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MONDE
Extrait de Paysans № 314 Mars Avril 2009 : 25-34
La crise de 1929
et la bataille du « New Deal»
Jean-Marc Boussard *
L'adoption de cette nouvelle politique économique fut
l'objet de rudes affrontements idéologiques surtout
dans ses aspects agricoles.
crise économique de 1929 aux Etats-Unis a été à l'origine
'une profonde révision des idées économiques, en
particulier en ce qui concerne l'agriculture. Alors qu'auparavant,
rares étaient les auteurs qui ne vantaient pas les bienfaits du
marché, des années 30 aux armées 80, l'intervention devint la
base de raisonnement standard des économistes de l'agriculture,
qui ne différaient que sur ses modalités.
Des leçons pour la période présente
Depuis 1980, et surtout 1990, la mode est à nouveau au « laisser
faire », On peut alors se demander jusqu'à quel point la crise,
que l'on connaît depuis 2008, ne procède pas des mêmes causes
et ne nécessite pas les mêmes remèdes que celle des années 30.
C'est pourquoi, il est intéressant de revenir sur les politiques qui
passent pour y avoir mis fin. On va ici tenter de donner une idée
des principaux débats de l'époque, puis d'en tirer les leçons pour
la période présente. Auparavant, il faut quelques indications sur
la chronologie de la crise, telle qu'elle apparaît sur la figure cidessous, extraite d'un article paru dans le Journal of Farm
Economies de février 1938.
On y voit bien que les baisses de prix ont commencé en agri­
culture en 1926, bien avant la crise boursière de 1929. On est
aussi frappé par l'ampleur de l'effondrement de la production
industrielle (et du pouvoir d'achat des agriculteurs) après 1929,
sans commune mesure (pas encore ?) avec la situation
"Ancien directeur de recherches à l'INRA. Membre de l'Académie d'Agriculture.
25
de 2009. En particulier, de nombreux agriculteurs, incapables de
rembourser leurs emprunts, virent leurs terres saisies et vendues à
bas prix. Le Litterary Digest du 7 mai 1932 indique qu1« en une
seule journée d'avril 1932, un quart de la surface de l'Etat du
Mississipi est passé sous le marteau du commissaire priseur ».
Evolution de la production agricole, de la production indus­
trielle et du pouvoir d'achat agricole au cours de la crise de
1929 aux Etats-Unis
Sources: Anderson D.S. (1938) Prices ahid the Agricultural Problemjounuil of Farm Economies
Les drames humains qui s'ensuivirent ont laissé des traces dans la
littérature, avec les livres de John Steinbeck (Les raisins de la
colère, En un combat douteux) ou de Erskine Caldwell (Le petit
arpent du Bon Dieu). Bien évidemment, il fallait faire quelque
chose. Mais quoi ? Le débat, initié dès l'élection de Hoover, en
1928, continua sous Roosevelt, élu en 1932. Il a duré jusqu'au
milieu des années 40, date à partir de laquelle une quasi unanimité
s'installe au moins sur les grands principes à mettre en œuvre dans
une politique agricole.
Depuis au moins la déclaration d'indépendance, la libre entreprise
et l'individualisme économique sont constitutifs de la
culture citoyenne aux Etats-Unis. C'est dans ce contexte que le
- président Hoover, fraîchement installé à la Maison Blanche, et
préoccupé par les difficultés des agriculteurs, en avril 1929
(donc aussi bien avant le « vendredi noir» de septembre 1929)
fit voter l'Agricultural Marketing Act (AMA), en conséquence
d'un diagnostic sur les origines de la baisse des prix agricoles :
elle provenait du caractère désordonné de la mise en marché des
produits. Il fallait juste un peu de concertation et quelques
liquidités
pour y remédier en facilitant le stockage. A cet effet,
Une grave
entorse
rAMA autorisait l'Etat fédéral à fournir des prêts bonifiés à des
au principe
coopératives pour leur permettre de stocker les récoltes, et les
de non
revendre progressivement, de façon « ordonnée ».
intervention
de l'Etat
Il s'agissait évidemment là d'une grave entorse au principe de
non intervention de l'Etat dans les affaires économiques. C'était
aussi contraire au Sherman Act, prohibant les ententes, car les
coopératives étaient invitées à se concerter pour programmer
leurs ventes de façon à ne pas faire chuter les prix. En même
temps, ces mesures étaient beaucoup trop timides. Elles n'eurent
pratiquement aucune efficacité, sinon celle de stimuler les
réflexions de l'entourage de Roosevelt, qui devait prendre ses
fonctions le 4 mars 1933.
