Zizette Suicide

Transcription

Zizette Suicide
Zizette Suicide
Lionel Tran
Textes courts
P. 3
Faire bander les impuissants
P.5
Mon problème à moi, c’est l’amour.
P.6
L’orgie de la chair mal barrée
P.8
En route pour le pays des connards aux couilles bien pleines
P.10
Qu’est-ce qu’ils croient, les mecs ? Ils imaginent peut-être que
c’est leur ego à la noix qui nous fait mouiller...
Textes parus dans ferraille
P.12
Zizette suicide dans : sous la plage, des meugs.
P.15
Zizette suicide dans : club dépit # 1
P.17 Club dépit # 2 : une putain de contre révolution sexuelle
P.19
Club dépit # 3 : je ne baise plus
P.21
Club dépit # 4 :
Le prototype de fille qui ne fait à priori pas fantasmer.
P.23
Club dépit # 5 : prostitution sociale.
P.25
Club Dépit # 6 : COMME UN OIGNON DE CHAIR.
P.27
Club dépit # 7 : ÉTALE MA LAIDEUR AUX YEUX DU MONDE
P.29
CLUB DÉPIT # 8 (ÉPISODE DOUBLE): COMMENT PRENDRE LES VESSIES POUR
DES LANTERNES SI ON VOIT LES COUTURES ?
P.31
CLUB DÉPIT # 9 : CAPITALISME HARD
P.34
Club dépit # 10 : l’âge d’or du nihilisme
P.36
Club dépit # 11 : baiser et être baisé
Scénario de bande dessinée
P.38
Zizette suicide #1 : je ne suis pas ton bébé
1
Vous trouverez ici compilés pour la première fois tous les textes que
j’ai écrit autour du personnage Zizette Suicide, dont une grand partie
sont parus dans l’ancienne formule du journal Ferraille, illustrés par
Winshluss, plus quelques pages d’un scénario de bande dessinée présentant
ce personnage, et initialement destinées à Winshluss.
Zizette Suicide est directement inspirée par une amie, héroïnomane de
longue durée, dotée d’une énergie vitale aussi incroyable que sa propension
à l’autodestruction. C’est quelqu’un que j’ai bien connu, avec qui les
liens étaient forts, ces textes ont été écris à la période où je commençais
à la perdre de vue.
Les dernières images que j’ai d’elles sont extrêmement fortes et violentes :
physiquement déjà très sèche, elle avait perdu une quinzaine de kilos,
suite à la prise de cocktails d’amphétamines, on devinais très clairement
la structure oseuse de son crane sous la peau ; elle nous a aidés pour
notre déménagement, abattant ce jour là plus de travail que n’importe quel
mec ; elle a été arrêté pour deal, puis libérée, des rumeurs comme quoi
elle aurait « balancé » ont commencées à circuler, elle s’est retrouvée à
la rue, elle a du fuir la ville, pour retourner dans le sud, une région où
elle avait beaucoup d’ardoises en suspens…
Créer ce personnage, dont le nom la faisait ricaner, a été une manière de
prolonger cette amitié, de tenter avec mes maigres forces, de continuer à
faire exister cette vie niquée à qui on ne la fera pas. Ça a été mon premier
monologue féminin, qui trouve d’ailleurs des échos dans les quelques
personnages féminins que j’ai crée par la suite.
Lionel Tran
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Faire bander les impuissants
Franchement, tu crois que je me fais encore des illusions ? Ma vie est
daubée, c’est net. Ne me saoule pas avec tes histoires de «ça va peutêtre s’arranger, y faut pas présumer. « Mon cul, oui. C’est tout vu. J’ai
passé l’âge de ce genre de fantasmes. Qu’es’c’tu crois ? T’imagines que
le monde t’attend ? Personne n’a rien à taper de toi ici bas. Tu verras,
d’ici quelques années... Attends de t’être pris encore quelques bonnes
grosses tartes dans la gueule. Jamais là où tu t’y attends. Franchement.
Qu’es’c’tu t’imagines ? Tu crois p’tête que t’es spéciale ? Des connasses
comme toi et moi y’en a des milliards sur toute la planète. Et, je vais’t
dire, on est loin d’êtres les plus belles et les plus intelligentes. Mais
nan, chiale pas. Je dis pas ça pour te blesser. Je t’aime bien. Nan, je
suis pas jalouse. T’as raison de te taper des mecs. A ton âge je faisais
pareil. Profites-en un max même. Tapes-toi le plus de mecs que tu peux. Sois
pas trop sélective. Vas-y au coup de coeur. Machin à l’air sympa, n’hésite
pas. Truc te plaît pas trop mais, il se fout de ta gueule avec ses potes.
Ça te travaille, t’aimerai bien avoir une explication avec lui, fonces...
Vas-y à fond, fixes-toi pas de limites, parce que tu le regretteras un
jour. Profite de ta jeunesse. Use-la au maximum. Ça te fera des souvenirs
pour plus tard. Parce qu’après, t’aura nettement moins l’occasion de
t’éclater... Profites, ne te prends pas la tête. Fais illusion un maximum.
Brille. Soit la plus bandante possible. Excites-les et tape toi les. Te
prends pas pour un coffre fort, ta chatte c’est pas un joyau. A quoi elle
te servira, plus tard, quand plus personne n’en voudra ? Ouvre-toi comme
une bouche d’égout. Béante, visqueuse. Fais pas la dédaigneuse. Sois
contente qu’ils aient envie de toi. Vas-y, accueilles-les tous. Laisse les
vider leur frustration dedans. Ça fait du bien. Et t’as que ça à faire.
Tu ne les rendras jamais heureux. Ne perds pas ton temps à essayer. Les
mecs sont aussi mal dans leur peau que nous. Tu ne pourras jamais rien
y changer. Eux aussi ils auraient aimé être des vrais grands hommes. Ce
n’est pas de ta faute. Ne va pas croire que grâce à toi ils arriveront à
être ce qu’y sont pas. C’est tentant, surtout à ton âge, mais si tu veux
un bon conseil, joues pas trop avec ça, ça t’apportera rien. Y finiront
par t’en vouloir, même. Y te reprocheront leur échec. Tout ce que tu peux
faire, c’est de les faire jouir. Fais-les bien bander, ça leur donne un
peu de joie de vivre. Quand ils te matent comme une bonne salope, ils se
disent «putain, celle-là, il faut que je me la fasse, elle est trop bonne,
si y’avait que des salopes comme ça la vie vaudrait le coup d’être vécue. «
Mais après, assume, hein. Joues pas les allumeuses, ça les renverrait à
leur frustration et ils te haïraient. Déconnes avec ça, à moins que tu
cherches à te recevoir des pains dans la gueule -je dis pas, si c’est ton
truc, fais-le mais sinon t’étonnes pas. Ne sois pas naïve, c’est surtout
ça que j’essaye de t’expliquer. Nan, pas naïve, ils te le pardonneraient
pas. Vas-y franchement, branches-les. Tu vois bien quand un mec a envie de
te sauter, je vais pas t’apprendre comment ça marche... Excites-le à fond
et tape toi le, le plus vite possible. Il aura l’impression d’avoir assuré
et ça lui donnera le sentiment d’être un vrai grand mec, pendant un bref
instant. Par contre une fois qu’il s’est vidé les couilles, traînes pas
trop dans les parages, si ça dure trop ça se complique et ça devient de plus
en plus merdique. Bon c’est sûr, tu ne pourras pas t’empêcher d’essayer en
te disant qu’avec celui-là, peut-être que, qu’avec toi ça sera pas pareil.
Mon cul, oui. Enfin bon, je suis un peu dégueulasse de te dire ça, c’est
comme si je te racontais la fin du film avant que tu l’aies vu. C’est sûr
que je peux pas t’empêcher de te vautrer dans la vie. On en passe tous par
là. C’est la vie, hein ? Moi, j’te dis juste ce que j’en pense. Au stade
où j’en suis c’est plus vraiment mon problème. Vu c’qui me reste à offrir,
je vais te dire, à part les laisser se foutre de ma gueule, je peux plus
trop les aider à s’oublier les mecs. C’est sûr que si j’avais su ça plus
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jeune, peut-être que... Enfin non, peut-être même pas, j’en sais rien. Avec
du recul on croit toujours qu’on ferait moins de conneries. J’y crois pas.
Je crois qu’on est connes et qu’on peut pas s’empêcher de le vérifier.
Zizette Suicide
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Mon problème à moi, c’est l’amour.
Tu vois, j’ai besoin qu’on m’aime. J’ai toujours l’impression que les gens
me jugent comme une conne. Tu vois, ça me fait flipper alors je fais tout ce
que je peux pour qu’ils m’aiment. J’arrive assez facilement à deviner ce
dont ils ont envie. Alors je leur donne. Mais ils me jettent toujours quand
ils l’ont obtenu et après je me sens encore plus minable et rejetée.
Tu sais, les mecs, y’a qu’un truc qui les intéresse, c’est ton cul. En
l’emballant comme un cadeau, en m’empaquetant le cul pour que les mecs en
aient envie je me dis : peut-être qu’il y en a un qui va se rendre compte
que je suis quelqu’un de bien et qu’il va m’aimer, peut-être qu’il voudra
rester avec moi. Chaque fois c’est le même truc. Et ça marche jamais, je
le sais, chaque fois ça foire, ça vire au merdique, mais je ne peux pas
m’empêcher d’essayer. Sinon je déprime, je me trouve nulle, moche, conne,
je me dis qu’on ne peut pas m’aimer parce que je m’y prends mal. Ça remonte
à loin tout ça, je sais pas d’où ça vient exactement, s’il s’est passé un
truc quand j’étais gamine, peut-être que c’était les relations avec ma
mère, je sais pas. Enfin j’essaye de pas de trop y penser tellement ça me
fout les boules. Je continue à faire les mêmes conneries en me maudissant.
Plus je les accumule et plus je me sens largué, mais je continue, parce
qu’il faut bien, sinon je deviendrai folle.
Ouais, je suis pas glorieuse, glorieuse, hein ? Tu veux un café ? Attends,
je vais le préparer. Bouges pas. Ça caille un peu, ça va nous réchauffer...
Merde, il reste plus de café, c’est vrai, le paquet était fini. Merde, je
suis vraiment emmerdée. Par contre, j’ai du thé, ça te dit un thé ? Je
suis vraiment désolée... Putain, faudrait que j’aille faire des courses,
j’assure pas en ce moment. Pas un cachou ! Bon, enfin, c’est pas grave, faut
pas se laisser démonter, faut garder la foi !
Où j’en étais déjà ? Ah ouais, j’étais encore en train de te raconter
ma vie. Ça te saoule pas trop ? Tu me dis, hein, parce que quand je suis
lancée... Putain, je repense au type de la semaine dernière, celui de
samedi, houlala, le phénomène, grave le type, tu l’aurais vu en chaussettes
Achille Talon. J’ai failli lui exploser de rire à la gueule. Ça va que
j’étais bien bourrée parce que, sinon, j’aurai pas pu. Tu veux un sucre
ou deux ? Ah, oui, tu n’en prends qu’un, toi. Bon, c’était moins pire que
j’aurai cru en fait. Tu ne peux jamais savoir à l’avance. Il tenait à peu
près la route au lit. Par contre, il était pas très délicat, ça s’est sûr.
Je ne sais pas, il avait un côté gavant, j’étais pas fière d’être avec lui.
On était en train de le faire et je me suis dit que je valais quand même
mieux que ça. Attends, tu te représente la scène : on était au lit, moi je
me pensais à ce genre de truc et l’autre qui me racontait ses problèmes.
J’étais mal. Putain, c’était trop ridicule. Je veux dire, y’avait quelque
chose d’anormal. Enfin je lui ai fait comprendre vite fait qu’il valait
mieux qu’il se tire. Si tu laisses pourrir le truc, après tu sais plus
comment t’en sortir.
Zizette Suicide.
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L’Orgie De La Chair Mal Barrée
Je supporte pas les fantasmes du genre «les putes prennent leur pied», ou
«les hostos c’est la partouze générale». Je supporte pas, ça veut rien dire.
C’est totalement déconnecté de la réalité et puis on se rend malade avec
ça. On croit toujours qu’ailleurs c’est mieux. Que les autres s’éclatent
plus que nous, qu’elles ont de la chance, ou qu’elles savent comment s’y
prendre, elles. Connerie. La vie c’est la même merde pour tout le monde.
Y’en a pas une qui s’en tire mieux qu’une autre. Pas une. Faut arrêter de
planer, qu’est-ce que ça veut dire, ces petits caprices d’inadaptées ? A
quoi ça rime ? Tu crois peut-être que ça tempère notre frustration ? Tu
crois que ça nous aide ? Ah ah ah ah ah, on me fait bien marrer, ouais,
bien marrer, la grosse bande de paumées pathétiques qu’on est. Ah, elle est
belle l’humanité, cette connasse hystérico-frustrée. Ouais, une putain de
chienne enragée qui aboie dès qu’elle voit passer un gamin. Aie pas pitié.
T’amuses pas à la caresser dans le sens du poil. Perds pas ton temps à
avoir pitié. Laisse la agoniser sans t’angoisser. Vis ta petite existence
minable sans t’occuper de ce qui peut advenir du reste de la planète. Je
vais te dire, ils peuvent penser ce qu’ils veulent de moi, j’en ai plus
rien à foutre. JE LES EMMERDE ! JE LES EM-MER-DE !!!
Putain, je m’énerve encore comme une conne. Je peux pas m’empêcher de
m’exciter dès qu’on aborde certains sujets. Je dois être belle à voir... Une
vieille pouffiasse aigrie. La vieille conne qui bave son fiel. Je sais même
plus de quoi je voulais parler. Ah, ouais, l’hosto. L’hosto c’est vraiment
chaud. Ah ah. Les infirmières sont toutes des salopes. Les médecins sont des
chauds lapins. Les toubibs baisent les malades qui baisent les infirmières
qui baisent entre elles... Ouais, l’hosto c’est un méga baisodrome. Ah
ah ah, connerie ! CONNERIE !!! Je vais te dire, j’y ai travaillé pendant 5
ans dans un hôpital, tu veux que je te raconte à quel point c’est excitant
? Je vais te dire, à l’époque le cul ça me faisait plutôt bien délirer.
Tu vois, je terminais mes études, j’avais pas trop d’a priori et ben je
vais te dire, ça m’a plutôt déssalée ! La première année, je me soignais,
je faisais vachement gaffe aux regards des mecs, j’en allumais pas mal.
Je me rappelle y’avait un gamin de 9 ans, qu’avait une Ostéomyélite, une
infection des os. Sloane, qu’il s’appelait. Le petit Sloane il avait des
abcès purulents au fémur. Les reins et le foie commençaient à être attaqués.
Il avait la langue noire comme un champignon pourri. 40 de fièvre toute la
journée. Ils lui donnaient même pas un an à tirer. Le môme supportait pas
le moindre mouvement, quand il se tournait dans son lit il fermait les yeux
de douleur. Un jour j’ai remarqué qu’il me matait. Quand je m’occupais de
lui il quittait pas mon corsage des yeux. Dès que je tournais le dos il
regardait mes jambes. C’était net que je lui plaisais. Je me suis dit : le
pauvre môme, il va crever sans avoir jamais touché une femme. Un soir j’ai
fait gaffe que personne me voit et je l’ai branlé. Tu vois, mon intention à
moi c’était de le soulager. De lui faire du bien. Et ben figure toi qu’avec
mes bonnes intentions je l’ai fait souffrir encore plus. T’aurais vu son
visage congestionné de douleur. Il se mordait la lèvre en faisant non de
la tête. Le soir je suis rentrée chez moi et j’ai chialé. J’ai chialé comme
une gamine. Putain, tu peux pas savoir à quel point je m’en voulais d’être
aussi conne.
Le problème avec le désir, dans un truc comme un hosto, c’est l’overdose.
Tu vois c’est comme quand t’es avec un mec, la première fois où tu le
découvres, c’est vraiment quelque chose de nouveau, il y a une excitation
spéciale et puis tu t’habitues, tu ne vois plus que ce qui t’insupporte
chez lui. Dans un hosto c’est pareil, la chair tu en vois tellement, à
toutes les sauces, qu’au bout d’un moment tu finis par être complètement
écoeurée. Tu fais plus la différence entre une queue et un orteil, une
bouche, un cul... Tout s’annule. Tu sais pourquoi ils foutent des fleurs
partout ? Tout le monde croit que c’est pour pas déprimer les patients.
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En fait les fleurs c’est pour reposer les yeux de toute cette chair mal
en point. Bon, tu me diras, ils sont pas tous détruits, des fois y’a des
jeunes qui sont même carrément bien foutus. Mais tu vois tellement de
ravages autour de toi que tu finis par te dire que tous ceux qui sont encore
en état ne dureront pas, que leur bien être est éphémère. Et ça fait peur.
