fiche pedagogique virtuelle titre de la seance : les temps

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fiche pedagogique virtuelle titre de la seance : les temps
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Fiche à jour au 3 Mars 2010
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Matière :Histoire du Droit
Auteur :David FRAPET
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Date de création du document : année universitaire 2009/2010
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I) L’émergence d’un Empire en Occident
La chute de l’Empire romain d’Occident en 476, avait laissé
un grand vide civilisationnel dans l’ancienne aire romaine. La
disparition de l’ordre juridique romain n’avait pas pour autant
permis l’apparition de nouvelles institutions. L’abandon de
l’entretien des routes et des bâtiments publics, mais aussi la
destruction des circuits économiques romains, avaient
provoqué la paupérisation croissante de l’Occident. De
multiples royaumes, gouvernés par des principicules, étaient
apparus sur les ruines de l’Empire des Césars, mais de ce
chaos allait pourtant surgir une nouvelle entité politique
organisée par la volonté de quelques hommes déterminés à
reconstruire.
A) Un Empire né de la conquête.
L’Empire carolingien est le produit de l’irrésistible ascension
politique des Maires du Palais, personnages qui exerçaient les
plus hautes fonctions administratives dans les Cours
mérovingiennes, et d’une entreprise militaire de très grande
envergure. L’Empire carolingien est une œuvre de volonté.
1) L’irrésistible ascension du Maire du Palais.
De Pépin de Landen à Charles Martel, on assiste à une montée
en puissance politique de la fonction de Maire du Palais au
sein de la haute administration mérovingienne.
a) de Pépin de Landen à Charles Martel
Dès le 7e Siècle, le Maire du Palais (Major Domus) détient la
réalité du pouvoir dans les royaumes mérovingiens de
Bourgogne, de Neustrie et d’Austrasie. Pépin l’Ancien,
autrement appelé « Pépin de Landen », occupa pendant 20 ans
la Mairie du Palais d’Austrasie sous les règnes de Clotaire II et
de son fils Dagobert. Le petit fils de Pépin de Landen, nommé
Pépin de Herstahl (ou d’Heristal) par les historiens, battit
3
4
militairement les neustriens à Tertry en 687 et étendit son
autorité sur les Maires du Palais de Neustrie et de Bourgogne.
Il inaugure la tradition selon laquelle le Maire du Palais
d’Austrasie est aussi celui des deux autres royaumes francs.
Après la mort de Pépin de Herstahl en 714, le royaume franc
connaît une courte période de chaos politique, jusqu’à ce que
Charles Martel, (fils bâtard de Pépin et d’Alpaïde), après de
brillants succès militaires contre les Neustriens, les Frisons,
les Saxons (720) et les Aquitains (724), s’empare de la charge
de Maire du Palais des trois royaumes francs.
Il gouverne sous l’autorité purement formelle du jeune roi
mérovingien Thierry IV, fils de Dagobert III. Charles Martel
impose alors son autorité aux Bavarois, aux Alamans, aux
Saxons et aux Frisons. Il écrase l’armée musulmane de l’émir
d’Espagne Abd Ar Rahmane aux abords de Poitiers en 732,
puis ramène à l’obéissance les Bourguignons, les Aquitains et
les Provençaux entre 733 et 736.
A partir de 737, date de la mort du mérovingien Thierry IV qui
n’aura pas de successeur, Charles Martel se comporte en
véritable monarque du royaume des Francs. Il sécularise
également les biens de l’Eglise.
En 741, Charles Martel partage son royaume entre ses fils. A
Carloman l’Austrasie, les territoires Alamans et la Thuringe ;
à Pépin la Bourgogne, la Neustrie et la Provence. En 743,
Carloman et Pépin rétablissent une fiction de royauté
mérovingienne, en la personne de Childéric III. Ce « roi »
signe d’ailleurs ses actes officiels de la manière suivante : «
Childéric, roi des francs, à l’éminent Carloman, Maire du
Palais qui nous a établi sur le trône » ( !) (‘’Charlemagne et
l’Empire carolingien’’, Louis Halphen, Albin Michel, 1947, p
18.)
b) La fin de la fiction de royauté mérovingienne.
En 747, Carloman se démet de toutes ses fonctions et se retire
dans un couvent. Demeuré seul Maire du Palais, son frère
Pépin (dit « le Bref »), met fin au simulacre de royauté
mérovingienne. Il relègue Childéric dans un couvent, puis
pour légitimer son coup d’Etat, Pépin le Bref se fait
4
5
reconnaître roi par une assemblée de guerriers et de Grands,
réunie à Soissons.
En recevant l’onction sainte de l’Evêque Boniface, légat du
Pape, Pépin le Bref inaugure la tradition du sacre des rois de
France.
Après avoir consolidé l’influence franque en Italie, assis
l’autorité des Carolingiens en Gaule, en Aquitaine et en
Germanie, Pépin décède en 768. C’est alors que son fils
Charles, né en 742, le futur Charlemagne, entre dans
l’Histoire.
L’ascension politique de Charlemagne jusqu’à l’Empire,
constitue l’aboutissement de l’irrésistible marche des Maires
du Palais carolingiens vers le pouvoir entre 620 et 747.
Pépin le Bref, père de Charlemagne, avait partagé par
testament son royaume entre ses deux fils, Charles et
Carloman. Ce partage du royaume des Francs en deux aurait
logiquement du anéantir les espoirs de la création d’un grand
royaume à direction unique ; toutefois, la mort de Carloman en
771 permit à Charles de réunifier les territoires hérités de son
père.
Le génie politique de Charlemagne consista à déployer une
intense activité militaire dans tous les territoires où était
contestée sa suprématie, tout en menant simultanément une
politique pragmatique d’assimilation des populations
conquises. Charlemagne a également consolidé et agrandi son
Empire, en acceptant l’existence de royaumes-satellites
formellement indépendants, mais en réalité contrôlé par le
pouvoir carolingien (Aquitaine , Bavière).
2) Les grandes campagnes militaires du règne de
Charlemagne.
Le règne de Charlemagne (768-814), est marqué par la
permanence d’une intense activité militaire sur un territoire
s’étendant de la Bretagne à la Thuringe et du Danemark à
l’Espagne du nord. Les campagnes militaires victorieuses
conduites par les Francs et leurs alliés entre 769 et 806, vont
faire de Charlemagne le maître de l’Occident.
5
6
-La conquête et la soumission de la Saxe.
