propos, M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, op. cit, n° 139. 24 n’auraient pas eu conscience d’œuvrer ainsi dans un cadre social44. Mais, si cette vision réduit la contradiction, on ne peut pas estimer qu’elle soit totalement annihilée, et nous reviendrons par la suite sur celle-ci. (V. infra n°119 et s.). 57. - Pour autant, dans cette optique, l’affectio societatis revêt toute son importance : société informelle et inconnue des intéressés agissant en son sein, le comportement des associés prétendus en apparait le révélateur. Mais pour que celui-ci opère, encore faut il un référentiel, un étalon qui permettra de certifier que ce comportement traduit l’existence d’une société, et non celui d’une situation proche. C’est l’affectio societatis qui assumera cet office, en tant que pièce maitresse du raisonnement. Ainsi, dans l’hypothèse récurrente où un époux séparé de biens travaille informellement dans le cadre du fonds de commerce appartenant à son conjoint, puis que le divorce survient, cet époux pourra chercher à établir qu’il existait entre eux une société créée de fait pour l’exploitation dudit fonds. Or, seul l’affectio societatis permettra de faire le départ entre le simple jeu du droit des régimes matrimoniaux, comprenant la contribution aux charges du mariage instaurée par le régime primaire impératif, et l’application du droit des sociétés à travers la société créée de fait, qui nécessitera une véritable volonté de prendre part à l’activité, au-delà de la simple assistance du conjoint45. On pourrait ainsi estimer que la collaboration aux charges du mariage implique une dualité d’activités, un époux aidant l’autre, la société créée de fait, en revanche, opérant via l’affectio societatis, une fusion de ces deux activités dans le creuset de l’ « entreprise commune », et marquant donc par cela une certaine unité. Le prisme de l’affectio societatis éclaire donc le comportement des parties en présence d’un jour particulier, mettant par cela en lumière l’existence d’une société créée de fait. 58. - L’agrégation de l’ensemble de ces éléments pour former la société créée de fait trouve logiquement son écho sur le plan de l’exigence probatoire pesant sur le demandeur à l’action. En effet, dès lors que celui-ci revêt la qualité de prétendu associé, la Cour de Cassation exige de lui qu’il rapporte la preuve de leur réunion46. Mais, la spécificité inhérente à la situation de société créée de fait justifie des dérogations à la rigueur de ce principe, lorsque la preuve est rapportée par des tiers au contrat. En effet, n’ayant pas de caractère ostensible en tant que 44 Et c’est bien en ce sens que la Cour de Cassation se prononce : V. à ce propos, l’arrêt Cass. Com 3 juin 1986 n°85-12118 s’agissant de l’appréciation de l’affectio societatis en matière proche de société en participation. 45 V. à ce propos, l’arrêt Cass. Civ 1ère , 3 dec. 2008, n°07-13043. 46 Cass. Com., 23 juin 2004, Bull. civ., IV n°135, n° 01-10106, ajoutant que «ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres .» 25 telle, il aurait été déraisonnable d’exiger d’eux de démontrer l’existence de chacun des éléments constitutifs de toute société, sauf à ce que cette exigence leur en interdise de facto l’invocation. La Cour de Cassation a donc ici assoupli ses exigences, en ne leur imposant que la seule preuve de l’apparence d’une société créée de fait, qui « s'apprécie globalement, indépendamment de la révélation de ces divers éléments »47, cette exception recevant elle même une dérogation, et donc par cela un retour au principe, lorsque le tiers en question est l’administration fiscale48. 59. - La société créée de fait apparaît ainsi, eu égard à l’ensemble de ces considérations, comme un cas d’acte juridique. A ce titre, la gestion d’affaire semble s’y opposer, par sa qualification de fait juridique. Section 2 : La gestion d’affaires, un modèle de fait juridique 60. - En tant que composante de la catégorie des quasi-contrats, la gestion d’affaires répond à la définition générale de ce mécanisme telle qu’inscrite à l’article 1371 du Code civil. Les quasi-contrats y sont évoqués comme « les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties. » Par cela, la gestion d’affaires correspond bien à la définition traditionnelle des faits juridiques en ce qu’elle renvoie, à travers l’ingérence du gérant dans les affaires du maître (§1), et moyennant le respect de certaines conditions, à « des évènements auxquels la loi attache des effets de droit (§2), indépendamment de la volonté des personnes qui bénéficieront ou souffriront de ces effets »49. §1) L’ingérence du gérant dans les affaires du maître 61. - Par principe, la traduction factuelle d’une situation de gestion d’affaire sera toujours identique, comme faisant référence aux cas dans lesquels une personne interviendra dans les affaires d’une autre, par le biais d’actes matériels mais également juridiques, et parmi eux, y compris d’actes de disposition50. Pour autant, ce simple constat ne suffira pas à permettre à chacune d’elles d’endosser respectivement les qualités pour l’une, de gérant d’affaires, et pour l’autre, de géré ou maître de l’affaire. En effet, la gestion d’affaires doit se traduire par une véritable ingérence de la part du gérant, et il semble bien, que ce terme, défini couramment 47 Cass. Com. 3 novembre 1988, Bull. civ. IV, n°289. Cass. Com 30 mai 1989 n°87-15446. 49 Ph. Malinvaud et D. Fenouillet, Droit des obligations, Litec, 11e ed, 2010 n°26. 50 V. à ce propos par exemple, Cass. Civ 1ère 23 juillet 1974, s’agissant d’un capital de valeurs mobilières. 48 26 comme le fait de « se mêler de quelque chose sans en avoir le droit, l’autorisation, ou sans en être requis »51, explique à lui seul les conditions dans lesquelles la gestion d’affaires pourra trouver à s’appliquer. On peut alors considérer à la suite d’un auteur qu’elles sont doubles, après avoir constaté avec lui que celles-ci « résument toutes les autres »52 : le gérant doit avoir eu l’intention de gérer l’affaire d’autrui (A), et sa gestion doit s’être avérée utile pour le maître de l’affaire (B). On peut d’emblée remarquer que se profile le caractère éminemment volontaire de l’acte en question, ce qui n’a pas pour conséquence d’évincer le mécanisme qui en naitra de la catégorie des faits juridiques. En effet, il est admis que cette catégorie « n’est pas homogène. Elle englobe des faits purement matériels sans la moindre coloration volontaire […]. Mais elle s’étend aussi à des faits matériels où la volonté est sous-jacente […]. Dans ces cas, seul le fait a été voulu, mais pas l’obligation qui en découle. »53 A) L’intention de gérer l’affaire d’autrui 62. - L’ingérence, comme clé de compréhension des conditions présidant à la reconnaissance d’une situation de gestion d’affaires, postule tout d’abord une action spontanée de celui se réclamant de la qualité de gérant. En ce sens, la Cour de Cassation a eu l’occasion d’affirmer que « les personnes qui légalement ou contractuellement sont tenues d’accomplir certains actes, ne peuvent s’en prévaloir comme étant des actes de gestion d’affaires »54. Plus largement, on peut estimer qu’il y a incompatibilité entre la gestion d’affaires, et l’exécution d’une obligation, quelle que soit sa nature. C’est notamment le cas lorsque cette nature est contractuelle. On ne saurait ainsi envisager que le prétendu géré passe un contrat avec celui se réclamant de la qualité de gérant, quant à la gestion des affaires du premier, sans encourir de disqualification. Au-delà, la simple autorisation, même tacite, semble faire obstacle à cette qualification, car elle aurait pour conséquence, par l’échange des consentements, de former soit un contrat de mandat, soit un contrat d’entreprise, selon la nature juridique ou matérielle des actes à accomplir. A l’inverse, le maître de l’affaire, ne doit pas non plus avoir manifesté son opposition à l’action du gérant55. 63. - Mais, cette ingérence ne saurait être admise de manière générale, par la connotation péjorative qui s’attache à ce terme, du fait de la spontanéité même de l’action du gérant. N’est 51 Dictionnaire Littré, v° Ingérence. R. Bout, Gestion d’affaires, conditions d’existence, fascicule Litec 10, 2006 n°18. 53 Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, op. cit n°26. 54 Cass. Soc. 11 oct 1984, Bull. civ. V, n°369. 55 Cass. Civ 3ème , 12 avr. 1972, Bull. civ. III, n°219. 52 27 il pas celui qui agit « sans en avoir le droit » ? Celle-ci apparaît alors comme de nature à susciter la méfiance en ce sens que le Droit part du principe humain, que chacun a vocation, par son action, à faire prévaloir ses intérêts propres. Ainsi, en matière contractuelle, la convention naît de cette opposition d’intérêts, forçant une partie à faire des concessions, à travers son consentement, pour obtenir celui de l’autre56. Seule la personne concernée pouvant faire valoir ses intérêts, et exclusivement ceux-ci, il est légitime de craindre que le gérant ne lèse les intérêts du géré, donc lui cause un préjudice, selon la définition qui en est traditionnellement donnée. 64. - La gestion d’affaires ne peut alors trouver sa place que dès lors que le fondement de l’action du gérant apparaît être l’altruisme. Porteur d’entraide, il ne saurait être réfréné, dès lors que le celui-ci manifeste l’intention de gérer l’affaire d’autrui dans l’intérêt de ce dernier57 : il s’agit là de la première condition nécessaire pour permettre le jeu de cette institution. Mais il faut s’attacher aujourd’hui, à nuancer une telle affirmation, tant cette exigence peut sembler protéiforme. 65. - Dans son acception médiane, telle que conçue par le Code civil, le gérant doit agir dans l’intérêt du géré, ce qui a notamment pour conséquence, si tant est que les conditions en soient remplies, de faire naitre à la charge de ce dernier, l’obligation d’indemniser le premier de tous les frais qu’il a pu engager au titre de sa gestion58. Mais, cet équilibre peut parfois être bouleversé. 66. - Il est en effet des situations où la logique de l’altruisme est poussée à son paroxysme, le gérant entendant non seulement gérer l’affaire d’autrui dans son intérêt, mais également prendre à sa charge tous les frais qu’il a pu exposer à ce titre, et tous les préjudices dont il a 56 V. à ce propos établissant la dualité entre la volonté et le consentement : M-A. Frison-Roche, Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats, RTD Civ. 1995 p. 573, où l’auteur affirme qu’ « ainsi, par la volonté, la personne manifeste sa puissance, sa capacité à poser à elle-même sa propre loi, sa liberté. Tandis que le consentement est signe d'une sorte de capitulation. Il y a toujours de l'aliénation dans un consentement. C'est bien ainsi que le définit le Vocabulaire philosophique de Lalande : consentir, c'est admettre, donner son assentiment, c'est-à-dire baisser pavillon devant une assertion ou devant une autre personne. Tandis que la volonté consiste dans la force de pouvoir toujours ne pas admettre. C'est pourquoi la figure de la liberté est celle du martyr et du héros : celui qui ne s'avoue jamais vaincu, celui qui ne consent jamais. […] La doctrine classique, telle qu'on nous la présente toute concentrée sur la volonté, aurait pu, si elle avait été plus sensible à cette dimension du consentement, établir ainsi : « qui dit contractuel, dit défaite ». Le droit des contrats en eut été changé, ou du moins changé plus vite. » 57 V. pour une conception similaire, fondant la gestion d’affaires sur « le devoir moral d’entraide qui nous incite à venir en aide à nos semblables », F. Goré, Le fondement de la gestion d’affaires source autonome et générale d’obligations, D. 1953 chron. p. 39. Dans le même sens V. R. Bout, fasc 10 préc. n°11. 58 C. Civ. Art 1375, V. infra n° 91 et s. 28 pu souffrir par son action. Le gérant intervient alors animé d’une intention libérale envers le maître de l’affaire, ce qui conduit certains auteurs à s’interroger sur le fait de savoir si elle ne chasserait pas la gestion d’affaires59. 67. - On peut également, dans la tendance inverse, glisser de plus en plus vers l’intérêt du gérant : l’intention de gérer l’affaire d’autrui dans l’intérêt de celui-ci pourrait n’apparaitre que partielle, le gérant trouvant également un intérêt personnel dans sa gestion, la Cour de Cassation ayant eu l’occasion d’affirmer que « la circonstance qu’ [une personne] ait œuvré à la fois dans son intérêt personnel et dans celui du maître de l'affaire n'est pas exclusive de l'existence d'une gestion d'affaires »60. La difficulté consiste alors à pouvoir faire le départ entre l’intention du prétendu gérant d’agir dans l’intérêt d’autrui, et celle d’agir dans son propre intérêt, la première devant, dans la pureté des principes, supplanter la seconde. Mais on observe que dans cette appréciation à laquelle est conduite la Haute juridiction, celle-ci opère de manière négative, par la constatation que les actes de gestion n’ont pas été effectués « dans le seul intérêt »61 de celui se réclamant de la qualité de gérant. Il s’agit donc ici d’une première marque du mouvement d’objectivation des conditions de reconnaissance de la gestion d’affaires. 68. - Le dévoiement apparaît en revanche total, lorsqu’on verse dans l’extrême visant à qualifier de gestion d’affaires, une gestion à visée purement égoïste pour le gérant, des affaires d’autrui. On parlera alors de gestion d’affaires « intéressée »62, que la Cour de Cassation a admise en poussant au bout la logique précédemment décrite, relayé ensuite par le législateur63. Ainsi, on a pu admettre l’application de la gestion d’affaires, dans des hypothèses où il était manifeste que le gérant n’était pas animé de l’altruisme présidant normalement à sa qualification. C’est le cas notamment s’agissant d’une compagnie 59 V. à ce propos, R. Bout, Quasi-contrats-gestion d’affaires-conditions d’existence, Fasc Litec n°10, 2006, n° 39 et 40 ; M. Douchy, La notion de quasi-contrat en droit positif français, préf. A. Sériaux, n°46 ; V. infra n°170 et s. 60 V. notamment Cass. Civ 1ère, 28 mai 1991, n° 89-20258 ; 25 novembre 2003, n° 02-14545. 61 Cass. Civ 1ère, 28 mai 1991, n° 89-20258 ; 25 novembre 2003, n° 02-14545 prec. 62 R. Bout, Fasc 10. op. cit n°73 et s. 63 Qui admet la possibilité d’assouplir le lien entre gestion d’affaires et altruisme, voire parfois de le rompre. Nous en citerons deux exemples : l’article 815-4 alinéa 2, relatif au régime légal de l’indivision, dispose qu’ « A défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un indivisaire en représentation d’un autre ont effet à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires ». Or il s’agit ici d’un cas de gestion d’affaires admis malgré un altruisme partiel, la gestion des biens de l’indivision profitant à tous les indivisaires, donc au gérant comme au géré ; Par ailleurs, l’ordonnance du 14 novembre 1944 traite en gérants d’affaires les acquéreurs de biens spoliés durant la seconde guerre mondiale, alors même que ces prétendus gérants n’ont manifesté aucune intention de gérer lesdits biens dans l’intérêt des maîtres de l’affaire respectifs. 29 d’assurance ayant transigé avec une victime quant au dommage à elle causé par son assuré, dans l’ignorance du fait que la couverture d’assurance ne pouvait en l’espèce jouer du fait d’une déchéance de ce dernier64, ou d’une société ayant continué à exécuter le contrat la liant à une autre malgré le fait que celui-ci avait été suspendu du fait de circonstances extérieures aux parties65. La gestion d’affaires s’inscrira alors dans le prolongement d’une relation liant, ou ayant lié les parties. On considère en effet traditionnellement que ce terme fait référence à des « rapports de droit ou (et) de fait entre deux ou plusieurs personnes, à des liens, (juridiques ou non) qui les unissent »66. 69. - Parmi ces liens juridiques, on peut faire figurer le contrat, dès lors qu’une de ses parties a, au bénéfice de l’autre et dans l’ignorance de cette situation, excédé les obligations que cet acte mettait à sa charge, ou exécuté des obligations qui n’auraient pas dû l’être, notamment du fait que l’acte en question ne produisait plus d’effets67. Par ailleurs, ce rapport de droit peut également faire référence au cas dans lequel une personne a outrepassé un pouvoir dont elle bénéficiait à l’égard d’une autre, sans avoir conscience de ce dépassement. Chacun pourra alors endosser les qualités respectives de gérant et maître de l’affaire, quand bien même le premier n’aurait pas agit spontanément, animé d’un sentiment d’altruisme envers le second68. Cette relation peut également prendre une tournure factuelle, dans les hypothèses que la doctrine qualifie de « voisinage des patrimoines »69. 70. - Certains auteurs se sont attachés à justifier l’adoption d’une conception à ce point extensive de la notion de gestion d’affaires, et ont fait référence pour cela, à une vision utilitariste de cette institution ayant vocation ici à intervenir dans des hypothèses diverses70, mais essentiellement dans des cas où il apparaît que l’enrichissement sans cause soit ou bien inapplicable, ou bien inadapté dans ses effets aux situations dans lesquelles on souhaiterait le 64 Cass. Civ. 1ère , 13 décembre 1954, Bull. civ. 1954, I, n°363. Cass. Civ. 1ère, 15 janvier 1963. 66 Vocabulaire juridique op. cit, v° Relation. 67 V. supra n°68, s’agissant de la nullité ou la suspension du contrat. 68 V. à ce propos, Cass. Civ. 1ère, 23 juillet 1974, n° 73-11353, s’agissant de la gestion consécutive au dépassement par un époux, des pouvoirs qui lui étaient conférés par son régime matrimonial, dans l’ignorance de cette situation. 69 Ph. Le Tourneau, Répertoire Civil v° Gestion d’affaires, Dalloz, 2008 n°24, trouvant notamment son empire dans le cas d’une situation de concubinage, où l’un prendra l’initiative de gérer les affaires de l’autre dans un but intéressé, ou en présence d’une copropriété. 70 Ainsi les juges auraient-ils tendance à user de la gestion d’affaires intéressée, entre autres, « pour justifier une responsabilité que le droit commun de l’article 1382 du Code civil ne suffirait pas à établir , […] pour accorder à ceux qui ont contracté avec celui qu’elle qualifie de « gérant », une action directe contre le maître, dans la mesure où celui-là a agit au nom de celui-ci, ou est censé l’avoir fait, [pour] […] valider toutes sortes d’actes juridiques, normalement voués à la nullité. » : R. Bout, fasc. n°10 préc, n° 85 à 90. 65 30 voir intervenir71. La gestion d’affaires intéressée semblerait alors, selon cette analyse, s’ériger en palliatif des carences de l’action de in rem verso. 71. - Pour autant, malgré la diversité des situations auxquelles elle fait référence, la jurisprudence n’a jamais abandonné explicitement cette première condition d’intention manifestée par le gérant, de gérer l’affaire d’autrui dans l’intérêt de celui-ci, alors d’autre part, qu’un second élément complémentaire, et dans le prolongement du premier, doit venir s’y ajouter afin d’établir la gestion d’affaires : il s’agit de l’utilité de la gestion pour le maître de l’affaire. B) L’utilité de la gestion pour le géré 72. - Ce critère apparaît comme étant finaliste, et de nature à parfaire le premier, puisque l’intention altruiste manifestée par principe par le gérant doit se traduire par une gestion devant effectivement profiter à celui au bénéfice duquel elle intervient, c'est-à-dire le maître de l’affaire. Les craintes liées à l’ingérence d’une personne au sein des affaires d’une autre transparaissent ici encore en filigranes derrière cette exigence. Il n’est en effet admissible de déclencher les effets de la gestion d’affaires que dès lors que celle-ci n’a pas engendré de préjudice pour son bénéficiaire, dont les intérêts doivent être préservés au-delà de toute autre considération. Ainsi, on admet que si dans certaines circonstances, la gestion d’affaires puisse ne pas lui profiter, il est formellement exclu qu’elle puisse lui nuire. Pour autant, ainsi qu’on a pu l’évoquer, il est des hypothèses dans lesquelles le gérant n’agit pas, ou pas totalement, animé d’une telle intention. Il est alors nécessaire de distinguer entre ces deux situations, quant à l’appréciation de la notion d’utilité de la gestion. 73. - En effet, lorsque le gérant a manifesté l’intention d’agir dans l’intérêt d’autrui, y compris de manière partielle, il convient de moduler l’appréciation de l’utilité de son action dans un sens qui lui est favorable, du fait de la bienveillance que doit susciter son intervention. Cette condition sera alors évaluée de manière essentiellement subjective, à travers la question de savoir si le gérant pouvait légitimement croire à l’utilité de son action pour le maître, au moment où il l’a entreprise72 quand bien même ce dernier n’en retirerait in fine, aucun bénéfice. On admet ainsi, dans le prolongement de ce principe, que la circonstance que le fruit de l’intervention du gérant ait péri par la suite, indépendamment de sa volonté, ne 71 72 R. Bout, Fasc. 10.prec, n°85 à 90. V. à ce propos, Cass. Civ 1ère, 16 novembre 1955, JCP G 1956, II 9087 note P. Esmein. 31 fait pas obstacle à la reconnaissance d’une situation de gestion d’affaires dès lors qu’il peut être établi son utilité au moment où elle a été entreprise, celui-ci n’ayant pas vocation à « répondre des cas fortuits »73. 74. - Mais, cette appréciation est rigidifiée par certains traits objectifs, toujours justifiés par la même méfiance du Droit, qui conduit à opérer la comparaison entre le comportement adopté par le gérant, notamment eu égard à ses compétences, et celui qu’aurait adopté un modèle de référence, au moment où, constatant un péril pour l’affaire d’autrui, il a décidé d’intervenir, dès lors que son intervention s’est soldée par un échec. Il est en effet nécessaire que le prétendu gérant n’agisse que dans la limite de ses compétences qu’il lui faut jauger avant d’entreprendre l’action, afin de ne pas, malgré sa bonne volonté, causer un dommage plus grand au bénéficiaire de la gestion, que celui qui aurait été le sien en son absence, ou se blesser lui même. Force est néanmoins de constater la souplesse dont fait preuve la jurisprudence prenant en compte l’ensemble des circonstances de la cause, et durcissant l’appréciation de la faute commise pour favoriser la régularisation de l’action du gérant grâce à ce mécanisme quasi-contractuel74. 75. - En revanche, lorsqu’une personne s’est immiscée de manière intéressée dans la gestion des affaires d’une autre, la perspective est inversée, la jurisprudence considérant que l’utilité de la gestion, devait en l’occurrence, être appréciée de manière objective, donc indépendamment de la volonté du gérant, par hypothèse égoïste75, eu égard au résultat de ladite gestion76. Ce résultat doit ainsi non seulement apparaître profitable pour son bénéficiaire, mais également subsister au moment de l’achèvement de celle-ci. 76. - En effet, la notion d’altruisme étant éludée, l’équilibre doit être rétabli par une appréciation plus rigoureuse de cette autre exigence d’utilité de la gestion, qui ne saurait 73 Cass. Civ 1ère, 3 mai 1955, Bull. civ, 1955, I, n° 179. V. à ce propos, l’arrêt Cass. Civ, 1ère, 28 janvier 2010, dans le cadre duquel la Cour de Cassation approuve une Cour d’Appel d’avoir affirmé que le bénéfice de la gestion d’affaires ne pouvait être refusé à celui se prévalant de cette qualité que dès lors qu’il s’est rendu coupable par son action d’une « imprudence grave ». 75 V. à ce propos, Cass. Civ. 1 ère, 5 mars 1985, n° 84-10097, concernant des travaux entrepris par une épouse séparée de biens, dans le château appartenant à son mari, et faisant office de logement familial, alors que celui-ci purgeait une peine d’emprisonnement. 76 V. à ce propos, Cass. Civ. 1ère, 7 juillet 1960, qui subordonne la gestion d’affaires intéressée au profit retiré par le géré à la suite de cette gestion. 74 32 légitimer l’action du gérant que dès lors que le maître de l’affaire a retiré un « profit » de celle-ci77. 77. - Pour autant, en tous les cas, la gestion utile n’est pas forcément une intervention liée à l’urgence. En effet, le Code civil n’impose nullement une telle exigence, et la jurisprudence se range à cette vision des choses. La Cour de Cassation effectue parfois certaines références à l’urgence de l’intervention, ceci sans l’ériger pas en condition d’application du mécanisme, mais plutôt en indice de l’opportunité de l’action du gérant. Une illustration peut en être procurée par l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 28 janvier 201078. Une Cour d’Appel avait ici dénié à la veuve et aux enfants d’une personne ayant été victime de noyade en tentant de porter secours aux enfants d’une autre, le bénéfice de la gestion d’affaires. En effet, selon elle, son décès résultait « exclusivement de la surestimation par celui-ci de ses capacités" au regard du "courant qualifié de ‘dangereux' par une pancarte apposée à l'arrière de la plage" ». La Haute Juridiction a alors censuré cette décision aux motifs « qu'en se bornant à cette affirmation, alors qu'alerté par le risque de noyade des enfants, et le spectacle de la détresse de leur père, il se trouvait confronté à la nécessité d'intervenir dans une extrême urgence, ce dont [la Cour d’Appel] aurait dû déduire l'opportunité de l'intervention au moment où [celui méritant alors la qualité de gérant] en a pris la décision. » 78. - La gestion d’affaires s’érige alors en institution extrêmement malléable, malgré ces deux conditions nécessaires à son existence. Pour autant, si souples qu’elles soient, n’en demeurent-elles pas moins nécessaires, en ce sens que leur absence en interdit la qualification. Il faut néanmoins nuancer ce propos en soulignant que cette exclusion n’interdit pas toute forme de régularisation de l’action du gérant. En effet, le bénéficiaire de la gestion aura toujours la possibilité, s’il y trouve son compte, de donner a posteriori son consentement à celle-ci, à travers une ratification, devant en tous les cas intervenir en connaissance de cause. Cela aura pour conséquence d’engendrer l’évincement de la situation de la sphère quasicontractuelle, en transformant rétroactivement cette gestion d’affaires avortée en contrat de 77 V. à ce propos, l’arrêt Cass. Civ. 1ère, 27 février 1963, concernant des plantations effectuées par le gérant sur une propriété appartenant au maître de l’affaire, et ayant procuré à celle-ci une plus-value de 636 000 Francs. A l’inverse, un généalogiste ne saurait se prévaloir de la gestion d’affaires dès lors que l’héritier se serait vu révéler l’existence de la succession indépendamment de son action : Cass. Civ 1ère, 31 janvier 1995, Bulletin 1995 I N° 59 p. 42, n° 93-11974. 78 Pourvoi n°08-16844. 33 mandat79. Mais, dans le cas contraire, lorsque cette existence est établie, et donc que l’action du gérant peut se réclamer de ces caractéristiques, la loi y attache des effets de droit. §2) Les effets de droit attachés à cette intervention 79. - Les conséquences principales de la situation de gestion d’affaires sont à rechercher dans les rapports entre le gérant et le maître de l’affaire, mis de facto en relations par l’ingérence du premier dans les affaires du second. Or lorsque l’article 1371 du Code civil définit le mécanisme quasi-contractuel, il énonce qu’il peut en résulter « quelquefois un engagement réciproque des deux parties ». C’est le cas de la gestion d’affaires, et le fait de qualifier ici de « parties » les personnes en présence a pu faire dire à certains auteurs que « le Code civil [imposait] des obligations au gérant (A) et au géré, (B) comme s’il s’agissait d’un contrat synallagmatique. »80 A) Les obligations mises par la loi à la charge du gérant 80. - Par leur intermédiaire, la loi semble circonscrire, en même temps que jalonner, l’action du gérant. En effet, l’article 1372 du Code civil lui intime en premier lieu l’ordre d’aller au bout de la gestion entreprise. Le gérant est alors chargé « de continuer la gestion qu’il a commencée, et de l’achever jusqu’à ce que le propriétaire soit en état d’y pourvoir luimême ». Ceci est lié au fait que par hypothèse, si la qualification de gestion d’affaires a été retenue, il s’évince nécessairement une utilité de l’action du gérant, et ainsi, quand bien même l’urgence ne serait pas érigée en condition sine qua non de l’existence d’une gestion d’affaires, (V. supra n°77), il y aurait en toutes circonstances un péril pour l’affaire d’autrui plus ou moins imminent selon les situations, à en interrompre la gestion avant son terme. 81. - Or, ce terme ne peut intervenir, ainsi que le conçoit le Code civil, qu’au moment où il s’avèrera que l’affaire d’autrui ne saurait tomber en déshérence, donc dès lors que le géré luimême sera susceptible de la prendre en main81, ou, en cas de décès de celui-ci, ses héritiers82, qui, selon le principe communément admis en droit français, continuent la personne du défunt. A ceux-ci, on assimile le représentant du maître de l’affaire dans le cas où celui-ci viendrait à faire l’objet d’une mesure d’incapacité, y compris si celle-ci est liée à l’ouverture d’une procédure collective ou de surendettement des particuliers. A l’inverse, La question 79 Cass. Com, 4 décembre 1972, n° 71-11729. Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, op.cit n° 771. 81 C.civ, Art 1372 prec. 82 C.civ, Art 1373. 80 34 pourrait également être soulevée de savoir si le décès du gérant serait de nature à mettre fin aux obligations qui étaient les siennes, ou entrainerait une transmission de celles-ci à ses héritiers. Or, cette interrogation n’a pas été tranchée ni par la loi, ni par la jurisprudence, et semble intimement liée à l’idée que l’on se fait des effets de droit mis à la charge du gérant, ainsi que nous l’exposerons ensuite (V. infra n°85 et s.). Néanmoins, on peut souligner que la gestion d’affaires doit nécessairement revêtir un caractère ponctuel. Ainsi, il convient de reconnaitre la possibilité pour le gérant ayant à faire face à une telle situation dans laquelle son engagement menace de se prolonger dans la durée, de saisir le juge afin d’obtenir que lui soit substitué un administrateur judiciaire. 82. - Dans le prolongement de cette première exigence, le gérant voit également mettre à sa charge par l’article 1372 du Code civil, l’obligation de se « charger […] de toutes les dépendances de cette même affaire. » Or, le Code civil ne définit pas cette notion de « dépendance », et peut être peut-on se référer à son étymologie afin d’en cerner le sens. Ce terme dérive du verbe dépendre, issu du latin dependere que l’on peut traduire par « prendre de ; se rattacher à »83. Il en résulte ainsi qu’il ne semble pas utile de définir la notion de « dépendance » pour elle-même, mais dans les liens qu’elle entretien avec l’affaire gérée, et il s’évince du sens premier de ce terme que ledit lien, s’identifie à celui unissant l’accessoire au principal. Le gérant ne doit ainsi pas limiter son action à la seule affaire qui en fait le cœur, mais également la prolonger à tous ses accessoires dont la gestion accroitrait l’utilité de celle menée au principal. C’est donc l’utilité de la gestion d’affaires, qui commandera la détermination des « dépendances ». 83. - Le Code civil met ensuite en place pour le gérant des exigences qualitatives quant à son action, en le sommant en son article 1374 « d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’un bon père de famille ». Le comportement du gérant dans le cadre de la gestion qu’il a entreprise sera donc apprécié in abstracto, par référence à celui que l’on aurait normalement pu attendre d’un homme prudent et avisé. Par ailleurs, dès lors que le gérant n’adoptera pas la diligence et le soin minimum imposés par ce standard, sera caractérisée sa faute, emportant à sa charge une obligation de réparation du préjudice causé. Pour autant, et dans l’optique de ne pas dissuader l’ingérence dans les affaires d’autrui lorsque celle-ci s’avère être nécessaire, compte tenu de l’altruisme censé déterminer l’action du gérant, l’article 1374 du Code civil 83 Dictionnaire Littré, v° Dépendance. 35 ajoute que « les circonstances qui l’ont conduit à se charger de l’affaire peuvent autoriser le juge à modérer les dommages et intérêts qui résulteraient des fautes ou de la négligence du gérant. » Il s’agit ici d’une règle originale en ce qu’elle a pour conséquence la possibilité offerte au juge par la loi d’écarter le principe de réparation intégrale 84 par faveur pour le gérant. Néanmoins, il faut bien souligner ici qu’il s’agit uniquement d’une faculté laissée au juge, dont il pourra faire application eu égard aux « circonstances ». Ainsi, il semblerait de bon droit de faire varier cette modulation en fonction de l’intention manifestée par le gérant de gérer l’affaire d’autrui dans l’intérêt de ce dernier, afin d’encourager les interventions altruistes, et réfréner au contraire, celles motivées par l’égoïsme, en lien avec l’appréciation déployée selon les circonstances, du critère d’utilité de la gestion (V. supra n°72 et s.). 