T’as presque pitié pour eux. Tu te dis : ils se rendent pas compte, tant
mieux pour eux, mais j’aimerai pas être là le jour où eux aussi ils seront
réduits à l’état de loques.
Parce que c’est surtout ça les patients, des loques qui se traînent jusqu’au
stade terminal. T’as l’impression d’être dans une casse. Une sorte de
cul de sac magistral des accidents de la vie. Tu trouves un peu tous les
modèles d’êtres humains, hors service. Et c’est pas beau à voir. T’as les
mecs qui se branlent dans leurs draps en chialant, la nuit ; les gamins qui
vont crever avant d’avoir des poils aux couilles, les belles plantes qui se
sont faites défigurer dans un accident de bagnole qui essayent de s’ouvrir
les veines à la fourchette parce qu’elles se supportent plus ; les vieux
complètement séniles qui bandent du soir au matin. Y’en avait un comme
ça, je me souviens, en gériatrie, je sais même plus comment il s’appelait.
Attends, je cherche, comment y s’appelait déjà ? Monsieur Boyer ! C’est
ça, Monsieur Boyer. Il était complètement paralysé. Vissé sur sa chaise
du soir au matin. Fallait lui ouvrir la bouche avec les doigts pour lui
foutre la purée dedans. Il était même plus capable de se gratter. Il se
chiait dessus sans s’en rendre compte. Au moins le mec il en souffrait
pas, il calculait plus rien. Il avait une espèce de regard absent pendant
que ça glissait le long des jambes. Le seul truc qui remuait encore un
peu chez lui c’était la queue, va savoir pourquoi. Il bandait non stop.
Un bonne grosse gaule érigée bien droite du soir au matin au milieu de son
corps inutile. Il était même pas capable de bouger la tête. Et y’avait ce
truc planté là. Le truc bien grave. On lui foutait une couverture sur les
genoux, pour pas voir ça.
Dans un autre genre, t’as les mémés séniles qui retombent en enfance. Y’en
avait une qu’arrêtait pas de se sauver. On était obligé d’aller la chercher
dans la rue. Elle levait sa chemise de nuit devant les piétons pour leur
montrer sa zizette, comme une gamine de 6 ans... Elle se croyait dans les
années trente, elle pigeait que dalle, dès qu’elle voyait une moto ça la
paniquait. La cata ! Ah ouais, l’hosto c’est la grande partouze. L’orgie de
la chair mal barrée, ouais... Tu m’étonnes que t’as pas envie de mouiller
quand t’essuie la merde et que tu éponges le sang daubé toute la journée.
Tu me diras ça arrête pas tout le monde, y’en a qui baisent pour compenser.
Comme partout y’a les petites intrigues sordides. La merdeuse fraîchement
débarquée de la fac qui se fait sauter par tous les services, jusqu’à
ce qu’elle devienne un sujet de blague graveleuse, le chef de service
qui refile ses infections à ses patientes, les veilleurs qui violent les
handicapés mentaux, les types de la morgue qui se tapent les maccabs’..
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Zizette Suicide
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En route pour le pays des connards
aux couilles bien pleines
Marre de me faire chier. De me branler en pensant à tous ces minables
qui éjaculent trop vite. J’ai envie d’un peu de vrai. D’une bonne dose de
réel pathétique dans lequel culpabiliser. Une grosse flaque d’inadvertance
libidinale bien sale. Bien triste. Ouais, je vais me faire belle ! Je vais
emballer bien soigneusement ma viande daubée pour la rendre appétissante.
Me farder la gueule. M’écraser du noir sur les cernes. Barbouiller mes
gerçures en rouge. Me déguiser en pute. Hé, hé la petite culotte noire -le
noir ça les excite- un peu miteuse mais bon, de toute façon pour ce qu’il
en aura à foutre de ma culotte, j’vais t’dire. Ça cachera les coupures que
je me suis fait en me rasant la chatte. La chatte rasée, ça les rend gagas.
Ils ont l’impression de voir une zizette. Du coup ils sont tout émus. Ça
les fait bander comme des malades, l’idée de se taper une gamine. Tu t’es
déjà rasée la machine, toi ? C’est bien joli mais je ne te raconte pas le
merdier. Je me suis charcutée. Faut dire que je ne suis pas très délicate.
T’aurais vu le massacre… Ça pissait le sang dans la salle de bain. J’ai
foutu du pq dessus mais ça voulait pas s’arrêter. Tu te rends compte, j’ai
passé un demi rouleau de pq. Un demi rouleau ! Bon c’est sûr, c’est pas
joli, joli tout ça. Maintenant les bas, à ça oui c’est important les bas,
très important. Ils ne verront pas les bleus et les poils à travers. Mes
jambes sont un peu maigres... Mais bon, qu’est-ce que je me prends la tête
avec ça ? Les jambes ils s’en foutent, ils ne regardent pas vraiment de
toute façon. Ils voient les bas ils pensent : grosse pute. Ouais, ouais,
y’a que ça qui les excite. Il faut que t’aies l’air d’une pute. D’une
grosse salope de pute. Ça, ça les fait bander. Direct. C’est juste une
histoire d’emballage. Du packaging. Plus c’est gros et plus ça marche. Bon,
où j’en étais moi ? Ah, oui les godasses à talons. Putain où j’ai foutue,
l’autre ? Où j’ai mis la deuxième ? J’arrive pas à la retrouver. MERDE
! Tu ne l’as pas vue ? Putain je suis sûre que je l’avais rangée dans le
coin, là-bas... C’est encore le clebs qu’a dû jouer avec. Putain, Furoncle,
tu l’as planquée où ma godasse ? Fait chier, fait chier ! T’es vraiment
pas drôle Furoncle. Ah, la voilà, la voilà ! Hé, hé ! Là, tu vois, avec ça
je le fait. Le cul un peu en arrière, comme ça. Un petit air vicelarde, ou
niaise, enfin bien pute. Ensuite c’est comme tu le sens. Tant que tu joues,
ça marche. Tu peux prendre n’importe quel air à la con. Non, «air « c’est
pas ce que je veux dire,
le mot que je veux employer c’est, attends, je vais le retrouver, merde...
«Attitude «, AT-TI-TU-DE c’est ça. Merci. Oui, n’importe quelle attitude à
la con, n’importe quoi, je te dis, le premier truc qui te passe par la tête.
Genre une meuf que t’as vu dans un film, où une actrice qui te plaisait bien,
ou une copine à toi de quand t’étais petite, qu’avait une manière de faire
qui plaisait aux garçons. Un truc bien évident, tu le joues. Tu prends un
air, je veux dire une ATTITUDE salope. Ça, plus les bas, plus la culotte
noire, plus les pompes, tel quel, y’en a déjà assez. Je te jure. Les mecs
ils bandent. Comme des clebs. Ce qu’ils veulent c’est se taper une pute.
Tout le reste, sous-tifs, machin, bidule, c’est de l’étiquette. Bon selon
l’étiquette t’as pas les mêmes clients, ça c’est sûr. «Clients «, putain,
je parle vraiment comme une pute. N’importe quoi. Les putes ne parlent
pas comme ça. Moi, j’en mets pas, de sous-tifs. Ça me gave et puis t’as
vu mes seins, franchement... Si le mec y voit le téton à la limite, parce
qu’autrement... Le petit bustier en velours mauve fera bien l’affaire. Il
est clean, hein ? On me l’a filé. Sympa, pour de la récup. Il me va pas
mal, hein ? Qu’est ce que t’en penses ? Et ben, voilà, je crois qu’on y est
presque. Je n’ai pas le courage de me faire les ongles. C’est long cette
connerie là, mine de rien. Faut être soigneuse, faut attendre que ça sèche,
ensuite faut enlever cette merde. Vraiment trop saoulant. Tu te les fais,
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toi ? Ah bon, l’autre fois il m’avait semblé, enfin c’est pas grave, c’estpas-grave ! Bon, on va pouvoir y aller. Les clopes, le portefeuille, les
clés. Je crois que c’est bon. Je n’oublie rien. Ah non, Furoncle tu restes
ici. Non je ne t’emmène pas ce soir. Allez, tu restes là. Chougnes pas, ça
ne sert à rien. TU ARRETES ! TU ARRETES ÇA IMMEDIATEMENT ! Il est pénible...
Il sait bien que je vais faire mon petit tour. Il y sent, quand j’ai mes
chaleurs. Allez, en route ! En ROU-TE ! On est les plus bandantes. Putain
rien qu’à me regarder j’ai envie de me baiser ! On va faire illusion, ON
VA FAIRE ILLUSION -je sens qu’on va se taper de la queue.
Zizette Suicide
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Qu’est-ce qu’ils croient, les mecs ?
Ils imaginent peut-être que c’est
leur ego à la noix qui nous fait mouiller...
Le seul truc qui m’intéresse vraiment chez un mec c’est sa queue. Ce truc
ça me rend dingue. C’est con pourtant, ça ressemble pas à grand chose ce
machin, enfin c’est pas ce que je veux dire, je veux dire c’est pas très
esthétique cet espèce de bâton mal dégrossi. C’est vrai, c’est pas beau
ce truc, mais putain rien que d’en parler, ça m’excite. Houla, je chauffe
comme une plaque électrique. Faut vraiment que je m’en trouve une ce soir,
il m’en faut une. Faut que je m’en mette une dedans. Une queue bien lourde
et bien grasse. Bien épaisse. Avec un débile dont j’ai rien à foutre à
l’autre bout, qui me raconte ses salades en me bourrant comme un clebs.
En me bavant dessus. En me malaxant comme si j’étais sa mère. Beurk...
Ça m’en coupe presque l’envie. Ce qu’il faut pas supporter pour avoir une
queue...
T’imagines, si on pouvait avoir la queue sans le bonhomme ? Une vraie queue
vivante, avec les couilles, les poils et tout. Tu pourrais la trimbaler
dans ton sac à main. Faudrait la nourrir tous les matins. Lui donner à
boire sa ration de mouille pour qu’elle ne se dessèche pas. Le soir elle
dormirait au pied du lit. Tu pourrais te réchauffer les pieds avec en hiver.
Toujours disponible, forcément, vu qu’elle dépendrait de toi. Suffirait de
la caresser un coup pour avoir une bonne grosse érection. Tu pourrais te
baiser quand t’en aurait envie. Si ça te prenais au milieu de la nuit où de
l’après-midi t’aurais qu’à te mettre ta petite queue personnelle dedans,
quand ça te chante, ça durerait le temps que tu veux... Si ça te saoule
t’aurait qu’à te la sortir du trou et la poser par terre, sans avoir à
te prendre la tête à élaborer des stratégies à la noix qu’un connard se
fera un plaisir de démonter méthodiquement... Ouais, on serait libre de
prendre du plaisir comme on veut. On aurait chacune la nôtre, faudrait
lui donner un nom, la laver, la soigner. Faudrait qu’ils fassent des étuis
pour les transporter, un truc qui s’accroche à la ceinture On pourrait se
les prêter, des fois. On comparerait leurs mérites, y’aurait des concours,
y’aurait pleins de modèles différents, de toutes les tailles de toutes les
couleurs, avec la génétique ils pourraient sortir des trucs déments. Enfin
y’aurait celles qui voudraient des nouveautés délirantes, sur mesure, avec
plusieurs glands, des trucs avec des angles tordus bizarres et y’aurait les
partisanes de la vraie pure queue naturelle. On parlerait que de ça à la
télé et dans les journaux, la dernière tendance en manière de calibrage,
les textures de prépuce de l’été, les glands aux formes exotiques... On
irait en essayer de nouvelles dans les boutiques spécialisées, on pourrait
même en avoir plusieurs... T’imagines ? Ah ouais, mais faudrait faire
gaffe à pas l’aspirer complètement à l’intérieur, ça, ça serait chiant,
faudrait bien la tenir par les couilles pour pas qu’elle parte dedans, la
galère. T’imagines : t’es en train de jouir à fond, tu fais pas gaffe, tu
lâches le truc et hop, partie dedans, t’es pas dans la merde... Enfin bon,
on prendrait l’habitude de faire attention, c’est comme tout, au début tu
flippes un peu et après tu fais le truc automatiquement sans t’en rendre
compte...
Et à sucer ! A sucer ça serait vraiment trop le pied, tu pourrais la
prendre par n’importe quel bout, tu pourrais la tenir par le gland pour la
lécher par en-dessous, tu pourrais la garder dans la bouche en marchant,
comme un cigare... Tu pourrais la tremper dans le pot de Nuttela, dans ton
yaourt, tu pourrais la passer un coup au frigo en été pour faire une glace
à suçoter. Ouais, faudrait quand même faire gaffe à pas trop avaler le jus,
c’est bourré de protéines cette saloperie, ça fait grossir à mort. Enfin là
aussi on prendrait l’habitude. Bon c’est sûr, y’aurait des accros qui s’en
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gaveraient toute la journée, enfin ça pourrait arriver des fois, ça serait
le risque, une déprime et tac, tu te retrouves à te consoler en tétant ta
queue prostrée dans ton appart, à plus te nourrir que de sperme...
Putain assez parlée. J’en veux une ! Il m’en faut absolument une ! M’sieur,
m’sieur, tu veux pas me prêter ta queue ? M’sieur, s’il te plaît. M’sieur
! Hé, M’sieur, allez, fait pas le rat, s’te plaît, j’te d’mande pas
grand chose, tu peux bien me filer ta queue, ça prendra pas longtemps, je
l’embarque juste, toi je te laisse tranquille, tu m’intéresses pas, je veux
juste ta queue, flippes pas, je vais pas te faire de mal, t’en vas pas, je
suis pas méchante, de quoi t’as peur, reviens, petit, petit... Ah ah ah
ah ah. T’imagine la gueule des mecs ? Ils seraient verts. Ils n’oseraient
plus sortir tout seuls le soir. Ils se cacheraient. On serait obligé de les
attraper à plusieurs pour avoir leur queue. Au début y’en aurait plein en
ville, puis ils deviendraient de plus en plus rares, ou alors ils auraient
déjà plus de queue. Ceux qui en auraient encore une se cacheraient à la
campagne, faudrait s’organiser pour les capturer. Ils seraient malins,
faudrait tendre des pièges, genre y’en aurait une qui ferait la gentille
pour en attirer un et dès qu’il s’approcherait on lui tomberait dessus, on
lui couperait la queue direct, on s’emmerderait pas à ramener le type...
Ensuite on risquerait de se prendre la tête pour savoir laquelle aurait le
droit de l’essayer la première, des fois on se battrait pour l’avoir, y’en
auraient qui essayeraient de se sauver avec pour la garder pour elle toute
seule, ça, ça serait chiant parce que ça sèmerait la discorde, et puis
des fois y’aurait des queues qui seraient endommagées pendant la capture,
des fois elles seraient foutues, faudrait les achever et les jeter. Enfin
bon, faudrait faire des lois, établir un règlement avec des droits et des
devoirs par rapport à la queue, pour pas que ça devienne trop vite une
espèce en voie de disparition, quand même.
Zizette Suicide
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Zizette Suicide dans :
SOUS LA PLAGE, DES MEUGS.
Il m’est arrivé un truc incroyable. Dans le train, je suis allée aux
chiottes et, tu ne me croiras jamais, un mec avait oublié son portefeuille
sur le lavabo. Je suis sortie tout de suite pour voir s’il était pas encore
là. Personne, que dalle. Je me sentais conne. Tu me vois demander dans
le wagon : il est à qui ce portefeuille ? Putain, y’avait 17.000 balles
dedans, tu te rends compte. 17.000 ! J’étais folle. Tu veux boire quelque
chose ? Un thé ? Tu t’en occupes pendant que je fais le joint ? Sinon,
c’était merdique. Je préfère même pas en parler... Je suis bien contente
d’être de retour. Bien contente ! Ici, au moins on sait à quoi s’attendre.
Y’a pas de tordus qui te font des plans à la mords-moi le noeud ! Je suis
encore toute énervée. Pffffff làlà, LA LALA LA. Non mais tu te rends compte
? Complètement taré, l’autre... Faut qu’il se fasse soigner,
je sais
pas... Putain, je me gratte, je me gratte, j’ai dû chopper un truc à la
mer, avec toutes leurs saloperies. Faudra qu’on se fasse une bouffe, un de
ces soirs, hein, un petit restau. Non, mais tu les verrais, tous affalés,
à s’exhiber... Ah, qu’on ne me parle plus de chair, PLUS JAMAIS. J’ai eu
ma dose, c’est bon, MERCI ! Dans la boite devant le cumulus, le thé. Et
toi, ça allait ? Ah, oui, la campagne, c’est peinard. J’aurais mieux fait
d’y aller.