Dès 769, Charlemagne entame la pacification de l’Aquitaine,
territoire qui sera toujours plutôt rétif à la domination
carolingienne. De 781 à 787, l’armée franque assied sa
domination sur la Bavière. La conquête de la Saxe à partir de
772 constitue un moment particulièrement important dans
l’histoire de l’épopée carolingienne. Les Saxons, païens
endurcis, représentaient le principal danger aux frontières
carolingiennes. De la conquête de ce pays et de la réelle
soumission de ses populations, dépendait la survie de la
royauté franque. C’est probablement cette lutte pour la survie
qui expliqua la longueur et la violence de la guerre. De 772 à
774, les armées franques ne font guère de progrès dans ce pays
qui leur est même particulièrement hostile. Elles ne peuvent
qu’y installer quelques garnisons ; en 776, après une nouvelle
révolte saxonne, les armées franques obtiennent la soumission
des saxons à Padderborn. Pourtant, en 778, le terrible chef
saxon Widukind hisse l’étendard de la révolte et parvient
même à bousculer les Francs en Hesse. Les ripostes
carolingiennes de 779 et 780 ne font que rétablir un ordre
précaire. En 782, l’armée carolingienne qui traversait la Saxe
pour aller se battre contre les Sorbes, est décimée par les
Saxons et une trentaine de hauts personnages de l’Etat trouve
la mort dans cette embuscade. La riposte de Charlemagne est
terrible : Il envahit ce territoire rebelle et fait exécuter 4500
prisonniers. Le chef Widukind ne trouve son salut que dans la
fuite, mais de 783 à 785, les insurrections saxonnes se
multiplient et Charlemagne entame une nouvelle campagne en
785 qui aboutit à la soumission de Widukind et même à sa
conversion au christianisme. La même année, c’est la Frise qui
est soumise. Entre 785 et 793, la Saxe vit sous la terreur
carolingienne : Peuvent être punis de mort les Saxons qui
refusent le baptême, ou simplement perturbent un office
religieux. Ces mesures d’une sévérité extrême déclenchent un
ultime soulèvement de la population saxonne en 793. Il n’est
réprimé réellement et définitivement qu’en 797, après de
furieux combats et la prise de 20 000 otages Saxons. Mais,
vainqueur magnanime, Charlemagne annule les mesures les
plus coercitives prises entre 785 et 792 et un calme relatif
s’installe enfin dans cette contrée difficile. Il faut cependant
attendre 804 pour pouvoir parler d’une pacification définitive
6
7
de la Saxe, avec à cette date la soumission effective des
régions de la Saxe du nord. Les carolingiens auront donc mis
33 ans pour pacifier et intégrer pleinement cette province dans
l’Empire.
Les Francs procèdent également à la conquête des provinces
slaves qui formaient leur frontière orientale au delà de la Saxe.
-La soumission des peuples slaves.
Dans le sud, les Francs s’appuient sur la Carinthie qui semble
constituer le terrain le plus favorable à la pénétration
carolingienne, du fait de sa proximité avec la Bavière. Dans le
nord, Charlemagne s’appuie à partir de 780 sur les Abodrites,
petit peuple menacé par les Wilzes, les Saxons et les Danois et
qui cherche le soutien des carolingiens pour survivre. Les
Abodrites deviendront les plus fidèles gardes-frontières de
Charlemagne à la fin du 8ème Siècle. En 811, la paix est
conclue avec le Danemark et dès 808, les carolingiens entrent
en conflit avec les Linons pour 10 ans. De 789 à 812, les
carolingiens sont en conflit avec les Wilzes. L’année 812
marque leur soumission finale, mais comme pour les
Abodrites ou les Linons, jamais Charlemagne ne leur imposera
la conversion au christianisme. Le territoire des Sorbes est
envahi et dévasté en 806. Après une nouvelle révolte en 816,
les Sorbes deviennent de fidèles serviteurs de l’Empire
carolingien. C’est à peu près à la même période que fut
obtenue la soumission des Tchèques.
Il nous faut toutefois insister particulièrement sur la conquête
du pays des Avars. Venus d’Asie, ce peuple occupait un vaste
territoire dans la vallée du Danube, sur la zone de l’actuelle
Hongrie. Ils étaient gouvernés par le « Kaghan », un chef de
guerre sous l’autorité duquel, chaque année, ils mettaient leurs
voisins au pillage. Les Avars avaient ainsi amassé d’immenses
trésors, qu’ils entreposaient dans le « Ring ». Pour faire cesser
les incursions des Avars dans les territoires contrôlés par les
Francs, Charlemagne entame une vaste campagne militaire
contre eux en 791. Mais il lui faut attendre 795, date à laquelle
un chef dissident Avar, lui livre le « Ring ». Ainsi, non
seulement le pays est conquis, mais les trésors du « Ring »
tombent entre les mains des armées de Charlemagne. C’est
cependant à partir de 811 que les Avars deviendront un peuple
vassal des Francs, avec la conversion au christianisme du
Kaghan.
7
8
Si Charlemagne répandit fortement l’influence franque à l’Est,
il lui fallut également guerroyer contre les musulmans
d’Espagne, mais aussi contre les Bretons.
La lutte contre l’Islam au sud et les peuplades bretonnes à
l’Ouest.
- Face aux incursions musulmanes dans le sud et pour protéger
la chrétienté d’une invasion qui aurait pu étendre l’influence
de l’Islam sur l’ensemble du royaume Franc, Charlemagne
établit dès 778 une marche de défense en Catalogne du nord,
entre les territoires carolingiens et l’Espagne musulmane.
Après avoir pris pieds aux Baléares en 799, c’est Barcelone
qui est enlevée aux musulmans en 801. Les Francs
contiendront le monde musulman au sud des Pyrénées et
placeront leurs territoires hors d’atteinte des incursions
musulmanes, au moins dans un premier temps.
Dans l’Ouest du royaume, la Bretagne représente aussi un
danger potentiel. Au tout début du IXe Siècle, la Bretagne
était encore un territoire qui échappait à l’emprise politique et
militaire des carolingiens. Les mérovingiens n’étaient –eux
non plus- jamais parvenu à conquérir ce pays. Peuple
farouche, les Bretons ne payaient le tribut aux carolingiens
que très irrégulièrement. Vers 775, le célèbre comte Roland
commandait la marche de Bretagne, zone tampon entre les
Bretons et les carolingiens. Il devait mourir assassiné dans une
embuscade tendue par des Basques au col de Roncevaux le 15
Août 778. Depuis sa mort, les désordres avaient repris.
Charlemagne croyait avoir vaincu militairement les Bretons en
786, mais on ne pouvait tout au plus parler que d’un modus
vivendi trouvé entre les belligérants. Ce n’est qu’après
plusieurs campagnes militaires, qu’il devint possible de parler
en 811 d’une réelle intégration de la Bretagne à l’Empire
carolingien. En fait, la Bretagne sera toujours un territoire
rebelle à l’autorité des carolingiens et des expéditions
punitives contre les Bretons auront encore lieu sous Louis le
Pieux après 820.
Dernière conquête d’importance pour l’Empire carolingien, le
royaume des Lombards.
La conquête du royaume des Lombards.
8
9
- La lente et laborieuse conquête du royaume des Lombards
sera réalisée alternativement par les voies diplomatiques et
militaires entre 756 et 787.
En 774, les troupes carolingiennes remportent sous les murs
de Pavie une victoire décisive sur Didier, le roi des Lombards.
Ce dernier se rend « à merci » à Charlemagne, puis est envoyé
en captivité avec son épouse. A partir du 5 Juin 774, dans les
actes officiels, Charlemagne prend le double titre de « roi des
Francs et des Lombards » (Rex Francorum et
Langobardorum).
- Entre 756 et 811, les Francs établissent leur contrôle soit
directement par des annexions, soit indirectement par
l’intermédiaire de rois-vassaux, sur un gigantesque territoire
s’étendant de la Bretagne jusqu’au pays des Avars, et du
Danemark à l’Italie du sud.
Pour l’historien, toute la question est alors de comprendre ce
que les carolingiens ont voulu faire de cet Empire.
B) L’Empire du peuple chrétien.
