Cours sur le Tabac
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Cours sur le Tabac
SPORT ET TABAC: DES ESPOIRS EN FUMÉE Le 31 mai, journée internationale sans tabac. Par Denis Riché 208 La cigarette peut-elle nuire à la performance? Le tabagisme est sans doute le fléau le plus universellement répandu en notre fin du XXème siècle. En vérité, peu de pays ou de catégories socio-professionnelles échappent à cette habitude dont on connaît aujourd’hui les conséquences néfastes sur la santé. Même les sportifs succombent fréquemment à la tentation... Footballeurs professeurs de gymnastique, étudiants en professionnels, éducation physique, entraineurs, pilotes, médecins du sport, champions catégorie espoir ou retraités, tous sont susceptibles d’abandonner leur beaux principes de santé pour «griller une sèche » une ou plusieurs fois par jour... SANTE ET SPORT uelques questions cependant taraudent Q ces fumeurs impénitents. La cigarette est-elle vraiment aussi mauvaise qu’on le dit? Ses effets se trouvent-ils minimisés ou, au contraire, amplifiés par une activité sportive ? Le tabac affecte-t-il la forme? Une mise au point s’impose à l’abri des théories fumeuses ou d’un radicalisme incendiaire... L’AIR PUR DE NOS CAMPAGNES... DE PRESSE « Le tabac t’abat ». Ce slogan, parmi d’autres, fut essayé pour encourager les fumeurs à abandonner leur néfaste habitude. Ces nombreuses campagnes de presse menées par le ministère de la Santé semblent aujourd’hui porter progressivement leurs fruits. On observe, en effet, une sensibilisation croissante du public aux risques du tabagisme. La crainte du cancer des poumons, de la bronchite chronique ou des maladies cardio-vasculaires, tous liés au tabagisme, a suscité une diminution de la proportion de fumeurs au sein de la population française au cours de ces vingt dernières années(a). Malheureusement, les fumeuses semblent avoir pris le relais des hommes(b), si bien que le pourcentage des consommateurs de tabac dans la population stationne aux alentours de 40%. Le Français consomme environ 1.700 cigarettes par an et par personne, mais cette moyenne recouvre, en vérité, des situations bien différentes. La cigarette permet rarement la demi-mesure, si bien que la société apparaît souvent scindée en deux parties, d’un côté les fumeurs et de l’autre les antitabac... L’étude conjointe des effets du tabac et du sport permet d’aborder ce problème sous un jour nouveau. Car outre les pathologies graves précitées (et régulièrement mises en exergue par la presse et le monde médical), le tabac est susceptible d’entraîner d’autres méfaits dont on parle fort peu. Jugés mineurs et par conséquent moins étudiés, ces séquelles du tabagisme peuvent altérer l’état de forme et la santé. Ces aspects apparaîtront primordiaux pour le sportif qui, s’il accepte de jouer avec fatalisme à la loterie du cancer(c), s’en voudrait de condamner, par cette habitude, sa forme et ses chances de victoire dans son sport favori. Ainsi en est-il de l’effet du tabac sur le sommeil et de l’action immédiate de l’inhalation de la fumée sur la capacité maximale à l’effort. FUMER OU DORMIR, IL FAUT CHOISIR Au milieu des années 70, plusieurs études scientifiques indiquèrent que les fumeurs, même modestes (quelques cigarettes par jour) connaissaient des troubles du sommeil. La nicotine, principe actif du tabac (voir encadré), perturbe la bonne alternance des phases de sommeil et de veille. Une raison à cela: son aptitude à se diffuser en divers endroits du cerveau, dont celui régissant cette rythmicité. Ainsi, un travail datant d’il y a une dizaine d’années(l) envisageait le mode de vie et les pratiques d’hygiène d’un échantillon de 725 hommes et 759 femmes. Un questionnaire permettait de connaître la consommation de tabac et