Merzak ALLOUAcHE - La maison de l`image

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Merzak ALLOUAcHE - La maison de l`image
Merzak ALLOUAcHE
Cette compilation de textes a été réalisée par l’équipe
documentation de LA MAISON DE L’IMAGE à Aubenas
à l’occasion des RENCONTRES DES CINEMAS D’EUROPE 2015
Merzak Allouache, né le 6 octobre 1944 à Alger, est un réalisateur de cinéma algérien. Il
est connu pour son film Omar Gatlato.
Il commence ses études de cinéma dès 1964 à l'INC d'Alger après l'indépendance. Il y réalise
son "film diplôme" Croisement, puis un court métrage, Le voleur, après quoi il les complète à
l'IDHEC (aujourd'hui appelée La fémis) de Paris. Il travaille d'abord pour l'OAA puis pour le
CNC, avant de rejoindre l'ONCIC en qualité de réalisateur en 1975. Il est assistant réalisateur
pour Mohamed Slim Riad et tourne lui-même deux documentaires au milieu des années 70. Il
acquiert une renommée internationale avec son premier film Omar Gatlato.
Il publie une nouvelle en 1995 aux éditions du Seuil intitulée Bab El-Oued1.
Filmographie
Réalisateur
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1976: Omar Gatlato
1978: Les Aventures d'un héros
1982: L'Homme qui regardait les fenêtres
1986: Un amour à Paris
1989: L'Après-Octobre - documentaire
1994: Bab El-Oued City
1996: Salut cousin !
1998: Alger-Beyrouth. Pour mémoire(TV)
1999: À bicyclette (TV)
2001: L'Autre Monde
2003: Chouchou
2005: Bab el web
2009: Harragas
2010: Tata Bakhta
2011: La Baie d'Alger (TV)
2011: Normal !
2012: Le Repenti
2013: Les Terrasses
https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Accueil_principal
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Merzak Allouache suit en 1964 des études cinématographiques dans la section
réalisation de l'Institut National du Cinéma d'Alger, où il réalise "Croisement", son film
diplôme. Après "Le Voleur", son premier court métrage, il complète sa formation par
des stages à l'IDHEC en 1967 et à l'ORTF en 1968. Il travaille également comme
assistant sur quelques films.
Par la suite, Merzak Allouache réalise des documentaires, des émissions
humoristiques pour la télévision algérienne et plusieurs longs métrages de fiction
dont Omar Gatlato présenté à la Semaine de la Critique en 1977, Bab El-Oued City
présenté dans la section Un Certain Regard en 1994 ou encore la comédie Salut
cousin ! sélectionnée à la Quinzaine des Réalisateurs en 1996.
Après un documentaire pour Arte (Vie et mort des journalistes algériens) et plusieurs
téléfilms, le réalisateur revient au cinéma en 2001 avec L'Autre monde. L'année
suivante, il pousse son ami Gad Elmaleh, rencontré sept ans plus tôt sur le tournage
de Salut cousin !, à transposer sur grand écran l'un des personnages de son oneman show, le travesti romantique Chouchou, dans une comédie dont il assure la
mise en scène.
Merzak Allouache renoue avec ses racines pour diriger en 2004 le trio Faudel, Samy
Naceri et Julie Gayet dans Bab El web, un film léger avec en toile de fond les
rencontres via internet en Algérie.
Après les comédies, le natif d'Alger change de registre en dirigeant le drame
Harragas en 2010. Le film s'attache à suivre l'histoire des "harragas" ou "brûleurs",
des personnes qui fuient l'Algérie pour échapper à la misère et dresse un triste
constat de la jeunesse désoeuvrée algérienne.
Deux ans plus, le metteur en scène reste dans le registre dramatique avec Normal !.
Le film retrace les débuts des printemps arabes à travers l'histoire de Fouzi, un jeune
cinéaste algérien en souffrance artistique dans un pays politiquement et socialement
secoué.
En 2013, Allouache reste dans le film engagé avec Le Repenti. L'oeuvre revient sur
la loi dite de "Concorde civile" entrée en vigueur en 2000 en Algérie et permettant
aux islamistes repentis une réinsertion dans la société. Le film suit le parcours de l'un
d'entre eux, entre rédemption et regrets.
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Festival de Cannes 1994 (édition n°47)
CANNES, France l De 12/05/1994 à 23/05/1994
Un Certain Regard
Nommé
Boualem, jeune mitron, dort le jour pour récuperer de son travail de la nuit dans une
boulangerie de Bab el-Oued. L'appel à la prière de l'imam, un jour que le haut-parleur
est poussé au maximum, le met hors de lui : il arrache l'engin et le jette à la mer.
Dans l'ambiance extrêmiste qui règne alors, on cherche activement le coupable pour
faire un exemple.
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Auteur de « Chouchou » et de « Salut Cousin ! », le réalisateur franco-algérien Merzak
Allouache revient sur le tournage de « Harragas », un constat sans concessions et sans pathos
sur les conditions de traversée des immigrés clandestins, prêts à sacrifier leur vie pour quitter
le pays.
Auteur de Chouchou et de Salut Cousin ! , le réalisateur franco-algérien Merzak
Allouache revient sur le tournage de Harragas, un constat sans concessions et sans
pathos sur les conditions de traversée des immigrés clandestins, prêts à sacrifier leur vie
pour quitter le pays.
Harragas est un film ultra-réaliste qui semble définir une très fine limite entre le
documentaire et la fiction. Sur quels éléments vous vous êtes basés pour construire le
film ?
Je suis surtout un cinéaste de fiction, je n'ai fait que peu de documentaires. Pour un sujet
pareil, celui de ces nouveaux « boat people », je savais d'emblée qu'un documentaire
allait être très difficile à réaliser à cause de son caractère très secret. J'ai donc opté pour
la fiction. Pour se rapprocher au plus près du réel, j'ai dû m'informer à partir d'articles de
presse, d’enquêtes, de contributions de psychologues, de sociologues qui ont beaucoup
travaillé sur ce domaine ; mais également de rencontres avec des jeunes qui ont été candidats
à ce départ et qui se sont fait attrapés. J’ai ainsi pu collecter beaucoup d'anecdotes et de petites
histoires pour enrichir mon scénario. Et dans un deuxième temps, je suis allé tourner dans la
ville de Mostaganem, qui est à la fois un véritable lieu de passage d’où partent beaucoup de
jeunes clandestins mais qui est en même temps une ville de tradition de théâtre amateur.
Lorsque j'ai lancé le casting, j'ai obtenu encore plus d'informations grâce aux jeunes de la ville
très au courant sur ce phénomène.
C’est justement grâce à ce réalisme que la séquence de la traversée est aussi saisissante !
Nous avons utilisé une caméra HD pour la séquence de la traversée avec laquelle on a
accompagné cette minuscule barque de 5 mètres. C'était vraiment un tournage un peu à
l'artisanale. Vraiment pas évident ! D’autant plus que parmi l'équipe, beaucoup n'était pas
réellement des spécialistes de la mer et nous avons tourné pendant un hiver très rude. Cela a
en quelque sorte montré la dureté du voyage que subissent ces " harragas ".
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Même si on les devine, vous ne montrez pas vraiment les motivations de chacun de vos
personnages à quitter le pays. Est-ce un choix de votre part ?
C'est un choix, oui. Je voulais surtout parler de la traversée. Certes, il y a quelques petites
choses qui sont évoquées dans la première partie, très brièvement, presque en filigrane. Mais
c'est surtout sur la barque, pendant la traversée, que j'ai voulu montrer les contradictions et la
tension qui règne au sein de la société algérienne à travers les conflits qui se dessinent entre
les voyageurs.
Le film, notamment à son dénouement, présente un constat très pessimiste sur la
radicalité de la politique d’immigration aujourd’hui.
Je voulais tout d’abord montrer que cette forme de traversée était littéralement une opération
suicidaire pour ces jeunes. Lorsqu’on les entend préférer être mangés par les poissons que
rester au pays, c’est quand même grave ! Deux problèmes majeurs se posent : ce rapport
trouble de l’appartenance au pays que ressentent beaucoup de jeunes algériens ; mais
également cette mer méditerranée que l’Occident a définie comme un genre de « mur de
Berlin » empêchant la libre circulation de la moitié de l’humanité. C’est cette rage de
l’enfermement qui ronge la jeunesse algérienne. Lorsqu’on entend Berlusconi créer le permis
de séjour à points : j’ai alors besoin de témoigner, tout simplement, et de montrer que les
choses aujourd’hui ne tournent pas rond.
Le film sortira-t-il en Algérie ? Comment pensez-vous qu'il sera reçu ?
Oui, il sortira. Je ne sais pas comment il va être reçu, mais le film existe et c'est déjà
suffisant.
Malgré le succès de Chouchou , vous vous faites très discret au cinéma… Vous avez du
mal à obtenir des financements à cause de la portée politique de vos films ?
C’est peut-être parce que je navigue un peu entre la comédie et les films plus sérieux ; je
passe d'un genre à l'autre. Ca ne me gêne pas à partir du moment où je peux faire mes films.
Pour Harragas, je n'ai pas obtenu le même financement que celui de Chouchou, mais j'ai pu
montrer l'histoire que j'avais envie de raconter. Maintenant, il est possible que je revienne à
quelque chose de plus léger. Par exemple, je prépare actuellement une comédie pour France 2
mais qui traite toujours du problème de la circulation. Je viens d'une génération qui a
beaucoup circulé, et cette circulation devient un problème grave, donc j'essaye d'en
parler !
Ravith Trinh
http://www.mondomix.com/
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© Patrice RICOTTA
BAB EL WEB
Merzak Allouache et Faudel
réalisateur et acteur
En Mars, nous rencontrions Merzak Allouache et Faudel pour discuter de leur dernier film
: Bab el Web. Le réalisateur avait déjà fait un film sur Bab el Oued en 1993 (Bab el Oued
City) et un film traitant des rencontres sur internet en 1996 avec L’@mour à réinventer.
En 2002, c’est en présentant son dernier film en date à Alger, Chouchou, que lui vient
l’idée de ce qui deviendra Bab el Web. « J’ai retrouvé au cours de mon séjour le quartier
de Bal el Oued […] Un quartier dont l’architecture est complètement bouleversée. Et puis,
sur un mur, j’ai vu une enseigne indiquant la présence d’un Cybercafé qui s’appelait
ironiquement « Bab el Web ».Il faut savoir que le phénomène d’internet prend de plus en
plus d’ampleur en Algérie. »
Outre une petite histoire sympathique, ce film se veut aussi un portrait nouveau de
l’Algérie. Allouache tourne à plusieurs reprises en décors extérieurs en Algérie. La plupart
des figurants sont des algériens qui étaient sur les lieux du tournage un peu par hasard.
« N’est-ce pas un procédé quasi documentaire de filmer les habitants d’Alger qui vous
entourent sans les diriger ? » Le réalisateur reste silencieux quelques instants, comme
s’il ne s’était jamais interrogé sur l’intérêt particulier qu’il porte à Alger.
Après quelques questions, il revient sur celle-ci. Oui, ce réalisateur-citoyen se donne
sûrement pour but de revaloriser Alger, de montrer les vraies facettes de ses quartiers et
de témoigner de la fin des violences qui y régnaient à la fin des années 90. « L’image de
violence, qu’on associe à ce pays, perdure et, malheureusement, personne ne fait rien
pour changer les choses. » il se dit atteint d’une certaine schizophrénie qui le pousse à
vouloir « raconter des histoires qui se passent « là-bas » et qui pourraient intéresser le
public « d’ici ». »
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Merzak Allouache apparaît comme un homme réfléchi qui mène sa filmographie tant au
gré de ses envies que de ses convictions. Chouchou a connu un grand succès en Algérie,
du coup, beaucoup d’algériens sont venus au casting local. « En fait, les gens là-bas
aiment l’ambiance, et un film qui se tourne c’est de l’ambiance. » Le tournage s’est bien
passé ; bien mieux que celui de Bab el Oued City en 1993, quand le quartier était en
proie à la violence. Le réalisateur a tourné en scope afin de « chouchouter sa ville », et il
s’est permis le luxe de filmer Bab el Oued depuis un hélicoptère.
Pour le casting, Allouache savait déjà qu’il voulait Samy Nacéri. Il a découvert Faudel aux
cours des premiers essais. Ce dernier refusait au départ de chanter dans une scène « et
puis finalement, à la fin du tournage, Merzak m’a expliqué que ce serait une bonne idée
pour la scène du karaoké. Du coup, je me suis laissé piéger, mais avec plaisir »
Faudel vient d’arriver à l’entretien simple et souriant, peut-être un peu stressé par cet
exercice qui semble lui apparaître comme un examen. Ce jeune homme, avant tout
chanteur, est venu à la comédie récemment, et il a parfois peine (tout comme moi
parfois je l’admet) à suivre les propos de certains de mes collègues outrageusement
cultivés. L’un d’entre eux est agacé par le rapprochement que Julie Gayet a fait entre Bab
el Web et Jules et Jim. Certainement que le rapprochement est maladroit, mais encore
faut-il
connaître
l’œuvre
de
François
Truffaut
pour
pouvoir
en
juger.