L’Empire carolingien n’est pas une résurrection de l’Empire
romain d’Occident. L’Empire de Rome s’était construit sur les
valeurs de la « chose publique ».C’était une construction
politique assise fondamentalement sur l’idée de service public,
qui obligeait non seulement tous les citoyens de l’Empire,
mais encore l’Empereur romain lui même, considéré comme le
premier serviteur de tous. Le droit tenait une place
prépondérante dans cette société empreinte d’une évidente
tolérance religieuse. Sous les mérovingiens, les idées de
service public et de collectivité avaient disparu. Pour les
successeurs de Clovis, les dirigeants et fonctionnaires publics
ne sont plus que des vainqueurs qui s’emparent du domaine
public et de ses richesses par la force des armes. La seule
norme juridique en vigueur est le droit du vainqueur. Les
nouveaux maîtres de l’ancien monde romain n’opèrent plus de
distinction entre les biens publics et les biens privés, pas plus
qu’ils n’admettent de différence entre les fonctions publiques
et la gestion privée de leurs domaines. Après la nuit
mérovingienne, les carolingiens ne veulent pas faire revivre
9
10
l’ordre romain, aboli à jamais, mais « construire sur les ruines
du monde antique un monde nouveau, s’inspirant de principes
nouveaux, pour rendre une âme à l’Occident meurtri » (Louis
Halphen, précité, p 5). L’Empire carolingien fut une
construction politique originale, qui oeuvra pour unifier des
territoires et des populations fort disparates, sous l’étendard
unique de la religion chrétienne.
1) Les Francs protecteurs de la chrétienté.
Les carolingiens furent les protecteurs de la chrétienté et de sa
manifestation temporelle, la papauté. Cette protection s’est
avérée d’autant plus indispensable, que les temps étaient
troublés.
a) Des relations complexes avec la papauté.
-Charles Martel en 732 dans les environs de Poitiers, a éloigné
de la chrétienté la menace musulmane. Ce personnage a
d’ailleurs très probablement surexploité sa victoire et il
s’empara de tous les biens de l’église au lendemain de son
triomphe. Toujours est-il que cette victoire contre les
musulmans constitue véritablement la première action d’éclat
d’un carolingien en faveur de l’Eglise. Plus tard, Pépin le Bref
eut besoin de cette même Eglise pour légitimer son coup
d’Etat de Novembre 751 au terme duquel il mit un terme au
règne formel du dernier des mérovingiens, Childéric III. Pépin
avait préparé son coup de force dès 749 en le faisant soutenir
auprès du pape par Burchard et Fulrad, respectivement évêque
de Würzburg et abbé de Saint Denis. Saint Boniface, en
versant l’huile sainte sur la tête de Pépin, avait fait du premier
des carolingiens accédants « officiellement » au trône, l’élu de
Dieu. Dès 754, Pépin promet au pape de rétablir la
souveraineté du Saint Siège sur l’exarchat de Ravenne. Mais
sur quelle base pouvait bien s’appuyer Pépin pour évoquer une
telle restitution de souveraineté ?
C’est là qu’intervient ce que les historiens nomment « la
fausse donation de Constantin ». Cette « donation » dont on a
tout lieu de croire qu’elle fut un faux destiné à légitimer le
pouvoir temporel des papes, stipulait que l’Empereur romain
10
11
Constantin le Grand avait attribué au pontife romain Sylvestre
1er, « la puissance, la dignité, les moyens d’action et les
honneurs impériaux, c’est à dire la primauté sur les quatre
sièges
principaux
d’Antioche,
d’Alexandrie,
de
Constantinople et de Jérusalem, ainsi que sur toutes les églises
de l’univers entier » (Extrait du texte de la « donation » tiré du
livre de Louis Halphen –précité-, p 31). Toujours selon le
texte de cette donation, Constantin ajouta le don à l‘Eglise du
palais du Latran et de l’église Saint Pierre du Vatican, ainsi
que de diverses prérogatives comme celle permettant au pape
de créer des patrices et des consuls. Le texte de la donation
allait encore bien plus loin, puisqu’il accordait à l’Eglise
romaine, « la souveraineté sur la ville de Rome et toutes les
provinces, toutes les localités, toutes les cités, tant de l’Italie
tout entière que de toutes les régions occidentales », et ce, à
perpétuité ! En se référant à cette « donation de Constantin »,
Pépin s’engagea dès Avril 754, lors d’une assemblée tenue à
Quierzy sur l’Oise, à expulser le roi des Lombards, Astolf, des
territoires pontificaux qu’il « occupe irrégulièrement », pour
les « restituer » au pape. Cette promesse de 754 scelle une
communauté de destin entre la papauté et le royaume
carolingien. Il s’agit là d’un contrat synallagmatique passé
entre la royauté franque et la papauté, qui oblige les deux
parties. La partie franque, redevable de la reconnaissance
papale du coup d’Etat de Novembre 751, s’engageait à
réintégrer le pape dans ses prétendus « droits » reconnus par
l’Empereur Constantin. La partie pontificale en retour,
s’engageait de facto à bénir (c’est à dire à appuyer) les actions
politiques et militaires des carolingiens en toutes
circonstances.
Pépin intervient en Italie en 755 et 756, où il finit par battre
militairement le roi Lombard Astolf. Ce dernier, après sa
capitulation, fut forcé de reconnaître la souveraineté de
l’église sur l’ensemble des territoires qu’il avait été contraint
d’évacuer (Bologne, Faënza, Ferrare, Ancône…). Après la
mort accidentelle d’Astof, c’est le roi toscan Didier qui monte
sur le trône d’Italie. Or, trois ans après son accession à la
royauté, les promesses de restitutions territoriales faites à
l‘église et aux carolingiens, n’étaient toujours pas tenues. Un
accord de compromis est trouvé en 766 entre Pépin, Didier et
le Souverain Pontife.
11
12
C’est Charlemagne qui va reprendre l’œuvre diplomatique et
militaire engagée par Pépin en Italie. Il se décide à passer à
l’action militaire face à la mauvaise volonté affichée des
Lombards. Au printemps 773, l’armée carolingienne franchit
les Alpes, puis contraint Didier assiégé dans Pavie, à se rendre
à merci. Nous sommes en Juin 774. Charlemagne victorieux
se doit de réaliser la promesse faite au pape en 754 par Pépin.
Mais il se montre peu empressé de tenir ses engagements. Pire
que cela, il confirme sa souveraineté sur la Sabine et refuse de
rendre au pape le duché de Bénévent . En fait, comme le
souligne Louis Halphen (p 117) : « le transfert de la couronne
de Pavie au roi Franc a donc pour conséquence de faire de lui
l’héritier des prétentions lombardes…Il est tenté maintenant
de considérer l’unité politique de la péninsule, comme une
nécessité absolue, si bien qu’il lui est de plus en plus difficile
de satisfaire aux exigences pontificales ».
L’écheveau était difficilement démélable entre les exigences
territoriales et spirituelles du pape et la sauvegarde des intérêts
politiques des Francs.
b) La difficile recherche d’un juste équilibre
entre les pouvoirs temporels et spirituels.