Tu vois, j’étais partie pour décrocher. Ici, je pouvais plus. Tous ces
connards qui viennent te relancer, c’est pas possible. On dirait qu’ils le
font exprès. Tu leur dis : OK, les mecs, c’est pas la peine, en ce moment
je décroche. Et qui tu vois se pointer, deux heures plus tard ? Je te
jure, du vice ! Bon, j’arrive là-bas, chez Boris et Violette, des copains
à Caliméro. Y’a plus de sucre ? Merde... Au fait, je te l’ai passé le joint
? Bon, là-bas, peinard, il faisait beau, on a picolé dans leur appart tout
l’aprèm. Ils sont sympas, hein. Enfin j’ai pas trop discuté le premier jour,
parce que j’étais un peu en keum. Je flippais, je me disais, je vais jamais
tenir. Violette a été hyper cool, elle m’a arrangé une plaquette d’Ortenal.
C’était pas le pied mais ça allait un peu mieux. Tu veux en rouler un ?
Tiens voilà le matos. T’aurais vu la mer : je saurais pas te dire, j’ai pas
les mots pour ça moi, enfin vraiment chouette. Boris il est cordonnier. Enfin
il fait des trucs en cuir qu’il vend sur les marchés, ça marche pas trop.
Pourtant j’étais sûre d’avoir acheté du sucre. J’ai dû planer... Violette,
elle bosse dans un hôtel, un gros truc de luxe, elle fait les chambres.
Des fois elle se fait pas mal de thune en pourboires. Calimero il assure
pas en ce moment, je sais pas dans quel plan il s’est encore embarqué. Tu
sais qu’il est recherché pour ses histoires de cambriolages ? Ce con a
zappé le procès. Je suis allée à la plage, t’imagines ? Violette m’avait
prêté un maillot. Je me sentais conne au début. Je sais pas, j’y avais
pas foutu les pieds depuis 10 ans, au moins. Ça m’a fait un choc. J’avais
l’impression que tous les mecs me regardaient comme si... Enfin, dégoûtée.
Putain, tu verrais les nanas sur la plage, t’y croirais pas. Je sais pas
où ils vont les chercher ? Elles sont nickelles, toutes neuves. N’empêche,
le soleil, ça fait du bien. Je sais pas ça faisait combien de temps que je
m’étais pas foutue au soleil. C’est le joint ? Oh, merci. Tu en roules un
autre, si tu veux, hein. Bon, le deuxième soir, je sors voir si je pourrais
pas trouver quelque chose, histoire de... Nan, mais là j’ai complètement
décroché, c’est fini ces conneries. C’est bon, j’ai assez donné, à moi on
ne me la fait plus. Je tombe dans un bar. Putain, où je l’ai mis ce sucre
? Ouais, je disais un bar un peu zone. Tu sais, ceux qui sont dedans, t’y
vois tout de suite. Bon, ce mec là Manu, un zicos, on était chez lui et il
commence à me baratiner. Moi je lui dis tout de suite : écoute, ton cinéma
j’en ai rien à cirer, tu me files ma dose et puis tchao. T’énerves pas, il
fait, j’ai touché un super plan, c’est bon, laisse tomber, c’est moi qui
invite.
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Le soir on est allé à la plage. Là au moins c’est peinard : y’a personne à
part deux-trois mecs qui jouent des percus. On était là avec Boris, Violette
et puis Marcello et Lydia, les fils du patron de l’hôtel où elle bosse,
des mineurs. Boris avait vendu un plan shit de 500 à Marcello, moyennement
servi. « C’est la première fois j’ai oun aussi gros ». Marcello faisait
le caïd avec son bloc alors qu’il savait même pas rouler, un vrai gosse.
D’un coup on entend «Messieurs-dames, contrôle des pièces d’identité ».
Ces enculés étaient venus dans le noir, on les avait pas entendus arriver.
Quand ils se cassent on voit Marcello se mettre à creuser le sable. Au
bout de cinq minutes Boris lui fait : « Laisse tomber, tu le retrouveras
jamais, avec tous les mecs qui ont planqué du shit ici, t’as de quoi en
faire une montagne ». Bon, on se met à chercher comme des cons. Au bout
d’une heure toujours rien. Lydia, je sais pas elle était formée mais elle
devait à peine avoir 14 ans, elle arrêtait pas de rire bêtement, le truc
insupportable. Là-dessus on voit se pointer Manu, qui connaissait Boris.
« Salut les jeunes », il fait, « vous êtes en galère ? Passez chez moi, je
vous dépanne, no problème, on s’arrange plus tard ». Attends, je vais en
rouler un autre. Tu les fais pas trop chargés, toi, hein ? Bon, on arrive
chez lui. Marcello et Boris vont chercher des bières. Manu était en train
de se faire son truc dans la salle de bain, il prenait son temps. Moi,
ça commençait à me gratter. Je vais le voir dans la salle de bain. « Tu
peux pas m’arranger quelque chose ? », je lui fais. « Tu veux une pompe
darling ? J’en ai des neuves, j’ai récupéré tout un stock ». Pendant que
je me faisais mon machin ce con se met à me tripoter. « Déconne pas », je
lui fais, « je vais me rater ». Après je l’ai sucé un coup à l’arrache, de
toute façon il était trop raide, il pouvait pas jouir. La dessus la porte
s’ouvre, c’était Lydia. Elle reste là à nous mater, connement.
Le lendemain soir Marcello nous a invité à venir faire la teuf dans la
baraque de ses parents. Un truc hypra clean avec baie vitrée sur la mer.
Marcello faisait un peu le cake, mais on sentait qu’il était pas vraiment à
l’aise. « Vous voulez boire dou whisky ? Vous pouvez alloumer la télé... ».
Pendant qu’il préparait à bouffer Boris et Violette planaient en regardant
le coucher de soleil. Lydia avait un espèce de t-shirt en plastique noir
moulant, qui montrait bien ses gros tétons, elle nous matait, Manu et moi
d’un air bizarre, bien fixe. Je suis allée me faire un fix et me prendre un
bain. Je me suis endormie dedans. Quand je suis revenue au salon on s’est
mis à table. Alors là, royal, saumon au champagne, foie gras. J’avais pas
trop faim. Je me suis un peu forcée et je suis allé gerber. Quand je suis
revenue, Manu était en train de faire des traits sur la table du salon. Ça
m’a fait un peu tiquer. C’est vrai, c’est pas la peine de mettre des gamins
dedans... Je crois que je vais m’ouvrir ce petit pot de rillettes. T’as
pas faim, toi ? Putain j’ai tout le temps faim en ce moment. Marcello était
bien éclaté, il essayait de me baratiner. Un moment il m’entraîne dans la
chambre de ses parents, il me montre là où ils planquent leur fric. « Rien
du tou pour eux, tou vois ils ont oun Casino à Florence ». Et puis il se
met à me faire son baratin de rital. « Tou es bella, la plus bella que j’ai
jamais vou ». « Allez, arrête ton char », je lui fais, «j’ai passé l’âge.
Qu’est-ce que tu veux ? C’est ça qui t’intéresse ? HEIN ? », je fais en
baissant mon froc. « HEIN ? C’EST CA ? PAUVRE CON JE SUIS TOXICOMANE, TU
SAIS CE QUE CA VEUT DIRE ? ». Il hoche la tête un peu choqué. « SI CA SE
TROUVE J’AI LE SIDA. TU TE RENDS COMPTE ? ». « Je Savais pas... ». « MAIS
TU SAIS RIEN. T’ES QU’UN MERDEUX. JE VAIS TE DIRE, FREQUENTE PAS DES GENS
COMME MOI, T’AS RIEN A Y GAGNER ». Là dessus il se met à chialer. « Tu no
m’aimes pas... ». « Non, je ne t’aime pas ». « Mais pourquoi ?». « C’est
comme ça, rends toi pas malade, avec ta jolie petite gueule tu vas te
taper plein de minettes bien proprettes, tu verras... ça va passer ». Bon
y chiale encore un peu et il finit par s’endormir en s’accrochant à moi. Je
vais pisser un coup et en passant devant une chambre je trouve, cet enculé
de Manu à quatre pattes sur Lydia. Sur le coup ça m’a soufflé. Lydia était
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raide, elle poussait des petits geignements, tu sais, comme les chiots.
Manu malaxait ses gros seins mous en regardant dans le vide. Je les ai
matés un moment, dans le noir puis je suis allée au salon me faire un trait
avec ce qui traînait sur le table. Boris et Violette fumaient des beuz
en regardant les reflets de la lune sur la mer. «C’est dément, quand tu
imagines tout ce qui vit là-dessous ». « C’est magique, hein ? ». « Ouais,
ça donne le vertige », j’ai fait avant de m’écrouler à côté d’eux.
Le lendemain matin quand on s’est réveillé Manu était plus là. Ce fils de
pute avait tracé avec le fric. Et attends la meilleure, tu devineras jamais
: ce fils de pute m’a accusé. TU IMAGINES ? CET ENCULÉ, SI JE L’ATTRAPPE
! NON MAIS TU TE RENDS COMPTE ? DES FILS DE PUTE PAREIL, C’EST BON, J’AI
DEJA DONNÉ ! J’étais dé-goû-tée de la vie, je suis rentrée direct. Putain,
comme ça me gratte... T’as vu mes bras, c’est crade, hein ? Bon O.K.,
il m’arrive encore, de temps en temps, de prendre des subu, mais j’ai
vachement réduit la dose, je te jure. Je peux pas arrêter d’un coup, tu
sais ce que c’est...
14
Zizette Suicide dans : CLUB DÉPIT
Salut ! Viens ici que je t’embrasse. Deux, trois ? Dans certains coins
c’est trois alors au début j’en fait deux et quand j’ai l’habitude de trois
je reviens ici où c’est deux et c’est moi qui suis décalé. Je n’y comprends
plus rien ! Ça faisait un moment, dis donc. Alors,
qu’est ce que tu
deviens ? Tu es bien mignonne en tout cas. Si, si, si. Ce petit machin te
va super bien. Tourne-toi un peu que je regarde bien. Toi tu sais y faire,
y’a rien à dire. Ça te dit, un petit gâteau. Bon il faut que je te raconte :
il m’est arrivé un truc incroyable. Au début je me disais, non, c’est de
la blague. C’est un délire, ça ne t’arrivess pas à toi. Ça m’a fait me
poser vachement de questions. J’ai vachement hésité. Tu sais des fois, tu
te demandes super longtemps et puis une fois que tu es dedans… C’est ça.
Exactement. Et puis bon, maintenant je vois les perspectives. Bon, on va se
faire un bon shilum. Tu veux le faire ? Le secret c’est de bien le charger
en mettant à peine une cale de tabac au début et à la fin. Ouais, comme
ça. Attends, non tu tasse un peu trop. Fais voir. Là, nickel. Allume-le...
Merci. FFFffffff. Tiens. KKFfffft KkkFFT. Whaou. Quelle claque ! Fffffff.
Bon, alors, je te le dis :
J’ai joué dans un film porno.
Même plusieurs en fait. Ouais, payée. Correct, mais pas dément non plus.
C’est comme tout. Tu démarres pas du jour au lendemain. Ils me proposent
d’en faire d’autres. D’abord leurs productions et puis après des trucs
étrangers. Ouais. Je sais plus exactement, avec des allemands et des
américains, je crois. Professionnellement tu peut évoluer rapidement. C’est
un bizness mondial cette affaire. Si tu te fais connaître, tu peux pas mal
tourner. Il y a des chaînes de télé spécialisées dans certains pays, les
cassettes circulent… Evidemment la Mecque du X c’est Los Angeles. Là-bas
les filles sont de véritables stars. Certaines européennes ont réussi à y
faire leur trou. Les françaises ont la côte, il paraît.
Ouais. Et puis
franchement, enfin, je ne sais pas, je devrai pas en parler parce que, mais
bon, enfin je te le dis, à toi : Pour une fois que j’ai une ouverture je ne
vais pas laisser passer ma chance.
Quand même, c’était bizarre cette histoire. Vraiment hyper zarbi. Non, mais
tu te rends compte, quand même : je rencontre ce photographe et 10 jours
après je me retrouve à jouer dans un film. Ça a été comme une espèce de rêve.
Ce mec qui était correct mais hyper froid s’est mis à me brancher pour
faire des photos amateurs en me parlant de Club Dépit. C’est un éditeur du
sud qui produit aussi des films. Un jour il m’a proposé d’y faire un saut,
comme quoi les photos leur avaient vraiment plues et qu’ils voulaient me
rencontrer. Moi je ne me suis pas vraiment rendu compte, enfin c’est pas que
je me suis pas rendue compte, je suis pas naïve à ce point, mais quand je me
suis retrouvé là bas, j’ai commencé à réaliser dans quoi je m’embarquais.
Il y avait des piles de K7 vraiment explicites partout dans les bureaux,
des godes qui traînaient par terre. Tout le monde parlait de cul, enfin
pas de cul mais de « sexe », de « pénétration », « d’enchaînement de
positions ». Je dis : qu’est-ce que tu fais ? Tu restes ou tu te barres ?
En même temps ils étaient sympas, ils s’intéressaient à moi. Je m’entendais
bien avec les filles. La plupart avaient pas mal galéré. Elles étaient
contentes d’avoir trouvé ce plan. C’est elles qui ont commencé à me parler
de ces histoires de tournage. Elles m’ont dit : vas-y, le boss t’a à la
bonne. Tente ta chance. Le truc s’est décidé hyper rapidement. Genre : j’en
parle au directeur et il me dit « OK, on fait un essai ce soir, si ça se
passe bien, on diffuse le film et tu touches un pourcentage ». L’après-midi
passe. Il y avait d’autres tournages. Moi je regarde, pour me faire une
idée. C’est un truc de dingues, tu ne vas jamais y arriver, je me dis. Le
soir tombe, je vois les techniciens qui se préparent dans la cour et j’ai
une grosse bouffée d’angoisse. Ils m’appellent et j’y vais.
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Je ne me rappelle pas trop. C’est passé vite. Je me retrouve assise sur
une chaise à répondre à des questions à la con, genre : « Quels sont tes
fantasmes ? Est-ce que tu aimes le sexe ? » Moi, je suis tellement nerveuse
que je réponds n’importe quoi, enfin en essayant de ne pas trop le monter.
Puis je suis allongée sur un pliable, un mec m’aide à me déshabiller. On me
dit : « tournes-toi, souris. Dans cette direction ». Moi je fais ce qu’on
me demande. J’ai un sursaut quand le mec essaie de s’introduire. J’étais
carrément sèche. Ça ne va jamais passer, je me dis. Et puis, je ne sais
pas, je me suis mis à penser quelque chose qui n’avait franchement rien
à voir et c’est passé sans trop de difficulté. Je me suis quand même fait
baiser par cinq mecs et deux nanas en un après midi... Bon ils étaient
gentils. Enfin tu n’as pas forcément des affinités, c’est comme quand tu
bosses dans une boite. T’es obligée de faire avec. Après je me suis écroulé
de fatigue.
C’est même pas me faire baiser qui m’a dérangé le plus, mais plutôt une
espèce de côté, comment dire, mécanique. C’est ça, comme si j’étais une
bagnole qu’ils astiquaient. Après je me suis sentie toute bizarre. Presque
même j’avais envie d’aller en ville me taper un mec, pour reprendre le
contrôle. Heureusement j’étais trop vannée. Ça m’a travaillé pendant un
moment, quand même, je me sentais toute vaseuse. Mais vraiment. La tête
dans le cul, à marcher au radar pour aller m’acheter de quoi bouffer pendant
une semaine. J’étais un vrai robot. Quand ils m’ont dit, si tu veux tu peux
faire des extra dans d’autres films, c’est moins pénible et ça rapporte un
peu, je ne me suis même pas posé de questions, ça s’est enchaîné. J’ai fait
des trios, du S.M., la totale quoi. Enfin, non, pas tout. Mais c’était déjà
beaucoup. Ensuite il faut de la préparation. Faut en être capable aussi.
Non, j’ai pas vu. Je ne sais pas si j’en ai envie. Nan. C’est pas encore
sorti. J’en sais rien. Evidement si y’a des gens qui me connaissent qui
le voient je serai mal. Heureusement, que c’était dans une autre ville.
Toi, tu l’aurais fait ? Ouais, on ne peut pas savoir comme ça. C’est sûr.
Putain, la vie, c’est tordu. Vas piger... Tu sais, sans dec’, j’en avais
vraiment marre de zoner. D’être obligée de toujours compter. Le deal c’est
pas une solution. Ouais, je vends mon corps, et alors ? Tu crois que j’ai
le choix ? Et puis pourquoi je ne me ferai pas payer ? Tu sais, souvent
baiser, c’est plus un effort qu’autre chose, hein…
Prochain épisode : Une putain de contre révolution sexuelle.
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Club Dépit : UNE PUTAIN DE CONTRE RÉVOLUTION SEXUELLE
Toute cette histoire a commencé d’une manière extrêmement bizarre. J’étais
dans une mauvaise passe où je me posais tout un tas de questions sur ce que
j’avais fait de ma vie jusque là. Les quinze dernières années se résumaient
à me défoncer, décrocher, passer de mec en mec et fabuler avec les copines
sur ce que je ferais le jour où je me déciderai à être un peu plus sérieuse.