Faudel n’a pas cette prétention, il joue avec son cœur et non son esprit. Pour interpréter
le rôle de Bouzid, Faudel s’est fait aider par son coach favori : Elisabeth Rodrigez. Elle l’a
suivi tout au long du tournage pour l’aider à « décrypter » le scénario et apprendre son
texte. Cette dernière le suit depuis ses débuts dans la comédie. Il semblerait que Faudel
ait pris un véritable plaisir à jouer dans ce film, qui le rapproche de ses racines.
Finalement, Merzak Allouache et Faudel avaient le même but : s’ouvrir à l’Algérie et nous
ouvrir à elle.
2005
Aïcha
http://www.abusdecine.com/
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Merzak Allouache sait qu'il n'a pas très bonne presse avec son nouveau film mais il est
habitué aux mauvaises critiques. Cela n'avait pas empêché Chouchou en 2003 de faire rire
près de 4 millions de spectateurs... L'intérêt principal de Bab el web est de montrer une
Algérie où on partirait volontiers en vacances. On est loin des idées reçues et cela valait bien
une rencontre avec un cinéaste spécialisé dans les films-constats.
Avez-vous ressenti une pression particulière après le triomphe de Chouchou ?
Non. Si Chouchou avait été mon premier film, j'aurais peut-être pété les plombs mais le fait est que
Bab el web est mon douzième, que je fais du cinéma depuis trente ans et que j'ai connu des hauts et des
bas, donc je garde les pieds sur terre. Le problème principal qui s'est présenté après Chouchou, c'est
que je pouvais devenir le pur réalisateur français et enchaîner sur une comédie formatée dont l'identité
n'était pas la mienne. J'ai été présenter Chouchou en Algérie, où il a eu du succès et j'ai pris conscience
que c'était là que je voulais faire mon film suivant.
Justement, que représente un succès en Algérie au box-office ?
Chouchou a fait 50 000 entrées, et pour le comparer à un poids-lourd, Titanic en compte à peu près 90
000 mais il faut savoir qu'on n'a pas toujours les vrais résultats. Rajoutez un peu pour vous rapprocher
des chiffres exacts !
Ca serait plutôt le contraire en France, où des distributeurs sont soupçonnés de grossir parfois
les chiffres…
Oui ! En même temps, derrière ces chiffres, n'oublions pas que présenter un film ou une pièce de
théâtre en Algérie est un événement culturel. Pareil quand une star de la chanson s'y produit.
Considérez-vous Bab el web comme un film français ou algérien ?
Franco-algérien, car c'est un film passerelle, je raconte des histoires d'ici et de là-bas à
travers les personnages principaux qui sont algériens et français, et les situations qu'ils
rencontrent. L'ambiance est tout de même plus algérienne vu que l'histoire se déroule à
Alger, où nous avons tourné.
Que pouvez-vous nous dire sur la santé du cinéma algérien ?
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Quelques-uns se tournent avec beaucoup de difficultés et ils existent pour la plupart parce
qu'ils sont en coproduction avec d'autres pays. Six ou sept films se sont réalisés ces deux
dernières années dont un seul 100% algérien, tourné en DV. On peut donc dire que le
cinéma algérien se trouve dans une situation sinistrée, d'autant plus qu'à une époque, la
production était régulière. Mais quelques jeunes essaient de reprendre le relais et je veux
être optimiste. Grâce aux antennes paraboliques, les jeunes sont en contact avec l'extérieur
et restent ouverts à tout ce qui se fait. Cela engendre une frustration car les films dont on
parle ici ne sont quasiment jamais distribués là-bas d'où le développement du piratage. Bab
el web doit être déjà disponible sur internet j'imagine… Quand j'y avais présenté Chouchou,
on pouvait le trouver en VCD ! La concurrence n'existe pas dans les salles tant les sorties
sont limitées, ce qui n'est pas plus mal pour Bab el web ! (Rire.) Aucun choix n'est offert au
spectateur, ce n'est pas intéressant pour la vie culturelle. J'aurais aimé rester plus longtemps
à Alger pour suivre le film, pour discuter avec tous ces jeunes qui aiment le cinéma… J'ai
emmené là-bas quatre copies qui tournent à travers l'Algérie. Enfin, trois villes : Alger, Tizi
Ouzou et Annaba. Voilà pourquoi je parlais de situation sinistrée : à une époque, nous
avions environ 375 salles. La plupart ont fermé pour se transformer en salles de fête ou en
salle de projection vidéo, sur "grand" écran ou carrément une télévision comme ça a pu
arriver.
Comment se porte internet ?
Il y a une multiplication de web cafés, dans des lieux aussi divers que des caves ou des
appartements. Les tchats, forums de discussions et tout ce qui a un attrait à l'évasion, à
l'extérieur pour assouvir une soif de connaissances. C'est delà que m'est venu l'idée de Bab
el web.
Je trouve que Bab el-Oued City est votre meilleur film mais le plus incroyable
avec vos œuvres tournées dans ce quartier populaire d'Alger, c'est qu'elles
deviennent un véritable témoignage historique qui va encore finalement plus loin que
le cinéma !
J'ai tourné trois films à Bab el-Oued, en 1975, 1993 et 2004. Pendant le tournage de Bab elOued City, je croyais que c'était mon dernier film, les conditions étaient épouvantables. En
1993, l'Algérie basculait vers la violence la plus totale et la caméra était un vrai tabou. J'avais
une équipe légère, nous tournions en Super 16 et les comédiens avaient peur de travailler
avec moi. Je n'arrivais pas toujours à suivre mon scénario car je ne pouvais tourner plus
d'une journée au même endroit, c'était trop risqué. Il en résulte un film proche du
documentaire comme on n'en voit pas tous les jours. Dix ans plus tard, avec Bab el web, je
retrouve un quartier toujours pauvre et populaire mais libre. Nous n'avions pas la peur de
mourir en travaillant ! J'avais donc l'occasion de montrer une autre image, décontractée cette
fois, de l'Algérie, plus conforme à la réalité actuelle et c'est pourquoi j'ai utilisé le
cinémascope. Je suis très satisfait de la lumière et de la photo de Bab el web.
13 mars 2005 - Didier Verdurand
Autoportrait de Merzak Allouache.
http://www.ecranlarge.com/
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Interview
© AFP
Dans un film âpre, Merzak Allouache décrit l’univers désespéré des harragas, ces
clandestins qui traversent la Méditerranée sur des embarcations de fortune. Il
explique à J.A. comment il s’est intéressé au sujet et ses difficultés à tourner en
Algérie.
Ses plus grands succès sont des comédies. Comme Omar Gatlato, ce film désabusé
sur la jeunesse d’Alger, petit chef-d’œuvre d’humour et de sensibilité qui lui valut dès
ses débuts, au milieu des années 1970, une immense notoriété en Algérie puis dans
le monde entier. Ou Chouchou, l’histoire burlesque d’un travesti algérien qui se rend
en France, qui a pulvérisé des records au box-office – 4 millions d’entrées rien que
dans l’Hexagone ! –, grâce surtout il est vrai à la présence dans le rôle-titre de
l’humoriste Gad Elmaleh. Aujourd’hui, Merzak Allouache, également auteur de
nombreuses tragicomédies à portée sociale, de Salut cousin à Bab El Oued City ou
Bab El Web, nous donne à voir un tout autre spectacle.
Avec Harragas, le plus connu et le plus prolifique des cinéastes algériens en activité
a abandonné la veine comique pour le drame. Malgré quelques belles répliques dont
on ne sait si elles appartiennent au registre de l’humour ou à celui du dérisoire et de
l’absurde, Harragas décrit du début – une scène de suicide filmée de manière très
originale – jusqu’à la fin un univers noir et désespéré. Cet univers, c’est celui des
« brûleurs », les harragas, ces hommes qui décident de tout abandonner pour tenter,
sur des embarcations improbables, le voyage clandestin vers l’Europe. On les
appelle ainsi parce qu’avant de partir ils brûlent aussi bien leur passé
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(métaphoriquement) que leurs papiers d’identité (réellement) afin de minimiser le
risque d’être renvoyés dans leur pays d’origine. Ce qui pourtant, comme c’est le cas
dans le film, se produit le plus souvent… du moins s’ils ont réchappé aux dangers
mortels de cette traversée à haut risque.
Un film âpre, dur, sans guère de concessions à l’esthétisme et sans happy end. Mais
un beau film, plein d’émotion, qui tient le spectateur en haleine d’un bout à l’autre. Et
qui ajoute une pièce importante au débat sur l’émigration. Pour l’Algérie comme pour
les pays de l’autre côté de la Méditerranée, à commencer par la France.
Jeune Afrique : Pourquoi choisir particulièrement ce sujet aujourd’hui ?
Merzak Allouache : Je rentre régulièrement en Algérie, plusieurs fois par an. À
chaque fois, je remarque à quel point le pays grouille de jeunes et à quel point ils font
face à des problèmes terribles. Cette situation n’est pas nouvelle, bien sûr : en 1975,
quand je tournais Omar Gatlato, je parlais déjà de la mal-vie, des difficultés à trouver
du travail, des jeunes qui ne pouvaient se raccrocher qu’à la musique, aux fêtes de
mariage, de toutes ces choses qui vont mal. Mais elles se sont aggravées. J’ai pensé
qu’il était à nouveau nécessaire d’en parler. Comme je ne suis pas quelqu’un qui fait
du documentaire, j’ai réalisé ce film-là sur ces jeunes qui veulent partir.
Le phénomène des harragas algériens est un phénomène étrange et terrible à la
fois. J’ai beaucoup appris dessus grâce à la presse algérienne, qui ne se prive pas
d’évoquer la détresse de cette jeunesse marquée par la dureté des années
précédentes, par les émeutes de 1988 puis par les massacres de la guerre avec les
islamistes. Et qui a découvert ensuite les kamikazes, qui parle de violence, de
désespoir et parfois de suicide. La situation est même plus grave aujourd’hui que ce
que je montre avec ce film. Et je la ressens peut-être d’autant plus que je fais
beaucoup d’allers-retours entre les deux rives de la Méditerranée…
Un handicap, cet exil, même volontaire, pour tourner des films qui traitent de
l’Algérie ?
Par force, je vis un peu de façon schizophrénique mon rapport à l’Algérie. Il y a
surtout un problème important, qui me touche : je sens une réticence à ce que je
vienne filmer. Je sais qu’il y a une part de rancœur, de jalousie. Autre chose aussi
sans doute : ceux qui vivent sur place sont confrontés à un phénomène
d’autocensure, ils ne peuvent pas toujours aller jusqu’au bout de ce qu’ils ont envie
de dire. Je suis plus libre dans mes choix, je crois. Mais j’éprouve de grandes
difficultés, notamment morales, à chaque fois que je tourne, je suis de plus en plus
dans une situation de stress. C’est malgré tout de ce pays qui m’a vu naître et
grandir, et que je vois se transformer, que j’ai envie de parler. Je ne suis pas un beur,
je suis un cinéaste algérien qui vit en France pour l’instant. Parce qu’après Bab El
Oued City, en pleine période de violences, n’ayant aucun moyen d’assurer ma
sécurité alors que j’avais tourné un film contre les islamistes, j’ai eu peur.
Harragas, pourtant fort critique, a obtenu le soutien du ministère algérien de la
Culture. Votre travail reçoit donc l’appui des autorités…
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Disons l’appui de la Commission, composée notamment de cinéastes et d’écrivains,
qui décide, depuis l’époque du multipartisme, des aides à accorder aux projets des
cinéastes. Et, contrairement à ce qui s’est passé pour mon film précédent, j’ai obtenu
aussi l’autorisation de tourner. Ce qui ne veut pas dire que lors de la sortie
algérienne de Harragas il n’y aura pas des débats, des polémiques. Mais tant mieux.
Le problème, pour que les films soient vus, ce n’est d’ailleurs pas tant la censure, cet
archaïsme en voie de disparition, que la faiblesse du parc de salles. D’autant que
mes films ne passent guère à la télévision. À part les tout premiers, ils ne sont jamais
programmés, même quand la télévision algérienne est coproductrice. Je ne pense
pas qu’il y ait des consignes. Mais, comme on le sait, il y a des gens plus royalistes
que le roi…
Dans Harragas, n’y a-t-il pas d’une certaine façon deux films, le premier, à terre
à Mostaganem, sur la situation des jeunes en Algérie et la préparation du
départ, l’autre, sur la barque en mer, sur le périple des harragas ?