Charlemagne, qui avait une très haute conception de la
fonction royale, bien que très pieux, n’était pas disposé à
s’effacer politiquement devant la papauté. Ses atermoiements
depuis le début de son règne dans l’affaire des restitutions au
pape des territoires anciennement occupés par le roi Astolf, le
prouvaient. Devenu arbitre de l’Occident, Charlemagne
entendait bien se réserver l’exclusivité du pouvoir temporel et
cantonner la papauté dans la prière. Le roi Franc probablement
secondé par Alcuin, écrit au pape Léon III en 796, une lettre
dans laquelle il déclare notamment : « Je désire établir avec
Votre Béatitude un pacte inviolable de foi et de charité, grâce
auquel…l’apostolique bénédiction puisse me suivre partout et
le très saint siège de l’église romaine être constamment
défendu…par ma dévotion. A moi il appartient avec l’aide de
la divine pitié, de défendre en tous lieux la sainte Eglise du
Christ par les armes : Au dehors contre les incursions des
païens et les dévastations des infidèles ; au dedans en la
protégeant par la diffusion de la foi catholique. A vous, très
12
13
Saint Père, il appartient, élevant les mains vers Dieu avec
Moïse, d’aider par vos prières au succès de nos armes…Que
votre Prudence s’attache en tous points aux prescriptions
canoniques et suivent constamment les règles établies par les
Saints Pères, afin que votre vie donne en tout l’exemple de la
sainteté, que de votre bouche ne sortent que de pieuses
exhortations et que votre lumière brille devant les hommes ».
(Louis Halphen, p 122). Le pape Léon III, fort contesté au
Vatican et victime de fréquentes tentatives d’assassinat, ne
pouvait qu’aller dans le sens de Charlemagne. Le roi Franc réinstalle le pape sur le siège de Saint Pierre à l’Automne 799
après une tentative d’assassinat perpétrée par des opposants,
puis se rend à Rome à l’Automne de l’an 800 pour présider
une assemblée de clercs et de laïcs chargée de se prononcer
sur « divers crimes » reprochés au pape. Ce dernier ressortira
innocenté, mais affaibli politiquement, car pour se laver des
soupçons qui pesaient sur lui, il a du accepter (subir) le
jugement du roi des Francs et des Lombards.
Le 25 Décembre 800, alors que Charlemagne est en train de
prier dans l’église Saint Pierre, le pape s’approche et lui pose
une couronne sur la tête au milieu des acclamations de la foule
qui crie : « A Charles Auguste, couronné par Dieu, grand et
pacifique Empereur des romains ! » ; puis, le pontife se
prosterne devant Charles et l’ « adore » selon un rite qui date
de Dioclétien. Charlemagne est élevé au rang d’Empereur
romain. Il semble pourtant que Charles ne conféra pas à cette
nouvelle dignité impériale une très grande importance. Il ne
voulait en effet pas heurter les sensibilités des dirigeants de
Byzance, qui eux aussi portaient le titre d’Empereur romain,
malgré la vacance du trône impérial survenue par suite de
l’usurpation d’Irène qui avait renversé et fait aveugler son fils
Constantin VI. Charlemagne se contenta donc de faire
renouveler le serment de fidélité de ses sujets et contre toute
attente, procéda en 806 au futur partage de son Empire entre
ses trois fils, selon la coutume franque. A l’aîné, Charles, la
Francia, c’est à dire le cœur du pays franc ; à Pépin, l’Italie, la
Bavière et l’Allemagne orientale ; à Louis, l’Aquitaine, la
Gascogne, la Septimanie, la Provence et la Bourgogne
occidentale. En fractionnant ainsi l’Empire en trois morceaux,
Charlemagne n’ignore pas que l’unité impériale ne sera plus
qu’un souvenir après lui. C’est bien là une preuve que
13
14
Charlemagne ne concevait pas l’Empire comme une forme de
gouvernement définitive.
2) De Louis le Pieux à Charles le Gros et Arnulf. (814899)
Nous venons de voir la complexité des relations qui ont existé
entre l’Eglise et la monarchie franque entre 751 et 800. Les
quatorze dernières années du règne de Charlemagne
s’inscriront dans la continuité de la période précédente.
L’Eglise, cantonnée strictement dans ses fonctions
sacerdotales, ne sera dans l’esprit de Charlemagne qu’un
instrument au service du pouvoir carolingien, une institution
parmi les autres chargée de fonctions administratives et dont
la mission première sera de légitimer en permanence le
pouvoir carolingien. Après la mort de Charlemagne en 814 et
l’accession à l’Empire de Louis le Pieux, les relations entre
l’Eglise et l’Etat vont connaître des bouleversements
successifs au gré des nombreux événements politiques qui
vont secouer l’Empire.
a) La permanence inattendue de l’Empire
carolingien.
Deux des trois fils légitimes de Charlemagne étant morts avant
leur père (Pépin, roi d’Italie en 810, Charles en 811), Louis le
Pieux devint l’unique héritier du trône impérial. L’Empire
était reconstitué par la force des choses. Le long règne de
Louis le Pieux (814-840) allait cependant être agité.
-Au début de son règne, Louis le Pieux donna à l’Empire
carolingien une forte orientation religieuse. Les réformes
morales et le rétablissement dans sa plénitude de la règle
bénédictine, sont deux priorités pour le nouvel Empereur.
Ainsi, citons comme exemple de cette orientation religieuse du
régime, le capitulaire de 819 qui ordonne l’insertion dans les
lois de l’Empire (franques ou autres) de mesures visant à
réprimer les atteintes à la dignité de l’Eglise, comme par
exemple les coups et blessures infligés à des prêtres ou à des
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fidèles, à l’intérieur ou à proximité des édifices du culte. Louis
le Pieux veut aussi assurer la permanence de l’Empire après sa
mort. C’est ainsi que, contrairement à la coutume franque, le
nouvel Empereur favorise son fils aîné, Lothaire, en le
nommant Empereur. Ses deux frères, Pépin et Louis, reçoivent
chacun également un royaume, mais il est bien spécifié qu’ils
gouverneront sous l’autorité de l’Empereur Lothaire. L’idéal
prôné par Louis le Pieux en début de règne, est donc l’unité
chrétienne. Cette volonté d’orienter l’Empire vers un
renouveau chrétien, contribue à renforcer l’influence de
l’Eglise et donc à rééquilibrer les relations entre le temporel et
le spirituel. Enfin, toujours dans les premières années de son
règne, Louis édictera plusieurs capitulaires dont l’objet sera de
procéder à l’unification du droit sur l’ensemble de l’Empire.
Le sommet de la politique religieuse de Louis le Pieux sera
atteint en 822, lors de la célèbre pénitence d’Attigny au cours
de laquelle les plus hauts dignitaires laïcs et religieux, remplis
de contrition, confessèrent publiquement leurs fautes. La
première partie du règne de Louis le Pieux aboutit donc à
renforcer le pouvoir spirituel sans toutefois lui conférer
véritablement une quelconque suprématie sur le temporel,
mais l’installation de Lothaire en Italie dans un semi exil à
partir de 823, contribue en revanche à remettre la papauté sous
la tutelle carolingienne. En Novembre 824, c’est à dire 9 mois
après la mort du pape Pascal 1er, un acte est promulgué pour
définir les rapports entre l’Empire et la papauté.
L’administration pontificale est placée sous l’autorité d’une
commission paritaire composée d’un représentant du pape et
d’un autre de l’Empereur. Cette commission est chargée de
traiter les plaintes portées contre les fonctionnaires
pontificaux. L’acte de Novembre 824 stipule également que
les fonctionnaires pontificaux recevront les instructions de
l’Empereur et que les papes élus, avant d’être consacrés,
devront prêter publiquement serment de loyauté envers
l’Empereur carolingien auprès du délégué permanent de
l’Empereur.
La situation va à nouveau changer entre 824 et 829. Durant
cette période, la Cour carolingienne d’Aix le Chapelle connut
des intrigues ourdies par une faction hostile au remariage de
l’Empereur veuf d’Irmengarde depuis le 30 Octobre 818, avec
Judith de Bavière. L’Empereur convole effectivement en
secondes noces avec Judith, en Février 819. Cette dernière est
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accusée d’avoir jeté des sortilèges sur son époux pour pouvoir
aisément favoriser l’émergence d’un parti à sa solde.
