1 Approches géopolitiques Ch. Réveillard Les définitions, la

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1 Approches géopolitiques Ch. Réveillard Les définitions, la
Approches géopolitiques
Ch. Réveillard
Université Paris Sorbonne/Sciences Po Paris
Dernier ouvrage paru
La Russie d’hier et d’aujourd’hui (2016 - éd. SPM)
Les définitions, la puissance et les écoles
Chère Madame, Cher Monsieur
Il s’agit dans les deux premières séances de fonder notre propos sur une approche un peu plus
théorique, telle une analyse de la géopolitique considérée comme une réflexion située au cœur
d’une rencontre entre un grand nombre de disciplines. Les interventions plus axées sur des
problématiques plus contextuelles, plus d’actualité seront plutôt développées dans le cadre
séances suivantes. Nous évoquerons donc tout d’abord les définitions de la géopolitique, ses
écoles et le rôle de la puissance dans l’analyse géopolitique.
Définitions et méthodologie
Historique
Née au tournant du XIXe siècle et du XXe siècle en Europe, la première géopolitique sera issue
de la rencontre de trois phénomènes que sont 1/ le rationalisme scientifique de l’époque moderne
et le succès du darwinisme social, 2/ la transformation de l’analyse géographique à l’aune de la
politique et 3/ la volonté d’expansion de certaines puissances industrielles européennes et
singulièrement 1’Allemagne tout juste unifiée par la Prusse, passant du nationalisme à
l’impérialisme du pangermanisme. La Géopolitique est une discipline dont on observe l’essor
parallèle à la géographie, au XIXe jusqu'au début du XXe siècle. Elle connaît un développement
fulgurant jusqu’à la Deuxième guerre mondiale. Mais grossièrement identifiée au seul
pangermanisme au service de l'impérialisme du IIIe Reich, elle va se trouver discréditée et donc
négligée après 1945 en Europe occidentale. La géopolitique sera au contraire placée au coeur de
l'élaboration des stratégies américaine et soviétique durant la guerre froide. On assistera donc à
une neutralisation de la pensée géopolitique européenne servant les intérêts des deux pôles du
condominium. Depuis les années 1990 nous subissons une sur-utilisation du mot, notamment par
les médias, qui ne recouvre que rarement sa signification réelle. Ainsi on assimile souvent
géopolitique et étude des relations internationales, de la géographie politique, de la géostratégie
et toute la déclinaison des géo-(ressources, économie, football, cuisine, etc.). Il est devenu
difficile de faire accepter dans l’enseignement de la géopolitique qu’il est préférable de
comprendre plutôt que d’accumuler les faits ; que souligner les dynamiques de longue durée et
les invariances ainsi que les facteurs susceptibles de provoquer des changements et des
1
retournements géopolitiques vaut mieux que d’accumuler les facteurs conjoncturels (accessibles
dans les nombreuses publications chiffrées annuelles ou les supports d’actualité directe)1.
En géopolitique, il existe principalement des lignes permanentes, des constances qui structurent
la réflexion à côté d’évolutions ou de ruptures moins influentes mais bien présentes et parfois
spectaculaires. On peut citer quelques permanences et lignes de compréhension du fait
géopolitique par les notions:
1 : - de territoire politiques, comprenant les États, acteurs fondamentaux et pivots de la
géopolitique ainsi que les territoires infra et supra étatiques
2/ - de lignes politiques que sont les frontières qu’elles soient terrestres, maritimes ou aériennes
mais aussi les réseaux immatériels et les autres types de frontières
3/ - de pôles politiques que sont les capitales, les pôles économiques, les pôles culturels
religieux et symboliques
4/ - de facteurs permanents de la géographie : centre/périphérie, enclavement/débouché,
l’insularité, le relief, etc.
5/ - de fait identitaire : tribu, ethnie, nation, empire, civilisation ; la géopolitique du fait
linguistique ; la géopolitique des religions
Toute bonne définition commence par une délimitation.
Relations internationales, géographie politique et géostratégie
Les Relations internationales : sous ces vocables, sont en général désignés l'étude des affaires
étrangères et des grandes questions du système international : rôle des États, des organisations
internationales, des organisations non gouvernementales (ONG) ainsi que des entreprises
multinationales. Les relations internationales appartiennent à la fois au domaine académique et
au domaine politique. Elles peuvent être étudiées soit dans une optique positiviste soit dans une
optique normative, toutes deux cherchant plutôt à analyser qu'à formuler les politiques
internationales des pays.