Les causes du départ, je les considère comme connues, comme presque évidentes
en tout cas. Ce n’était pas le sujet que je voulais traiter. La première partie sur
l’attente du départ me sert surtout à présenter les personnages avant de passer à la
traversée en elle-même. J’avais envie d’accompagner les personnages dans ce
voyage dangereux, ce huis clos, cet enfermement avec ses violences. Sans faire
bien sûr l’apologie de cette aventure, et sans regard moral sur ce qu’ils font. J’ai
même essayé jusqu’à un certain point de rejoindre le documentaire, de ne pas faire
de commentaires.
Dans le film, même les personnages qui arrivent après mille difficultés sur une
plage sont finalement arrêtés et refoulés. Il y a pourtant des cas plus heureux…
Je crois qu’a priori il s’agit d’une traversée suicidaire. Dans le film, tous ne meurent
pas et c’est déjà bien. Et les seuls qui n’ont peut-être pas raté leur projet
d’émigration, même si cela ne reste qu’une hypothèse improbable à la fin du film, ce
sont les plus miséreux sur la barque, ceux qui viennent du Sahara, qui ne savent pas
nager et qui n’ont pas pu gagner la terre ferme par leurs propres moyens. Cela me
plaisait de leur laisser une petite chance.
Avec la reconnaissance internationale qu’obtiennent certains cinéastes comme
Tariq Teguia ou Rabah Ameur-Zaïmeche, assistons-nous à une certaine
renaissance du cinéma algérien grâce à l’arrivée d’une nouvelle génération ?
Ma génération, celle des lendemains de l’indépendance, celle qui a tourné plutôt
confortablement dans un cadre protégé par l’État et dans un pays doté d’un vrai
réseau de salles, a en tout cas presque disparu. Beaucoup de cinéastes de cette
génération ont cessé de travailler quand le système dit socialiste a été démantelé, il y
a plus d’un quart de siècle. Car ils ne savaient pas comment se prendre en charge.
Ceux qui sont restés sur place ont commencé à tourner en rond sans trouver de
solution pour continuer à faire des films. Seuls ceux qui étaient ou sont allés à
l’extérieur ont pu parfois poursuivre leur œuvre. Et les cinéastes que vous avez cités
sont d’ailleurs des réalisateurs qui vivent à l’étranger. Aujourd’hui, il y a en Algérie
même une génération de jeunes très dynamiques, qui semblent impatients, qui
tournent déjà des courts-métrages et qui donnent l’impression que le cinéma peut
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repartir dans le pays. Mais comment, en racontant quoi ? Et comment seront-ils
aidés ? Y aura-t-il à nouveau une vraie politique culturelle, cette fois non
bureaucratique, pour les soutenir ? Attendons de voir.
27 février 2010
http://www.jeuneafrique.com/________________________________________
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Alger 2011
Après les émeutes de décembre et les premières marches pacifi ques, alors que le printemps
arabe commence en Tunisie et en Egypte, Fouzi veut réunir ses comédiens pour leur montrer
le montage inachevé du fi lm qu’il a réalisé deux ans auparavant sur la désillusion d’une
jeunesse qui cherche à exprimer ses idées artistiques.Il cherche un autre point de vue et
surtout une fi n et il compte sur les réactions à chaud des comédiens pour inventer une
nouvelle résolution de son histoire, dans un pays soudainement soulevé par une vague de
contestations.Pendant la projection du fi lm, le débat s’installe : quelle est la place de la
création en Algérie aujourd’hui ? Comment créer sans se confronter à la censure ? Comment
résister ? En réalisant des fi lms ou en marchant vers une nouvelle révolution ? Deux récits
s’entrecroisent, fi ction et réalité ? Débats et errances ? Une nouvelle vision de la jeunesse
algéroise d’aujourd’hui en plein questionnement politique et artistique.
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Cannes 2012 : Zoom sur "Le Repenti" de Merzak Allouache
[Quinzaine des Réalisateurs]
L'algérien Merzak Allouache présente à la Quinzaine le
drame "Le Repenti", une réflexion sur les plaies de son
pays et la difficulté de les cicatriser...
Si dans l'Hexagone, Merzak Allouache est surtout connu pour ses comédies
(Chouchou, Bab el web), c'est un drame tourné uniquement en Algérie que le
cinéaste vient présenter à la Quinzaine des Réalisateurs. Le Repenti raconte
l'histoire d'un impossible retour à la vie normale pour un islamiste bénéficiant d'une
amnistie. Alors que ses crimes le poursuivent, il est prêt à tout pour survivre, même à
entretenir la souffrance de ses victimes. Economie des dialogues et dureté des
rapports humains, le film offre une belle reflexion sur la société algérienne et cette
décision paradoxale d'ordonner le pardon à une population qui panse encore ses
plaies...
http://www.allocine.fr/
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"Le Repenti", du réalisateur algérien Merzak Allouache, est présenté en avantpremière ce samedi 19 mai au Festival de Cannes. Le dernier Allouache est le seul
film africain en lice dans la "Quinzaine des réalisateurs".
C’est dans la "Quinzaine des réalisateurs" que Le Repenti, du cinéaste algérien
Merzak Allouache est présenté ce samedi 19 mai. Pour la 65e édition du Festival
international du film de Cannes, Le film d’Allouache est d’ailleurs le seul long
métrage africain en lice dans cette catégorie.
Les privilégiés pourront donc assister en avant-première à deux représentations de
El taaïb (Le Repenti), à 13h puis à 18h. Et redécouvrir les talents du très prolifique
cinéaste. Trente-cinq ans après sa première apparition sur la Croisette avec sa
comédie Omar Gatlato, l’Algérien livre cette fois-ci aux spectateurs une leçon
d’histoire.
Le long métrage franco-algérien, produit et réalisé par Merzak Allouache, revient sur
une face sombre de l’histoire de l’Algérie. Pendant la décennie noire, dans la région
des Hauts-plateaux où les groupes terroristes continuent à semer la terreur, Rachid,
un jeune jihadiste, décide de quitter ses anciens compagnons et de revenir dans son
village, afin de retrouver les siens. Pour bénéficier des dispositions de la loi sur « la
concorde nationale », il doit se rendre aux forces de l’ordre et restituer son arme.
Après quoi il est amnistié et devient un « repenti ». Mais dans les faits seulement.
Réconcilié avec la loi, l’ancien jihadiste ne peut pourtant oublier les crimes, le sang et
les massacres atroces d’innocents.
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"Film de la colère"
Pour ce film, Allouache s’est entouré d’une équipe d’acteurs 100% algérienne, dont il
a déjà pu éprouver le talent. Il a notamment offert le rôle principal à Nabil Asli, qu’il
avait fait jouer dans Normal!, réalisé en 2011. Et comme dans ce dernier, Asli est
accompagné pour Le Repenti, d’Adila Bendimered. Khaled Benaissa complète le trio
des acteurs principaux.
Le réalisateur algérien, qui vit aujourd’hui en France, est donc retourné sur les traces
de l’histoire sanglante de son pays. Avec toute la difficulté que le traitement d’un tel
sujet a du engendrer. Peu d’informations ont circulé concernant son nouveau film,
mais le cinéaste a promis une chose : Le Repenti sera un "film de la colère".
Une certitude, la réalisation du film s’est faite à la hâte (son précédent long métrage
vient juste de sortir dans les salles en France), et en toute indépendance puisqu’il n’a
pas reçu le soutien financier du ministère de la culture algérien.
Le Repenti concoure dans la "Quinzaine des réalisateurs" aux côtés de 18 autres
films venus représenter 17 pays.
http://www.jeuneafrique.com/
18
Merzak Allouache au Festival Cine Africano de Cordoba, le 12 mai 2011 - CC
Normal 0 0 1 34 172 Courrier international 3 1 240 11.773 0 21 0 0 Le réalisateur algérien
présentait Le Repenti (en salles le 10 avril prochain) au Festival du film et forum international
sur les droits humains, à Genève. Il nous a parlé de l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui.
Le Repenti* est l’occasion pour vous d’évoquer la loi sur la concorde
civile, votée en 1999, qui mit fin officiellement à huit années de guerre entre
le pouvoir et les islamistes radicaux. Treize ans plus tard peut-on évoquer
sereinement cette période ?
Dès le lendemain de l’adoption de la loi s’est installé un silence officiel sur le sujet.
Et les gens, de leur côté, n’avaient plus envie de parler de cette période.
19
Aujourd’hui, nous en sommes au même point, même si certains sujets commencent à
être abordés : la question des
des enfants des victimes du conflit.
disparus
ou
celle
de
l’état
psychologique
Ce conflit a-t-il modifié l’image qu’ont les Algériens de l’islam ?
L’Algérie est un pays musulman, cela n’a donc pas modifié les croyances
véritables des gens. Cela a sans doute accentué l’idée négative que l’on peut
avoir de certaines déviations, comme le wahhabisme.
Où en est l’Algérie aujourd’hui ? Un nouveau printemps algérien est-il possible à l’image de la
révolte de 1988** ?
Je constate au quotidien que la société algérienne n’est pas apaisée.
Il y a régulièrement des bouffées de violence. On peut parler d’une
protestation générale qui ne s’exprime pas via les partis, mais au travers
d’émeutes contre le prix de l’eau, la pénurie de logements, etc. Les gens
s’organisent pour protester, sans que cela aboutisse à quelque chose au niveau
national. Les partis sont décrédibilisés, manipulés. Il y a un désintérêt
marqué envers la politique. Et même les mouvements islamistes sont tournés en
dérision. Aujourd’hui, on ne regarde pas de la même façon un barbu ou une femme
voilée que dans les années 1990.
La
société
algérienne
est
malade,
tiraillée,
enfermée
dans
des
contradictions absolues : quel sens donner à la religion ? Comment éviter
un nationalisme exacerbé ? Les Algériens sont très perturbés, même s’ils
ne
l’avouent
pas.
Mais
comment
changer
les
choses ?
Radicalement, comme dans les pays voisins qui ont fait appel aux islamistes ?
Je n’ai pas de réponse.
La repentance était-elle la bonne solution ?
Il fallait faire quelque chose pour arrêter cette violence monstrueuse [150 000 morts entre
1991 et 2002]. Malheureusement, on a refusé d’aborder la question de la justice due
aux victimes.
Comment en finir avec le pouvoir des militaires sur le système politique algérien ?
Il faut une véritable vie politique, une démocratie qui existe au quotidien.
Tant que ce ne sera pas le cas, la vie sera difficile en Algérie. Le fait que le pouvoir soit
20
aux mains des militaires ou des civils n’y change rien d’ailleurs. L’Algérie est un pays
très riche où la richesse est très mal redistribuée, où le gaspillage,
l’injustice et la corruption règnent en maître. On le voit encore ces jours-ci
avec le nouveau scandale à la Sonatrach [le parquet d’Alger a ordonné, le 10
février, l’ouverture d’une enquête sur une affaire de pots-de-vin qui
auraient été versés par le pétrolier italien ENI à des responsables de la
compagnie pétrolière nationale algérienne afin d’obtenir des contrats]. Les gens
sont dégoûtés. Evidemment, comme dans d’autres pays du tiers-monde, il y a
aussi des gens qui tirent les ficelles derrière. J’ai très mal quand je vois
cette Algérie à la traîne, par exemple au niveau culturel, où rien n’est fait, si
ce n’est des coups d’éclat vides de sens.
Comment avez-vous vécu la visite de François Hollande en Algérie ?
J’ai quitté Alger le jour de sa visite. On lui a offert une image de
façade de l’Algérie. Le pouvoir a fait repeindre les principaux axes de la
ville pour cacher la misère en arrière-plan. Rien n’est fait pour ce qui n’est
pas
visible.
C’est
à
l’image
de
l’Algérie :
l’improvisation
la
plus
totale.
Concernant la polémique sur les excuses de la France pour la guerre menée
contre le peuple algérien [François Hollande a reconnu devant le Parlement
algérien
“les
souffrances
infligées
par
la
colonisation”,
sans
pour autant faire d’excuses officielles], il y a ceux qui disent qu’il faut
avancer et ne pas perdre de temps à ce sujet. Ceux-là sont guidés par des
intérêts uniquement économiques et financiers : les affaires avant tout.
Et il y a ceux qui veulent une véritable repentance, mais qui cherchent en
réalité à exacerber le nationalisme pour masquer les autres problèmes, beaucoup
plus graves, du pays. Tout cela alors que la plupart des gens s’en foutent
aujourd’hui !
Quel avenir pour des jeunes qui, pour beaucoup, n’ont qu’une idée en tête : l’émigration ?
J’avais enquêté sur le sujet pour mon film Harragas [(2009) ; nom donné aux
migrants clandestins]. A la base, il y a un problème d’enfermement. Je pense
bien évidemment aux jeunes issus des classes populaires. D’une part, le taux de
chômage est élevé et, d’autre part, quand on est jeune, on
d’autres choses. Une partie des jeunes de la planète peuvent
un sac à dos et partir. Pas en Algérie. Ces jeunes se sentent
d’ailleurs un antagonisme entre les jeunes Français issus
21
a envie de voir
voyager, prendre
assiégés. Il existe
de l’immigration
algérienne
et
les
“blédards”,
comme
on
les
appelle.
