Cours sur le Tabac

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Cours sur le Tabac
SPORT ET TABAC:
DES ESPOIRS EN FUMÉE
Le 31 mai, journée internationale
sans tabac.
Par Denis Riché
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La cigarette peut-elle nuire à la performance? Le tabagisme est
sans doute le fléau le plus universellement répandu en notre fin
du XXème siècle. En vérité, peu de pays ou de catégories
socio-professionnelles échappent à cette habitude dont on connaît
aujourd’hui les conséquences néfastes sur la santé. Même les
sportifs succombent fréquemment à la tentation... Footballeurs
professeurs de gymnastique, étudiants en
professionnels,
éducation physique, entraineurs, pilotes, médecins du sport,
champions catégorie espoir ou retraités, tous sont susceptibles
d’abandonner leur beaux principes de santé pour «griller une
sèche » une ou plusieurs fois par jour...
SANTE ET SPORT
uelques questions cependant taraudent
Q ces
fumeurs impénitents. La cigarette
est-elle vraiment aussi mauvaise qu’on le dit?
Ses effets se trouvent-ils minimisés ou, au
contraire, amplifiés par une activité sportive ?
Le tabac affecte-t-il la forme? Une mise au
point s’impose à l’abri des théories fumeuses
ou d’un radicalisme incendiaire...
L’AIR PUR DE NOS CAMPAGNES...
DE PRESSE
« Le tabac t’abat ». Ce slogan, parmi d’autres,
fut essayé pour encourager les fumeurs à
abandonner leur néfaste habitude. Ces nombreuses campagnes de presse menées par le
ministère de la Santé semblent aujourd’hui
porter progressivement leurs fruits.
On observe, en effet, une sensibilisation
croissante du public aux risques du tabagisme. La crainte du cancer des poumons, de
la bronchite chronique ou des maladies cardio-vasculaires, tous liés au tabagisme, a suscité une diminution de la proportion de
fumeurs au sein de la population française au
cours de ces vingt dernières années(a).
Malheureusement, les fumeuses semblent avoir pris le relais des hommes(b), si
bien que le pourcentage des consommateurs
de tabac dans la population stationne aux
alentours de 40%.
Le Français consomme environ 1.700
cigarettes par an et par personne, mais cette
moyenne recouvre, en vérité, des situations
bien différentes. La cigarette permet rarement la demi-mesure, si bien que la société
apparaît souvent scindée en deux parties,
d’un côté les fumeurs et de l’autre les antitabac...
L’étude conjointe des effets du tabac et
du sport permet d’aborder ce problème sous
un jour nouveau. Car outre les pathologies
graves précitées (et régulièrement mises en
exergue par la presse et le monde médical),
le tabac est susceptible d’entraîner d’autres
méfaits dont on parle fort peu.
Jugés mineurs et par conséquent moins
étudiés, ces séquelles du tabagisme peuvent
altérer l’état de forme et la santé. Ces aspects
apparaîtront primordiaux pour le sportif
qui, s’il accepte de jouer avec fatalisme à la
loterie du cancer(c), s’en voudrait de
condamner, par cette habitude, sa forme et
ses chances de victoire dans son sport favori.
Ainsi en est-il de l’effet du tabac sur le
sommeil et de l’action immédiate de l’inhalation de la fumée sur la capacité maximale à
l’effort.
FUMER OU DORMIR,
IL FAUT CHOISIR
Au milieu des années 70, plusieurs études
scientifiques indiquèrent que les fumeurs,
même modestes (quelques cigarettes par
jour) connaissaient des troubles du sommeil.
La nicotine, principe actif du tabac (voir encadré), perturbe la bonne alternance des
phases de sommeil et de veille. Une raison à
cela: son aptitude à se diffuser en divers
endroits du cerveau, dont celui régissant
cette rythmicité.
Ainsi, un travail datant d’il y a une dizaine
d’années(l) envisageait le mode de vie et les
pratiques d’hygiène d’un échantillon de 725
hommes et 759 femmes. Un questionnaire
permettait de connaître la consommation de
tabac et d’alcool de ces sujets, ainsi que la
qualité de leur sommeil.
Campagne suisse contre le tabac
dans le sport.
Les conclusions de cette étude faisaient
état d’une relation inverse (toutes choses
égales par ailleurs), entre les habitudes tabagiques et la durée moyenne de la nuit. Les
nuits atteignaient en moyenne 7h48 pour les
non-fumeuses et 7h18 pour leurs homologues masculins, alors que les consommateurs
de tabac dormaient en moyenne vingt
minutes de moins...
Une étude similaire a ensuite abordé
cette question non plus sur un groupe de
sujets « tout venants », composé en majorité
d’individus sédentaires, mais sur un groupe
de 92 étudiantes en éducation physique(3).
On a pu ainsi dresser un état précis de la santé
de ces jeunes filles âgées de 18 à 23 ans.
Vingt-deux d’entre elles fumaient régulièrement, soit environ un quart du groupe, proportion que l’on retrouve assez régulièrement dans les milieux associatifs sportifs...