Toutefois, ce qui est véritablement reproché à Judith, c’est la
naissance d’un fils le 13 Juin 823, qui sera le futur Charles le
Chauve. Cette naissance inattendue entraînait en effet
l’obligation de procéder à un nouveau partage de l’Empire ; la
nouvelle situation bouleversait le fragile compromis établi
entre Lothaire, Pépin et Louis le Germanique. Lothaire, déjà
en conflit avec la nouvelle femme de son père, se sentit lésé.
La Cour d’Aix se partagea donc entre les partisans de Judith et
ceux de Lothaire. En Avril 830 éclate une révolte de grande
ampleur contre Judith et Louis le Pieux ; le second fils de
Louis, Pépin d’Aquitaine, est un des chefs des conjurés.
L’Impératrice Judith est arrêtée, puis cloîtrée dans l’abbaye
Sainte Radegonde à Poitiers, tandis que Louis le Pieux est
sommé par Lothaire de réintégrer à la Cour les anciens
conseillers qui étaient tombés en disgrâce, victimes des
intrigues de Judith. Louis le Pieux se soumet de mauvaise
grâce, mais prend sa revanche l’année suivante lors d’une
assemblée convoquée à Aix la Chapelle, où il confond ses
opposants et obtient la disgrâce de Lothaire. A partir de 832,
les actes d’insubordination des fils de Louis (Pépin et Louis de
Bavière), se multiplient et « la révolte s’installe dans l’Empire
à l’état endémique » (Louis Halphen, p 278). Partie de Pavie,
l’armée de Lothaire franchit les Alpes et rejoint celles de
Pépin et de Louis de Bavière en Alsace. Les trois frères sont
soutenus par l’Eglise, notamment par l’archevêque de Lyon,
Agobard. Lothaire, par ses intrigues et ses menaces, est
parvenu à impliquer le pape dans une querelle de famille. Le
Souverain Pontife se présentait comme le garant de l’unité de
l’Empire en lieux et places de l’Empereur lui même accusé
d’être à l’origine de la discorde familiale. Louis le Pieux
répond par un écrit dans lequel il assimile ses fils à des
vassaux révoltés contre leur seigneur. Pourtant, forts de
l’appui de l’Eglise et des grands de leurs royaumes, les fils
révoltés sortirent vainqueurs de l’épreuve de force qu’ils
avaient engagée avec leur père. Louis le Pieux, enfermé au
couvent de Saint Médard à Soissons, dut tolérer que son fils
aîné Lothaire datât ses actes officiels de « l’an I de son
règne ».
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b) Ultimes tentatives pour maintenir une fiction
d’Empire.
L’usurpation de Lothaire fut légitimée par la réunion d’une
assemblée générale à Compiègne le 1er Octobre 833, durant
laquelle on obtint de Louis le Pieux une confession par
laquelle il se reconnaissait notamment « violateur des
préceptes de la religion, pour avoir sans raison valable
convoqué l’armée en plein carême, mais aussi violateur des
lois divines et humaines, parjure, homicide, responsable de
toutes les tueries, rapines, incendies et pillages des biens
d’églises et coupable d’avoir incité le peuple à s’entretuer ».
L’Empereur déchu ne tardera pas pourtant à retrouver son
trône le 1er Mars 834 après un an de captivité, grâce à une
nouvelle mésentente entre ses fils. Si Louis le Pieux pardonna
à ses fils, il infligea en revanche de sévères sanctions à tous
ceux qui les avaient soutenus dans leur complot. Mais cette
regrettable affaire avait inquiété l’Empereur, et avant de
mourir en 840, Louis le Pieux eut l’obsession d’assurer un
avenir à son fils Charles le Chauve. L’avenir lui donna raison,
car les trois frères s’entredéchirèrent et il fallut attendre le
traité de Verdun d’Août 843 pour qu’un semblant de concorde
semble s’installer entre eux. Dans ce traité, les territoires
composant l’Empire sont répartis en trois lots réputés
équivalents : Louis le Germanique hérite, grosso modo, des
territoires de l’Est (moins la Frise). Charles (dit « le chauve »)
reçoit des territoires s’étendant de Sedan à la Saône, ainsi que
l’Aquitaine. Lothaire hérite d’une bande de territoire, sans
unité réelle, s’étendant du nord de la Frise jusqu’à l’Italie du
sud , mais il exercera la souveraineté sur les territoires
historiques des carolingiens, c’est à dire sur Aix le Chapelle,
les Ardennes et le pays d’entre Meuse et Rhin.
-Comme le souligne Louis Halphen, « dans le désarroi où
s’abîme l’Empire depuis 833, l’Eglise apparaît alors comme
seule capable de sauvegarder l’unité du peuple chrétien »
(Louis Halphen p 317). C’est l’épiscopat Franc du royaume
de Charles qui va prendre l’ascendant à la fois sur les rois et
sur l’ensemble des églises de l’Empire. Venant après le
concile de Paris tenu en 829 au cours duquel avait été rédigé à
l’usage de l’Empereur un traité sur l’ « art de gouverner
saintement », le concile de Coulaisne en 843 impose aux rois
de faire respecter « la justice », faute de quoi leurs sujets
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pourraient se considérer comme déliés de toute obligation
d’obéissance. L’Eglise impose donc aux frères ennemis une
entente, même de façade, au nom de l’unité du peuple chrétien
menacée par les normands et les sarrasins. Les années 845 et
846 sont en effet marquées par les incursions destructrices des
normands et des sarrasins dans les territoires de l’Empire. En
847, les normands ravagent les côtes de l’Aquitaine et en 850
les provinces septentrionales de Lothaire sont envahies par ces
mêmes normands qui remontent le Rhin, le Waal et l’Escaut
sur des embarcations rapides. A ces invasions barbares
s’ajoutent les pillages des sarrasins en Méditerranée et
l’insoumission permanente de l’Aquitaine, de la Gascogne et
de la Bretagne. Un pacte de « concorde fraternelle » conclu
entre les trois rois de l’Empire en 851, scelle à nouveau un
semblant d’entente entre eux, mais la mort de Lothaire en 855
va accélérer la décomposition de l’Empire.
La coutume franque de la division des territoires du roi décédé
en « lots » réputés égaux, répartis entre les héritiers mâles
légitimes, va contribuer à transformer l’Empire carolingien en
une mosaïque de cinq royaumes. Les territoires de l’ex
Empereur Lothaire sont ainsi distribués : A Lothaire dit « le
second », le nord de la Frise, l’Alsace, le plateau de Langres.