Tout ça était très agréable. Et c’était là le problème : je ne savais pas
comment en sortir, je ne savais même pas vraiment si j’avais envie d’en
sortir. Pour aller où et pour faire quoi ? J’étais sortie avec Flip, un
petit tox égocentrique et nerveux, qui avait finit par venir me squatter.
L’entendre geindre sur son sort pendant deux jours m’avait fait réfléchir.
Je me disais : merde, tu ne peux pas continuer comme ça éternellement.
En cherchant des feuilles à rouler dans les poches de ma veste je suis
retombé sur la carte d’un type rencontré au bar de La camisole. « Stéphane
Roche. Photographe ». Une carte imprimée. Tente le coup. Si ça se trouve
ça ne donnera rien, faut pas rêver, mais on ne sait jamais, des fois une
rencontre... Bon, j’appelle. « Bonjour. Stéphane Roche à l’appareil ».
« Salut, je ne sais pas si tu te souviens de moi, on s’est rencontré à UGLY
SON OF BITCH ». « Je me souviens très bien de toi. Ça va ? ». « Pas trop
mal. Tu sais, tu m’as intrigué avec ton histoire de job ». « Ah, le poisson
mords à l’hameçon… ». « Ça je ne sais pas encore ». « Bon, je préfère te
prévenir, il s’agit d’un truc un peu spécial ». « Je m’en doutais ». « Tu as
l’air d’être une fille assez déterminée ». « Hun, hun ». « C’est pour ça que
je me suis permis de t’aborder. Tu veux passer chez moi, pour en discuter
? ». « Je suis moyennement chaude. » « Pour en discuter. Je te montre,
je t’explique et toi tu vois si ça te tente. Point à la ligne ». « Bon…
d’accord. Tu as l’air clean.» « Bien, je t’explique comment venir... ».
Il habitait rue de la Vieille Acariâtre, sur le bas des pentes, un peu
derrière la mairie du 1er arrondissement. Je monte jusqu’au troisième
étage. La porte est ouverte, je frappe. « Entre ! Je suis dans la
cuisine… ». L’intérieur est très clair. « J’ai de quoi faire du kir... ».
« Ok ». « J’arrive ». Je m’assieds sur un canapé en tissu clair. « Tu
viens d’emménager ? ». « Non, en fait, je suis là depuis 1 an et demi ».
« C’est sobre... ». « Tu crains ? ». « Je n’ai pas l’habitude». « Tiens »,
il fait en me tendant un verre, « bon, pour être honnête je dois dire que
je t’ai observé un moment l’autre soir avant de venir t’aborder. Tu avais
l’air assez, j’allais dire sévère, déterminée, plutôt. C’est le genre de
filles que je cherche » « Où tu veux en venir ? » « Pas où tu crois. Bon,
comme tu le sais, je suis photographe et je cherche des filles pour des
poses. Des poses un peu spéciales. » « Tu fais dans le cul, c’est ça ? »
« Plus ou moins. » « Quoi plus ou moins ?» « Tu as déjà entendu parler du
Club Dépit ? ». « Non. C’est quoi ce truc, un club de pervers ? ». « Du
tout. Plutôt une bande de malins farceurs ». Il se lève, prend un book sur
une des étagères de l’entrée, « si tu veux te faire une idée». J’ouvre,
je feuillette, c’est des photos mal prises. Des filles pas très belles
dans des poses peu flatteuses. « C’est quoi ce délire ? Vous vous amusez
à prendre des photos de filles à poils avec tes potes et ensuite vous vous
les échangez ? Et tu veux me payer pour faire ça ? ». « Ces photos sont
diffusées dans les magazines édités par Club Dépit ».
« Je t’explique : à la base de Dépit il y a Gérard Daiguou, un ex-baba de la
fin des années 70 qui a eut l’impression de passer à côté de la révolution
sexuelle. Gamin il voyait ses parents s’envoyer en l’air au camping avec
les voisins, une famille de charcutiers particulièrement portés sur la
chose. Ça partouzait le soir dans les caravanes, son père se tapait les
deux filles qui avait 14 ans pendant que sa mère se faisait le cousin de
16 ans. Ça s’est mal terminé le jour où sa sœur à surpris la voisine en
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train de le sucer dans sa chambre. Il avait 5 ans. Ça l’a profondément
marqué. Mais quand lui a commencé à vivre sa puberté on entrait dans les
années 80 et tout ça était terminé. C’était l’époque des golden boys, de
l’aérobic et des vidéo-clips. Les premiers magazines sur lesquels il s’est
branlé étaient des Playboy et des Penthouse, le genre de publication où
les photos sont tellement retouchées que tu n’as pas l’impression que
les filles soient réelles. Nous étions au lycée ensemble. Gérard, qui
était quelqu’un de plutôt travailleur et timide s’est fait dépuceler très
tardivement par une Auvergnate dont les parents avaient fait fortune dans
les salaisons industrielles. Rapidement ils se sont mis à vivre ensemble.
Nous nous sommes perdus de vue. Un jour le téléphone sonne. Ça faisait
4 ans que je n’avais plus de nouvelles. «Ça te dit toujours de monter
ton agence de presse internationale ? » « Tu rigoles ? » « Même pas, mon
petit Stéphane. Je suis en train de monter un groupe de presse et j’ai
toujours besoin de toi. Si tu es libre ». « C’est sérieux, ton histoire
? ». « Descends me voir à Montpellier, on en discutera ». Je l’ai rejoint
le week-end suivant. Il m’a conduit jusqu’à une villa avec piscine, jacuzi
et cours de tennis. « J’ai réussi à me faire financer par sa famille. Bon,
je t’explique : Le sexe business, comme tous les business d’évasion fait
son beurre sur l’inaccessible. Or, dans notre contexte économique ravagé
le cul placé sur un piédestal ne fait plus rêver, parce qu’il n’est plus
accessible. ET c’est dramatique ! Alors que le sexe a toujours été, quelle
que soit l’époque, la valeur refuge, aujourd’hui, en pleine panade sociale,
le sexe est devenu à cause de la publicité quelque chose réservé à une
élite, qui seule peut s’offrir les représentations correspondant au modèle
dominant. Tu me suis ? ». « Heu, ouais... ». « Et c’est là que nous entrons
en scène : On se pointe et on fout la zone ». « Et comment tu compte t’y
prendre ? ». « Très simplement : on redémocratise le cul. On fait une
putain de contre révolution sexuelle. On montre publiquement ce qui se
faisait dans les 70’s ». « Tu ne crains pas que ça soit un peu ringard ? ».
« On ne réédite pas. On fait nous même le matériel, c’est là l’astuce.
Les pornos amateurs cartonnent. Il faut prendre d’assaut le créneau, en
le revendiquant, pas faire ça à la sauvette. Faut qu’on crée un véritable
mouvement ». « Et moi là dedans ? ». « A toi de définir l’esthétique. Il
faut que ça fasse vrai. Genre photo de famille ».
Prochain épisode : Je ne baise plus.
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Club Dépit : JE NE BAISE PLUS
J’étais là, chez ce mec qui venait de me dire qu’il voulait me prendre en
photo à poil en me racontant une histoire à dormir debout, comme quoi son
meilleur copain possédait une maison d’édition tendancieuse baptisée Club
Dépit. « Ça te dérange si je fais un joint ? », je lui demande. « Du tout.
Mais j’y pense, tu dois avoir faim... ». « Ça va pour le moment, continue
ton histoire ». « Non, non, on va faire un break, je continuerai plus
tard. Bouge pas, je m’occupe de tout ». Là-dessus il se lève et va dans la
cuisine. « Il y a des numéros de Dépit dans la chambre, si tu veux jeter un
œil... ». Je m’assieds sur le siège des toilettes. La revue fait pas loin
de deux cents pages, des reportages bidons, des photos de tournages dans
une villa du midi et surtout un paquet de pages où il n’y a que des petites
photos comme celles qu’il m’a montrées. Des photos mal cadrées, un peu floues
comme les instantanées. Les filles ne sont pas laides, ordinaires, on dirait
dit qu’elles se font un délire cul avec leur copain, en porte jarretelle
dans la chambre ou à poil dans la nature. Au début on a l’impression qu’il
y a des centaines de filles mais, en fait, il y a beaucoup de photos des
mêmes filles dans différents lieux. Je ramène le magazine dans le salon. Je
suis en train de pisser quand la porte des toilettes s’ouvre. « Aie l’air
naturelle », il me fait derrière son appareil photo. J’ai l’air conne et
vaguement angoissée. Il a fait une série de clichés verticaux. Je finis par
me marrer. Il continue à photographier. « Je peux m’essuyer ? » « Ne fais
pas attention à moi ... » Il photographie. « C’est bon, là ? » « Ne fais
pas attention à moi. » Je sors des toilettes. « Et maintenant ? » « Comme
si je n’étais pas là. » Je reviens dans le salon. Je fouille dans les poches
de sa veste. J’en vide les poches. Un paquet de cigarette neuf. Un ticket
de métro usagé. Un carnet de téléphone. Un portefeuille. J’ouvre le paquet
de cigarettes. J’en allume une. En le regardant dans les yeux, j’ouvre son
portefeuille. Je dis : « pour les photos ». Je prends deux billets de 200
que je glisse dans mes poches. Pas de réaction. Je parcours le carnet. A la
lettre « D » il y a un Gérard Daiguou. Je compose son numéro. Clic. « Vous
êtes bien au siège social des Editions Dépit. Veuillez… ». Je raccroche.
Je hausse les épaules. Clic.
Je vais dans la cuisine. Ça sent bon. Je soulève le couvercle de la
casserole posée sur la cuisinière. Je trempe un doigt dedans. Il ne dit
rien. « Bon, alors maintenant, si je comprends bien si je veux que tu passe
ces photos de moi dans ton magazine il faut que je sois bien gentille avec
toi ? » Pas de réponse. Je trempe à nouveau mon doigt dans la casserole,
le ramène à ma bouche. « Ok, tu veux jouer l’homme invisible… » Je prends
un air langoureux. J’ondule du bassin, tendant la poitrine en avant. Il
ne bouge pas. Avec des gestes lents je remonte mon pull sur mon ventre.
Toujours aucun mouvement. Mon soutien-gorge apparaît. Le pull recouvre
maintenant mon visage. Clic. Tout en tenant le pull d’une main, de l’autre
je dévoile un sein. Clic. L’autre. Clic. Le visage toujours caché, je
défais la ceinture de mon jean. Clic. Clic. J’ai un peu de mal à respirer.
Je manque de glisser en ôtant le pantalon. Clic. A demie nue je cours dans
sa chambre.
Je me laisse tomber sur le lit. Clic. « Tu compte me baiser avec ton
objectif ? » « Je ne baise pas. » « Comment ça tu ne baise pas ? » « Non,
ça ne m’intéresse plus. Où disons que je trouve plus excitant de ne pas
baiser. » « Expliques. Tu m’intrigues… » «C’est assez compliqué. » Il
prend une cigarette. La fume silencieusement. Je me demande ce que je fais
là. « Tu vois, j’ai une théorie : je crois que la seule chose intéressante
dans la sexualité c’est le désir. Passer à l’acte c’est le tuer. » « Ouais…
C’est un peu vaseux. T’as tout le temps envie de baiser, en fait ? » « NON !
C’est plus compliqué. Chaque fois que je baise ça atténue mon désir. »
« Pourquoi ? » « Mais parce que c’est pathétique. Je me vois faire, j’ai
l’impression d’être... Ça ne t’arrive jamais ? Par exemple, je dirai que
19
tu es plutôt jolie, c’est à dire que tu corresponds à mes critères, et
j’ai l’impression que je corresponds à peu près aux tiens. Cela instaure
une tension entre nous. Nous nous mettons à imaginer ce qui pourrait se
passer, se monte de brèves scènes mentales. C’est la premières fois que
nous nous rencontrons donc ces scènes sont particulièrement intenses, même
si elles sont à peines ébauchées. Il y a encore beaucoup de zones floues,
d’appréhensions. Le fait que tu sois chez moi, qu’il fasse nuit et que nous
ayons bu nous incite naturellement à vouloir concrétiser ces désirs. »
« Normal. » « Non ! Enfin oui. Mais c’est là le problème : en passant à
l’acte on tue le potentiel. » « Je ne comprends pas. » « Mais si. Dans le
fond tu sais très bien de quoi je veux parler. Ferme les yeux. Maintenant
tu nous imagines nus tous les deux étendu sur ce lit. C’est terminé. Ce que
nous avons fait tous les deux est illisible. C’est allé tellement vite que
ta mémoire n’arrive pas à se fixer dessus. Quelques sensations désagréables
ressenties pendant l’acte. L’impression que je ne te fais pas exactement
ce que tu veux. Que je suis absent où trop obnubilé par mon propre désir.
L’envie d’être ailleurs. Le désir que tout ceci s’achève au plus vite. Tu
es allongé à côté de moi et tu aimerais être chez toi. Tu as honte de penser
ceci. Tu te demandes si tu es normale. Tu m’adresses la parole, pour le
regretter aussitôt. Tu m’en veux .» « Ouais, d’accord, c’est souvent comme
ça. Mais ça sert à quoi de se prendre la tête dessus ? » « Je ne me prends
pas la tête dessus, je t’explique. » « Ouais et qu’est-ce que ça change
pour toi ? » « Ça m’évite de souffrir. » « C’est ça… »
Je finis de me déshabiller un peu agressivement. Je prends des poses sur
son lit. Il me regarde derrière son appareil mais il ne prend pas de photo.
« Quoi ça ne convient pas ? » Il ne répond pas. Je me recroqueville dans un
coin. Il me fait chier. Clic. « Tu te crois malin ? » Clic. Je m’assieds sur
le lit. Dans l’immeuble d’en face un couple regarde la télé. Je remets mon
soutient gorge. J’enfile mes chaussettes. Clic. « Ouais. Super bandant… »
Je fais une grimace. Clic. J pointe mon majeur dans sa direction. Clic.
« Connard ! » Je suis allongée sur le lit. J’ai mal à la tête. Je me tiens
le front. Clic. Je cache mon visage dans l’oreiller. On doit voir les
boutons sur mes fesses. Clic. Je m’endors. Quand je me réveille il n’est
plus dans la chambre. Il ne m’a pas touché. J’ai un peu froid. Je passe
la veste qui est posée sur une des chaises. Je baille. Qu’est-ce que je
fais ? Je me tire ? Je prends une des revues. « Ça va ? » « Je ne sais
pas. » « C’est toujours un peu dur la première fois. Je suis très content
des photos. » « Tu t’es branlé en les développants ? » « Non… » «…Je ne
me masturbe plus. » « Tu as deviné. » « Comment tu fais alors ? » « Je
prends des photos de ce qui m’excite et les autres se masturbent en les
regardant. Si je me masturbais ça flétrirait mes fantasmes. Imprimés ils
restent intacts, et quelqu’un peut toujours tomber dessus et les revivre. »
« T’es taré. »
Prochain épisode :
fantasmer.
Le
prototype
de
20
fille
qui
ne
fait
à
priori
pas
Club Dépit : Le prototype de fille qui ne fait à priori pas fantasmer.
Un roman feuilleton de Lionel Tran, illustré par Winshluss.
RÉSUMÉ
DE L’ÉPISODE
GRANDE INDIFFÉRENCE.
PRÉCÉDANT
: LES
AVANCES DE NOTRE HÉROÏNE ONT ÉTÉ ACCUEILLIES DANS LA PLUS
Et là je sors. Je m’enfuis. Je claque la porte. Je suis dans la rue. Je
ne veux plus entendre parler de ce type. Dehors je réalise qu’il n’est
pas tard. Les restaurants sont encore ouverts. Ses conneries m’ont rendue
malade, alors je marche un peu à l’aveuglette. Il est complètement taré.
Je rigole. Je marche à larges enjambées. Je me sens vivante, non, je veux
vérifier, j’ai besoin d’être sûre que je suis encore vivante. Je m’éloigne
de son appartement, de la petite ruelle sombre et glauque. J’oublie les
photographies sordides qu’il m’a montrées. Je suis dans la rue. L’air est
tiède. Un souffle frais en provenance des quais caresse ma peau. Je me sens
bien ce soir. J’en avais presque oublié que je me suis fait belle. Je vis.
Autour de moi la ville palpite. Nous sommes samedi soir et j’ai la nuit
devant moi. Il me reste au moins une dizaine d’heures, presque une journée
complète pour faire quelque chose, quelque chose qui vaille la peine.