Cette étude a fourni des données instructives: les fumeuses se coucheraient en
général plus tard que les non-fumeuses, et
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SANTE ET SPORT
TABAC, NICOTINE
ET GOUDRONS
La nicotine tire son nom de « nicotiane »,
« herbe à Nicot », patronyme de celui qui, en
1570, isola le principe actif du tabac.
s’endormiraient de surcroît moins vite. Elles
évoqueraient bien plus souvent que les autres
jeunes femmes des souvenirs de rêve (signes
d’un réveil souvent brutal) et leur sensation
d’avoir vécu une mauvaise nuit (altération
des phases de sommeil « lent » dit réparateur)...
Cette atteinte du repos présente-t-elle
des conséquences patentes sur la pratique
sportive! Effectivement! On sait que les
séquelles de la fatigue s’atténuent, voire disparaissent totalement lors du repos. La lassitude des fumeurs, consécutive à un sommeil
de moins bonne qualité va donc croître lentement mais régulièrement, par effet de cumul,
et leur capacité de concentration va évoluer
decrescendo. Si elle franchit un seuil de vigilance minimale, les risques de blessures augmentent, en particulier dans les disciplines
alliant vitesse et adresse : ski, tennis, gymnastique, par exemple. L’étude en question en
avait d’ailleurs fait la constatation.
Elle soulignait également une perte d’efficacité, notamment dans les sports de balle
ou requérant de la précision (tir, squash, etc.).
En outre, elle suspecta une action négative de la cigarette sur le sommeil paradoxal
(phase de rêve) que les scientifiques considèrent comme essentiel pour l’acquisition et la
mémorisation de gestes complexes.
Une altération de la qualité des nuits
peut donc très bien nuire à l’apprentissage
des nouvelles techniques, pourtant diablement importantes en éducation physique.
Enfin, les réponses fournies par les étudiantes
à certaines rubriques montrent que les 22
fumeuses connaissaient davantage de troubles de santé que leurs congénères non
fumeuses.
AVANT, PENDANT
OU APRÈS L’EFFORT
L’action de la nicotine sur les tissus nerveux
peut expliquer certains de ces phénomènes,
mais la nicotine n’est pas seule responsable
des affections du fumeur. De nombreuses
substances provenant de la combustion du
tabac participent à ses effets pervers. Parmi
celles-ci, se trouve le monoxyde de carbone
(CO).
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Considérée à l’origine comme médicament (Nicot envoya du tabac à Catherine de
Médicis pour soigner ses migraines), la nicotine s’affirma très vite comme l’élément principal de l’accoutumance au tabac. « Demande à un fumeur que la nicotine empoisonne, s’il peut renoncer à son habitude », a
lucidement écrit Guy de Maupassant,
Drogue forte, la nicotine ne représente
pas pour autant le constituant du tabac le
plus dangereux. La température très élevée
des cigarettes produit, en outre, un très grand
nombre de composés toxiques (± 7000). La
« cancérogénicité » du tabac, c’est-à-dire
son aptitude potentielle à déclencher le cancer (notamment de la gorge et des poumons)
provient d’une classe de produits également
présents dans les viandes fumées: « les
hydrocarbures polycycliques ».
On sait ainsi que les risques de cancer de
l’oesophage augmentent avec la consommation de tabac ou d’alcool, et que I’association de ces deux toxiques multiplie ce risque(7).
D’autres substances dangereuses se
trouvent aussi incriminées. Citons les nitrosamines (formées à partir de la nicotine) et
I’acroléine (qui provoque la toux du fumeur)
dont les taux varient beaucoup selon les
marques.
Parmi les pathologies liées au tabagisme
figurent en bonne place les ulcères de I’estomac. En effet, la cigarette, surtout fumée à
jeun, excite la sécrétion gastrique et l’acidité
qui favorisent cette affection.
Hélas, même les non-fumeurs ne se
trouvent pas à l’abri des dangers du tabac,
puisque l’on connaît de mieux en mieux,
aujourd’hui, les conséquences du tabagisme
passif(5,6). L’injustice est totale lorsqu’on sait
que la fumée avalée par l’entourage du
fumeur contient environ deux fois plus de
goudrons nocifs et de nicotine, et environ
cinq fois plus de monoxyde de carbone que
celle qui pénètre la première fois dans les
poumons du fumeur. Divers travaux l’ont
récemment montré, cette fumée passive se
montre aussi toxique que la cigarette. On
relève par exemple un plus haut taux de
maladies respiratoires chez des enfants de
fumeurs(6) et la fréquence de ces troubles
augmente
proportionnellement à la
consommation de cigarettes des parents.
De façon comparable, il existe une relation très nette entre le risque de cancer du
poumon d’une non-fumeuse et I’importance de tabagisme de son conjoint. Eviter la
compagnie des fumeurs, dangereux pour le
sportif quoiqu’ils s’en défendent, s’avère
donc judicieux... autant que faire se peut!