Pour
ces
derniers, les immigrés se plaignent trop alors qu’ils ont tout ce qu’eux n’ont
pas : un logement, des équipements sportifs, la liberté de voyager.
Dans Le Repenti, l’un des personnages principaux regarde la
télévision chinoise. Comment les Algériens perçoivent-ils la présence de
travailleurs chinois dans leur pays ?
Récemment,
des
Algériens
j’ai
car
lu
il
qu’un
les
entrepreneur
trouvait
chinois
fainéants !
Comme
refusait
partout
de
dans
faire
le
travailler
monde,
à
partir du moment où l’on est immigré, on est victime du mépris. Mais, la plupart
du temps, les gens s’en foutent. Ils ont recours à la dérision plutôt que de reprocher aux immigrés de
manger
le
pain
des
Algériens,
comme
on
peut
l’entendre
dire
en
France de la part de l’extrême droite. C’est malheureusement différent s’agissant des personnes
originaires de l’Afrique subsaharienne. Là, il existe un véritable racisme envers eux en raison de leur
statut de clandestins, en transit, ce qui fait qu’on les rattache immédiatement à toutes
sortes de trafics, à la violence.
Votre film a-t-il été vu en Algérie ?
Il n’est pas sorti en salles. Il a été vu lors de rencontres à Bejaïa [ville
située à l’est d’Alger, la plus peuplée de Kabylie] et à Alger. Mais on ne
parle presque plus des films en Algérie, car il n’y a plus de cinémas, et ce sont
toujours les mêmes personnes qui viennent assister aux rares projections. C’est
une situation vraiment très triste. Cela fait plus de vingt ans que mes films
ne passent pas à la télévision algérienne, ils sont vus sur des DVD pirates ou
sur des télévisions étrangères. Face à une telle désolation, j’ai parfois envie
d’arrêter.
Quel sera le thème de votre prochain travail ?
Les terrasses. Ce sera d’ailleurs le titre du film. On vit de plus en plus sur les
terrasses des toits des maisons, notamment du fait de la croissance
démographique
et
du
manque
de
logements
et
d’argent.
J’ai
voulu
regarder Alger d’en haut à travers ces contradictions et montrer la violence
latente.
http://www.courrierinternational.com/
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Les Terrasses": retour à la vie d'une "société
algérienne malade"
Venise - Dans son film "Les terrasses", en compétition vendredi à
la 70ème Mostra, veille du palmarès, le réalisateur franco-algérien
Merzak Allouache donne sa vision impressionniste d'une société
algérienne "malade de ses contradictions", filmée des toits d'Alger.
Dans un entretien à l'AFP, le réalisateur de "Chouchou" (2003), 67 ans, qui a
quitté l'Algérie pendant les années noires et vit en France, explique son projet et
les espoirs qu'il nourrit pour son pays natal.
Filmé en janvier 2013 de cinq terrasses dans cinq quartiers d'Alger (la Casbah,
Bab el Oued, Belcourt, Notre-Dame d'Afrique, Telemly), "Les Terrasses" raconte
cinq histoires sombres et fictives de violence ordinaire.
23
Rythmées par les appels à la prière des muezzins, elles sont filmées comme des
huis clos à ciel ouvert et alternent avec des plans panoramiques de la ville
blanche, sa mer azur et son horizon à perte de vue.
L'auteur de "Normal" et "Le repenti", pour la première fois en compétition officielle
à Venise mais habitué du festival italien et de celui de Cannes en sections
parallèles, y poursuit son exploration de la société algérienne à travers une
galerie de portraits.
Par petites touches, il passe de personnage en personnage sans s'apesantir. On
croise une mère âgée rejetée par sa famille qui vit seule avec son fils et sa fille,
adultes, l'un drogué, l'autre mutique; une petite fille qui apporte de la nourriture à
son oncle "fou", enfermé comme un chien dans une niche; de jeunes musiciens
en quête d'un lieu pour jouer et d'espoir; un prédicateur abuseur, un alcoolique,
un homme qui torture son frère...
"Malvie"
"Alger est construite sur des collines. On voit facilement les terrasses qui ont
toujours joué un rôle dans cette ville. J'avais envie de travailler sur cette
perspective de hauteur pour parler des problèmes de la société algérienne",
explique à l'AFP Merzak Allouache.
"Depuis quelques temps les choses se sont aggravées. On n'en est pas arrivé à
la situation égyptienne où les gens habitent dans les cimetières mais on squatte
les terrasses, il y a des bidonvilles", poursuit-il.
"Je travaille depuis longtemps sur cette société, très malade des années de
terrorisme et de violence absolue. Depuis 1999, une espèce d'amnésie s'est
installée. On ne parle plus de ce qui est arrivé, on le refoule", analyse-t-il.
Dans le film, la religion, omniprésente, contraste violemment avec les problèmes
quotidiens des gens. Le réalisateur met en scène ses outrances et ses
24
déviances, à travers un prédicateur, incapable d'empathie, qui abuse de
l'ignorance des fidèles et en particulier de celle d'une femme.
"On a l'impression que les appels à la prière ne servent à rien, qu'ils sont juste là
comme une ambiance sonore parmi les autres bruits", constate le réalisateur.
"Les terrasses" parle aussi de la jeunesse qui rêve de musique et de jours
meilleurs. "Dans cette mégapole, souligne Merzak Allouache, 80% des habitants
sont des jeunes, au chômage, complètement perdus, qui vivotent. Mon film parle
de cette +malvie+, des inégalités flagrantes, dans un pays riche grâce au
pétrole".
"Les jeunes revendiquent de plus en plus, et leurs revendications s'expriment par
la violence. Il y a des émeutes mais elles sont motivées par des problèmes
sociaux, le logement, les coupures d'eau, la malvie", ajoute l'auteur de "Harragas"
(2009), l'exil désespéré de jeunes quittant l'Algérie en barques pour l'Europe.
"L'Algérie a subi une telle violence, et surtout une violence qui l'a isolée, sans
soutien de ses voisins, qu'aujourd'hui les Algériens observent avec une certaine
neutralité ce qui se passe dans le monde arabe, en ayant l'impression de l'avoir
déjà vécu", souligne le réalisateur.
"La société algérienne doit évoluer, elle a besoin de changements démocratiques
qui ne peuvent se faire qu'avec un débat démocratique", ajoute celui qui dit "ne
pas concevoir de faire un film sur son pays sans évoquer sa réalité".
Par AFP , publié le 06/09/2013
http://www.lexpress.fr/
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25
Merzak Allouache à la Cinémathèque d'Alger, lundi 9 mai 2014
Heureusement qu'il y a le festival d'Alger du cinéma maghrébin pour projeter mes
films”. Les premières paroles de Merzak Allouache en cette soirée du 8 juin rappellent
d'emblée la triste réalité. “Un an après sa sortie, il était temps que Les Terrasses soit vu
en Algérie”. Et pour cette première et dernière avant-première, tous les sièges de la
salle du cinéma El Mougar d'Alger étaient pris.
“L'idée m'est venue en réalisant des repérages pour le film de ma fille. Je me suis aperçu qu'il
y avait une vie incroyable sur ces terrasses. Et, comme c'est devenu très compliqué de tourner
dans les rues d'Alger à cause de la foule et de la circulation, je me suis dit que tourner sur les
terrasses me permettrait d'être tranquille tout en étant dans un “intérieur-extérieur”, raconte le
réalisateur lors de la rencontre organisée à la Cinémathèque le lendemain de la projection.
Au total, Merzak Allouache, a visité une cinquantaine de terrasses pour n'en retenir que cinq.
“A chaque fois que l'on montait, on rencontrait un habitant de l'immeuble qui nous disait, “pas
de problème pour filmer” et quand on redescendait, on retrouvait cinq autres voisins qui
affirmaient “ce n'est pas lui, c'est moi qui m'occupe de la terrasse”. Ça aurait pu être un film
en lui-même!”
26
Tranches de vie
De ces repérages, ses observations et son vécu, Merzak Allouache, en a tiré cinq histoires.
Dans ces “tranches de vie” fictionnelles qui se déroulent sur les toits de la capitale, la réalité
n'est jamais très loin. “On aurait dit qu'il racontait mon enfance”, s'exclame Abdou, 27 ans,
originaire de Belcourt, à la sortie du film.
Lieux d'habitation, terrain de sport, espace de trafics en tout genre mais aussi studio de
répétition et sas de liberté, les terrasses rejouent les drames de la société d'en bas. S'y
mêlent amour, reliogisité, violence, intolérance dans une joyeuse effervescence.
Tourné en onze jours - trois jours pour la terrasses de Notre Dame d'Afrique et deux jours
pour les quatre autres - avec un “budget très serré”, d'après les mots du réalisateur, le film
rassemble des acteurs et chanteurs connus, avec notamment l'apparition du groupe Djmawi
Africa et de la chanteuse Salima Abada, et des comédiens non professionnels.
Image
“Depuis les terrasses, j'ai vu cette Alger déglinglée, saccagée. J'y ai retrouvé des parcelles de
cette ville ancienne, celle que j'aime mais ce sont devenus des lieux de confrontation”, confie
le réalisateur au public de la Cinémathèque venu l'écouter.
C'est cette image que Markaz Allouache a retransmis à l'écran. Ce qui ne plaît pas à tout le
monde. “On me reproche souvent de montrer une image négative de l'Algérie”, témoigne
27
l'auteur des Terrasses. On a un problème d'image dans notre pays. “Tu montres des choses
que l'on n'a pas envie de voir”, m'a dit une dame algérienne à la sortie de la salle”.
Mais, aujourd'hui, Merzak Allouache n'a plus envie de rire. La situation du pays est trop
grave. “Je ne suis pas dans une période de comédie”, avoue le réalisateur qui a déjà prévu un
nouveau tournage à Alger en septembre, octobre. “Je trouve qu'en Algérie, nous sommes dans
une période très dure”. Malgré ses dires, il arrive toujours à nous faire sourire. “Je pense que
le Ministère du Tourisme devrait avoir une agence pour faire visiter les terrasses d'Alger”!
HuffPost Maghreb | Par Nejma Rondeleux
Publication: 10/06/2014
http://www.huffpostmaghreb.com/algeria
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Merzak Allouache : « La violence en
Algérie est à fleur de peau »
Trois ans après "Le Repenti", Merzak Allouache est de retour avec "Les Terrasses",
un film unanimement salué par la critique. Sélectionné au 70e Festival de la Mostra
de Venise, il a reçu le Grand prix du film arabe au Festival d'Abu Dhabi, ainsi que le
prix de la critique internationale. Rencontre avec un réalisateur qui regarde en face la
société algérienne.
Au rythme des cinq prières de l’islam, le temps d’une journée, le dernier film de
Merzak Allouache invite le spectateur à découvrir cinq quartiers d’Alger à travers cinq
terrasses, chacune donnant à voir une histoire particulière. Le réalisateur, pour qui la
ville natale est une source inépuisable d’inspiration, livre dans son oeuvre un regard
désabusé sur la société algérienne, "malade de ses contradictions".
Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi de tourner uniquement sur des terrasses
pour ce film ?
Merzak Allouache : À Alger, mais aussi à Oran et dans les grandes villes d’Algérie,
il y a beaucoup de terrasses sur les immeubles. Elles jouent un rôle dans la ville, un
rôle qui a changé. Avant elles étaient considérées comme le lieu des femmes. Dans
la casbah ou dans les villes européennes d’Algérie, les femmes s’y retrouvaient
fréquemment. Mais depuis quelque temps, à cause du surpeuplement, les gens
logent là où ils peuvent, et ils se sont mis à habiter sur les terrasses, dans les caves.
Et finalement tourner sur ces terrasses me paraissait intéressant, il s’agissait pour
moi d’un studio à ciel ouvert où je pouvais raconter mes histoires, tout en gardant
une vue sur Alger. J’essaie d’observer la société algérienne dans ses traditions, ses
mutations. J’essaie de porter un regard sur les gens qui font partie de cette société.
De quoi vous êtes-vous inspiré ?
Je m’inspire comme dans tous mes films de la réalité algérienne. Quand je suis en
Algérie, j’apprends plein de choses. Il y a des milliers d’histoires qui sont racontées,
des rumeurs qui circulent. Et malgré l’immobilisme de la société, il y a des choses
incroyables qui se passent. Alors je lis, je regarde autour de moi. En général, je
retravaille pour la fiction des histoires qui ont existé, qu’on m’a racontées, que j’ai
vues. Donc il y a bien sûr une grande part de réalité. D’ailleurs, lors de la projection
du film à Toulon, récemment, il y a avait des Algériens dans la salle, dont certains
m’ont dit que le film leur rappelait des choses qu’ils avaient vu ou connu en
Algérie.