C’est samedi soir, les garçons sont en chasse, du moins le croient-ils,
marchant par petits groupes, nous jaugeant, nous les filles, derrière leur
fraternité cimentée par la trouille. Je me sens si bien. Si fraîche. Je
sens glisser les regards sur moi, comme sur une assiette essuyée à la vavite. Hum, qu’il est bon de se sentir vivante. Allez-y ne vous gênez pas
je ne vous vois pas. Ou plutôt je ne vous regarde pas. Sourire, se laisser
porter par le flot. Ne pas savoir ce que l’ont veut ou plutôt contourner
ce que l’on ne veut pas, tout en restant limpide, en surface. J’ai besoin
d’un garçon. Pas un homme. Un gentil garçon un peu timide. Qui n’osera pas.
Qui restera devant moi, quémandant presque l’autorisation de faire ce que
j’attends. Me demandant des yeux sans oser prononcer les mots. Ces mots
sales, dégoûtants, dont j’ai tellement envie. Un garçon que sa peur d’être
répugnant rendra touchant.
Portée par mes pensées, je traverse la place Déterrée sans m’en rendre
compte. Et d’un coup je mets le doigt dessus. Il est là. A cinquante mètres.
Je ne saurais pas expliquer comment je sais que c’est lui. C’est intuitif,
comme la couleur d’une robe. Plus je m’approche et plus mon intuition se
confirme. Pas besoin d’aller voir ailleurs, de faire la tournée des bars.
Il approche de la trentaine. Il porte des lunettes. Fines. Une chemise à
carreaux de couleur plutôt sombre. Il est seul, face à un distributeur de
cassettes vidéos. Je m’approche de lui, l’air de rien. «Excusez-moi. Estce que vous pourriez m’aider ? « Il se retourne, surpris mais pas effrayé.
« Voilà, j’ai envie de regarder un film mais je ne sais pas comment marchent
ces trucs… « «Ce n’est pas compliqué… « «Je suis désolée de vous sauter
dessus aussi brusquement… « « Ce n’est pas grave. Bon, vous mettez votre
carte bleue là «. « Oui. « « Ensuite vous composez votre code, à l’aide
de la série de touches là, vous sélectionnez le type de films que vous
cherchez, puis vous faites défiler le stock, il suffit de toucher la K7 que
vous voulez sur l’écran. « « OK, c’est simple en fait «. « Je vous avais
dit. « « Bon je mets ma carte, le code… « Je fais défiler les films à l’écran.
Lorsque je choisis la rubrique X je le sens imperceptiblement tiquer.
La commissure de ses lèvres se met à trembler légèrement. Il se demande
si je me suis trompée et se tient dans cette éventualité prêt à rire, à
prendre de l’assise sur moi. Cette perspective lui plaît, alors je dis :
«je n’y comprends rien. Est-ce que vous pouvez m’aider ? « Le coin de ses
lèvres affiche maintenant un sourire discret mais franc. Il pianote sur le
clavier, me ramène à l’écran de départ. «Voilà. « Je prends sa place. Je
vais directement à la rubrique X, tout en sachant pertinemment qu’il est
en train de se demander si je suis réellement conne, ou… «Je cherche les
films de Club Dépit «, je dis pour lui couper l’herbe sous le pied. Il reste
21
muet un instant puis il dit «je ne pense pas que tu en trouveras ici. Ils
ne mettent pas ce genre de trucs dans la rue, les seuls pornos qu’il y a
là c’est des trucs américains, des trucs standard, très clean… «
Trois rangées de K7 porno recouvrent les plinthes des murs de sa chambre
d’étudiant. «Je prépare une thèse sur le cinéma X «, dit-il avant de
s’agenouiller, «Dépit, Dépit, Dépit… Ah, voilà. Je n’ai que les six
premières qu’ils ont sorti… « La chambre est propre, rangée. Un combi télé
magnétoscope est posé à même la moquette dans un des coins de la pièce.
Des feuilles de copies à petits carreaux traînent sur le bureau. « Est-ce
que je peux te prendre un verre d’eau ? « « Je dois en avoir de la fraîche
au frigo. « J’examine les jaquettes de la série
de cassettes «machine
Couche avec toi «. Nous buvons notre verre d’eau. J’ai envie de discuter
un peu avec lui, de savoir pourquoi il s’intéresse au porno, qu’il me
parle de sa thèse, me raconte sa vie, me décrive sa famille, j’ai envie
de l’écouter me parler pendant des heures, de me laisser porter par sa
voix, de parcourir ses expériences jusqu’à en être rassasié. Mais nous
nous déshabillons et sans un mot nous faisons l’amour dans le noir. Très
gentiment. En s’appliquant. Il me plaît. Il me donne du plaisir. Avec ce
qu’il faut de délicatesse et de brusquerie. Je crie. J’ondule contre son
corps. Je le retiens. Je monte sur lui. Et pourtant je ne sais pas ce qui se
passe brusquement j’ai l’impression de me regarder faire, comme si j’étais
tapie, transie d’effroi, dans un coin de la chambre. Le spectacle est à
la fois fascinant et répugnant. J’ai l’impression que nous sommes morts
mais qu’une mécanique continue à nous faire effectuer ces mêmes gestes
déjà répétés des milliers de fois. Puis la tension se libère. Je ferme les
yeux, j’ai envie de pleurer, ou de hurler, non je n’ai envie de rien. Je
reste collée contre lui. J’ai peur de poser la main sur son épaule, peur
qu’il devienne soudainement froid comme la pierre. Il a remis son T-shirt.
Il presse la télécommande. Des images blafardes défilent sur l’écran. Les
petits bonhommes et bonnes femmes qu’il y a dans la boîte se mettent à
vivre. Ils s’agitent dans tous les sens et font des choses drôles. Un petit
bonhomme lutine une petite bonne femme plutôt gironde. Il la caresse. Elle
sourit et dit «oh oui, continue, continue. « Le timbre de sa voix est faux
et métallique. Je rigole. Lui aussi. Ils sont maintenant sur la petite
bonne femme. Ils l’insultent. Ils la prennent à tour de rôle. Ils disent :
«tu n’es qu’une grosse salope dégueulasse. « A son visage épanoui, on voit
qu’elle aime ça. Je pouffe.
Tapie dans un coin de la chambre, je me regarde rire bêtement et j’ai
honte de moi. Honte d’être aussi faible, de mettre autant d’empressement
à m’agripper à des mensonges aussi fragiles.
PROCHAIN ÉPISODE : PROSTITUTION SOCIALE.
22
Club Dépit : Prostitution sociale.
Un roman feuilleton de Lionel Tran, illustré par Winshluss.
RÉSUMÉ
DE L’ÉPISODE PRÉCÉDANT
: NOTRE
HÉROÏNE
A CRU L’ESPACE D’UNE NUIT TROUVER L’ÂME SOEURE.
Avant que je quitte sa chambre l’étudiant m’a demandé «ça va ? « Dans son
regard passait une réelle compassion. J’ai senti que lui aussi se sentait
faible et désemparé mais comme ça n’allait pas du tout je suis partie sans
un mot avant de lui faire du mal. Cette nuit là j’ai rêvé que c’était moi
la petite bonne femme dans la télé. Stéphane le photographe était là, il
me filmait. A un moment une autre fille entrait dans le cadre. Je ne voyais
pas son visage. Sur son dos était tatoué une phrase dont je ne me souviens
plus.
Ce matin en me réveillant j’étais ankylosée. Il faisait un temps de printemps
paresseux, le ciel était d’un bleu terne et baveux. Sous la douche, alors
que je
me passais le gant de toilette entre les jambes, j’ai réalisé
que je n’avais jamais aimé mon corps. Trop grand. Trop maigre. Des bras
anormalement secs et nerveux. Des seins inexistants, aux pointes sèches. Des
jambes faméliques. Seul mon cul, mon petit cul de jeune garçon me paraissait
défendable. Comment se fait-il que les garçons soient aussi aveugles ?
Qu’ils ne se focalisent que sur un détail sans considérer l’ensemble ? La
séduction est une affaire de pièces détachées. MERDE ! J’avais rendez-vous
ce matin avec l’assistante sociale. Ça m’est complètement sorti de la tête.
Je quitte la douche précipitamment. 10 H 49. Je devais y être à la demie.
C’est encore négociable. Je mets ce qui me tombe sous la main. Je marche
dans la rue. J’entre dans la mairie. Il y fait plus frais. Après m’être
signalée aux secrétaires j’attends dans le couloir. Je lis les propositions
de formations. Les mêmes que l’année dernière. Expert en logistique.
Spécialiste de la maintenance. Un jeune type que j’ai déjà croisé dans
un café attend également dans le couloir. Il ne me regarde pas, l’esprit
obnubilé par ce qu’il racontera tout à l’heure, lors de son entretien. Il a
l’air soucieux. On l’appelle. Il entre dans un bureau. J’attends. Un quart
d’heure, une demie heure s’écoulent. Des voix proviennent de la pièce où
il y a la machine à café. Elles racontent des anecdotes. «Alors, celui-là,
un vrai phénomène ! Et l’autre, quelle catastrophe ! « Elles rient. Troisquart d’heure. Je me sens bien. Détendue. L’histoire des photos est une
bonne histoire. Cela peut marcher. On m’appelle. Une secrétaire me dit :
désolée de vous avoir fait autant attendre. Je fais signe de la tête que
ce n’est rien. J’entre dans un bureau. Une petite blonde avec une queue
de cheval me fait signe de m’asseoir avec un sourire crispé. Ses yeux sont
très clairs. «Bonjour. « «D’habitude je voyais mademoiselle Couturier… «
«Je la remplace. Bien je vais prendre connaissance de votre dossier… « Elle
lit devant moi les feuillets glissés dans la chemise jaune. Mademoiselle
Couturier était un petit bout de femme jovial. Le front rond. Les yeux
gris, légèrement enfoncés. Un sourire frais. Des petits seins en forme
de pomme. Habillée simplement mais avec naturel. Celle-ci a quelque chose
de raide. Elle essaie de se donner une contenance qu’elle n’a pas. Le
maquillage trop strict n’est pas maîtrisé. Les vêtements bon marché sont
du genre à vouloir faire bien. «Cela fait longtemps que vous n’êtes pas
venue. « « Avec Mademoiselle Couturier nous avions l’habitude de nous voir
deux fois par an. « Son regard me transperce. Je ne sais plus quoi dire.
Elle extrait certains détails de mon CV en faisant la moue. «Vous avez
beaucoup travaillé à droite à gauche. « «Oui. « Mademoiselle Couturier,
et c’est peut-être ce qu’on pourrait lui reprocher, ne s’intéressait pas
à ça. Elle me demandait juste comment ça allait, si ce n’était pas trop
dur. Elle avait quelque chose de triste dans les yeux. Elle, je n’arrive
pas à voir ce qu’elle veut. «Cela fait longtemps que vous ne travaillez
plus. Pourquoi ? « Je manque de m’énerver. De répondre : «Parce que je
23
préfère me défoncer du soir au matin «, mais je baisse les yeux. Je sens
un sourire poindre sur le bas de son visage. J’attends une réponse, me
disent ses yeux perçants. «Je n’arrive pas à en trouver. Chaque fois que
je me suis présentée, on m’a fait comprendre que je ne correspondais pas.
« «Quels types de démarches faites-vous ? « «Je réponds à des annonces… «
«Vous n’achetez jamais de journaux spécialisés dans la recherche
d’emploi ? « « Non. « « Et vos recherches sont régulières ? « «Plus trop
en ce moment. « Le sourire s’est élargi. «Ce n’est pas brillant tout ça,
dites-moi. « Elle me toise, exultante. «Vous savez, il va falloir qu’on
vous reprenne sérieusement en main. « Je commence à saisir précisément ce
qu’elle désire de moi. Alors je lui donne. Tout en gardant la tête baissée,
je fais légèrement saillir ma poitrine. «Nous ne pouvons pas décemment
vous laisser comme ça, ma fille. « Ma lèvre inférieure tremble. Je lève les
yeux avant de les abaisser. «Premièrement, je vais vous mettre en contact
avec des collègues à moi. Ce sont des gens sérieux. Ils s’occuperont de
vous. « Je me dandine sur le siège en plastique noir comme si j’avais
envie de faire pipi. « Je vous préviens : cela ne va pas être facile. Il va
falloir y mettre du vôtre. « « Oui, madame «, je dis d’une voix de petite
fille. « Mademoiselle, je vous prie. « Je me hâte de faire signe que oui en
gardant toujours la tête baissée. « Bien, je propose de vous fixer, à partir
d’aujourd’hui une série de rendez-vous avec différents organismes. Vous
êtes disponible à n’importe quel moment de la journée, d’après ce qu’il
m’a semblé comprendre. Bien, disons donc jeudi, pour commencer. « Elle
compose un numéro sur son combiné. «Je vais vous envoyer voir Daniel Ferey,
c’est quelqu’un de très bien. Il faudra vous tenir et tâcher de faire un
effort sur la présentation. Allô, Daniel, c’est Séverine. Oui, j’ai une
jeune fille pour toi. Il va falloir s’en occuper, parce que là ce n’est
pas brillant. Oui, tu verras. Jeudi, c’est possible. D’accord. A bientôt,
au revoir. « J’ai les mains posées sur les genoux. Des larmes commencent
à se former devant mes yeux. «Jeudi midi. Je vous note l’adresse. Et vous
avez intérêt à être à l’heure ! Regardez-moi, quand je vous parle ! « Je
pleure. Elle se lève. « Bien évidemment, vos prestations sociales seront
reconduites dans la mesure ou vous vous conformerez à ce que nous avons
décidé. « Elle me raccompagne à la porte en me tenant par le bras, d’une
poigne de fer. Elle dit à une des secrétaires : «pouvez-vous lui débloquer
une aide d’urgence de 500 F, elle n’a pas de quoi s’habiller. « On me
tend une enveloppe. Avant de me relâcher elle dit à voix basse : «On va se
revoir souvent, toi et moi. «
PROCHAIN
ÉPISODE
: COMME
UN OIGNON DE CHAIR.
24
Club Dépit : COMME UN OIGNON DE CHAIR.
Un roman feuilleton de Lionel Tran, illustré par Winshluss.
RÉSUMÉ
DE L’ÉPISODE PRÉCÉDENT
SENSIBILITÉ.
: DANS
UNE PASSE DIFFICILE, NOTRE HÉROÏNE A FAIT COMMERCE DE SA
Je sors dans la rue un peu sonnée. Un moment, j’ai eu peur, je n’arrivais
pas à saisir ce que voulait cette nouvelle assistante sociale. Puis, je
me suis laissée faire et ça lui a drôlement plu. A la fin j’ai même pleuré
pour quelle me donne ma petite prime. Je marche dans la rue la tête haute,
toisant de haut ceux que mon regard croise. Tout est dans l’art d’y croire.
De donner l’illusion d’être forte.
Philippe, l’étudiant qui écrit une thèse sur la pornographie avec qui j’ai
dormi hier soir, met un moment à répondre lorsque je frappe à sa porte.
«Entre, entre «, il dit d’une voix étouffée, «je suis nazebroque. « « Je
vois ça. Qu’est ce que tu as fait ? « «Rien. Je n’avais envie de rien
aujourd’hui «, il s’allume une roulée, «j’ai maté une cassette
que je
n’avais jamais vue. Une ou deux images étaient intéressantes, mais dans
l’ensemble, ce n’était pas génial… « «Ça ne te lasse pas, à la longue ? «
«Non. « Il se verse un grand verre de Perrier. Je lui fais signe que je n’en
veux pas. «Je sais, ça peut paraître con, d’ailleurs j’évite d’en parler en
général, mais je pourrais regarder des films pornos du soir au matin sans me
lasser. Pour moi, c’est comme regarder la nature. Je trouve ça beau. Tout
simplement. « Je ne dis rien. Je reste fixe. N’approuvant, ni ne l’incitant
à poursuivre. Il me regarde, un peu surpris, avant de demander : «et toi,
qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? « Je regarde dans le vide, j’expire
longuement et je dis : «moi je me suis prostituée. « Il a l’air à la fois
interloqué et intéressé. Dans son regard je lis : est-ce qu’elle rigole ou
est ce que… «J’avais rendez-vous avec une femme qui a disposé de moi. Elle
était très sévère. Elle m’a giflé à plusieurs reprises. Elle m’a attaché les
mains et elle m’a fouettée. J’ai pleuré. Après elle m’a donné 500 francs. «
Il a écouté sans un mot. Il rallume sa cigarette, se sert un verre de
Perrier et dit : «Tu es allée voir ton assistante sociale ? « «Comment
tu sais ça ? « Il hoche les épaules. «COMMENT TU SAIS ÇA ? TU N’AS PAS LE
DROIT ! Il n’y a que les gens qui sont dans la merde qui connaissent ça. Les
petits cons d’étudiants n’ont pas le droit de savoir. VOUS VOUS AMUSEZ !
VOUS NE SAVEZ PAS CE QUE C’EST ! « Il baisse un peu les yeux. «Calme-toi.
Je ne voulais pas te blesser. « Il sort un bout de shit d’une petite boîte
indienne. Ses longs doigts roulent le joint avec soin. Il l’allume puis me
le tend. Je tire plusieurs bouffées rageuses. Il ôte lentement son T-shirt.