Le premier AAA : faire remonter les prix en réduisant l'offre
Roosevelt avait promis un « New Deal» pour sortir de la crise.
Ce fut l'objet du NIRA (National Industrial Recovery Act) qui
fixait les bases des politiques à long terme qu'il comptait suivre,
et qui fut signé le 16 juin 1933. Auparavant, il avait fallu régler
trois urgences :
1 - assurer le fonctionnement du système bancaire en train de
s'effondrer, ce qui demanda quinze jours;
2 - masquer provisoirement les effets du chômage : ce fut fait
grâce une sorte de conscription pacifique, le recrutement de
millions de volontaires pour nettoyer et embellir les forêts.
C'était autant d'unités sorties des statistiques du chômage, et ce
n'est pas sans rapport avec l'agriculture;
3 - enfin, rassurer les agriculteurs « avant les semis », C'est ce
qui conduisit à 1' Agricultural Adjustment Act (AAA), signé au
bout de deux mois, le 12 mai 1933.
Il ne semble pas que le Président lui-même ait eu des idées très
27
Limiter
la
production en
échange
d'indemnités
et de prix
garantis
L'opposition
des
industries
agricoles et
alimentaires
arrêtées sur ce qu'il fallait mettre dans 1ΆΑΑ. Au cours de sa
campagne électorale, les deux principaux auteurs des discours
agricoles avaient été Henry Wallace (un généticien et journaliste
de l'Iowa, fils d'un ancien ministre de l'Agriculture) et Rexford
Tugwell (un professeur d'économie à New York), mais ceux-ci
durent bientôt composer avec les autres membres de l'entourage
du président, qui avaient souvent des idées dif­
férentes des leurs.
La première version de l'AAA était cohérente. Le problème
majeur étant de faire remonter les prix à un niveau compatible
avec les coûts de production, contrôler l'offre et, dans un pre­
mier temps, la brider. Pour cela, on allait passer des contrats
avec les agriculteurs qui le souhaiteraient. Ceux-ci s'engage­
raient à limiter leur production, en échange d'indemnités et de
prix garantis pour les denrées que le contrat les autoriserait à
produire. Le total des quantités ainsi autorisées serait légère­
ment inférieur à la consommation prévisible. Les agriculteurs
qui ne voudraient pas passer de contrat seraient libres et ven­
draient leur production au prix du marché à leurs risques et
périls. Le financement de l'opération serait assuré par une taxe
sur la transformation des produits.
Ces idées se heurtèrent à celles d'autres parties prenantes au
débat. Certains - en particulier les représentants des industries
agricoles et alimentaires - ne voulaient pas de restrictions à la
production, ni de taxes sur la transformation, et proposaient
plutôt de subventionner les exportations. D'autres - dont le Farm
Bureau, une organisation d'agriculteurs, quelque chose
d'intermédiaire entre ce que sont en France la FNSEA et les
Chambres d'agriculture - trouvaient insuffisantes les mesures
prévues, et voulaient avant tout une garantie de prix « de parité »,
c'est-à-dire au niveau de 1909-1913 (années record). Beaucoup
pensaient que la meilleure façon de sortir de la crise des
mortgages (hypothèques) était de déclencher une inflation qui
aurait effacé les dettes (comme ce fut le cas en Allemagne en
1921). Roosevelt, de son côté, était intraitable sur l'équi­
libre budgétaire.
Nommé à la tête de l'USDA (le ministère de l'Agriculture)
avec Tugwell comme assistant, Wallace, navigant entre les
groupes de pression, finit par rédiger en urgence une loi qui
manquait de cohérence, reprenant un peu de toutes ces reven-
dications. Le cœur de l'AAA, néanmoins, était l'instauration du
loan rate: les agriculteurs qui acceptaient les conditions du plan
en matière de réduction de surface ou de cheptel pouvaient
obtenir un prêt (loan) en mettant leur récolte en gage au
gouvernement. Le rate (taux) était en fait un prix fixé par les
autorités. Si, plus tard, l'agriculteur vendait sa récolte à un prix
différent, il ne remboursait que le minimum entre le prix effec­
tivement reçu et le loan rate. Cela revenait donc à garantir aux
agriculteurs un prix minimum.