La différence n’est pas aisée à établir entre géopolitique et géographie politique et les deux
termes sont souvent utilisés indifféremment l’un pour l’autre comme s’il s’agissait d’une même
discipline, comme aux États-Unis où les mots « géographie politique » sont le plus souvent
utilisés en raison de la mauvaise réputation (Karl) hausoférienne de la géopolitique. La
géographie politique est plus descriptive et taxinomique que la géopolitique qui est analytique et
explicative. La géographie politique s’intéresse aux phénomènes à grande échelle tandis que la
géopolitique devrait commencer à étudier les problèmes à petite échelle. La géographie politique
1
Un ouvrage français régulièrement réédité et qui renouvelle les connaissances en la matière
apparaît comme une somme indispensable pour s'en faire une représentation exacte ; il s'agit
d'Aymeric Chauprade, Géopolitique, constantes et changements dans l’Histoire, Ellipses, 3e
rééd. 2007, la prochaine réédition est annoncée.
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est « une discipline qui essaie d’expliquer la formation et l’action des puissances politiques dans
l’espace ». C’est une discipline purement académique qui aborde les thèmes comme les pouvoirs
locaux, les capitales, les frontières et les régions transfrontalières, les minorités ethniques, les
limites linguistiques, les eaux territoriales, le fédéralisme et l’unitarisme, la géographie
électorale.
La géostratégie, elle, procède à l’origine d’une délimitation plus stricte réservant le terme à un
usage militaire essentiellement en rapport avec la force ou l’idée de son emploi. Les états-majors
ont depuis longtemps développé par anticipation dans le domaine de la défense et de la sécurité
des réflexions conséquentes sur les dynamiques spatiales et le savoir-penser l’espace afin de
pouvoir à l’occasion mener victorieusement sur le terrain des crises et autres conflits des
opérations armées si des dispositions de forces ou des décisions l’exigeaient. Toutefois, la
« géostratégie comme la géopolitique intègre la guerre mais ne s’y limite pas ». Cet « agir en
conscience » dans une dimension spatiale, qu’est la géostratégie est peut-être une tautologie dans
la mesure où une stratégie par définition se développe de façon obligée dans un espace : celui-ci
n’étant alors qu’une catégorie de développement de celle-là. Pour distinguer entre les disciplines
et paraphraser Raymond Aron dans son livre Paix et guerre entre les nations l’espace peut être
successivement et concomitamment considéré comme
cadre, théâtre et enjeu où 1/ la
géopolitique, davantage analytique et explicative, considère l'espace comme théâtre, 2/ la
géographie politique considère l'espace comme cadre et 3/ la géostratégie considère l'espace
comme enjeu.
La géopolitique est née en Europe au moment où les États du continent mettaient en place des
politiques de puissance. Elle fut donc conçue à l’origine comme un instrument de domination.
Qu’est-ce que la géopolitique ? En quoi la politique des États est-elle conditionnée par leur
géographie ? Comment les États se servent-ils de l’espace ? La géopolitique s’intéresse aux
rapports de l’espace et de la politique. La géopolitique est « un corpus de textes, d’articles, de
discours qui présentent une situation et indiquent (implicitement ou explicitement) une situation
à suivre ». Il existe une multitude de définitions de la géopolitique et notamment parce qu’il
existe différentes écoles de géopolitique. Une des définitions les plus larges de la géopolitique
est celle qui la conçoit comme l’étude du rapport de l’homme à la géographie, physique et
humaine, dans ses conséquences sur les relations politiques entre les sociétés humaines. On peut
également définir la géopolitique comme une branche des sciences sociales opérant une nouvelle
synthèse de l’histoire, de l’espace territorial, des ressources morales et physiques de la
communauté qui est ainsi située dans la hiérarchie des puissances, à la place qu’elle occupe ou
plutôt à celle que ses mérites lui assignent (général Pierre-Marie Gallois). Une autre définition
est celle archi-connue de Napoléon « la politique d’un État est toute entière dans sa géographie »
; et encore « la géopolitique est la conscience géographique de l’Etat » de Karl Haushofer. En
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fait les définitions se rapportent presque toutes à une préoccupations dominant l’esprit de celui
qui la définit : la prééminence géographique, la puissance, la conflictualité, la pluridisciplinarité,
une vision déterminisme comme celle de l’Etat organique, etc.