d’alcool de ces sujets, ainsi que la qualité de leur sommeil. Campagne suisse contre le tabac dans le sport. Les conclusions de cette étude faisaient état d’une relation inverse (toutes choses égales par ailleurs), entre les habitudes tabagiques et la durée moyenne de la nuit. Les nuits atteignaient en moyenne 7h48 pour les non-fumeuses et 7h18 pour leurs homologues masculins, alors que les consommateurs de tabac dormaient en moyenne vingt minutes de moins... Une étude similaire a ensuite abordé cette question non plus sur un groupe de sujets « tout venants », composé en majorité d’individus sédentaires, mais sur un groupe de 92 étudiantes en éducation physique(3). On a pu ainsi dresser un état précis de la santé de ces jeunes filles âgées de 18 à 23 ans. Vingt-deux d’entre elles fumaient régulièrement, soit environ un quart du groupe, proportion que l’on retrouve assez régulièrement dans les milieux associatifs sportifs... Cette étude a fourni des données instructives: les fumeuses se coucheraient en général plus tard que les non-fumeuses, et 209 SANTE ET SPORT TABAC, NICOTINE ET GOUDRONS La nicotine tire son nom de « nicotiane », « herbe à Nicot », patronyme de celui qui, en 1570, isola le principe actif du tabac. s’endormiraient de surcroît moins vite. Elles évoqueraient bien plus souvent que les autres jeunes femmes des souvenirs de rêve (signes d’un réveil souvent brutal) et leur sensation d’avoir vécu une mauvaise nuit (altération des phases de sommeil « lent » dit réparateur)... Cette atteinte du repos présente-t-elle des conséquences patentes sur la pratique sportive! Effectivement! On sait que les séquelles de la fatigue s’atténuent, voire disparaissent totalement lors du repos. La lassitude des fumeurs, consécutive à un sommeil de moins bonne qualité va donc croître lentement mais régulièrement, par effet de cumul, et leur capacité de concentration va évoluer decrescendo. Si elle franchit un seuil de vigilance minimale, les risques de blessures augmentent, en particulier dans les disciplines alliant vitesse et adresse : ski, tennis, gymnastique, par exemple. L’étude en question en avait d’ailleurs fait la constatation. Elle soulignait également une perte d’efficacité, notamment dans les sports de balle ou requérant de la précision (tir, squash, etc.). En outre, elle suspecta une action négative de la cigarette sur le sommeil paradoxal (phase de rêve) que les scientifiques considèrent comme essentiel pour l’acquisition et la mémorisation de gestes complexes. Une altération de la qualité des nuits peut donc très bien nuire à l’apprentissage des nouvelles techniques, pourtant diablement importantes en éducation physique. Enfin, les réponses fournies par les étudiantes à certaines rubriques montrent que les 22 fumeuses connaissaient davantage de troubles de santé que leurs congénères non fumeuses. AVANT, PENDANT OU APRÈS L’EFFORT L’action de la nicotine sur les tissus nerveux peut expliquer certains de ces phénomènes, mais la nicotine n’est pas seule responsable des affections du fumeur. De nombreuses substances provenant de la combustion du tabac participent à ses effets pervers. Parmi celles-ci, se trouve le monoxyde de carbone (CO). 210 Considérée à l’origine comme médicament (Nicot envoya du tabac à Catherine de Médicis pour soigner ses migraines), la nicotine s’affirma très vite comme l’élément principal de l’accoutumance au tabac. « Demande à un fumeur que la nicotine empoisonne, s’il peut renoncer à son habitude », a lucidement écrit Guy de Maupassant, Drogue forte, la nicotine ne représente pas pour autant le constituant du tabac le plus dangereux. La température très élevée des cigarettes produit, en outre, un très grand nombre de composés toxiques (± 7000). La « cancérogénicité » du tabac, c’est-à-dire