Odilon Demers - Un homme avait deux fils

Transcription

Odilon Demers - Un homme avait deux fils
UN HOMME AVAIT DEUX FILS Luc 15,12
ODILON DEMERS SMM
U
ne histoire humaine pour faire comprendre quelque chose de
divin. Afin de bien saisir de quoi et de qui veut parler Jésus, il
faut lire d'abord les premiers versets du chapitre 15 de Luc: «Les
collecteurs d'impôts et les pécheurs s'approchaient tous de Jésus pour l'écouter. Les pharisiens et les scribes murmuraient : "Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux"! » (Luc 15,1 et 2). C'est
ce double auditoire qui inspire la parabole. Les frères ennemis: Caïn et Abel, Esaü et Jacob, Le pharisien (Je ne suis pas comme les autres) et le publicain (Je ne suis qu'un pécheur), le bon et le méchant des
contes pour enfants. Il ne faut pas oublier cependant qu'en tout individu on trouve un mélange de ces
oppositions. C'est pourquoi dans la parabole qui nous intéresse, il y a de l'espoir pour les deux fils.
Un homme avait deux fils.
L'homme représentant Dieu, les deux fils représentant toute l'humanité, les trois personnages sont donc plus grands que nature.
Un homme avait deux fils. Un homme, un PÈRE, un riche propriétaire. Le fils cadet atteint enfin sa majorité, et sans arrière-pensée, sans délicatesse aucune - depuis si longtemps qu'il y pense - il
veut profiter de la liberté totale à laquelle il a droit. Le matin de son anniversaire comme il ne tient pas à
fêter en famille, la première chose qu'il fait, c’est de revendiquer sa part d'héritage, effrontément. Est-ce
vraiment légal? Pas certain, mais il n'en n'a cure. Surprise ! Le père consent sans objection. Et le fils ainsi "armé" part pour vivre sa vie en chantant aussi fort qu'il le peut, agressivement. Pas d'adieux à personne. Il vient de couper les ponts avec son passé, sa famille, tout, il est son propre maître. La vie commence, la vie est belle!
Comment vit-il cette vie de rêve?
L'histoire ne s'attarde pas sur les détails. À chacun d'imaginer ce qu'il voudra, comme le fera le fils aîné. Dure-t-il longtemps ce rêve? Chose certaine, le réveil est
brutal. Les amis de sa fortune ne sont pas ses amis. Il réalise vite que sa vie est aussi vide que sont devenus son gousset et son assiette et qu'il a besoin de quelqu'un d'autre pour survivre et vraiment vivre. Il
est tombé au-dessous du seuil de la pauvreté, et pas seulement au point de vue monétaire, sa vie n'a plus
de sens. Il lui fallait ce passage à vide pour commencer à réfléchir. Après tout, va-t-il se dire, la vie à la
maison n'était pas si mal. Il est même prêt à y retourner comme employé... si son père le permet. Décidément, il ne connaît pas son père!
En revenant vers la maison paternelle il ne chante plus, mais il réfléchit, surtout
il se voit, il revoit la dernière image qu'a laissée son aventure : garder des cochons, l'animal le plus impur qui soit à l’époque. Et qui, pourtant, était bien mieux nourri que lui. Il se sent tout sale et puant. Et
humilié. Comment se présenter devant la famille? Comment sauver la face... au moins un peu. Il ne
pense qu'à lui-même, il veut vivre, même si c'est au rabais. Il imagine bien son père, mais seulement
pour se demander quelle sera sa réaction. Comment l’accueillera- t- il ? Il ne pense pas encore au chagrin qu'il lui a causé, à l'amour paternel qu'il a bafoué, à la souffrance dont il est responsable.
Le père, lui, comment a-t-il vécu cette absence, cette fuite?
Un homme meurtri, rejeté sans raison valable. Comment vit-il l'absence, la disparition d'un fils aimé? Il n'y a pas de pire souffrance que l'absence violente, non annoncée, non prévue, pour aller où? Le père ici n'éprouve pas de colère, simplement de la souffrance à l'état pur. Et un manque, un vide. Et l'autre fils, qui vit dans la même
maison mais qui est aussi ailleurs … Les repas silencieux, sans contacts, sans intérêts communs. Le
vide, je vous dis. Les jours sont longs. Un père avait deux fils, un père n'a plus de fils.
Je le vois passer de longues heures sur le toit plat de sa maison, scrutant la route qui meurt dans le lointain... comme le fils. Il ne voit rien revenir. Il regarde dans une autre direction, son autre fils, il le
voit bien, mais il ne voit qu'une coquille vide, il n'y a rien à l'intérieur. Il fait bien son travail, méthodique à en être ennuyant, et efficace, mais sans véritable amour. Le fils sédentaire rumine des rancœurs,
des faims inassouvies, mais il est pris par le seul démon de l'efficacité, du rendement et du bien-paraître.
Et probablement de la jalousie. Naturellement cela ne le mène a rien lui non plus.
Un jour... bien oui, un jour une tache apparaît dans le lointain incertain. Une tache
approchant, lentement, si lentement, trop lentement. Le cœur a reconnu avant les yeux. Le père déboule
dans l'escalier et court plus vite que peuvent le mener ses vieilles jambes. Sans un mot, il saute au cou de
la loque sale et puante qui cache son fils revenu, retrouvé. Le fils essaie de parler mais bafouille, Il comprend qu'il est pardonné. Il est revenu, c'est aussi simple que ça. Un bon bain chaud, avec beaucoup de
savon odorant, des vêtements propres, et un peu grands, il a tellement maigri. Et que la fête commence!
L’autre fils, médusé, entend des rires, de la musique
: phénomène absent depuis longtemps dans la triste maison -- et un brouhaha indécent. «Il est devenu fou!» Devenir fou à cause d'un
bon-à- rien... Et il tourne le dos pour aller nourrir sa rancœur: «Son fils, un paresseux, un sans-cœur, un
"gaspilleux", un irresponsable. Et le père tellement bonasse. Il l'a toujours laissé faire à sa tête; on voit
où ça l'a mené. Qu'est-ce que le monde est en train de devenir!»
Mais le père l'a vu venir aussi cet autre fils absent autrement. Encore une fois il accourt, va-til le retrouver celui-là? La première réaction du fils …C'est l'usage de la parole qu'il retrouve, et comment! Il se défoule. Tout ce qu'il a emmagasiné pendant des années sort à torrents. Le père écoute, et
finalement ne peut s'empêcher de sourire: « Je ne savais pas que tu pouvais parler, je te croyais muet à
jamais et cela me faisait de la peine. Ton frère est revenu, il est vivant et toi tu as recouvré la parole.
Pourquoi tu ne viens pas fêter avec nous ? »
Le fils aîné est décontenancé par une telle réaction. Il ne trouve plus rien à dire. Le
père insiste: «Je n'avais plus de fils, je suis redevenu père ; tu n'avais plus de frère, tu en as un de nouveau et ton frère aussi en a un. Viens fêter avec nous..»
Jésus ne donne pas de fin à sa parabole et Luc, non plus, n'a pas voulu en donner. Comment pourrais-je
en donner une à ma traduction. La porte reste ouverte et l'espérance est de mise. Une bonne histoire doit
toujours bien finir. Et Dieu seul est parfaitement, infiniment bon.
Odilon Demers, smm
le 12 mars 2007

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