La géopolitique possède essentiellement trois dimensions distinctes :
- Elle est une pratique, celle de la réalité des peuples et des États, celle de la recherche de
puissance, un instrument de pouvoir entre les mains des militaires, des stratèges et des hommes
d’Etat; elle possède une dimension praxéologique ; elle est une discipline tournée vers l’action et
cette dimension praxéologique est dès l’origine inséparable de la géopolitique ;
- elle est une méthode, un savoir, doté de concepts d’origine multidisciplinaire et de vocabulaire
spécifiques mais qui doit se garder de la tentation de dégager des lois générales sinon celle
d’exclure absolument les explications mono-causales ;
- elle est enfin une représentation puisqu’il existe des visions géopolitiques différentes
concurrentes voire antagonistes du monde, par ailleurs instrumentalisées ou non par les
gouvernants : la vision européenne du monde n’est pas celle chinoise, ni arabo-musulmane, ni ne
devrait être celle nord-américaine.
La géopolitique s'intéresse aux rapports de l'espace et de la politique. Celle des États étant
notamment conditionnée par leur géographie, il est pertinent de savoir comment les États se
servent de l'espace. Dès l'origine de la discipline, celle-ci fut utilisée dans la perspective de la
définition d'une politique de puissance.
La méthode d’analyse
En matière de géopolitique la multiplicité des facteurs explicatifs et des paramètres dans des
champs disciplinaires eux-mêmes variés impose une certaine synthèse. En effet au sein de
l’ensemble qu’est la géographie, la géopolitique est également au contact des sciences politiques,
de la science des langues, de l’étude des religions, du droit et elle entretient d’étroites relations
avec l’histoire. Les méthodes de raisonnement géographiques (notamment les intersections
d’ensembles spatiaux de différents ordres de grandeur) aident à établir l’analyse des différents
types de rivalités de pouvoirs sur des territoires, en tenant compte des enjeux matériels et
symboliques. Non seulement ces sont des conflits territoriaux entre États qui sont désormais
dénommés géopolitiques (opposition dans l’expression de puissance d’un État, etc.), mais aussi
des rivalités de pouvoirs au sein d'un même État, c'est-à-dire des questions de géopolitique
interne (du fait de mouvements autonomistes ou séparatistes, de groupes ethniques ou politiques,
etc.). Cette diversité des acceptions du terme de géopolitique correspond à son emploi à
différents niveaux d’analyse spatiale que l’on distingue selon les ordres de grandeur. Il y a des
rivalités d’influences géopolitiques entre des ensembles spatiaux du 1er ordre, comme celle qui
opposerait par exemple l'islam et l’occident, et des rivalités géopolitiques de niveau local, du 5e
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ou 6e ordre de grandeur. Les territoires ou zones d’influences que se disputent par différents
moyens, différents types de force politiques, officielles ou occultes, ne sont pas des espaces
abstraits. Ce sont des ensembles géographiques où se trouvent des enjeux, où s’enchevêtrent des
héritages historiques, où se croisent des axes de circulation.
Il ressort de tous ces facteurs que la juste appréciation de la problématique étudiée sous l'angle
géopolitique se fera au croisement des différents ordres de grandeur de l’ensemble spatial
considéré (du plus petit au plus grand ou inversement) et de l’approfondissement des différents
domaines ou disciplines entrant dans l’étude géopolitique. Il faudra y ajouter l'étude du concept
de puissance en rapport avec le sujet.
Quelques mots de la géopolitique
La Carte
L’analyse géopolitique se fonde de façon essentielle sur l’assimilation et la compréhension de la
carte à tel point qu’est énoncée cette loi : « Pas de carte sans géopolitique, pas de géopolitique
sans carte ». Grâce à sa capacité de concentration des données et des synthèses d’informations,
selon Chauprade et Thual, la carte est fondamentalement démonstrative pour le géopoliticien
mais en durcissant volontairement ou involontairement des situations, le risque existe qu'elle
puisse servir la subjectivité idéologique de celui qui veut y voir la confirmation d’une ambition
politique ; dans ce cas les obsessions d'un groupe politique peut primer sur la réalité des données.