84. - Enfin, il est traditionnellement exigé du gérant qu’il rende compte de la gestion effectuée. En effet, si cette exigence n’apparaît pas en tant que telle au sein des règles destinées à régir la situation de gestion d’affaires, l’article 1372 alinéa 2 dispose que le gérant « se soumet à toutes les obligations qui résulteraient d’un mandat exprès que lui aurait donné le propriétaire ». Or, prenant appui sur ce texte, la doctrine s’accorde à étendre à ce quasicontrat la règle prévue à l’article 1993 du Code civil et l’obligation de reddition de comptes qu’il porte à la charge du mandataire, du fait des affinités que présente cette obligation avec le mécanisme général institué par la loi dans ce cadre. 85. - Cette présentation formelle permet de rendre compte des obligations mises principalement à la charge du gérant par le Code civil. Néanmoins, on pourrait s’interroger sur la nature exacte des commandements ainsi imposés à celui-ci. A l’analyse, de telles « obligations » peuvent apparaître bien singulières. En effet, on enseigne traditionnellement que « comme son nom l’indique, l’obligation présente en principe un caractère obligatoire […]. Le débiteur est obligé d’exécuter l’obligation souscrite ; s’il ne l’exécute pas spontanément, le créancier peut l’y contraindre en exerçant une action en justice »85. Il en résulterait ainsi que quelle que soit sa source, l’obligation devrait naître, et obliger son débiteur à l’exécuter. Ce n’est que dans le cas où le débiteur n’exécuterait pas spontanément cette obligation, qu’il serait possible de l’y forcer, à travers le recours à la contrainte permettant au créancier d’obtenir une exécution en nature ou par équivalent. En cela 84 Qui au demeurant, ne s’est pas vu conférer valeur constitutionnelle par les Sages de la République : V. la décision du Conseil Constitutionnel rendue le 18 juin 2010 - Décision N° 2010-8 QPC. 85 Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, op. cit n° 8. 36 l’exécution de l’obligation, en toute logique, devrait s’inscrire dans le futur par rapport à sa naissance. 86. - Or, si on envisage cette chronologie comme référentiel, il semblerait qu’en la matière on soit en présence d’un anachronisme. En effet, la doctrine s’accorde à considérer que le mécanisme de gestion d’affaires trouvera généralement son empire dans l’hypothèse où une personne aura volontairement géré l’affaire d’autrui, celle-ci agissant alors en justice en sollicitant l’attribution de la qualité de gérant d’affaires, ceci afin d’obtenir notamment de la part de celui qui sera alors qualifié de maître de l’affaire, le remboursement des frais qu’il a pu engager dans le cadre de son action. Or, si les conditions nécessaires au jeu de ce mécanisme sont réunies, (V. supra n°60 et s.), le juge l’admettra, faisant naître à la charge du géré, les obligations escomptées par l’autre partie, qu’elle devra ensuite exécuter, spontanément on non. Mais, à l’égard du gérant, le juge est censé imposer des obligations, dont l’exécution ou l’inexécution se jugeront en se tournant vers le passé, en ce qu’à travers elles, le législateur vise à porter un regard a posteriori sur l’action de celui-ci, duquel il devra ressortir qu’il a géré l’affaire en totalité, dans le temps, et avec tous les accessoires s‘y attachant, et ceci, en bon père de famille. Seule l’obligation de reddition de compte, qui aura notamment pour fonction de jauger la bonne exécution des précédentes, répondrait ainsi à la logique classique. 87. - Mais alors, cette même logique aurait vraisemblablement commandé de ramener ces prétendus effets de la gestion d’affaires au plan de ses conditions, afin d’imposer davantage de cohérence86. Mais, cette position n’est en réalité pas tenable, du fait que la cohérence qu’elle apporte n’est qu’apparente, alors qu’elle engendre une déformation de l’institution, en allant à l’encontre de la volonté des rédacteurs du Code civil. Il faut encore ici admettre comme postulat, au même titre que ceux-ci le concevaient, que le gérant n’aie toujours vocation à agir que par altruisme envers le maître de l’affaire. Cet état d’esprit a donc pour 86 Et la jurisprudence a pu parfois se positionner en ce sens : ainsi, dans un arrêt, rendu par la Cour de Cassation, en sa chambre civile, le 23 juin 1947 (JCP G 1948, I, 4325, note A.B), la Haute Juridiction a érigé l’obligation de gérer l’affaire d’autrui en bon père de famille, au rang de condition de la gestion d’affaires, instaurant ainsi une confusion avec l’utilité devant présider à sa qualification, en refusant son bénéfice au demandeur au motif que l’affaire n’avait pas été convenablement administrée comme en témoignait le passif important engendré par l’action du prétendu gérant ; D’autre part, la Cour de Cassation, dans un arrêt rendu en sa première chambre civile le 24 mai 1989 (n° 87-19663) a approuvé une Cour d’ Appel d’avoir déduit de la méconnaissance par le prétendu gérant de l’obligation qui serait née de la gestion d’affaires qu’il invoquait, de gérer l’affaire d’autrui en bon père de famille, l’absence d’utilité de ladite gestion, pour refuser in fine de faire jouer ce mécanisme. Il s’agit néanmoins de décisions isolées, et contestables sur le plan de la logique juridique. 37 conséquence, ainsi que l’on a pu déjà le souligner, de contrebalancer la méfiance que suscite l’ingérence dans les affaires d’autrui, à tel point que c’est en faveur du gérant qu’il convenait de poser les règles, non sans avoir néanmoins assuré au préalable les intérêts du maître de l’affaire. Or ces derniers ne seront jamais sacrifiés dès lors qu’on exige du gérant, pour reconnaître son action, l’intention de gérer l’affaire d’autrui dans l’intérêt de ce dernier, alors d’autre part que cette gestion doit en ressortir comme étant utile. 88. - Ainsi, de l’autre côté, le système est bâti dans le but de ne pas dissuader le gérant d’agir : dans cette optique, la condition d’utilité de la gestion s’apprécie, dans la conception originaire, subjectivement et au moment où elle est entreprise, indépendamment de son résultat, l’appréciation qualitative de celle-ci étant relayée au rang des effets. Ce faisant, on admet que le gérant soit lié au maître de l’affaire, qui aura l’obligation de l’indemniser au titre des frais engagés, mais éventuellement, déduction faite des sommes compensant les fautes qu’il a pu commettre dans le cadre de sa gestion, qu’il ne l’ait pas menée au bout, ou qu’il n’ait pas agi en bon père de famille. Dans le cas contraire, ériger ces considérations en conditions de la gestion d’affaires aurait conduit en cas de manquement à dénier à l’auteur de la gestion, le bénéfice de ce quasi-contrat, malgré la bienveillance que devrait susciter son geste. Cette solution s’impose également à l’égard des tiers que le prétendu gérant aura pu impliquer dans sa gestion, en ce que s’il a agi à leur égard au nom et pour le compte du maître de l’affaire, celui-ci sera lié avec eux nonobstant les fautes qu’aurait pu commettre le gérant, alors que s’il s’agissait d’autant de conditions d’applications du mécanisme, ces relations n’auraient pu, dans un tel cas, se nouer. 89. - Mais cette vision ne résume plus l’institution, en ce que la jurisprudence l’a étendue aux cas de gestion d’affaires intéressée. L’appréciation de l’utilité est alors durcie afin de rétablir un équilibre face à une absence d’altruisme. Or, dans une telle hypothèse, l’utilité se déterminant eu égard au résultat de la gestion, il ne semblerait pas déraisonnable d’estimer que ces « obligations » soient absorbées par l’appréciation de celle-ci dont elles formeraient alors partie intégrante, les relayant ainsi implicitement au plan des conditions d’application du mécanisme. On peut alors remarquer en quoi cette évolution jurisprudentielle a pu galvauder l’institution, en tentant d’y fondre des situations qu’elle n’avait pas vocation à englober. 90. - Néanmoins, ce propos doit d’emblée être nuancé en ce que les situations de gestion d’affaires intéressée sont très rarement admises, et n’ont pas de ce fait vocation à supplanter le 38 principe de gestion d’affaires altruiste. Il convient alors de considérer que c’est bien au plan des effets de l’institution que doivent être traité les points évoqués. Pour autant, doit-on en faire des obligations ? Peut-être convient-il ici de se rallier à l’opinion d’un auteur, lequel estime que : « les obligations du gérant ne seraient pas, ainsi qu’on l’a observé, de véritables obligations au sens strict. Se bornant à fixer la conduite que doit tenir le gérant qui répond volontairement à un devoir moral d’entraide, et à préciser l’étendue de celui-ci, elles tiendraient plus à des obligations légales qu’à des droits de créance. Les seules obligations stricto sensu auxquelles la gestion d’affaires donnerait naissance seraient celles dont le maître serait tenu. […]. En dépit de cette différence, les obligations du gérant et celles du maître sont sanctionnées par des actions semblables, soumises aux règles du droit commun, notamment concernant leur prescription. »87. Ce terme d’ « obligation » semble alors devoir être saisi en un sens que le Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant évoque comme « général »88. Dans cette acception, l’obligation se rapprocherait du devoir imposé par la Loi89. Cela nous semble ainsi être la juste traduction des particularismes inhérents aux effets de Droit mis à la charge du gérant. On pourrait en effet les regrouper sous la bannière d’un devoir général de constance90 dans son action, ce qui permettrait d’expliquer tant les particularismes de leur substance, que ceux de leur sanction. Il paraitrait alors douteux que de telles obligations soient de nature à être transmises aux héritiers du gérant en cas de décès de celui-ci. Réciproquement, le géré voit peser sur lui certains effets de la gestion d’affaires. B) Les obligations mises par la loi à la charge du géré 91. - Si la qualification des effets de la gestion d’affaires mis à la charge du gérant peut poser difficultés, il n’en va pas de même de ceux mis à la charge du géré, qui, ainsi que le suggère M. Bout, peuvent recevoir sans l’ombre d’un doute la qualification d’obligations (V. supra n°90). Celles-ci sont diverses, et le siège en est l’article 1375 du Code civil, selon lequel : « Le maître dont l'affaire a été bien administrée doit remplir les engagements que le gérant a contractés en son nom, l'indemniser de tous les engagements personnels qu'il a pris, et lui rembourser toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites. » 87 R. Bout, Quasi-contrats - Gestion d’affaires – Effets, Fascicule Litec 20, 2006. n° 3 et 4. Vocabulaire juridique, op. cit v° Obligation, premier sens. 89 Ainsi, l’ouvrage évoque alors le terme d’obligation comme un synonyme de celui de devoir, résultant en général de la Loi. Il cite par ailleurs à titre d’illustrations les obligations légales du tuteur et l’obligation de fidélité entre époux. 90 Ainsi, le Dictionnaire Littré y fait référence comme connotant la « persévérance et la stabilité, v° Constance, deuxième sens. 88 39 92. - Il en découle tout d’abord que le gérant, sauf s’il vient à agir animé d’une intention libérale, et si tant est qu’on admette que cela n’ait pas pour conséquence de disqualifier la gestion d’affaires (V. supra n°66 et infra n°170 et s.), ne doit pas ressortir appauvri de la gestion qu’il a entreprise. Il est donc fait obligation au maître de l’affaire de l’indemniser afin d’opérer remboursement des frais qu’il a engagés dans ce cadre, avec la restriction selon laquelle seules les dépenses « utiles ou nécessaires » seront prises en compte à ce titre. Néanmoins, cette entrave apparaît dans la lignée de celles que nous avons déjà évoquées. En effet, une dépense nécessaire est a fortiori utile or, dans le cas où elle ne le serait pas, la logique inhérente au mécanisme tendrait à évincer lesdites dépenses de son jeu en cela que l’utilité est érigée en condition même de la gestion d’affaires91. 93. - La détermination de la prise en compte ou non de ces dépenses au titre de l’obligation du géré devrait ainsi s’inscrire dans le prolongement de l’appréciation de l’utilité de la gestion, sur le plan de chaque dépense individuelle mentionnée au compte par le gérant, et desquelles il réclame de la part du géré, le paiement, étant entendu qu’ainsi qu’on a pu le souligner, l’appréciation de l’utilité n’est pas, par principe, fonction de l’avantage financier qui pourra en être retiré par le géré. Ainsi, cette interprétation s’inscrit donc par cela, en conformité avec le principe d’ « indivisibilité de la gestion » posé par la Cour de Cassation dans un arrêt rendu par sa chambre des requêtes le 28 février 191092 en vertu duquel elle considère qu’« une fois l’utilité de la gestion établie et s’agissant d’une seule et même affaire, il n’est pas permis au maître de diviser la gestion, de manière à n’être obligé d’indemniser le gérant de ses dépenses que pour celles des opérations qui lui sont avantageuses et de n’avoir pas à lui rembourser les frais nécessités par celles qui ne le seraient point ». Il s’agit en effet de fustiger ici les dépenses d’agrément, ceci sans conduire à « diviser la gestion », dont seraient naturellement exclus du champ ceux des frais engagés qui ne correspondraient pas à ses conditions d’application : la gestion resterait ainsi unitaire, un filtre supplémentaire étant inséré pour que les dépenses y trouvent leur place. 94. - Ce remboursement s’entend alors de la dépense tant en principal, qu’en intérêts, à compter du jour où ces avances ont été constatées93, à l’exclusion par principe de toute 91 V. pour l’opinion contraire selon laquelle l’utilité ne commanderait que les obligations du géré : Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, op. cit n° 770, opinion démentie par la jurisprudence qui considère l’utilité comme condition même de la gestion d’affaires : Cass. Civ 1ère, 16 mars 2004, n° 01-10399 ; Cass. Civ 1ère, 2 juin 1970, n° 69-10804. 92 GAJC, 12e ed, n°236 ; DP 1911.1.137, note Dupuich. 93 Cass. Civ, 1ère, 12 juin 1979, n° 77-15516 : Bull. civ. I, n° 173. 40 rémunération94. Par ailleurs, la jurisprudence a pu ajouter que le maître de l’affaire était tenu d’indemniser le gérant de tous les dommages qu’il avait pu subir dans l’exercice de sa gestion95. 95. - Ensuite, le géré voit également mise à sa charge l’obligation de « remplir les engagements que le gérant a contracté en son nom [et] l’indemniser de tous les engagements personnels qu’il a pris. » On se situe alors à la conjonction entre les rapports entre « parties », et ceux qu’elles entretiennent avec les tiers, que le gérant aura pu impliquer dans la gestion qu’il a entreprise, notamment à travers des relations contractuelles. Or, ce faisant, le gérant n’agira pas pour son propre compte, mais pour le compte du maître de l’affaire, par le prisme de la gestion d’affaires ayant pour conséquence d’instituer une représentation d’origine légale. Les obligations du géré prendront alors deux tournures distinctes, selon que ladite représentation pourra être qualifiée de parfaite ou d’imparfaite. 96. - Si on envisage ce dernier cas, le gérant ne se sera pas présenté aux yeux des tiers comme agissant au nom et pour le compte d’autrui, mais aura contracté en son nom propre. Dans une telle hypothèse, il conviendra d’articuler les deux rapports évoqués, trouvant leur point de rencontre en la personne du gérant. En effet, le contrat formé entre le gérant et le tiers ne pourra avoir pour conséquence que d’obliger ses parties, qui bénéficieront seules des actions nées de celui-ci, et de nature à les opposer, à l’exclusion du maître de l’affaire, extérieur à leurs relations96. Néanmoins, le géré, même s’il n’est pas directement partie au contrat, se verra ici intimer l’obligation d’indemniser le gérant au titre de ces « engagements personnels qu’il a pris », les effets du contrat devant in fine, profiter comme peser sur le représenté. 97. - En revanche, s’il s’agit d’une représentation parfaite, qui interviendra dès lors que le gérant aura déclaré au tiers avec lequel il compte nouer des relations contractuelles, agir au nom et pour le compte du maître de l’affaire, la situation sera différente. En effet, le gérant sera ici considéré comme transparent en ce sens que par l’effet de la représentation parfaite, 94 Cass. Com, 15 décembre 1992, n° 90-19608, la Cour de Cassation ayant, par exception, admis le paiement d’une rémunération en matière de gestion d’affaires intéressée du professionnel : V. à ce propos, Cass. Civ 1ère, 31 janvier 1995, n° 93-11974, s’agissant de la rémunération d’un généalogiste. 95 V. notamment Cass. Civ 1 ère, 26 janvier 1988, n° 86-10742, Bull. civ. 1988, I, n° 25, s’agissant de l’indemnisation d’un dommage corporel subi par le gérant. 96 Cass. Civ 1ère, 10 février 1982, n° 81-10546, Bull. civ. I, n°67 par lequel la Cour de Cassation estime que le gérant, qui « s’était abstenu d’indiquer [l’] identité [de ses maîtres de l’affaire], […], [avait placé le tiers], en situation de ne pouvoir agir que contre lui et non contre les maîtres de l’affaire. » 41 ce média que constitue le représentant s’estompe, pour ne laisser subsister qu’un lien direct entre le représenté et le tiers, exclusif de tout autre. 98. - La Cour de Cassation considère ainsi que « le gérant d’affaires n’est pas personnellement obligé envers le tiers avec lequel il contracte pour autrui, à l’exécution des obligations naissant de ce contrat, s’il s’est présenté à ce tiers, explicitement ou implicitement, comme agissant pour le compte du maître de l’affaire, et sauf stipulation contraire »97, ce dont il résulte à titre de corrélat le fait que le tiers ne saurait agir à l’encontre du gérant du fait de l’inexécution des obligations issues du contrat dont se serait rendu coupable le maître de l’affaire, alors d’autre part que seul ce dernier pourra actionner le tiers, ou se voir actionner par lui. 99. - Il ne s’agit ici que de la traduction du principe formulé par le Code civil à l’article 1375, selon lequel « le maître dont l’affaire a été bien administrée, doit remplir les engagements que le gérant a contractés en son nom. » Ce principe reçoit une exception dès lors que le gérant a, par son action, causé un dommage au tiers, puisque dans ce cas, lui seul devra en répondre, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle, du fait de l’absence de rapport contractuel les liant98. On peut enfin noter que des effets analogues seraient produits par la ratification de la gestion par le géré, celle-ci se muant alors rétroactivement en contrat de mandat (V. supra n°78). 100. - Au terme de ce premier Chapitre, on peut donc constater que l’opposition entre gestion d’affaires et société créée de fait semble nettement établie. En effet, chacune de ces institutions semble faire référence à une catégorie différente de la summa divisio structurant le droit des obligations. Ainsi, nous avons montré que la société créée de fait s’inscrivait au sein de la catégorie des actes juridiques, en ce qu’elle répond aux critères présidant à l’existence d’un contrat de société entre les différents protagonistes. Il en va différemment de la gestion d’affaires, qui fait figure de fait juridique, en ce qu’à un évènement – l’ingérence d’une personne dans les affaires d’une autre – la Loi attache des effets de droit à charge de chacun de ces protagonistes. Mais, il ne s’agit pour lors que d’une opposition formelle, et il nous faut 97 Cass. Civ. 1ère, 14 janvier 1959 ; D. 1959 p 106. V. à ce propos, Cass. Civ. 24 juillet 1935, Gaz pal 1935, 2, p 598. Une autre exception avait pu être admise par la jurisprudence dès lors que le gérant avait agi animé d’un altruisme uniquement partiel, le tiers pouvant alors exercer son action contre lui et le géré, alternativement ou cumulativement, bénéficiant alors d’une solidarité entre eux, mais les arrêts apparaissant anciens, et la position discutée, il n’est pas sûr qu’elle soit encore maintenue à l’heure actuelle : V. à ce propos, Cass. Req 16 juillet 1890, S. 1894, 1, p 19. 98 42 maintenant montrer que l’adéquation entre la forme et le fond est loin d’être aussi nette, montrant ainsi que cette opposition doit être relativisée. Chapitre second : Une opposition à relativiser 101. - Si la présentation classique, ainsi que nous l’avons exposée, semble nettement marquer l’opposition entre gestion d’affaires et société créée de fait, encore faudrait-il nous assurer que cette opposition formelle soit bien le reflet de l’opposition au fond de ces deux institutions. Or, la déconstruction de ces deux mécanismes appelle à formuler des réponses nuancées. En effet, la société créée de fait apparaît alors comme un acte juridique imparfait (Section première), alors que la gestion d’affaires prend les traits d’un fait juridique atypique (Section seconde). Section 1 : La société créée de fait, un acte juridique imparfait 102. - S’attacher à la structure de la société créée de fait, conduit à s’intéresser aux éléments constitutifs qui la caractérisent, donc à la logique du raisonnement du juge, conduisant, dans le cadre d’un litige particulier, à sa reconnaissance. Or, dans cette hypothèse, le juge révèle l’existence d’un contrat de société au terme d’une démarche inductive (§1). Néanmoins, force est de constater que l’induction à laquelle il est procédé est, en l’espèce, contestable (§2). §1) La révélation de l’existence d’un contrat de société au terme d’une démarche inductive 103. - A la base de la notion traditionnelle d’acte juridique, on fait figurer la volonté. On ne saurait donc entamer l’étude d’une de ses composantes sans évoquer au préalable le contenu de la volonté en matière juridique. La majorité de la doctrine s’accorde pour y voir le « fait de vouloir ; [un] acte de volition constitutif du consentement nécessaire à la formation de l’acte juridique, qui comprend un élément psychologique (volonté interne) et un élément d’extériorisation (volonté déclarée). »99 La volonté est donc majoritairement considérée comme un phénomène psychologique extériorisé lors de la formation de l’acte, et ainsi, l’office du juge, en une telle matière, serait de s’attacher à la volonté réelle des contractants. Nous nous inscrirons ainsi, pour lors100 dans ce mouvement, participant des postulats du droit français. 99 Vocabulaire juridique, op. cit v° Volonté, deuxième sens. Pour l’exposé de la conception matérialiste de la volonté en matière contractuelle, V. infra n°288 et s. 100 43 104. - Or, au moment où le juge est saisi, il est nécessaire de garder à l’esprit que cette concordance entre les volontés des différents protagonistes fait défaut. En effet, dans le cadre du contentieux de la société créée de fait, le juge est saisi par un demandeur se prétendant partie à un contrat de société avec une autre personne, ou prétendant qu’un tel contrat lie deux ou plusieurs autres protagonistes, ce que les autres acteurs réfutent. Il lui faut alors s’interroger sur le fait de savoir si la situation de fait qui lui est soumise peut correspondre à l’existence d’un contrat de société, afin de déterminer si l’accord de volonté allégué, au moment où il a à en connaître, n’existe plus, ou n’existe pas, en ce sens qu’il n’est jamais intervenu. 105. - La question se pose alors de savoir comment le juge aurait la possibilité de s’en assurer, étant entendu que la réponse à cette interrogation dans l’abstrait, permettra d’évaluer le bien fondé la démarche actuelle adoptée par les juridictions. Or, de la cohérence ou non de cette dynamique dépendra la qualification de la société créée de fait au sein des sources d’obligations. 106. - Il nous faut souligner au préalable que le désaccord, ou à tout le moins la contestation intervenant entre les parties au procès quant à l’existence d’un contrat de société n’apparaît pas un obstacle sérieux à sa reconnaissance. En effet, d’après l’article 4 du Code civil, le juge se voit imposer de trancher le litige, et pour cela, l’article 12 du Code de procédure civile lui confère la maitrise de la qualification. Néanmoins, encore devra-t-il motiver convenablement sa décision confirmant ou infirmant l’existence d’un contrat. Or, pour cela, la seule base de raisonnement qui apparaît envisageable pour lui, semble être le comportement des intéressés, qui doit révéler l’opération matérielle réalisée par le contrat de société (A), ainsi que s’identifier à celui d’associés (B). C’est bien ainsi que le juge opère. A) Le comportement, reflet de l’opération matérielle du contrat de société 107. - La dimension du contrat conçu comme accord de volontés est celle à laquelle on accorde une place prépondérante en droit français, mais de ce constat on ne doit pas déduire qu’il soit sa seule caractéristique. En effet, d’après un auteur : « de ce que l’accord de volontés est l’instrument d’opérations socialement utiles il résulte également que ce sont ces opérations elles-mêmes, au moins autant que les volontés instrumentales, qui constituent l’essentiel. Dans cette optique, on examinera l’opération concrète, que tend à réaliser le 44 contrat, autant que les volontés qui déterminent ses conditions. »101 Le juge doit donc avoir égard à la matérialité des faits qui lui sont soumis, pour établir qu’elle correspond à celle présidant à l’existence d’un contrat de société. 108. - Il s’agit donc d’isoler l’opération ayant vocation à être réalisée par un contrat de société, pour déterminer si elle correspond à la réalité factuelle de la situation envisagée. Ainsi, la question se pose de savoir quelle est la traduction objective de l’exécution d’un contrat. Florent Viaud a tenté de cerner la réalité matérielle du contrat 102. Au sein de sa démarche conceptuelle, l’auteur note une inadaptation des notions traditionnelles pour saisir cette facette du contrat. En effet, après avoir écarté les notions de cause et d’objet du contrat, ne permettant que de saisir imparfaitement la réalité envisagée, il opte finalement pour leur agrégat au sein de la notion de fonction économique du contrat103, en précisant ensuite, que concernant le contrat de société, « rien n’interdit d’en identifier la fonction économique à la fois dans les apports des parties et dans la participation aux résultats de l’exploitation »104. 109. - Or, ces éléments sont pris en compte dans le cadre de la démarche du juge. C’est le cas des apports, qui forment l’une des exigences quant à la reconnaissance d’une société créée de fait. Mais celle-ci ne saurait se suffire à elle-même. En effet, ces apports sont forcément corrélés à une activité exercée en commun par plusieurs personnes, dont ils ont vocation à permettre l’exercice. Ce faisant, on retrouve les trois caractéristiques prises en compte par le juge. Celui-ci doit non seulement déterminer l’existence d’apports, mais également, et au préalable, d’une pluralité de personnes et d’un objet social. 110. - Les choses sont moins évidentes s’agissant de la participation aux résultats de l’exploitation. En effet, le juge doit aussi s’attacher à ce caractère, mais dans la rigueur des principes, uniquement dans sa dimension intentionnelle. Pour autant, cela ne semble pas devoir entraver la logique de l’office du juge en la matière, ceci pour deux raisons principales. La première est liée à la définition même de l’intention, dont on admet qu’elle fasse référence à une « volonté tendue vers un but »105. Il s’agirait alors ici d’une volonté tendue vers 101 J. Ghestin, Traité de Droit Civil, La formation du contrat, LGDJ, 3e ed 1993, n° 230 ; La notion de contrat, D. 1990 p 147. 102 F. Viaud, La relation contractuelle de fait, Thèse de doctorat sous la direction de G. Pignarre, 2010 n°60 et s, p 55 et s 103 F. Viaud, op. cit, n°81 et s. 104 F. Viaud, op. cit n° 83. (Nous soulignons). 105 Vocabulaire juridique, op. cit v° Volonté, premier sens. 45 l’objectif de partage effectif des bénéfices ou des pertes issues de l’exploitation. Ainsi, l’intention semble étroitement liée à la réalité matérielle qui en constitue le prolongement. Il ne semble donc pas déraisonnable de considérer que l’admission d’une intention ait ainsi pour conséquence de rendre vraisemblable la survenance d’une réalité matérielle qui constitue ici l’objet du litige. D’autre part, force est de constater que les juges tendent parfois à s’appuyer sur la réalité matérielle, pour en déduire l’intention à son origine, lorsque cela apparaît envisageable eu égard au cas d’espèce. Cela intervient généralement dans l’hypothèse dans laquelle le résultat positif avait déjà fait l’objet d’un partage entre les prétendus associés, avant qu’un désaccord entre eux n’engendre des difficultés quant à la répartition postérieure d’un bénéfice ou d’une perte, nécessitant alors le recours à la société créée de fait 106. 111. - Eu égard à ces considérations, il semble donc que la démarche du juge apparaisse jusqu’à lors, cohérente, en ce que les critères dont il use permettent de saisir la réalité matérielle du contrat de société. Mais, Monsieur Viaud émet ensuite certaines réserves : « La volonté des parties doit, selon nous, rester le moteur de l’acte juridique. Par conséquent, nous ne croyons pas non plus que la réalisation d’une opération matérielle typique ou d’un comportement spécifique puisse, sans aucune considération pour la volonté réelle des parties, donner lieu à un contrat. »107 Monsieur Ghestin se situe sur la même ligne, en estimant qu’on doit avoir égard à l’opération matérielle « autant [qu’aux] volontés qui déterminent ses conditions. »108 112. - En d’autres termes, ces deux éléments cumulatifs, la volonté et la réalité matérielle, font le contrat, dont l’existence ne peut être établie avec certitude sans que l’un comme l’autre ne soit avéré. On ne peut qu’approuver cette réserve. En effet, il y aurait selon nous une incohérence à s’inscrire dans la logique de recherche d’une volonté psychologique, comme le postule le droit français, tout en éludant toute dimension subjective dans l’identification du contrat. Il faut ainsi en déduire que la simple opération matérielle du contrat de société ne saurait suffire à caractériser de manière certaine son existence. Cela conduit donc à admettre 106 V. notamment Cass. Com 16 juin 1998, Bulletin 1998 IV N° 203 p. 168, n°96-12337, qui a pu décider que « pour retenir l'existence d'une société créée de fait entre MM. Gilbert et Yvan X..., l'arrêt, après avoir constaté l'existence d'apports et de l'affectio societatis, relève qu'ils ont vécu des fruits de l'exploitation commune et incontestablement participé tous deux aux résultats positifs de leur exploitation agricole ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, desquelles il résultait que l'exploitation n'avait pas subi de pertes auxquelles les associés eussent dû contribuer, la cour d'appel a légalement justifié sa décision. » 107 F. Viaud, op. cit n°86. 108 J. Ghestin, Traité de Droit Civil, La formation du contrat, LGDJ, 3e ed 1993, n° 230 ; La notion de contrat, D. 1990 p 147. (Nous soulignons.) 46 que d’autres critères doivent être pris en considération, et la démarche du juge dans la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait semble tenir compte de cet écueil par la prise en compte d’éléments intentionnels. B) Le comportement, traduction factuelle de la position d’associé 113. - A travers ces éléments, il s’agit de rétablir un certain subjectivisme dans l’analyse de la société créée de fait. En effet, si matériellement, la situation correspond à celle qui naîtrait d’un contrat de société, son existence ne saurait être affirmée qu’après examen de l’intention des parties. Il faut y établir la position d’associé des protagonistes, en y décelant la présence des éléments intentionnels constitutifs de toute société, l’intention de partager le résultat issu de l’exploitation et l’affectio societatis, qui permettent d’isoler cette situation d’associé, souvent de manière résiduelle, en excluant les autres institutions proches. 114. - C’est tout d’abord le cas de l’intention de partager les bénéfices et les pertes liées à l’exercice de l’entreprise commune. En effet, sa reconnaissance permettra notamment de distinguer la situation de l’associé, et l’état d’esprit qui y est inhérent, de celle du membre de l’association, qui n’a pas à se soucier de ces considérations. Mais on a pu également évoquer que cette appréciation était parfois largement objectivée par le juge, dévoyant ainsi la logique qui devrait l’animer (V. supra n°110). 