29
Entre les scènes de torture, les coups, les meurtres, le film déborde de
violence. À l’image de la société algérienne ?
Nous avons vécu des années terribles et nous n’avons pas réglé les problèmes de
cette décennie noire. La violence qu’on a vécue a été une violence suprême,
incroyable. Les choses ne peuvent pas disparaître comme cela. La société
algérienne n’est pas stabilisée, après ce qu’elle a vécu. Or il y a aujourd’hui une
amnésie qui s’est installée, une sorte de chape de plomb, ça n’a pas l’air de bouger.
Les jeunes générations se plaignent, veulent partir, ne trouvent pas leur compte dans
cette société. Oui Alger est très belle, mais on s’y ennuie beaucoup. La violence en
Algérie est à fleur de peau. Et ce n’est pas seulement à cause de l’islamisme. II y
aussi la question de savoir ce que nous sommes, où nous allons. Il faut dans toute
société un projet. Mais en Algérie, le seul projet, c’est le commerce informel, les
épiceries, les gens qui vendent, qu’ils soient barbus ou non. On a l’impression d’un
vide qui se ressent d’autant plus fortement dans la vie culturelle. Il n’y a pas
d’infrastructures, pas de moyens de distraction, il n’y a que des commerces et des
habitations.
Votre regard sur la société algérienne est donc pessimiste…
Disons que, dans mon observation actuelle, je suis pessimiste, je regarde la société
d’un œil critique. Et quand vous allez en Algérie, beaucoup de gens sont
pessimistes, se plaignent de quelque chose qui est là, latent, de cette société qui
stagne sans projet. Quand vous allez en Algérie, vous croisez dans les rues des
commerçants, des gens qui marchent, sans savoir pourquoi. On ne sait pas où on en
est, ce n’est donc pas un tableau réjouissant.
La vraie censure, c’est qu’on ne montre pas nos films
au public. Il n’y a pas de salle.
Quel a été l’accueil réservé au film en Algérie?
J’ai présenté le film au Festival du film maghrébin qui a eu lieu à Alger. Les gens du
milieu sont venus. Il y a un microcosme de culture à Alger. Ils ne sont pas nombreux,
mais à eux seuls, ils ont rempli la salle (rires). Quant à la presse, elle n’aime pas mes
films. Je ne sais pas pourquoi. Beaucoup de journalistes algériens me reprochent de
tourner des films sur l’Algérie alors que je n’y vis plus. C’est une presse qui se
proclame indépendante, mais dont on sait qu’elle n’a au fond aucune indépendance.
C’est un ensemble de gens qui ne travaillent pas sur la crise de la culture et de la
production artistique, qui s’instituent critiques de cinéma sans qu’on sache d’où ils
viennent. Ils se contentent de flatter les films officiels, les films sur la guerre
d’indépendance. Mais j’accepte bien sûr toutes les critiques. Quand je tourne un film,
je pars du principe qu’il appartient à tout le monde, chacun écrit ce qu’il veut, mais
personnellement, je ne prends pas en compte la presse algérienne.
On vous a aussi reproché de ne pas boycotter Israël, d’où vient cette
polémique ?
C’était au moment où le film a été sélectionné au festival de la Mostra de Venise.
Des journalistes m’ont sorti une histoire selon laquelle parce qu’il y avait également
un film israélien sélectionné [Ana Arabia, de Amos Gitai, NDLR], je devais retirer mon
30
film en guise de symbole de boycott d’Israël. J’ai évidemment refusé car c’est
n’importe quoi sauf un bon motif…
Dans quelles mesures les réalisateurs algériens sont-ils confrontés à la
censure?
La vraie censure, c’est qu’on ne montre pas nos films au public. Il n’y a pas de salle.
On en arrive au point où un film tourné en Algérie n’a de sens d’exister que s’il est
présenté dans des festivals ou qu’il est diffusé à l’étranger. On a des films officiels,
des professionnels du milieu qui viennent les voir, et on s’arrête là. Il n’y a pas de vie
culturelle. C’est ma grande frustration. Il y a des cinéastes qui se complaisent dans
cette situation, qui trouvent cela normal. À cette censure indirecte liée à l’absence de
diffusion en Algérie, s’ajoute parfois une censure directe sur le scénario qu’on
dépose. J’en ai payé les frais lors de mon film Le Repenti pour lequel je n’ai reçu
aucune aide financière au motif que les autorités n’étaient pas d’accord avec le sujet
de mon film. Cette censure peut amener les cinéastes à faire de l’autocensure.
Tristement, c’est le cas dans le monde arabe : les cinéastes connaissent les lignes
rouges qu’il ne faut pas dépasser. Et cette autocensure amoindrit les choses qu’on
raconte dans un film ou une pièce de théâtre.
20015
http://www.jeuneafrique.com/
31
Petit retour dans l’histoire du film algérien avec Merzak Allouache, aussi bien à
l’aise dans le cinéma (« Omar Gatlato ») que dans le documentaire (« Vie et
mort des journalistes algériens » réalisé pour ARTE) ou la fiction et des
émissions humoristiques (il vient de finir « The Bay of Algiers » pour la
télévision algérienne).
Le réalisateur à la renommée internationale qui dénoncait déjà en 1994
l’intégrisme religieux dans « Bab el-Oued City » prouve qu’il est capable de
filmer autant le réalisme cru de la guerre ou de la traversée des immigrés
clandestins (« Harragas »), que les mécanismes du rire (« Chouchou »).
Depuis le Printemps arabe, est-ce que les conditions de faire du cinéma en
Algérie ont changé ? Pouvez-vous nous parler comment c’était avant et après
la révolution ?
32
Merzak Allouache : Les conditions de tournage, la manière de faire des films, a
évolué en Algérie depuis que ce pays est indépendant, puisque dans les premières
années d’indépendance, l’Algérie se voulait pays socialiste avec une centralisation
de la culture, une centralisation de l’information, avec un parti unique. Ce qui fait qu’il
y avait un centre du cinéma, les cinéastes étaient salariés, il y avait une production
cinématographique, et ce jusqu’à la fin des années 80. Par la suite, on est passé à
un autre système politique, un système libéral. Toutes les structures étatiques qui
aidaient à la production, qui produisaient, qui distribuaient, ainsi que les salles,
appartenaient aussi à ces structures, tout le circuit, de la production à la distribution
était centralisé. Tout ce système c’est effondré et le cinéma a été privatisé.
Ceux qui voulaient avoir des sociétés de production pouvaient avoir des sociétés de
production, pouvaient produire des films, sauf que le problème c’est qu’il n’y avait
pratiquement plus de financement. Depuis, il y a des aides qui ne sont pas
suffisantes et il y a une commission qui lit les scénarios et qui décide de donner cette
aide qui sera vraiment d’un faible montant par rapport aux coûts d’un film. Et c’est là
que se pose le problème, c’est qu’au niveau de cette commission jusqu’à présent, il y
a quand même une espèce de censure, il y a une espèce de dirigisme, puisque
depuis l’indépendance de l’Algérie tout le monde sait – à l’intérieur, à l’extérieur du
pays les cinéastes le savent – qu’il y a une méfiance par rapport à l’image, par
rapport au son, par rapport à l’histoire qu’on raconte. Et cette méfiance est encore
plus grande vis-à-vis de tout se qui peut passer à la télévision algérienne. Moi, j’ai
une grande partie de mes films qui n’ont jamais été diffusés à la télévision
algérienne. En particulier tous les films que j’ai pu faire depuis 1993, dont un film qui
parlait du terrorisme, de l’islamisme politique, de la violence etc. Et donc, depuis,
avec les cinéastes qui sont maintenant de la nouvelle génération, les jeunes, il y a
des choses qui se font. Il faudrait donc voir avec les jeunes. Pour les anciens
cinéastes, beaucoup ont baissé les bras, parce que qu’ils n’arrivent pas à monter
leurs projets. Et il y a un peu une espèce de jeu du chat et de la souris avec les
scénarios, avec la censure.
Et depuis le Printemps arabe ?
Merzak Allouache : Depuis le Printemps arabe, je n’ai pas vu de films nouveaux.
Donc je ne sais pas vraiment si ce qui se passe dans les pays arabes, ce qui a
influencé l’écriture, s’il y a des choses qui sortent. Il va y avoir en octobre le Maghreb
des films (http://maghrebdesfilms.fr/), c’est un petit festival qui a lieu à Paris, il y a un
regroupement de films maghrébins, et j’ai entendu dire qu’il y a plusieurs court
métrages qui ont été produits il y a pas très longtemps en Algérie qui vont être là,
mais franchement je ne sais pas quel est leur contenu ni de quoi ils parlent. Comme
il y a des problèmes de financement, les films mettent beaucoup de temps à se
monter. Je ne sais pas s’il peut y avoir actuellement un film terminé et qui a été
commencé après février. Je n’ai pas eu de discussion avec de jeunes cinéastes, je
ne sais pas s’ils sont vraiment influencés. Bien évidemment, il y a une écoute de ce
qui se passe dans les pays voisins, et surtout tout le monde aimerait pouvoir
s’exprimer librement.
33
Justement, par rapport à cette liberté d’expression, pensez-vous que
dorénavant on pourra parler de thèmes qu’on na pas pu aborder ? Ou parler
des thèmes d’une autre manière ? Est-ce qu’il y a cet espoir ?
Merzak Allouache : Par rapport à la liberté d’expression, jusqu’à présent je ne suis
pas très optimiste, parce que comme je l’ai dit tout à l’heure : l’image fait peur. Par
contre ce qui n’est plus contrôlable, c’est l’image d’amateur, l’image indépendante,
l’image qui passe par les circuits d’Internet, par les circuits sociaux, par Facebook et
Youtube. Et là vraiment, tout le monde s’en donne à cœur joie dans tous les pays.
De plus en plus, les jeunes sont branchés sur ces circuits, voient des images. Ces
images sont filmées très vite et sont montrées. En Algérie par exemple il y a vraiment
des émeutes quotidiennement un peu partout à travers le territoire national et ces
émeutes sont tout de suite filmées par des téléphones portables et sont vues partout.
Donc au niveau de l’actualité immédiate, personne ne peut rien, bon sauf si on
bloque comme on l’a fait dans certains pays Internet pendant des périodes précises.
Par contre tout ce qui concerne la fiction, le documentaire, j’ai l’impression que c’est
plus compliqué. En Algérie nous n’avons plus l’état d’urgence, mais une caméra qui
est sortie en extérieur nécessite une autorisation de tournage, donc on ne peut pas
tourner sans une autorisation de tournage, on ne peut pas prendre de photos. Il y
alors cette situation qui fait que le résultat c’est aussi l’autocensure : quand on sent
une pression, il y a l’autocensure.
Je pense que par rapport à ce qui se passe actuellement dans le monde arabe, par
rapport aux informations qui nous parviennent d’Algérie, où il semblerait qu’il y ait
une recherche de solutions démocratiques à tous les problèmes qui se posent dans
ce pays, qui est un pays riche ne l’oublions pas, qui est aussi un pays où tous les
jeunes sont vraiment très malheureux, qui est un pays où les jeunes partent dans
des barques, traversent malgré les risques etc. …il faut qu’il y ait une ouverture
démocratique ! Je crois que tout le monde an Algérie est conscient de la nécessité
de cette ouverture démocratique. Et effectivement s’il y a cette ouverture
démocratique cela profitera aussi à la circulation des idées et donc aussi à la
création artistique, cinématographique et théâtrale etc…
Merci pour la transition vers une dernière question que je souhaite vous poser
: quelle est votre définition personnelle de ce que c’est la démocratie ?
Merzak Allouache : Pour moi, la démocratie c’est que tout citoyen puisse s’exprimer
et on ne doit pas le pousser à s’exprimer par la violence. Car si on offre à ces
citoyens une autre alternative que la violence, ils s’exprimeront comme s’expriment
les citoyens qui en Europe manifestent, votent, participent, créent des associations
etc…
Interview : Sabine Lange
http://monde-arabe.arte.t
34
Merzak ALLOUACHE
Algérie
© DR
Merzak ALLOUACHE est né le 6 Octobre 1944 à Alger. Il suit des études
cinématographiques dans la section réalisation de l'Institut National du Cinéma d'Alger en
1964 où il réalise Croisement, son film diplôme. Après Le Voleur, son premier court-métrage,
il complète sa formation par des stages à l'IDHEC en 1967 et à l'ORTF en 1968. Il travaille
également comme assistant sur quelques films.
Merzak Allouache réalise des documentaires, des émissions humoristiques pour la télévision
algérienne et plusieurs longs-métrages de fiction dont Omar Gatlato présenté à la Semaine de
la Critique en 1977, Bab el-Oued City présenté dans la section Un Certain Regard en 1994 ou
encore la comédie Salut cousin ! sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs.