Son torse est couvert de centaines de petites cicatrices, que je n’avais
pas distingué la veille dans la pénombre. Une énorme marque entoure son sein
gauche. Je frisonne. Il déboutonne son jean. L’intérieur de ses cuisses
est parcouru de cicatrices larges comme l’auriculaire. Il fait un demitour sur lui-même. La peau de son dos est striée de dessins géométriques
bizarres découpés dans l’épiderme. Il me jette un regard humble. «Je te
choque ? « Je me force à secouer la tête en signe de dénégation. « C’est
toi qui te fait ça ? « «Comment t’expliquer ? Je n’en ai jamais parlé à
personne. Tu sais, je n’ai jamais eu d’ami. Je suis toujours resté dans
mon coin «. Il me tourne le dos. « Ma mère, ma mère n’avait pas vraiment le
temps de s’occuper de moi. Je l’aimais beaucoup, tu sais, je la comprenais,
c’était dur pour elle. J’étais un enfant sage. Je faisais tout ce que je
pouvais pour ne pas lui donner de soucis supplémentaires. Mais souvent
le soir j’avais des crises d’angoisse terribles. J’avais l’impression de
fondre sur le sol. Je me sentais dégouliner par terre comme si j’étais
une sorte de jus de pourriture noir et gluant. Je me disais : je suis en
train de tout salir, c’est de ma faute et en même temps j’avais envie de
hurler au secours mais j’avais peur qu’elle entre dans la chambre. Alors
25
je restais allongé dans le noir, à me sentir suinter le long des montants
du lit. Je me disais : bientôt, je serais plus qu’une tâche sur le sol.
Je n’osais pas me pencher pour regarder, j’étais persuadé que si je le
faisais, d’une manière où d’une autre, la tâche qui avait commencé à se
former sur le sol me regarderait et qu’à travers son regard je me verrais,
moi en train de fondre. C’était tellement violent que j’étais obligé de me
mordre le genou pour le supporter. « Machinalement, il esquisse des motifs
le long de son avant bras.
«Je me suis toujours senti sale. Quand je m’écorchais en jouant je
frottais la plaie avec de la terre et je rentrais à la maison sans rien
dire. « «Et ils ne se rendaient compte de rien ? « «Malheureusement ça
arrivait parfois. Là, ça virait au cauchemar : elle poussait des cris, elle
s’inquiétait pour moi, elle me soignait, elle m’emmenait chez le docteur,
l’horreur ! « «Pourquoi l’horreur ? « «Parce que cela m’obligeait à aller
plus loin la fois d’après. A 7 ans je glissais sous ma peau des aiguilles
que j’avais trempé dans la cuvette des WC. A l’adolescence je me suis mis
à me taillader le torse à avec un vieux cutter rouillé. Un jour, je devais
avoir un peu plus de douze ans, j’ai tracé un carré sur ma poitrine avec
un morceau de verre. La blessure a commencé à s’infecter mais finalement ça
a cicatrisé. Je n’ai jamais eu de chance de ce côté là. Peut-être que ça
mon système immunitaire a pris l’habitude de résister… En séchant la peau
s’est décollée. Dessous, la chair, blanche, était à nu. Pendant plus d’un
an j’ai conservé le lambeau de peau dans un mouchoir sale. Je le dépliais
chaque nuit sur l’oreiller à côté de ma tête et je me masturbais. «
La fumée du joint nimbe son visage. Il est beau dans la lumière de cette
fin d’après-midi. «Je comprends ce que les filles ressentent. Ce sentiment
insupportable de crasse à l’intérieur de soi. Et on ne peut pas le dire,
parce que se serait… « Il ne termine pas sa phrase. Il est parcouru d’un
tremblement puis il se reprend. «Mais on a quand même besoin de le partager. «
Son sourire est triste. «C’est ce qui m’intéresse dans la pornographie :
cet effroyable besoin d’exhiber ce que vous avez de plus honteux en public.
Chez les hommes ce n’est pas pareil, ils sont dans un état d’abrutissement
proche de l’imbécillité, comme si le fait de réaliser l’acte les ramenait
à l’état animal. Mais cela est en train de changer. Les hommes changent,
ils commencent à s’avouer qu’ils ont peur… « Il s’assied sur le lit. «Je
n’avais jamais autant parlé. Je suis fatigué maintenant. J’ai envie de
rester seul. « Je dépose un baiser sur son front et je lui dis : «Tu es
un gentil garçon Philippe. Je reviendrai te voir. « Je referme la porte.
Puis, je me ravise. « Philippe ? «. Il m’ouvre. « Oui ? « « Habille-toi.
On sort ce soir. « Il est sur le point de m’objecter quelque chose mais
je ne lui en laisse pas le temps. «Allez, speed un peu... « Il est un peu
interloqué, mais cela ne lui déplaît pas.
Nous sommes dans la rue. «Je t’emmène chez un copain. Tu vas voir, il va
te plaire… «
PROCHAIN
ÉPISODE
: ETALE
MA LAIDEUR AUX YEUX DU MONDE.
26
Club Dépit # 7
ÉTALE MA LAIDEUR AUX YEUX DU MONDE
Résumé de l’épisode précédent : Notre héroïne découvre que son nouvel ami
est un cœur blessé et décide de le présenter à son bienfaiteur.
Dehors il fait chaud. Philippe traîne la patte. Ses yeux se laissent
accrocher par les attributs trop voyants des grappes d’apprenties pétasses.
La douleur interne des filles, tu parles ! Si c’est tout ce qu’il a trouvé
pour cacher sa trouille des femmes. Je ne te raconte pas le massacre s’il
tombait entre leurs mains. « Si tu n’avais pas envie de venir il fallait
le dire… « « Non, c’est cool. « « Alors speed un peu. «
La sonnerie de l’interphone résonne deux fois. Stéphane apparaît à la
fenêtre. Il nous fait signe de monter. Philippe s’assied sur le canapé et,
d’entrée de jeu, Stéphane est cordial avec lui. Moi, il me fait tout juste
la bise. « J’attends quelqu’un pour un boulot, mais vous pouvez rester si
vous voulez. « Des photographies de filles sont posées sur la table.
« Au fait, ça t’intéresse toujours, pour des photos de couple ? « Dans les
yeux de Philippe je lis : qu’est ce que c’est que ce plan. J’y lis aussi :
est-ce bien ce à quoi je pense ? Je lui fait un large clin d’œil. « De
couple ? On n’avait pas parlé de ça. C’est vrai que vous faites bien genre
jeune couple. Faut voir. «
L’interphone sonne. Une fille monte. Brune très sombre, assez grande.
Musclée. De grandes jambes noueuses. Des cicatrices d’acné lui grêlant les
joues. Sans même nous présenter, Stéphane l’entraîne dans la chambre. On
entrevoit les éclairs du flash. Ils passent dans la cuisine, les toilettes,
puis la salle de bain. Les doigts de Philippe battent la mesure sur son
genou. « Mate les photos, si t’as envie. « « Non, non. « La fille passe à
poil devant nous, arrogante. L’élastique de ses sous vêtements est imprimé
sur la peau de son ventre. Une cicatrice fait une protubérance mauve sur
le côté droit de son pubis, qui est rasé. Philippe baisse les yeux. Il
soulève la photo d’une fille nue qui tient un ours en peluche dans une
chambre d’adolescente, qu’il contemple longuement. Stéphane s’engouffre
dans son labo. Philippe, qui est assis à côté de moi, regarde les photos
sans un mot. Il les examine, bras tendu, les rapproche, en compare deux.
Les classe, en trois tas distincts. Chambres, salons et salles de bain.
La fille réapparaît, avec une chemise non boutonnée. Ses seins, qui sont
désavantagés par son absence de soutien gorge ballottent en lui donnant un
air un peu vulgaire, qui lui va bien. Elle s’assied à côté de nous, allume
une roulée. « Quelle déchéance… Quand j’ai commencé à faire ça, j’imaginais
qu’il y aurait plein de projecteurs, de machins de photographes… « « T’en
fait beaucoup ? « La fille hausse les épaules. A mon grand étonnement,
Philippe demande : « Tu fais des films, aussi, non ? « « T’es producteur ? «
« Non. « « Alors comment tu sais ça ? «
Stéphane nous propose de boire un verre. « Houlà, je sais bien que la chair
est triste, mais ne faites pas ces têtes d’enterrement. J’ai réfléchi à ta
proposition. C’est Ok, mais il faut que vous soyez disponibles jusqu’à la fin
de la semaine. « Je regarde Stéphane. « Moi, c’est bon. « « Moi j’ai juste
un rencard après demain, mais sinon, c’est Ok. « La fille a l’air pensive.
Philippe, qui se tient très droit, est attentif à chaque détail. La main
de Stéphane se pose sans aucune sensualité sur mon épaule. « Au fait pour
les photos de l’autre jour, on n’a pas parlé de fric. « « Cadeau. « « Les
cadeaux, ça n’existe pas dans la vie. C’est des investissements. Et moi
je préfère ne rien devoir. Je tourne à 300 par séance. Au black, ce qui
te permet de conserver tes allocs. Par contre les poses ne sont pas assez
diversifiées. Ça t’ennuie d’en faire quelques unes avec Anna ? «
Nous sommes toutes les deux allongées sur le couvre lit élimé du clic-clac.
Nous nous tripotons maladroitement. Nos visages sont fatigués, crispés.
27
On voit la trace des bretelles de nos sous vêtements sur les épaules. Nous
nous regardons dans les yeux. Les siens sont cernés. « Ne cherchez pas à
prendre la pose. Ayez l’air de vous faire chier, laissez paraître que vous
ne savez pas trop quoi faire. « Ses mains à elle se posent sur mes jambes à
demi épilées. Sa bouche sèche s’approche de mes cheveux sales. Elle touche
mes seins criblés de chair de poule. Ses yeux s’attardent malgré elle sur
les cicatrices aux creux de mes avants bras. Je souris. Elle aussi.
Stéphane et Philippe discutent. Ils se découvrent une passion mutuelle
pour l’abjection corporelle, qu’ils dissèquent en paroles. Anna et moi
nous restons assises sur le canapé comme deux connes, regardant les
éjaculations verbales de nos deux messieurs. Anna se met à parler d’elle
comme d’une voiture d’occasion, lucide sur la manière dont elle finira après
avoir beaucoup servit. Je dis : une voiture ? Moi je n’ai jamais cru que
je servais à rien. Quand je fais quelque chose, c’est toujours comme si
je regardais un mauvais film. Je me dis tu ne vas pas rester le cul planté
devant ça, mais en même temps je sais très bien qu’il n’y a rien d’autre
à faire. Elle dit : t’es une fille bizarre, puis elle regarde les photos
d’elle étalées sur la table, elle ajoute : t’as peut-être raison. Et d’un
coup elle se lève, elle prend des mines pas possibles, se met à nous faire
rire. Stéphane et Philippe sont un peu interloqués, enfin surtout Philippe.
Ils continuent à discuter. Anna se met à danser en remuant son bassin,
comme si la vie c’était quelque chose de vrai, d’important et qu’on avait
quelque chose à y faire, comme si ça ne tenait qu’à nous d’en profiter un
peu. Elle dit : ce soir je vous emmène faire un truc dingue. Vous n’avez pas
le droit de refuser. Allez, c’est parti. J’ai une sorte de pressentiment,
et je suis moi aussi très excitée et j’ai un peu peur alors je dis, allez,
on y va, de toute façon ça ne peut pas être pire.
PROCHAIN ÉPISODE
: COMMENT
PRENDRE LES VESSIES POUR DES LANTERNES SI ON VOIT LES COUTURES
28
?
CLUB DÉPIT # 8 (ÉPISODE DOUBLE)
COMMENT PRENDRE LES VESSIES POUR DES LANTERNES SI ON VOIT LES COUTURES ?
Résumé de l’épisode précédent : Notre héroïne se fait une nouvelle amie,
avec qui elle décide de partir à l’aventure dans le vaste monde.
La voiture de Stéphane est comme neuve tellement elle est propre. « Tu
serais pas un peu maniaque, toi ? « « Je n’aime pas posséder les choses.
J’aime bien l’idée de les laisser dans le même état que si je ne les avais
jamais eues. « Les housses plastique qui recouvrent les sièges crissent
lorsque nous nous asseyons. Anna passe un appel sur son portable. Le ton
de sa voix contraste vivement avec ce que je lis dans ses yeux. Dans la rue
il y a des jeunes étudiants qui portent des bonnets ridicules, couverts
de badges. J’embrasse Philippe en poussant des petits cris aigus. Les
étudiants, qui sont ivres, nous sifflent. Anna presse ses seins en les
interpellant. Nous rions bruyamment. Stéphane dit : ce qui plaît dans la
vulgarité, c’est qu’elle se met en scène sur la place publique, soulageant
ainsi l’angoisse individuelle liée au sexe. Philippe pouffe en hochant
de la tête. Je demande à Anna : qu’est ce que tu placerais au dessus de
la connerie ? Elle réfléchit un moment : l’impuissance ? Stéphane, très
sérieux : je revendique tout à fait mon inaptitude à agir. Philippe dit :
je ne me suis jamais senti aussi bien.
On achète de l’alcool à la station de la place. Ensuite on cherche de
la défonce du côté de la place Dupont. Des lascars commencent à nous
embrouiller. Stéphane dit : bon, t’as une idée d’où tu veux qu’on aille,
parce que si c’est pour tourner en rond toute la nuit à chercher quelque
chose, moi je préfère rentrer chez moi. Elle répond : Oh, d’abord, tu
te calme, mec, si je dis qu’on sort, ça veut dire qu’on sort. Prend la
direction de Gerland, dans la zone industrielle. Philippe, qui n’a pas
l’habitude de la violence, baisse les yeux. Je lui dit : arrête. Il dit :
quoi ? Je lui dit : arrête s’il te plaît… Qu’est ce que j’ai fait ? Arrête
ça immédiatement, Tu n’as rien fait, il n’y a pas de problème, on est là,
on s’éclate, alors arrête de faire ton malheureux ! Vous avez vu la gueule
du gamin, tout à l’heure sur la place, celui qui est venu nous proposer ?
Non, j’ai pas fait gaffe. Il était, comment dire, impressionné par Anna.
Il a du me voir dans un film. Les enfants regardent ça maintenant ? Les
enfants ont toujours été fasciné par la laideur. Tu veux dire que je suis
laide ? Non, ce que je veux dire c’est que la vision d’une adulte se
faisant enfiler à la chaîne par d’autres adultes constitue pour un enfant
un spectacle largement aussi excitant que… observer un oiseau mort dévoré
par les insectes, par exemple.
Anna n’arrête pas de passer des coups de fils. Stéphane s’impatiente : ne
me fait pas ce genre de plan. Ne me fait pas ce genre de plan ou tu me
le payeras. Comment ? Tu sais très bien comment… Tu crois que tu me fais
peur ? Oui. Bon, ok. Je crois que tu sais où on va… Bien. Autour de nous
le quartier est désert. Je bascule la tête en arrière sur la banquette. Je
ferme les yeux et je demande à Philippe : tu m’en veux ? Il répond : non.
La voiture se gare sur un parking d’entreprise. Anna enfile ses lunettes
de soleil, qui lui donnent un air buté. Nous entrons dans un bâtiment plat
et long couvert de tôle ondulée galvanisée. Un type nous ouvre la porte
électronique surmontée d’une caméra. Il dit vaguement bonjour à Stéphane.
Anna demande où est l’équipe. Le type répond : au trois. Nous avançons dans
le couloir, qui est violemment éclairé au néon. Au mur il y a des repro
de David Hamilton. Enfin on dirait du David Hamilton, sauf qu’il s’agit de
jeunes adolescents.
Nous entrons dans une pièce faiblement éclairée. Au centre est reconstitué
avec un soin impressionnant un box de parking désaffecté. Tout y est : le
béton sâle couvert de graffitis, les tâches d’huile sur le sol, l’épave de
29
R 21 désossée dont la banquette arrière lacérée est posée contre le mur du
fond. Dessus, une fille qui porte une jupe bleue marine et un chemisier bleu
ciel est en train de se faire défoncer par un type. Quelqu’un gueule : Ça
ne va pas. On arrête tout… Un grand type avec un frange regarde celui qui
a crié, un petit barbu portant des lunettes à triple foyer et un pantalon
velours marron à grosses cottes. Il secoue la tête, interloqué, demande :
il y a un problème ? L’autre répond : je n’ai rien dit sur le décor. Il
est nikel, ton décor, on s’y croirait. C’est ces costumes à la con qui
ne vont pas. L’idée était amusante, subversive. Mais ça ne marche pas.
Comment veux-tu faire prendre les vessies pour des lanternes si on voit les
coutures de partout ? Le grand fait : Ouaip, puis une moue indéchiffrable.