115. - Mais, c’est encore une fois l’affectio societatis qui joue un rôle prépondérant en la matière, en cela que chacune de ses dimensions a vocation à individualiser davantage la situation de société. Imposant un dynamisme et une volonté d’expansion de l’activité menée en commun, l’affectio societatis permet de faire le départ entre l’associé et l’indivisaire. En effet, l’indivision est un état des choses intervenant le plus souvent indépendamment de la volonté de ses membres, notamment consécutivement à un décès, entre les différents héritiers. D’autre part l’indivision n’a vocation à constituer qu’une situation précaire, visant davantage à conserver des biens, qu’à créer de la richesse. Ce même comportement positif serait susceptible d’isoler l’associé du mandant, ou du prêteur. Enfin, l’affectio societatis doit également évoquer une égalité entre les associés, permettant de les distinguer des salariés, dont la caractéristique première est de se trouver en situation de subordination à l’égard de leur employeur. 47 116. - L’affectio societatis conduit donc à parfaire le raisonnement visant à identifier une société créée de fait, en incarnant la position d’associé sur un plan individuel. En effet, sa corrélation aux autres éléments évoqués conduit à rendre l’exécution d’un contrat de société vraisemblable entre les différents protagonistes en présence. A partir de ces éléments, le juge va donc pouvoir induire le processus conduisant à cet accord, par la rencontre de volontés. 117. - Mais alors, force sera de considérer que les volontés envisagées ne se seraient pas exprimées de manière expresse, les personnes en présence n’ayant pas conscience de se trouver en situation de société. Pour autant, cela ne constitue pas un obstacle à leur prise en compte par le Droit. On entrerait alors dans le domaine du tacite. En effet, d’après un auteur, « techniquement, la volonté tacite se découvre au moyen d’une présomption de fait : d’un fait connu – un comportement – le juge tire un fait inconnu, la volonté de contracter dont ce comportement procède et qu’il manifeste à sa manière. »109 Ainsi, d’un comportement qui traduit à la fois l’opération matérielle typique issue du contrat de société, et qui, au surplus, évoque la position d’associé, le juge pourra présumer une volonté ainsi rendue vraisemblable. 118. - Elle l’est d’autant plus que l’affectio societatis se définit comme « la volonté de participer au pacte social, autrement dit […] le consentement de chacune des parties au contrat de société. »110 Ainsi, l’affectio societatis recouvre le consentement au contrat de société, et le dépasse car celui-ci, en tant que condition de validité du contrat, doit par principe uniquement exister et être apprécié à ce moment, alors que l’affectio societatis impose qu’il se maintienne durant toute la vie sociale. Or, saisie au cours de ce second temps, cette notion rend de par sa structure même, probable l’existence d’une volonté à son origine. A travers lui, c’est donc médiatement la volonté des prétendues parties au pacte social qu’on caractérise, en la faisant ainsi entrer de manière prépondérante dans le cadre du faisceau d’indices qui permettront d’établir l’existence d’une société créée de fait. 119. - Mais, cette affirmation doit d’emblée être nuancée. Il faut en effet souligner que l’affectio societatis constitue une notion contestée, et dont les contours sont difficiles à cerner. Ainsi, un auteur a pu y voir une notion « conceptuelle et fonctionnelle »111, en ajoutant 109 Ph Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, préf. F. Chabas, Dalloz, collection nouvelle bibliothèque de thèses, 2005, n°200-1. 110 M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, op. cit n°135 111 N. Reboul, Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle, l’affectio societatis ; Revue des sociétés, 2000, p 415. 48 que « loin d’être indéfinissable, l’affectio societatis constitue un standard correspondant à des critères variables laissés à l’appréciation du juge en fonction du rôle qu’il veut lui attribuer. Il fait donc bel et bien partie de ce droit mou que le juge utilise à bon escient afin de maintenir l’équilibre entre l’ordre juridique et le milieu social. »112 Or, cette variabilité de la notion d’affectio societatis conduit à rejaillir sur son appréciation, en éloignant ainsi cette démarche de la recherche d’un état d’esprit. D’où la remarque qui a pu être formulée par un auteur, selon qui « la notion d’affectio societatis, subjective par essence, tend au fil du temps à devenir de plus en plus objective. »113 120. - Il en résulte ainsi un dévoiement cette notion, et l’identification d’un mouvement d’objectivation des éléments intentionnels de la société, également mis en valeur s’agissant de l’intention de partager le résultat issu de l’exploitation (V. supra n°110), qui pourrait être de nature à affecter la cohérence de la démarche du juge lors de la caractérisation de l’existence d’une société créée de fait. Cette dynamique conduit en effet à faire prendre d’autant plus de poids à la critique selon laquelle la survenance de la rencontre de volontés ainsi établie n’est jamais certaine. On rejoint ici l’avis d’un auteur qui estime que « dans le contrat sans forme, l’appréciation de l’accord de volontés est impossible. Les parties n’ont d’ailleurs pas nécessairement mutuellement exprimé leur commune intention de s’associer par des moyens classiques dans des termes courants. La structure du contrat est inaccessible parce qu’informe. Cela signifie que l’on ne sera jamais en mesure d’établir si la procédure contractuelle a eu lieu. En revanche, les parties s’étant placées dans une situation objectivement contractuelle par l’adoption d’un comportement dénué d’équivoque, il s’ensuit nécessairement une sorte particulière de convention, quel que soit le degré de conscience juridique des contractants »114 Il semblerait ainsi que cette logique spécifique conduise à marquer le contrat ainsi révélé de certains particularismes, liés au fait que l’induction à laquelle le juge procède en l’espèce, semble contestable. §2) Une induction contestable 121. - Par le prisme des critères évoqués, le juge a la possibilité d’effectuer le passage entre une volonté d’accomplir des actes matériels s’inscrivant dans l’ensemble plus global d’une entreprise commune, et une situation de société, à laquelle il attachera les effets de droit correspondants. Mais cela implique t’il réellement que la volonté des personnes en présence 112 N. Reboul, op. cit. G. Kessler, L’objectivation de l’affectio societatis, D. 2004, p 1305. 114 V. Forray, Le consensualisme dans la théorie générale du contrat, préf G. Pignarre, avant-propos C. Atias, LGDJ 2007, n°412. (Nous soulignons.) 113 49 soit tendue vers ces effets de droit, la création d’une société ? Il s’agit ici, après avoir évalué la cohérence des critères pris en compte, et démontré qu’elle était réelle, d’évaluer la marge d’incertitudes quant à la survenance d’une rencontre de volontés, dont on peut estimer qu’elle est irréductible. Or, notre analyse nous amènera à constater que l’incertitude doive se muer en impossibilité, faisant vaciller l’édifice dogmatique détaillé auparavant. En effet, si on admet l’existence d’une corrélation entre la conscience et le consentement (A), on sera forcément conduit à en déduire l’inadéquation entre la volonté exprimée et la création d’une société (B). A) La corrélation de la conscience et du consentement 122. - L’acte juridique en général, et le contrat en particulier, supposent à leur base et comme condition de leur validité un consentement sain des parties à leur origine. Cette exigence est posée en droit commun, par l’article 1108 du Code civil selon lequel « quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention », l’une d’entre elles étant « le consentement de la partie qui s’oblige ». Le contrat de société ne fait pas exception à cette règle. 123. - Par voie de conséquence, celui-ci doit incarner en son sein l’idée selon laquelle « le contrat étant un accord de volontés, il faut donc autant de consentements qu’il y a de parties à l’acte, et des consentements concordants. Ainsi, le consentement apparaît-il comme l’élément fondamental de tout contrat. Alors que l’absence des autres conditions conduit seulement à vicier le contrat, à défaut de consentement, il y a le néant. »115 124. - Or, l’une des composantes du consentement semble être la conscience, qu’on peut définir comme l’« aptitude à comprendre ce que l’on fait, à être présent en esprit à un acte, [l’] intelligence élémentaire qui entre dans la définition du consentement et à défaut de laquelle est annulable, pour absence de consentement, l’acte accompli par celui qui en était à ce moment privé. »116 A travers cette définition, c’est essentiellement le cas du trouble mental de la partie à l’acte qui est envisagé comme viciant son consentement. 125. - Mais, au-delà, il semble que cette définition de la conscience, dont l’absence invaliderait l’acte, puisse être étendue au cas de l’associé de société créée de fait. En effet, celui-ci, par l’intermédiaire du comportement qu’il adopte, est amené à se retrouver partie à un contrat de société, dont son attitude révèlerait l’existence, alors même qu’il l’ignorerait. Il 115 116 Ph Malinvaud, D. Fenouillet, Droit des obligations, manuel Litec, 11e ed 2010, n°112. (Nous soulignons.) Vocabulaire juridique, op. cit v° Conscience. 50 en résulterait donc que par les actes matériels qu’elle accomplit, cette personne exprimerait une volonté tacite de s’associer malgré le fait qu’elle n’en ait pas connaissance, et quand bien même elle l’aurait refusé ab initio.117 126. - La situation envisagée correspondrait donc clairement à celle d’un défaut de conscience de l’intéressé, qui n’aurait pas la compréhension de la portée de ses actes, au moment ou cette attitude engendrerait pour lui la passation d’un acte juridique dont il ne serait en mesure d’identifier ni l’existence, ni les conséquences qui en découleront en sa personne. En effet, on ne peut être « présent en esprit à un acte » que dès lors qu’on sait que l’on s’y retrouvera partie. La situation semble alors très proche, voire même similaire à celle de la personne atteinte d’un trouble mental, qui pourra ne pas avoir su qu’elle contractait un lien d’obligation, et en tous les cas, ne pas avoir évalué sa portée. 127. - Il en résulte ainsi que s’il y a bien une volonté exprimée par les protagonistes à l’origine des actes matériels qu’ils réalisent, on ne peut l’assimiler à celle de s’associer, en ce que les prétendus associés n’ont pu valablement consentir au pacte social. B) L’inadéquation entre la volonté exprimée et la création d’une société 128. - Au terme de notre raisonnement, nous sommes forcés de considérer que si la situation donnant naissance à une société créée de fait repose bien sur des actes volontaires des différents protagonistes en présence, leur volonté ne peut pas être tendue vers les effets de droit que le juge leur attache. Les causes en ont déjà été soulignées : l’appréciation biaisée des éléments intentionnels que le juge est censé caractériser, affecte la cohérence de sa démarche. 129. - Mais, des difficultés surgissent quant aux conséquences devant être tirées de cette situation. Comment décrire alors la société créée de fait ? Si ce n’est pas à une rencontre de volonté recherchant cette conséquence que le juge fait produire des effets de droit, c’est donc plutôt à un évènement qu’il semble s’attacher : une relation entre deux personnes, qu’il 117 V. à ce propos, Cass. Civ 1ère 9 juin 1971, Bull. civ. 1 n° 192 p 161, n°70-11518, qui décide que « si les intéressés n’ont pas voulu délibérément se placer, pour leurs rapports patrimoniaux dans le cadre juridique d’une société, cette communauté d’intérêts et ce but commun assortis d’apports personnels en espèces et en industrie constituent bien une véritable société de fait. » 51 identifie comme celle émanant d’une société. Cela rapprocherait ainsi la société créée de fait du fait juridique118. 130. - On pourrait alors estimer que ce soit à une apparence de contrat de société que le juge ait égard. Le mécanisme de l’apparence suppose un décalage entre celle-ci, et la réalité. Il fonctionne donc sur la base de l’illusion. Il s’agira alors de faire « prévaloir le fait sur le droit »119, afin de conforter en Droit la situation de fait inexacte, à laquelle les tiers ont pu légitimement accorder foi. Paradoxalement, le Droit prendra ainsi le parti de mettre la réalité en adéquation avec l’apparence, dès lors que celle-ci a engendré certaines conséquences à l’égard d’autrui. 131. - Or, dans le cadre de la société créée de fait, le juge utilise parfois le vocable d’ « apparence de société », s’agissant de l’exigence probatoire pesant sur les tiers à celle-ci, afin d’en établir l’existence. Or nous avons montré que la situation matérielle donnant lieu à la reconnaissance d’une société créée de fait correspondait bien à celle qui naîtrait d’une société pour un observateur extérieur, quand bien même la réalité serait autre. Mais cette vision ne saurait devoir être adoptée comme fondement général, car le mécanisme de l’apparence a pour seule vocation de protéger les tiers, extérieurs à une relation donnée, sur la matérialité de laquelle ils ont pu se fonder120. En d’autres termes, « On ne peut revendiquer pour soi-même l'apparence que l'on a contribué à créer, et même lorsque la situation juridique apparente n'a pas été encouragée par le comportement des différents acteurs, la théorie de l'apparence n'a pas pour vocation, ni raison d'être de créer des droits au profit du titulaire apparent »121. L’apparence ne peut alors être retenue, en ce qu’elle ne pourrait pas s’appliquer entre prétendus associés, ce qui forme la majorité du contentieux. 118 Sabine Vacrate s’inscrit en ce sens (V. S. Vacrate, th. préc. n°803.) Elle note en effet un parallélisme avec le mécanisme du quasi-contrat : « Le raisonnement est identique en matière de société créée de fait puisque c’est l’acte matériel accompli par le défendeur (participation à une exploitation, remboursement d’une dette d’autrui…) qui engendre le statut d’associé, et par suite, les obligations qui en découlent. » 119 M. Boudot, Répertoire Civil Dalloz 2009, v° Apparence, n°14. 120 Néanmoins, certains auteurs ont pu émettre des réserves quant à son utilisation dans le cadre de la société créée de fait : V. S. Vacrate, Que cache l’apparence derrière la société créée de fait ? LPA 27 février 2004 n°42 p.5. Elle énonce en effet que « pourtant, si les fondements classiques de la théorie de l’apparence résident dans l’équité et la protection des victimes, l’utilisation qui en est faite dans le contentieux des sociétés créées de fait suscite des doutes et laisse souvent présumer qu’il s’agit davantage de sanctionner le créateur d’apparence que de protéger celui qui en sollicite le recours. » 121 M. Boudot, op. cit n°17. 52 132. - On pourrait alors se tourner vers la notion de « relation contractuelle de fait »122. Selon son auteur, cette construction a vocation à offrir de la réalité matérielle « une traduction conceptuelle qui se distingue radicalement du contrat »123. Elle suppose alors la réunion de trois critères permettant de l’identifier124. Il s’agit d’abord de l’« élément d’effectivité » consistant dans la réalisation d’une ou plusieurs prestations matérielles soit contribuant à la réalisation de l’opération économique, soit réalisant en tant que telle cette opération. Il faut ensuite que cette relation perdure dans le temps, et enfin, qu’elle se caractérise par une coopération entre les parties. Or, on peut constater que l’ensemble de ces éléments sont identifiables dans la situation présidant à la reconnaissance de l’existence d’une société en général125 et de la société créée de fait en particulier126. L’auteur propose ainsi de requalifier cette situation en « relation sociale », trouvant sa source dans la réalité matérielle de la société, afin de marquer nettement la distinction établie d’avec le fondement inadapté du contrat de société. Il s’agirait alors, selon cet auteur, d’une illustration de la « fonction substitutive »127 qu’il attache à cette notion nouvelle, en ce qu’elle aurait vocation à trouver application comme fondement de remplacement, s’agissant de « notions à la qualification juridique inadéquate », catégorie au sein de laquelle il inscrit la société créée de fait. L’objectif serait ici de rétablir l’orthodoxie juridique dans certaines hypothèses où les concepts sont malmenés128. Par cela, cette fonction substitutive se veut donc également explicative. 133. - Mais, envisager ces mécanismes comme ayant vocation à se substituer au contrat de société nous paraît pour lors trop hâtif. En effet, l’apparence, comme la relation contractuelle de fait, dans l’hypothèse qui nous occupe, sont des faits juridiques129. Or, il ne nous apparaît pas souhaitable de franchir le pas de l’assimilation de la société créée de fait au fait juridique trop précipitamment. En effet, une chose est de mettre en valeur les similitudes de 122 F. Viaud, op. cit. F. Viaud, op. cit n°101. 124 F. Viaud, op. cit n°153 et s. 125 F. Viaud, op. cit n°190 et s. où l’auteur remarque que « la présence des éléments d’effectivité, de durée et de coopération confirme la dimension relationnelle du lien unissant les associés. La réalité matérielle du contrat révèle ainsi une véritable vie sociale qui crée entre les participants une union d’intérêts constitutive d’une relation sociale. » 126 F. Viaud, op. cit n°203 et s. 127 F. Viaud, op. cit. n°202 et s. 128 F. Viaud, op. cit n°202 et s. 129 V. s’agissant de l’apparence, Ph. Le Tourneau, Répertoire Civil Dalloz 2011, v° Mandat, n°143, qui énonce que « L’apparence est un fait juridique » ; S’agissant de la relation contractuelle de fait, V. F. Viaud, op. cit n°176, où l’auteur affirme que les relations contractuelles de fait dites « licites », car « épousant la structure matérielle d’une catégorie juridique idéale » ne peuvent se voir refuser « la qualification de fait juridique. » 123 53 la société créée de fait avec le fait juridique, autre chose est de la détacher de la catégorie des actes juridiques. Nous y reviendrons ensuite130. 134. - Pour autant, le droit allemand nous offre une institution contractuelle proche, celle du « contrat de fait »131. Monsieur Witz nous fournit une synthèse éclairante de ce mécanisme : « Selon un courant doctrinal célèbre, dont l’initiateur fut Günter Haupt, le contrat n’implique pas toujours la rencontre d’une offre et d’une acceptation : un « contrat factice » (faktischer Vertrag) peut naître d’un « comportement social typique » (sozialtypisches Verhalten). Les promoteurs de cette théorie l’ont principalement conçue pour qu’elle puisse servir de cadre juridique aux relations de masse (massenverkehr), ainsi qu’aux rapports nés d’un contrat successif nul, tel un contrat de société ou un contrat de travail. »132 Certaines personnes pourraient alors se trouver engagées dans les liens d’un contrat, sans l’avoir voulu, ou quand bien même elles l’auraient refusé, car elles se sont placées de par leur comportement, dans une situation objectivement contractuelle. 135. - Cette théorie semble alors très proche de la démarche adoptée par le juge dans le cadre du contentieux des sociétés créées de fait, mise à part la divergence liée au fait que ce mécanisme n’a pas vocation à trouver sa place dans les relations de masse. Faut-il pour autant voir dans la société créée de fait, la consécration de cette construction doctrinale allemande ? Nous ne le pensons pas. En effet, il nous faut souligner que cette théorie est aujourd’hui très contestée outre-Rhin, et abandonnée par la jurisprudence qui n’y fait plus référence. Or, de l’examen des critiques formulées à l’encontre de cette théorie en Allemagne, on peut, semblet-il, tirer deux arguments déniant le recours par le juge français à ce mécanisme. 136. - L’un des griefs adressé à cette théorie résulte du fait que « la notion de contrat de fait, qui détache la conclusion d’un contrat de la volonté des parties, est en rupture totale avec le fondement consensualiste du droit des contrats dans le BGB, qui exige clairement, pour la 130 V. infra n°286 et s. En effet, la conséquence peut en être double : on peut soit considérer que la société créée de fait doive être classée parmi les faits juridiques, soit considérer qu’en classant au sein des actes juridiques un mécanisme pour lequel la volonté réelle des parties n’est pas tendue vers l’effet de droit attaché, le Droit ne prenne pas en compte la volonté réelle, mais l’érige en concept autonome, délié de toute dimension psychologique. La conception contractuelle ne pourrait être maintenue qu’au prix d’une évolution de la notion de volonté. 131 Sur la notion de contrat de fait, V. P. Ancel, Contrat de fait et comportements sociaux typiques, RDC oct. 2004, p1087 et s ; V. Forray, Le consensualisme dans la théorie générale du contrat, op. cit, n°416 et s ; Cl. Witz, Droit privé allemand 1) Actes juridiques, Droits subjectifs, Litec 1992, n°168 et s. 132 Cl. Witz, op. cit, n°168. 54 formation du contrat, une offre et une acceptation »133. Or, il en irait de même en droit français. On peut donc douter de ce que le juge français introduise une institution étrangère conduisant à déformer les bases du droit des contrats actuel. 137. - Le second est lié au constat selon lequel on peut raisonnablement déduire de la désaffection pour cette théorie, le fait qu’elle ne réponde pas à un besoin tel que son application serait rendue indispensable134. Or, appliqué au droit français, il semblerait réaliste de considérer que le contentieux de la société créée de fait, même s’il présente une importance réelle, et des enjeux véritables, ne justifierait pas à lui seul l’introduction de toutes les dérogations inhérentes à la notion de contrat de fait. 138. - A ce stade de notre démarche, la qualification nous semblant la plus adaptée est celle de « situation contractuelle d’origine judiciaire »135. On peut ainsi reprendre la description qui en est faite par Madame Laude, qui correspond pour lors à l’état de notre réflexion : « Nous avons en effet relevé un certain nombre de cas dans lesquels le rapport contractuel tend à se former même si la création n’en est pas véritablement acceptée, c'est-à-dire en dépit d’une manifestation de volonté. Il apparaît suffisant, dans un certain nombre de cas pour que le juge affirme l’existence d’un lien contractuel, que la création de cette situation contractuelle ait seulement été tolérée par les parties. Le juge retiendra davantage le comportement général des intéressés pour établir ce rapport de droit, que l’expression de leur volonté. […] Ainsi, les situations de fait peuvent générer des situations contractuelles dont la particularité s’inscrit dans ce qu’elles apparaissent créées par l’intermédiaire du juge, sans la volonté des intéressés. C’est pourquoi il est possible, nous semble-t-il d’oser dans ces cas l’expression de « situations contractuelles d’origine judiciaire ». »136 139. - Cette description nous paraît la mieux à même de rendre compte de la société créée de fait telle qu’elle s’éclaire à ce moment du raisonnement. Encore rattachée au contrat, dont nous n’avons pas souhaité pour lors la délier, une telle conception permet de mieux cerner ses particularismes, et éclaircir une part de l’ombre qui l’entoure. « Or, cet élargissement de la sphère contractuelle pourrait également entrainer dans son sillage une certaine mutation du 133 P. Ancel, op. cit ; V. pour la même idée, Cl. Witz, op. cit, n° 169. P. Ancel, op cit, V. dans le même sens, Cl. Witz, op. cit n° 169. 135 A. Laude, La reconnaissance par le juge de l’existence d’un contrat, Préf. J. Mestre ; PUAM 1992, n° 580 et s. 136 A. Laude, op. cit n°582. 134 55 contrat vers la catégorie des faits juridiques. En effet, comme le souligne Monsieur Atias, « dans une acception large, le fait juridique peut être défini comme tout évènement emportant des conséquences juridiques, c’est-à-dire déclenchant l’un des effets d’une norme : création, transmission ou extinction de droits individuels ou collectifs…C’est ainsi que la conclusion d’un accord entre deux personnes peut, à ce titre, être un fait juridique ; il suffit qu’il ne soit pas indifférent à l’application de la règle de droit ». Certes, suivant cette acception large, les actes juridiques représentent également des faits juridiques. Mais si l’on tente de cerner, dans les situations contractuelles d’origine judiciaire le fait qui provoque la réalisation des effets de droit, on constate que ces situations reflètent l’idée selon laquelle le juge s’attache non pas à l’accord de volonté mais à la réalisation d’une opération concrète pour lui faire produire certains effets. »137 140. - Cette vision a pour conséquence d’ériger la société créée de fait en acte juridique imparfait. La gestion d’affaires n’est pas non plus exempte de particularités, si bien qu’on peut parler à son égard de fait juridique atypique. Section 2 : La gestion d’affaires, un fait juridique atypique 141. - La gestion d’affaires est traditionnellement conçue comme un fait juridique. Il devrait alors en résulter que la volonté des « quasi-parties »138 ne doive pas être tendue vers la recherche d’un effet de Droit. Or, si c’est le cas de la volonté du maître de l’affaire (§1), les choses sont plus ambigües s’agissant de la volonté du gérant (§2). §1) La volonté du maître de l’affaire 142. - Au cas de la volonté exprimée du maître de l’affaire, (A), certains auteurs ont cherché à ajouter celui dans lequel la volonté de celui-ci pourrait être présumée (B). A) La volonté exprimée 143. - Il nous faut au préalable souligner que pour que le maître de l’affaire soit à même d’exprimer sa volonté, encore faut-il qu’il ait eu connaissance de l’action du gérant. Il lui sera alors loisible de la faire valoir de manière expresse ou tacite. Or, face à l’immixtion de celui se réclamant de la qualité de gérant au sein de ses affaires, on peut considérer que le prétendu géré puisse manifester sa volonté de deux manières. 137 138 A. Laude, op. cit n° 592. Ph. Le Tourneau, Répertoire Civil Dalloz 2009, v° Gestion d’affaires. 56 144. - Il peut tout d’abord s’opposer à l’action du gérant. S’il manifeste sa volonté en ce sens avant que le gérant n’entreprenne sa gestion, celui-ci ne pourra se réclamer de l’existence d’une gestion d’affaires s’il venait à passer outre139. Néanmoins, ce point se doit d’être nuancé, en ce que par exception, une personne ayant géré l’affaire d’autrui malgré son opposition, pourra obtenir la qualité de gérant d’affaire. Il est en effet des hypothèses dans lesquelles le prétendu géré ne pouvait pas valablement refuser l’action du prétendu gérant. Par suite, ce dernier pourra recevoir cette qualité quand bien même il aurait fait fi de cette défense. 145. - Ainsi, la Cour de Cassation a-t-elle eu l’occasion de décider que « la gestion d'affaires entreprise contre la volonté du maître n'est justifiée que si elle est rendue indispensable par la nécessité de satisfaire aux obligations du maître »140. Ce dernier ne saurait ainsi valablement refuser l’action de celui offrant d’accomplir un acte auquel il est tenu. 146. - Par ailleurs, la formule de la Cour de Cassation apparaît, dans cet arrêt comme stricte : seule cette dérogation au principe semble admise. Néanmoins, il en est une autre que Demolombe exprimait déjà en son temps : l’opposition du géré devrait, selon-lui, écarter la gestion d’affaire, « si ce n’est dans le cas exceptionnel, que suppose Mourlon, où le gérant aurait des motifs, dit-il sérieux, honnêtes et légitimes, d’agir ainsi qu’il l’a fait, comme si la résistance du maître avait été le résultat d’un entêtement aveugle et irréfléchi. »141 147. - On peut enfin ajouter que tout refus est exclu après qu’une gestion d’affaires valable ait été effectuée par le gérant. Le maître de l’affaire ne saurait arguer de ce qu’il n’aurait pas sollicité le gérant d’agir, pour se soustraire à l’exécution de ses propres obligations. En effet, la gestion d’affaires repose sur un fait volontaire et spontané du gérant, exclusif de tout accord de volontés. 148. - Ceci nous mène à la seconde attitude que peut adopter le prétendu géré en l’occurrence : l’acceptation de l’action du prétendu gérant. Le bénéficiaire de la gestion peut d’abord consentir expressément à la gestion, avant que celle-ci ne soit mise en œuvre, et on se 139 Cass. Civ 3ème 12 avril 1972, Bull. civ. III, n°. 219 p 157, n° 70-13154. Cass. Civ 1ère, 11 février 1986, Bull. Civ. 1986, I, N° 23 p. 20, n° 84-10756. 141 Ch. Demolombe, Cours de Code Napoléon, Tome XXXI, 1882, n°88. 140 57 trouvera alors dans l’hypothèse d’un contrat, formé par la rencontre de volonté des intéressés (V. supra n°62). Cette situation se rencontrerait y compris dans l’hypothèse dans laquelle le maître de l’affaire serait resté taisant face à l’action d’autrui au sein de ses affaires. Manifestant ainsi sa volonté de manière tacite, le bénéficiaire de la gestion deviendrait de la même manière partie au contrat. Enfin, nous avons également souligné auparavant le fait que le géré pourrait souhaiter donner son accord a posteriori à l’action du gérant dans ses affaires, opérant ainsi une ratification ayant pour conséquence de muer rétroactivement la gestion d’affaires en mandat (V. supra n°78). 149. - On constate alors que la volonté exprimée par le maître a toujours pour conséquence d’exclure la gestion d’affaires, soit en faisant entrave à sa qualification, soit en œuvrant pour sa requalification en contrat. Enfin, il est des cas exceptionnels dans lesquels elle n’est purement et simplement pas prise en compte, du fait que le refus du géré n’apparaissait pas justifié. Certains auteurs ont néanmoins cherché à conférer un rôle à la volonté du maître de l’affaire au sein de la gestion d’affaires, en la présumant. B) La volonté présumée 150. - Au regard de l’analyse précédente, il apparaît que la situation de gestion d’affaires se limite aux cas dans lesquels le maître de l’affaire n’avait pas connaissance de son existence, du fait que dans le cas inverse, il aurait mécaniquement été conduit à prendre position, sur celle-ci, de manière expresse ou tacite. 151. - Or, certains auteurs, interprétant son silence, ont cherché à présumer le consentement du maître de l’affaire, prenant ainsi acte des similitudes existant entre ce mécanisme et celui du contrat de mandat. Or, une telle démarche aurait invariablement pour conséquence, si elle s’avérait admissible, de rapprocher sensiblement la gestion d’affaires de l’acte juridique. 152. - Un des auteurs les plus célèbres à s’être engagé dans cette voie de rapprochement de la gestion d’affaires avec le contrat est incontestablement Demolombe. Celui-ci initie sa démonstration par la mise en valeur de ces points communs, en s’appuyant sur les intentions du codificateur. « Il nous paraît d’abord impossible [, écrit-il,] de n’être pas frappé du laconisme de notre Code, en ce qui concerne les quasi-contrats, et de l’évidente insuffisance des textes qu’il y consacre. Or, en cet état, il est très vraisemblable qu’il a entendu que l’on devrait, par analogie, se référer aux règles générales qui gouvernent les contrats, avec lesquels 58 les quasi-contrats présentent le plus de ressemblance. La preuve en résulte de cette dénomination même de quasi-contrat, qu’il leur a donnée. […] Un quasi-contrat, mais c’est quasi un contrat ! En voilà suivant nous, la vraie traduction. »142 L’auteur en tire ensuite les conséquences quant au cas de la gestion d’affaires, en s’appuyant sur Pothier : « C’est ainsi que Pothier a fait de son Traité du quasi-contrat negotiorum gestorum, un Appendice de son Traité du contrat de mandat. « Ce quasi-contrat, dit-il, imite le contrat ; il en est une ressemblance ; car la gestion de l’affaire de quelqu’un qui avait intérêt qu’elle fut faite , qui est faite à son insu, est faite, à la vérité, sans un mandat formel ; mais on y suppose une espèce de mandat fictif et présomptif, y ayant présomption que celui dont on a fait l’affaire à son insu, aurait donné l’ordre de la faire s’il eût su, puisqu’il était de son intérêt qu’elle fût faite. »143 Poussée à son paroxysme, cette conception pourrait être de nature à justifier que la gestion d’affaires puisse être érigée en véritable contrat, en ce que Demolombe fait reposer cette institution sur « la supposition d’un mandat, que le législateur présume [que le maître] aurait lui-même donné au gérant, s’il avait connu sa gestion. »144. Il faudrait ainsi en déduire que l’existence de l’altruisme censé animer le gérant implique le consentement du géré en ce qu’il serait vraisemblable que ce dernier ait accepté l’immixtion d’un tiers dans ses affaires, dès lors que celle-ci interviendrait dans son intérêt exclusif. 