Après un documentaire pour Arte (Vie et mort des journalistes algériens) et plusieurs
téléfilms, le réalisateur revient au cinéma en 2001 avec L'Autre monde. L'année suivante, il
pousse son ami Gad Elmaleh à transposer sur grand écran l'un des personnages de son oneman-show, le travesti romantique Chouchou, dans une comédie dont il assure la mise en
scène. Normal ! écrite en 1995 est sa première pièce.
Formation
1967 Diplômé de Réalisation I.D.H.E.C
35
FILMOGRAPHIE
2015 Madame Courage (post-production)
2013 Les Terrasses
2012 Le repenti
2012 La baie d'Alger (TV)
2011 Normal!
2011 Tata Bakhta (TV)
2009 Harragas
2009 Tamanrasset (TV)
2005 Bab el web
2003 Chouchou
2001 L'autre monde
2001 À bicyclette (TV)
1999 Pepe Carvalho (série TV) - épisode : La solitude du manager
1998 Alger-Beyrouth: Pour mémoire (TV)
1996 L'amour est à réinventer, dix histoires d'amours au temps du
sida (segment "Dans la décapotable")
1996 Salut cousin!
1995 Lumière et compagnie (segment "Merzak
Allouache/Aubervilliers")
1994 Bab El Oued City
1989 L'après-Octobre (Documentaire)
1987 Un amour à Paris
1986 L'homme qui regardait les fenêtres
1979 Mughamarat batal
1977 Omar Gatlato
Auteur-réalisateur de cinéma
2008 HARRAGAS LIBRIS FILMS ET BAYA FILMS
2004
BAB EL WEB Comédie avec Sami Naceri, Faudel et Julie Gayet MAIA FILMS
2003 CHOUCHOU long-métrage fiction Avec Gad Elmaleh, Alain Chabat, Roschdy Zem et
Catherine Frot FILMS CHRISTIAN FECHNER Sortie 19 mars 2003
2001 UN AUTRE MONDE LANCELOT FILMS / ARTE
1995 SALUT COUSIN fiction JBA PRODUCTION
INTERDIT DE CAMERER ! court-métrage Dans le cadre "Les Films Lumière du 2ème
siècle" CINÉTÉVÉ
avec l'utilisation de la caméra et tournage dans les conditions de l'époque
36
1994
1986 UN AMOUR A PARIS fiction LES PRODUCTIONS DE LA LUNE (Paris) Festival
des Films du monde Montréal, Valence (Espagne), Namur (Belgique) - Prix Perspectives du
Cinéma Français à Cannes
1983
L'HOMME QUI REGARDAIT LES FENETRES fiction ONCIC (Alger)
1976 OMAR GATLATO fiction ONCIC (Alger) Semaine de La Critique à Cannes, Fimex
Los Angeles, Forum Jeune Cinéma Berlin, Festival de Locarno, Théssalonique, Melbourne,
Karlovy vari, Téhéran, Tokyo, Mexico, New-York, New Delhi.1er Prix du Festival de la
Francophonie à Cabourg et Médaille d'argent à Moscou
LES AVENTURES D'UN HEROS fiction ONCIC - RTA (Alger) Festival d'Amiens,
Montpellier, La Havane, Tokyo, Mexico, Valence - Prix Tanit d'Or à Carthage
Auteur-réalisateur de télévision
2008 TATA BAHKTA en collaboration avec Sophie Deschamps 96' Telfrance/ France 2
TAMANRASSET En collaboration avec Dominique Garnier STUDIO INTERNATIONAL /
ARTE
2005
BABOR DZAÏR ENTU (Algérie)
série 22x26'
1999/1998
ALGER-BEYROUTH CINÉTÉVÉ / ARTE
LA SOLITUDE DU MANAGER - PEPE CARVALHO TANAÏS / ARTE
1999
A BICYCLETTE FLACH / ODESSA / FR2
1996 DONYAZAD ET MONDJANE ARTE / ARDÈCHE IMAGE PRODUCTION
1994
1991
JOURS TRANQUILLES EN KABYLIE ARTE
VOICES OF RAMADAM BBC 2 (Angleterre)
1989
FEMMES EN MOUVEMENT
Sur les luttes des femmes en Algérie
QABSA CHEMMA Emissions humouristiques ENTV (Algérie)
1988
L'APRES OCTOBRE
Sur les émeutes d'octobre et la Démocratie
Scénariste de cinéma
2008
HARRAGAS, LIBRIS FILMS
37
LA BAIE D'ALGER (en cours) adaptation de l'ouvrage éponyme de Louis Gardel publié au
Seuil, Cie des Phares et Balises
LA MARCHE, Adaptations et dialogues scénario de Nadia Lakhdar LIBRIS FILMS
2004
BAB EL WEB, Comédie MAIA FILMS
2003
CHOUCHOU, Co-écrit avec Gad Elmaleh long métrage Comédie FILMS CHRISTIAN
FECHNER
CHOUCHOU 2, FILMS CHRISTIAN FECHNER
2002
PAYSAGES APRÈS LA BATAILLE BAYA FILMS
2001
UN AUTRE MONDE LANCELOT FILMS / ARTE
TONTON DU BLED Comédie TELFRANCE
1998/1997
J'AI REVE NEW-YORK DACIA FILMS
en écriture
1995
INTERDIT DE CAMERER ! court-métrage CINÉTÉVÉ
SALUT COUSIN JBA PRODUCTION
1994
BAB EL-OUED CITY LES MATINS FILMS
1986
UN AMOUR À PARIS LES PRODUCTIONS DE LA LUNE (Paris)
1983
L'HOMME QUI REGARDAIT LES FENETRES ONCIC (Alger)
1976 OMAR GATLATO ONCIC
LES AVENTURES D'UN HÉROS ONCIC / RTA (Alger)
Romancier
1995 BAB EL-OUED édition du Seuil
http://www.africultures.com/php/
38
Le cinéma algérien, entre les deux rives
de la Méditerranée
De Merzak Allouache 64 ans, le public français connaît surtout les derniers films,
dont Bab el-Oued City, Salut cousin ! et Chouchou, avec Gad Elmaleh.
Mais son film phare qui l’a fait connaître hors des frontières algériennes, Omar
Gatlato, chronique picaresque d’une jeunesse algéroise désœuvrée, date de 1976.
Plus de trente ans plus tard, « le cinéma algérien is back », selon la formule de Lyes
Salem, 36 ans, qui a raflé une moisson de prix internationaux pour son premier longmétrage sorti en 2008, Mascarades, en sus d’un césar décroché en 2004 pour un
court, Cousines.
Autre révélation, Tarik Teguia, qui s’est offert son premier long-métrage à 41 ans :
sorti en 2007, Roma wa la N’Touma (Rome plutôt que vous) a été salué par la
critique, rassurée par le suivant, tout aussi réussi, Gabbla (Inland), sorti sur les
écrans français en juin 2009.
Enfin, Rabah Ameur-Zaïmeche, né en Algérie en 1966 et qui a grandi en SeineSaint-Denis, est un autre maillon de ce cinéma franco-algérien en plein essor. Bled
Number One puis Dernier maquis, qui ont reçu un accueil enthousiaste au Festival
de Cannes, respectivement en 2006 et en 2008, outre d’autres prix glanés ailleurs,
ont achevé d’en faire une valeur sûre.
Faïza Ghozali
17 septembre 2009
39
Cinéma algérien : chronique d’une
longue absence
Cinquante ans après l’indépendance, le cinéma algérien tente vainement de rappeler
qu’il a été à l’avant-garde du combat libérateur. L’enthousiasme des lendemains de
cette libération l’avait mené vers des sommets et des prix remportés dans de
nombreux festivals prestigieux. Consécration suprême, la Palme d’or obtenue au
Festival de Cannes en 1975 par Mohamed Lakhdar-Hamina pour sa magnifique
Chronique des années de braise.
Au cours des années suivantes, le cinéma algérien a exprimé avec force le rêve de
justice porté par la résistance armée. Grâce à une politique audacieuse de
coproduction avec des pays européens, africains et arabes, l’Algérie avait réussi à se
placer – avec l’Égypte – en tant que chef de file de l’audiovisuel de qualité dans la
région arabe. Les noms de Gillo Pontecorvo, Youssef Chahine, Sembène Ousmane
ou Costa-Gavras, entre autres, resteront liés à cette période si riche. Déjà
productrice de La nuit a peur du soleil, de Mustapha Badie, en 1965, premier longmétrage totalement algérien, la Radiotélévision algérienne (RTA) a pendant
longtemps stimulé la production de films avant-gardistes comme Noua, Les Enfants
de novembre, Nahla ou encore La Nouba des femmes du mont Chenoua.
Décennie noire
Après quelques succès notoires, le cinéma a ouvert la voie à des films moins en
ligne avec l’unanimisme ambiant. Le rêve a commencé à côtoyer un sentiment
d’aliénation grandissant, exprimé pour la première fois en 1971 à travers le chefd’oeuvre unique de Mohamed Zinet, Tahia ya Didou !. Ce sentiment de
désenchantement a culminé en 1976 avec Omar Gatlato, premier film de Merzak
Allouache montrant de jeunes Algérois réfugiés dans leur machisme pour échapper
aux frustrations ressenties face aux privilèges leur échappant. On les imagine alors
venus grossir l’armée de réserve de la vague islamiste qui va secouer l’Algérie à
partir des émeutes d’octobre 1988.
La décennie noire du cinéma algérien ira de pair avec la violente confrontation des
années 1990. Une à une, les centaines de salles héritées de l’ère coloniale (et
malencontreusement confiées aux municipalités) ont fermé leurs portes. Pendant ce
temps, les institutions cinématographiques publiques étaient sacrifiées sous les
coups conjugués d’un gouvernement iconoclaste et d’une déferlante fondamentaliste
qui trouvera davantage son compte sur le marché des DVD piratés que dans
l’industrie du film, porteuse de modernité.
Il a fallu attendre le début du millénaire pour voir
apparaître de nouveaux talents.
Il a fallu attendre le début du nouveau millénaire pour voir enfin apparaître de
nouveaux talents, le plus souvent issus de l’émigration comme Rachid Bouchareb
40
(quatre fois nominé aux Oscars), Amor Hakkar, Nadir Moknèche, Tariq Teguia ou
Lyes Salem, plus ou moins mus par une quête d’identité. Ils seront bientôt relayés
par de jeunes cinéastes formés sur place. Dans le même temps, le cinéma se
féminise et le film d’expression amazighe prend de l’importance.
Cinéma sous perfusion
Au moment où le pays commémore le cinquantenaire de
l’indépendance, le cinéma algérien, privé de son public et
dépourvu d’infrastructures de production, vit sous perfusion
grâce aux aides de l’État. Lequel peine malgré cela à exprimer
une réelle volonté politique de le relancer dans tous ses
secteurs, si ce n’est par l’octroi de budgets aussi faramineux
que ponctuels, libérés au gré des commémorations. Depuis
quelques années et en dépit des aides financières publiques, le bilan annuel
dépasse péniblement la moyenne de deux ou trois films par an. Ce qui est peu
comparé aux vingt films produits annuellement au Maroc voisin.
Par ailleurs, et face à la campagne menée en temps et en heure par les chaînes
françaises de télévision pour célébrer l’événement, les différents ministères algériens
concernés par la production audiovisuelle (Culture, Communication, Moudjahidine)
semblent agir en ordre dispersé. La liste des projets de films retenus par le secteur
public national, qui exerce un quasi-monopole, n’a été dévoilée que depuis quelques
semaines, et, compte tenu des délais nécessaires pour les mener à terme, on peut
imaginer que la plupart ne verront le jour qu’en 2014, à la veille de la prochaine
élection présidentielle. Seul Zabana, de Said Ould Khelifa, commencé il y a trois ans,
sera prêt pour l’occasion. Maigre consolation pour un cinéma qui découvre que
l’argent, seul, est loin de faire le bonheur.
Images et visages. Au coeur de la bataille de Tlmecen, d’Ahmed Bedjaoui, dessins de Denis
Martinez, chihab Éditions, Alger, 2012.
04 juillet 2012
http://www.jeuneafrique.com/
____________________________________________________+
41

Merzak Allouache.Réalisateur algérien
* «Une machine de diabolisation et d’exclusion à mon égard…»
Le 6 septembre dernier, Les Terrasses (Es Touh), le dernier opus de Merzak
Allouache, a concouru en compétition officielle dans le cadre du prestigieux
festival de Venise.
- Par quel miracle, quand on connaît les refus précédents, le FDATIC a adoubé
le scénario des Terrasses, et par ailleurs que raconte votre dernier film ?