Il mime le geste d’une main remuant une manivelle sur le côté de son crâne,
puis dit : pourquoi tu ne leur demandes pas de garder leurs vêtements
personnels ? Hé ben, oui, vas-y, demande leur... Quand je me retourne,
Anna a disparue. Stéphane explique à Philippe, très calmement ce qui est en
train de se passer sur le plateau. Je sors dans le couloir pour fumer une
cigarette. Des portes numérotées s’alignent le long du couloir. Je pousse
celle marquée d’un 2 blanc.
Au centre de la pièce, le décor est un duplicata des locaux de la mairie.
Un grand type maigre au visage maigre et cerné se masturbe sans plaisir
sur le banc de la salle d’attente. Au mur sont placardés des gros plans
de micro lesion anales aux couleurs ternes. Le type fait venir sa main
mécaniquement, le regard perdu dans le vide. La petite blonde teigneuse qui
m’a reçu l’autre jour est attachée sur son bureau, jupe relevée. Quelqu’un
qui fait la même taille que moi et porte exactement les mêmes vêtements
que moi ce jour là, est juché sur la table, une cravache à la main. « Mlle
Couturier, aimait ça. Tu aimes ça, toi aussi ? Ou tu préfères que je te
pisse dessus ? « L’Assistante Sociale, qui à un bâillon dans la bouche,
roule des yeux. Un jet d’urine ruisselle sur ses cheveux, la forçant à
fermer les yeux. Je referme la porte.
« Ça ne va pas ? « Anna me dévisage. Ses pupilles ont la taille d’une tête
d’épingle. La lumière des néons fait ressortir les multiples cicatrices
d’acné de ses joues. «Ils tournent quoi comme film là dedans ? « «Au 2 ?
Prostitution Sociale. La petite blonde c’est une réalisatrice. Son truc
c’est le porno social, des patrons qui se font fouetter par des chômeuses.
Je trouve ça assez marrant. De toute façon, comme dit Stéphane, c’est
le sordide qui fait bander, non ? « Anna se râcle la gorge, elle dégluti.
« Ils veulent que je fasse une scène. Ça t’intéresse de la faire avec
moi ? « « Tu as trouvé quelque chose ? «
Je n’arrête pas de gratter mes avant-bras lorsque nous entrons à nouveau
sur le plateau du 3. Anna est flottante à côté de moi. Les lumières des
projeteurs sont incandescentes. Le tournage est interrompu. Dans un coin
Stéphane et Philippe nous jettent un coup d’œil indéchiffrable. Très peu
de mots sont échangés. Je m’allonge sur le capot de la voiture et j’écarte
les jambes. Anna se couche à côté de moi. J’attends qu’on nous dise quoi
faire. Mais les mots ne viennent pas, alors je pose la main sur son épaule.
Ses yeux sont vitreux, elle sourit faiblement et me murmure à l’oreille :
« tu crois que les tranches de jambon emballées par deux y prennent du
plaisir ? « Je secoue la tête, mes yeux sont secs. Je l’embrasse. Sa
bouche a un goût écoeurant. Ses mains sont dans mes cheveux gras. Ma
chatte exposée est sèche et laide. Anna caresse le creux de mes avant-bras.
Elle murmure : tu trouves pas que c’est beau, deux putes tox ? Mes doigts
attrapent ses joues, la forçant à fermer la bouche. Je la regarde fixement.
Elle ne bouge pas. Mon autre main s’enfonce dans son sein droit. Je presse.
Ses yeux s’ouvrent et se ferment. Je presse encore. Un geignement meurt
entre ses lèvres. Elle a du mal à respirer. Mes doigts descendent vers son
bas ventre. Je masse les chairs élastiques pour les attendrir. Une main,
celle du gars à la frange, me tend un godemichet chromé long et étroit.
J’enfonce sa pointe en Anna, que je transperce lentement. Ses membres se
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détendent d’un coup. La tige argentée s’enfonce en elle. Je retire la main
de sa bouche, qui reste entrouverte. Ses lèvres forment les mots : je suis
bien. Elle sourit. Je retire doucement la tige. Ses mains s’agrippent à
mes bras. Elle ferme les yeux. Des sécrétions rouge sombre s’écoulent de
son orifice. J’introduis à nouveau l’aiguille, que je fait aller et venir
comme un piston. Anna pousse un cri sec, insupportable, à chaque coup. Je
pose à nouveau la main sur sa bouche.
« Génial, on arrête. C’est bon. « Je dépose un baiser sur l’arrête de son
nez et je relâche mon étreinte. Anna a du mal à reprendre son souffle. Elle
est blafarde. La marque de mes doigts est imprimée sur ses joues. Ses seins,
ses fesses. L’intérieur de ses cuisses est zébré de tâches sombres. Elle
me fait un clin d’œil. Philippe pose un pull sur mes épaules. Nous sommes
entourés de gens. Parmi eux, la blonde, qui était là et qui a assisté à la
scène. Son sourire est glacial. Elle me tend une main aux ongles couvert de
vernis argenté. « Bonjour. « Je serre les manches du pull sur mes seins. «
Il me semble que nous sous connaissons ? « Je baisse les yeux. Mes ongles
de pieds sont trop longs. « Je t’avais dit qu’on se reverrait. « « Laissez
moi. « Stéphane observe silencieusement. « Monsieur Roche «, elle dit en
s’adressant à lui. « Severine… « «J’ai été impressionnée par la scène de
votre protégée. Me la prêterez vous pour un film ? « « C’est à elle de
décider. « J’ai incroyablement froid. Le grand type me tend un verre de
thé en faisant signe de se frictionner le cœur. Mes doigts tremblent autour
du gobelet. J’ai des frissons. Le barbu dont la chemise sort à demi du
pantalon, dit : «Bon, je propose qu’on aille tous manger un truc quelque
part «. « A cette heure là, ça va être coton «, fait remarquer le grand
avec la frange.
Prochain épisode : Capitalisme Hard.
31
CLUB DÉPIT # 9
CAPITALISME HARD
Résumé de l’épisode précédent : notre héroïne visite un pays étrange
et retrouve sur son chemin la personne qui a précédemment abusé de sa
faiblesse.
Nous sommes au restaurant. Je n’ai pas faim. Anna se lève et disparaît
toutes les cinq minutes dans les toilettes. Ils parlent tous de leurs
histoires de films. J’ai du mal à comprendre pourquoi ils donnent autant
d’importance à des choses aussi insignifiantes. A la table d’à côté, un
couple de jeunes japonais a l’air de s’ennuyer. La blonde n’arrête pas de
me fixer. « La pornographie féminine dérange le milieu. « « Non, je ne suis
pas d’accord. Au contraire, ça le renouvelle. « « Peut-être, mais selon
des axes qui le remettent en cause. « « Ah bon, lesquels ? « « Expliquemoi pourquoi tout en prétendant faire des films de cul conceptuels, tu filmes
systématiquement des filles en position de faiblesse en train de se faire
prendre de force. « « Je montre précisément ça pour le dénoncer ! « Il y a
un silence. Anna se rassied à côté de moi. Ma main se pose sur sa cuisse,
dont je comprime la chair entre mes doigts. Elle serre les dents tout en
gardant le sourire. Je murmure : donne moi quelque chose, je craque. Elle
secoue la tête. Je serre plus fort. « Je suis à sec. « La blonde me fixe
intensément. Dans mon assiette il y a un morceau de viande trop cuit.
Elle glisse quelque chose à l’oreille de Stéphane, qui hoche la tête. Je
me force à mâcher. Elle veut me baiser. Elle veut juste me baiser et me
filmer en train de me faire baiser pour pouvoir se repasser la scène en
boucle. « Je vous sens un peu méfiante. Vous pouvez demander à Stéphane,
je suis connue dans le milieu. « Les yeux de Stéphane sont indéchiffrables.
« Mlle Sick. Séverine Sick. J’aimerai faire un bout d’essai ce soir « elle
dit en caressant le creux de son avant bras « je me suis déjà entendue avec
votre amie Anna. «
Anna et moi montons dans sa voiture à elle. Le barbu a dit : allons
faire notre tour. Le grand type, qui s’était endormi à table après son
premier verre de vin a ouvert les yeux. Il fait signe que ses neurones se
reconnectent et claque des doigts à deux reprises. Les voitures se suivent.
D’un ton mielleux, je demande à Mlle Sick si elle ne veut pas qu’on passe
d’abord chez elle. Anna, qui est complètement défoncée regarde les reflets
à la surface du fleuve. Je pose ma question une deuxième fois. Elle me
jette un coup d’œil dans le rétroviseur. « Ne te rabaisse pas comme ça. «
Je dis : laisse moi là, je rentrerais à pied. La voiture continue, prenant
un sentier sur la droite. Il n’y a pas d’éclairage. De nombreuses voitures
sont garées le long du talus. Elle s’arrête. Les portières claquent. Je
marche avec les autres dans le noir. Ma main cherche celle de Philippe,
que je serre très fort. Des feuilles craquent sous nos pieds. Nous avançons
dans un champ. Je sens la respiration des autres autour de moi. J’ai envie
de rire tellement tout cela me semble ridicule. Puis je commence à entendre
les bruits autour de nous. Des bruits lourds, gras. Petit à petit mes yeux
s’habituent à la pénombre. Je distingue des corps emboîtés. La blonde
me dit : regarde, c’est ça l’économie de marché. Dans la faible clarté
lunaire se détachent des morceaux de chair blafarde, animée d’un mouvement
paresseux et irrépressible. Un jeune type assez beau se fait pénétrer par
un homme au corps mince et athlétique, dont les fesses sont elles-mêmes
explorées par les doigts d’une jeune fille au maquillage dégoulinant. Le
jeune homme est branlé par une femme dont les seins sont mollement battus
par les sexes d’hommes portant des masques blancs. Du sperme a séché
sur son visage aux yeux injectés de sang. Séverine dit : regarde, tout
le monde baise tout le monde et se fait baiser par tout le monde. Une
très belle fille, très jeune, se roule sur le sol tendant ses fesses dans
l’indifférence générale. La plainte douloureuse qui s’échappe de sa gorge
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se mêle aux râles qui l’entourent. Je croise le regard de Stéphane, dont le
visage éclairé par la lune semble gelé. Les doigts de Philippe se détachent
de ma main. Sa silhouette s’éloigne doucement et disparaît lentement dans
l’amas de chairs. J’avance. Je ne sens aucune excitation. Plutôt une grande
tristesse. Ma main touche un dos à la chair glissante. Je ferme les yeux.
Lorsque je me réveille, tout mon corps est courbatu. La première chose que
je fais est de prendre une douche dans la salle de bain de l’appartement
élégant où je me trouve. Anna dort toujours, la bouche ouverte sur le lit
d’ami. Aux murs des photographies de fruits et légumes pourris, qui me
mettent mal à l’aise. Je me déplace dans l’appartement en essayant de faire
craquer le moins possible le parquet sous mes pieds. Philippe est endormi
sur le canapé, la tête posée sur ses genoux à elle, qui caresse doucement
ses cheveux. « C’est ton ami ? « Je hausse les épaules. « Il vous plaît ? «
« J’aimerai faire un film avec lui. « « Il est fragile. « Elle approuve du
regard. « Il a quelque chose de touchant. «
Nous sommes assises de part et d’autre de la table de la cuisine. « Estu allée voir monsieur Ferrey ? « « Non, pas encore. Mon rendez –vous
est demain. « « Vas-le voir. C’est quelqu’un d’ignoble. Un sale petit
type bourré de complexes, qui s’étalera sur toi avec tout le poids de sa
rhétorique. Très instructif. « « A quoi jouez vous ? « Elle me regarde avec
un sourire maternel, me fait un clin d’œil énigmatique. Le soleil baigne
la cuisine. Le bol de café est contre mes lèvres. Un gémissement provenant
du salon attire notre attention. Elle me fait signe de rester calme.
Anna, qui s’est douchée, est assise à califourchon sur Philippe, qui se
cache les yeux. « Non, s’il te plaît, non « « Laisse toi faire, allez,
quoi, ça ne fait pas de mal. « « Non, non, je ne veux pas. « « Tu ne veux
pas ? Et ça. ÇA, c’est quoi ? « Ses doigts descendent vers son bas ventre,
qu’ils triturent avec dextérité. « Je t’en prie, non. « Maintenant elle le
chevauche, tenant ses mains posés de force contre ses seins. Philippe a les
yeux fermés, il pleure. Séverine me retient. « Laisse. C’est nécessaire. «
« Mais elle est en train de le détruire. « « Non, elle ne lui fait pas de
mal. « Je la fusille du regard. Ses yeux très clair s’adoucissent. « Tu
veux un autre café ? « Elle me fait un clin d’œil.
Prochain épisode : L’âge d’or du nihilisme.
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Club Dépit :
L’âge d’or du nihilisme
Résumé de l’épisode précédent : L’ennemie de notre héroïne a dévoilé son
double visage. L’action bascule : doit-elle sacrifier son jeune ami ?
Je porte la tasse à mes lèvres. Le thé est fade. Dans la pièce d’à côté, des
claques sèches résonnent au-dessus d’un filet continu de sanglots ravallés.
Laisse-moi, je t’en prie laisse-moi, je ne veux pas faire ça, laisse-moi,
non, NON, NON ! Ahhh ahhh… Les claques vibrent dans l’air. Non, pas, ça, pas
çaaaaaaa ! Le ciel est très pâle et tout examinant les veines rougies de
globes ocullaires de Serverine S., qui est assise en face de moi, je laisse
les hurlements de Philippe s’éteindre en moi, comme le son d’une télé que
je n’écouterai plus. Son visage, plein, et au menton lègérement en pointe
est beau. Ses traits, tirés, rendent son âge difficilement devinable. Entre
trente et quarante, plus près de quarante, probablement. Quelque chose
dans les yeux de Severine S. trace une fêlure au milieu de son visage si
régulier.
. « Qu’ est-ce que tu lis sur mon visage ? » Sa question me prend
de court. Mes doigts cherchent une cigarette sur la table, s’égarent, font
tomber le briquet sur le carrelage de la cuisine. Son pied se pose sur le
briquet. « Qu’est ce que tu lis sur mon visage ? » Dans ses yeux, je lis :
cruauté froide, insensible, tension nerveuse indifférente à ce que sera ma
réponse.
. « Vous êtes folle. » Le pied se lève, mes doigts se posent sur le
briquet, dont je fais convulsivement tourner la molette. Putain de putain,
de putain… Elle approche un briquet en forme de pénis doré. Une flamme
s’allume devant mon visage. S’éloigne lorsque j’approche l’extrémité de ma
cigarette. « Joue pas à ça avec moi… » Sans que je l’aie anticipée, la gifle
fuse au dessus de la table. Ma cigarette, éteinte, roule sur le carrelage.
Elle porte la main à sa joue rougie, sourit. Dans ses yeux je lis : intérêt,
calcul, attitude à adopter. Elle sourit, les rides des commissures de ses
yeux se relâchent. Dans la pièce d’à côté, les hurlements de Philippe se
font plus aigus. Elle dit : « Ce qui se passe est grave. » Non, pas mon
zizi, pas mon zizi… Elle se lève, elle dit « suis-moi. »
« Tu sais, ton ami est malade. Il est gravement malade. » Je reprends :
« Il est sensible. » « Ce n’est pas ça le problème. Oui, il est sensible.
Il est même trop sensible. L’ennui, c’est qu’il a perdu tout contact avec
la réalité. » Philippe est couché au milieu du salon, nu, il se débat sur
le sol. Anna, qui porte un peignoir, est assise à l’autre bout de la pièce
face à un ordinateur allumé. De temps à autre, elle dévoile un sein à l’œil
d’une web-cam. « Ton ami est ce que l’on appelle un Otaku-porno. » « Un
quoi ? » « Un accro aux représentations sexuelles. » Philippe, comme pris
de convulsions, secoue la tête sur le carrelage. Ses yeux sont vitreux. Le
crâne rebondit sur le carrelage avec un choc mat. Ses doigts, tétanisés,
gesticulent en l’air, cherchant à repousser des assaults imaginaires,
avant de s’assener une gifle tandis que sa main droite cache son sexe
recroquevillé. Non, pas ça, laissez-moi madame, laissez-moi, Ahhh Ahhhh,
non, NON ! « Qu’est ce que vous lui avez fait ? » « Rien. Enfin presque rien. »
« QU’EST-CE QUE VOUS LUI AVAIT FAIT ? » « Anna a essayé de lui imposer un
rapport sexuel. » « Vous l’avez violé ? » Sérverine, s’agenouille à côté
de Philippe. Elle lui prend le pouls, porte la main à son front. Philippe
est pris de convulsions. Son corps se soulève à plusieurs centimètres au
dessus du sol. J’ai un sursaut. Son corps retombe, et instantanément,
les traits de son visage se détendent. Un filet de sueur froide glisse le
long de ma colonne vertébrale. Serverine ferme ses yeux, restés ouverts.