Ce d’autant que les points forts de la cartographie peuvent résider dans le tracé des frontières
(exaltées, magnifiées) et la localisation des minorités ethnico-religieuses (minorées ou
amplifiées). Á la suite de François Thual, on peut donc dire que la carte est à la fois un
instrument d’étude des situations géopolitiques et un révélateur des intentions géopolitiques par
une concentration schématisée des ambitions ou des menaces. Conflictualité
Dispositif
Route
Puissance
En matière de géopolitique, le facteur de puissance est fondamental. En effet, on assiste à un
renouveau de la réflexion géopolitique depuis la fin des années 1990, ce qui renforce, après des
années d’annonces du primat inégalé de l’économisme sur le politique, la politique au sens large
prise comme expression du fondement culturel et théologique des civilisations et les enjeux
majeurs des relations interétatiques ou entre entités géographiques. Les États en quête de
compétitivité globale conjuguent ce renouveau du concept de puissance avec leurs interrogations
stratégiques. On sait que l’accroissement de puissance reste le prolongement ultime de
l’intervention politique (qu’il s’agisse selon les cas d’hégémonie, de suprématie, de maintien du
rayonnement ou de l’influence, ou d’affirmation de son identité dans un cadre stratégique
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régional). Les paramètres d’analyse redeviennent la continuité de l'histoire (l’idée géopolitique et
de puissance à travers l’histoire), les dispositifs géographiques, les modèles économiques
dominants l’étude sociologique du rôle de l’idéologie, etc. La culture stratégique propre au sujet
peut être la gestion des équilibres ; la stratégie de développement et d’intégration ; la stratégie de
recherche (fin d'un endiguement) et d’accroissement de puissance ; la stratégie de renaissance ;
la stratégie de l’alliance ; la stratégie du paraître et même l'absence de stratégie. L'échelle
européenne est particulière puisque se pose évidemment la question de l’existence et si oui, de
l’élaboration d’une stratégie pour l’Union européenne : la nature même d’une stratégie de
puissance pour l’UE ; le débat UE/ États-Unis (ÉU) se fait-il dans le cadre d’une concurrence
stratégique, la stratégie d’ami/concurrent est-elle viable sur la durée ? Etc. L'analyse géopolitique
permet de saisir combien le thème de la puissance reste au cœur des relations internationales
comme le pouvoir est au cœur de la réflexion sur les sociétés internes ; au sein de l'espace
mondial, compétition et conflits ne disparaissent pas : « ce sont les conflits qui définissent les
territoires, structurent l'espace, consolident les groupes, justifient les loyautés et les sacrifices,
portent aux échanges, aux complémentarités, aux équilibres vitaux ». Malgré la mondialisation,
un affaiblissement relatif de certains États et l’ouverture des frontières, la puissance demeure
donc un ressort essentiel pour saisir le maintien ou l'évolution de la situation des acteurs
géopolitiques. Il existe une stratégie durable de recherche d'influence nationale de la part des
grandes et moyennes puissances qui s'inscrit dans le temps long de l'histoire. Le corollaire de
cette proposition est que la hiérarchie de la puissance a des conséquences très concrètes dans les
relations internationales et que le rang d'un pays constitue une dimension prioritaire pour les
gouvernements même si elle ne l'est pas toujours pour les opinions publiques.
Deux remarques importantes:
- l'État, malgré les attaques régulières dont il fait l'objet pour qu'il soit déconsidéré en tant
qu'expression primordiale du pouvoir politique, reste bien, et de loin, l'acteur principal dans le
jeu géopolitique, et ce, malgré l'émergence bien réelle d'autres formes d'expression de la
puissance, tels que les multinationales, les organisations criminelles transnationales (OCT), les
formes d'organisations sociales segmentées en réseau (« village mondial » et « citoyenneté
multiple »), etc.
- dans l'analyse géopolitique, il existe une tendance essentiellement américaine qui ne la conçoit
que fondée sur l'opposition Terre/Mer; dans ce cadre, la France symboliserait l'expression
achevée de l'équilibre puisqu'une des caractéristiques premières de la géopolitique de la France
est celle d’une égale répartition des frontières terrestres et maritimes fondatrice d'une des
constantes de la géopolitique française, celle de la recherche permanente entre équilibre
continental et puissance maritime et entre chacune de ces frontières.
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Les écoles
Allemande
La géographie politique est née en Allemagne avec Friedrich Ratzel très marqué par Darwin et le
terme de « géopolitique » est un néologisme forgé en 1900 par le juriste suédois Rudolph Kjellen
(1864-1922) dans la revue Ymer. Kjellen a écrit un ouvrage qui s’intitule L’Etat comme forme de
vie en 1916. Il définit la géopolitique comme « la science de l’État en tant qu’organisme
géographique, tel qu’il se manifeste dans l’espace ».