**La machine de diabolisation et d’exclusion à mon égard s’est mise en
marche après la sortie de mon film Harraga. Avec le concours de quelques
pseudojournalistes et de toute la bande des «désoccupés et assistés» d’Algérie,
certaines autorités culturelles ont mis un veto incompréhensible sur mon
travail allant jusqu’à ignorer l’existence de ce film, et par là même mon
existence en tant que cinéaste. L’offensive s’est amplifiée autour de Normal,
un film que j’ai réalisé avec de tous petits moyens et qui a provoqué une levée
de boucliers quasi générale. J’ai été insulté, calomnié, nous avons même subi,
mes acteurs et moi, des jets de bouteilles au cours de sa présentation dans un
festival en Algérie, et ce, dans l’indifférence générale. Puis les choses se sont
«éclaircies» avec mon avant-dernier film Le Repenti, dont le scénario a
carrément été refusé par la commission du FDATIC pour des motifs
42
«politiques» qui m’ont été signifiés dans une note de lecture dans laquelle on
me reprochait mon ambiguïté concernant le sujet de mon film (sic). La
sélection du Repenti à Cannes a contraint «ceux» qui menaient contre moi
cette guerre de tranchées à plus de retenue. Ce qui n’a pas empêché les
attaques dont je fais l’objet depuis quelques années de se poursuivre, menées
par une poignée de hargneux, de la soi-disant «corporation de journalistes» à
la déontologie douteuse, allant jusqu’à passer sous silence la sélection du
Repenti dans les nombreux festivals où il était sélectionné. Indifférent à cette
atmosphère pourrie et fascisante, j’ai poursuivi mon travail et déposé au
FDATIC le scénario de mon dernier film Les Terrasses qui a été accepté. Je
m’en réjouis, tout en considérant que je ne dois rien à personne et surtout pas
à la majorité de mes «collègues» qui se sont toujours réjoui des tracasseries
que je subissais et qui ne m’ont jamais soutenu, participant même souvent aux
campagnes calomnieuses à mon encontre. Je m’efforce de produire mes films
avec les moyens du bord, j’adapte ma réalisation et l’esthétique de ma création
aux maigres fonds que je peux réunir. Je réalise mes films avec de tous petits
budgets. Je perds pas mal de temps et d’énergie à courir après les
financements. Je tiens à préciser que je suis un cinéaste qui a toujours eu le
minimum de financement étatique pour réaliser mes films. Je n’ai jamais eu
un centime de rallonge ni pour terminer mes films ni pour les promouvoir.
Mais comme le disait si bien Ho Chi Minh : «Il faut transformer sa haine en
énergie». Mon dernier film Les Terrasses témoigne une nouvelle fois, à travers
cinq histoires, des contradictions de la société algérienne. J’observe l’état de
délabrement des valeurs, de l’hypocrisie ambiante, de la violence, du
mensonge, de la malvie qui nous colle à la peau, de la hogra. A travers une
série de personnages évoluant sur les terrasses de plusieurs quartiers d’Alger,
j’essaie d’exprimer l’inquiétude grandissante qui m’étreint lorsque je vois ce
que devient l’Algérie. Ce film symbolise la peur immense que j’éprouve en ce
moment. La peur de devoir revivre ce que nous avons vécu dans les années 90.
Je ne suis pas un homme politique, je suis un cinéaste inquiet.
- Pourquoi avez-vous refusé l’AARC comme coproducteur des Terrasses, alors
même que c’est une activité désormais annexe de cette Agence algérienne pour le
rayonnement culturel ?
**Je me trompe peut-être, mais l’AARC comme son nom l’indique a pour
vocation la promotion de la création artistique afin que celle-ci rayonne hors
des frontières, donc je n’ai pas estimé utile la coproduction qui m’était
proposée. Par contre, je considère que cet organisme doit participer à la
promotion de mon film qui est un film algérien comme les autres. Si l’AARC
estime que ce n’est pas le cas, cela ne me pose aucun problème, je me
débrouillerai comme je l’ai déjà fait.
43
- Comment avez-vous constitué le casting des comédiens auquel, en général, vous
êtes très attentionné ? Vous diversifiez beaucoup : les acteurs de Harraga ne sont
pas ceux de Normal ni ceux du Repenti, pourquoi ?
**Depuis quelques années, j’ai une idée de plus en plus précise du potentiel
artistique qui existe en Algérie. J’observe la nouvelle génération et j’essaie
d’élargir mes choix en évitant les mauvais acteurs. J’organise toujours des
castings car je crains de passer à côté de l’oiseau rare. Comme dans toute
relation de travail, après chaque film que je réalise, je me sépare de celles et
ceux avec qui je considère que le courant n’est pas passé ou qui ne m’ont
convaincu ni par leur professionnalisme ni par leur personnalité. Et je
continue avec celles et ceux qui m’ont procuré émotion et amour. S’il n’y a pas
amour et émotion entre l’acteur et le réalisateur les choses se compliquent. La
réalisation d’un film est constituée de moments fugitifs d’une grande intensité.
Pendant ces moments, j’aime être en présence de gens qui me nourrissent de
leur confiance, de leur intelligence, de leur beauté et de leur professionnalisme.
C’est ma conception du cinéma, je peux me tromper mais je suis mon libre
arbitre.
- Compte tenu de plusieurs refus, avez-vous le sentiment d’être persona non grata
auprès des instances culturelles du pays et si oui, pourquoi ?
**J’ai déjà répondu en partie à cette question. Je suis marginalisé et très
critiqué et souvent par des gens que je ne connais même pas et qui ne
connaissent ni mes films ni ma personne. Alger est un vivier où s’épanouit une
faune de médiocres (pseudocinéastes, pseudoacteurs, pseudojournalistes), des
espèces de mutants, professionnels de la médisance qui colportent toutes sortes
de rumeurs, de ragots, et comme ils sont souvent en relation (de soumission et
de délation) avec les instances culturelles, leurs propos alimentent le rejet des
autorités culturelles à mon égard. Il y a aussi ma liberté de ton qui gêne peutêtre…
- Le fait que vous soyez installé en France depuis vingt ans ne serait-il pas un
obstacle à votre désir de continuer à tourner en Algérie ?
**Je vis à Paris, une ville cosmopolite et merveilleuse que j’adore. Je peux
tourner sans problème mes films en France – je l’ai déjà fait – et pourtant je
viens souvent tourner en Algérie. La raison c’est que j’ai ce pays dans les
tripes et personne ne me fera changer d’avis. N’en déplaise à certains, ce sont
mes films, algériens depuis Omar Gatlato qui ont le plus représenté ce pays
dans les festivals internationaux. Mon film Les Terrasses va faire flotter le
drapeau algérien sur Venise. J’en suis très fier.
- Quel regard portez-vous sur la situation actuelle du cinéma en Algérie et de la
culture en général ?
44
**Je suis très pessimiste. Aujourd’hui la réalité c’est qu’il n’existe plus de
public, ni pour le cinéma, ni pour le théâtre, ni pour la peinture, ni pour la
musique. Il faut arrêter de fanfaronner, s’avouer que la situation culturelle est
catastrophique et trouver des solutions. Nous devons dès à présent agir pour
les générations futures. La génération d’aujourd’hui, comme jadis la mienne,
est sacrifiée. Il faut apprendre aux enfants à regarder, à aimer, à discuter de
l’art sous toutes ses formes. Il faut faire barrage à l’obscurantisme, à la
régression, à l’inculture. Tout doit commencer à l’école primaire.
Le jour où je verrai des classes entières d’écoliers se rendre au cinéma, être
émerveillés par les images qui défilent sur un écran, je serai heureux. C’est
très dur de réaliser des films et savoir que le public principal concerné par des
histoires que je raconte ne les verra pas. J’ai montré mes derniers films à une
poignée de cinéphiles en Algérie, les projections étaient de très mauvaise
qualité. J’enrageais que les gens voient mes films dans ces conditions, en DVD,
à 30% de leur qualité d’image et de son…
- Comment expliquez-vous le paradoxe selon lequel la création était plus
développée et plus aidée sous le parti unique que dans la période actuelle de soidisant libéralisme économique ?
**Il y a un fantasme sur la période «dite socialiste» de l’Algérie. Les jeunes ont
l’air de penser que c’était le paradis dans tous les domaines. Loin de là. C’est
vrai que la vie culturelle était plus intense car nous vivions les premières
années de l’indépendance. Et il existait encore une élite intellectuelle avant les
départs massifs des années 80 et 90.
Les étudiants étaient intelligents et allaient au cinéma. La cinémathèque jouait
son rôle. Nous étions une poignée d’artistes et malgré la pensée unique on
essayait de créer vaille que vaille. Ce qui ne signifie pas que c’était facile. Ce
serait long à expliquer mais disons que l’ambiance était différente, il y avait
des possibilités. Mais la malvie existait déjà ainsi que la corruption, le
régionalisme, les pénuries, l’autoritarisme, l’obscurantisme, etc.
- Malgré de nombreuses fortunes constituées dans le monde des affaires, le
mécénat ou l’implication des agents économiques dans la culture et le cinéma est
égal à zéro, qu’en pensez-vous ?
**Je ne crois pas au mécénat en Algérie. Pour être mécène, il faut être cultivé,
avoir de l’argent et du goût. Pour l’instant, les mécènes potentiels n’ont que
l’argent.
45
- Depuis la décennie 2000, de nombreux jeunes, grâce à l’irruption du
numérique, semblent redonner un souffle nouveau. Comment l’expliquez-vous,
vous qui vous intéressez à cette «nouvelle vague» ?
**Je suis un peu déçu par cette fameuse «nouvelle vague» qui aurait dû
s’épanouir grâce au numérique et aux bouleversements politiques que nous
vivons. Il y a quelques films par-ci par-là qui émergent. Dans cette situation
calamiteuse, un certain intellectualisme sectaire et désuet s’est installé à Alger.
Je lis et j’entends des discours prétentieux, ringards et arrogants, de plus ou
moins jeunes cinéastes qui devraient être un peu plus humbles dans leur
discours et nous en mettre plein la vue par leurs images. Le débat stérile sur le
conflit de générations me gave autant que le discours pseudo intellectuel qui
s’apparente plus à une posture qu’à une vraie réflexion sur le rôle du cinéma.
Mon souhait, c’est la véritable démocratisation du cinéma en Algérie. Et cette
démocratisation, pour l’instant, je la vois surtout fleurir sur Internet où des
inconnus issus de toutes les régions du pays postent des vidéos qui témoignent
et nous montrent leur ingéniosité, leur humour, leur ironie, leur regard acéré
sur la société. J’ai envie de dire à ces jeunes qui aiment le cinéma, qui veulent
faire du cinéma : «Prenez vos caméras, vos téléphones, vos appareils photos et
tournez, racontez des histoires, témoignez sur tout ce qui se passe autour de
vous. On n’a pas besoin de budgets mirobolants pour réaliser un bon film…».
- Que pensez-vous du retour aux affaires de Mohamed Lakdhar Hamina qui
vient d’achever un film à nouveau sur la guerre d’Algérie après avoir délaissé la
caméra depuis 1986 (La dernière image) ?
**Mohamed Lakhdar Hamina est un grand cinéaste, c’est aussi le doyen des
cinéastes actuels qui mérite le respect. Effectivement, c’est un challenge de se
remettre à tourner après tant d’années d’absence. Je l’ai rencontré
dernièrement. J’ai retrouvé le Lakhdar Hamina de l’époque avec sa verve
habituelle et son franc-parler. Il est toujours en forme. J’espère que son
tournage se passe bien. Et je lui souhaite de belles choses.
- Hormis l’adaptation par France Télévisions du très beau téléfilm La baie
d’Alger d’après Louis Gardel, on a l’impression que vous êtes réticent à puiser
dans un patrimoine littéraire pourtant très riche. Pourquoi cela ?
**L’adaptation de romans est toujours problématique. Je me suis risqué sur
La baie d’Alger parce que j’apprécie beaucoup l’écrivain Louis Gardel. Nous
nous sommes bien entendus, mais c’était très compliqué de passer du roman
au scénario. Par la suite, la reconstitution fut très difficile faute de moyens. En
fait, je préfère travailler sur mes propres histoires.
- Quels sont vos projets à venir ?
46
**Je vais présenter Les Terrasses à Venise, j’écris mon prochain scénario et je
produis un premier film low budget pour une réalisatrice qui m’est très chère.
Une comédie… *Mouloud Mimoun- El Watan-07.09.2013
http://niarunblog.unblog.fr/
47
Cinéma Merzak Allouache à propos des critiques dont il
est l'objet
« Il y a un problème d'image »
Celui qui a réalisé, en 1975, Omar Gatlatou, un film qui lui a valu un succès
national et qui, jusqu'à présent, est resté une référence dans les annales du
cinéma algérien, est un cinéaste prolifique.