A Charles, encore enfant, le reste…, Aix la Chapelle devenant
la capitale de Lothaire II. C’est ce royaume qui donnera plus
tard les noms de Lotharingie, puis de Lorraine. Jusqu’en 857
on assiste à des renversements d’alliances entre les différents
rois carolingiens. Cette année là, Charles le Chauve doit faire
face au soulèvement du pays aquitain en faveur de Pépin II,
tout juste évadé du monastère où il pratiquait la prière forcée
depuis cinq ans. Louis le Germanique profite des difficultés de
Charles le Chauve pour se jeter sur son royaume en 858., afin
dit-il de « délivrer les Francs du royaume de l’Ouest et les
Aquitains, de l’insupportable tyrannie d’un prince qui ne sait
même pas défendre la chrétienté contre les païens » (Louis
Halphen, p 358). Trahi par ses vassaux, Charles doit céder à la
violence et se réfugier en Bourgogne. Il ne retrouvera sa
couronne que grâce à l‘Eglise -et en particulier à l’intervention
de l’archevêque Hincmar et du clergé des Gaules-. Une
assemblée ecclésiastique tenue à Reims le 25 Novembre 858,
adresse une lettre à Louis le Germanique (conçue et rédigée
par Hincmar), l’enjoignant de « restaurer la Sainte Eglise et
d’aviser au salut du peuple chrétien et de mettre fin aux maux
18
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abominables qu’endure le pays du fait des païens , surpassés
encore par ceux qu’au mépris de toutes les lois divines et
humaines, des chrétiens infligent à des chrétiens, des parents à
des parents, un roi chrétien à un roi chrétien, un frère à un
frère » (Louis Halphen p 361). La lettre rappelle également à
Louis que Charles Martel a été damné pour avoir confisqué les
biens ecclésiastiques. Louis est invité à relire le livre des rois,
surtout le passage consacré à la sainte conduite de Samuel
envers Saül… Charles le Chauve, conforté par l’Eglise, inflige
à Louis le Germanique, une sévère défaite militaire le 15
Janvier 859 et reprend possession de ses territoires et de ses
vassaux. Louis Halphen, dans son ouvrage « Charlemagne et
l’Empire carolingien » a raison de dire que dans cette époque
de désarroi, l’Eglise représente parmi la diversité des
royaumes, la seule réalité permanente. Pour Hincmar et le
clergé des Gaules, il n’est plus question d’Empire, mais
simplement de royaumes entre lesquels il est indispensable de
maintenir la « concorde » pour assurer la survie du « peuple
chrétien » assailli de toutes parts. En ces temps proches de
l’anarchie, la communauté religieuse devient garante de la
cohésion de la communauté politique. C’est dans ce contexte
d’anarchie, de guerres et d’invasions que survient le pape
Nicolas 1er. Le 23 Novembre 862, il décide que le divorce de
Lothaire II sera ré-instruit par un concile à Metz ; le roi
obtiendra d’ailleurs satisfaction dans ce concile, au prix d’une
complaisance scandaleuse des prélats présents. Furieux de
l’audace des arguments développés, le pape Nicolas 1er, qui
s’est donné pour mission de raffermir l’autorité de l’Eglise
face aux rois carolingiens, casse la décision du concile, interdit
l’exercice du ministère sacerdotal à Günther et Theutgaud qui
s’étaient montrés totalement inféodés à Lothaire II et flétrit
« le crime » du roi Lothaire. Nicolas 1er va jusqu’à contester la
qualité de roi à Lothaire II et dans un style grandiloquent, il lui
écrit : « Vous avez lâché la bride à vos passions et vous êtes
vautré dans la fosse de misère et la fange du bourbier,
entraînant dans la ruine un peuple que vous aviez mission de
gouverner » (Louis Halphen-précité- p 387). Lothaire et son
clergé, Hincmar en tête, s’inclinèrent provisoirement devant
cette démonstration de force papale. La papauté redevenait
arbitre de l’Occident, mais elle se heurtait à des problèmes
d’insécurité dans ses Etats constamment menacés et parfois
dévastés par les musulmans et leurs alliés chrétiens dissidents.
Le pape dut donc se trouver un protecteur temporel en la
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20
personne de l’ « Empereur Louis II » qui guerroyait depuis
fort longtemps dans le sud de l’Italie. La superbe de Nicolas
1er s’effaça donc devant l’urgence. Son successeur en
Novembre 867, le pape Hadrien II, choisit en revanche de se
soumettre pleinement à l’Empereur. Il faut dire que le
scandale provoqué par l’égorgement de la femme et de la fille
de ce pape par l’amant de cette dernière, un certain Eleuthère,
poussait le Souverain Pontife à adopter le profil bas. La mort
providentielle de Lothaire II permet au nouveau pape de se
libérer de cette inextricable question de divorce. Lothaire II ne
laissant pas de descendance légitime, sa succession territoriale
ne pouvait logiquement aller qu’à l’Empereur Louis II, son
frère. Toutefois, la guerre contre les sarrasins empêcha ce
dernier de reconstituer le royaume de son père Lothaire et
comme Louis le Germanique était très malade, ce fut Charles
le Chauve qui fit main basse sur l’héritage. Il se fit couronner
roi à Metz le 9 Septembre 869 et prit possession du palais
d’Aix la Chapelle. Charles dut cependant accepter de partager
des territoires lotharingiens avec Louis le Germanique, qui
rétabli, le menaçait de représailles militaires. Cette « entente »
peu spontanée entre le roi de France et de Germanie au
détriment de la Lotharingie, est connue sous le nom
d’ « entente de Meersen » du 8 Août 870. Le pape, fidèle
admirateur de Louis II, menaça d’excommunier Charles le
Chauve et Louis le Germanique, mais l’intervention
d’Hincmar en faveur de Charles le Chauve, contribua à la
victoire du pouvoir temporel. L’Empereur Louis II préféra
passer outre à l’affront et acheva de libérer la quasi totalité de
la péninsule italienne de l’occupation sarrasine (chute de la
forteresse sarrasine de Bari en 871). Charles et Louis
n’évoquèrent même pas dans leur correspondance la victoire
de Bari, car ils ne reconnaissaient pas la fonction impériale ;
seule l’Eglise, renforcée par la victoire de Bari et la libération
de la péninsule italienne de la présence musulmane, maintenait
encore de la considération pour ce concept d’ « Empire ».
-La résurrection manquée de l’idée impériale sous Charles le
Chauve et Charles le Gros.
Disparu le 12 Août 875 sans laisser de descendance mâle,
Louis II laissait un royaume et le titre impérial vacants.
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Charles le Chauve devient le candidat à l’Empire du pape Jean
VIII. Toutefois, dans le même temps, l’assemblée des grands à
Pavie s’était divisée en deux camps : L’un favorable à Charles
le Chauve, l’autre pour Carloman, le fils aîné de Louis le
Germanique. Au même moment, Charles le Chauve
convoquait une assemblée générale de grands à Ponthion, puis
franchissait les Alpes à la tête d’une armée, culbutait une
armée de Louis le Germanique aux alentours de Pavie, puis
fonçait droit sur Rome à la rencontre du pape qui l’attendait
pour le couronner Empereur des romains. Entre le 21 Juin et le
16 Juillet 875, le concile de Ponthion assoit l’autorité
impériale de Charles le Chauve et flétrit le Germanique,
condamné pour avoir tenté d’envahir la France pendant que
Charles recevait la couronne des mains du pape. Charles le
Chauve échoue en revanche militairement dans sa tentative
d’invasion du royaume du Germanique juste après l’annonce
du décès de ce dernier le 28 Août 875. Ses armées sont en
effet défaites par celles de Louis le Jeune (fils du Germanique)
et roi de France orientale (en fait la Saxe et la Thuringe). Sur
les rives du Rhin, à Andernach, le 8 Octobre, Charles en se
repliant sur ses terres de la France occidentale, doit se
persuader que le temps de la splendeur de la fonction
impériale est révolu.