153. - Renouvelant cette position, un autre auteur a proposé de déduire le consentement du maître de l’affaire de l’utilité de la gestion145. Il serait alors vraisemblable de considérer que, dès lors que la gestion pourrait être considérée comme utile, le géré ait donné ce consentement à celle-ci s’il en avait eu connaissance. Mais il ne s’agit là que d’une variante de la thèse précédente, en ce que nous avons déjà évoqué le fait que l’appréciation de l’utilité était fonction de l’altruisme ayant animé le gérant dans son action. Ainsi, une gestion d’affaire altruiste est par principe une gestion d’affaire utile, car il convient dès lors de faire abstraction du résultat auquel elle a conduit pour en déclencher les effets. 154. - La logique de cette position s’identifie ainsi à celle qui anime le juge dès lors qu’il décide, en matière de contrats, que l’offre faite dans l’intérêt exclusif de son destinataire est 142 Ch. Demolombe, op. cit n°53. Ibid . (Nous soulignons). 144 Ch. Demolombe, op. cit p84. 145 D. Acquarone, La nature juridique de la responsabilité civile du gérant d’affaire dans ses rapports avec le maître de l’affaire, D. 1986 chron. p. 21, n°15 et s. 143 59 réputée acceptée par le silence de celui-ci146. Elle aurait donc été susceptible de recevoir un écho en jurisprudence. Pour autant, ce n’est pas le cas, et de notre point de vue, à raison. En effet, plusieurs arguments pourraient s’y opposer. 155. - D’abord, admettre une telle présomption irait à l’encontre de la conception à laquelle le droit français s’attache relativement à la notion de volonté. En effet, on serait ici contraint de considérer que la présomption serait irréfragable : dès lors que les conditions en sont réunies, toutes entre les mains du gérant, celle-ci s’appliquera, et avec elle les effets de la gestion d’affaires, sans que le maître de l’affaire n’ait possibilité de s’y soustraire en démontrant que sa volonté était autre. Cette présomption se muerait alors en règle de fond, n’ayant plus pour conséquence de rendre vraisemblable la volonté du géré, mais de l’imposer.147 156. - Ensuite une telle consécration heurterait la notion de propriété. En effet, ce seront souvent des biens qu’il s’agira de préserver, et la titularité de l’abusus implique la possibilité pour le propriétaire de laisser ses biens dépérir. Or, en imposant son consentement quant à leur sauvegarde, on nie cette virtualité de son droit. Dans la même lignée, le caractère exclusif du droit de propriété serait également écorné, en ce sens qu’on ferait fi de ce que seul le propriétaire est normalement habilité à agir sur ses biens en admettant son consentement à toute action d’un tiers animé de l’intention de les sauvegarder, même si, in fine, cet objectif n’est pas atteint. 157. - Dès lors, on peut estimer qu’en réalité, la volonté du maître de l’affaire n’a aucun rôle dans le cadre de la gestion d’affaires, si ce n’est pour l’exclure. Cela n’a ainsi pas pour conséquence d’évincer cette institution de la catégorie des faits juridiques. Il en va différemment de la volonté du gérant. §2) La volonté du gérant 158. - L’incidence de la volonté du gérant semble plus difficile à cerner que les conséquences de la volonté du maître de l’affaire. En effet, si on érige l’ingérence comme reflet de cette volonté (A), on sera alors conduit à considérer que cette volonté semble partiellement tendue vers des effets de droit (B). 146 147 Cass. Civ 1ère, 1er décembre 1969. V. en ce sens, Ph. Jacques, op. cit n°200-1. 60 A) L’ingérence, reflet de la volonté du gérant 159. - Après avoir évoqué le rôle de l’ingérence, comme notion centrale dans le déclenchement des effets de la gestion d’affaires (V. supra n°61 et s.), il nous faut ici nous attacher plus précisément à l’étude intrinsèque de cette notion. Or pour cela, il nous faut au préalable mobiliser certains acquis. Ainsi, comme nous l’avons déjà souligné, l’ingérence d’une personne dans les affaires d’une autre doit remplir certaines conditions pour être prise en compte au titre de la gestion d’affaires. Elle doit d’une part laisser transparaître la volonté de gérer l’affaire d’autrui dans l’intérêt de ce dernier, donc un état d’esprit altruiste. D’autre part, il est également nécessaire que la gestion entreprise présente une utilité, appréciée, en cas de gestion d’affaire altruiste, et c’est bien là le principe, au moment de l’acte de gestion, et de manière subjective. Ainsi, au final, si on combine les critères, on peut estimer que l’ingérence doive par principe faire référence à un comportement devant refléter la volonté du prétendu gérant d’accomplir un ou plusieurs actes utiles à autrui, et dans son intérêt. Or, de cet énoncé, il résulte que les critères d’application de la gestion d’affaires trouvent à leur base uniquement des manifestations d’ordre psychologique : le prétendu gérant doit avoir voulu gérer l’affaire d’autrui dans son intérêt, et cru que cela lui serait utile. 160. - Or, par cet éclairage, la question se pose alors de savoir si cet élément n’est pas de nature à rejaillir sur la logique de fait juridique de laquelle est censé participer ce quasicontrat, conçu comme tout évènement, auquel le Droit attache une conséquence. Cette divergence pressentie semble prendre corps dès lors qu’on l’envisage au cas particulier. A ce titre, l’exemple de la responsabilité civile délictuelle pour faute nous semble révélateur. Nul ne conteste aujourd’hui qu’il s’agisse d’un fait juridique, en ce qu’à un évènement, la faute délictuelle, sont attachés en droit certaines conséquences, l’obligation de réparer les préjudices engendrés par celle-ci. Ainsi, mise en perspective avec la gestion d’affaires, à l’unité de qualification devrait correspondre une unité de structure. Mais, cela ne paraît pas être le cas. 161. - En effet, la nature de l’évènement auquel sont attachés les effets de Droit diverge sensiblement selon qu’on envisage l’un ou l’autre cas. Dans le cadre du type particulier de responsabilité que nous envisageons ici, son incarnation intervient à travers la notion de faute. Or, s’agissant de celle-ci, si la doctrine n’a jamais réussi à l’assortir d’une définition véritablement opératoire, les auteurs s’accordent néanmoins pour considérer qu’elle soit susceptible de recouvrir deux éléments. 61 162. - Le premier est objectif : il s’agit du fait illicite, sur l’explicitation duquel les auteurs peuvent avoir des approches différentes, et qu’on peut évoquer comme un comportement prohibé par le Droit, et non justifié par lui. 163. - Le second est subjectif : il s’agit de l’imputabilité morale de la faute à son auteur. « On entend généralement par là que l'auteur doit avoir agi en pleine conscience de l'acte qu'il a accompli ; il doit en avoir compris la nature et la portée. Ce qui implique que l'agent ait eu la capacité de discernement […]. L'imputabilité est donc comprise dans un sens exclusivement psychologique et moral. Inclure l'imputabilité ainsi conçue dans la faute et en faire un élément constitutif, tend à rapprocher la faute civile de la faute morale. Cela justifiait, […] que les fous et les enfants en bas âge fussent demeurés pendant longtemps civilement irresponsables. »148 164. - Or, si ces deux critères devaient être pris en considération pour caractériser la faute en 1804, l’évolution postérieure a conduit à expurger la faute de toute subjectivité, par l’abandon de son élément moral suite à l’admission de la responsabilité délictuelle pour faute à la fois des personnes protégées149, et des enfants en bas âge150. Ainsi, ce mouvement montre bien, a minima, que la faute ne fait plus aujourd’hui, référence qu’à un fait objectif, et que s’il a pu recouvrir une dimension subjective, elle était accessoire par rapport à la première, en ce qu’elle est actuellement éludée. Néanmoins, certains auteurs préconisent aujourd’hui de rétablir la faute dans ses deux éléments constitutifs151. Or, c’est tout l’inverse s’agissant de la gestion d’affaires, en ce que l’ingérence est totalement absorbée par l’analyse de la psychologie du gérant. Par ailleurs, à cette divergence doit correspondre une appréciation différente, en ce que si la faute s’apprécie aujourd’hui par référence au standard du « bon père de famille », l’ingérence se doit d’être appréciée subjectivement, en recherchant la conviction du gérant pressenti. Enfin, la faute délictuelle est aujourd’hui perçue tellement objectivement, que son caractère intentionnel ou non n’emporte ni la disqualification de la notion, ni de différence de régime marquée.152 148 P. Jourdain, Droit à réparation- Responsabilité fondée sur la faute- Notion de faute : contenu commun à toutes les fautes, fascicule Litec 120-10, 2011, n°14. (Nous soulignons.) 149 Celle-ci découle actuellement de l’article 413-3 du Code civil, selon lequel « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. » 150 Solution admise par 5 arrêts rendus par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 9 mai 1984. 151 V. C. Radé, Plaidoyer en faveur d’une réforme de la responsabilité civile, D. 2003 p 2247 n°28. 152 La principale incidence étant d’ordre assuranciel : en effet, d’après l’article L113-1 du Code des assurances, « L’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. » 62 165. - Au-delà, le clivage se fait encore plus net, dès lors qu’on constate qu’en définitive, par principe, dans le champ de la gestion d’affaires altruiste, aucune référence n’est faite à l’évènement matériel à titre de condition d’application du mécanisme. Surgit alors la question de savoir si à travers ce quasi-contrat, c’est à cette ingérence par elle-même que l’on attache des effets de Droit, comme cela devrait être le cas s’agissant d’un fait juridique, ou à la manifestation de volonté qu’elle reflète ?On pourrait en effet estimer que c’est à cette volonté que sont attachées les conséquences de droit, par le prisme de l’ingérence, en retournant la perspective, par la pratique d’une démarche identique à celle présidant à la découverte d’une société créée de fait. Ainsi, au lieu de considérer que l’ingérence doive remplir certaines conditions d’ordre psychologique pour se voir attacher des effets de droit, on pourrait considérer que l’ingérence traduise une volonté tacite qui la sous-tend, et qui engendrerait ces conséquences juridiques. 166. - Mais cette vision est à nuancer, avec l’admission de cas de gestion d’affaires intéressée, qui éludent l’intention de gérer, et entrainent une appréciation de l’utilité de la gestion objective et finaliste et qui, en ce sens, permettent une identification de la gestion d’affaires aux faits juridiques. Mais cette analyse ne peut valoir qu’à la marge en ce que le principe demeure celui de la gestion d’affaires altruiste. Or, dans ce dernier cas, il s’agit maintenant de déterminer si cette volonté est dirigée vers ces conséquences de droit. B) Une volonté partiellement tendue vers le droit 167. - Si on admet comme préalable, ainsi nous l’avons posé précédemment, que l’ingérence puisse faire figure de reflet de la volonté du gérant, la question se pose alors de savoir si cette volonté unilatérale est à même de faire survenir les conséquences juridiques que l’on attache à la situation de gestion d’affaires. En effet, une réponse affirmative aurait pour conséquence de rapprocher sensiblement, voire d’identifier, la gestion d’affaires à l’acte juridique, entrainant le basculement dans la catégorie de l’acte unilatéral. Or, les effets de droit poursuivis par son biais sont doubles. 168. - Certains se produisent sur la tête du gérant lui-même. Or, s’agissant de ceux-ci, il semblerait envisageable de considérer que le gérant puisse souhaiter s’engager par sa volonté unilatérale à l’égard du maître de l’affaire, en ce que nous avons déjà souligné la logique des exigences qui pèsent sur lui, et qui ne traduisent que l’impératif de constance dans son action. 63 Il se verra ainsi tenu de mener au bout la gestion entreprise, tant s’agissant de l’affaire au principal que dans ses accessoires, ceci de manière consciencieuse (V. supra n°80et s.). Ainsi, ces effets de droit ne représentant que le strict prolongement de l’état d’esprit censé être le sien, on peut dès lors estimer que la volonté du gérant puisse être tendue vers ces conséquences juridiques153. 169. - Mais, il faudrait alors se prononcer sur la qualification exacte de l’engagement ainsi assumé. Or, celle-ci est intimement liée à la nature des effets de droit mis à la charge du gérant. La difficulté tient ici au fait que nous avons déjà souligné que cette nature pouvait être discutée. (V. supra n°85 et s.). La gestion d’affaires étant considérée comme un quasicontrat, elle devrait être source d’obligations. Si on admet cette qualification, s’agissant des effets de droit pesant sur le gérant de par sa volonté unilatérale, ce serait alors d’engagement unilatéral de volonté dont il faudrait parler en l’espèce. Dans cette optique, si on considère traditionnellement qu’ « il est bien difficile de trouver des actes unilatéraux générateurs d’obligation tant dans la loi que dans la jurisprudence »154, force serait alors de considérer que la gestion d’affaires, concernant cette facette du mécanisme, puisse incarner l’un d’eux. Mais, nous avons également montré la logique spécifique de ces conséquences juridiques, conduisant à permettre de douter qu’il puisse s’agir d’obligations au sens strict. L’engagement pris par le gérant ferait alors figure d’acte unilatéral stricto sensu. Il s’agit ici d’une première difficulté liée à la disqualification de la gestion d’affaires pour la faire entrer dans le giron de l’acte juridique. 170. - Cette difficulté ne se présente pas s’agissant des effets de droit naissant sur la tête du maître de l’affaire. En effet, les concernant, nul ne conteste qu’il s’agisse bien là d’obligations. Or, à l’analyse, il ne serait pas inenvisageable de considérer que la volonté du gérant soit orientée vers la création de telles obligations. Le point de départ est ici celui de l’altruisme devant animer celui-ci dans son action, et plus précisément, le constat de ce que cette logique n’est pas menée à son terme. En effet, dans son sens le plus pur, l’altruisme est totalement désintéressé, et ainsi devrait emporter une intention libérale. Or c’est en l’occurrence l’exception, qui au surplus, s’accompagne d’une controverse sur le fait de savoir si sa présence ne disqualifierait pas la gestion d’affaires. 153 V. en ce sens, F. Chénedé, Les commutations en droit privé, contribution à la théorie générale des obligations, préf. A. Ghozi, n°468 et s. Contra, M. Douchy, La notion de quasi-contrat en droit positif français, préf. A. Sériaux, Economica 1997 n°87. 154 Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, op. cit n°58. 64 171. - A ce sujet, certains auteurs admettent que par exception, le gérant puisse avoir agi animé d’une intention libérale, souhaitant alors conserver à sa charge les frais qu’il a dû engager au titre de sa gestion, ainsi que supporter les préjudices qui ont pu éventuellement en découler pour lui155. En revanche, d’autres estiment que l’existence d’une intention libérale de la part du gérant exclue de facto la qualification de gestion d’affaires. En effet, si on admet comme préalable que les quasi-contrats soient bâtis sur le modèle de l’enrichissement sans cause, dont ils ne constitueraient que des déclinaisons particulières, l’intention libérale constituerait alors une cause d’appauvrissement excluant sa compensation par le biais du mécanisme quasi-contractuel de la gestion d’affaires156. 172. - Au-delà, quel que soit le parti adopté, de la physionomie imprimée à l’institution par cette situation d’une intention libérale soit admise de manière résiduelle, soit exclue, s’infèrent certaines conséquences. En premier lieu, l’altruisme postule que le gérant n’ait pas la volonté de s’enrichir de sa gestion, même si cette caractéristique de l’institution est aujourd’hui en régression. Néanmoins, il en ressort qu’à hauteur de principe, la volonté du gérant de s’ingérer dans les affaires d’autrui n’est pas tournée vers des effets de droit consistant dans sa rémunération. Mais, en contrepied, il en résulte également qu’il n’a pas la volonté de ressortir appauvri de sa gestion. En effet, si le gérant s’immisce dans les affaires d’autrui, c’est qu’il escompte, outre lui rendre service, obtenir remboursement des frais engagés, et indemnisation pour les dommages qu’il pourrait subir. Il exprime donc sa volonté de s’ingérer en vue d’un effet de droit : l’obligation du maître de l’indemniser. Le lien est donc ainsi établi entre la volonté du gérant, et les obligations principalement mises à la charge du géré. 173. - Mais on ne saurait pour autant considérer pouvoir parfaire par ce biais la qualification d’acte unilatéral de la gestion d’affaires. En effet, il paraît peu envisageable que ces obligations puissent naître de la volonté unilatérale d’une autre personne que celle à la charge 155 V. notamment R. Bout, Fasc 10 préc. n°39 où l’auteur énonce « qu’en réalité, il n’y a qu’une différence de degré entre entre l’intention de gérer « ordinaire » et l’intention libérale elle-même. Il nous paraît donc que celleci, qui contient, puisqu’elle la dépasse, l’intention de gérer, satisfait, au-delà de ce qui est requis, à l’exigence de l’élément intentionnel. Le tiers qui intervient spontanément, animo donandi, dans les affaires d’autrui, est ainsi apte à être gérant d’affaires. Si on lui refuse, logiquement, l’exercice de l’action contraire à l’effet d’obtenir la répétition de ses frais, on le reconnaît toujours tenu de toutes ses obligations envers le maître, qui dispose de l’action directe pour le contraindre à les remplir. » 156 V. notamment M. Douchy, La notion de quasi-contrat en droit positif français, préf. A. Sériaux, Economica 1997 n°46. 65 duquel elles sont mises. De l’avis unanime de la doctrine, l’acte unilatéral ne peut lier autrui157. On ne saurait donc voir à travers la gestion d’affaires « un acte juridique unilatéral dans sa formation, et synallagmatique dans ses effets »158. Néanmoins, Demogue avait proposé d’introduire en l’occurrence une exception dès lors que l’acte apparaîtrait conforme à un «certain intérêt collectif »159. A cela, on peut objecter, outre le fait que cette exception serait difficile à manier, le constat de ce que la jurisprudence s’éloigne aujourd’hui de cette notion d’intérêt collectif, par l’essor de cas de gestion d’affaires intéressée. Par ailleurs, son intitulé même serait susceptible d’être critiqué, en ce que derrière lui devrait se cacher l’intérêt du géré. 174. - Au final, l’aboutissement de l’analyse de la volonté du gérant est en demi-teinte. En effet, son poids est indéniable, au sein de la gestion d’affaires. Mais, si cette volonté pourrait suffire à faire naître un engagement du gérant vis-à-vis du géré, elle ne saurait permettre de justifier les effets de droit pesant sur ce dernier. La démarche ainsi suivie ne pourrait dès lors, poussée à son paroxysme, que justifier une certaine hybridité de la gestion d’affaires. Or, un auteur se prononce en sa faveur160. En effet, d’après lui, les obligations du gérant et celles du géré ne dériveraient pas de la même source : « tandis que les premières trouvent leur origine dans la volonté du gérant, les secondes prennent leur source dans la volonté du législateur. Autrement dit, les obligations du gérant sont volontaires, les obligations du géré sont légales. [… Et l’auteur de conclure que] si les obligations du géré prennent leur source dans un quasicontrat, […] les obligations du gérant ont pour origine un engagement unilatéral de volonté. »161 175. - Néanmoins, une telle position ne nous semble pas devoir être adoptée, en ce qu’elle conduirait à scinder une institution conçue de manière traditionnelle comme unitaire, à la fois par le Code civil, mais également par la doctrine très majoritaire. Or, loin d’instaurer une véritable cohérence, elle contribuerait à déstabiliser davantage une source d’obligations essuyant déjà de vives critiques, en faisant pénétrer en son sein une part d’acte juridique, sans parvenir à la chasser totalement de la catégorie des faits juridiques. Ainsi, admettre cette idée 157 V. notamment Cl. Brenner, Répertoire Civil Dalloz 2006, v° Acte, n°164. Josserand, Cours de droit civil, t.2, 3e ed. n°1448, cité par F. Goré, op. cit. 159 R. Demogue, De la classification des sources des obligations, Mél. Chironi, T. I, 111, cité par M. Douchy, op. cit n°84, p 192. 160 F. Chénedé, Les commutations en droit privé, contribution à la théorie générale des obligations, préf. A. Ghozi, Economica 2008, n° 478. 161 Ibid. 158 66 conduirait à encourager le mouvement de « dilution des catégories »162 déjà dénoncé par la doctrine actuelle. Au final, est-on alors forcé de considérer que la gestion d’affaires ne puisse pas être disqualifiée de la catégorie des faits juridiques. Néanmoins, il est également possible de noter la place hors norme attachée à la volonté au sein de ce fait juridique, revêtant alors par cela un caractère atypique. Conclusion intermédiaire 176. - Au terme de ce premier Titre, le regard porté sur le chemin parcouru laisse s’évincer un bousculement des certitudes. En effet, après les avoir préalablement rappelées à travers l’affirmation de la société créée de fait comme acte juridique, censée s’opposer en tous points à la gestion d’affaires, participant de la catégorie opposée des faits juridiques, nous avons procédé à une déconstruction de ces mécanismes pour aboutir au résultat selon lequel les choses ne peuvent être présentées de manière aussi tranchée. D’une part, la société créée de fait participe d’une logique proche de celle du fait juridique, alors que la gestion d’affaires laisse en son sein une place pour la volonté qui permettrait de la rapprocher de l’acte juridique. Cette démarche nous a permis de mettre en évidence certains cas de « concurrence entre l’acte juridique et le fait juridique »163. En effet, à travers ces exemples, force est de constater que « la frontière entre les sources de l’obligation n’est pas aussi nette qu’on pourrait le croire et que le passage de l’une à l’autre des catégories résulte en réalité d’une évolution, « d’une trajectoire » selon la belle expression de Mme Izorche. Entre l’acte juridique idéal pur produit de la volonté et le fait juridique idéal, existent des situations plus complexes, moins « pures », sur lesquelles s’exerce effectivement l’attraction des deux catégories.164» Ainsi, eu égard aux propos précédents, la société créée de fait et la gestion d’affaires ne s’opposent pas plus qu’elles ne se rejoignent. Néanmoins, ce constat ne saurait être qu’intermédiaire, en ce que si un premier pas a été franchi de leur rapprochement, en montrant que cette tentative n’était pas vaine a priori, il convient maintenant d’aller au bout de notre démarche, en établissant une convergence entre ces deux institutions. 162 E. Savaux, intervention au colloque : Forces subversives et forces créatrices en droit des obligations, rétrospective et perspectives à l’heure du Bicentenaire du Code civil, sous la direction de G. Pignarre, Dalloz 2005 p 33. 163 C. Caillé, Quelques aspects modernes de la concurrence entre l’acte juridique et le fait juridique, in, Propos sur les obligations et quelques autres thèmes fondamentaux du droit, Mél. J-L Aubert, Dalloz 2005 p. 55. 164 C. Caillé, op. cit n°15. 67 Titre second : La convergence entre gestion d’affaires et société créée de fait 177. - La démarche de convergence qui doit ici nous animer, une fois pris acte de ce que la gestion d’affaires et la société créée de fait ne font pas figure d’antagonismes, se doit de procéder en deux temps. Il nous sera d’abord nécessaire de montrer l’analogie existant entre ces deux mécanismes (Chapitre premier). Cela nous conduira alors, après avoir poussé ce rapprochement à son paroxysme, à établir la nécessité de l’unification entre ces deux institutions (Chapitre second). Chapitre premier : L’analogie entre gestion d’affaires et société créée de fait 178. - L’analogie fait référence à un « rapport, [une] similitude entre plusieurs choses différentes. »165 Celle-ci suppose donc de mettre en valeur les points communs entre deux éléments, bâtis sur une logique identique. Or, la logique animant la gestion d’affaires, comme la société créée de fait, semble construite autour de la notion de « relation ». Une relation peut se définir comme un « rapport de droit et (ou) de fait entre deux ou plusieurs personnes, [à travers des] liens (juridiques ou non), qui les unissent. »166 En effet, la gestion d’affaires, comme la société créée de fait, ont vocation à faire passer une relation de fait au plan du droit, en tirant les conséquences patrimoniales de cette relation de fait passée (Section 1). Mais, la situation à traiter n’étant pas identique dans les deux cas, la réaction sera diverse (Section 2). Section 1 : Une même vocation : tirer les conséquences patrimoniales d’une relation de fait passée 179. - Afin de mettre en valeur ce but commun à la gestion d’affaires et à la société créée de fait, il faut établir une césure temporelle au sein de cette relation de fait passée. En effet, il est ici nécessaire de souligner le contraste entre la relation de fait en cours de fonctionnement (§1), et à son terme (§2). §1) L’autorégulation patrimoniale de la relation de fait pendant son cours 180. - Ainsi que nous l’avons déjà souligné, la gestion d’affaires comme la société créée de fait sont marquées du sceau de la liberté. Elles ne supposent en effet aucune formalité, a priori, pour trouver à s’appliquer. C’est là un premier signe de ce que ces institutions ne constituent qu’une justification intervenant après coup, et à défaut pour les protagonistes 165 166 Dictionnaire Littré, v°Analogie. Vocabulaire juridique, op. cit v° Relation. 68 d’avoir formalisé leurs rapports ab initio. En effet, si ceux-ci sont objectivement saisissables en Droit, ils ne seront effectivement saisis que dès lors que le Droit sera sommé d’intervenir. Ainsi, pour qualifier la situation antérieure à l’application de la gestion d’affaires et de la société créée de fait, il semble que l’on puisse oser l’expression de « non-Droit »167 (A). Or, pendant cette période, ces acteurs tissent entre eux une relation, du fait des liens matérialisés par la fluctuation intervenant au sein de leur patrimoine, en rapport avec l’exercice d’une activité déterminée, appelée à devenir l’activité sociale ou l’activité de gestion d’affaires (B). A) La sphère du non-Droit 181. - Il s’agit ici de partir d’un double constat. Le premier réside dans l’observation selon laquelle la gestion d’affaires, comme la société créée de fait, sont des mécanismes qu’on pourrait qualifier de rétrospectifs, en ce qu’ils sont tournés vers le passé. En effet, on peut noter qu’il y a une impossibilité d’opérer toute projection de ces institutions dans l’avenir168. Il est ainsi notoire que la société créée de fait n’accède à la vie juridique que l’espace d’un instant, et uniquement pour être liquidée. De même, les obligations naissant de la gestion d’affaires n’ont de sens que s’agissant de tirer les conséquences de la relation nouée entre le gérant et le maître de l’affaire, consécutivement à l’immixtion du premier dans les affaires du second. Elles n’ont donc aucunement vocation à créer une situation pérenne. 182. - Le second constat, lié au premier, est celui selon lequel ces mécanismes sont alors conduits à intervenir a posteriori. Ainsi, le gérant aura déjà déployé sa gestion, les associés de société créée de fait auront au préalable exercé l’activité sociale, avant que ces institutions ne viennent imposer leurs règles. La question logiquement engendrée est alors celle d’identifier les modalités de la relation unissant les différents protagonistes avant l’intervention du Droit à travers ces mécanismes. Il faut alors considérer qu’avant qu’un des protagonistes ne décide de saisir le juge, donc pendant que cette relation de fait se poursuit, leurs rapports s’inscrivent dans la sphère du non-Droit : les deux agissent ensemble, l’un agit pour l’autre sans que le 167 J. Carbonnier, Flexible Droit, Pour une sociologie du Droit sans rigueur, LGDJ, 10e ed, 2001, L’hypothèse du non-droit, p25 et s. 168 Ainsi, S. Vacrate, dans sa thèse, op. cit, n°246, parle d’ « un simple baptême rétroactif », s’agissant de la révélation judiciaire de la société créée de fait. Allant au bout de sa démarche, celle-ci s’attache à trouver des « moyens permettant la survie de la société créée de fait » (n°308 et s.) Or, ce faisant, elle se heurte à un certain nombre d’obstacles. Elle constate en effet que si certains moyens seraient envisageables, en l’état actuel des choses, c’est toujours le consentement des parties à la poursuite de l’activité qui fera obstacle à l’inscription de ce groupement dans l’avenir. Cet état de fait est lié à ce que la découverte de la société créée de fait interviendra souvent, voire quasi exclusivement dans un cadre contentieux. Au-delà, une telle démarche ne semble pas souhaitable, du fait que ce n’est pas la vocation de ce groupement : V. infra n°255. 69 Droit ne leur en fasse obligation, ni ne vienne régir cette relation informelle, tant qu’il n’y a pas été sollicité. Or, pour cerner la réalité existant en dehors du Droit, il nous faut nous tourner vers les sociologues. 183. - Jean Carbonnier a tenté de saisir le phénomène du non-Droit169. Or, dans sa démarche, il distingue deux hypothèses, en considérant que « le non-droit est tantôt objectivement donné par la société, tantôt subjectivement choisi par l’individu. »170 Or, il nous semble alors que la relation qui nous occupe, telle qu’envisagée antérieurement à l’intervention du Droit, s’inscrive au sein de la seconde catégorie. En effet, il nous paraît que les individus concernés aient conscience du caractère informel de leur situation, et que cela intervienne consécutivement à leur choix personnel du fait que dans chaque cas ils se seraient vus offrir la possibilité de formaliser leur relation, la faisant ainsi rentrer dans le giron du Droit. 184. - Ainsi, dans le cadre de la relation qui donnera ensuite lieu à la reconnaissance d’une société créée de fait, la mise à l’écart du Droit est liée à la volonté de tous les futurs associés : il leur aurait en effet été loisible de faire rentrer ab initio leur relation au sein du Droit. Ils auraient ainsi pu s’accorder sur le principe de constitution d’une société, formant ainsi une société en participation, voire en procédant à son immatriculation après avoir préalablement opté pour l’une des formes prédéfinies de sociétés personnes morales qu’offre la réglementation. Au-delà, on pourrait concevoir que les personnes en présence n’aient pas conscience de la qualification juridique exacte de leur relation, ni même de toutes les potentialités que leur offre le Droit pour régir leurs rapports. Mais de cela il ne nous semble pas que l’on doive déduire le fait qu’ils ne croient pas pouvoir formaliser leur situation. En d’autres termes, si on peut admettre qu’un époux séparé de biens participant à la marche du fonds de commerce de son conjoint n’ait pas connaissance de la qualité qu’il pourrait endosser de conjoint collaborateur, on ne peut concevoir qu’il n’ait pas conscience de la possibilité d’obtenir le statut de salarié. Or, si l’éventualité d’une formalisation n’est pas envisagée, c’est que les acteurs concernés n’en éprouvent pas le besoin, n’en ont pas la volonté : c’est donc du fait de leur choix que la relation qui les unit s’inscrit dans la sphère du non-Droit. 169 J. Carbonnier, Flexible Droit, Pour une sociologie du Droit sans rigueur, LGDJ, 10e ed, 2001, L’hypothèse du non-droit, p25 et s. 170 J. Carbonnier, op.cit p28. (L’auteur souligne). 