Après inhalation de la fumée, ce gaz
passe dans le sang, où il atteint rapidement un
taux anormalement élevé. En effet, ce composé présente une grande affinité pour I’hémoglobine (Hb), le pigment chargé de transporter l’oxygène. Cela pose avec particulièrement d’acuité le problème de la cigarette
avant l’effort, des environnements pollués ou
des salles de sport enfumées. Car si le teneur
du sang en monoxyde de carbone s’élève
avant l’effort, ce gaz se liera préférentiellement aux sites de transport de l’oxygène
rielle, suffisante pour provoquer des
migraines lors de situations de stress ou de
tension.
Autre conséquence néfaste : lorsque le
débit ventilatoire devient maximal et que le
débit sanguin ne peut plus augmenter (situation de VO2 Max), la quantité maximale
d’oxygène parvenant aux muscles se trouve
réduite. Cela entraîne une chute de performance et une apparition précoce d’acide
lactique. Cet acide témoigne de I’intrication
Avant ou après l'effort, la
cigarette reste nocive.
(hémoglobine), de sorte que, pour un débit
sanguin donné, une moins grande quantité
d’oxygène parviendra aux tissus, permettant
par conséquent une moins grande production d’énergie.
Pour compenser cette chute, parfois
importante (on a déjà relevé des valeurs associant 15% de l’hémoglobine au monoxyde
de carbone(2)), le débit sanguin s’accroît. II
s’ensuit une élévation de la pression arté-
du métabolisme « anaérobie » et indique que
le sportif approche de la cadence maximale
qu’il pourra soutenir dans des conditions de
compétition. En clair, cette accumulation
précoce d’acide s’associe, chez des athlètes,
des rameurs ou des cyclistes, à une diminution de leur vitesse de pointe.
La cigarette avant l’effort (heureusement
fort peu répandue) constitue donc un sérieux
handicap. Mais la cigarette après l’effort
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SANTE ET SPORT
(... ou après l’amour !) n’en devient pas
moins nocive pour autant.
par des techniques moins néfastes, par
exemple la relaxation.
En effet, la vasodilatation pulmonaire
consécutive à l’effort et le maintien d’un
débit sanguin élevé favorisent la combinaison de l’hémoglobine et du monoxyde de
carbone. Cette habitude tabagique est,
hélas, très ancrée dans les sports collectifs
(... au mépris souvent des non-fumeurs
partageant les vestiaires). Elle doit être
découragée, car susceptible d’entraîner
divers phénomènes vérifiés dans I’enquête :
Ainsi, sur quelque plan que l’on se
situe, celui de la santé ou celui de la performance, le tabac reste une entrave à la
pratique sportive.
— les fumeuses se plaignent plus souvent
de migraines, soit d’une diminution de
l’apport d’oxygène au cerveau;
— les fumeuses connaissent plus souvent
des problèmes gynécologiques. Les difficultés signalées constituent un large
éventail, mais les plus régulièrement
citées sont les crampes abdominales
par
accumulation
(probablement
d’acide lactique);
— une perte d’appétit plus ou moins marquée résulte de l’absorption de nicotine. Chez des sportifs dépensant beaucoup d’énergie et requérant des apports
alimentaires compensatoires à terme,
cette anorexie peut déterminer la survenue de carences, d’autant que, par Iuimême, le tabac occasionne des besoins
accrus en vitamine C(8), ainsi peut-être
qu’en vitamine B12. Cet accroissement
de certains besoins particuliers peut
s’expliquer par la nécessité de juguler
les effets des radicaux libres formés
dans la cellule sous l’effet des constituants de la fumée du tabac(5).
POUR NE PAS BRÛLER TOUTES
SES CHANCES...
Alors peut-on justifier l’emploi du tabac
dans certains sports? Il existe des sportifs
qui argumentent qu’une cigarette de temps
en temps les aide à canaliser leur énergie
et à évacuer le stress avant une épreuve...
sans doute grâce à l’action vasodilatatrice
de la nicotine sur les vaisseaux sanguins du
cerveau. Mais en tout état de cause, il
s’agit d’un équilibre instable, créé par I’habitude, qu’ils pourraient sans doute obtenir
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Dans ce domaine comme ailleurs, il
n’y a pas de fumée sans feu...
D.R.
a) En 1977, plus de la moitié (51%) des
hommes fumaient quotidiennement. En
1989, cette proportion est descendue à
48%.
b) Dans le même temps, on observait une
augmentation de la proportion de
femmes fumeuses de 29% en 1977 à
plus de 33% aujourd’hui. Les femmes
jeunes (entre 20 et 24 ans) constituent
les plus irréductibles consommatrices de
tabac. Soixante-quatre pour-cent d’entre
elles fument régulièrement...
c) Le cancer ne dépend pas, en effet, du
cumul des effets nocifs du tabac. Chaque cigarette représente plutôt un risque
indépendant... comme le billet d’une
funeste loterie. Bien entendu, les gros
fumeurs multiplient les risques en augmentant les doses.
BIBLIOGRAPHIE:
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between smoking and drinking and sleep duration. Ann. Hum.
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(8) MUNICH A, OGIER H. SAUDUBRAY JM (1987) «Les vitamines
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Cet article est repris du magazine «Sport et Vie» N° 5 marsavril 91, avec l'aimable autorisation de son rédacteur en chef.