son aptitude potentielle à déclencher le cancer (notamment de la gorge et des poumons) provient d’une classe de produits également présents dans les viandes fumées: « les hydrocarbures polycycliques ». On sait ainsi que les risques de cancer de l’oesophage augmentent avec la consommation de tabac ou d’alcool, et que I’association de ces deux toxiques multiplie ce risque(7). D’autres substances dangereuses se trouvent aussi incriminées. Citons les nitrosamines (formées à partir de la nicotine) et I’acroléine (qui provoque la toux du fumeur) dont les taux varient beaucoup selon les marques. Parmi les pathologies liées au tabagisme figurent en bonne place les ulcères de I’estomac. En effet, la cigarette, surtout fumée à jeun, excite la sécrétion gastrique et l’acidité qui favorisent cette affection. Hélas, même les non-fumeurs ne se trouvent pas à l’abri des dangers du tabac, puisque l’on connaît de mieux en mieux, aujourd’hui, les conséquences du tabagisme passif(5,6). L’injustice est totale lorsqu’on sait que la fumée avalée par l’entourage du fumeur contient environ deux fois plus de goudrons nocifs et de nicotine, et environ cinq fois plus de monoxyde de carbone que celle qui pénètre la première fois dans les poumons du fumeur. Divers travaux l’ont récemment montré, cette fumée passive se montre aussi toxique que la cigarette. On relève par exemple un plus haut taux de maladies respiratoires chez des enfants de fumeurs(6) et la fréquence de ces troubles augmente proportionnellement à la consommation de cigarettes des parents. De façon comparable, il existe une relation très nette entre le risque de cancer du poumon d’une non-fumeuse et I’importance de tabagisme de son conjoint. Eviter la compagnie des fumeurs, dangereux pour le sportif quoiqu’ils s’en défendent, s’avère donc judicieux... autant que faire se peut! Après inhalation de la fumée, ce gaz passe dans le sang, où il atteint rapidement un taux anormalement élevé. En effet, ce composé présente une grande affinité pour I’hémoglobine (Hb), le pigment chargé de transporter l’oxygène. Cela pose avec particulièrement d’acuité le problème de la cigarette avant l’effort, des environnements pollués ou des salles de sport enfumées. Car si le teneur du sang en monoxyde de carbone s’élève avant l’effort, ce gaz se liera préférentiellement aux sites de transport de l’oxygène rielle, suffisante pour provoquer des migraines lors de situations de stress ou de tension. Autre conséquence néfaste : lorsque le débit ventilatoire devient maximal et que le débit sanguin ne peut plus augmenter (situation de VO2 Max), la quantité maximale d’oxygène parvenant aux muscles se trouve réduite. Cela entraîne une chute de performance et une apparition précoce d’acide lactique. Cet acide témoigne de I’intrication Avant ou après l'effort, la cigarette reste nocive. (hémoglobine), de sorte que, pour un débit sanguin donné, une moins grande quantité d’oxygène parviendra aux tissus, permettant par conséquent une moins grande production d’énergie. Pour compenser cette chute, parfois importante (on a déjà relevé des valeurs associant 15% de l’hémoglobine au monoxyde de carbone(2)), le débit sanguin s’accroît. II s’ensuit une élévation de la pression arté- du métabolisme « anaérobie » et indique que le sportif approche de la cadence maximale qu’il pourra soutenir dans des conditions de compétition. En clair, cette accumulation précoce d’acide s’associe, chez des athlètes, des rameurs ou des cyclistes, à une diminution de leur vitesse de pointe. La cigarette avant l’effort (heureusement fort peu répandue) constitue donc un sérieux handicap. Mais la cigarette après l’effort 211 SANTE ET SPORT (... ou après l’amour !) n’en devient pas moins nocive pour autant. par des techniques moins