La construction d'une administration de l'agriculture
En 1935,
ies quotas
l'importation
sont
.
autorises
Le résultat le plus sensible d'une application immédiate de ces
dispositions fut, au nom des restrictions de production et pour
faire remonter les cours, l'abattage d'une partie du cheptel, et le
labour en vert d'un quart de la superficie en coton. L'opinion
publique s'en choqua, et « le massacre des petits cochons» fit la
une des magazines. Les prix commencèrent à remonter. Bon
nombre de consommateurs ne comprirent pas le sens d'une
politique de « nourriture chère », alors que tant de gens n'avaient
plus de quoi vivre.
Par la suite, divers textes complétèrent l'AAA : les producteurs
de coton et de tabac qui ne signaient pas les contrats furent
interdits de commercialisation, ce qui était un pas de
plus dans le dirigisme. Par ailleurs, pour faire remonter les prix
au-dessus du loan rate, il fallait éviter que d'autres pays ne
profitent des prix élevés pour vendre leurs propres récoltes aux
Etats-Unis : dès 1935, l'administration fut autorisée à imposer
des quotas d'importation. C'était instaurer le protectionnisme
.
....
agricole, ce que le pays n avait jamais
fait.
Surtout, l'AAA fut le point de départ de la création de nom­
breuses agences fédérales, telles que ľ Agricultural Adjustment
Administration ou la Commodity Credit Corporation (CCC).
Elles donnaient au pouvoir central les moyens dont il était jus­
qu'alors privé pour passer à l'action concrète. Certaines de ces
agences furent temporaires, et rapidement supprimées. D'autres
existent toujours. L'une de celles-là sort du lot, car (à la
différence d'autres) elle ne semble pas avoir jamais été copiée
hors des Etats-Unis. Il s'agit de la Federal Surplus Relief
Corporation (FRSC), fondée pour permettre aux
29[
Permettre
aux
pauvres
de bénéficier
des surplus
agricoles
pauvres de bénéficier gratuitement des surplus agricoles. Elle sera
(mais seulement en 1939) à l'origine du programme de «food
stamps »,
L'idée avait été agitée sous le mandat de Hoover, car beaucoup
d'Américains étaient choqués par « la pénurie au milieu de
l'abondance », L'accumulation de stocks invendables dans les
entrepôts gérés par le Federal Farm Board, alors que de nombreux
chômeurs n'avaient rien à manger, faisait scandale. Il fut proposé
de les distribuer gratuitement aux nécessiteux. L'administration
Hoover s'y opposa fermement, au motif que, comme le disait un
parlementaire, c'était « une idée de caractère révolutionnaire qui,
en installant l'assistance publique aux Etats- Unis, mettrait fin à la
tradition de générosité privée et d'esprit communautaire ».
L'indignation causée par le massacre des porcelets L'indignation
Bai-gT
débouchés
agriculteurs
30
causée par le massacre des porcelets conduisit néanmoins à
créer la FRSC en octobre 1933. Elle mit très longtemps à
élaborer sa doctrine et ses moyens d'action, le programme de
food stamps (distribution de « timbres » aux familles modestes,
timbres qui peuvent être échangés gratuite­
ment contre certains produits alimentaires dans certains magasins,
lesquels sont alors réglés par l'administration) débutant seulement
en 1939. En dépit de ces retards dans la définition de ses méthodes,
l'action de la FRSC permis en tout cas d'élargir les débouchés des
agriculteurs américains.
Enfin, l'AAA s'insérait dans le National Industriai Recovery Act
(NIRA), voté, quelques jours plus tard, dans le même contexte de
compromis entre les partisans d'un interventionnisme musclé et
ceux qui voulaient « persuader» les patrons d'agir en faveur des
intérêts nationaux. Le NIRA comportait des réglementations (sur le
temps de travail, en particulier), ainsi que la création d'agences
gouvernementales telles que la National Recovery Administration
(NRA), la Public Work Administration (PWA), et bien d'autres.