70 185. - Concernant la gestion d’affaires, c’est bien également la volonté individuelle qui est vectrice de la pénétration au sein de la logique du non-Droit, mais avec cette particularité qu’il s’agit ici d’une seule volonté : celle du gérant d’affaires. En effet, la situation de gestion d’affaires, ainsi que nous l’avons évoqué, trouve uniquement son empire dès lors que le géré ignorait cette situation. Sinon, le basculement dans la sphère du Droit aurait été automatique. Ainsi, l’approbation, au sens large, aurait engendré l’existence d’un contrat, alors que de manière générale, la réprobation ab initio faisait naître de celle-ci une faute génératrice de responsabilité civile délictuelle. C’est donc la volonté du seul gérant, décidant de gérer l’affaire d’autrui dans l’ignorance du maître de cette situation, qui conduira dans le non-Droit. A ce titre, on ne saurait admettre à hauteur de principe que cette liberté de choix lui soit ôtée par l’urgence d’entreprendre sa gestion sous peine de voir l’affaire d’autrui dépérir, empêchant la formalisation ab initio de la relation qu’il s’apprête à nouer. En effet, nous avons déjà évoqué le fait que l’urgence n’était pas une condition de la gestion d’affaires (V. supra n°77). Ainsi, s’il est concevable que de telles situations puissent se présenter, on ne saurait en faire une donnée générale faisant obstacle à la logique décrite. 186. - Ce faisant, on observe alors que la frontière entre le Droit et le non-Droit est assez ténue, et à ce titre, le Doyen Carbonnier s’interroge sur le fait de savoir lequel du Droit ou du non-Droit, sous-tend l’autre171 ? La réponse n’est pas aisée, et les deux thèses semblent pouvoir être défendues. Néanmoins, on peut remarquer avec lui une tendance des individus inclinant vers le non-Droit : « Tout se passe, à un moment de la durée, comme si les individus arrangeaient hors du droit la plupart de leurs relations mutuelles, relations de famille ou d’échange. Bien mieux, comme s’ils voyaient une réussite de la vie à ne jamais rencontrer le droit. Slalom magnifique ! Il faut arriver au but en zigzaguant, sans s’être jamais heurté à un gendarme ou à un juge. Les gens heureux vivent comme si le droit n’existait pas. »172. 187. - Ces institutions en constituent un bon exemple. En effet, il faut au préalable garder à l’esprit que l’intervention de la société créée de fait, comme celle de la gestion d’affaires, n’est jamais imposée, ni indispensable. Pour cela, encore faut-il que l’un des protagonistes en présence, ou un créancier prenne l’initiative de saisir les juridictions, et qu’il obtienne gain de cause. Mécaniquement, ces mécanismes trouvent donc effectivement à s’appliquer dans un 171 172 J. Carbonnier, op. cit p39 et s. J. Carbonnier, op. cit p41. (L’auteur souligne). 71 nombre de cas beaucoup plus réduit que celui qui ne leur en serait offerts dans l’abstrait 173. Les personnes en présence peuvent donc se complaire dans le non-Droit, en ne faisant jamais émerger leur situation en tant que réalité juridique. La pénétration de cette relation dans la sphère du Droit est donc liée par principe à la dimension contentieuse qu’elle va revêtir. 188. - Pour autant, dès lors que la relation suit son cours, on peut convenir avec le Doyen Carbonnier que « le non-droit n’est pas néant ni chaos. C’est un monde de relations que le droit, quand il se retire, n’abandonne pas à la dissolution et au désordre. […] Le terrain qu’il évacue sera tout simplement réoccupé par les anciens occupants, principes d’ordre, de paix et d’harmonie dont on postule plus ou moins, dans l’hypothèse considérée, l’antériorité au droit. »174 189. - Ainsi, il en résulte simplement que le Droit n’interfère pas de manière immédiate pour la régulation de la relation se tissant entre ces protagonistes tant que celle-ci suit son cours. Ce sont donc d’autres principes qui investissent alors l’espace duquel il est absent. C’est alors un équilibre instable qui est instauré par leur biais, car ils fonctionnent sur la base du bon vouloir des individus, n’étant pas assortis de contrainte en cas de non respect. Dès lors, on peut même imaginer que si ces principes peuvent être déterminés par les individus eux-mêmes, ils ne seront pas forcément conformes au Droit. C’est donc bien d’autorégulation dont il faut parler en la matière. Or, le maintien de cet équilibre est intimement lié aux mouvements patrimoniaux caractérisant la relation pendant son cours. B) La fluctuation patrimoniale 190. - Par principe, toute relation suppose l’existence de liens entre ses différents acteurs. Or, comme nous l’avons préalablement souligné, en cours de fonctionnement, ces liens ne sauraient revêtir une nature juridique, en ce que la relation s’inscrit alors dans la sphère du non-Droit. Or, tant que le Droit n’est pas sommé d’intervenir, ces personnes sont juridiquement des tiers. 191. - Ce qui semble faire le lien entre les personnes en présence est l’activité autour de laquelle s’organise leur relation. La traduction objectivable en est d’ordre patrimonial. Par 173 Ceci en vertu d’obstacles juridiques, mais également matériels et notamment le coût d’une instance, ce qui montre bien que cette voie n’est empruntée que dès lors que l’intérêt pécuniaire attendu est important pour le demandeur, réduisant ainsi les potentialités d’emprise du Droit sur ces situations. 174 J. Carbonnier, op. cit p40. 72 cela, nous ne voulons pas signifier que se tisseraient entre elles des liens d’ordre patrimonial à la manière d’obligations, qui ne naîtront que de l’intervention du Droit. En effet, la relation intervenant au plan du fait, c’est l’activité, sociale ou de gestion qui en est le support, et qui en forme le liant, soit qu’elle soit exercée en commun, soit qu’elle soit exercée au bénéfice d’autrui. Or, le déroulement de cette relation est caractérisé par une fluctuation de valeurs au sein des patrimoines de ses différents protagonistes, rendant saisissable en Droit la relation de fait. 192. - Ainsi, on pourra constater que de par l’activité exercée, le patrimoine de l’un des protagonistes va diminuer de valeur, alors que corrélativement, le patrimoine de l’autre va s’accroître de la même valeur. La relation de fait sera ainsi susceptible d’être marquée par un effet de vases communicants entre les patrimoines, sans pour autant que ne s’établisse de lien juridique entre eux. L’activité exercée pourra donc avoir pour conséquence d’accoler les patrimoines des différents individus y prenant part en modifiant proportionnellement leur substance, pour l’un à la baisse, et pour l’autre à la hausse. 193. - Il s’agit ici de l’hypothèse la plus simple pouvant advenir, et on en trouvera une illustration dans des circonstances diverses. Ce sera notamment le cas dès lors que par l’opération qui sera considérée comme d’apport postérieurement à l’intervention du Droit, un prétendu associé transférera la propriété d’un bien lui appartenant, à l’autre. La même configuration se retrouvera lorsque la personne s’estimant gérante, dans le cadre de la gestion d’affaires, incorporera un bien lui appartenant au sein d’un immeuble propriété du prétendu maître de l’affaire, qu’il se sera donné pour mission de préserver. 194. - Mais cette hypothèse n’est pas exclusive, et les choses peuvent se complexifier dès lors que la fluctuation patrimoniale interviendra du fait de rapports établis par l’un des acteurs avec des tiers. Il est en effet envisageable que le prétendu gérant, ou le prétendu associé contractent avec des tiers dans le cadre de l’exercice de leur activité. 195. - Ainsi, si cette dynamique ne pourra par principe qu’engendrer l’appauvrissement ou l’enrichissement de l’acteur ayant directement traité avec le tiers dans le cadre de l’exercice de l’activité, il faudra ici identifier celui qui en supportera la charge définitive, notamment lorsque le prétendu gérant d’affaires agira par représentation. 73 196. - Par ailleurs, il faudra également évaluer ce que chacun recueillera en contrepartie : ainsi, le coût d’achat par le gérant d’affaire virtuel agissant au nom du futur maître de l’affaire de matériaux visant à la réparation du toit de la maison de ce dernier, pèsera à titre définitif sur celui qui obtiendra ensuite la qualité de géré. Mais, cette dépense sera également de nature à enrichir le prétendu maître de l’affaire, qui pourra bénéficier éventuellement d’une plusvalue de sa propriété une fois les réparations effectuées. A ce titre, il est également nécessaire de souligner que la jurisprudence estime que les efforts déployés par le gérant dans le cadre de l’exercice de l’activité ne sauraient être quantifiés pour s’inscrire dans cette dynamique de fluctuation175. 197. - Les situations pouvant trouver à s’appliquer sont donc très diverses, mais la caractéristique de la relation de fait en cours de fonctionnement doit bien être celle du mouvement. Cela suggère donc que cette fluctuation doive être incessante. En effet, la notion même d’activité, quelle que soit sa forme, suggère l’action, en ce qu’on peut évoquer ce terme comme la « puissance d’agir »176. Or, ce mouvement est créateur de richesse, et engendrera donc mécaniquement la fluctuation de la substance du patrimoine des intéressés, quand bien même elle passerait par le média de relations avec des tiers. Dans le cas contraire, donc lorsque la fluctuation patrimoniale se cristallisera, la relation sera arrivée à son terme. §2) La cristallisation patrimoniale de la relation de fait à son terme 198. - Au terme de la relation de fait, l’inaction qui la caractérisera alors se marquera par une fixation de la substance du patrimoine des différents intéressés par rapport à l’activité exercée, dont la valeur n’évoluera plus de ce fait (A). Cela nécessitera donc l’intervention du Droit afin de solder cette relation devenue sans objet (B). A) La fixation patrimoniale 199. - Le terme de la relation de fait va s’accompagner d’une cessation de la fluctuation patrimoniale qui lui était caractéristique. En effet, l’activité ayant pris fin, du fait que les futurs associés de société créée de fait ont cessé d’œuvrer ensemble, ou bien que le gérant d’affaire virtuel a stoppé son action au bénéfice du futur maître de l’affaire, on ne saurait alors concevoir qu’elle puisse impliquer de nouvelles évolutions patrimoniales. 175 176 V. notamment à ce titre, Cass. Com. 29 mars 1994, Bulletin 1994 IV N° 137 p. 108, n°92-14245. Dictionnaire Littré, v° Activité. 74 200. - Les choses vont donc être amenées à se figer. A ce titre, peu importe la raison ayant conduit à l’arrêt constaté de l’activité, et il serait stérile de s’attacher à la systématiser, tant elle semble pouvoir être variable. En effet, la gestion d’affaires comme la société créée de fait font figure de mécanismes très malléables, donc susceptibles de trouver application dans un grand nombre de situations différentes. 201. - Ainsi, la relation de fait pouvait s’identifier à la participation d’un concubin à l’exploitation d’un fonds de commerce appartenant à l’autre, et pourra avoir pris fin par la séparation des compagnons, dont l’un d’eux pourra souhaiter par la suite solliciter l’intervention de la société créée de fait. De même, s’agissant de la gestion d’affaires, cette relation prendra par principe fin dès lors que le futur gérant aura mené à bien l‘affaire du maître, et pourra ainsi légitimement mettre un terme à son action. Mais ce pourra également être le cas dès lors qu’il aura de ce fait subi un dommage le forçant à l’interrompre. 202. - Mais, si les raisons importent peu, il est néanmoins nécessaire de s’attacher à décrire la situation ainsi révélée par l’arrêt de l’activité. Or, après avoir observé séparément la fluctuation de valeur au sein des patrimoines des différents acteurs au cours de la relation de fait, sa rupture commandera d’en examiner les conséquences les uns par rapport aux autres. En effet, le plus souvent, l’équilibre patrimonial ne s’établira pas spontanément, entre les différents protagonistes, et laissera apparaître une double réalité. 203. - On notera d’un côté, l’enrichissement d’une ou plusieurs parties, consécutivement à l’exercice de l’activité. Ici encore, les causes en seront diverses : ce sera le cas notamment du futur associé n’ayant pas contribué aux pertes issues de l’activité, ou qui aura conservé tout le bénéfice qui y était lié. Correspondra également à ce cas de figure, l’hypothèse dans laquelle celui qui sera amené à revêtir la qualité de maître de l’affaire n’aura pas exposé une dépense dont le montant a tourné à son profit, ou encore aura vu son bien objet de la gestion, s’accroitre en valeur du fait de l’action du gérant. 204. - Il s’agit ici des points les plus saillants, mais au-delà, il faut avoir égard à tout enrichissement quel que soit sa forme. Un auteur a pu l’exprimer s’agissant des quasicontrats, mais son propos serait tout à fait transposable à la situation qui donnera lieu à la découverte d’une société créée de fait : « la notion d’enrichissement englobe non seulement le 75 profit – accroissement de l’actif ou diminution du passif – mais encore tout avantage ou bénéfice ayant procuré une utilité à autrui. »177 205. - A l’inverse, et symétriquement, on constatera un appauvrissement d’une ou plusieurs autres parties ayant participé à la réalisation de l’activité. Ainsi en ira-t-il de l’associé virtuel qui aura supporté toutes les pertes engendrées par l’exploitation, ou n’aura pas obtenu le partage du bénéfice qui y était lié. De même s’agissant du futur gérant, qui aura engagé certaines dépenses ou aura subi un dommage du fait de sa gestion. Il faut ici garder à l’esprit que, comme nous l’avons souligné (V. supra n°196), les efforts qu’il aura exposé dans sa gestion ne constitueront pas une source d’appauvrissement susceptible d’être corrigé par le biais de ce mécanisme quasi-contractuel. Ainsi, c’est donc également de manière large que doit être comprise cette notion d’appauvrissement, qui vaudra y compris s’agissant du manque à gagner ayant pu être engendré. 206. - Or, l’appauvrissement comme l’enrichissement sont liés, en ce qu’ils trouvent à leur origine l’exercice de l’activité, sociale ou de gestion, qui est de nature à les corréler. On se situe ici à la conjonction du fait et du Droit, en ce qu’au regard de cet état de fait, l’intervention du Droit pourra être sollicitée afin que les protagonistes ayant à supporter l’appauvrissement, ne le conservent pas, ou pas en totalité, à leur charge. Ainsi, ils pourront souhaiter agir contre le(s), bénéficiaire(s) de l’enrichissement. De même, un créancier pourra également vouloir répartir la charge de sa créance liée à l’exercice de l’activité, dont il bénéficie envers l’un des acteurs, avec l’(es) autre(s), afin d’augmenter ses chances de paiement. A ces plaideurs, sont offerts, selon la configuration de leur relation passée, l’institution de la gestion d’affaires, et celle de la société créée de fait. 207. - Néanmoins, force est ici d’insister encore une fois sur l’importance de l’enjeu, donc de l’appauvrissement et de l’enrichissement corrélatif, qui justifiera le recours à ces mécanismes. En effet, pour obtenir satisfaction, il sera nécessaire d’intenter une action en justice, avec tous les aléas y afférents, ainsi que les griefs de lenteur et de coût élevé qu’on impute généralement au système judiciaire. 177 M. Douchy, op. cit n°17. 76 208. - Ainsi, il se peut que le Droit n’ait jamais à connaitre de telles relations, soit que l’enjeu soit trop faible, soit que les parties y soient indifférentes, en souhaitant laisser perdurer cette distorsion : c’est le cas de celui qui pourrait recevoir la qualité de gérant d’affaires, et qui a exécuté sa gestion, procurant la satisfaction du maître de l’affaire potentiel, sans vouloir solliciter de lui le remboursement des frais engagés. De même, lorsque la séparation des époux séparés de biens ou des concubins n’est pas conflictuelle, et que celui ayant accompagné l’exploitation de l’autre ne sollicitera pas de ce dernier une compensation pécuniaire. Dans une telle hypothèse, la relation passée restera en suspens. Mais, cela ne doit rester que l’exception. D’où, par principe, un acteur de ce processus sera amené à entrainer l’intervention du Droit, du fait de la nécessité de solder la relation passée. B) La nécessité de solder la relation 209. - Le terme « solder » peut se définir comme « acquitter un compte, une dette. »178 Or, c’est cette image qui sous-tend la philosophie gouvernant l’intervention du Droit en la matière. En effet, si les conditions en sont réunies, la relation envisagée passera d’un fait passé à une réalité juridique tangible. Néanmoins, l’émergence de ce rapport établi entre les personnes, au sein de la sphère juridique ne doit pas être conçue comme une fin en soi. 210. - Il s’agit en effet d’un moyen offert au demandeur à l’action d’établir des liens de nature juridique entre les protagonistes en présence du fait du déploiement de l’activité passée, afin de permettre à ceux d’entre eux pour qui elle a suscité un appauvrissement injustifié de le transférer en tout ou partie sur les autres acteurs. Cela explique alors que ces institutions ne soient reconnues, et ainsi n’accèdent à la vie juridique, que pour disparaitre aussitôt. En effet, à travers elles, c’est bien le passé qu’il convient de traiter, et ainsi, l’intervention du Droit se bornera à lier juridiquement ces individus, à travers certaines obligations, permettant d’opérer ce transfert total ou partiel de la charge d’appauvrissement. 211. - Mais la question induite est alors celle de savoir comment justifier ici l’intervention du Droit. Il s’agit donc de déterminer les raisons qui la sous-tendent. La question prend d’autant plus de poids, dès lors qu’on constate que le Droit, en lui-même, n’a pas vocation à lutter contre l’appauvrissement ou l’enrichissement en tant que tels, du fait que bon nombre des règles qu’il met en place engendrent ces conséquences. Il n’est qu’à songer ainsi 178 Dictionnaire Littré, v° Solder. au 77 mécanisme du contrat, qui conduit à reconnaître à l’une de ses parties une créance sur la seconde, qui voit son patrimoine obéré d’une dette. Ce faisant, c’est l’enrichissement du premier au détriment du second que l’on fonde. De même, il faut ajouter qu’aucun des faits qui donneront lieu à la reconnaissance d’une société créée de fait, ou à la mise en place d’une gestion d’affaires, ne saurait prendre une tournure illicite qui eut dû justifier de facto l’intervention du Droit, dont on a déjà mis en relief le fait qu’elle soit laissée au bon vouloir des acteurs à la relation passée. 212. - En réalité, il semble que le motif justifiant l’intervention du Droit à travers les mécanismes de gestion d’affaires et de société créée de fait, soit lié au fait que dans l’un et l’autre cas, l’enrichissement comme l’appauvrissement interviennent sans cause reconnue par lui. Or, on peut convenir avec certains auteurs que « cette condition d'absence de cause se retrouve en matière de gestion d'affaires. Elle signifie que l'acte de gestion ne doit être justifié par aucun titre. »179 Cette caractéristique est en effet relayée, sur le plan des conditions d’application du mécanisme, par l’exigence de spontanéité devant animer le gérant dans son action180. 213. - En revanche, l’affirmation peut paraître plus problématique s’agissant de la société créée de fait. D’abord, on considère généralement que par principe, un contrat forme une cause d’enrichissement et d’appauvrissement corrélatif valable. Or, à travers la société créée de fait, c’est bien a priori d’un contrat de société dont il est question. Néanmoins, cet argument n’apparaît pas déterminant pour s’opposer au caractère non causé du mouvement de valeur. En effet nous avons déjà souligné que les parties en présence n’ont pu vouloir d’un tel « contrat » (V. supra n°121 et s.). En réalité, celui-ci interviendra bien en l’occurrence pour conférer une cause, mais ceci non pas au transfert de valeurs initial, tel que révélé lors de la rupture de la relation de fait, mais au transfert de la charge de l’appauvrissement tel qu’il interviendra de par l’action du Droit. 179 X. Pin, L. Devin, Quasi-contrats – Théorie générale, Fascicule Litec 2011, n°55. V. supra n°62: en vertu de celle-ci, il doit apparaître que le gérant a entrepris la gestion de sa propre initiative, indépendamment de tout titre justifiant, ou exigeant son action dans les affaires d’autrui. La Cour de Cassation a pu ainsi en refuser le bénéfice à toutes les personnes tenues « légalement ou contractuellement » de s’ingérer dans les affaires d’autrui : V. Cass. Soc. 11 octobre 1984 cité supra. A celles-ci, les auteurs ajoutent les personnes tenues d’une obligation naturelle. D’après l’un d’eux, « l’incompatibilité de la gestion d’affaires et de l’obligation naturelle ne laisse aucun doute, bien que la Cour de cassation n’ait jamais eu, à notre connaissance, à trancher la question. » : M. Douchy, op. cit n°38. 180 78 214. - Ensuite, on peut remarquer que certains auteurs nient que la société créée de fait fasse suite à un transfert de valeur injustifié. Ainsi, d’après l’un d’eux, « pour la société créée de fait, les trois éléments nécessaires à son existence – existence d’apports, intention des parties de s’associer, vocation à bénéficier aux bénéfices et aux pertes – excluent le caractère injustifié de l’investissement réalisé par les parties. […] Il y a une justification au transfert du bien ou à l’accomplissement du service. L’élément de spontanéité n’y est pas. »181 215. - Ce n’est pas notre opinion. En effet, admettre une telle affirmation supposerait comme préalable de considérer que les personnes en présence aient voulu se placer en situation de société, et que dans ce but, elles aient réalisé des apports, en prenant part de manière active à la vie sociale afin de dégager un bénéfice qu’elles seraient susceptible de se partager. Mais on serait alors en présence d’une société en participation, et non d’une société créée de fait, au sein de laquelle, par hypothèse, les associés n’ont pas conscience de se trouver dans une telle situation. 216. - Par ailleurs, après avoir mené une analyse de déconstruction de ce mécanisme par l’appréciation de la pertinence des critères pris en compte par le juge pour la découverte de l’existence d’une société créée de fait, (V. supra n°113 et s.), nous sommes forcés de constater que l’appréciation des éléments intentionnels inhérents à toute société est ici lacunaire. Ainsi, la situation nous apparaît dès lors on ne peut plus spontanée : deux ou plusieurs personnes vont œuvrer ensemble de manière informelle et sans avoir au préalable convenu des modalités de cette activité commune, sans quoi elle se serait inscrite dans la sphère du Droit, et non celle du non-Droit. Dès lors, on peine à trouver une justification quelconque qui eut pu expliquer l’appauvrissement et l’enrichissement corrélatifs amenés à intervenir dans cette situation. 217. - Au final, eu égard à ces éléments, il nous paraît fondé de soutenir que la société créée de fait repose sur l’existence d’un transfert de valeurs injustifié, que le Droit aura vocation à corriger par son action, de la même manière que dans le cadre de la gestion d’affaires. Forts de ce constat, les auteurs y adhérant font alors généralement référence à l’intervention du Droit, dans l’un et l’autre cas, comme une nécessité d’Equité. 181 M. Douchy, op. cit n°81 p 186. 79 218. - Ainsi, Madame Douchy le généralise à tous les quasi-contrats : « L’article 1371 du Code civil [écrit-elle], formule par une vue générale le fondement extrait de l’équité, et dont la présentation négative – absence de cause – ne doit pas faire oublier l’enjeu positif qu’elle renferme. Ce cadre souple prévoit qu’un engagement peut résulter de toute activité spontanée, quelquefois même réciproque, afin que la perte subséquente ne soit pas définitivement imputée à son auteur. Là se trouve tout l’extraordinaire de cette source d’obligations, reconnue par le législateur, laissée au libre mouvement des particuliers, et personnifiée par le juge chargé de donner ponctuellement, en chaque espèce, le quantum correspondant à l’équitable. »182 219. - De même, Madame Vacrate, s’agissant de la société créée de fait, se range à cette vision, et énonce notamment que ce mécanisme est « un instrument d’équité utilisé par la jurisprudence »183. Il vise, selon elle, à transformer une « frustration juridique en une compensation financière »184. Il s’agirait ainsi de remédier à la précarité de la situation du demandeur à l’action pour faire naître à son profit une créance lui permettant de transférer tout ou partie de l’appauvrissement qu’il supporte, sur autrui, qui en a profité. 220. - Mais, franchir un tel pas suppose de s’accorder au préalable sur ce qu’est l’Equité. Or, la tâche n’est pas aisée, et le terme est ainsi susceptible de revêtir une multitude de significations185. Il est néanmoins possible d’établir un lien entre elles en remarquant que c’est globalement à l’idée de Justice que font référence toutes les explicitations proposées. Or, cela n’est pas davantage éclairant, en ce que la Justice souffre des mêmes difficultés quant au contenu concret auquel elle peut faire référence. Cette complexité réside en premier chef dans le fait qu’il s’agit là de notions à la fois subjectives, mais également évolutives. Ainsi, une fois gardé à l’esprit le caractère essentiellement suggestif de la notion d’Equité, on peut convenir avec ces auteurs qu’il s’agit vraisemblablement d’une dimension à prendre en compte pour la compréhension de la gestion d’affaires, comme de la société créée de fait. On peut alors louer, ou au contraire désapprouver l’application qui en est faite dans ces hypothèses186. 182 M. Douchy, op. cit. n°122, p278. S. Vacrate, th préc. n° 38. 184 S. Vacrate, th préc. n°417 et art. préc. 185 Ainsi, le Dictionnaire Littré en recense deux sens, le Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant en compte six acceptions. Sur la notion d’équité, V. notamment C. Albiges, Répertoire Civil Dalloz 2009 v° Equité ; E. Agostini, L’Equité, D. 1978 p 7. 186 Ainsi, S. Vacrate porte certaines critiques quant à la conception de l’équité à l’œuvre avec la société créée de fait, qui dégénèrerait en une « excessive protection des sujets de droit » (th. préc. n°422 et s.). En effet, selon elle, la précarité de la situation du demandeur à l’action qui sollicite alors l’intervention du Droit est due à son 183 80 221. - Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le point commun à la gestion d’affaires, comme à la société créée de fait, serait d’opérer un « rééquilibrage des patrimoines »187. Néanmoins, nous n’adhérons que partiellement à cette idée du fait du constat d’une divergence de situation, impliquant une réaction diverse. Section 2 : Une divergence de situation impliquant une réaction diverse 222. - Eu égard aux propos précédents, nous avons montré que la logique animant l’intervention de chacun de ces mécanismes était identique. Néanmoins, du fait que la configuration de la situation que chacun aura à traiter est différente, la réaction du Droit sera, dans l’un et l’autre cas, diverse. Nous empruntons ici aux analyses de François Chénedé188, qui a montré que la société créée de fait donnait lieu à une distribution (§1), alors que la gestion d’affaires conduisait à une commutation (§2). §1) La réaction distributive de la société créée de fait 223. - La réaction du Droit est susceptible d’emprunter deux voies différentes : celle de la commutation ou celle de la distribution. Or, à ce titre, Monsieur Chénedé s’est attaché à révéler « la spécificité de l’opération de commutation »189 en premier lieu du fait de sa différence de « contenu »190 d’avec l’opération opposée de distribution. Selon lui, « le contenu de la commutation peut être envisagé sous deux angles différents : d’un point de vue objectif, il s’agit du mouvement de valeurs réalisé par l’opération ; d’un point de vue subjectif, le contenu s’entend des relations entretenues par les parties. »191 Néanmoins, au delà, ces deux critères nous semblent liés, la nature des relations entre les parties déterminant celle du mouvement de valeurs entrainé ou opéré entre elles. 224. - Il s’agira donc ici pour nous, d’analyser à l’aune de ces deux caractères, les circonstances qui présideront à l’intervention du Droit, afin d’en déterminer les modalités eu égard à la distinction entre les commutations et les distributions. Néanmoins, c’est propre fait, en ce qu’il aurait pu se placer ab initio dans la sphère juridique en optant pour la protection d’une institution donnée : ainsi, les concubins auraient pu opter pour le mariage, les époux séparés de biens pour un régime de communauté. D’où, la victime serait « l’auteur direct » de « l’injustice » dont elle se prévaut. (ibid.) 187 M. Douchy, op. cit n°20 ; S. Vacrate, th. préc. n°829. 188 F. Chénedé, th. préc. 189 F. Chénedé, th. préc. n°18 et s. 190 F. Chénedé, th. préc. n°19 et s. 191 F. Chénedé, th. préc. n°19. 81 essentiellement par référence au « contenu subjectif », donc aux relations entre les parties, qu’il nous faudra nous déterminer ici, du fait que s’agissant d’anticiper sur la forme de l’opération que réalisera le Droit, son « contenu objectif » ne saurait alors être analysé que de manière subsidiaire, car il en sera normalement la résultante. 225. - Or, s’agissant du « contenu subjectif » de chacune des opérations, Monsieur Chénedé propose de raisonner par référence à la notion d’« intérêts ». Si ce terme est susceptible de recouvrir plusieurs sens, celui lui paraissant le plus adapté évoque cette notion comme « ce qui importe (à l’état brut, avant toute qualification) : [une] considération d’ordre moral (affection, honneur, haine) ou économique (argent, possession d’un bien) qui, dans une affaire (contrat, procès…), concerne, attire, préoccupe une personne (ce qui lui importe). »192 Or, s’agissant de la société créée de fait, il apparait que les parties recherchent un intérêt commun (A), qui engendrera la réaction du Droit à travers un partage de valeurs communes (B). A) La recherche de l’intérêt commun 226. - La situation donnant lieu à la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait présente certaines spécificités du point de vue des rapports que les personnes en présence ont entretenus dans le cadre de la relation qui était la leur. En effet, on doit ici admettre que ces différents protagonistes poursuivaient un intérêt commun, qui, une fois la qualification sociale établie, revêtira la dénomination d’intérêt social. 227. - Or, la difficulté surgit là encore, quant à l’établissement d’une définition de cette notion. Ce débat renvoie à celui lié à la nature juridique de la société. Il est en effet admis que la vision de l’intérêt social variera selon que l’on adhère à la « conception contractuelle, institutionnelle ou inspirée de la doctrine de l’entreprise »193, s’agissant du concept plus large de société. Or, nous avons énoncé à ce sujet nous inscrire, tout au long de cette étude, dans le cadre de la conception contractuelle originelle de la notion de société (V. supra n°18 et s.). C’est donc dans cette voie que nous perdurerons s’agissant de l’explicitation de la notion d’intérêt social. 192 Vocabulaire juridique, op. cit v° Intérêt, premier sens ; Monsieur Chénedé retient également cette acception : V. F. Chénedé, th. préc. n°50 193 M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, op. cit n°373. 82 228. - Ainsi, pris en ce sens, « l’intérêt social se confond avec l’intérêt des associés visé à l’article 1833 du Code civil194 ; en matière d’acte juridique – et la société en est un – la notion d’intérêt renvoie aux parties à l’acte, en l’occurrence aux associés ; l’intérêt commun est l’intérêt de chacun des associés, identique pour tous, tel qu’il est défini dans l’acte de société ; […] il se définit par référence à la cause du contrat de société, à savoir l’enrichissement de l’ensemble des parties contractantes par la réalisation de l’objet social (C. civ, art. 1832). »195 229. - D’où, si on admet comme préalable d’adopter une conception contractuelle de la société, l’intérêt social apparait donc comme commun en ce qu’il est le même pour tous, et qu’il est formé à la conjonction des différents intérêts particuliers. Or, cette logique est de nature à imprimer une marque spécifique s’agissant de la relation entretenue entre ses différents acteurs. En effet, la notion d’intérêt social semble de nature à isoler la situation spécifique qui donnera lieu à la reconnaissance d’une société créée de fait, en la faisant basculer au sein de la catégorie des distributions, ceci étant lié à ce que ce premier élément traduit le « contenu subjectif »196 de ladite opération. En effet, l’auteur évoque en l’occurrence cette expression par la référence à ce que, « les participants s’unissent autour d’un intérêt commun »197. 230. - On note ainsi à quel point la situation dont le juge aura à connaitre s’inscrit en rupture totale avec celle qui devrait être en l’absence de contentieux. Il sera alors en présence d’une désagrégation de cet intérêt commun, laissant ressurgir les intérêts particuliers, et parmi eux, l’intérêt de l’enrichi à conserver son enrichissement, qui justifiera l’intervention du Droit. Il s’agit donc ici d’un premier élément de nature à déterminer la forme de l’intervention du Droit en la matière, inclinant vers une réaction distributive dont la situation soumise épouse les caractéristiques propres. 