néfastes, par exemple la relaxation. En effet, la vasodilatation pulmonaire consécutive à l’effort et le maintien d’un débit sanguin élevé favorisent la combinaison de l’hémoglobine et du monoxyde de carbone. Cette habitude tabagique est, hélas, très ancrée dans les sports collectifs (... au mépris souvent des non-fumeurs partageant les vestiaires). Elle doit être découragée, car susceptible d’entraîner divers phénomènes vérifiés dans I’enquête : Ainsi, sur quelque plan que l’on se situe, celui de la santé ou celui de la performance, le tabac reste une entrave à la pratique sportive. — les fumeuses se plaignent plus souvent de migraines, soit d’une diminution de l’apport d’oxygène au cerveau; — les fumeuses connaissent plus souvent des problèmes gynécologiques. Les difficultés signalées constituent un large éventail, mais les plus régulièrement citées sont les crampes abdominales par accumulation (probablement d’acide lactique); — une perte d’appétit plus ou moins marquée résulte de l’absorption de nicotine. Chez des sportifs dépensant beaucoup d’énergie et requérant des apports alimentaires compensatoires à terme, cette anorexie peut déterminer la survenue de carences, d’autant que, par Iuimême, le tabac occasionne des besoins accrus en vitamine C(8), ainsi peut-être qu’en vitamine B12. Cet accroissement de certains besoins particuliers peut s’expliquer par la nécessité de juguler les effets des radicaux libres formés dans la cellule sous l’effet des constituants de la fumée du tabac(5). POUR NE PAS BRÛLER TOUTES SES CHANCES... Alors peut-on justifier l’emploi du tabac dans certains sports? Il existe des sportifs qui argumentent qu’une cigarette de temps en temps les aide à canaliser leur énergie et à évacuer le stress avant une épreuve... sans doute grâce à l’action vasodilatatrice de la nicotine sur les vaisseaux sanguins du cerveau. Mais en tout état de cause, il s’agit d’un équilibre instable, créé par I’habitude, qu’ils pourraient sans doute obtenir 212 Dans ce domaine comme ailleurs, il n’y a pas de fumée sans feu... D.R. a) En 1977, plus de la moitié (51%) des hommes fumaient quotidiennement. En 1989, cette proportion est descendue à 48%. b) Dans le même temps, on observait une augmentation de la proportion de femmes fumeuses de 29% en 1977 à plus de 33% aujourd’hui. Les femmes jeunes (entre 20 et 24 ans) constituent les plus irréductibles consommatrices de tabac. Soixante-quatre pour-cent d’entre elles fument régulièrement... c) Le cancer ne dépend pas, en effet, du cumul des effets nocifs du tabac. Chaque cigarette représente plutôt un risque indépendant... comme le billet d’une funeste loterie. Bien entendu, les gros fumeurs multiplient les risques en augmentant les doses. BIBLIOGRAPHIE: (1) PALMER CO, HARRISSON CA. HIORNS RW (1980) Association between smoking and drinking and sleep duration. Ann. Hum. Biol 7.2: 103-7 (2) O’DONNELL RD, CHIKOS P, THEODORE J (1971) Effect of carbon monoxide exposure on human sleep and psychological performance. J. Applied Physiol. 31.4:513-8 (3) BALE P, WHITE M (1982) The effects of smoking on the health and sleep of sportswomen. Brit. J. Sports Med. 16.3 :149-53 (4) DAVEY R (1973) Physical exertion and mental performance. Ergonomics. 4 :595-9 (5) HAAS R (1986) «Manger pour réussir» R. Laffont Ed, Paris :318p (6) COOREMAN J (1986) Séductions et dangers du tabagisme. La Recherche 168.16: 953 (7) PEQUIGNOT G & COLL (1978) Ascitic cirrhosis in relation to alcohol consumption. Int. J. Epidemiol 7.2: 113-24 (8) MUNICH A, OGIER H. SAUDUBRAY JM (1987) «Les vitamines - Aspects métaboliques, génétiques, nutritionnels et thérapeutiques» Masson Ed. Paris :428p Cet article est repris du magazine «Sport et Vie» N° 5 marsavril 91, avec l'aimable autorisation de son rédacteur en chef.