Tout ceci eut des résultats concrets: l'AAA fit diminuer un peu la
production et remonter les prix de façon substantielle. Il eut aussi
des conséquences moins attendues. En particulier, il conduisit à la
disparition du métayage dans le Sud du pays, car les propriétaires
évinçaient les métayers, reprenaient les
terres pour eux-mêmes, et passaient un contrat avec l'AAA pour ne
plus les cultiver en échange d'une prime. Cela fut reproché à
Roosevelt comme une régression dans la lutte contre la pauvreté. Il
'est vrai que, à court terme, le résultat fut l'augmentation du nombre
de chômeurs. D'un autre côté, à plus long terme, cela contribua à
ouvrir la voie au remplacement d'une partie de la population active
agricole par du capital, augmentant la productivité du travail et
permettant donc des augmentations de salaires.
L'annulation de l'AAA par la Cour suprême en 1936
Le
caractère
.< socialiste»
de l'AAA
déplaisait à
une majorité
de juges
L'AAA fut cependant annulé par la Cour suprême le 6 janvier
1936. Les motifs techniques étaient doubles: d'une part, il
impliquait que le Congrès fédéral puisse apporter des restrictions à
la production à l'intérieur d'un des Etats de l'Union. La Constitution
ne donnant pas explicitement ce droit au Congrès, celui -ci ne peut
se l'octroyer. D'autre part, le financement de l'AAA par un impôt
sur la première transformation des produits - donc prélevant de
l'argent sur les transformateurs pour le donner aux agriculteurs - est
une violation de l'égalité des citoyens devant la loi, qui n'a pas le
droit de
déshabiller Paul pour habiller Jean.
U ne fait guère de doute, en réalité, que la motivation principale de
l'arrêt était le caractère « planificateur » et même « socialiste» de
l'AAA, qui déplaisait à une majorité de juges effrayés par les coups
portés au principe de la non intervention de l'Etat. Aussi bien,
d'autres arrêts de la Cour, à la même époque, annulèrent certaines
pièces maîtresses de la législa­
tion du New Deal pour des motifs similaires.
Il était impossible, à court terme, de s'affranchir des arrêts de la
Cour suprême, sauf à utiliser des expédients. L'administration
utilisa pour cela les nuages de poussière soulevés par le vent en été
dans certaines régions du Middle West (le dust bowl, le bol de
poussière). Comme leur existence était attribuée à l'érosion, liée à
certaines pratiques culturales, un Soil Conservation and Domestic
Allotment Act (SCDAA) avait été adopté en 1935. Il imposait
certaines pratiques culturales pour éviter le phénomène. Comme 1'
AAA, mais pour d'autres raisons, il impliquait de porter atteinte au
droit des agriculteurs à décider seuls de leurs modes de culture.
Roosevelt et Wallace (Tugwell, trop radical, avait été évincé de
l'USDA) saisirent ce prétexte. Une nouvelle version du SCDAA
fut votée deux mois après l'annulation de l'AAA. Elle reprenait
l'essentiel des dispositions de celle-ci en matière de gel des
terres, en les motivant cette fois par des raisons écologiques.
Ainsi pouvait-on payer les agriculteurs, sinon pour éviter la
surproduction, du moins pour entretenir des jachères cultivées,
ce qui revenait au même. Au passage, certaines dispositions de
l'ancien AAA furent révisées, en particulier celles qui
concernaient les fermiers et les métayers, maintenant admis à
partager les subsides avec les propriétaires.
L'Agricultural Adjustment Act de 1938
Le stock de
sécurité
permanent
La solution du SCDAA était peu glorieuse. Par ailleurs, Wallace
était conscient des insuffisances de l'AAA de 1933. Enfin, les
problèmes de Roosevelt avec la Cour suprême se trouvèrent
résolus lorsqu'il fut possible d'y nommer des sympathisants du
New Deal. C'est pourquoi, en 1938, il fut possible de faire
passer d'abord un Agricultural Marketing
Agreement Act qui donnait à l'administration la possibilité de fixer
un ΡΓίχ minimum pour les produits agricoles dans certaines
circonstances, en certains endroits (une nouvelle avancée du
dirigisme, puisqu'il n'était plus nécessaire de passer par la fiction
du loan rate pour établir un prix minimum) et surtout
un nouvel AAA.
Ce second AAA reprend les dispositions essentielles du premier.