231. - Mais, ce premier point n’est pas le seul à œuvrer en ce sens, du fait qu’un second caractère nous semble lié. Celui-ci découle de l’adéquation qui paraît pouvoir être établie entre le « contenu subjectif » de l’opération analysée, et son « contenu objectif »198, ce dernier 194 Lequel dispose que la société doit « être constituée dans l’intérêt commun des associés. » M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, op. cit n°373. 196 F. Chénedé, th. préc. n°19. 197 F. Chénedé, th. préc. n°49. 198 F. Chénedé, th. préc. n°19. 195 83 s’entendant du « mouvement de valeurs réalisé par »199 celle-ci. En effet, cette spécificité semble s’incarner ab initio par le fait que cette relation trouve à sa source une « mise en commun »200, par l’intermédiaire des apports effectués par les associés virtuels, fondant ainsi le mouvement de valeurs opéré entre eux. Or, il s’agit ici, à la lumière de l’analyse développée par Monsieur Chénedé, du premier aspect de l’opération réalisée par les distributions, à travers l’étape de « participation d’une pluralité de personnes à une même communauté [dont l’auteur estime qu’elle] est le point de départ de toutes les distributions. »201 232. - Ainsi, eu égard à l’ensemble de ces caractéristiques, il semble que la nature de la réaction du Droit soit toute trouvée : elle revêtira une dimension distributive, en parachevant l’opération en cours entre les parties, et interrompue par la rupture de la relation de fait, en prenant la forme d’une répartition de valeurs communes. B) Le partage de valeurs communes 233. - Trouvant à sa source une mise en commun génératrice d’un mouvement de valeurs, la réaction du Droit, enseigne Monsieur Chénedé, consistera dans l’instauration d’une répartition202. Celle-ci sera donc distributive, dans le prolongement de l’intérêt commun qui animait auparavant les parties en présence, et qui a disparu avec la rupture de la relation de fait. 234. - Or, il s’agit là d’une description très exacte du mécanisme qui est à l’œuvre postérieurement à la qualification de société créée de fait : à travers elle, le Droit opère un partage de valeurs communes. En effet, la reconnaissance de l’existence de la société créée de fait donne immédiatement lieu à sa disparition à travers les opérations de dissolution. 235. - Il sera d’abord question de désintéresser les titulaires de créances liées à l’exercice de l’activité203. Or, par principe, si n’est engagé à leur égard que l’associé qui a directement traité 199 Ibid. F. Chénedé, op. cit n°365. 201 F. Chénedé, th. préc. n°40. 202 F. Chénedé, th. préc. n°42 et n°365. (Nous soulignons.) 203 La situation spécifique de la société créée de fait commande ici encore des dérogations à la procédure classique de liquidation, qui voit sa logique axée autour du maintien de la personnalité morale du groupement le temps nécessaire au déroulement des opérations afférentes. Or, la société créée de fait en est dépourvue. Ainsi, de l’avis d’un auteur, il y a ici « impossibilité de mise en œuvre de la procédure de liquidation » (S. Vacrate, th. préc. n°451). Il ajoute que « la satisfaction des créanciers se fera dans les conditions posées à l’article 1872-1 du 200 84 avec eux, ils auront la possibilité d’agir contre d’autres associés, s’ils parviennent à démontrer que ceux-ci ont également souscrit un engagement envers eux, soit qu’ils leur aient laissé croire qu’ils entendaient s’engager vis-à-vis d’eux, soit que l’engagement ait « tourné à leur profit »204. Si ces conditions sont réunies, les créanciers pourront alors actionner également ces autres membres de la société, qui seront tenus « avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. »205 C’est donc en liaison avec la nature de l’objet social que se déterminera la substance exacte du droit des créanciers. 236. - Dans les rapports entre associés, interviendra ensuite l’opération de partage. Elle repose d’abord sur la reprise par chacun, des apports qu’il avait pu mettre à disposition de la société. Une exception doit être introduite s’agissant des apports en industrie, dont on connaît l’importance au sein de la société créée de fait, qui ne peuvent faire l’objet d’aucune reprise, ni d’aucun remboursement206. 237. - Une fois cette étape menée à bien, le bénéfice subsistant, s’il existe, pourra lui-même faire l’objet d’une répartition entre les associés. Or, si ceux-ci pourraient par principe décider par avance des modalités de partage susceptibles d’intervenir dans leurs rapports, cela n’adviendra pas au sein de la société créée de fait, eu égard à l’ignorance des associés quant à cette situation. C’est donc la règle supplétive posée par l’article 1844-9 du Code civil en son alinéa premier qui trouvera application en la circonstance. D’après lui, « après paiement des dettes et remboursement du capital social, le partage de l’actif est effectué entre les associés dans les mêmes proportions que leur participation aux bénéfices. » 238. - Cette répartition intervient donc via une logique d’ « égalité géométrique »207. Il s’agit, des mots mêmes de l’auteur, de « respecter la règle proportionnelle : chaque participant devra recevoir une part proportionnelle à sa participation dans la communauté. »208 Or, cela se vérifie au cas concret, en ce qu’à défaut d’accord contraire, la part de chaque associé dans la Code civil et les juges se contenteront de fixer la durée de la société liquidée. » (Ibid.) Ainsi, malgré la lettre de l’article 1844-8 du Code civil, la nomination d’un liquidateur ne s’imposera pas par principe, s’agissant de la société créée de fait, du fait de l’absence de patrimoine social à liquider. 204 C.Civ. Art 1872-1 alinéa 3, V. supra n°46 et s. 205 C. Civ. Art 1872-1 alinéa 2, V. supra n°48. 206 V. notamment, Cass. Civ. 1ère, 19 avril 2005, Bull. civ. I, 2005, n°187 p. 158, pourvoi n°01-17226. 207 V. F. Chénedé, th. préc. n°365et n°43 ; Pour un affinement de la théorie des quasi-contrats au service de la liquidation patrimoniale du concubinage, (à propos de trois arrêts de la première chambre civile du 20 janvier 2010.), D. 2010 p. 718. 208 Ibid. 85 répartition des bénéfices dégagés par l’exercice de l’activité, est fonction de « sa part dans le capital social »209, donc du montant de ses apports, supports de la « mise en commun » qui déterminera la forme de l’action du Droit210. Néanmoins, du fait des difficultés quant à l’établissement de la participation respective des différents associés au sein de la société créée de fait, c’est souvent à un partage par parts égales qu’il sera procédé en l’espèce. 239. - Ce faisant, on constate que l’intervention du Droit n’a pas ici pour objet de compenser l’appauvrissement de la partie injustement appauvrie au bénéfice de l’autre. En effet, cela ne vaut que pour les mécanismes commutatifs, et non distributifs tels qu’incarnés en l’occurrence par la société créée de fait. Dans ce cas, il s’agit uniquement de répartir certaines valeurs communes. Cette institution a donc vocation à traiter une situation de fait passée, mais pas dans le but d’effacer purement et simplement les mouvements de valeurs qui ont pu en résulter. Ainsi, la justice ici recherchée prend les traits d’une justice distributive : celle-ci « impose la répartition des valeurs mises en commun : chacun des participants doit recevoir une partie du capital commun et une partie des revenus de la communauté. »211 240. - Néanmoins, si ce n’est pas là son objet, c’est bien l’effet indirect auquel elle conduit. En effet, par cette intervention, il s’agit de répartir entre les associés, le bénéfice, ou la charge des pertes qui ont pu être liés à l’exercice de l’activité. C’est donc ainsi la garantie pour la partie demanderesse à l’action, de ne pas conserver à sa charge la totalité des pertes qu’elle devait auparavant supporter, ou bien d’obtenir une fraction des bénéfices, à laquelle elle pouvait légitimement prétendre. C’est alors indirectement que le demandeur obtiendra la compensation de son appauvrissement lié soit à la perte subie, soit au manque à gagner, et c’est bien dans ce but que l’action sera intentée par lui. Pour autant, force sera alors de constater que l’associé appauvri ne transfèrera pas forcément sur autrui la totalité de la charge d’appauvrissement. Il sera en effet envisageable qu’il en supporte une partie, si l’exploitation de l’activité s’est avérée déficitaire. 241. - On peut alors remarquer que de ce fait, la société créée de fait ne peut être envisagée comme un mécanisme de rééquilibrage des patrimoines, qui aurait supposé l’existence d’un équilibre préexistant. Or, par son biais, il ne s’agit pas de revenir sur le passé, mais de tirer les 209 C.civ, Art 1844-1. V. supra n°231. 211 F. Chénedé, th. préc. n°365. 210 86 conséquences actuelles de la rupture d’une relation de fait antérieure. Néanmoins, on peut concéder aux auteurs défendant cette thèse212, que c’est bien un équilibre qu’il est question d’instaurer ici. Mais celui-ci résulte alors de l’application d’un mécanisme de justice distributive, et non de justice commutative comme c’est le cas s’agissant de la gestion d’affaires. §2) La réaction commutative de la gestion d’affaires 242. - La situation de gestion d’affaires diverge de la précédente. En effet, au sein de celle-ci, il est procédé à la recherche d’intérêts particuliers (A), ce qui fondera une réaction commutative du Droit à travers la compensation d’un appauvrissement (B). A) La recherche d’intérêts particuliers 243. - La configuration de la situation de fait qui donnera lieu à l’application de la gestion d’affaires, revêt également certaines particularités quant aux rapports entretenus par les personnes en présence, mais ces spécificités diffèrent de celles que nous avons pu mettre en valeur s’agissant de la société créée de fait. 244. - En effet, si les relations des associés de société créée de fait virtuels, s’articulent autour d’un intérêt commun, celles des futurs gérant et maître de l’affaire restent soumises à la satisfaction d’intérêts particuliers. Nous avons montré à ce titre, que pour que la gestion d’affaires puisse trouver application, il faut que le gérant manifeste son intention d’agir dans l’intérêt du maître de l’affaire (V. supra n°62 et s.). La particularité de cette situation réside ainsi dans le fait que si c’est bien un intérêt particulier qui est poursuivi par le gérant, ce n’est pas le sien propre, mais celui de la personne qui revêtira la qualité de géré. 245. - Or, cette logique rejaillit encore une fois sur la nature du mouvement de valeurs que le Droit aura à corriger par son action. Ainsi, la situation de gestion d’affaires naîtra de l’ingérence spontanée du gérant dans les affaires d’autrui. D’où, ce premier mouvement de valeurs prendra les traits d’un « appauvrissement spontanément consenti sans contrepartie patrimoniale, et sans intention libérale. »213. Or, il s’agit ici du « contenu objectif » de l’opération de commutation, faisant référence à un « transfert de valeurs »214. Mais, il s’évince de celui-ci la particularité liée au fait qu’il est « spontané (non convenu) [V. supra n°62], et 212 V. S. Vacrate, th. préc. n°829. F. Chénedé, th. préc. n°347. 214 F. Chénedé, th. préc. n°19. 213 87 injustifié (sans cause) [V. supra n°212] entre deux parties »215. L’intervention du Droit se fera donc en suite et en réaction face à cette première commutation aux caractéristiques spécifiques. 246. - On peut alors faire intervenir une nouvelle fois l’analyse en termes d’intérêts pour en déterminer les modalités. En effet, on note que s’agissant de la gestion d’affaires, le Droit n’a pas refusé toute place aux intérêts du gérant : ainsi, outre le fait que l’altruisme porteur de la gestion d’affaires puisse n’être que partiel ou effacé (V. supra n°67 et s.), nous avons montré que le gérant d’affaires souhaitait le plus souvent sauvegarder ses propres intérêts, sans quoi il eut agi sous couvert d’intention libérale (V. supra n°170 et s.). Or, cette situation d’appauvrissement qu’il aura à subir génèrera le conflit, par la réinstauration d’intérêts particuliers distincts. 247. - En effet, ce que découvre le terme de la relation de fait est une situation contentieuse, liée à une opposition d’intérêts. Monsieur Chénedé l’exprime ainsi plus largement s’agissant des quasi-contrats en général : « en matière d’enrichissement sans cause, comme en matière de paiement de l’indu, l’intérêt de l’enrichi et de l’accipiens s’oppose à l’intérêt de l’appauvri et du solvens : les premiers ont intérêt au maintien de leur enrichissement, tandis que les derniers espèrent la compensation de leur appauvrissement. »216 Il en va de même dans le cadre de la situation de gestion d’affaires : le géré souhaite conserver le bénéfice qu’il a pu tirer de celle-ci, alors que le gérant souhaitera voir ses pertes compensées. Or, ce constat détermine la forme de l’action du Droit, en ce qu’il prend les traits du « contenu subjectif » de l’opération de commutation, qui repose sur un tel conflit d’intérêts217. 248. - Ainsi, on constate un décalage temporel entre la situation de gestion d’affaires, et celle de société créée de fait, quant au moment de l’appréciation de l’intérêt en cause. En effet, ceci est lié au constat d’une différence de perspective : pour la société créée de fait, l’intervention du Droit a pour vocation de mener à son terme un processus déjà initié par les parties, mais interrompu, alors que la gestion d’affaires vise à réagir face à une commutation déjà intervenue : c’est donc dans les deux cas au moment où s’inscrira le départ de l’opération qu’il faudra se placer pour en juger, la distinction résultant du fait que le point de 215 F. Chénedé, th. préc. n°365. F. Chénedé, th. préc. n°51. 217 Ibid. 216 88 départ de la distribution – la date des apports effectués par les parties – est antérieur dans le temps au point de départ de la commutation intervenant dans le cadre de la gestion d’affaires, matérialisé par la rupture de la relation de fait et la constatation d’un appauvrissement et d’un enrichissement corrélatif. 249. - Dans ce dernier cas, le Droit se doit ainsi de réagir de manière commutative, en instaurant une commutation involontaire, donc indépendante de la volonté des parties, visant non pas à « perpétuer cet état de conflit, [mais à] l’apaiser en réalisant la conciliation des intérêts en présence ».218 Celle-ci passe par la compensation d’un appauvrissement. B) La compensation d’un appauvrissement 250. - La réaction du Droit, s’agissant de la situation de gestion d’affaires revêt une dimension commutative. Il s’agit à travers elle, de concilier les intérêts du gérant, ainsi que ceux du maître de l’affaire. Or, cela nécessite de « corriger [le] transfert de valeurs [initial] »219 en opérant une nouvelle commutation indépendante de la volonté des parties et en sens inverse. 251. - Des mots mêmes de Monsieur Chénedé, « il ne s’agit pas […] d’établir un nouvel équilibre entre les parties, mais d’effacer le déséquilibre survenu au détriment de l’une d’entre elles. De fait, à l’origine de toute obligation extracontractuelle, on trouve une personne dont les intérêts ont été lésés : la victime pour la responsabilité, l’appauvri pour le quasi-contrat. L’objet des obligations délictuelles, quasi-délictuelles et quasi-contractuelles est précisément de compenser cette lésion : le responsable doit réparer le préjudice subi par la victime ; l’enrichi est tenu de compenser l’appauvrissement subi par l’appauvri. Dans toutes ces hypothèses, ce ne sont pas les parties, mais la loi qui assure la conciliation des intérêts en présence en ordonnant la compensation de la perte injustement causée à la victime ou à l’appauvri.»220 252. - Or, cette logique s’illustre bien à travers le cas particulier de la gestion d’affaires, s’agissant des obligations mises par la loi à charge des personnes en présence. Nous avons en effet montré en quoi les règles posées visaient à assurer les intérêts du géré, qui doivent 218 F. Chénedé, th. préc. n°52. F. Chénedé, th. préc. n°365. 220 F. Chénedé, th. préc. n°52. 219 89 gouverner le déroulement de la gestion221. Mais en retour, ceux du gérant se doivent également d’être sauvegardés à travers l’indemnisation devant lui être versée par le premier, afin de compenser l’appauvrissement qu’il a pu subir consécutivement à l’exercice de sa gestion222. Ainsi, par principe, il ne doit subsister en la personne du gérant, à l’issue de l’intervention du Droit, ni enrichissement, ce qui exclue pour lui toute rémunération, ni appauvrissement, sauf à hauteur du montant correspondant aux fautes qu’il aurait pu commettre durant sa gestion. 253. - On mesure bien ici les divergences quant aux conséquences de l’intervention du Droit s’agissant du cas de la société créée de fait. En effet, concernant la gestion d’affaires, c’est d’« égalité arithmétique » dont il s’agit. A travers elle, il est donc opéré la compensation d’un appauvrissement223. 254. - On peut ainsi constater, que contrairement à la société créée de fait, le transfert de la charge d’appauvrissement est non seulement l’effet, mais également l’objet même de l’action. Ainsi, qu’on y voit un « rééquilibrage des patrimoines »224, ou l’effacement du « déséquilibre survenu au détriment de l’une » des parties en présence225, la conséquence en est identique : le gérant ne devra pas conserver à sa charge l’appauvrissement issu de sa gestion. 255. - Ainsi, à travers cette démarche, nous avons mis en lumière les similitudes rapprochant la gestion d’affaires et la société créée de fait, à travers la démonstration de ce que ces deux institutions poursuivent un but identique. Il s’agit pour elles d’entrainer le passage d’une relation de fait passée, au plan du Droit, afin d’en tirer les conséquences patrimoniales entre ses différentes parties. En effet, si son déroulement était caractérisé par une fluctuation de valeurs au sein de leurs patrimoines respectifs, son terme a figé ceux-ci, découvrant alors l’enrichissement d’un acteur, et l’appauvrissement corrélatif de l’autre, sans cause 221 Ainsi, le gérant se voit obliger de gérer l’affaire dans sa totalité, donc d’achever la gestion de l’affaire au principal, ainsi que celle de toutes les dépendances qui y sont liées « jusqu’à ce que le propriétaire soit en état d’y pourvoir lui-même (C. Civ. Art. 1372, V. supra n°80 et s.), ou, en cas de décès du maître de l’affaire, ses héritiers (C. Civ. Art 1373, V. supra n°81), ceci en bon père de famille (C. Civ. Art. 1374, V. supra n°83 et s.) Or, ici, nous ne nous inscrivons pas dans la ligne de Monsieur Chénedé, qui considère que les obligations du gérant trouvent leur source dans un engagement unilatéral de volonté de celui-ci, V. supra n°174 et s. 222 Ainsi, « Le maître dont l’affaire a été bien administrée, doit remplir les engagements que le gérant a contractés en son nom, l’indemniser de tous les engagements personnels qu’il a pris, et lui rembourser toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu’il a faites. ». (C.Civ. Art 1375, V. supra n°91 et s.). 223 V. F. Chénedé, th. préc. n°347 et s. ; Art. préc. 224 M. Douchy, op. cit n°20. 225 F. Chénedé, th. préc. n°52. 90 justificative. Or, l’Equité commande ici une réaction du Droit, mais, face à des situations diverses, elle ne sera pas identique. La société créée de fait reposant sur la recherche d’un intérêt commun, à travers une mise en commun, le Droit se doit de réagir de manière distributive, en menant à son terme l’opération en cours, ceci engendrant la compensation indirecte de l’appauvrissement constaté. Celle-ci interviendra en revanche de manière directe s’agissant de la gestion d’affaires, mécanisme commutatif lié au fait que la situation à traiter est liée à la recherche d’intérêts particuliers. 256. - On trouve ainsi résumée de manière succincte la logique d’intervention de ces mécanismes, et, parce qu’il n’y a pas d’incompatibilité dans le fait de traiter différemment des situations diverses, on peut constater qu’elle est identique. Nous sommes donc poussés à mener notre démarche plus avant, pour alors franchir le pas de l’unification de ces deux institutions. Chapitre second : L’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait 257. - Il est désormais temps pour nous de mettre en adéquation la classification de ces institutions, avec le fond du mécanisme qu’elles mettent en œuvre. En effet, eu égard aux propos précédents, nous avons tenté de montrer que la gestion d’affaires, comme la société créée de fait présentaient une logique similaire, de nature à rendre possible leur unification. Mais celle-ci est-elle souhaitable ? La réponse nous semble devoir être affirmative, du fait du constat selon lequel la distinction de ces deux mécanismes engendre des incohérences (Section 1), dont certaines pourraient être résolues par leur unification (Section 2). Section 1 : Les incohérences engendrées par la distinction entre la gestion d’affaires et la société créée de fait 258. - Il est un fait établi que personne ne contestera, qui tient à ce que la gestion d’affaires, comme la société créée de fait, sont des notions controversées. Il s’agit donc ici pour nous de faire l’état des critiques qui fusent à leur égard. Or, s’agissant de la gestion d’affaires, c’est par l’intermédiaire de la contestation de la notion de quasi-contrat à laquelle elle appartient, que celles-ci l’atteignent (§1). Les critiques sont par ailleurs tout aussi importantes s’agissant de la notion de société créée de fait (§2). 91 §1) Les critiques adressées à la notion de quasi-contrat 259. - Les critiques adressées à la notion de quasi-contrat tiennent pour l’essentiel à son existence. En effet, si au terme de multiples controverses, la doctrine était parvenue à dresser une vision unitaire du quasi-contrat (A), sa pertinence actuelle semble incertaine (B). A) La notion de quasi-contrat 260. - La question de la notion de quasi-contrat est assurément l’une de celles qui a le plus habité l’esprit des juristes, de par le passé226, et jusqu’à nos jours. En effet, la description générale du quasi-contrat offerte par l’article 1371 du Code civil semble, dans ce cadre, peu éclairante. Les quasi-contrats y sont dépeints comme les « faits purement volontaires de l’homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties. » La formulation ainsi adoptée par les rédacteurs du Code civil apparaît alors dans son excessive généralité, faisant obstacle à une délimitation opératoire du quasi-contrat. Partant de ce constat, la doctrine a donc très tôt compris que l’éclairage ne saurait venir du texte, pour proposer des théories détachées de sa stricte lecture exégétique. 261. - La difficulté est encore accentuée, en l’occurrence, par le fait que l’on ne saurait requérir l’arbitrage de l’histoire, par l’étude de la genèse de cette institution. En effet, il est notoire que les romains abordaient les obligations naissant quasi ex contractu, qui engendreront par la suite les quasi-contrats, sous l’angle casuiste qui leur est caractéristique, sans jamais être parvenus à fédérer l’ensemble de leurs composantes autour de traits communs. Il s’agissait alors uniquement d’une « catégorie intermédiaire »227 entre le contrat et le délit, qui était appréhendée « négativement : ce n’est pas un contrat, car il n’y a pas à son origine de rencontre des consentements et ce n’est pas un délit, car le fait qui en est la cause n’est ni prohibé, ni dommageable. »228 C’est donc a posteriori que l’unité a du être recherchée. Le champ était ainsi largement ouvert à la controverse doctrinale, et les auteurs ont alors émis diverses propositions pour en faire part, dont nous ne recenserons que les principales. 226 Les auteurs font remonter la controverse au mouvement de redécouverte du Droit romain au XIIIe siècle : V. à ce propos, E. Terrier, La fiction au secours des quasi-contrats, ou l’achèvement d’un débat juridique, D. 2004 p. 1179, n°31 ; Ph. Le Tourneau, Répertoire Civil Dalloz 2008 v° Quasi-contrat, n°4 ; J. Honorat, Rôle effectif et rôle concevable des quasi-contrats en droit actuel, RTD. Civ. 1969 p. 653. 227 E. Terrier, La fiction au secours des quasi-contrats, ou l’achèvement d’un débat juridique, D. 2004 p. 1179, n°28. 228 Ibid. 92 262. - Certains auteurs se sont tout d’abord attachés à cerner le quasi-contrat par une dynamique de rapprochements avec le contrat229. La notion de quasi-contrat résiderait dans la correspondance pouvant être établie entre ses composantes et certains contrats nommés du Code civil, la seule différence entre eux étant liée au fait que dans le cadre du quasi-contrat, ferait défaut l’existence du consentement des parties à l’origine des effets de Droit engendrés : la gestion d’affaires prendrait alors les traits d’un quasi-mandat, pendant que la répétition de l’indu ferait figure de quasi-prêt de consommation. En définitive, poussée à son paroxysme, cette conception conduirait à voir dans le quasi-contrat un contrat fictif. Mais si cette position était tenable dès lors que la liste des quasi-contrats se limitait aux deux exemples qu’en offre le Code civil, les choses ont changé par l’avènement de l’enrichissement sans cause en suite de l’arrêt Boudier de 1892230. En effet, on ne peut, le concernant, établir aucune correspondance avec un contrat nommé consacré par ledit Code231. Par ailleurs, on peut remarquer en quoi cette position apparaît comme étant davantage descriptive qu’explicative, montrant par là que le recours à la fiction de consentement n’est pas adapté, et ne constitue ainsi qu’une justification par défaut. 263. - Une autre conception s’y opposait, assimilant l’obligation née du quasi-contrat à une obligation légale imposée pour des raisons d’Equité. Or, l’un des plus célèbres défenseurs de cette position fût Planiol. En effet, l’éminent auteur s’avérait très critique de la classification des sources des obligations opérée par le Code civil à travers la distinction des contrats, quasicontrats, délits, quasi-délits, et de la loi. Selon lui, il serait ici plus exact de marquer une opposition entre le contrat et la loi, qui formeraient les deux seules sources envisageables d’obligations. Il a ainsi consacré un Chapitre de son Traité élémentaire de Droit Civil à cette question, afin de détailler sa vision des choses. 264. - Or, il nous paraît nécessaire d’en faire mention ici, en ce que celle-ci déterminera la physionomie imprimée par lui s’agissant du mécanisme quasi-contractuel. Ainsi, l’auteur pose les bases de la summa divisio qu’il souhaite instaurer, en justifiant la position ainsi adoptée : 229 V. en ce sens Demolombe, op. cit n°53, supra n° 152: « Un quasi-contrat, mais c’est quasi un contrat ! En voilà suivant nous, la vraie traduction ». 230 Cass. Req 16 juin 1892. 231 Néanmoins, malgré ce grief, certains auteurs ont pu chercher à revenir à cette perception de la notion de quasi-contrat : V. J. Honorat, op. cit n° 25 où l’auteur propose une définition du quasi-contrat en énonçant « entendre par là une obligation imposée, mais qui crée néanmoins entre les personnes auxquelles elle incombe une relation juridique et matérielle semblable à celle résultant d’un contrat déterminé. » 93 « dans le contrat, [écrit-il], la volonté des parties forme l’obligation : c’est elle qui en est la force créatrice, et qui en détermine à la fois l’objet et l’étendue ; le législateur n’intervient que pour sanctionner l’œuvre des parties en leur donnant une action, ou pour la surveiller en établissant des limites à leur liberté, au moyen de prohibitions et de nullités. En l’absence d’un contrat, la naissance d’une obligation ne peut avoir d’autre cause que la loi : si le débiteur est obligé, ce n’est pas parce qu’il l’a voulu, il n’y pense même pas, et le voulût-il, que sa volonté serait impuissante à le lier, puisque, par hypothèse, elle serait isolée, et ne répondrait pas à celle de son créancier ; si l’obligation existe, c’est donc uniquement parce que le législateur le veut. Donc, toutes les obligations non conventionnelles ont pour source la loi ; ce sont des obligations légales. »232 A ceci il ajoute que lorsque le législateur crée une telle obligation, c’est parce qu’il y a « dans la personne du créancier ou dans son patrimoine, une circonstance qui rend cette création nécessaire, et cette circonstance n’est autre qu’une lésion injuste pour lui, qu’il s’agit d’éviter, si elle est encore à l’état futur, ou de réparer, si elle est déjà réalisée. »233 265. - Or, une fois le principe de cette nouvelle distinction acquis, il s’attache ensuite à classer les quasi-contrats en son sein. A ce titre, il condamne d’abord toute forme de rapprochement d’avec le contrat, en ce que le quasi-contrat ne repose pas sur un accord de volonté, ce qui le sépare du contrat par une « différence essentielle »234. Par ailleurs, contrairement au contrat, la volonté de l’obligé est ici indifférente235. Par voie de conséquence, c’est donc dans le volet des obligations légales que doit s’insérer le quasicontrat. Au soutien de cette thèse, Planiol ajoute qu’il en épouse la logique, puisque « quand on recherche le trait commun qui réunit tous les faits appelés quasi-contrats, l’obligation quasi-contractuelle apparaît comme provenant toujours d’un enrichissement obtenu sans cause aux dépens d’autrui, et dont il s’agit de restituer la valeur […] Un pareil enrichissement est, par sa définition même, un fait illicite, puisqu’il est sans cause ; […] Voilà donc les quasicontrats, que la classification usuelle rapproche malencontreusement des contrats, transférés en quelque sorte à l’autre pôle du droit, et annexés à la classe des faits illicites : ce sont les faits illicites involontaires. »236 232 M. Planiol, Traité élémentaire de Droit Civil, Tome deuxième, LGDJ, 8e ed, 1921, n°807 (L’auteur souligne). Ibid. 234 M. Planiol, op. cit n°811. 235 Ibid. 236 M. Planiol, op. cit n°812. (L’auteur souligne). 233 94 266. - Mais là aussi, cette thèse n’a pu perdurer car cette distinction établie entre le contrat et la loi a pu être considérée comme trop réductrice. En effet, toute obligation trouve sa source dans la loi, qui en reconnaît le principe, et à ce titre, les contrats comme les quasi-contrats sont logés à la même enseigne. Cette justification n’est donc pas pertinente, et il a fallu alors chercher ailleurs, sans pour autant rompre totalement avec l’héritage de Planiol. 267. - C’est au Doyen Carbonnier que l’on doit les bases de la notion de quasi-contrat traditionnellement enseignée aujourd’hui. Selon lui, au fondement des obligations nées d’un fait juridique, il y a l’idée de « rétablir, dans un patrimoine, un état antérieur que le fait juridique, par hypothèse, avait rompu. La rupture peut venir de ce qu’une brèche avait été faite à ce patrimoine, ou de ce que quelque chose, au contraire, y avait été versé en trop. »237 A la première hypothèse, l’auteur fait correspondre la notion de « fait juridique dommageable »238, faisant référence aux cas de responsabilité extracontractuelle. Le second cas quant à lui se voit rattaché au concept de « fait juridique profitable »239, comprenant en son sein les quasi-contrats. La catégorie des obligations quasi-contractuelles reposerait alors sur l’idée que celui ayant reçu injustement un avantage d’autrui doit être contraint à le lui restituer. On remarque ainsi que ce faisant, Carbonnier s’inscrit néanmoins dans la ligne de Planiol, en distinguant « les quasi-contrats spéciaux [la gestion d’affaires, et la répétition de l’indu], et l’enrichissement sans cause, théorie générale. »240 268. - Cette position a été reprise et approfondie par Mélina Douchy, donnant ainsi au quasicontrat ses traits actuels241. Nous en avons déjà distingué certains éléments s’agissant de l’étude spécifique de la gestion d’affaires, mais il convient maintenant de le formaliser de manière générale. Selon cette analyse, la figure quasi-contractuelle trouverait à sa base le constat d’un appauvrissement spontanément consenti par une personne au bénéfice d’une autre et ceci sans que l’avantage corrélatif ne repose sur une cause justificative reconnue par le Droit. De ce fait, ce dernier serait alors conduit à réagir face à cet enrichissement indu pour des raisons d’Equité, par l’intermédiaire de ce mécanisme. Il s’agirait dès lors pour lui de rétablir l’équilibre préexistant entre les patrimoines des différents protagonistes à l’opération. Pour ce faire, le quasi-contrat aurait pour conséquence de faire naître des 237 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 4, Les obligations, Thémis Droit privé, 22e ed. refondue, 2000, n°198. Ibid. 239 Ibid. 240 J. Carbonnier, op. cit n°297. 