Dans la jeune nation allemande du second XIXe siècle, celle de Bismarck (1862-1890) et de
Guillaume II (1890-1918), les premiers fondements d'une forte pensée géopolitique germanique,
(Geopolitiker), vont apparaître et se développer.
- Friedrich Ratzel (1844-1904) reste marqué lors de son voyage aux États-Unis en 1873 par la
découverte d'un pays aux larges espaces et en plein développement. Titulaire des chaires de
géographie de l'Université de Munich (1876) puis de Leipzig (1886), membre de la Ligue
coloniale et de la Ligue pangermaniste (1891), Ratzel est influencé par Spencer et Darwin. Il
développe ainsi un Darwinisme spatial et une «bio-géographie» qui assimile les États à des êtres
vivants, tel un Organicisme. De plus, Ratzel fonde sa pensée sur un certain déterminisme
spatial, « Un peuple doit vivre sur le sol qu'il a reçu du sort, il doit y mourir, en subir la loi »,
qui pousse l'État à se développer et s'enraciner dans l'espace en obéissant à une dynamique
organique qui vise à « s'assurer une vie indépendante » à avoir la maîtrise des ressources
(matières premières, techniques...); l'État est donc l'acteur d'une lutte pour l'espace (Kampf um
Raum) et la puissance dépend de la croissance spatiale des États : «Il est dans la nature des États
de se développer en compétition avec les États voisins, l'enjeu consistant la plupart du temps en
territoires » pour gagner un espace vital (Lebensraum). Selon Ratzel, L'Allemagne doit être une
«puissance mondiale » (Weltmacht) et il est un pangermaniste convaincu.
Oeuvres: Etudes sur les espaces politiques (1895); État et sol (1896); Géographie politique
(1897)
- Karl Hausofer (1869-1946) est le théoricien de la puissance continentale. Officier, révolté du
Diktat que, selon les responsables allemands, le traité de Versailles a fait peser sur leurs pays, il
sera de 1919 a 1939 professeur de géographie, créateur de La Revue de Géopolitique,
conférencier dont l'audience ne cesse de croître et se liera d'amitié avec Rudolf Hess qui le
présente à Adolf Hitler lequel pour Hausofer va incarner dans les premières années, l'homme
qui rattache les minorités allemandes à la mère-patrie et qui anéantit les injustices crées par le
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traité de Versailles. Cependant, Hausofer est un national-conservateur, représentant typique de
l'Allemagne wilhelminienne la plus traditionnelle plutôt qu'un nazi. Le fils de Hausofer,
Albrecht, impliqué dans l'attentat contre Hitler du 20 juillet 1944 est arrêté et exécuté en avril
1945. Hausofer est arrêté par les forces américaines et convoqué au tribunal de Nuremberg a
titre de témoin. Il se suicide en compagnie de son épouse, d'origine juive, le 10 mars 1946.
Sensible aux questions démographiques, Hausofer, pensant le monde à travers de grands
ensembles, souhaitait rassembler les Allemands dans un seul État et donner à l'Allemagne un «
espace vital. Il a également forgé le concept des pan-idées (Pan-Ideen) ayant «pour objet l'unité
géographique, ethnique ou civilisationnelle d'une communauté humaine.
Oeuvres: Dai Nihon (1912); Les frontières (1939); et les nombreux textes publiés dans La Revue
de Géopolitique (fondée en 1924)
Anglo - saxonne
La géopolitique anglo-saxonne s’est construite en s’ouvrant sur des problématiques davantage
« contemporaines » et « d’ampleur mondiale », ordinairement laissées en friche par les
géographes eux-mêmes : celles ayant trait à la politique des États et à leur influence réciproque,
au droit international public, aux relations diplomatiques, à la sécurité et à la défense, aux
rapports de puissance dans le monde. L’aspect normatif, juridique y occupe une place essentielle,
nous y reviendrons.
Cette école, (Geopolitics), présente donc la particularité d'être très influencée par la stratégie et
les relations internationales.