« Aide-moi. » Elle se dirige vers un placard, dont elle fait coulisser
la porte miroir. Derrière, sont rangés par ordre de taille une collection
d’accessoires sexuels et d’instruments de tournage cinématographique. Leur
silouette est dessinée au marqueur. Séverine me tend un pied, une petites
caméra. Elle prend plusieurs câbles et adaptateurs.
34
Servine donne des ordres à Anna, qui optempère, et effectue des opérations
sur l’écran de son ordinateur. Elle connecte les câbles, vérifie les
pupilles de Philippe avec une lampe stylo. Elle scotch la caméra numérique
dans la main droite de Philippe, à l’aide de ruban adhésif argenté. Elle
m’intime : « Je vais avoir besoin de ton aide. Fais exactement ce que je te
dis. Ne pose pas de question. Compris ? » « Je veux comprendre ce que vous
faites ! » « Ok. Anna ? C’est parti. » Séverine secoue la tête de Philippe,
qui ne réagit pas. Plus vivement. Elle lui met de légères claques. « Il est
en catatonie. Ce qu’à fait Anna l’a plongé en état de choc. Ça a foutu en
l’air son système de représentations. Je n’ai pas le temps de t’expliquer.
Anna ? Maintenant ! » Les yeux de Philippe s’ouvrent au moment où l’image
s’affiche sur l’écran de l’ordinateur, du téléviseur ainsi que sur l’écran
à cristaux liquides incorporé à la caméra. « Tiens-lui la caméra devant
l’œil droit ! Il ne doit JAMAIS regarder ailleurs. » Le regard de Philippe
est fixe. Un filet de bave blanche coule au coin de ses lèvres. Les doigts
aux veines saillantes de Séverine s’approchent de son bas-ventre, et tout
en évitant soigneusement de toucher son sexe, elle manipule délicatement
ses testicules. Philippe tremble. Ses yeux se ferment. « Il ne doit pas
fermer les yeux ! » « Mais comment… » « Maintiens lui ses putains d’yeux
ouverts ! » Je suis derrière Philippe, dont je tiens la tête serrée entre
mes genoux, mes doigts tiennent ses paupière grande ouvertes. Son regard
est fixe. Une larme ruisselle. Les doigts de Séverine manipulent ses
testicules. Un début d’érection commence à se former. La tête de Philippe
se cambre violemment en arrière. Mes doigts glissent. Ses yeux se ferment.
Saisissant ses cheveux à pleine main je redresse sa tête, la cale entre
mes genoux. Ouvre ses yeux au moment où l’image de son sexe en érection
apparaît dans le viseur. « On a faillit le perdre ! » Ses doigts vont et
viennent. « Bien écoute moi, Philippe. Je suis une femme. Une vraie femme.
Je ne suis pas une image. Tu as bien compris ? » Philippe, les yeux grands
écarté, ne réagit pas. Les doigts de Séverine serrent. « Tu as compris ? »
Philippe, dont les traits se tordent de douleur, hôche la tête. « Bien,
alors répète après moi : tu n’es pas une image. » Aunima. Sa main serre.
« Je n’ai pas bien entendu. » AUNIMAG. « Anna ! Maintenant ! » Les écrans
s’éteignent à l’instant où Philippe éjacule. PASUNEIMAG Sa main tenant
la caméra tombe sur le côté, mes doigts glissent, ses yeux sont grands
ouverts, je distingue un sourire sur les lèvres de Severine.
Elles ont transporté Philippe inanimé dans le lit. Son visage avait l’air
apaisé. Je tremblais. Séverine m’a dit qu’elles l’avaient sevré. Elle a dit
que maintenant il pourrait s’il le voulait rejoindre La Cause, ce qui m’a
fait un peu peur. Elle a répété qu’elle avait de grands projets pour moi.
Que La Lutte était en train de s’intensifier. Qu’elle prendrait le temps de
m’expliquer lors de notre prochaine rencontre. Elle m’a dit de rentrer chez
moi. Que j’étais fatiguée. C’est ce que j’ai fait. J’ai dormi 12 heures.
Prochain épisode : Baiser et être baisé.
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Club Dépit :
Baiser et être baisé
Résumé de l’épisode précédent : Le doux compagnon de notre héroïne a été
mystérieusement métamorphosé. Y survivra-t-il ?
Je me réveille la tête dans le cul. TUTUTUTUTU C’est à peine TUTUTU si
TUTUTU j’entends TUTUTUTU le TUTUTU téléphone TUTUTU sonner. Une voix
m’annonce que je suis en retard à mon rendez-vous avec l’association
« Réinsertion et Réduction des Abus Sociaux. « Ce putain de rendez-vous
m’était complètement sorti de la tête (*). J’enfile un t-shirt et je speed
au centre ville. Je tourne en rond avant de trouver la bonne rue. Voilà.
Une myope anorexique m’ouvre la porte. Elle a un joli visage, très fin.
Des cernes qui creusent ses yeux rougis et une vilaine cicatrice violacé
au milieu de la joue gauche. Elle me fait asseoir au milieu de la salle
d’attente, une pièce très haute, avec du papier peint imitation brique.
Des magazines sont posés sur la table : catalogue d’outils chirurgicaux,
Journal Officiel, mensuels agricoles. Je me mets à feuilleter un numéro de
Porc Magazine consacré à la castration lorsqu’un type m’appelle à l’étage
du dessus. « Daniel Ferrey, suivez-moi. « Il est petit, gras, ses cheveux
s’en vont par plaques. Il me fait entrer dans une pièce vitrée. La fille de
l’accueil nous observe depuis son bureau. Le type n’arrête pas de s’éponger
le front. « Bon, bon, alors qu’est ce que nous allons bien pouvoir faire
de vous, HEIN ? « Le dossier qu’il tient entre ses petits doigts boudinés
s’est abattu sur la table. J’ai sursauté. « Vous avez peur ? N’ayez pas
peur, voyons, je suis là pour vous aider. « Il sourit, ouvre les boutons du
haut de sa chemise bleu pâle. La fille surf sur un site consacré aux animaux
domestiques. Elle glisse une main dans son chandail. « Pourquoi vous avez
arrêté vos études ? « Je hausse les épaules. « Vous vous en foutez ? « Je
hausse les épaules. « ÉCOUTEZ, SI VOUS NE ME RÉPONDEZ PAS ON N’IRA NULLE
PART ! MERDE, HEIN, MERDE, CE N’EST PAS CROYABLE ! « Tout en croisant les
jambes, de manière sage, je lui demande : « Qu’est-ce que vous voulez que
je vous réponde ? « « La vérité, je veux que vous me disiez la vérité.
C’est simple. Si je vous demande pourquoi vous avez arrêté vos études,
vous me répondez : parce que même en faisant des études il n’y a pas de
travail. « « C’est ça… « « OUI. C’EST ÇA. « Sa chemise est trempée. Il
finit de la déboutonner. Son ventre dégouline par-dessus sa ceinture. Il
s’évente avec le dossier, me tournant le dos. « Si vous mentez, à quoi sert
le travail que l’on fait ? « « De toute façon il ne sert à rien. « Il reste
fixe un moment. Le visage de la secrétaire a prit une contraction bizarre,
les yeux exorbités et une sorte de sourire affreux, bouche ouverte, la
main toujours dans son chandail. Il s’évente un coup. « Vous avez raison,
mais ça, ça nous regarde. Pourquoi vous ne cherchez pas un job ? « Je
reste muette, faisant un signe de dénégation de la main. « Vous allez me
dire : faire n’importe quoi à n’importe quel tarif, non merci. « Je hoche
la tête. Il presse un interrupteur sur son bureau. « ALORS POURQUOI VOUS
NE LE DITES PAS ? « La secrétaire entre, le chandail encore défait. Elle
se tient derrière moi. « Et vous ne vous sentez pas capable de trouver
mieux ? « Je secoue la tête négativement. « Non, je dois être trop conne.
Le monde du travail c’est pas fait pour moi. « « Je vous le dis tout net,
ce genre de réponse me mets hors de moi. « Avec le petit doigt, il fait
signe à la secrétaire de s’occuper de moi. Avec une force inattendue, celle
ci me bloque les bras. Ferrey retient sa respiration, il devient rouge de
la racine des cheveux jusqu’à son menton congestionné, puis il s’assène une
série de gifles violentes. Il recouvre son calme, instantanément.
« Pourquoi toujours partir battu ? Votre génération est déconcertante,
regardez-vous : vous avez tout. « D’une main aux ongles vernis mauve,
la fille m’ouvre la bouche, dévoilant mes dents.
«
Forme physique
éblouissante. « La fille soulève mon t-shirt, fait saillir mes tétons sans
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délicatesse. « Vous n’avez pas connu les scories de la morale. « Elle
s’attaque maintenant à la fermeture éclair de mon jean. Je me débat. Le
type écrase sa paume moite sur mon visage, m’empêchant de respirer. On
tire sur mon pantalon, mon slip, dévoilant mon pubis rasé et mon piercing.
« Vous avez eut accès à tout, gratuitement et vous ne vous rendez même
pas compte de la chance que vous avez. « Un filet de sa bave me coule sur
la cuisse. Il reprend son souffle. Sa main me serre toujours les joues de
manière immonde. « Et tout ça pour quoi, je vous le demande ? Qu’est ce
que nous avons à l’arrivé : une génération d’assisté dépressifs. Quel
gâchis ! Mais quel gâchis, mais quel gâchis… « La fille m’a relâché, elle
est retourné dans son bureau. Je me rhabille, un filet de morve coule dans
ma bouche, je réplique : « On nous a toujours tout servi sur un plateau
en nous prenant pour de la merde. Qu’est ce que vous auriez voulu qu’on
fasse, hein ? « Ses traits se détendent. Il se laisse choir sur la chaise.
« Il ne vous ai jamais venu à l’esprit de vous révolter ? Jamais vous
n’avez eut envie de nous faire payer les pilules que nous vous avons fait
avaler ? Je ne vous demande pas de faire la révolution, mais au moins de
réagir, d’avoir un peu plus d’amour propre. Je ne sais pas, une jolie fille
comme vous n’aurait pas trop de problème pour.... Vous êtes suffisamment
cynique pour le faire, mais non, vous préférez rester là à attendre qu’on
vous humilie. Ça me dépasse… « Je finis d’arranger mes cheveux, je me lève.
« Et vous, qu’est ce que vous avez fait, à part nous marcher dessus ?
Putain, mais pour qui vous vous prenez ? Ça consiste à quoi votre boulot
à part nous écraser ? « Le type baisse les yeux, il tremble un peu puis se
mets à pleurer, ses mains disparaissent sous la table, « je suis désolé,
vous savez, je suis en emploi social, il m’ont prit à l’essai, moi aussi
j’étais au chômage… «
Je claque la porte, je suis en bas de chez Stéphane, j’appuie sur l’interphone
une fois, vingt fois, cinquante fois, putain de putain, de putain, j’ai
la tête qui tourne, la nausée, je vomi, une vieille au maquillage obscène
me regarde sans dire un mot, j’ai froid, je tremble, j’hésite, je sonne
chez Séverine, Bzzz, je suis à nouveau dans cet appartement dont le luxe
me met mal à l’aise. J’entends des voix dans la cuisine. Anna et Séverine
portent des battle dress ornés de l’insigne féministe, des cagoules en
laine noire, des cartes, des rouleaux d’adhésif et des fils électriques sont
étalés sur la table. Philippe entre dans la pièce. Son regard est vitreux.
Il dit d’une voix mécanique : « Nous devons mettre un frein au mépris des
porteurs de phallus. «
(*) : voir « Prostitution Sociale «, in Ferraille N°14
Prochain épisode : Double pénétration mentale.
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1er jet d’un scénario de bande dessinée introduisant Zizette Suicide.
Intérieur, hangar désaffecté.
Un hangar de réfection de wagons de chemin de fer. Des rails sont posés
sur le sol. Un wagon de transport de marchandises aux parois en bois
couvertes de tags : Shark, Zombie Power, Mass Suicide, 2 Stone… Des
tâches d’huile sur le sol, des canette d’1/2 l de bière chimique ‘KoliK.
« Hun, hun, hun. «
Sa queue va et vient en moi comme un piston. Je ne sens rien.
Intérieur, wagon abandonné.
Un lascar, casquette à l’envers sur la tête, le pantalon tire bouchonnant
autour des chevilles, besogne Zizette Suicide, qui est nue sur une
couverture sale, les jambes écartées, les yeux fermés.
« Laisse la place à ton copain. «
Ma voix est métallique, désincarnée. Je ne sens rien.
Intérieur, wagon.
Les visages de plusieurs autres lascars, qui fument des joints.
« Je t’ai dis de te CASSER ! Dégage ! ! ! Tu bandes mou. «
Rien.
Extérieur, wagon.
Le lascar qui était sur Zizette, assis sur le marchepied. Son regard est
cerné, ses yeux ont l’air hallucinés. Deux autres types sont assis contre
le wagon, l’un deux lui tend un joint, sans le regarder.
« Tiens, man… «
« Bon, ça viens ? «
Mon corps est une poubelle sans couvercle.
Intérieur, wagon.
Un autre type se tient devant Zizette, pantalon de survêtement baissé.
Ses fesses et ses jambes sont poilues.
«Tu me la mets, bon sang, où tu as besoin que je t’aide ? «
Ces types se jettent dedans comme des déchets.
Extérieur, wagon.
Les trois type assis contre le wagon, tête baissée. Ils expirent de la
fumée en se faisant tourner le joint.
- «Elle est complètement ch’tarb, cette meuf…
- Nan, c’est pas ça. Elle a la haine.
- Moi, elle me fous les j’tons.
- Elle a un truc qui déconne, la vie d’moi.
- Nan. Elle a l’dégoût de la vie, c’est tout.
- Moi aussi, j’ai l’dégoût d’la vie, mais putain, la putain de moi, je
suis pas comme ça.
- C’est pareil. Kif-kif, man. Dans la vie, tu tends ton cul.
- Alors là, j’aimerais voir ça. Moi, tendre mon cul ? T’es marteau. Tu
m’as rgardé, un peu ?
- On tend tous nos culs. Quand tu vas au RMI, qu’est tu crois k’c’est ?
- Moi, j’ai choisi d’faire c’que j’veux d’ma life.
- Elle aussi. «
« SUIVANT ! «
Intérieur, wagon.
Des mains sur le corps de Zizette, tenant ses seins, sa tête, au bout de
laquelle est emmanchée un sexe, des mains calleuses écartant ses cuisses
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comme celles d’une carcasse de cochon, des sexes plantés dans son entre
jambe comme des couteaux. Du sperme couvrant son visage comme un masque
en plastique blanc.
«Oh, pousse pas. « « Touche pas mon cul, gros pède. « « Regarde moi ça
cette grosse salope. « « Reste poli. « « Putain, je vais tout lâcher. Les
mecs, j’vais tout lâcher.»
Ils tombent en moi et il n’y a nulle part où rebondir. Ça leur fait peur.
Alors ils essaient de s’agripper, mais il n’y a rien à quoi s’accrocher.
C’est comme si j’étais morte.
Intérieur, wagon.
Le type qui prenait la défense de Zizette à l’extérieur du wagon se tient
dans l’encadrement de la porte du wagon. Il porte une chemise à fines
rayures multicolores et des dreds.
«Vous me laissez la place ? «
Étendue, les membres durs comme du bois.
Intérieur, wagon.
Le type est agenouillé à côté de Zizette. Il tient sa tête ensanglantée
entre ses mains, la serrant contre sa poitrine.
« Chuttt. Tout doucement. Tout doucement. Ça va aller. Chuttt. «
Les yeux vitreux. Mon trou puant béant. Offert à la vue de tous.
Intérieur, wagon.
Il passe la main sur ses yeux.
« Tout doux mon bébé, ça va aller petite… «
Abandonnée. Comme une chienne sur le bord de la route.
Extérieur, bâtiment désaffecté.
Les types détalent. En arrière fond on voit le wagon abandonné.
«CASSE-TOI SALE MERDE. JE SUIS PAS TON BÉBÉ. TIREZ VOUS BANDE
DE NAZE AVANT QUE J’APPELLE LES FLICS. «
Intérieur, wagon.
Zizette pleure, agenouillée. On distingue un tatouage « I/ un cœur
barré /LIFE « sur son épaule gauche.
« Connards. Connards… Bande de pauvres connards… «
Extérieur, wagon. Pleine page.
Zizette se tient dans l’encadrement de la porte. Elle s’est rhabillée
et porte un T-shirt sans manche portant l’inscription « $EX « en lettres
carrées, sur un pantalon de treillis aux poches multiples. Un triple
barbelé stylisé est tatoué autour de son biceps droit. Le maquillage
a coulé sur son visage. Du rouge à lèvre macule son menton. Elle a un
regard profondément cerné et mauvais.
«C’est moi qui vous ait baisé. »
Titre : « Zizette SUICIDE
#1 : JE NE SUIS PAS TON BÉBÉ
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