241 M. Douchy, op. cit. 238 95 obligations visant à compléter ce « mouvement économique à l’aller »242, par un « mouvement économique au retour »243, dans le but d’effacer l’opération initiale en compensant la perte subie par l’appauvri244. 269. - Il s’agit donc ici de la notion de quasi-contrat majoritairement admise par les auteurs, dessinée au terme d’une nette évolution de la pensée doctrinale. Mais, il semble que cette notion se soit une nouvelle fois dérobée, du fait de l’évolution jurisprudentielle postérieure qu’a connu le quasi-contrat, si bien que le maintien de cette perception de ce mécanisme paraît actuellement incertain. B) Les incertitudes quant à son maintien 270. - La catégorie des quasi-contrats a dû essuyer bon nombre de critiques, notamment du fait de sa genèse, depuis sa consécration avec l’avènement du Code civil en 1804. Pour autant, on pourrait considérer que celles-ci sont occultées du fait de deux considérations. 271. - D’abord, force est de constater que celles-ci n’ont pas entamé la fortune dont bénéficient les mécanismes quasi-contractuels devant les juridictions. De cela, il ressort que ces institutions répondent à un besoin certain des plaideurs, qui rend sans objet la question de la suppression pure et simple des cas de quasi-contrats offerts par le Code civil, ou élaborés par la jurisprudence245. 272. - Ainsi, si chacune des espèces se doit d’être conservée, on peut ajouter qu’il en va de même du genre duquel elles sont censées participer, du fait que le liant de la catégorie des quasi-contrats était garanti par l’existence d’une notion dont le contenu suscitait l’approbation d’une large majorité de la doctrine. On mesure donc à quel point la notion apparaît non seulement comme le facteur de cohésion, mais également comme la justification même de la 242 M. Douchy, op. cit. n°10, p. 19. M. Douchy, op. cit. n°19, p. 46. 244 V. Sur ce point, M. Douchy, op. cit. n°77, p. 170. 245 En ce sens, il n’est qu’à observer que les projets de réforme du droit des obligations en prônent le maintien : V. s’agissant du projet Catala, Art. 1328 à 1329-1 pour la gestion d’affaires, Art. 1330 à 1335 pour le paiement de l’indu, Art. 1336 à 1339 pour l’enrichissement sans cause ; Le projet Terré, quant à lui, reprend la gestion d’affaires, et « l’avantage indûment reçu d’autrui », catégorie au sein de laquelle il fédère l’enrichissement sans cause et le paiement de l’indu (Art. 1er) ; Quant au projet Chancellerie, il maintient la catégorie quasicontractuelle (Art. 3), mais concentre ensuite sa réforme sur le contrat. V. également au niveau européen le projet de Cadre Commun de Référence, Art. V-I :101 et s. concernant la gestion d’affaires (« Benevolent intervention in another’s affairs ».), Art. VII-I :101 et s. pour l’enrichissement sans cause (« Unjustified enrichment ».) qui inclus la logique de la répétition de l’indu. 243 96 catégorie quasi-contractuelle, car elle en permet la systématisation. En d’autres termes, en fédérant les cas particuliers autour de traits communs, elle a pour conséquence de leur conférer le niveau d’abstraction requis pour qu’ils puissent trouver leur place au sein de cette construction intellectuelle et abstraite qu’est le système. Or, ôter la notion, c’est désolidariser ses composantes conduites alors à graviter autour du système, sans pouvoir y pénétrer réellement. C’est donc redonner prise aux critiques, plaçant ainsi la catégorie quasicontractuelle sur la sellette246. 273. - Or, ces incertitudes semblent avoir été réintroduites du fait de l’évolution jurisprudentielle qu’a connu le quasi-contrat par la suite. Les prémices de ce mouvement étaient déjà perceptibles par un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 26 octobre 1999247, en matière de procédures collectives, qui avait qualifié de quasi-contractuelle la nature de l’engagement de reprise souscrit par le cessionnaire d’une entreprise en difficulté, en vue de sanctionner son inexécution. 274. - Mais, c’est par les arrêts rendus par la chambre mixte de la Cour de Cassation le 6 septembre 2002248, à l’origine de la création du quasi-contrat dit « de loteries publicitaires » qu’est véritablement intervenu l’ébranlement de la notion de quasi-contrat. Il s’agissait, pour la Haute Juridiction, de connaître de la situation dans laquelle certains professionnels adressaient aux consommateurs des documents publicitaires leur indiquant avoir gagné un lot, sans faire mention du caractère aléatoire de ce gain. 275. - Or, par ces arrêts, la Cour de Cassation a pu décider au visa de l’article 1371 du Code civil en premier lieu que « l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement 246 Ainsi, les projets sont plus nuancés quant à son maintien : le projet Catala la reproduit à l’article 1327 : « Les quasi-contrats sont des faits purement volontaires, comme la gestion sans titre de l’affaire d’autrui, le paiement de l’indu ou l’enrichissement sans cause dont il résulte, un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui. » ; Le projet Chancellerie semble faire de même en parlant de manière générique des « quasi-contrats » (Art. 3) ; Quant au projet Terré, il prône la suppression de la notion actuelle, en énonçant en son article 1er alinéa 1 que « Les obligations naissent des contrats, des délits, de l’avantage indûment reçu d’autrui ou de la gestion d’affaires ». (Nous soulignons). Il s’agit ici de l’inspiration européenne dont se réclament les rédacteurs du projet (V. Ph. Rémy, Plans d’exposition et catégories du droit des obligations, comparaison du projet Catala et des projets européens, in Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de F. Terré, Dalloz, Thèmes et commentaires 2009 n°28.) En effet, le projet de Cadre Commun de Référence opère de la même manière. 247 Cass. Com, 26 octobre 1999, Bulletin 1999 IV N° 193 p. 164, n° de pourvoi : 96-19156. 248 Cass. Mixte, 6 septembre 2002, 2 espèces : Bulletin 2002 Mixte N° 4 p. 9, n° 98-22.981 et Bulletin 2002 Mixte N° 5 p. 10, n°98-14.397. 97 volontaire, à le délivrer ». C’est donc faire de ces loteries publicitaires trompeuses un nouveau quasi-contrat s’ajoutant à ceux déjà existants. Néanmoins, à cette formule extensive, la jurisprudence a apporté une restriction dans la deuxième espèce dont elle a eu à connaître, en posant en règle que l’action ne saurait perdurer dès lors que le demandeur « avait cherché à tirer profit d'un pseudo-gain qu'il savait n'être pas le sien ». En d’autres termes, le succès de l’action, et donc l’existence du quasi-contrat, est subordonné à la croyance légitime dans l’existence du gain, qu’a pu engendrer le fait volontaire du professionnel, en la personne du consommateur destinataire du document publicitaire non explicite quant à l’existence d’un aléa. 276. - Il s’agit donc d’un élargissement net de la catégorie quasi-contractuelle, qui s’enrichit ainsi d’une nouvelle composante, de nature à décupler les cas dans lesquels le quasi-contrat est susceptible de trouver application. C’est également la preuve de la vigueur de cette source d’obligations, qui tend à prendre toujours davantage de poids, s’émancipant ainsi du rôle de second ordre auquel les nombreuses critiques qui lui avaient été formulées, tendaient à la reléguer. Mais néanmoins, la question se pose de savoir si cette expansion ne serait pas la première manifestation du déclin ? 277. - En effet, cette évolution n’a pas laissé indemne la notion traditionnelle de quasicontrat, avec laquelle cette nouvelle espèce semble rompre. Le point névralgique de cette opposition paraît résulter du constat qu’en l’occurrence, il n’y a aucun mouvement de valeur préalable, spontanément consenti et sans cause, que le Droit aurait vocation à corriger par son action. En d’autres termes, « jusqu’ici, il y avait […] une notion unitaire du quasi-contrat : fait volontaire et désintéressé d’une personne entraînant pour une autre un avantage injustifié que la loi a précisément pour objet de compenser. Or, le nouveau quasi-contrat se caractérise par un fait volontaire et intéressé, n’entraînant aucun avantage pour autrui ; et la loi, loin de compenser un avantage injuste, va au contraire instaurer cet avantage, en quelque sorte à titre de sanction d’un comportement jugé déloyal249. » 278. - C’est donc toute l’approche du quasi-contrat qui mérite d’être reconsidérée. Mais, cette remise en question de la notion doit-elle se faire sur ces bases ? Certains auteurs optent 249 Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, op. cit n°785. C’est donc plus largement la question des orientations du Droit civil qu’il s’agit ici de reconsidérer. En effet, ici, il ne s’agit pas de « rendre à chacun le sien », mais de sanctionner. Ce quasi-contrat est donc le fruit d’un fâcheux mélange des genres d’avec le Droit pénal. 98 pour l’affirmative, en estimant que « toute perspective de théorie générale n'est pas exclue ; non seulement parce qu'une théorie générale n'est pas forcément une théorie unitaire, mais aussi parce qu'en droit un minimum d'unité peut toujours être trouvé. Ainsi, l'on pourrait admettre le dédoublement de la notion, en considérant qu'il existe des quasi-contrats résultant d'un avantage reçu sans cause et des quasi-contrats reposant sur un avantage attendu voire sur une simple expectative. »250 Pour autant, cette affirmation nous semble contestable. En effet, si un concept peut admettre des nuances, c’est toujours à condition qu’elles ne remettent pas en cause l’unité qu’il instaure. En d’autres termes, c’est à l’évaluation du « minimum d’unité » faisant la notion qu’il faut s’attacher. En effet, il nous semble que regrouper sous une même bannière deux hypothèses qui ne partagent entre elles rien de commun, si ce n’est la définition donnée du quasi-contrat par l’article 1371 du Code civil, conduit à détruire l’économie de la notion. Ainsi, la dénomination suggérée nous paraît symptomatique de ce mouvement. En effet, « l’avantage reçu sans cause » est l’exact opposé de l’« avantage attendu ». 279. - Dès lors, il ne nous semble pas adapté de repenser les quasi-contrats en cherchant à accoler à la notion traditionnelle une autre inspirée du cas du quasi-contrat de loteries publicitaires, en prétendant à l’encontre du bon sens qu’elles puissent former un tout251. En effet, cette tentative d’intégration de cette espèce de quasi-contrat à la notion paraît vaine. En témoignent les circonstances de son apparition, montrant que le fondement quasi-contractuel n’était qu’une justification par défaut, face à l’inadéquation des autres sources d’obligations avec les effets recherchés. 280. - En effet, la Cour de Cassation avait d’abord utilisé l’acte juridique. En son sein, elle avait en premier lieu qualifié cette situation d’engagement unilatéral de volonté du professionnel de procurer au consommateur le lot promis252. Puis, c’est vers le contrat tacite que la Cour de Cassation s’est ensuite tournée253. La difficulté était ici évidente : le professionnel n’avait manifestement pas souhaité s’engager par l’envoi du document 250 X. Pin, L. Devin, op. cit. n°3. Néanmoins, nombre d’auteurs ont poursuivi leurs recherches sur cette base : ainsi, M. Pin et Mme Devin détaillent certaines thèses bâties sur ce modèle en évoquant successivement « La thèse du succédané de délit », « La thèse du contrat fictif », « La thèse du contrat forcé », « la thèse de l’apparence », « La thèse de la croyance légitime », « La thèse du quasi-engagement », « La thèse de l’expectative », Fasc. préc. n°82 et s. 252 V. notamment Cass. Civ 1ère, 28 mars 1995, Bulletin 1995, I, N° 150 p. 106, n° 93-12678. 253 V. notamment Cass. Civ 2ème, 11 février 1998, Bulletin 1998, II, N° 55 p. 34, n° 96-12075. 251 99 publicitaire. Dès lors, sa volonté n’apparaissait pas susceptible de constituer le support d’un engagement unilatéral de volonté ou une offre. 281. - D’où, suite aux critiques, la Haute Juridiction s’est ensuite fondée sur la responsabilité civile délictuelle pour faute. Ici, la logique juridique était sauve, en ce qu’il était possible d’identifier une faute dans le fait de tromper délibérément autrui, permettant d’engendrer la réparation de tous les préjudices avec lesquels serait établi un lien de causalité. Mais c’est alors quant aux effets que le bât blesse, puisque le montant de la réparation en apparaissait forcément limité, compensant la seule croyance légitime déçue. Ceci n’était donc en rien dissuasif à l’encontre des professionnels peu scrupuleux. 282. - Ainsi, la Cour de Cassation, par les arrêts du 6 septembre 2002, exploitant la définition vague de l’article 1371 du Code civil, s’est elle fondée sur le quasi-contrat, lui permettant ainsi au constat d’un fait volontaire, d’imposer au professionnel l’obligation de délivrer le lot aux personnes chez qui sa promesse avait suscité une croyance légitime. Ce n’est donc pas la notion qui a déterminé la Haute Juridiction, mais le régime qu’elle emporte. 283. - De cela on doit déduire qu’il n’est pas utile de chercher à rattacher à la notion de quasi-contrat un élément bâti en dehors d’elle, ni même de chercher à rattacher la notion à cet élément en l’élargissant, car ce serait prendre le risque de voir ces efforts balayés par de nouveaux arrêts consacrant l’existence de nouveaux quasi-contrats dans des circonstances hétérogènes, à la seule considération du bien fondé des effets produits. Est-ce alors vers une notion fonctionnelle que l’on doit se diriger ? Nous ne le pensons pas, en ce que la finalité des quasi-contrats traditionnels est de compenser un appauvrissement, alors que ce nouveau cas vise à punir, d’où il y a encore une fois incompatibilité. 284. - C’est donc dans la voie conceptuelle qu’il faut perdurer. A ce titre, et pour l’ensemble de ces raisons, nous nous prononçons, avec une large part des auteurs254, en faveur de l’abandon de ce quasi-contrat particulier qui détruit l’œuvre de cohérence menée par la doctrine. De celui-ci, nous ne voulons conserver que la signification implicite qu’il véhicule : les quasi-contrats répondent à un besoin des plaideurs et des juges, conduisant à leur faire assumer un rôle de premier plan, auquel l’étroitesse de la notion actuelle les empêche 254 V. notamment dans le même sens F. Chénedé, th. préc. n°359. 100 d’accéder. La notion doit donc être remaniée aux fins d’un élargissement circonscrit dans le respect de la logique juridique, afin à la fois de lui permettre de répondre aux besoins des juridictions et des justiciables, et d’enrayer la prolifération jurisprudentielle anarchique des quasi-contrats. Voici ainsi présentés les maux, et le remède à l’évolution jurisprudentielle décrite. Ainsi, l’élargissement de la notion de quasi-contrat semble de nature à assurer son maintien, et faire taire les critiques dont elle souffre. A défaut, ce serait invariablement à sa disparition que l’on assisterait. Or, de la même manière que les quasi-contrats sont contestés, la société créée de fait est également critiquée. §2) Les critiques adressées à la notion de société créée de fait 285. - Les critiques adressées à la notion de société créée de fait tiennent aux difficultés suscités par son intégration au sein des classifications traditionnelles. En effet, force est ici de constater qu’il est impossible de recourir au contrat de société pour expliquer ce mécanisme (A). De même, si en réaction, certains auteurs ont tenté de l’intégrer au sein de la catégorie quasi-contractuelle, il nous faudra montrer que cette proposition ne saurait perdurer en l’état actuel des choses (B). A) L’impossible recours au contrat de société 286. - Par principe, on enseigne traditionnellement en droit français, que tout contrat trouve à sa base un accord de volontés. On ajoute ensuite que cette volonté ne saurait être conçue que comme la volonté psychologique des parties à l’acte. Or, on voit ici poindre la critique s’agissant de la société créée de fait. En effet, nous avons montré qu’à son propos, la volonté réelle de ceux qui revêtiront la qualité d’associé, ne pouvait être tendue vers la création d’une société (V. supra n°121 et s.). Néanmoins, nous n’avons pas souhaité alors franchir le pas de la disqualification de la société créée de fait de la catégorie des actes juridiques, pour l’insérer au sein de celle des faits juridiques, car il nous semble que deux conséquences opposées peuvent découler de cette situation. 287. - On peut d’abord considérer qu’eu égard à l’analyse traditionnelle, l’élément volontaire du contrat fait défaut. On ne saurait alors admettre que la société créée de fait puisse se voir appliquer une telle qualification, et il conviendrait donc de la requalifier en fait juridique. Il s’agit là de l’opinion de nombreux auteurs255. Mais on pourrait également inverser ce schéma, 255 V. notamment en ce sens, F-X. Lucas, La société dite « créée de fait », Mél. Guyon, Dalloz 2003 p. 737. 101 tout en partant de la même base, en remarquant que malgré le fait que la volonté psychologique des prétendus associés ne soit pas en adéquation avec cette conséquence, c’est néanmoins la qualification d’acte juridique que le Droit lui applique. Il en résulterait que le Droit ne saurait alors s’attacher à la volonté psychologique de ses sujets. 288. - La conception contractuelle ne pourrait donc être maintenue, s’agissant de la société créée de fait, qu’au prix d’une évolution de la notion de volonté. Or, c’est à une telle évolution qu’invite Monsieur Jacques256, suivant en cela les pas de Georges Rouhette257, après avoir constaté une multitude d’autres inadéquations avec le principe selon lequel le Droit s’attacherait à la volonté réelle des parties à l’acte258. Et l’auteur de proposer une nouvelle définition de la notion : « en ce domaine, la volonté de contracter peut s’entendre de la représentation individuelle d’un intérêt, arbitré (de l’extérieur), par le droit. »259 En effet, Monsieur Jacques estime que « si le droit des contrats ne s’occupe pas de cette volonté psychologique, « fugitive et inconnaissable », il connaît en revanche des « intérêts de ses sujets ». Cet intérêt s’entend d’un « avantage pécuniaire ou moral, ou d’une « utilité », ou, plus juridiquement, [d’une] amélioration de la condition juridique ». Plus avant, la détermination de cet intérêt constitue une question « de politique législative », qui peut être résolue « en des sens divers, sans toucher la notion même d’intérêt ». » 260 289. - La question se pose alors de savoir si à la lumière de cette nouvelle conception, la société créée de fait serait de nature à conserver sa qualification d’acte juridique, étant entendu qu’en cas de réponse négative, plus rien ne nous semblerait s’opposer à sa requalification. Or, à la base de ce nouveau critère, est placée la notion d’intérêt exprimé par les parties en présence. Ainsi que nous l’avons déjà exposé, l’analyse objective du comportement des parties, dans le cadre de la situation qui donnera lieu à la reconnaissance d’une société créée de fait, montre que l’intérêt que chacune poursuit, est la recherche d’un bénéfice à travers la mise en œuvre de l’activité commune aux différents protagonistes. La particularité de cet intérêt est donc qu’il est partagé à l’identique par tous les acteurs en présence, ce qui conduit à le rapprocher de l’intérêt social, tel que naissant du contrat de 256 Ph. Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, op. cit n°181 et s. G. Rouhette, Contribution à l’étude critique de la notion de contrat, th. dactyl., 2 vol., Paris, 1965, cité par Ph. Jacques, op. cit. 258 Ph. Jacques, op. cit. n°188 et s. 259 Ph. Jacques, op. cit n°194. 260 Ibid. 257 102 société (V. supra n°226 et s.). Pour autant, cela est-il suffisant pour admettre l’existence d’un tel contrat ? 290. - Il nous faut ici ajouter que pour se déterminer en ce sens, encore faut-il tenir compte de l’arbitrage qui sera fait de cet intérêt par le Droit. En effet, si l’arbitrage en est extérieur à l’individu, on est dès lors conduit à estimer que le Droit lui-même, après que l’individu ait exprimé un intérêt, détermine in fine la substance de cette volonté. Par suite, il déterminera également si celle-ci sera le support d’un acte juridique, ou ne sera que la dimension d’un évènement, seul pris en compte au titre des faits juridiques. Or, l’observation du droit positif montre que c’est dans le sens de l’admission du contrat de société que se fait l’arbitrage actuel, si tant est que les caractères en soient réunis, ce que par hypothèse on admet. 291. - Pour autant, est-ce adapté ? En effet, derrière cet arbitrage, et la considération de l’intérêt animant les parties, il y a l’idée d’une appréciation non figée, et donc susceptible d’évolutions, ce que la considération de la volonté psychologique des individus ne permet pas d’admettre. Il est donc envisageable de faire varier l’arbitrage, et les conséquences auxquelles il conduira. Or, il semble qu’à la base de celui-ci, il y ait la considération propre à identifier si cet intérêt serait mieux servi par un contrat, ou par un fait juridique. En d’autres termes, le Droit déterminerait l’arbitrage en fonction des effets qu’il souhaiterait voir produits. Il s’agit d’un mouvement que certains auteurs ont déjà mis en lumière, à travers le constat de ce que dans certaines situations, « la volonté de s’obliger chez les parties [ici entendue au sens psychologique] […] fait défaut, ce qui devrait conduire logiquement à les exclure de la catégorie des actes juridiques. Mais la qualification de fait juridique, a priori uniquement concevable, se révèle inadaptée pour faire produire à ces situations les effets recherchés et seul le recours à la qualification d’acte juridique, en raison des obligations qui peuvent en découler, permet de parvenir à ce résultat. »261 292. - Est-ce le cas s’agissant de la société créée de fait ? Le résultat recherché dans ce cadre trouvant comme support l’intérêt commun des parties dont il constitue le prolongement, semblerait être celui du partage du résultat issu de l’exploitation. Or, l’arbitrage du Droit dans le sens du contrat de société ne serait alors justifié que dès lors qu’il permettrait pleinement d’atteindre cet objectif. Ainsi, le recours au contrat de société paraît s’éclairer, en 261 C. Caillé, op. cit. n°8. 103 ce qu’à travers lui se dessine la possibilité de bénéficier de la procédure de liquidation qui y est afférente, ce qui permettrait également d’expliquer le fait que cette société n’accède à la vie juridique que pour disparaître. 293. - Néanmoins, ainsi que nous l’avons déjà esquissé, (V. supra n°235 et s.), cette présentation peut souffrir de critiques. En effet, il a été montré par un auteur262, que l’application de cette procédure était incompatible avec la situation de société créée de fait, et ne pouvait intervenir qu’au prix de substantielles dérogations. A ce titre, Madame Vacrate note en premier lieu qu’il est impossible de trouver un fondement juridique à la liquidation de la société créée de fait263. Elle rattache cela au fait que cette société « est insusceptible d’obéir à un processus de formation et à des modalités de fonctionnement puisqu’elle ne fait l’objet d’aucun régime juridique. Dès lors, l’édiction de conditions de validité et de fonctionnement assortie de sanction est incompatible avec l’idée même de société créée de fait. »264 294. - A cela elle ajoute que « la procédure de liquidation des sociétés créées de fait est encore une fois marquée par la marginalité et l’isolement par rapport à la norme légale. L’absence de personnalité morale engendre ainsi, un remplacement des différentes étapes de liquidation par un simple règlement des comptes entre les associés. Au vrai, il nous semble que le terme « liquidation » soit inapproprié, et ne puisse être appliqué aux sociétés créées de fait car il renvoie forcément au droit commun. Or, le dispositif légal nous est apparu étranger aux sociétés créées de fait tant au niveau du fondement juridique de leur disparition, que des modalités techniques de leur anéantissement. »265 295. - Dès lors, nous sommes forcés de constater que le contrat de société n’est pas apte à assumer l’objectif que le droit positif lui impose à travers l’accueil de la situation de société créée de fait. L’intérêt exprimé par les parties ne peut donc pas être servi par son biais, et par voie de conséquence, l’arbitrage du Droit ne devrait pas se faire en sa faveur. Ainsi, au terme de notre démarche, nous aboutissons au constat selon lequel ni la volonté réelle des protagonistes à la relation, ni leur volonté juridique, si tant est qu’on admette qu’elles puissent être distinctes, ne sont tendues vers l’effet de droit qui leur est appliqué : la création d’une société. Il y a donc une incompatibilité de cette situation avec la logique de l’acte 262 S. Vacrate, th. préc. n°362 et s. S. Vacrate, th. préc. n°385 et s. 264 S. Vacrate, th. préc. n°401. 265 S. Vacrate, th. préc. n°460 (Nous soulignons). 263 104 juridique. Dès lors, il nous faut plaider en faveur de la disqualification de la société créée de fait de cette catégorie, pour la faire entrer dans celle des faits juridiques, dont elle épouse davantage les traits. Prenant acte de ce constat, certains auteurs ont alors suggéré de faire entrer ce mécanisme au sein de la catégorie des quasi-contrats. Mais force est de constater que cette tentative ne saurait perdurer en l’état actuel des choses. B) L’impossible assimilation à la notion traditionnelle de quasi-contrat 296. - Certains auteurs œuvrant pour l’insertion de la société créée de fait au sein de la catégorie des faits juridiques, ont pu manifester le souhait de voir ce mécanisme inclus au sein de la catégorie quasi-contractuelle. Ainsi, l’un d’eux a pu estimer qu’au sein de la situation de société créée de fait, « s’il n’y a pas contrat, on feint de ne pas s’en apercevoir. Au nom de l’équité on maltraite les notions et l’on qualifie de société ce qui n’en est pas. Ce manque d’égards pour le contrat de société est d’autant plus regrettable qu’il est inutile. L’équité, qui conduit à solliciter la théorie des sociétés créées de fait pourrait en effet fort bien trouver son compte si l’on avait recours à d’autres mécanismes juridiques et en particulier aux quasicontrats. »266 Et l’auteur d’ajouter : « cette bizarrerie qu’est la société créée de fait, société d’associés qui s’ignorent, cesserait d’émarger à la catégorie des sociétés pour devenir un quasi-contrat, une quasi-société précisément. »267 297. - Néanmoins, il ne nous semble pas que cette intégration puisse jouer en l’état actuel des choses. En effet, l’extension de l’analyse que nous avons développée s’agissant de la gestion d’affaires, à l’échelle de la notion de quasi contrat, dément une telle possibilité. 298. - Ainsi, nous avons eu l’occasion de montrer que la situation de gestion d’affaires reposait sur le constat de l’appauvrissement du gérant consécutivement à l’exercice de sa gestion, nécessitant alors une réaction commutative du Droit, dans le but de lui permettre d’obtenir de la part du maître la compensation de la perte ainsi subie (V. supra n°242 et s.). Or, il semble que ce schéma puisse être étendu à l’ensemble des quasi-contrats, si on raisonne cette fois au niveau de la notion. 266 267 F-X. Lucas, op. cit. Ibid. 105 299. - Cette dynamique repose toutefois sur la réserve de mise à l’écart préalable du quasicontrat spécifique de loteries publicitaires, qui met en œuvre une logique autre, dont nous avons exposé les raisons nous conduisant à ne pas en tenir compte en tant que telle (V. supra n°274 et s.). Mais, si on s’en tient aux cas classiques, on note alors que la même démarche sera à l’œuvre, en ce que chacun des quasi-contrats s’inscrivant au sein de la notion reposera sur le constat d’un appauvrissement spontanément consenti et sans cause au bénéfice d’autrui, nécessitant une intervention du Droit ayant pour objet et pour effet d’en opérer la compensation. D’où, chacun des quasi-contrats traditionnels a pour conséquence d’instaurer une commutation, un transfert de valeurs destiné à faire disparaître l’appauvrissement ainsi subi du fait de l’absence de cause le justifiant268. 300. - Or, il n’y a rien de tel s’agissant de la société créée de fait, en ce que nous avons montré que si l’intervention du Droit en l’occurrence avait pour effet de compenser un appauvrissement spontanément consenti et sans cause, ce n’était pas son objet, qui consistait dans la répartition de valeurs communes. En d’autres termes, nous avons mis en valeur le fait que la société créée de fait avait vocation à réaliser une distribution (V. supra n°223 et s.). 301. - Ce faisant, nous avons touché les limites de la démarche de convergence nous animant ici, à travers la mise en lumière de la part irréductible d’opposition entre la gestion d’affaires et la société créée de fait. Ainsi, elle fait obstacle à l’intégration de la société créée de fait au sein de la catégorie quasi-contractuelle actuelle, en ce qu’on ne saurait intégrer un mécanisme distributif au sein d’un ensemble articulé autour de commutations. Mais, nous avons déclaré à ce sujet que cette opposition était toute relative, et en réalité, davantage formelle que réelle, en ce sens qu’elle repose sur une divergence de situation (V. supra n°222 et s.). Ainsi, elle ne permet pas de dénier l’apport en termes de cohérence, qui interviendrait par l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait. Section 2 : La cohérence engendrée par l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait 302. - Face aux critiques de toutes sortes, une réaction semble nécessaire. Or, celle-ci paraît invariablement devoir incliner vers l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée 268 V. supra n°268. En ce sens, V. M. Douchy, op. cit n°122, p. 279, où l’auteur énonce que par le biais de « l’action fondée sur la figure générale du quasi-contrat », « il y a opération réciproque typique de la justice commutative. » ; F. Chénedé, th. préc. n°340 et s, et art. préc. 106 de fait, de par le constat que cette démarche permettrait de rétablir la cohérence, en palliant les critiques constatées. Néanmoins, cet objectif ne saurait être atteint que s’il est relayé par la mise en œuvre de modalités adéquates. En effet, le bénéfice de cohérence sera variable selon la méthode d’unification mise en place. A ce titre, deux modalités proposées par les auteurs nous semblent envisageables : l’unification ex nihilo (§1), ou l’élargissement de la notion de quasi-contrat (§2). §1) L’unification ex nihilo 303. - Cette méthode d’unification a été proposée par Madame Vacrate269. Elle consisterait à faire table rase de l’existant pour créer une nouvelle catégorie d’obligations, comprenant en leur sein la gestion d’affaires et la société créée de fait (A). Néanmoins, nous devrons ensuite exprimer nos réserves quant à l’utilisation de telles modalités (B). A) La création d’une nouvelle catégorie d’obligations 304. - Madame Vacrate, dans le but d’établir davantage de cohérence s’agissant de l’identification de la nature, et de la classification de la société créée de fait, propose la création d’un concept nouveau. 305. - En effet, cherchant à établir la nature juridique de la société créée de fait, elle a pu constater les liens que ce mécanisme entretenait avec les quasi-contrats, ceci l’incitant alors à s’interroger sur le bien fondé de la proposition de certains auteurs d’insérer la société créée de fait au sein de cette catégorie. L’étude est donc menée de l’admissibilité de leur argumentation. 306. - L’auteur constate ainsi que « le premier argument présenté […] réside dans le caractère ouvert de la catégorie des quasi-contrats, susceptible dès lors d’accueillir d’autres notions. »270. En effet, les cas de quasi-contrats n’étant pas limitativement prévus par le Code civil, de nouveaux mécanismes pourraient s’y inscrire, et elle fait ici référence à l’analyse menée par Monsieur Honorat, proposant de voir dans la société créée de fait « une situation quasi-contractuelle résultant du fait des parties »271. 269 S. Vacrate, th. préc. n°794 et s. S. Vacrate, th. préc. n°773. 271 S. Vacrate, th. préc. n°777 et s.; Par cette qualification, Monsieur Honorat vise une série de situations qui « répondent au schéma de la gestion d’affaires : une partie fournit à l’autre partie, ou bien les deux parties se 270 107 307. - Elle ajoute ensuite que « le second argument se fonde sur les nombreuses similitudes qui existent entre les deux notions, et qui invitent à une identification. »272 Selon l’auteur, cette proximité est réelle, et peut être résumée par deux propositions : en premier lieu, chacune repose sur une situation apparente273. « Ainsi, le quasi-contrat est, à l’égard des tiers, une apparence de contrat, tout comme la société créée de fait est, à l’égard des tiers et des juges, une apparence de société »274, étant entendu que ces deux éléments font figure de « notions fonctionnelles à l’usage de la jurisprudence »275 de par la recherche de « l’équité, et plus précisément, [de] la volonté de rééquilibrage des patrimoines » vers laquelle elles tendent276. En second lieu, ces situations apparentes ont pour point commun d’imposer « la création d’obligations naissant en dehors de la volonté des parties »277. 