Il s’agit aussi de traiter de l’action des différents organismes internationaux tels l’Otan, l’UE,
l’ONU, l’OMS, l’OMC et bien d’autres sur la planète avec la prise en compte de ce que l’on
pourrait appeler « les règles du jeu» appliquées à l’espace, dans leurs aspects qualitatifs et
quantitatifs :
- le rôle des juridictions internationales (délimitation de souveraineté territoriale ou le thème
permanent de la frontière) ;
- Les modalités de passage et de circulation dans le monde (détroits, archipels, survol de
territoires) ;
- Les réglementations diverses éventuellement des opinions attitudes et comportements (pacte de
non-agression, traité d’assistance, accords militaires, alliances diplomatiques, restriction de
déplacement, différents frontaliers, contentieux historiques, etc.), avec une approche
normativiste outrée. La promotion de l’action des hommes, des organismes, des sociétés
concerne les procédures du choix (politique idéologiques, économique, militaire) des acteurs de
la décision (gouvernements, états-majors, instances internationales, lobbys) et des lieux et des
temps d’application (conventions décennales, zones démilitarisées, aires d’influences, eaux
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territoriales, espace aérien, territoire-tampon, no man’s land glacis stratégiques, etc.), selon un
certain nombre de caractéristiques de la relation du droit et/ou de la force. De la sorte se profilent
les dynamiques territoriales terre-air-mer avec une approche « internationaliste » et en termes de
puissance telles que les étudient les géopoliticiens anglo-saxons habituellement.
Le danger en est la systématisation d’une analyse globale avec une lecture du monde simplifiée
et ambiguë.
- Alfred Mahan (1840-1914), élève de l'école navale d'Annapolis, a pu constater le rôle décisif
de l'élément maritime durant la guerre de Sécession (blocus) à laquelle il a participé. Dans son
ouvrage The Influence of Sea Power upon History, l'amiral Mahan oppose les "puissances
continentales" aux "puissances maritimes". Les États insulaires échappant aux convoitises de
leurs voisins continentaux, peuvent y bâtir une puissance reposant sur la domination des mers.
Mahan invite ainsi les États-Unis à imiter l'exemple britannique et préfigure ainsi la puissance
navale américaine au XXe siècle, en
- s'associant avec la Grande-Bretagne pour le contrôle des mers;
- contenant la puissance allemande dans les terres et l'empêcher de prendre le contrôle des mers;
- coordonnant la défense des Européens et des Américains contre la puissance eurasiatique (c'est
une sorte de préfiguration de l'O T A N);
- disposant de bases dans le monde entier pour la projection rapide des forces
- Julian Corbett (1854-1922), professeur au Naval War Collège puis à l'université d'Oxford, a
cherché à adapter les thèses de Clausewitz à l'élément marin en élaborant une stratégie navale
qui se focalise sur le contrôle des lignes de communication et dont l'objectif premier est la
liberté de circulation maritime.
Oeuvres: Le Pamphlet vert (The Green pamphlet - 1906); Principes de stratégie maritime (Some
Principles of Maritime Strategy - 1911).
- Haltford J. Mackinder (1861 -1947) enseignant à oxford et homme politique, publie en 1904
son article fondamental "Le pivot géographique de l'Histoire". Mackinder fait le constat de la
permanence de l'opposition entre les puissances terrestres et les puissances maritimes. Dans un
espace mondial essentiellement maritime, il pense que la puissance appartient à la terre et que
les phénomènes géopolitiques s'organisent autour d'un centre qu'il appelle le "coeur du monde"
ou Heartland authentique pivot situé en Eurasie; "qui contrôle le coeur du monde, commande à
l'île du monde, qui contrôle l'île du monde commande au monde". Le Heartland n'est pas un
invariant géopolitique, il est le produit de l'histoire. Autour du Heartland, on trouve :
1/ le croissant intérieur (inner crescent), ceinture protectrice du Heartland (vide hostile, chaîne
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de l'Himalaya, déserts de Gobi, du Tibet et d'Iran).
2/ Á la périphérie de ce croissant intérieur figurent les Coastlands, les régions côtières où se
trouve la majorité de la population mondiale : Europe, Arabie sous-continent indien, Indochine,
Chine maritime.
3/ Au bord des Coastlands se dressent les îles du croisant extérieur (outer crescent): la Grande Bretagne et le Japon (offshore islands).
4/ L'ultime demi-cercle est composé des îles de la périphérie (outlying islands) : les Amériques
et l'Australie
Mackinder exprime l'inquiétude de la Grande-Bretagne maritime face à une puissance
continentale hégémonique ce que révèle l'étude des deux dernières guerres mondiales: Première
guerre mondiale: affrontement des puissances maritimes (Grande-Bretagne et France) alliées à
la Russie face à l'Allemagne continentale et si Guillaume II avait gagné, elle se serait emparée
de l'hégémonie continentale; Deuxième guerre mondiale: l'Allemagne tente d'obtenir
l'hégémonie continentale d'abord par sa brève alliance avec Staline (23 août 1939-22 juin 1941),
puis par l'invasion de l'URSS.