Il se trouve qu'il est attaqué de toute part. Il est sévèrement critiqué à chaque
fois qu'il réalise un film. La critique – et même le public – lui reproche de
véhiculer dans ses films une image négative de l'Algérie, qu'il fait des films
pour un public non algérien et seulement pour plaire ailleurs. Et nombreux
sont ceux qui ne prennent plus Merzak Allouache au sérieux, tant on lui
reproche de faire des films où le réalisme est excessif, exagéré. On lui reproche
aussi qu'il tourne en rond parce que ses films se ressemblent : le cinéaste puise
dans le même registre, sillonne le même territoire jusqu'à tomber dans la
redondance et dans le cliché.
Face à ces accusations, Merzak Allouache réagit et se défend.
«On me reproche effectivement de faire des films pour plaire à un public
étranger, parce que je montre, selon eux, une image négative de l'Algérie. Non
! Je montre la réalité. Et c'est ce que je fais dans mes films. Je ne suis pas le
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cinéaste du ministère du Tourisme où je suis censé véhiculer une carte postale
de l'Algérie. Seul le cinéma m'intéresse, et c'est par l'image que j'appréhende
la réalité, le vécu de la société algérienne. Et cette réalité n'est pas souvent
belle à voir. Elle ne plaît pas. C'est pour cette raison qu'on m'attaque et me
critique». Dans Les terrasses, qui a remporté au dernier Festival du cinéma
maghrébin (du 4 au 11 juin 2014) l'Ameyas d'Or, le grand prix du meilleur
film, le réalisateur montre une ville, Alger, malade d'elle-même ; une ville
laide, sale, décrépie, tombant presque en ruines, où il ne fait pas bon vivre ;
une ville vieille, fatiguée, qui croule sous le poids de la surpopulation ; une
ville violentée et violente (elle vit dans la violence et dans une sorte de haine,
voire elle vit dans un ressentiment convulsif), saccagée, clochardisée, livrée à
elle-même ; donc une ville abandonnée.
Même les gens qui l'habitent sont, à travers les personnages du film,
déglingués, désarticulés, décalés, indifférents, vivants, chacun à sa manière, en
marge de la société ; des individus marginalisés et presque exilés. Le film
montre une société déstructurée, disloquée, perdue dans des considérions
seulement individuelles : chacun vit dans son monde, ne se préoccupe que de
sa propre existence. Le film est saisissant, voire bouleversant dans le sens où il
interpelle le regard, voire le harcèle, le désarçonne, où il montre que rien ne va
pour le mieux, que notre vécu n'est pas de tout repos et qu'Alger n'est pas celle
des cartes postales ou des guides touristiques.
«Il y a un problème d'image», dit Merzak Allouache, et de renchérir :
«L'Algérien refuse de voir sa propre image, de l'assumer. Avant la projection
de mon film à Doha (Qatar), j'étais accueilli dans la salle par des youyous, que
j'ai reconnus tout de suite ; c'était des youyous algériens. Juste après la
projection, l'une des femmes algériennes présentes dans la salle s'est levée et
m'a crié. Elle m'a dit que ce que j'ai montré, ce n'était pas vrai, que cette
réalité n'existait pas réellement. Et elle s'en est allée, quittant la salle. Plus
tard, quelqu'un, un Algérien aussi, qui était avec cette bonne femme, m'a dit
que cette dernière reconnaissait cette réalité, mais que je n'étais pas censé la
montrer. Car pour elle , je donnais une mauvaise image de l'Algérie.»
C'est dire à quel point l'Algérien se refuse, refuse de s'accepter tel qu'il est
dans la réalité ; il est en mal d'image, et ce mal le ronge, le perturbe, le
déstabilise jusqu'à se nier, voire se renier. Et s'il refuse de se regarder dans le
miroir, de faire face à son propre reflet, c'est parce qu'il vit une sorte
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d'amnésie. Il vit dans l'oubli, celui de ce qu'il est. Cet oubli fait que l'Algérien
n'assume pas ses problèmes, donc son vécu, il refoule celui-ci, et cela engendre
une frustration qui, elle, à son tour, engendre la violence. Et la violence est
omniprésente dans le film. En mal d'image, l'Algérien continue de subir et en
même temps de faire subir la violence.
L'approche de Merzak Allouache est intéressante dans la mesure où il explore,
par l'image, la société algérienne, société en mutation constante. Toutefois, la
façon dont celle-ci est présentée se révèle exagérée, relevant d'un réalisme qui
n'accroche pas le regard, et ne fait donc pas l'unanimité.
Il est vrai que les films de Merzak Allouache dont Les terrasses racontent la
société algérienne, mais cela se fait dans un réalisme loin d'être convaincant :
la réalité est là, elle existe. Ce que raconte le film est vrai, c'est bien le vécu.
Cependant, cette réalité est appréhendée par le regard du réalisateur, elle est
presque réinterprétée par les catégories mentales de ce dernier. C'est une
perception individuelle qu'il livre au public, perception subjective, certes
réaliste mais qui reste quand même subjective, tant ce qu'il met en scène frise,
souvent, le surréalisme.
Merzak Allouache n'invente pas le quotidien, mais le réinvente à sa façon, il y
apporte sa propre réalité, son regard et son ressenti. Cela confère aussitôt à ses
films autant de clichés et fait de lui un cinéaste qui fait dans l'exagération.
Yacine Idjer Publié dans Info Soir le 15 - 06 - 2014
http://www.djazairess.com/fr
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« Par rapport à l’horreur de la “décennie noire”, il y a en Algérie une amnésie
officielle et parfois, aussi, populaire. Souvent, les Algériens n’ont pas envie de parler
de cette époque, sauf s’ils ont été touchés dans leur chair ou leur famille. J’ai eu
l’occasion de présenter mon film en Espagne : dans le débat qui a suivi, des
spectateurs âgés se sont mis à parler des silences qui ont suivi la guerre civile
espagnole.
En 1999, quand la loi dite « de concorde civile » a été promulguée en Algérie, il a
clairement été dit qu’il fallait oublier cette période. Puis le terme « repenti » est
apparu, mais je n’ai jamais vu un de ces « repentis » venir dire à la radio ou à la
télévision qu’il regrettait ce qu’il avait fait. Rien n’est réglé. Il n’y a eu pour le moment
ni justice ni pardon. Les choses se sont arrêtées de manière artificielle, et il y a
toujours des poches d’insécurité, notamment en Kabylie, où l’on parle d’attentats,
d’embuscades, de kidnappings d’enfants.
Depuis un an, dans le sillage des débats autour du « printemps arabe », on voit
quand même paraître des articles, comme une amorce de discussion. Mais les
jeunes, immense majorité des habitants du pays, ont très peu d’informations sur cet
épisode remontant à plus de treize ans : certains de mes comédiens ont dû faire des
recherches sur Internet pour tenter de mieux comprendre.
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Deux associations se battent toujours : l’une regroupe des parents de victimes du
terrorisme, l’autre les parents de disparus. Les manifestations qu’elles organisent
n’attirent que quelques centaines de personnes, alors que les violences ont fait,
selon le chiffre officiel, 200 000 morts. »
Recueilli par Arnaud Schwartz
http://www.la-croix.com/
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Cinq histoires s'entrecroisent sur les terrasses du vieux quartier d'Alger, Bab-el Oued, à peine
interrompues par les cinq appels à la prière quotidiens: "Es-Stouh" (Les terrasses), le dernier
film de Merzak Allouache ("Omar Gatlato", sélectionné à Cannes en 1977), nous offre un
aperçu de la société algérienne en suspens.
Le choix des terrasses pour planter le décor de son film est motivé par une évolution récente
qu'a pu observer le réalisateur en Algérie: "les terrasses ne jouent plus leur rôle traditionnel
de rencontre et de repos, depuis peu elles sont devenues des lieux de vie, squattées. Le
chaos perceptible de la rue a fini par atteindre ces espaces autrefois calmes et protégés".
Le film suit le développement de cinq histoires se déroulant sur ce nouvel espace de vie
algérien, scandées par le rythme des cinq appels à la prière quotidiens. Un homme y torture
son frère pour lui extorquer une signature au bas d'un document, une fillette discute avec son
oncle enchaîné dans un placard sur le toit pour une raison inconnue, une famille de squatteurs
tue le propriétaire de la maison dont ils occupent le toit, un commissaire prodigue quelques
conseils pour mieux se débarrasser du corps du propriétaire qui s'avère être celui de son beau
frère, un groupe de jeunes musiciens répètent sur la terrasse, à défaut de mieux, jusqu'au jour
où une voisine se fait battre par un homme sous leurs yeux et enfin une petite équipe de
cinéma se fait tuer car se trouvant au "mauvais endroit au mauvais moment".
Pour M. Allouache, la société algérienne n'a pas encore digéré la décennie noire de la
guerre civile/ "je travaille sur la société algérienne, que je critique, car elle se trouve dans
une période très difficile, elle devrait être en train de se reconstruire mais elle semble
malade". En effet toutes ces situations absurdes et caricaturales que M. Allouache raconte
dans son film sont parfaitement comprises par le public algérien. "Par le surréalisme j'essaye
de tirer la sonnette d'alarme", confie-t-il.
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Ces terrasses sont des lieux cachés, à l'abri des regards et du contrôle social, elles
permettent au réalisateur de "symboliser les situations occultées en Algérie, je tente de
symboliser une certaine hypocrisie". Si le gouvernement algérien a donné son feu vert au
tournage de ce film pourtant assez dur vis-à-vis de la société algérienne, M. Allouache n'en
est pas moins amer de constater que "le film est en compétition officielle ici à Venise, mais
pourtant je ne vois aucun représentant algérien".
Il nous explique qu'en ce qui concerne le cinéma dans son pays, "le problème n'est pas de
tourner des films, je tourne ce que je veux mais le problème c'est plutôt qui regarde mes
films? Car en Algérie le cinéma est quasiment mort".
Cette situation difficile, voire même dangereuse du cinéma en Algérie est symbolisée dans le
film par cette équipe de cinéma qui en filmant au "mauvais endroit" se fait abattre parce
qu'elle a vu quelque chose qu'elle n'aurait pas dû voir. "Le métier de réalisateur est encore
difficile en Algérie", dit M. Allouache
http://www.mediaterranee.com/0762013-mostra-de-venise-lalgerie-des-terrasses-es-stouh-demerzak-allouache-en-competition-venise#sthash.fGsZI6Ov.dpuf
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Le cinéaste algérien Merzak Allouache primé par le magazine
Variety
Le cinéaste algérien Merzak Allouache a reçu mardi le prix du réalisateur de l'année au
Moyen-Orient, décerné par le magazine américain Variety spécialisé dans l'industrie du
spectacle, en marge du Festival du film d'Abou Dhabi.
"Je suis très heureux de recevoir ce prix, car cela va faire parler de moi dans la presse
algérienne", a dit en riant le réalisateur en recevant son prix.
La presse algérienne a critiqué les derniers films de Merzak Alaouche, et son avant-dernier
long métrage, Le Repenti, n'a pas été projeté en Algérie.
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Le film est une critique de la "réconciliation nationale" controversée à travers l'histoire d'un
jeune jihadiste qui quitte le maquis et rentre dans son village pour essayer d'avoir une vie
normale.
Merzak Allouache a présenté lors du festival d'Abou Dhabi Les Terrasses, un film doux-amer
sur les désillusions des jeunes en Algérie. Le film est bien placé pour remporter l'un des prix
de la Perle Noire du meilleur film lors de ce festival qui s'achève le 2 novembre, selon les
critiques.
Le réalisateur de 67 ans qui a quitté l'Algérie pendant les années noires et vit en France, l'a
filmé en janvier 2013 de cinq terrasses dans cinq quartiers d'Alger. Il raconte cinq histoires
sombres et fictives de violence ordinaire, et parle de la jeunesse qui rêve de jours meilleurs.
(29 octobre 2013 - AFP)
http://www.commeaucinema.com/
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Le cinéaste algérien, Merzak Allouache, a reçu le Variety Middle East Filmmaker of the Year
Award, prix décerné par le magazine américain Variety, en marge du Festival du film d'Abu
Dhabi, récompensant le meilleur réalisateur de l'année. Merzak Allouache avait présenté
lors de ce festival sa dernière œuvre intitulée les Terrasses, qui était aussi en compétition à
la dernière Mostra de Venise (Italie).
Le prix du meilleur réalisateur de l'année a été remis à Merzak Allouache en reconnaissance
pour son film les Terrasses selon Jay Weissberg, critique cinématographique pour la revue
Variety. Le festival se poursuivant jusqu'à aujourd’hui, le jury de la compétition
internationale n'a pas encore établi son palmarès et « les Terrasses » conserve encore ses
chances pour la Perle Noire, prix du meilleur film.
http://www.liberte-algerie.com/
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La maison de l’image
9 boulevard de Provence
07200 Aubenas
Tel: 04 75 89 04 54
Site : www.maisonimage.eu
Mail: [email protected]

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