L'accent, cependant, n'est plus mis sur les réductions de
production: les prix étaient remontés, cela n'apparaissait plus
nécessaire. Le point essentiel, en revanche, était la sécurité des
agriculteurs. En particulier, un système d'assurance-récolte était
créé au moins pour le blé. Les garanties de prix par le système du
loan rate étaient étendues. Le financement est à la' charge du
budget fédéral, au lieu d'être lié à une taxe sur les premières
transformations des produits (ce qui répond à l'une des deux
objections de la Cour suprême contre le premier AAA). Surtout, il
crée ce qui est une idée chère à Wallace: le Ever Normal Granary.
Celui -ci consistait en fait à officialiser l'existence d'un stock de
sécurité déjà présent grâce à la Commodity credit corpora-
tion. Mais au lieu d'être temporaire, appelé à disparaître aussitôt
que les prix seraient redevenus « normaux », il était maintenant
«· présenté comme indispensable à la sécurité alimentaire de la
nation. Aux yeux des conservateurs, il s'agissait évidemment
encore là d'une idée de planificateur à la limite du « socialisme
».
En réalité, il semble bien que le projet ait été inspiré à Wallace
depuis sa jeunesse par des travaux de prospectives sur l'ali­
mentation mondiale, prévoyant une famine généralisée au
milieu du 20eme siècle. Dans ces conditions, le stock de sécurité
était l'innovation d'un homme d'Etat qui voyait loin, et voulait
protéger son pays d'une telle calamité. L'ironie de la chose est
que ces calamités ne se produisirent pas et cela, peutêtre,
justement à cause des innovations apportées par ses soins dans
la gouvernance de l'agriculture.
Les conséquences à long terme des lois agricoles
U est formellement impossible de savoir ce qui se serait passé en
l'absence du New Deal: c'est comme savoir ce qui serait arrivé si
Napoléon avait gagné à Waterloo. Tout de même, la figure
montre que les prix agricoles ont augmenté dès 1934. Il y a là
plus qu'une coïncidence.
On a beaucoup reproché à l'AAA son coût élevé. Il faut cepen­
dant mettre les coûts en rapport avec les bénéfices. L'évolution à
long terme du prix du blé au Chicago Board OJTrade est ins­
tructive. Avant 1930, les prix sont fluctuants, et la tendance est
plate. Après, les prix sont beaucoup moins volatils, et la ten­
dance est à la baisse. Il y a des raisons de penser que cette baisse
de long terme a été permise par les hausses de productivités
engendrées par l'investissement, lui-même permis par la stabi­
lité. Si cette analyse est correcte, les prix des produits agricoles
de base en monnaie constante - donc la facture agricole de la
nation - ont été divisés par 4 depuis 1950. Dans la mesure où
cette baisse de prix n'aurait pas été possible en l'absence de
politique agricole, les contribuables américains en ont eu pour
leur argent.
Et le bénéfice n'aura pas été limité aux consommateurs améri­
cains. Les politiques de prix garantis et de régulation de la pro­
duction agricole par l'Etat ont été imitées dans beaucoup de pays
du monde à partir de 1945. Dans les pays où elles ont été
33
appliquées, on a vu se produire le même genre de phénomène
que ceux qui viennent d'être décrits pour les Etats-Unis. Il est
permis de penser que c'est grâce à elles qu'ont été évitées les
famines envisagées par les prophètes pessimistes qui avaient
nourri les méditations de Henry Wallace.
Les problèmes de 2009 et ceux de 1929
Depuis les années 80, dans les milieux universitaires, et les
armées 90, dans les milieux politiques, il est de bon ton de
dénigrer ces politiques « vieux jeu », coûteuses, génératrices de
surplus inutiles, bénéficiant tout au plus à quelques agriculteurs
cupides qui, en barrant les routes pour faire pression sur les
parlements, détournent de leurs usages les tracteurs que, bien à
tort, on leur a donnés pour détruire la nature. Il est ironique de
penser que ce discours était déjà celui d'un contributeur du
Journal of Farm Economies en 1937, John Davis, qui passait
alors pour un passéiste ringard. Il est en tout cas presque certain
que les mêmes causes, dans les mêmes conditions, produisant
les mêmes effets, on pourrait prochainement se retrouver avec
les mêmes problèmes qu'à cette époque, si ce n'est déjà fait. _