En 877, les sarrasins qui ont trouvé des complices parmi les
opposants du pape (notamment le duc de Spolète), sont aux
portes de Rome. La papauté, menacée de disparition, multiplie
les demandes d’assistance à Charles le Chauve et même aux
byzantins ! Charles le Chauve doit choisir entre le péril
normand qui menace ses terres et la défense de la chrétienté. Il
opte pour une campagne en Italie, mais doit se résoudre à
verser un tribut de 5000 livres d’argent aux normands pour
inciter ces derniers à évacuer la vallée de la Seine qu’ils
occupent. L’assemblée des grands réunie à Quierzy arrête des
mesures indispensables à la bonne marche du royaume en
l’absence de Charles. Parmi les décisions de Quierzy, on
trouve par exemple « la confirmation des serments de fidélité
et de loyale collaboration prêtés par tous au cours des années
précédentes », ou bien encore « la garantie des biens
personnels de la femme et des filles de l’Empereur ». Mais,
attaqué par l’armée de Carloman dans les environs du col du
Brenner, Charles le Chauve doit se replier en hâte sur ses
territoires où une fronde de vassaux venait de se produire en
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son absence. Miné par la maladie, il devait mourir seul,
abandonné de tous, le 6 Octobre 877 dans un obscur village de
la Maurienne. Le pape Jean VIII se mit alors immédiatement à
la recherche d’un Empereur de rechange. Il lui fallait un
protecteur Franc contre les sarrasins et leurs alliés chrétiens du
sud de l’Italie. Carloman, fils aîné de Louis le Germanique,
s’était déjà rendu maître de l’Italie du nord, et soutenu par les
grands, préparait son couronnement. Cette audace était
facilitée par l’inconsistance notoire de Louis II le Bègue,
héritier théorique de Charles le Chauve (et qui mourra en 879).
Soudain très malade, Carloman dut renoncer à la fonction
impériale. Pour pallier à la vacance de l’Empire, le pape
accorda d’abord sa confiance à Boson, personnage sulfureux,
archétype de l’aventurier, qui avait été nommé garde du corps
du pape par Louis II le Bègue, puis contraint et forcé par les
circonstances, il accepta la « candidature » de Charles le Gros,
fils de Louis le Germanique. Mais pas à n’importe quel prix.
Jean II considérait en effet qu’il devait disposer de la couronne
lombarde, antichambre de la couronne impériale, dans l’intérêt
de la papauté. C’est à l’occasion du sacre de Charles le Gros
qu’il exigea du futur Empereur préalablement au
couronnement, la reconnaissance des droits de l’Eglise.
Charles le Gros, revêtu de la fonction impériale en Février
881, s’avérera un bien piètre défenseur des intérêts de l’Eglise.
Pour se défendre des incursions sarrasines et des intrigues du
duc de Spolète, Jean VIII, confronté à l’inexistence de
l’Empereur, sera obligé de solliciter l’aide des byzantins. La
mort de son frère Carloman fit de Charles le Gros le roi de
Germanie ; cette situation aurait du renforcer l’institution
impériale. Cependant la confusion régnait partout dans
l’Empire, miné par les raids normands et l’instabilité politique
chronique des grands vassaux des différents royaumes
constituant l’Empire. Profitant de ce grand désordre politique,
l’intrigant comte Boson, beau frère de Charles le Chauve (qui
introduisait ses actes officiels par l’étrange mention
suivante : « Moi, Boson, qui suis ce que je suis par la grâce de
Dieu » et qui par ailleurs avait accordé à son notaire le titre
d’ « archichancelier »), s’était fait proclamer roi à Mantaille,
près de Vienne, par des prélats à sa solde le 15 Octobre
879. Une expédition militaire avait été immédiatement
organisée par une coalition de tous les carolingiens régnants
(Louis le Jeune, Louis III, Carloman et Charles le Gros) contre
22
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l’usurpateur qui avait osé –pour la première fois depuis 751se proclamer « roi » sans être carolingien. Toutefois, après
avoir chassé Boson de son trône fantoche, les divisions et les
querelles reprirent dans la famille carolingienne.
L’Empire était de plus en plus menacé de l’extérieur par les
normands, qui en 881 parvinrent même à dévaster la capitale
de l’Empire, Aix le Chapelle. La seule parade mise en place
par les autorités, consista à payer le tribut aux normands, pour
que ces derniers acceptent d’évacuer les territoires qu’ils
avaient conquis. Cette politique de démission face à
l’envahisseur encouragea les normands à multiplier les raids et
les occupations de territoires dans le but unique de se faire
payer un tribut pour ensuite les évacuer.
De l’avis général, Charles le Gros ne fut pas à la hauteur de la
fonction impériale. En Septembre 886, cet Empereur préféra
payer un tribut aux normands et leur accorder divers autres
avantages comme par exemple la possibilité d’hiverner en
Bourgogne, plutôt que d’engager contre eux une bataille
décisive qui aurait pu leur faire abandonner le siège de Paris.
Usé par des fonctions au dessus de ses possibilités, dévoré par
les maladies, victime d’une trépanation mal réalisée, Charles
le Gros succombera en Forêt Noire le 13 Janvier 888.
Néanmoins, peut-on dire que l’Empire carolingien prend fin à
la mort de Charles le Gros ?
La période qui suit la mort de Charles le Gros ouvre l’ère de la
dislocation finale de l’Empire carolingien et se caractérise par
l’émergence de roitelets un peu partout dans l’Empire,
préfiguration de ce que sera l’âge féodal à partir du Xe Siècle.
Eudes, vainqueur des normands à la bataille de Montfaucon en
Argonne le 24 Juin 888, s’était déjà proclamé roi de France à
Compiègne le 29 Février suivant. Le duc de Spolète Gui, avait
fait simultanément la même chose à Langres. Dans le sud-est
de la Gaule, après la mort de Boson en Janvier 887, c’est le
comte Rodolphe (de la famille des Welf), qui est proclamé roi
à Saint Maurice dans la province du Valais. Par la force des
armes, il étend sa domination en Bourgogne et jusqu’en
Alsace-Lorraine. Vers la fin de 890, c’est Louis de Provence
(un demi-carolingien par sa mère Ermengarde, fille de
l’Empereur Louis II) qui s’autoproclame roi à Valence. A
partir de 888, c’est l’Italie qui fait sécession, puisque cette
année là le marquis de Frioul, Béranger, petit fils de Louis le
23
24
Pieux et de Judith par leur fille Gile, revendique le trône
d’Italie contre le duc de Spolète Gui. Béranger sera vaincu
militairement par le duc de Spolète au début de 889. Ce
dernier devint ensuite –par la volonté de l’Eglise -, « un roi, un
seigneur, un défenseur ». Notons que dans tous les cas, ni
l’Eglise, ni même Arnulf, le roi de Germanie ne mettent en
avant la violation du principe dynastique. Le principal souci
du Saint Siège réside simplement dans la nécessité de choisir
« le roi qui paraît le mieux répondre aux impératifs de la
situation ». On s’achemine donc à cette époque, vers une
royauté au mérite qui n’a plus à se soucier du principe
dynastique en vigueur depuis Pépin de Herstahl.
-Arnulf, roi de Germanie et Empereur carolingien
Le dernier carolingien en possession d’un trône, malgré sa
bâtardise, Arnulf roi de Germanie va se revêtir de la fonction
impériale et l’imposer progressivement aux autres rois de
l’Empire, soit par la voie militaire contre Rodolphe de
Bourgogne et le duc de Spolète, Gui, à partir de 894, soit par
intimidation comme dans les cas d’Eudes de France et de
Louis de Provence. Il légitimera son titre impérial par la
convocation d’une diète à Worms dans le courant de l’été 888.