- Nicholas John Spykman (1893 -1943) Professeur à l'Université de Yale au département des
relations internationales, considère que la géographie est "le déterminant le plus fondamental
dans la formulation d'une politique nationale, car il est le plus permanent… Ainsi la géographie
est-elle responsable de nombre de luttes qui se perpétuent à travers l'Histoire, alors que passent
gouvernement et dynasties". Les exemples russe, accession vers les mers chaudes, et américain,
dont l'insularité les met à l'abri des conflits majeurs et leur permet la projection de puissance,
sont ainsi mis en avant. Spykman va définir le Rimland qui comprend les "terres du bord":
- l'Europe côtière
- les déserts d'Arabie et du Moyen-Orient
- L'Asie des moussons est séparée par le Tibet et l'Himalaya
Le Rimland est une région intermédiaire entre le Heartland et les mers riveraines, et qui doit
combattre à la fois la puissance du Heartland que celle des îles et continent extérieurs; c'est une
zone d'affrontement entre les puissances de la terre et celles de la mer. Le Rimland est donc un
enjeu vital, mais hétérogène :
- l'Europe côtière s'offre aux invasions venues du Heartland
- le Moyen-Orient est une carrefour de routes venues de l'Ouest (Turcs et Mongols), du Sud
(Arabes) et de l'Ouest (Croisés et colonisateurs européens).
- L'Asie des moussons est séparée du Heartland par de puissants obstacles naturels comme le
Tibet et l'Himalaya, mais il existe des points de passage comme la célèbre passe de Khyber qui
est la grande voie d’invasion des Indes depuis Alexandre le Grand.
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Oeuvres: America's Strategy in World Politics (1942); The Geography of Peace (1911).
- Hans Morgenthau (1904-1980) fait paraître Politics among Nations (1948) qui considère les
rapports entre États essentiellement fondés sur la force; c'est l'expression du courant "réaliste".
- Colin Gray, Professeur de relations internationales et de stratégie, pense que l'antagonisme
américano-soviétique de la seconde moitié du XXe siècle est la reprise du séculaire
affrontement entre la mer et la terre, entre le Rimland (États-Unis, Europe, Asie maritime) et le
Heartland (Urss). La dimension géopolitique de cet affrontement n'est pas abolie par le fait
nucléaire qui augmente les capacités de destruction, contracte le temps et l'espace et déplace les
conflits vers la zone du Rimland.
- Henry Kissinger, conseiller des présidents Nixon et Ford, relance en 1977 l'expression de
"Géopolitique" suivi par le conseiller du président Carter, Zbignew Brzezinski, qui, dans son
livre The Great Chessboard (Le grand échiquier), préconise de refouler le Russie sur ses
marches à condition de s'assurer le contrôle de la Mer Caspienne et de l'Ukraine. La
désintégration de la Yougoslavie jusque dans l'indépendance du Kosovo, le soutien à la Turquie
et à l'Albanie, la présence en Asie centrale ainsi que l'accession à l'Otan des pays de l'Europe
centrale et orientale font partie d'un processus allant dans ce sens.
Française
Le schéma français utilise largement les données de géographie physique (position de l’État
dans le monde et notamment position par rapport aux voisins, aux accès maritimes) et humaine
(la représentation que les peuples se font de leur situation géographique, démographie, culture
de résistance, degré d’unité, de cohésion sociale, etc.). L’école française de géopolitique observe
et analyse les relations des sociétés humaines avec le territoire sur lequel elles vivent et se
développent. Ayant pour objet l’analyse la plus exacte possible de l’environnement dans lequel
les décisions politiques sont prises, elle considère que la géopolitique prend en compte
l’ensemble des préoccupations des acteurs en présence. La géopolitique touche à la double
dimension, interne et externe, des politiques conduites par les nations. Cette géopolitique,
influencée plutôt par la géographie humaine, se distingue donc d’un certain déterminisme
physique anglo-saxon (surtout allemand - vr. la notion d’« État organique ») par la prise en
compte de l’activité de l’homme multipliant les possibilités géopolitiques et mettant en œuvre
dans un sens ou dans un autre les potentialités diverses de l’espace géographique. Elle se
distingue également de l’école anglo-saxonne portée à relativiser la dimension géographique des
territoires pour des réflexions spatiale des grands espaces,
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- à partir d’évènements et de phénomènes mondiaux marquant (la décolonisation,
l’internationalisation des échanges, la suprématie économique des États-Unis, de l’Allemagne et
du Japon, la guerre froide et la logique des blocs, la pression démographique en Afrique et le
sous-développement, les narco-économie et le sida, l’éclatement de l’empire soviétique, les
représentations stratégiques américaines : la fin de l’histoire (Fukuyama), la mondialisation
heureuse puis le conflit de civilisation (Huttington)
- et selon les idéologies du moment (les impérialismes successifs, le capitalisme et le
communisme, le Tiers-monde, les religions à vocation de fusion avec le temporel, etc.).