308. - De cela, l’auteur conclue qu’un « lien étroit »278 unit les deux institutions, et s’interroge sur sa nature. Or, à ce titre, il ne lui semble pas que celui-ci doive se matérialiser par l’inclusion au sein de la sphère des quasi-contrats de la société créée de fait, du fait que cette catégorie doit elle-même être remise en cause. Ce faisant, Madame Vacrate adhère aux différentes critiques ayant pu être portées à la notion de quasi-contrat, essentiellement du fait des circonstances de sa consécration au sein du Code civil. Elle dénonce donc « la confusion du concept de quasi-contrat »279, liée aux difficultés concernant sa systématisation, mais également son « incohérence »280, et la « fictivité de [son] rattachement à la summa divisio »281 des sources volontaires ou involontaires d’obligations, dont aucune ne permettrait son accueil. 309. - Ces éléments conduisent donc l’auteur à proposer « l’émergence d’une nouvelle catégorie d’obligations : les obligations morales. »282 Celle-ci aurait ainsi vocation à englober la société créée de fait et les quasi-contrats existants. L’auteur fait alors du fondement de cette fournissent réciproquement, sans échange de consentement préalable, des prestations normalement inhérentes à l’exécution d’un contrat. » (J. Honorat, op. cit. n°31 et s.) 272 S. Vacrate, th. préc. n°773, et n°779 et s. 273 S. Vacrate, th. préc. n°780 et s. 274 S. Vacrate, th. préc. n°783. 275 S. Vacrate, th. préc. n°784 et s. 276 S. Vacrate, th. préc. n°784. 277 S. Vacrate, th. préc. n°786 et s. (Nous soulignons). 278 S. Vacrate, th. préc. n°792. (Nous soulignons). 279 S. Vacrate, th. préc. n°800. 280 S. Vacrate, th. préc. n°802 281 Ibid. 282 S. Vacrate, th. préc. n°806 et s. (Nous soulignons). 108 nouvelle classification l’Equité283, qui gouvernerait l’intervention du Droit en la matière. En effet, à travers les cas de quasi-contrats existants, ainsi que de la société créée de fait, il serait question d’opérer la « lutte contre l’enrichissement injustifié d’un patrimoine au détriment d’un autre »284, engendrant la cohésion de cette nouvelle catégorie dont les éléments ont vocation à « servir les mêmes intérêts. »285 310. - Son objectif serait alors, d’après Madame Vacrate, d’« assurer la morale et l’équité, non plus dans le contrat, mais dans les simples relations humaines. »286 A titre de justification, l’auteur mène une analyse historique afin de montrer en quoi la consécration de cette nouvelle catégorie d’obligations ne serait que le fruit des évolutions intervenues depuis le droit romain, dont elle note que les plus importantes sont liées à l’influence de la morale 287. Or, si ce mouvement prend sa source dans le droit romain, il s’agirait ici de dépasser en même temps que de prolonger ces acquis. En effet, d’après l’auteur, « la portée de cette nouvelle catégorie est considérable, car ce nouveau classement constitue une avancée certaine sur le droit romain, c’est un pas supplémentaire franchi par la jurisprudence. Ce dernier ne s’intéressait au contrat qu’une fois né, et ne sanctionnait ses vices qu’une fois apparus. Les tribunaux, en consacrant la société créée de fait et le quasi-contrat, s’attachent à régir les relations humaines en l’absence de tout contrat, dès lors qu’une situation inéquitable est née de l’enrichissement injuste d’une personne au détriment d’une autre. A cet égard, l’œuvre prétorienne poursuit et achève la quête du droit romain en l’adaptant à notre siècle et au type de relations humaines qu’il sous-tend. »288 311. - Mais, admettre une telle démarche engendrerait certaines conséquences quant aux mécanismes appelés à prendre place au sein de cette catégorie spécifique d’obligations. Cela commanderait d’abord d’abandonner la catégorie quasi-contractuelle, tout en conservant néanmoins ses composantes. S’agissant de la société créée de fait, l’auteur envisage deux possibilités d’avenir : il pourrait être envisageable d’entériner définitivement la place de ce mécanisme au sein du droit des sociétés, sous réserve de modifier sa structure pour permettre 283 S. Vacrate, th. préc. n° 807 et s. S. Vacrate, th. préc. n°812. 285 S. Vacrate, th. préc. n°813 et s. 286 S. Vacrate, th. préc. n°794. 287 S. Vacrate, th. préc. n°821 et s. A ce titre, elle évoque l’apport de la philosophie grecque à Rome, celle des canonistes au Moyen-âge, puis des tenants de l’école du droit naturel ensuite. C’est donc dans cette lignée que s’inscriraient ces nouvelles obligations, le flambeau du respect de la morale ayant aujourd’hui été transmis au juge. 288 S. Vacrate, th. préc. n°828. (Nous soulignons). 284 109 de la faire reposer sur un tel contrat. Mais, si les tribunaux perdurent dans cette volonté d’en faire un instrument de rééquilibrage des patrimoines, si la technique pourra être conservée, il faudra alors modifier sa dénomination, et l’extraire de la logique spécifique du droit des sociétés, qui apparaît ici dévoyée. Pour autant, cette approche de l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait ne nous paraît pas satisfaisante. B) Une solution critiquable 312. - En premier lieu, il nous semble que la proposition ainsi formulée par Madame Vacrate serait de nature à permettre de restaurer une certaine cohérence au sein des sources d’obligations, en extrayant la société créée de fait de la sphère de l’acte juridique, dont il nous est apparu, au même titre que cet auteur, qu’elle ne pouvait pénétrer qu’au prix d’un artifice. (V. supra n°121 et s. et n°286 et s.). C’est donc au sein de la catégorie des faits juridiques qu’il faudrait l’intégrer, faisant ainsi taire certaines critiques attachées à ce mécanisme d’où un réel gain de cohérence. 313. - Ensuite, il nous faut souligner que Madame Vacrate s’accorde avec nous s’agissant du constat de points communs que présente cette structure avec les quasi-contrats existants, et de l’impossibilité de mener la démarche plus avant par l’intégration de la société créée de fait au sein de la catégorie quasi-contractuelle actuelle, même si certaines divergences d’approche se font jour quant à la justification d’un tel point de vue289. Or, de celles-ci naissent certaines orientations correctrices prises par Madame Vacrate, qui nous semblent contestables. 314. - En effet, si nous nous refusons à intégrer la société créée de fait à la notion actuelle de quasi-contrat du fait de la divergence de leurs effets, (V. supra n°296 et s.), Madame Vacrate prône la même attitude du fait de la nécessité de supprimer purement et simplement la catégorie quasi-contractuelle. En d’autres termes, il s’agirait ici de donner plein effet aux critiques adressées à la notion de quasi-contrat, pour faire taire celles pesant sur la société créée de fait. Débarrassés de leur liant, les quasi-contrats particuliers existants seraient ainsi fondus avec la société créée de fait au sein d’une nouvelle catégorie d’obligations. 315. - Or il nous paraît nécessaire de nous attacher à l’analyse du bien fondé d’un tel choix. A ce titre, l’opportunité de ce remplacement ne saurait être établie que par l’évaluation des 289 Ainsi, l’établissement des points communs de la société créée de fait, et du quasi contrat ne nous semble pas devoir être trouvé dans un rapprochement avec le contrat : V. supra n° 179 et s. 110 avancées qu’induirait cette notion nouvelle. En effet, une telle rupture d’avec le droit existant ne pourrait être justifiée que dès lors qu’elle permettrait d’atteindre des objectifs auxquels ce dernier ne pouvait aboutir. Or, cette démarche montre alors une réalité moins nette que la description précédente ne le laissait entrevoir. En effet, force est de constater que la divergence ne serait que relative. 316. - A ce titre, il faut d’abord remarquer que cette « catégorie d’obligations fondées sur la morale […] [et recherchant] l’équité au travers de la sanction de l’enrichissement indu d’un patrimoine au détriment d’un autre. »290 trouve toujours à sa base la notion traditionnelle du quasi-contrat. L’opposition n’est donc qu’apparente, en ce que par la création de cette nouvelle catégorie d’obligations, c’est toujours la catégorie quasi-contractuelle qu’entérine l’auteur, en maintenant ses composantes, et leur dénominateur commun. Ainsi, si cette conception semblait instaurer une césure d’avec le droit existant, c’est en réalité la continuité qu’elle engendre en ce que c’est davantage le mot que la réalité qu’il désigne que Madame Vacrate propose de supprimer. 317. - Ensuite, ce faisant, loin de rompre, ou à tout le moins cantonner la logique quasicontractuelle, c’est davantage à son prolongement que conduit la proposition de Madame Vacrate. En effet, on constate que cette nouvelle conception a pour seule conséquence d’expurger la notion traditionnelle de quasi-contrat de la dimension compensatrice qui est aujourd’hui la sienne, entrainant alors son extension. Par ce biais, celle-ci se verrait ainsi offerte la possibilité de déployer son spectre jusqu’à l’intégration de la société créée de fait au motif que « le quasi-contrat, comme la qualification sociale, procèdent […] de la même inspiration et de cette idée que nul ne doit s’enrichir injustement aux dépens d’autrui. »291 Or, nous nous accordons avec ce constat que nous avons-nous même effectué (V. supra n°198 et s.). 318. - Ainsi, après analyse, l’innovation en serait beaucoup moins importante que ce qui a été annoncé. A l’examen, il apparaît en effet que la seule avancée introduite par cette création serait l’élargissement qu’elle emporterait de la notion de quasi-contrat. Ce faisant, l’apport en termes de cohérence est indéniable, en ce qu’outre le fait que la société créée de fait se voie conférer une place au sein de la catégorie des faits juridiques, il est tenu compte de la 290 291 S. Vacrate, th. préc., conclusion. S. Vacrate, th. préc. n°809. 111 différence d’effets qu’elle emporte par rapport aux quasi-contrats actuels par le remaniement de la notion. C’est donc davantage la forme que le fond qui nous apparaît critiquable. Nous pourrions alors formuler à l’encontre de cette conception le grief de déstabiliser les sources d’obligations par la création d’une nouvelle catégorie en leur sein, alors que l’existant pourrait tout à fait servir les mêmes intérêts. En réaction, se trouve alors balisée la voie à suivre, pour laquelle plaide indirectement cette proposition : celle de l’extension de la notion de quasi-contrat. §2) L’élargissement de la notion de quasi-contrat 319. - Du fait des propos précédents, il nous semble que le point d’équilibre entre la recherche de cohérence, par l’intégration des acquis issus de l’analyse menée au long de ce travail, et celle de la sécurité juridique, qui réclame une certaine stabilité du Droit, doive être trouvé dans la démarche d’élargissement de la notion de quasi-contrat. A ce titre, la proposition effectuée par Monsieur Chénedé292 nous paraît digne d’intérêt. En effet, celui-ci propose d’instaurer une distinction entre les quasi-contrats échange et les quasi-contrats partage (A). Or, de notre point de vue, il s’agit là de la démarche à adopter (B). A) L’accueil de la distinction entre les quasi-contrats échange et les quasi-contrats partage 320. - Monsieur Chénedé a eu l’occasion de proposer une nouvelle grille de lecture du droit existant, destinée à lui procurer davantage de cohérence, par le prisme de la distinction entre les commutations et les distributions. Or, ce faisant, il s’est attaché à décrire l’éclairage particulier conféré par cette nouvelle vision à la catégorie quasi-contractuelle. Cette démarche l’a ainsi conduit à établir en leur sein une distinction. 321. - Le point de départ en est l’analyse des différents quasi-contrats admis comme tels par le droit positif actuel, et de la notion de laquelle ils participent. Or, ce faisant, l’auteur remarque que tous ces éléments ont vocation à opérer une commutation. (V. supra n°298 et s.) Ils sont en effet destinés à réagir face à « un appauvrissement spontanément consenti sans contrepartie patrimoniale et sans intention libérale »293, qui constituera le « fait quasicontractuel »294 justifiant l’intervention du Droit par l’instauration d’une commutation 292 F. Chénedé, th. préc. n°340 et s.; art. préc. F. Chénedé, th. préc. n°347 294 F. Chénedé, th. préc. n°365. 293 112 involontaire destinée à compenser la perte ainsi subie par l’appauvri. En d’autres termes, dans ce cas, « un appauvrissement (action de l’homme) imposera une indemnisation (réaction du droit) »295. A ceux-ci, Monsieur Chénedé donne la qualification de « quasi-contrats échange. » 322. - On constate donc que cette catégorie trouve à sa base les quasi-contrats consacrés par le droit positif actuel. Mais, néanmoins, l’auteur apporte à cette présentation certaines nuances. En premier lieu, il opère une scission de la gestion d’affaires, en distinguant les obligations du géré, qui correspondraient à cette logique générale, et celles du gérant, qui naitraient d’un engagement unilatéral de volonté de celui-ci, basculant ainsi dans la sphère des « commutations volontaires. »296 Sur ce point, nous avons déjà affirmé ne pas suivre l’auteur, et nous nous en tiendrons au principe d’appréhension unitaire de la gestion d’affaires en tant que quasi-contrat échange, afin de ne pas déstabiliser davantage les sources d’obligations par sa division297. D’autre part, Monsieur Chénedé montre l’inadéquation du quasi-contrat de « loteries publicitaires » avec la logique classique, pour prôner ensuite son abandon par la jurisprudence298. Au-delà, d’autres mécanismes actuellement reconnus par notre Droit pourraient entrer dans cette catégorie, et il s’attache ainsi à en donner quelques illustrations299. 323. - Mais l’auteur note ensuite qu’« élaborée à partir du modèle de la commutation, […] la théorie contemporaine des quasi-contrats néglige tout un pan du phénomène quasicontractuel : les quasi-contrats partage, c'est-à-dire les quasi-contrats qui réalisent une distribution. »300 Il y a donc entre eux une différence d’effets, liée à la nature du premier mouvement de valeurs déclenchant l’intervention du Droit : ici, « une mise en commun, un apport (action de l’homme) exigera une répartition (réaction du droit). »301 Ainsi, à un fait quasi-contractuel différent correspondra une réaction diverse. 295 Ibid. (L’auteur souligne). F. Chénedé, th. préc. n°468 et s. 297 V. Pour un exposé détaillé de notre point de vue, supra n°174 et s. 298 F. Chénedé, th. préc. n°359. 299 F. Chénedé, th. préc. n°351 et s. L’auteur évoque à ce titre la convention d’assistance bénévole, le paiement de la dette d’autrui, la théorie des récompenses entre époux, les règles de la constructions sur le terrain d’autrui, les restitutions consécutives à la nullité ou à la résolution d’un contrat, l’obligation de remboursement mise à la charge du mandant pour les avances et frais que le mandataire a consenti dans le cadre de sa mission, l’obligation d’indemnisation imposée au déposant pour les dépenses faites par le dépositaire pour la conservation de la chose. 300 F. Chénedé, th. préc. n°363. (Nous soulignons). 301 F. Chénedé, th. préc. n°365. (L’auteur souligne). 296 113 324. - De la même manière, Monsieur Chénedé donne ensuite certains exemples d’institutions susceptibles de trouver leur place au sein de cette catégorie, et à ce titre, il cite la société créée de fait302. Il décrit ainsi l’impossibilité de rattacher ce groupement au schéma de l’acte juridique, et démontre alors que cette situation épouserait parfaitement la logique du quasi-contrat partage. Pour autant, une telle qualification commanderait de remanier certaines des exigences posées par la jurisprudence pour sa reconnaissance. Ainsi, la condition d’apports doit être conservée, en tant que fait générateur du quasi-contrat. En revanche, les juridictions ne devraient pas exiger la preuve de l’intention de partager le résultat issu de l’exploitation, mais plutôt l’abandonner ou dans le cas contraire, exiger la preuve de la participation effective aux gains ou aux pertes. Enfin, il apparaît nécessaire de conserver l’affectio societatis, mais en lui ôtant toute dimension de nature à en faire l’expression du consentement au contrat de société. Il s’agirait alors d’y voir, dans la lignée de la conception actuelle de la Cour de Cassation, « l’existence d’une collaboration effective entre des personnes participant à une activité commune. »303 Ainsi, l’auteur conclue que « l’existence d’une société créée de fait devrait être déduite de la réunion de deux éléments : la res communis, c'est-à-dire le capital commun résultant de l’apport de chacun des associés, et l’affectio societatis, c'est-à-dire la collaboration effective et égalitaire à l’activité commune. »304 Or, cette proposition nous paraît digne d’être retenue. B) Une solution souhaitable 325. - La proposition formulée par Monsieur Chénedé s’inscrit en parfaite corrélation avec les acquis dégagés tout au long de ce travail. Elle suscite donc notre approbation, et il nous semble ainsi qu’elle doive à ce titre s’imposer, ceci du fait de deux considérations principales. 326. - En premier lieu, il nous semble nécessaire de souligner la cohérence qu’elle serait susceptible d’introduire au sein du droit positif. En effet, elle nous paraît constituer une réponse adéquate aux différentes critiques formulées tant à l’encontre de la notion de la société créée de fait, que des quasi-contrats en général, et parmi eux, de la gestion d’affaires. Or, à ce titre, il nous semble que la théorie proposée exploite de manière adaptée le voisinage pouvant être établi entre ces institutions déployant ainsi des effets positifs s’agissant de ces deux mécanismes. 302 F. Chénedé, th. préc. n°369 et s. ; art. préc. F. Chénedé, th. préc. n°370 ; art. préc. 304 Ibid. 303 114 327. - Concernant la société créée de fait, elle opère sa classification au sein d’une catégorie plus appropriée au mécanisme qu’elle met en œuvre, et dont elle épouse parfaitement la logique propre. Sur l’autre versant, celui des quasi-contrats, cette thèse semble dessiner un avenir à une notion auparavant dans l’impasse. En effet, si la notion actuelle parvient à fédérer autour d’elle les cas particuliers de quasi-contrats traditionnellement admis, faisant ainsi taire les critiques, nous avons pu faire valoir son insuffisance face aux besoins dont on souhaiterait la voir répondre. Cette prise de conscience en est intervenue en suite des arrêts rendus par la chambre mixte de la Cour de Cassation le 6 septembre 2002305. Par leur biais, était à nouveau posée l’alternative de l’évolution, ou de la disparition de la notion de quasi-contrat par la prolifération jurisprudentielle d’espèces hétérogènes. Or, c’est toujours à cette expectative que nous devons faire face aujourd’hui. 328. - Ainsi, l’adoption de la conception défendue par Monsieur Chénedé nous permettrait avantageusement d’en sortir. Par son biais interviendrait la réaction attendue de par l’extension de la notion de quasi-contrat, décuplant ainsi les possibilités offertes par ce concept, mais ceci avec le bénéfice inestimable de maintien de la cohérence de l’ordre juridique. 329. - On voit ainsi se profiler la seconde raison nous semblant devoir déterminer ce choix : en adoptant une telle extension de la notion de quasi-contrat, la cohérence qui en sera induite ne sera pas le fruit d’une révolution, mais d’évolutions, permettant à cette notion de conserver sa physionomie, s’agissant d’un concept qui, de notre point de vue, présente une réelle utilité au sein du Droit, ce que les arrêts du 6 septembre 2002 n’ont pas dénié. Mais, ce qu’on peut ajouter à leur crédit, après les avoir tant critiqués, est d’avoir ouvert le champ des possibles pour la catégorie quasi-contractuelle, rendant non seulement envisageable, mais également souhaitable une telle régénération. Ainsi, les quasi-contrats conserveraient les traits de mécanismes destinés à lutter contre l’enrichissement injustifié d’une personne au détriment d’une autre, tout en accueillant une distinction selon la nature du fait générateur, et donc celle de la réaction imposée. La conséquence en serait l’élargissement du champ d’application de cette source d’obligations tout en conservant la base commune aux différents cas particuliers 305 V. supra n°270 et s. 115 qui la composent. Par où l’on voit que c’est d’abord dans les racines du système qu’il faut plonger pour déterminer le sens de son évolution… 330. - Ainsi, à l’aboutissement de ce chapitre, se trouve bien révélée la cohérence qu’induirait l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait. Pour l’établir, nous avons d’abord fait part des critiques dont souffraient chacun de ces mécanismes. Nous avons ainsi pu examiner l’impossibilité pour la société créée de fait de naître d’un acte juridique, quelle que soit la conception de la volonté adoptée. Nous avons également montré qu’elle ne saurait davantage se réclamer de la notion actuelle de quasi-contrat, après l’avoir exposée, et souligné que les évolutions jurisprudentielles conduisaient à douter de son maintien. Or, le contraste est sensible par rapport à la situation qui résulterait de leur union. Ainsi, nous avons examiné la proposition formulée par Madame Vacrate, visant à regrouper la société créée de fait et les quasi-contrats au sein d’une même catégorie d’obligations morales, entrainant dans son sillage la disparition de la notion de quasi-contrat. Mais, si le gain de cohérence était indéniable, la démarche ne nous paraissait pas pour autant devoir être adoptée, en ce que l’élargissement de la notion actuelle de quasi-contrat aurait parfaitement pu servir ces intérêts. C’est donc vers la position de Monsieur Chénedé que nous nous sommes tournés, en mettant en valeur le bénéfice qui résulterait de l’accueil de la distinction qu’il a imaginée entre quasi-contrat échange et quasi-contrat partage. Dès lors, il nous semble que la démarche de rapprochement entre la gestion d’affaires et la société créée de fait ait été menée à son terme, ce qui nous conduit à devoir clore ce travail. Conclusion 331. - Au terme de notre étude, il nous faut mettre en valeur un constat que l’étude croisée de la gestion d’affaires et de la société créée de fait nous a permis de révéler : celui de la résistance du système actuel face aux assauts du temps. 332. - Nous avons en effet établi en premier lieu que l’opposition entre gestion d’affaires et société créée de fait, telle qu’elle ressort de la classification traditionnelle, ne devait pas être considérée comme un obstacle à leur rapprochement, en ce qu’elle apparaissait à l’analyse davantage formelle que réelle. En effet, dans ce contexte, la société créée de fait, prend les traits d’un acte juridique imparfait, du fait de l’impossibilité pour la volonté des protagonistes en présence d’être tendue vers les effets de droit qui lui sont attachés : la création d’une société. Dès lors, s’évince la particularité de la reconnaissance de ce groupement, comme 116 laissant peu de place à la volition de ceux qui seront amenés à endosser la qualité d’associé, ainsi que la place fondamentale du juge dans le processus amenant à sa qualification, nous ayant conduit à lui appliquer alors le qualificatif de « situation contractuelle d’origine judiciaire. » De la même manière, nous avons montré que si la qualification de fait juridique de la gestion d’affaires n’était pas usurpée, celle-ci laissait néanmoins en son sein une large place à la volonté de ses acteurs, lui conférant une spécificité certaine au sein de cette catégorie. 333. - Dès lors, était instauré un certain flottement quant à la qualification à appliquer à ces mécanismes, et par cela, c’était ouvrir le champ des possibles pour leur modulation au sein des sources d’obligations, voire l’instauration d’innovations structurelles. Cette modulation s’est faite dans le sens de la convergence, en harmonie avec le sujet étudié, ainsi que les prémices dégagées. Or, à ce titre, nous avons dû constater l’existence d’une analogie entre ces deux institutions, participant d’une logique identique, destinée à entrainer le passage d’une relation de fait passée entre deux ou plusieurs personnes, au plan du Droit afin d’en tirer les conséquences patrimoniales pour des raisons d’Equité, dans le but d’éviter que certains de ses protagonistes ne s’enrichissent sans cause au détriment d’autres. Nous avons également montré que la réaction du Droit se devait néanmoins d’être diverse dans un cas par rapport à l’autre, du fait de l’articulation différente des intérêts des parties dans l’une et l’autre hypothèse : c’est donc à une distribution que procède le Droit s’agissant de la société créée de fait, alors que sa réaction à travers la gestion d’affaires est commutative. 334. - Ces similarités nous ont alors conduit à pousser plus avant notre démarche par l’examen de l’opportunité de l’unification de ces deux institutions. Or, de ce fait, la recherche de cohérence sous-jacente à cette étude est revenue au premier plan. En effet, la considération séparée de ces deux mécanismes véhicule certaines incohérences. Ainsi, la catégorie des quasi-contrats, de laquelle participe la gestion d’affaires, est fondamentalement critiquée, et si l’unité semblait avoir été récemment trouvée par la création d’une notion de nature à assurer sa pérennité, l’évolution jurisprudentielle antérieure devait conduire à engendrer une régénération de ce genre, pour ne pas qu’il disparaisse. De même, il nous a fallu nous ranger à l’opinion de certains auteurs, à travers l’impossibilité de raccrocher la société créée de fait au contrat, quelle que soit l’acception de la volonté considérée. Il n’apparaissait pas davantage envisageable de rattacher ce mécanisme distributif à la notion actuelle de quasi-contrat, articulée autour de la commutation. 117 335. - Mais à ces incohérences, l’unification pourrait remédier. Pour l’établir, nous nous sommes d’abord attachés à examiner la proposition formulée par Madame Vacrate, de création d’une nouvelle catégorie d’obligations morales regroupant en leur sein la gestion d’affaires et les autres quasi-contrats existants, ainsi que la société créée de fait. Mais à celleci, nous avons préféré la thèse de Monsieur Chénedé, élargissant la catégorie des quasicontrats, en établissant une distinction entre les quasi-contrats échange, dont la gestion d’affaires, fonctionnant sur la logique classique de commutation, et les quasi-contrats partage, dont la société créée de fait, reposant sur un mécanisme distributif. C’est par ce biais rétablir la cohésion en détachant la société créée de fait de l’acte juridique, et en l’intégrant au sein d’une catégorie quasi-contractuelle rénovée et donc réhabilitée. Dès lors, le premier objectif de cohérence était atteint. 336. - Mieux, c’est dans le respect de la structure actuelle que s’établit cette réorganisation, en ce qu’elle rétablit une classification davantage en adéquation avec la substance du mécanisme pris en considération, en reconsidérant l’approche d’une sous-catégorie traditionnelle, ceci sans en modifier la physionomie. Par là, on peut donc constater l’atout d’adaptabilité de la structure actuelle, et sa pertinence, en tant qu’elle ne nécessite qu’une remise en question mineure pour constituer le fidèle reflet du droit positif, malgré l’office du temps. Il s’agit néanmoins d’une voie sur laquelle il serait nécessaire de s’engager pour que cette structure puisse encore demeurer longtemps. Ce travail s’est voulu constituer un pas dans cette direction. 118 Bibliographie : I) Traités, manuels et autres ouvrages généraux : Brégi J-F. Droit romain, les obligations, Ellipses 2006 Carbonnier J. 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LPA 27 février 2004 n°42 p.5. 122 Table des matières Titre premier : Un antagonisme réductible entre gestion d’affaires et société créée de fait……………………………………………………………..p.9 Chapitre premier : L’opposition formelle entre gestion d’affaires et société créée de fait……………………………………………………………….p.9 Section 1 : La société créée de fait, une variété d’acte juridique...........p.10 §1) Les éléments matériels du contrat de société……………….p.11 A) L’exercice par une pluralité de personnes d’une entreprise commune……………………………………...p.12 B) La réalisation d’apports………………………………….p.15 §2) Les éléments intentionnels du contrat de société…………...p.18 A) L’intention de partager le résultat issu de l’exploitation………………………………………………p.19 B) L’affectio societatis………………………………………..p.22 Section 2 : La gestion d’affaires, un modèle de fait juridique…………p.25 §1) L’ingérence du gérant dans les affaires du maître…………p.25 A) L’intention de gérer l’affaire d’autrui…………………..p.26 B) L’utilité de la gestion pour le géré……………………….p.30 §2) Les effets de droit attachés à cette intervention…………….p.33 A) Les obligations mises par la loi à la charge du gérant….p.33 B) Les obligations mises par la loi à la charge du géré…….p.38 Chapitre second : Une opposition à relativiser…………………………………p.42 Section 1 : La société créée de fait, un acte juridique imparfait………p.42 §1) La révélation de l’existence d’un contrat de société au terme d’une démarche inductive………………………………...p.42 A) Le comportement, reflet de l’opération matérielle du contrat de société……………………………………...p.43 123 B) Le comportement, traduction factuelle de la position d’associé…………………………………………………...p.46 §2) Une induction contestable……………………………………p.48 A) La corrélation de la conscience et du consentement……p.49 B) L’inadéquation entre la volonté exprimée et la création d’une société…………………………………….p.50 Section 2 : La gestion d’affaires, un fait juridique atypique…………..p.55 §1) La volonté du maître de l’affaire……………………………p.55 A) La volonté exprimée………………………………………p.55 B) La volonté présumée……………………………………...p.57 §2) La volonté du gérant…………………………………………p.59 A) L’ingérence, reflet de la volonté du gérant……………...p.60 B) Une volonté partiellement tendue vers le droit…………p.62 Conclusion intermédiaire………………………………………………………………...p.66 Titre second : La convergence entre gestion d’affaires et société créée de fait……………………………………………………………………...p.67 Chapitre premier : L’analogie entre gestion d’affaires et société créée de fait…………………………………………………p.67 Section 1 : Une même vocation : tirer les conséquences patrimoniales d’une relation de fait passée………………...p.67 §1) L’autorégulation patrimoniale de la relation de fait pendant son cours………………………………………………...p.67 A) La sphère du non-Droit…………………………………..p.68 B) La fluctuation patrimoniale……………………………...p.71 §2) La cristallisation patrimoniale de la relation à son terme…p.73 A) La fixation patrimoniale………………………………….p.73 B) La nécessité de solder la relation………………………...p.76 Section 2 : Une divergence de situation, impliquant une réaction diverse………………………………………………p.80 124 §1) La réaction distributive de la société créée de fait…………p.80 A) La recherche de l’intérêt commun………………………p.81 B) Le partage de valeurs communes………………………..p.83 §2) La réaction commutative de la gestion d’affaires…………. p.86 A) La recherche d’intérêts particuliers……………………..p.86 B) La compensation d’un appauvrissement………………..p.88 Chapitre second : L’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait…………………………………………………...p.90 Section 1 : Les incohérences engendrées par la distinction entre gestion d’affaires et société créée de fait……………………p.90 §1) Les critiques adressées à la notion de quasi-contrat…………...p.91 A) La notion de quasi-contrat…………………………………...p.91 B) Les incertitudes quant à son maintien………………………p.95 §2) Les critiques adressées à la notion de société créée de fait…….p.100 A) L’impossible recours au contrat de société………………….p100 B) L’impossible assimilation à la notion traditionnelle de quasi-contrat………………………………………………….p.104 Section 2 : La cohérence engendrée par l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait…………….p.105 §1) L’unification ex nihilo……………………………………………p.106 A) La création d’une nouvelle catégorie d’obligations………...p.106 B) Une solution critiquable……………………………………...p.109 §2) L’élargissement de la notion de quasi-contrat………………….p.111 A) L’accueil de la distinction entre les quasi-contrats échange et les quasi-contrats partage……………………….p.111 B) Une solution souhaitable……………………………………..p.113