En 891, Arnulf inflige une cuisante défaite aux normands
devant Louvain ; il conduit d’autres campagnes militaires en
Moravie (Juillet 892) et en Italie du nord (894). Au mois de
Février 896, Arnulf est couronné Empereur par le pape
Formose, selon les mêmes formes que pour son ancêtre
Charlemagne. Toutefois, la comparaison avec le sacre de
Charlemagne s’arrêtera là. En effet, deux semaines après le
sacre, son autorité sera contestée et mise en péril par le fils de
Gui, encore enfant, qui revendique le titre impérial. C’est au
cours d’une campagne militaire contre ce très jeune Empereur,
qu’Arnulf sera victime d’une congestion cérébrale. Rapatrié
en Allemagne, il y mourra en Décembre 899.
Nous ne mentionnerons que pour mémoire les trois derniers
« Empereurs », l’enfant Lambert de Spolète, Louis de
Provence et Béranger de Frioul, « survivants attardés d’un
monde définitivement mort » (Louis Halphen, p 481).
-Avant de terminer cette première partie consacrée à l’histoire
de l’Empire carolingien depuis ses origines jusqu’à sa fin, il
convient de se poser la difficile question de la date réelle de
24
25
cette fin. Autrement dit, comment déterminer exactement la
date de la fin de l’Empire carolingien ? En fait, il semble
problématique de donner une réponse ferme et définitive à une
telle question. Trois possibilités s’offrent à l’Historien :
• a) Choisir l’année 888 qui correspond
à la mort de Charles le Gros, dernier
Empereur né légitimement d’un
carolingien.
• b) Choisir l’année 899, qui est
marquée par la mort de l’Empereur
Arnulf, fils bâtard de Carloman (et
donc petit fils illégitime de Louis le
Germanique, lui même mort en 876).
• c) Retenir enfin la date de 987, qui
correspond à la mort dans un accident
de chasse , de Louis V le Fainéant,
descendant de Charles le Chauve par
Louis II le Bègue et Charles le Simple
(mort en 929). Le successeur de Louis
V le Fainéant, dernier carolingien,
sera Hugues Capet.
En ce qui nous concerne nous avons retenu 899, année de la
mort d’Arnulf, dernier Empereur carolingien ayant exercé
réellement des fonctions impériales et militaires significatives.
Il s’agit là d’un choix qui n’est pas incontestable, nous le
reconnaissons aisément.
-La mosaïque ethnique qui constituait l’Empire carolingien,
ne pouvait représenter une unité politique cohérente que sous
la main de fer d’un souverain dont l’autorité était incontestée.
A partir du moment où le principe monarchique s’affaiblit, la
mosaïque éclate. Le principe monarchique carolingien s’est
affaibli pour au moins deux raisons : Tout d’abord à cause de
la coutume franque entraînant un découpage territorial du
royaume du roi défunt en autant de royaumes que le souverain
comptait de fils légitimes ; ensuite, le développement de la
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vassalité après la mort de Louis le Pieux en 840, a transformé
la monarchie carolingienne en une monarchie contractuelle :
Les grands vassaux ont beaucoup abusé de l’accusation de
non-respect des engagements des princes à leur égard pour se
considérer « libérés » de leur lien vassalique, lorsque cela les
arrangeait et leur permettait de passer au service d’un autre
prince concurrent du précédent. L’assemblée tenue à
Coulaisne en 843 dans le royaume de Charles le Chauve, a
inauguré l’ère de la grande vassalité. Charles le Chauve avait
consenti à la rédaction d’un article dans la résolution finale qui
stipulait que « le roi, promettant à ses fidèles de ne priver
personne, quelle que soit sa condition ou sa dignité, de
l’honneur auquel il a droit, s’oblige à n’user désormais que
des voies de justice, en se conformant à la raison et à l’équité,
et garantit à chacun l’observation de sa loi propre » (Louis
Halphen, p 483). Promesse renouvelée huit ans plus tard à
Meersen par Lothaire, Louis le Germanique et Charles le
Chauve, au terme de laquelle les « fidèles » (c’est à dire dans
le cas présent, les vassaux) étaient assimilés à des
« collaborateurs ». A partir de 869 l’Eglise exige que les rois
s’engagent préalablement à leur couronnement, à respecter la
justice et les droits de leurs fidèles, faute de quoi le
couronnement n’a pas lieu ! L’extension du principe de la
vassalité jusque dans la personne du roi et de ses relations
avec des tiers, dépasse la seule évolution institutionnelle. Il
s’agit en fait d’une transformation en profondeur des rapports
sociaux dans la société du IXe Siècle. Même les hommes
d’église deviennent des vassaux du roi, évêques et abbés
sollicitant leur « commandation en vasselage » auprès du
monarque avant d’entrer en fonction. En contrepartie du
serment de vasselage, le roi distribue (ou retire) les abbayes et
les églises à ses vassaux – prélats. On entre alors dans la
confusion des charges publiques et des bénéfices. Cette
confusion est aggravée lorsqu’elle surajoute la notion d’
« honneurs » à celle de bénéfices. En 839, l’évêque de Troyes,
Prudence, opère une savante distinction entre les biens propres
(proprietates) du roi et les « honneurs bénéficiaires »
(beneficiarii honores), c’est à dire les charges qu’il tient en
bénéfices, inaugurant en cela les notions de domaine privé
royal et de domaine de la Couronne.
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L’Empire carolingien peut encore parler à un homme du
XXIème Siècle. Dans une étude de cette période, on est frappé
par la similitude de certaines institutions carolingiennes avec
celles qui existent de nos jours : Ainsi, l’Empire carolingien
rappelle la technique de la confédération, qui permet à des
peuples différents de s’associer dans le but de mener une
politique commune. L’Empire carolingien, au moins entre 768
et 840, apparaît même comme un système confédéral encore
plus intégrationniste que celui en vigueur dans notre actuelle
Union Européenne. Par ailleurs, ce qu’on nomme
« vassalité » ou « féodalité », non sans une certaine
condescendance d’ailleurs, s’apparente en fait à un niveau très
élaboré de contractualisation des rapports sociaux. L’Empire
carolingien connaissait la délégation (et la concession) de
service public, par l’attribution de prérogatives de puissance
publique à des structures privées chargées d’opérer dans la
sphère administrative. Avec beaucoup d’audace, on pourrait
même percevoir dans les méthodes de gouvernement des rois
carolingiens, les prémices de la décentralisation. Enfin, on voit
se dessiner dès 843 dans les querelles entre la France
occidentale et la France orientale, mais également dans les
tentatives de découpages de la Lotharingie entre les frères
ennemis de part et d’autre du Rhin, les prémices de la rivalité
franco-allemande.
L’Empire carolingien, qui fut une construction politique et
institutionnelle très élaborée, est un système très parlant sur le
plan intellectuel pour un homme de notre époque.
Il nous reste désormais, dans la seconde partie de cette fresque
sur « les temps carolingiens », à étudier précisément les
institutions de l’Empire carolingien.
Ouvrages principaux utilisés pour cette étude :
- Louis Halphen, « Charlemagne et l’Empire
Carolingien », Paris, Albin Michel 1947.
- Marc Bloch, « la Société Féodale », Paris,
Albin Michel 1973.
- Duc de Lévis-Mirepoix, « la France
Féodale », Paris , Jules Tallandier 1974. (8
tomes).
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