Mémoire vive - Monsieur Mouch
Transcription
Mémoire vive - Monsieur Mouch
Mémoire vive Lisette est une très jolie petite fille, maligne et curieuse, qui vit dans un petit village du sud de la France. Un de ces petits villages qui sont vides en hiver et se remplissent en été, de touristes par milliers. Chaque été, c’est la fête pour Lisette. Elle s’amuse avec les gamins du camping, ses cousins de la ville, alors que le reste de l’année, il n’y a que les quelques enfants de l’unique classe de l’école du village, et Lisette s’y sent un peu seule. Elle passe plus de temps à regarder les nuages, les oiseaux, les fleurs et les grandes personnes, qu’à jouer avec ses camarades. Tous les jours, sur le chemin de l’école, elle passe devant une boutique qui la fait rêver : le magasin de souvenirs. Il est fermé tout l’hiver, et n’ouvre que de mai à octobre, quand viennent ses propriétaires, Bob et Babouche, deux retraités souriants, qui tiennent la boutique avec amour. Quand le printemps arrive, Lisette est doublement contente : non seulement les vacances approchent, mais encore, Bob et Babouche arrivent au village, amenant avec eux, les beaux jours et les vacanciers. La boutique est pleine de jolies choses, de celles qui font la vie plus belle. La plupart des clients sont des vieux, qui perdent parfois un peu la boule, et viennent chercher chez Bob et Babouche un de ces souvenirs, qu’ils ont oublié. A qui une boule de la Bonne Mère sous la neige, à qui une photo d’un monument, dont il ne sait plus le nom. Et puis il y a des cas plus durs, ceux qui arrivent en disant : « c’est pour l’anniversaire de ma fille ». Bob et Babouche répondent calmement : « oui, c’est le 25 novembre ». Et les vieux disent merci, et ils s’en vont avec une carte pour l’anniversaire. Bref, on trouve toutes sortes de souvenirs merveilleux, parfois imaginaires, souvent ordinaires, et Lisette, elle aime observer tout ça, elle qui est encore bien trop jeune pour en avoir autant. Une année que Lisette n’a plus l’âge de raison, environ dix ans, elle se décide à aller à la boutique, chercher un de ces souvenirs, dont Bob et Babouche ont le secret. Depuis le temps qu’elle observe le monde qui l’entoure, elle commence à s’en poser des questions. Elle passe les « gling-glings » de la porte d’entrée, vers la fin de l’été, et est accueillie par Bob, qui a bien remarqué cette petite fille curieuse, qui lèche la vitrine depuis longtemps. « Bonjour monsieur. - Bonjour Lisette, appelle-moi Bob. - Vous connaissez mon nom ?! - Bien sûr, un bon marchand de souvenirs se doit de savoir ce genre de choses. Qu’est-ce qui t’amène ici ? - Je me pose une question. Je voudrais savoir d’où nous venons. - Ah, je vois. Les souvenirs de l’humanité sont dans l’arrière-boutique, viens avec moi. » Ils passent la porte derrière le comptoir, Babouche est là, qui met un peu d’ordre dans tout ce fatras. Elle salue Lisette d’un très grand sourire, et Bob saisit un énorme livre à la couverture épaisse dans l’un des tiroirs. Il le tend à Lisette. Elle l’ouvre avec précaution, mais n’y comprend pas grand-chose, ce ne sont que chiffres et formules mathématiques qui se succèdent sur des milliers de pages. « Bob, je ne comprends pas, qu’est-ce que cela veut dire ? - Ce sont des calculs savants, qui montrent que la probabilité que la terre existe, que la vie s’y soit développée, que l’humain soit ce qu’il est et que tous tes aïeux se soient rencontrés jusqu’à te faire, autrement dit, la probabilité que tu existes est quasiment nulle. Bref, nous sommes, chacun, de vrais miracles mathématiques, plus improbables que des gagnants du Loto. C’est épatant, non ? - Oh oui Bob, c’est épatant. Mais je ma demande autre chose. - Je t’écoute, Lisette. - J’aimerais savoir où nous allons. » Bob prend un air un peu gêné, il ne sait pas vraiment, s’il doit révéler la dure vérité à cette petite fille pleine de vie. Il attrape tout de même, un simple bout de papier blanc, dans le tiroir suivant. Il y a sur la feuille, un petit point noir dessiné, seul et perdu. « Bob, je ne comprends pas, qu’est-ce que cela veut dire ? - Et bien, ma chère Lisette… Comment dire… Voilà. Autant la probabilité que nous existions est quasiment nulle, autant celle que nous arrivions « là » est certaine. - A ce point ? Mais il n’y a rien ? - Justement, rien ne nous attend, juste le néant. - Oh, mais c’est triste. - Oui c’est triste, mais il faut le savoir, c’est tout. Maintenant, je vais pouvoir répondre à ta troisième question. - Ma troisième question ? - Oui, celle qui suit. Alors que tu sais que nous n’avons aucune chance d’exister et que nous sommes sûrs de disparaître un jour, je te donne ce carnet et ce stylo. C’est ma réponse. - Bob, je ne comprends pas, qu’est-ce que cela veut dire ? - Je te parle de ta vie, de ton histoire. C’est à toi de l’écrire. C’est à toi de trouver ce que tu fais là, ta vérité, de la vivre et d’en témoigner. C’est ce que nous faisons tous, ajouter à l’histoire de l’humanité chacune de nos histoires d’humains. Lisette remercie Bob de son attention, et repart avec le carnet et le stylo, se demandant, perplexe, comment elle va le remplir, ce que sera son histoire à elle. L’automne arrive, et Lisette retrouve l’école, les nuages, les oiseaux et le reste. Elle passe toute l’année sans rien écrire dans son carnet. A l’arrivée du printemps, elle est bien embêtée de retrouver Bob et Babouche et de leur montrer, qu’elle n’a encore rien écrit. Elle passe devant la boutique tout le mois de mai, guettant l’ouverture, mais elle n’a pas lieu. Elle commence à s’inquiéter, quand en juin, la boutique reste désespérément fermée. Au premier jour de juillet, elle aperçoit un homme en costume, qui placarde une affiche sur les volets du magasin de souvenirs. Une fois qu’il part, elle va lire l’annonce écrite au feutre noir : « Fermé, cause décès. Fond de commerce à vendre. » Lisette comprend alors, qu’elle ne reverra jamais Bob et Babouche, que l’un des deux, ou les deux, ont fini d’écrire leur vie. Elle s’assoit sur les marches devant la boutique, en transpirant un peu des yeux. Elle sort son carnet vierge de son cartable, prend un stylo, et écrit à la première page, cette histoire que vous venez de lire. Monsieur Mouch http://monsieurmouch.free.fr & [email protected] Texte protégé SCAM Velasquez, dans « Contes Bios ». Dépôt numéro : 2005100201. Droits SACEM à déclarer en cas d’utilisation commerciale ou publique : « Mémoire vive », de Pierre Combarnous (monsieur mouch), n°00485 88 18 94.