La géopolitique anglo-saxonne est très portée à se définir comme la « théorie de l’action dans
l’espace politique », elle préfère l’approche macrocosmique par rapport au géographe se
tournant vers celle plutôt microcosmique. L’angle d’étude plutôt français est celui selon lequel
les géopolitiques internes et externes des États peuvent être expliquées par des lignes continues
issues de la géographie, de l’identité et des géo-ressources.
En matière de géopolitique, les données de base à prendre en compte ressortent surtout, selon
l’école française, de la géographie
* physique : qui étudie, selon des ensembles spatiaux de différents ordres de grandeur, l’étude
des formes du relief (géomorphologie), des sols, des eaux (fluviales ou océaniques), des climats,
de l’évolution et de la répartition des espèces, etc.
* et humaine : c’est-à-dire celle qui traite de la population entendue dans ses phénomènes de
répartition territoriale, de croissance démographique et de ses implications migratoires.
La géopolitique intègre la géographie sociale de l’espace donné, qu’il s’agisse des conséquences
spatiales des inégalités sociales notamment dans les villes, de phénomènes de ségrégation, de
sous-intégration urbaine de ghetto, etc.
S’y ajoutent les approches de géographie politique (spatialité des différentes catégories de
phénomènes politiques tels que la localisation de la capitale (centralité ou non, etc.), les
subdivisions territoriales, administratives, les types de frontières, la géographie électorale, etc.).
Ainsi que des considérations de géographie économique, des répartitions de population
urbaine/agricole, etc.,
Et de géographie culturelle, etc.
Á la suite des grands géographes français du début du siècle, et de la glaciation de son
enseignement en France après la Deuxième guerre mondiale, le regain pour la géopolitique date
des années 1970 et 1980. Le renouveau de l'analyse géopolitique française sera le fait tantôt de
militaires, de spécialistes de relations internationales se plaçant dans la ligne d'une analyse
réaliste des rapports de puissance entre les États que de géographes associant leur discipline aux
rapports de pouvoirs. L'on peut citer le père de la doctrine française de la dissuasion nucléaire,
le général Pierre-Marie Gallois, fondateur avec Marie-France Garaud, de la revue Géopolitique,
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le géographe Yves Lacoste, professeur et fondateur de la revue Hérodote, et Aymeric
Chauprade, magistral analyste géopolitique, universitaire, conférencier et auteur à succès,
directeur de l'enseignement de géopolitique à l'Ecole de guerre (CID) et fondateur de la Revue
française de géopolitique. Le relais le plus récent étant assuré à l’heure actuelle par la collection
Major - Géopolitique aux éditions PUF dirigée par Pascal Gauchon, auteur d’analyses
géopolitiques de la France et à l’échelle mondiale ainsi que fondateur d’une revue de
géopolitique française incontournable vendue en Kiosque : Conflits.
Oeuvres:
Pierre-Marie Gallois, Géopolitique. Les voies de la puissance, Plon rééd. L'Age d'Homme
(1994-2000).
Yves Lacoste, La géographie, ça sert d'abord a faire fa guerre (1973); (dir.) Dictionnaire de
géopolitique, Flammarion (1995)
Aymeric Chauprade, Géopolitique. Constantes et changements dans l'histoire, 3e rééd. augm.
(Ellipses, 2007); (en coll. F. Thual), dictionnaire de géopolitique (Ellipses, 1998)
Pascal Gauchon, La Géopolitique de la France, Paris, coll. « Major », PUF
Pascal Gauchon (dir.), Manuel de Géopolitique et de géoéconomie, Paris, coll. « Major », PUF
On peut également citer certaines écoles géopolitiques particulières:
- Russe
- sud-américaines, (Geopolitica) surtout brésilienne mais aussi argentine et chilienne;
- asiatiques, japonaise à destination externe (sphères) et chinoise introvertie (les trois cercles).
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